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La Bible d’Amiens/Chapitre IV

La bibliothèque libre.
Traduction par Marcel Proust.
Mercure de France (p. 249-341).


CHAPITRE IV

INTERPRÉTATIONS


1. C’est un privilège reconnu à tout sacristain qui aime sa cathédrale, de déprécier par comparaison toutes les cathédrales de son pays qui y ressemblent, et tous les édifices du globe qui en diffèrent. Mais j’aime un trop grand nombre de cathédrales, quoique je n’aie jamais eu le bonheur de devenir sacristain d’aucune, pour me permettre l’exercice facile et traditionnel du privilège en question, et je préfère vous prouver ma sincérité et vous faire connaître mon opinion dès le début, en confessant que la cathédrale d’Amiens n’a pas à tirer vanité de ses tours, que sa flèche centrale[1] est simplement le joli caprice d’un charpentier de village, que son ensemble architectural est, en noblesse, inférieur à Chartres[2], en sublimité à Beauvais, en splendeur décorative à Reims, et à Bourges, pour la grâce des figures sculptées. Elle n’a rien qui ressemble aux jointoiements et aux moulures si habiles des arcades de Salisbury ; rien de la puissance de Durham ; elle ne possède ni les incrustations dédaliennes de Florence, ni l’éclat de fantaisie symbolique de Vérone. Et pourtant dans l’ensemble et plus que celles-ci, dépassée par elles en éclat et en puissance, la cathédrale d’Amiens mérite le nom qui lui est donné par M. Viollet-le-Duc, « le Parthénon de l’architecture gothique[3] ».

Gothique, vous entendez ; gothique dégagé de toute tradition romane[4] et de toute influence arabe ; gothique pur, exemplaire, insurpassable et incritiquable, ses principes propres de construction étant une fois compris et admis.

2. Il n’y a pas aujourd’hui de voyageur instruit qui n’ait quelque notion du sens de ce qu’on appelle communément et justement « pureté de style » dans les formes d’art qu’ont pratiquées les nations civilisées, et il n’y en a qu’un petit nombre qui soient ignorants des intentions distinctives et du caractère propre du gothique. Le but d’un bon architecte gothique était d’élever, avec la pierre extraite du lieu où il avait à bâtir, un édifice aussi haut et aussi spacieux que possible, donnant à l’œil l’impression de la solidité que le raisonnement et le calcul garantissaient, tout cela sans y passer un temps trop prolongé et fatigant, et sans dépense excessive et accablante de travail humain.

Il ne désirait pas épuiser pour l’orgueil d’une cité les énergies d’une génération ou les ressources d’un royaume ; il bâtit pour Amiens avec les forces et les finances d’Amiens, avec la chaux des rochers de la Somme[5] et sous la direction successive de deux évêques ; dont l’un présida aux fondations de l’édifice et l’autre y rendit grâces pour son achèvement. Son but d’artiste, ainsi que pour tous les architectes sacrés de son époque dans le Nord, était d’admettre autant de lumière dans l’édifice que cela était compatible avec sa solidité ; de rendre sa structure sensible à la raison et magnifique, mais non pas singulière ni à effet, et d’ajouter encore à la puissance de cette structure à l’aide d’ornements suffisants à l’embellir, sans toutefois se laisser aller dans un enthousiasme déréglé à en exagérer la richesse, ou dans un moment d’insolente ivresse ou d’égoïsme à faire montre de son habileté. Et enfin il voulait faire de la sculpture de ses murs et de ses portes, un alphabet et un épitomé de la religion dont la connaissance et l’inspiration permît de rendre en dedans de ses portes un culte acceptable au Seigneur dont la Crainte était dans Son Saint Temple et dont le trône était dans le Ciel[6].

3. Il n’est pas facile au citoyen du moderne agrégat de méchantes constructions, et de mauvaises vies tenues en respect par les constables, que nous nommons une ville — dont il est convenu que les rues les plus larges sont consacrées à encourager le vice et les étroites à dissimuler la misère — il n’est pas facile, dis-je, à l’habitant d’une cité aussi méprisable de comprendre le sentiment d’un bourgeois des âges chrétiens pour sa cathédrale. Pour lui, le texte tout simplement et franchement cru : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux[7] », était étendu à une promesse plus large, s’appliquant à un grand nombre d’honnêtes et laborieuses personnes assemblées en son nom. « Il sera mon peuple et je serai son Dieu[8] », et ces mots recevaient pour eux un sens plus profond de cette croyance gracieusement locale et simplement aimante que le Christ, comme il était un Juif au milieu des Juifs, un Galiléen au milieu des Galiléens était aussi partout où il y avait de ses disciples, même les plus pauvres, quelqu’un de leur pays, et que leur propre « Beau Christ d’Amiens » était aussi réellement leur compatriote que s’il était né d’une vierge picarde.

4. Il faut se souvenir cependant, — et ceci est un point théologique sur lequel repose beaucoup du développement architectural des basiliques du Nord, — que la partie de l’édifice dans laquelle on croyait que la présence divine était constante, comme dans le Saint des Saints juif, était seulement le chœur clos, devant lequel les bas côtés et les transepts pouvaient devenir le Lit de Justice du roi, comme dans la salle du trône du Christ ; et dont le maître-autel était protégé toujours des bas côtés qui l’entouraient à l’est par une clôture du travail d’ouvrier le plus fini, tandis que, de ces bas côtés rayonnait une suite de chapelles ou de cellules, chacune dédiée à un saint particulier. Cette conception du Christ dans la société de ses saints (la chapelle la plus à l’est de toutes étant celle consacrée à la Vierge) se trouvait à la base de la disposition entière de l’abside avec ses supports et ses séparations d’arcs-boutants et de trumeaux ; et les formes architecturales ne pourront jamais vraiment nous ravir, si nous ne sommes pas en sympathie avec la conception spirituelle d’où elles sont sorties[9]. Nous parlons follement et misérablement de symboles et d’allégories : dans la vieille architecture chrétienne, toutes les parties de l’édifice doivent être lues à la lettre ; la cathédrale est pour ses constructeurs la Maison de Dieu[10], elle est entourée, comme celle d’un roi terrestre, de logements moindres pour ses serviteurs ; et les glorieuses sculptures du chœur, celles de son enceinte extérieure[11], et à l’intérieur, celles de ses boiseries que, presque instinctivement, un curé anglais croirait destinées à la glorification des chanoines, étaient en réalité la manière du charpentier amiénois de rendre à son Maître-Charpentier[12] la maison confortable[13] ; et non moins de montrer son talent natif et sans rival de charpentier, devant Dieu et les hommes.

Quoi que vous vouliez voir à Amiens, ou soyez forcé de laisser de côté sans l’avoir vu, si les écrasantes responsabilités de votre existence et la locomotion précipitée qu’elles nécessitent inévitablement vous laissaient seulement un quart d’heure sans être hors d’haleine pour la contemplation de la capitale de la Picardie, donnez-le entièrement au chœur de la cathédrale.

Les bas-côtés et les porches, les fenêtres en ogives et les roses, vous pouvez les voir ailleurs aussi bien qu’ici, mais un tel ouvrage de menuiserie, vous ne le pouvez pas[14]. C’est du flamboyant dans son plein développement juste au moment où le xve siècle vient de finir. Cela a quelque chose de la lourdeur flamande mêlée à la plaisante flamme française ; mais sculpter le bois est la joie du Picard depuis sa jeunesse et autant que je sache jamais rien d’aussi beau n’a été taillé dans les bons arbres d’aucun pays du monde entier. C’est en bois doux et d’un jeune grain, du chêne, traité et choisi pour un tel travail, et qui résonne encore comme il y a quatre cents ans. Sous la main du sculpteur il semble se modeler comme de l’argile, se plier comme de la soie pousser comme de vivantes branches, jaillir comme une vivante flamme. Les dais couronnant les dais, les clochetons jaillissant des clochetons, cela s’élance et s’entrelace en une clairière enchantée, inextricable, impérissable, plus pleine de feuillage qu’aucune forêt et plus pleine d’histoire qu’aucun livre.

Je n’ai jamais été capable de décider quelle était vraiment la meilleure manière d’approcher la cathédrale pour la première fois. Si vous avez plein loisir, si le jour est beau et si vous n’êtes pas effrayé par une heure de marche, la vraie chose à faire serait de descendre la rue principale de la vieille ville, traverser la rivière et passer tout à fait en dehors vers la colline calcaire[15], où la citadelle plonge ses fondations et à qui elle emprunte ses murailles ; gravissez-la jusqu’au sommet et regardez en bas dans le « fossé » sec de la citadelle ou plus véritablement la sèche vallée de la mort ; elle est à peu près aussi profonde qu’un vallon du Derbyshire (ou, pour être plus précis, que la partie supérieure de l’Heureuse vallée à Oxford, au-dessus du Bas-Hinksey) ; et de là, levez les yeux jusqu’à la cathédrale en montant les pentes de la cité. Comme cela vous vous rendrez compte de la vraie hauteur des tours par rapport aux maisons, puis en revenant dans la ville trouvez votre chemin pour arriver à sa montagne de Sion[16], par n’importe quelles étroites rues de traverse et les ponts que vous trouverez ; plus les rues seront tortueuses et sales, mieux ce sera, et que vous arriviez d’abord à la façade ouest ou à l’abside, vous les trouverez dignes de toutes les peines que vous aurez prises pour les atteindre.

Mais, si le jour est sombre comme cela peut quelquefois arriver, même en France, depuis quelques années, ou si vous ne pouvez ou ne voulez marcher, ce qui est une chose possible aussi à cause de tous nos sports athlétiques lawn-tennis, etc., — ou s’il faut vraiment que vous alliez à Paris cet après-midi et si vous voulez seulement voir tout ce que vous pouvez en une heure ou deux — alors en supposant cela, malgré ces faiblesses, vous êtes encore une gentille sorte de personne pour laquelle il est de quelque importance de savoir par où elle arrivera à une jolie chose et commencera à la regarder. J’estime que le meilleur chemin est alors de monter à pied, de l’Hôtel de France ou de la place du Périgord, la rue des Trois-Cailloux vers la station de chemin de fer. Arrêtez-vous un moment sur le chemin pour vous tenir en bonne humeur, et achetez quelques tartes ou bonbons pour les enfants dans une des charmantes boutiques de pâtissier qui sont sur la gauche. Juste après les avoir passées, demandez le théâtre ; et aussitôt après vous trouverez également sur la gauche trois arcades ouvertes sous lesquelles vous pourrez passer, vous laisserez derrière vous le Palais de justice, et monterez droit au transept sud qui a vraiment en soi de quoi plaire à tout le monde.

Il est simple et sévère en bas, délicatement ajouré et dentelé au sommet et paraît d’un seul morceau, quoiqu’il ne le soit pas. Chacun doit aimer l’élan et la ciselure transparente de la flèche qui est au-dessus et qui semble se courber vers le vent d’ouest — bien que ce ne soit pas. Du moins sa courbure est une longue habitude contractée graduellement, avec une grâce et une soumission croissantes, pendant ces trois derniers cents ans. Et, arrivant tout à fait au porche, chacun doit aimer la jolie petite madone française qui en occupe le milieu avec sa tête un peu de côté, et son nimbe mis un peu de côté aussi comme un chapeau seyant. Elle est une madone de décadence en dépit ou plutôt en raison de toute sa joliesse[17] et de son gai sourire de soubrette ; et elle n’a rien à faire ici non plus, car ceci est le porche de Saint-Honoré, non le sien ; rude et gris, saint Honoré avait coutume de se tenir là pour vous recevoir ; il est maintenant banni au porche nord où jamais n’entre personne.

Cela eut lieu il y a longtemps, au xive siècle, quand le peuple commença à trouver le christianisme trop grave, imagina pour la France une foi plus joyeuse et voulut avoir partout des Madones-soubrettes aux regards brillants, laissant sa propre Jeanne d’Arc aux yeux sombres se faire brûler comme sorcière ; et depuis lors les choses allèrent leur joyeux train, tout droit, « ça allait, ça ira », jusqu’aux plus joyeux jours de la guillotine. Mais pourtant ils savaient encore sculpter au xive siècle, et la Madone et son linteau d’aubépine en fleurs[18] sont dignes que vous les regardiez, et plus encore les sculptures aussi délicates et plus calmes[19] qui sont au-dessus et qui racontent la propre histoire de saint Honoré, dont on parle peu aujourd’hui dans le faubourg parisien qui porte son nom.

Je ne veux pas vous retenir maintenant pour vous raconter l’histoire de saint Honoré (trop content seulement de vous laisser à cet égard quelque curiosité si c’était possible[20]), car certainement vous êtes impatients d’entrer dans l’église, et vous ne pouvez pas y entrer d’une meilleure manière que par cette porte. Car toutes les cathédrales de quelque importance produisent à peu près le même effet quand vous y pénétrez par la porte ouest ; mais je n’en connais pas d’autre qui montre autant de sa noblesse du transept intérieur sud ; la rose en face est d’une exquise finesse de réseau et d’un éclat charmant ; et les piliers des bas-côtés du transept forment des groupes merveilleux avec ceux du chœur et de la nef. Vous vous rendrez aussi mieux compte de la hauteur de l’abside, si elle se découvre à vous comme vous allez du transept à la nef centrale que si vous la voyez tout à coup de l’extrémité ouest de la nef ; là il serait presque possible à une personne irrévérente de trouver la nef étroite plutôt que l’abside haute. Donc, si vous voulez me laisser vous conduire, entrez à cette porte du transept sud et mettez un sou dans la sébile de chacun des mendiants qui sont là à demander ; cela ne vous regarde pas de savoir s’il convient qu’ils soient là ou non — ni s’ils méritent d’avoir le sou — sachez seulement si vous-même méritez d’en avoir un à donner et donnez-le gentiment et non comme s’il vous brûlait les doigts. Puis étant une fois entré, donnez-vous telle sensation d’ensemble qu’il vous plaira — en promettant au gardien de revenir pour voir convenablement (seulement pensez à tenir votre promesse), et, durant le premier quart d’heure, ne voyez que ce que votre fantaisie vous conseillera, mais du moins, comme je vous l’ai dit, regardez l’abside de la nef et toutes les parties transversales de l’édifice en partant de son centre. Alors vous saurez, quand vous retournerez dehors, dans quel but a travaillé l’architecte et ce que ses contreforts et le réseau de ses verrières signifient, car il faut toujours se représenter l’extérieur d’une cathédrale française, excepté sa sculpture, comme l’envers d’une étoffe qui vous aide à comprendre comment les fils produisent le dessin tissé ou brodé du dessus[21].

Et si vous ne vous sentez pas pris d’admiration pour ce chœur et le cercle de lumière qui l’entoure, quand vous levez les regards vers lui du milieu de la croix, vous n’avez pas besoin de continuer à voyager à la recherche de cathédrales, car la salle d’attente de n’importe quelle station est un endroit bien mieux fait pour vous ; mais, s’il vous confond et vous ravit d’abord, alors plus vous le connaîtrez, plus votre étonnement grandira. Car il n’est pas possible à l’imagination et aux mathématiques unies de faire avec du verre et de la pierre quelque chose de plus noble ou de plus puissant que cette procession de verrières, ni rien qui donne plus l’impression de la hauteur et dont la hauteur réelle ait été déterminée par un calcul aussi réfléchi et aussi prudent.

9. Du pavé à la clef de voûte il n’y a que 132 pieds français — environ 130 anglais. Songez seulement, vous qui avez été en Suisse — que la chute du Staubbach a 900 pieds[22]. Bien mieux, le rocher de Douvres au-dessous du château, juste où finit la promenade, est deux fois aussi haut, et les petits cokneys qui paradent sur l’asphalte à la polka militaire, se croient, je pense, aussi grands ; mais avec les petits logements, huttes et cahutes qu’ils ont mis autour, ils ont réussi à le faire paraître de la grandeur d’un four à chaux moyen. Pourtant il a deux fois la hauteur de l’abside d’Amiens ! et il faut une solide construction pour qu’en ne se servant que de morceaux de chaux comme ceux qu’on peut extraire dans le voisinage de la Somme, on arrive à faire durer 600 ans une œuvre seulement moitié moins haute.

10. Cela demande une bonne construction, dis-je, et vous pouvez même affirmer la meilleure qui fut jamais ou sera vraisemblablement vue de longtemps sur le sol immuable et fécond où l’on pouvait compter que se maintiendrait à jamais un pilier quand il avait été bien édifié, et où des nefs de trembles, des vergers de pommes, et des touffes de vigne, fournissaient le modèle de tout ce qui pouvait le plus magnifiquement devenir sacré dans la permanence de la pierre sculptée. Du bloc brut placé sur l’extrémité du Bethel druidique à cette Maison du Seigneur et cette porte du Ciel au bleu vitrage[23], vous avez le cours entier et l’accomplissement de tout l’amour et de tout l’art des architectes religieux du nord.

11. Mais remarquez encore et attentivement que cette abside d’Amiens n’est pas seulement la meilleure, mais la première chose exécutée parfaitement en ce genre par la chrétienté du nord. Aux pages 323 et 327[24] du tome VI de M. Viollet-le-Duc vous trouverez l’histoire exacte du développement de ces ogives à travers lesquelles vient briller en ce moment à vos yeux la lumière de l’orient, depuis les formes moins parfaites, les premières ébauches de Reims ; et l’apogée de la parfaite justesse fut si éphémère, qu’ici, de la nef au transept, bâti seulement dix ans plus tard, il y a déjà un petit changement dans le sens non de la décadence mais d’une précision plus grande qu’il n’est absolument nécessaire[25]. Le point où commence la décadence on ne peut pas, parmi les charmantes fantaisies qui suivirent, le fixer exactement ; mais exactement et indiscutablement nous savons que cette abside d’Amiens est la première œuvre d’une parfaite pureté de vierge — le Parthénon, encore en ce sens, — de l’architecture gothique.

12. Qui la bâtit, demanderons-nous ? Dieu et l’homme est la première et la plus fidèle réponse. Les étoiles dans leur cours la bâtirent et les nations. L’Athéné des Grecs a travaillé ici, et le Père des dieux romains, Jupiter, et Mars Gardien. Le Gaulois a travaillé ici, et le Franc, le chevalier normand, le puissant Ostrogoth, et l’Anachorète amaigri d’Idumée.

L’homme qui la bâtit effectivement se préoccupait peu que vous le sachiez jamais, et les historiens ne le glorifient pas ; tous les blasons possibles de coquins et de fainéants, vous pouvez les trouver dans ce qu’ils appellent leur « histoire » ; mais c’est probablement la première fois que vous lisez le nom de Robert de Luzarches. Je dis, il se préoccupait peu, nous ne sommes pas sûrs qu’il se préoccupât du tout. Il ne signe son nom nulle part, autant que je sache. Vous trouverez peut-être çà et là dans l’édifice des initiales récemment gravées par de remarquables visiteurs anglais désireux d’immortalité. Mais Robert le constructeur ou au moins le maître de la construction, n’a gravé les siennes dans aucune pierre. Seulement quand, après sa mort, la pierre angulaire de la cathédrale eût été découverte avec des acclamations, pour célébrer cet événement on écrivit la légende suivante, rappelant le nom de tous ceux qui avaient eu leur part ou leur parcelle du travail, — dans le milieu du labyrinthe qui alors existait dans les dallages de la nef. Il faut que vous la lisiez d’une voix légère ; elle fut gaiement rimée pour vous par la pure gaieté française qui ne ressemblait pas le moins du monde à celle du Théâtre des Folies.

En l’an de Grâce mil deux cent
Et vingt, fut l’œuvre de cheens
Premièrement encomenchie.
A donc y ert de cheste evesquie
Evrart, evêque bénis ;
Et, Roy de France, Loys
Qui fut fils Philippe le Sage.
Qui maistre y est de l’œuvre
Maistre Robert estoit només
Et de Luzarches surnomés.
Maistre Thomas fu après lui
De Cormont. Et après, son filz
Maistre-Regnault, qui mestre
Fist a chest point chi cheste lectre
Que l’incarnation valoit
Treize cent, moins douze, en faloit.

13. J’ai écrit les chiffres en lettres, autrement le mètre n’eût pas été clair. En réalité, ils étaient représentés ainsi « IIC et XX » « XIII·C. moins XII ». Je cite l’inscription d’après l’admirable petit livre de M. l’abbé Rozé : Visite à la Cathédrale d’Amiens(Sup. Lib. de Mgr l’Évêque d’Amiens, 1877), — que chaque voyageur reconnaissant devrait acheter, car je vais seulement en voler un petit morceau çà et là. Je souhaiterais seulement qu’il y eût eu aussi à voler une traduction de la légende ; car il y a un ou deux points à la fois de doctrine et de chronologie sur lesquels j’aurais aimé avoir l’opinion de l’abbé. Toutefois, le sens principal de la poésie vers par vers, nous paraît être ce qui suit :

En l’an de grâce douze cent
Vingt, l’œuvre tombant alors en ruine
Fut d’abord recommencée,
Alors était de cet évêché
Éverard l’Évêque béni
Et roi de France Louis
Qui était fils de Philippe le Sage.
Celui qui était maître de l’œuvre
Était appelé Maitre Robert
Et nommé de plus de Luzarche.
Maître Thomas fut après lui
De Cormont. Et après lui son fils
Maître Reginald qui pour être mis
À ce point-ci, fit ce texte
Quand l’Incarnation fut vérifiée
Treize cents moins douze qu’il s’en fallait.

De cette inscription, tandis que vous êtes là où elle était jadis (elle a été mise ailleurs quand on a poli l’ancien pavé, dans l’année même je le constate avec tristesse, de mon premier voyage sur le continent, en 1825, alors que je n’avais pas encore tourné mon attention vers l’architecture religieuse), quelques points sont à retenir — si vous avez encore un peu de patience.

14. « L’œuvre » c’est-à-dire l’Œuvre propre d’Amiens, sa cathédrale, était « déchéant », tombant en ruine pour la — je ne puis pas dire tout de suite si c’était la — quatrième, cinquième où quantième fois — dans l’année 1220. Car c’était une chose extraordinairement difficile pour le petit Amiens qu’un travail pareil fût bien exécuté tant le diable travaillait durement contre lui. Il bâtit sa première église épiscopale (guère plus que le tombeau-chapelle de Saint-Firmin) vers l’an 350, juste à côté de l’endroit où est la station du chemin de fer sur la route de Paris[26]. Mais après avoir été lui-même à peu près détruit, avec sa chapelle et le reste, par l’invasion franque, s’étant ressaisi et ayant converti ses Francs, il en bâtit une autre, et une cathédrale proprement dite, dans l’emplacement de l’actuelle, sous l’évêque Saint-Save (Saint-Sauve ou Salve). Mais même cette véritable cathédrale était toute en bois, et les Normands la brûlèrent en 881. Reconstruite, elle resta debout deux cents ans ; mais fut en grande partie détruite par la foudre en 1019. Rebâtie de nouveau, elle et la ville furent plus ou moins brûlées ensemble par la foudre en 1107. Mon auteur dit tranquillement : « Un incendie provoqué par la même cause détruisit la ville, et une partie de la cathédrale. » La « partie » ayant été rebâtie encore une fois, le tout fut de nouveau réduit en cendres, « réduit en cendres par le feu du ciel en 1218, ainsi que tous les titres, les martyrologes, les calendriers, et les archives de l’évêché et du chapitre ».

C’était alors la cinquième cathédrale, d’après mon compte, qui était en « cendres » selon M. Gilbert — en ruine certainement — déchéante — et une ruine qui eût été l’absolu découragement pour les habitants d’une ville moins vivante, — en 1218. Mais ce fut plutôt un grand stimulant pour l’évêque Évrard et son peuple que la vue de ce terrain qui s’offrait à eux dégagé comme il l’était ; et la foudre (feu de l’enfer, pas du ciel, reconnu pour une plaie diabolique, comme en Égypte) devait être bravée jusqu’au bout. Ils ne mirent que deux ans, vous le voyez, à se reprendre et ils se mirent à l’œuvre en 1220, eux, et leur évêque, et leur roi, et leur Robert de Luzarches. Et cette cathédrale qui vous reçoit en ce moment sous ses voûtes fut ce que surent faire leurs mains dans leur puissance.

16. Leur roi était « adonc », à cette époque, Louis VIII qui est encore désigné sous le nom de fils de Philippe-Auguste ou de Philippe le Sage, parce que son père n’était pas mort en 1220 ; mais il doit avoir abandonné le gouvernement du royaume à son fils, comme son propre père l’avait fait pour lui ; le vieux et sage roi se retirant dans son palais et de là guidant silencieusement les mains de son fils, très glorieusement encore pendant trois ans.

Mais, ensuite — et ceci est le point sur lequel j’aurais surtout désiré avoir l’opinion de l’abbé — Louis VIII mourut de la fièvre à Montpensier en 1226. Et la direction entière des travaux essentiels de la cathédrale, et le principal honneur de sa consécration, comme nous le verrons tout à l’heure, émana de saint Louis, pendant une durée de quarante-quatre ans. Et l’inscription fut placée « à ce point-ci » par le dernier architecte, six ans après la mort de Saint Louis. Comment se fait-il que le grand et saint roi ne soit pas nommé ?

Je ne dois pas, dans cet abrégé pour le voyageur, perdre du temps à donner des réponses conjecturales aux questions que chaque pas ici fera surgir du temple saccagé. Mais celle-ci en est une très grave ; et doit être gardée en nos cœurs jusqu’à ce que nous puissions peut-être en avoir l’explication. D’une chose seulement nous sommes sûrs, c’est qu’au moins l’honneur aussi bien pour les fils des rois que pour les fils des artisans est toujours donné à leurs pères ; et que, semble-t-il, le plus grand honneur de tous, est donné ici à Philippe le Sage. De son palais, non de parlement, mais de paix, sortit dans les années où ce temple fut commencé d’être bâti, un édit de véritable pacification : « Qu’il serait criminel pour tout, homme de tirer vengeance d’une insulte ou d’une injure avant quarante jours à partir de l’offense reçue — et alors seulement avec l’approbation de l’Évêque du Diocèse. » Ce qui était peut-être un effort plus avisé pour mettre fin au système féodal pris dans son sens saxon[27] qu’aucun de nos projets récents destinés à mettre fin au système féodal pris dans son sens normand.

18. « À ce point-ci ». Le point notamment du Labyrinthe incrusté dans le pavé de la cathédrale : emblême consacré d’un grand nombre de choses pour le peuple, qui savait que le sol sur lequel il se tenait était saint, comme la voûte qui était au-dessus de sa tête. Surtout, c’était pour lui un emblème de noble vie humaine, — aux portes étroites, aux parois resserrées, avec une infinie obscurité et l’inextricabilis error de tous côtés, et, dans ses profondeurs, la nature brutale à dompter.

19. C’est cette signification depuis les jours les plus fièrement héroïques et les plus saintement législateurs de la Grèce, que ce symbole a toujours apporté aux hommes versés dans ses traditions : pour les écoles des artisans il signifiait de plus la noblesse de leur art et sa filiation directe avec l’art divinement terrestre de Dédale, le bâtisseur de labyrinthes, et le premier sculpteurs à qui l’on doit une représentation pathétique[28] de la vie humaine et de la mort.

20. Le caractère le plus absolument beau du pouvoir de la vraie foi chrétienne-catholique est en ceci qu’elle reconnaît continuellement pour ses frères — bien plus pour ses pères, les peuples aînés qui n’avaient pas vu le Christ ; mais avaient été remplis de l’Esprit de Dieu ; et avaient obéi dans la mesure de leur connaissance à sa loi non écrite. La pure charité et l’humilité de ce caractère se voient dans tout l’art chrétien, selon sa force et sa pureté de race, mais il n’est nulle part aussi bien et aussi pleinement saisi et interprété que par les trois grands poètes chrétiens-païens, le Dante, Douglas de Dunkeld[29], et Georges Chapman. La prière par laquelle le dernier termine l’œuvre de sa vie est, autant que je sache, la plus parfaite et la plus profonde expression de la religion naturelle qui nous ait été donnée en littérature ; et si vous le pouvez, priez-la ici, en vous plaçant sur l’endroit où l’architecte a écrit un jour l’histoire du Parthénon du christianisme.

21. « Je te prie, Seigneur, père et guide de notre raison, fais que nous puissions nous souvenir de la noblesse dont tu nous as ornés et que tu sois toujours à notre main droite et à notre gauche[30], tandis que se meuvent nos volontés ; de sorte que nous puissions être purgés de la contagion du corps et des affections de la brute et les dominer et les gouverner ; et en user, comme il convient aux hommes, ainsi que d’instruments. Et alors que tu fasses cause commune avec nous pour le redressement vigilant de notre esprit et pour sa conjonction, à la lumière de la vérité, avec les choses qui sont vraiment.

« Et en troisième lieu, je te prie, toi le Sauveur, de dissiper entièrement les ténèbres qui emprisonnent les yeux de nos âmes, afin que nous puissions bien connaître qui doit être tenu pour Dieu, et qui pour mortel. Amen[31]. »

Et après avoir prié cette prière ou au moins l’avoir lue avec le désir d’être meilleur (si vous ne le pouvez pas, il n’y a aucun espoir que vous preniez à présent plaisir à aucune œuvre humaine de haute inspiration, que ce soit poésie, peinture ou sculpture) nous pouvons nous avancer un peu plus à l’ouest de la nef, au milieu de laquelle, mais seulement à quelques yards de son extrémité, deux pierres plates (le bedeau vous les montrera), l’une un peu plus en arrière que l’autre, sont posées sur les tombes des deux grands évêques, dont toute la force de vie fut donnée, avec celle de l’architecte, pour élever ce temple. Leurs vraies tombes sont restées au même endroit ; mais les tombeaux élevés au-dessus d’elles, changés plusieurs fois de place, sont maintenant à votre droite et à votre gauche quand vous regardez en arrière vers l’abside, sous la troisième arche entre la nef et les bas côtés.

23. Tous deux sont en bronze, fondus d’un seul jet et avec une maîtrise insurpassable, et à certains égards inimitable, dans l’art du fondeur.

« Chef-d’œuvres de fonte, le tout fondu d’un seul jet, et admirablement[32]. » Il n’y a que deux tombeaux semblables qui existent encore en France, ceux des enfants de saint Louis. Tous ceux du même genre, et il y en avait un grand nombre dans toute grande cathédrale française ont été d’abord arrachés des sépultures qu’ils couvraient, afin d’ôter à la France la mémoire de ses morts ; et ensuite fondus en sous et centimes, pour acheter de la poudre à canon et de l’absinthe à ses vivants, — par l’esprit de Progrès et de Civilisation dans sa première flamme d’enthousiasme et sa lumière nouvelle, de 1789 à 1800.

Les tombeaux d’enfants, placés chacun d’un côté de l’autel de saint Denis, sont beaucoup plus petits que ceux-ci, quoique d’un plus beau travail. Ceux auprès de qui vous êtes en ce moment sont les deux seuls tombeaux de bronze de ses hommes des grandes époques, qui subsistent en France !

24. Et ce sont les tombes des pasteurs de son peuple, qui pour elle ont élevé le premier temple parfait à son Dieu ; celle de l’évêque Évrard est à votre droite et porte gravée autour de sa bordure cette inscription[33] :

« Celui qui nourrit le peuple, qui posa les fondations de ce
Monument, aux soins de qui la cité fut confiée
Ici dans un baume éternel de gloire repose Évrard.
Un homme compatissant à l’affligé, le protecteur de la veuve, de l’orphelin
Le gardien. Ceux qu’il pouvait, il les réconfortait de ses dons.
Aux paroles des hommes,
Si douces, un agneau ; si violentes, un lion ; si orgueilleuses, un acier mordant ».

L’anglais dans ses meilleurs jours, ceux d’Élisabeth, est une langue plus noble que ne fut jamais le latin ; mais son mérite est dans la couleur et l’accent, non pas dans ce qu’on pourrait appeler la condensation métallique ou cristalline. Et il est impossible de traduire la dernière ligne de cette inscription en un nombre aussi restreint de mots anglais. Remarquez d’abord que les amis et ennemis de l’évêque sont mentionnés comme tels en paroles, non en actes, parce que les paroles orgueilleuses, ou moqueuses, ou flatteuses des hommes sont en effet ce que sur cette terre les doux doivent savoir supporter et bien accueillir : leurs actes, c’est aux rois et aux chevaliers à s’en occuper ; non que les évêques ne missent souvent la main aux actes aussi ; et dans la bataille, il leur était permis de frapper avec la masse, mais non avec l’épée, ni la lance — c’est-à-dire non de « faire couler le sang ». Car il était présumé qu’un homme peut toujours guérir d’un coup de masse (ce qui cependant dépendait de l’intention de l’évêque qui le donnait). La bataille de Bouvines, qui est en réalité une des plus importantes du moyen âge fut gagnée contre les Anglais, (et en outre contre les troupes auxiliaires d’Allemands qui marchaient sous Othon,) par deux évêques français (Senlis et Bayeux) — qui tous deux furent les généraux des armées du roi de France, et conduisirent ses charges. Notre comte de Salisbury se rendit à l’évêque de Bayeux en personne.

25. Notez de plus qu’un des pouvoirs les plus mortels et les plus diaboliques des mots méchants, ou pour le mieux nommer, du blasphème, a été développé dans les temps modernes par les effets de l’« argot », quelquefois d’intention très innocente et joyeuse. L’argot, dans son essence, est de deux sortes. Le « Latin des Voleurs », langage spécial des coquins employé pour ne pas être compris ; l’autre, le meilleur nom à lui donner serait peut-être le Latin des Manants ! — les mots abaissants ou insultants inventés par des gens vils pour amener les choses qu’eux-mêmes tiennent pour bonnes à leur propre niveau ou au dessous.

Le plus grand mal certainement que peut faire cette sorte de blasphème consiste en ceci qu’il rend souvent impossible d’employer des mots communs sans y attacher un sens dégradant ou risible. Ainsi je n’ai pas pu terminer ma traduction de cette épitaphe, comme a pu le faire le vieux latiniste, avec l’image absolument exacte : « À l’orgueilleux une lime », à cause de l’abus du mot dans le bas anglais qui garde, mais méchamment, l’idée du xiiie siècle. Mais la force exacte du symbole est ici dans son allusion au travail du joaillier taillant à facettes. Un homme orgueilleux est souvent aussi un homme précieux et peut être rendu plus brillant à la surface, et la pureté de son être intérieur mieux découverte, par un bon limage.

26. Telles qu’elles sont, ces six lignes latines — expriment — au mieux mieux[34] — l’entier devoir d’un évêque[35] — en commençant par son office pastoral — Nourrir mon troupeau — qui pavit populum. Et soyez assuré, bon lecteur que ces temps-là n’auraient jamais été capables de vous dire ce qu’était le devoir d’un évêque, ou de tout autre homme, s’ils n’avaient pas eu chaque homme à sa place, l’ayant bien remplie et ne l’avaient pas vu la bien remplir. La tombe de l’évêque Geoffroy est à votre gauche et son inscription est :

« Regardez, les membres de Godefroy reposent sur leur humble couche.
Peut-être nous en prépare-t-il une moindre ou égale.

Celui qu’ornèrent les deux lauriers jumeaux de la médecine
Et de la loi divine, les deux ornements lui convinrent.
Resplendissant homme d’Eu, par qui le trône d’Amiens
S’est élevé dans l’immensité, puisses-tu être encore plus grand dans le ciel. »

Amen.

Et maintenant enfin — cet hommage rendu et cette dette de reconnaissance acquittée — nous nous détournerons de ces tombes et nous irons dehors à une des portes ouest — et de cette manière nous verrons graduellement se lever au-dessus de nous l’immensité des trois porches et des pensées qui y sont sculptées.

27. Quelles dégradations ou changements elles ont eu à subir, je ne vous en dirai rien aujourd’hui, excepté la perte « inestimable » des grandes vieilles marches datant de la fondation, découvertes, s’étendant largement d’un bout à l’autre pour tous ceux qui venaient, sans murailles, sans séparations, ensoleillées dans toute leur longueur par la lumière de l’ouest, la nuit éclairées seulement par la lune et les étoiles, descendant raides et nombreuses la pente de la colline — finissant une à une, larges et peu nombreuses au moment d’arriver au sol et usées par les pieds des pèlerins pendant six cents ans. Ainsi les ai-je vues une première et une deuxième fois — maintenant de telles choses ne pourront jamais plus être vues.

Dans la façade ouest, elle-même, au dessus, il ne reste pas beaucoup de la vieille construction ; mais dans les porches, à peu près tout — excepté le revêtement extérieur actuel avec sa moulure de roses dont un petit nombre de fleurs seulement ont été épargnées çà et là. Mais la sculpture a été soigneusement et honorablement conservée et restaurée sur place, les piédestaux et les niches restaurés çà et là avec de la terre glaise, et certains que vous voyez blancs et crus, entièrement resculptés ; néanmoins, l’impression que vous pouvez recevoir du tout est encore ce que le constructeur a voulu et je vous dirai l’ordre de sa théologie sans plus de remarques sur le délabrement de son œuvre.

Vous vous trouverez toujours bien, en regardant n’importe quelle cathédrale, de bien fixer vos quatre points cardinaux dès le début ; et de vous rappeler que, quand vous entrez, vous regardez et avancez vers l’est, et que, s’il y a trois porches d’entrée, celui qui est à votre gauche en entrant est le porche septentrional, celui qui est à votre droite, le porche méridional. Je m’efforcerai dans tout ce que j’écrirai désormais sur l’architecture d’observer la simple règle de toujours appeler la porte du transept du nord la porte nord ; et celle qui, sur la façade ouest, est de ce même côté nord, porte septentrionale, et ainsi pour celles des autres côtés.

Cela épargnera à la fin beaucoup d’imprimé et de confusion, car une cathédrale gothique a presque toujours ces cinq grandes entrées, qui sont faciles à reconnaître, si on y prend garde au début, sous les noms de la porte centrale (ou porche), porte septentrionale, porte méridionale, porte nord et porte sud.

Mais, si nous employons les termes droite et gauche, nous devrons toujours en les employant nous considérer comme sortant de la cathédrale et descendant la nef — tout le côté et les bas côtés nord du bâtiment étant par conséquent son côté droit et le côté sud, son côté gauche. Car nous n’avons le droit d’employer ces termes de droite et de gauche que relativement à l’image du Christ dans l’abside ou sur la croix, ou bien à la statue centrale de la façade ouest, que ce soit celle du Christ, de la Vierge ou d’un saint. À Amiens cette statue centrale, sur le « trumeau » ou pilier qui supporte et partage en deux le porche central, est celle du Christ Emmanuel[36] — Dieu avec nous. À sa droite et à sa gauche occupant la totalité des parois du porche central, sont tes apôtres et les quatre grands prophètes.

Les douze petits prophètes se tiennent côte à côte sur la façade, trois sur chacun de ses grands trumeaux. Le porche septentrional est dédié à saint Firmin, le premier missionnaire chrétien à Amiens.

Le porche méridional à la Vierge.

Mais ceux-ci sont tous deux conçus comme en retrait derrière la grande fondation du Christ et des prophètes ; et les étroits enfoncements où ils sont réfugiés[37] masquent en partie leur sculpture, jusqu’au moment où vous y entrez. Ce que vous avez d’abord à méditer et à lire, c’est l’Écriture du grand porche central et la façade elle-même.

Vous avez donc au centre de la façade l’image du Christ lui-même vous recevant :

« Je suis le chemin, la vérité et la vie[38]. »

Et la meilleure manière de comprendre l’ordre des pouvoirs subalternes sera de les considérer comme placés à la main droite et à la gauche du Christ ; ceci étant aussi l’ordre que l’architecte adopte dans l’histoire de l’Écriture sur la façade — de façon qu’elle doit être lue de gauche à droite, c’est-à-dire de la gauche du Christ à la droite du Christ, comme Lui les voit. Ainsi donc, en prenant les grandes statues dans l’ordre :

D’abord, dans le porche central, il y a six apôtres à la droite du Christ, six à Sa gauche.

À Sa gauche, à côté de Lui, Pierre ; puis par ordre en s’éloignant, André, Jacques, Jean, Matthieu, Simon ; à Sa droite, à côté de Lui, Paul ; et successivement, Jacques l’évêque, Philippe, Barthélemy, Thomas et Jude. Ces deux rangées symétriques des apôtres occupent ce qu’on peut appeler l’abside ou la baie creusée du porche, et forment un groupe à peu près demi-circulaire, clairement visible quand on s’approche. Mais sur les côtés du porche, non pas sur la même ligne que les apôtres, et ne se voyant pas distinctement tant qu’on n’est pas entré dans le porche, sont les quatre grands prophètes. À la gauche du Christ, Isaïe et Jérémie ; à sa droite, Ézéchiel et Daniel.

Puis sur le devant, en prenant la façade dans toute sa longueur — lisez par ordre, de la gauche du Christ à Sa droite — viennent les séries des douze petits prophètes, trois sur chacun des quatre trumeaux du temple, commençant à l’angle sud avec Osée, et finissant avec Malachi.

Quand vous regardez la façade entière en vous plaçant devant elle, les statues qui remplissent les porches secondaires sont ou obscurcies dans leurs niches plus étroites ou dissimulées l’une derrière l’autre de façon à ne pas être vues.

Et la masse entière de la façade est vue, littéralement, comme bâtie sur la fondation des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire. Et ceci à la lettre ; car le porche en s’ouvrant forme un profond « angulus » et le pilier qui est au milieu est le sommet de l’angle.

Bâti sur la fondation des apôtres et des prophètes, c’est-à-dire des prophètes qui ont prédit la venue du Christ et les apôtres qui l’ont proclamée. Quoique Moïse ait été un apôtre de Dieu, il n’est pas ici. Quoique Élie ait été un prophète de Dieu, il n’est pas ici. La voix du moment tout entier est celle du Ciel à la Transfiguration : « Voici mon fils bien-aimé, écoutez-le[39]. »

Il y a un autre prophète et plus grand encore, qui, comme il semble d’abord, n’est pas ici. Est-ce que le peuple entrera dans les portes du temple en chantant « Hosanna au fils de David[40] », et ne verra aucune image de son père ?

Christ lui-même déclare : « Je suis la racine et l’épanouissement de David », et cependant la racine ne garde près d’elle aucun souvenir de la terre qui l’a nourrie ?

Il n’en est pas ainsi, David et son Fils sont ensemble.

David est le piédestal du Christ. Nous commencerons donc notre examen de la façade du temple par ce beau piédestal.

La statue de David, qui n’a que les deux tiers de la grandeur naturelle, occupe la niche qui est sur le devant du piédestal. Il tient son sceptre dans la main droite, son phylactère dans la gauche : Roi et Prophète, le symbole à jamais de toute royauté qui agit avec une justice divine, la réclame et la proclame.

Le piédestal qui a cette statue pour sculpture sur sa face occidentale, est carré et, sur les deux autres côtés, il y a des fleurs dans des vases ; du côté nord le lys et du côté sud la rose. Et le monolithe entier est un des plus nobles morceaux de sculpture chrétienne du monde entier.

Au-dessus de ce piédestal en vient un moins important, portant en façade un pampre de vigne qui complète le symbolisme floral du tout. La plante que j’ai appelée un lys n’est pas la Fleur de Lys ni le lys de la Madone[41], mais une fleur idéale avec des clochettes comme la couronne impériale (le type des « lys de toutes les espèces » de Shakespeare[42], représentant le mode de croissance du lys de la vallée qui ne pouvait pas être sculpté aussi grand dans sa forme littérale sans paraître, monstrueux, et se trouve ainsi représenté sur cette pièce de sculpture où il réalise, associé à la rose et à la vigne ses compagnes, la triple parole du Christ : « Je suis la Rose de Saron et le Lys de la Vallée[43]. » « Je suis la Vigne véritable[44]. »

33. Sur les côtés de ce socle sont des supports d’un caractère différent. Des supports, non des captifs, ni des victimes ; le Basilic et l’Aspic représentant les plus actifs des principes malfaisants sur la terre dans leur malignité extrême ; pourtant piédestaux du Christ, et même dans leur vie délétère, accomplissant sa volonté finale.

Les deux créatures sont représentées exactement dans la forme médiévale traditionnelle, le basilic, moitié dragon, moitié coq ; l’aspic, sourd, mettant une oreille contre la terre et se bouchant l’autre avec sa queue[45].

Le premier représente l’incrédulité de l’Orgueil. Le basilic — serpent-roi ou le premier des serpents — disant qu’il est Dieu et qu’il sera Dieu.

Le second, l’incrédulité de la Mort. L’aspic (le plus bas serpent) disant qu’il est de la boue et sera de la boue.

34. En dernier lieu, surmontant le tout, placés sous les pieds de la statue du Christ lui-même, sont le lion et le dragon ; les images du péché charnel ou humain, en tant que distinct du péché spirituel et intellectuel de l’orgueil par lequel les anges tombèrent aussi.

Désirer régner plutôt que servir — péché du basilic — ou la mort sourde plutôt que la vie aux écoutes — péché de l’aspic — ces deux péchés sont possibles à toutes les intelligences de l’univers. Mais les péchés spécialement humains, la colère et la convoitise, semences en notre vie de sa perpétuelle tristesse, le Christ dans Sa propre humanité les a vaincus et les vainc encore dans Ses disciples. C’est pourquoi Son pied est sur leur tête, et la prophétie : « Inculcabis super leonem et aspidem[46] » est toujours reconnue comme accomplie en Lui, et en tous Ses vrais serviteurs, selon la hauteur de leur autorité et la réalité de leur influence.

35. C’est en ce sens mystique qu’Alexandre III se servit de ces paroles en rétablissant la paix en Italie et en accordant le pardon à l’ennemi le plus mortel de ce pays sous le portique de Saint-Marc[47]. Mais le sens de chaque action, comme de chaque art des âges chrétiens, perdu maintenant depuis trois cents ans, ne peut dans notre temps être lu qu’à rebours[48], s’il peut être lu du tout, au travers de l’esprit contraire qui est maintenant le nôtre. Nous glorifions l’orgueil et l’avarice comme les vertus par lesquelles toutes choses existent et se meuvent, nous suivons nos désirs comme nos seuls guides vers le salut, et nous exhalons le bouillonnement de notre propre honte, qui est tout ce que peuvent produire sur la terre nos mains et nos lèvres.

36. De la statue du Christ elle-même je ne parlerai pas longuement ici, aucune sculpture ne satisfaisant ni ne devant satisfaire l’espérance d’une âme aimante qui a appris à croire en lui ; mais à cette époque elle dépassa ce qui avait jamais été atteint jusque-là en tendresse sculptée ; et elle était connue au loin comme de près sous le nom de : « Le Beau Dieu d’Amiens[49]. » Elle était toutefois comprise, remarque-le, juste assez clairement pour n’être qu’un symbole de la Présence Divine, comme les pauvres reptiles enroulés en bas n’étaient que les symboles des présences démoniaques. Non une idole, dans notre sens du mot — seulement une lettre, un signe de l’Esprit Vivant, que pourtant chaque fidèle concevait comme venant à sa rencontre ici à la porte du temple : « la Parole de Vie, le Roi de Gloire[50] et le Seigneur des Armées. »

« Dominus Virtutum, le Seigneur des Vertus[51] », c’est la meilleure traduction de l’idée que donnait à un disciple instruit du xiiie siècle les paroles du XXIVe psaume.

Aussi sous les pieds de Ses apôtres dans les quatre-feuilles de la fondation apostolique sont représentées les vertus que chaque apôtre a enseignées ou manifestées dans sa vie ; — ce peut être une vertu qui aura été en lui durement mise à l’épreuve et il peut avoir manqué de la force même du caractère qu’il a ensuite conduit à sa perfection. Ainsi saint Pierre reniant par crainte est ensuite l’apôtre du courage ; et saint Jean, qui avec son frère aurait brûlé le village inhospitalier, est ensuite l’apôtre de l’Amour. Ayant compris ceci, vous voyez que dans les côtés des porches les apôtres avec leurs vertus spéciales sont placés sur deux rangs qui se font vis à vis.

Saint Paul, Foi. Courage, Saint Pierre.
Saint Jacques l’év., Espérance. Patience, Saint André.
Saint Philippe, Charité. Douceur, Saint Jacques.
Saint Barthélemy, Chasteté. Amour, Saint Jean.
Saint Thomas, Sagesse. Obéissance, Saint Matthieu.
Saint Jude, Humilité. Persévérance, Saint Simon.

Maintenant vous voyez comme ces vertus se répondent l’une à l’autre dans leurs rangs symétriques. Rappelez-vous que le côté gauche est toujours le premier et voyez comment les vertus de gauche conduisent à celles de droite.

Le Courage à la Foi.
La Patience à l’Espérance.
La Douceur à la Charité.
L’Amour à la Chasteté.
L’Obéissance à la Sagesse.
La Persévérance à l’Humilité.

Notez de plus que les Apôtres sont tous calmes, presque tous avec des livres, quelques-uns avec des croix, mais tous avec le même message, — «Que la Paix soit sur cette maison. Et si le Fils de la Paix est ici[52] », etc[53].

Mais les Prophètes, tous chercheurs, ou pensifs, ou tourmentés, ou priant, à la seule exception de Daniel. Le plus tourmenté de tous est Isaïe, moralement scié en deux[54]. Le bas-relief qui est au-dessus ne représente aucune scène de son martyre, mais montre le prophète au moment où il voit le Seigneur dans son temple et où cependant il a le sentiment qu’il a les lèvres impures. Jérémie aussi porte sa croix mais avec plus de sérénité.

39. Et maintenant je donne, en une suite claire, l’ordre des statues de la façade entière avec les sujets des quatre-feuilles placés sous chacune d’elles, désignant le quatre-feuilles placé le plus haut par un A, le quatre-feuilles inférieur par un B.

Les six prophètes qui sont debout à l’angle des porches, Amos, Abdias, Michée, Nahum, Sophonie et Aggée ont chacun quatre quatre-feuilles, désignés, les quatre-feuilles supérieurs par A et C, les inférieurs par B et D.

En commençant donc, sur le côté gauche du porche central et en lisant de l’intérieur du porche vers le dehors, vous avez

1. Saint Pierre
A. Courage
B. Lâcheté.
2. Saint André
A. Patience.
B. Colère.
3. Saint Jacques
A. Douceur.
B. Grossièreté.
4. Saint Jean
A. Amour.
B. Discorde.

5. Saint-Matthieu
A. Obéissance.
B. Rébellion.
6. Saint Simon
A. Persévérance.
B. Athéisme.

Maintenant, à droite du porche en lisant vers le dehors :

7. Saint Paul
A. Foi.
B. Idolâtrie.
8. Saint Jacques, l’év.
A. Espérance.
B. Désespoir.
9. Saint Philippe
A. Charité.
B. Avarice.
10. Saint Barthélemy
A. Chasteté.
B. Luxure.
11. Saint Thomas
A. Prudence.
B. Folie.
12. Saint Jude
A. Humilité.
B. Orgueil.

Maintenant, de nouveau à gauche, les deux statues les plus éloignées du Christ.

13. Isaïe :

A. « Je vois le Seigneur assis sur un trône. » (vi, 1.)
B. « Vois, ceci a touché tes lèvres. » (vi, 7.)

14. Jérémie :

A. L’enfouissement de la ceinture. (xiii, 4, 5.)
B. Le bris du joug. (xviii, 10.)

Et à droite :

15. Ézéchiel :

A. La roue dans la roue. (i, 16.)
B. « Fils de l’homme, tourne ton visage vers Jérusalem. » (xxi, 2.)

16. Daniel :

A. « Il a fermé les gueules des lions. » (vi, 22.)
B. « Au même moment sortirent les doigts de la main d’un homme. » (v, 5.)

40. Maintenant en commençant à gauche (côté sud de la façade entière), et en lisant tout droit à la suite sans jamais entrer dans les porches excepté pour les quatre-feuilles appariés aux statues qui nous concernent.

17. Osée :

A. « Ainsi je l’achetai pour moi, pour quinze pièces d’argent. » (iii, 2.)
B. « Ainsi serais-je aussi pour toi. » (iii, 3.)

18. Joel :

A. Le soleil et la lune sans lumière. (ii, 10.)
B. Le figuier et la vigne sans feuilles. (i, 7.)

19. Amos :

Sur la façade
A. « Le Seigneur criera de Sion. » (i, 2.)
B. « Les habitations des bergers se lamenteront. » (i, 2.)
À l’intérieur du porche
C. Le Seigneur avec le cordeau du maçon. (vii, 8.)
D. La place où il ne pleuvait pas. (iv, 6.)

20. Abdias :

À l’intérieur du porche.
A. « Je les cachai dans une caverne. » (I, les Rois, xviii, 13.)
B. « Il tomba sur la face. » (xviii, 7.)

Sur la façade.
C. Le capitaine des 50.
D. Le messager.

21. Jonas :

A. Échappé à la mer.
B. Sous le calebassier.

22. Michée :

Sur la façade.
A. La tour du troupeau. (iv, 8.)
B. Chacun se repose et « personne ne les effraiera ». (iv, 4.)
C. « Les épées en socs de charrue. » (iv, 3.)
D. Il Les lances en serpes. » (iv, 3.)

23. Nahum :

À l’intérieur du porche.
A. « Nul ne regardera en arrière. » (ii, 8.)
B. « Prophétie contre Ninive. » (i, 1.)
C. Tes princes et tes chefs. (iii, 17.)
D. Les figues précoces. (iii, 12.)

24. Habacuc :

A. « Je veillerai pour voir ce qu’Il dira. » (ii, 1.)
B. Le ministère auprès de Daniel.

25. Sophonie :

Sur la façade.
A. Le Seigneur frappe l’Éthiopie. (ii, 12.)
B. Les bêtes dans Ninive. (ii, 15.)
À l’intérieur du porche
C. Le Seigneur visite Jérusalem. (i, 12.)
D. Le cormoran et le butor[55]. (ii, 14.)

26. Aggée :

A. Les maisons des princes ornées de lambris[56]. (i, 4.)
B. « Le ciel retenant sa rosée. » (i, 10.)
C. Le temple du seigneur est désolé. (i, 4.)
D. « Ainsi dit le Seigneur des armées. » (i, 7.)

27. Zacharie :

A. L’iniquité s’envole. (v, 6, 9.)
B. « L’ange qui me parla. » (iv, 1.)

28. Malachi :

A. « Vous avez offensé le Seigneur. » (ii, 17.)
B. « Ce commandement est pour vous. » (ii, 1.)


41. Ayant ainsi mis rapidement sous les yeux du spectateur la succession des statues et de leurs quatre-feuilles (au cas où l’heure du train presserait, il peut être charitable de lui faire savoir que, prendre à l’extrémité est de la cathédrale la rue qui va vers le sud, la rue Saint-Denis, est le plus court chemin pour arriver à la gare) je vais y revenir en commençant par saint Pierre et j’interpréterai un peu plus complètement les sculptures des quatre-feuilles.

En gardant pour les quatre-feuilles les chiffres, adoptés pour les statues, les quatre-feuilles de saint Pierre seront désignés par 1 A et 1 B, et ceux de Malachi par 28 A et 28 B.

1. A. — Le Courage, avec un léopard[57] sur son bouclier ; les Français et les Anglais étant d’accord dans la lecture de ce symbole jusqu’à l’époque du poinçonnage du léopard du Prince Noir sur la monnaie, en Aquitaine.

1. B. La Lâcheté. — Un homme effrayé par un animal s’élançant hors d’un fourré, pendant qu’un oiseau continue de chanter. Le poltron n’a pas le courage d’une grive[58].

2. A. La Patience ayant un bœuf sur son bouclier (ne reculant jamais)[59].

2. B. La Colère[60]. — Une femme perçant un homme d’une épée. La colère est essentiellement un vice féminin. — Un homme, digne d’être appelé ainsi, peut être conduit à la fureur ou à la démence par l’indignation (Voir le Prince Noir à Limoges), mais non par la colère. Il peut être alors assez infernal, — « Enflammé d’indignation, Satan restait sans peur — » mais dans ce dernier mot est la différence, il y a autant de crainte dans la colère qu’il y en a dans la haine.

3. A. La Douceur porte un agneau[61] sur son écu.

3. B. La Grossièreté, encore une femme, envoyant un coup de pied à son échanson. Les formes finales de l’extrême grossièreté française étant dans les gestes féminins du cancan ; voyez les gravures favorites à la mode dans les boutiques de Paris.

4. A. L’Amour : l’amour divin, non l’amour humain : « Moi en eux et toi en moi. » Son écu supporte un arbre[62] avec un grand nombre de branches greffées dans son tronc abattu. « Dans ces jours le Messie sera abattu, mais non pour lui-même. »

4. B. La Discorde. — Un mari et une femme se querellant. Elle a laissé tomber sa quenouille (manufacture de laine d’Amiens, voyez plus loin — 9, A)[63].

5. A. L’Obéissance porte un écu avec un chameau. Actuellement la plus désobéissante de toutes les bêtes qui peuvent servir à l’homme, celle qui a le plus mauvais caractère, pourtant passant sa vie dans le service le plus pénible. Je ne sais pas jusqu’à quel point son caractère a été compris par le sculpteur du Nord ; mais je crois qu’il l’a pris comme un type de porteur de fardeau qui n’a ni joie ni sympathie, comme le cheval, ni pouvoir de témoigner sa colère comme le bœuf[64]. Sa morsure est assez mauvaise (voyez ce qu’en raconte M. Palgrave), mais probablement peu connue à Amiens, même des Croisés qui voulaient monter leurs propres chevaux de guerre, ou rien[65].

5. B. Rébellion. — Un homme claquant ses doigts devant son évêque[66]. Comme Henri VIII devant le pape, et les modernes cockneys français et anglais devant tous les prêtres, quels qu’ils soient.

6. A. Persévérance, la grande forme spirituelle de la vertu communément appelée Fortitude.

D’habitude domptant ou mettant en pièces un lion ; ici en caressant un et tenant sa couronne. « Tiens ferme ce que tu as[67] afin qu’aucun homme ne prenne ta couronne[68] »

6. B. Athéisme, laissant ses souliers à la porte de l’église. L’infidèle insensé est toujours représenté nu-pieds dans les manuscrits du xiie et xiiie siècle, le chrétien ayant « comme chaussure à ses pieds la préparation à l’Évangile de Paix[69] ». Comparez : «  Combien sont beaux tes pieds avec des souliers, ô fille de prince[70] ! »

7. A. Foi, tenant un calice avec une croix au dessus[71], ce qui était universellement accepté dans l’ancienne Europe, comme étant le symbole de la foi. C’en est aussi un symbole tolérant, car, toutes différences d’église laissées de côté, les mots : « À moins que vous ne mangiez la chair du Fils de l’Homme et buviez son sang, vous n’avez pas de vie en vous[72] », restent dans leur mystère pour être compris seulement de ceux qui ont appris le caractère sacré de la nourriture[73], dans tous les temps et dans tous les pays, et les lois de la vie et de l’esprit qui dépendent de son acceptation, de son refus et de sa distribution.

7. B. Idolâtrie, s’agenouillant devant un monstre. Le contraire de la foi — non le manque de foi. L’idolâtrie est la foi en de faux dieux et tout à fait distincte de la foi en rien du tout (6, B), le Dixit incipiens[74]. Des hommes très sages peuvent être idolâtres, mais ils ne peuvent pas être athées.

8. A. Espérance avec l’étendard gonfalon[75] et une couronne devant elle, à distance[76] ; opposée à la couronne que la Fortitude tient dans ses mains avec constance (6, A.).

Le gonfalon (Gund, guerre ; fahr, étendard, d’après le Dictionnaire de Poitevin) est le drapeau qui dans la bataille signifie : en avant ; essentiellement sacré ; de là le nom de gonfalonier toujours donné aux porte-étendards dans les armées des républiques italiennes.

Il est dans la main de l’espérance, parce qu’elle combat toujours devant elle, allant à son but, ou au moins ayant la joie de le voir se rapprocher. La Foi et la Fortitude attendent, comme saint Jean en prison, mais sans être outragées.

L’Espérance est toutefois placée au-dessous de saint Jacques à cause des versets 7 et 8 de son dernier chapitre se terminant ainsi : « Affermissez vos cœurs, car la venue du Seigneur devient proche. » C’est lui qui interroge le Dante sur la nature, de l’Espérance (Par., c. xxv et voyez les notes de Cary).

8. B. Le Désespoir se poignardant[77]. Le suicide n’est pas considéré comme héroïque ni sentimental au xiiie siècle et il n’y a pas de morgue gothique bâtie au bord de la Somme.

9. A. La Charité portant sur son écu une toison laineuse et donnant un manteau à un mendiant nu. La vieille manufacture de laine d’Amiens avait cette notion de son but, qu’il fallait, notamment, vêtir le pauvre d’abord, le riche ensuite. Dans ces temps-là on ne disait aucune bêtise sur les fâcheuses conséquences d’une charité indistincte[78].

9 B. Avarice avec un coffre et de l’argent. La notion moderne commune aux Anglais et aux Amiénois sur la divine consommation de la manufacture de laine.

10. A. Chasteté, écu avec le Phénix[79].

10. B. Volupté, un baiser trop ardent[80].

11. A. Sagesse, sur son écu une racine mangeable, je crois[81] ; signifiant la tempérance, comme le commencement de la sagesse.

11. B. Folie[82], le type ordinaire usité dans tous les psautiers primitifs, d’un glouton armé d’un gourdin. Cette vertu et ce vice sont la sagesse et la folie terrestres complétant la sagesse spirituelle et la folie correspondante (au dessous saint Matthieu). La tempérance, le complément de l’obéissance, et la cupidité avec violence, celui de l’athéisme.

12. A. Humilité, sur son écu une colombe.

12. B. Orgueil, tombant de son cheval.

42. Tous ces quatre-feuilles sont plutôt symboliques que représentatifs ; et, comme leur but était suffisamment atteint si leur symbole était compris, ils avaient été confiés à un ouvrier très inférieur à celui qui sculpta la série de ceux que nous allons passer en revue et qui sont placés sous les statues des prophètes.

Le sujet de la plupart de ces quatre-feuilles est ou un fait historique, ou une scène dont parle le prophète comme y ayant effectivement assisté dans une vision. Et ce sont les mains les plus habiles que l’architecte a en général chargé de leur exécution. En donnant leur interprétation, je rappelle pour chacun d’eux le nom du prophète dont ils commentent la vie ou la prophétie[83].

13. A « Isaïe[84]. — J’ai vu le Seigneur assis sur un trône. » (vi, 1.)

La vision du trône « haut et élevé » entre les séraphins.

13. B. « Vois, ceci a touché tes lèvres. » (vi, 7.)

L’ange est debout devant le prophète et tient, ou plutôt tenait, le charbon avec des pincettes qui avaient été artistement sculptées, mais sont maintenant brisées.

Un fragment seulement est resté dans sa main[85].

14. A. Jérémie[86]. — L’enfouissement de la ceinture. (xiii, 4, 5.)

Le prophète est en train de creuser au bord de l’Euphrate, représenté par des sinuosités verticales[87] qui descendent en serpentant vers le milieu du bas-relief. Notez que la traduction doit être « trou dans la terre », et non dans le « rocher ».

14. B. Le bris du joug. (xxviii, 10.)

Du cou du prophète Jérémie ; il est représenté ici par une chaîne doublée et redoublée.

15. A. Ézéchiel[88]. — La roue dans la roue. (i, 16.)

Le prophète est assis ; devant lui deux roues d’égale dimension, l’une engagée dans la circonférence de l’autre.

15 B. « Fils de l’homme, tourne ton visage vers Jérusalem. » (xxi, 2.)

Le prophète devant la porte de Jérusalem.

16. Daniel.

16. A. « Il a fermé les gueules des Lions. » (vi, 22.)

Daniel tenant un livre ; les lions sont traités comme des supports héraldiques. Le sujet est rendu avec plus de vie dans les séries que nous trouverons plus loin (24. B).

16. B. « Au même moment sortirent les doigts de la main d’un homme. » (v, 5.)

Le festin de Balthazar figuré par le roi seul, assis à une petite table oblongue. À côté de lui le jeune Daniel paraissant seulement quinze ou seize ans, gracieux et doux, interprète les caractères tracés. À côté du quatre-feuilles sortant d’un petit tourbillon de nuages paraît une petite main courbée, écrivant, comme si c’était avec une plume renversée, sur un fragment de mur gothique[89].

Pour le boursouflage moderne opposé à la vieille simplicité, comparez le festin de Balthazar de John Martin[90].

43. Le sujet suivant commence la série des petits prophètes.

17. Osée[91].

17. A. « Ainsi je l’achetai pour moi pour quinze pièces d’argent et une mesure d’orge. » (iii, 2.)

Le prophète versant le grain et l’argent sur les genoux de la femme « chérie de son ami[92] ». Les pièces d’argent sculptées portent chacune une croix avec une inscription qui est celle de la monnaie du temps.

17. B. « Ainsi serais-je aussi pour toi. » (iii, 3.)

Il passe un anneau à son doigt.

18. Joël[93].

18. A. Le soleil et la lune sans lumière. (ii, 10.)

Le soleil et la lune comme deux petites boules plates dans le haut de la moulure extérieure.

18. B. Le figuier écorcé, et la vigne dénudée. (i, 7.)

Remarquez l’insistance continuelle sur le dépérissement de la végétation comme signe de la punition divine. (19, D.)

19. Amos.

19. A. Le Seigneur criera de Sion. (i, 2.)

Le Christ apparaît avec un nimbe traversé d’une petite croix.

19. B. « Les habitations des bergers se lamenteront. » (i, 2.)

Amos avec le bâton crochu ou le crochet des bergers, et une bouteille en osier, devant sa tente (L’architecture de la feuille droite est restaurée).

À l’Intérieur du Porche.

19. C. Le Seigneur avec le cordeau du maçon. (vii, 8.)

Le Christ cette fois encore, et désormais toujours, avec une petite croix dans son nimbe, a dans sa main une grande truelle qu’il pose sur le haut d’un mur à demi bâti. Il paraît y avoir un cordeau enroulé autour du manche.

19. D. La place où il ne pleuvait pas. (iv, 7.)

Amos est en train de cueillir les feuilles de la vigne sans fruits pour nourrir ses brebis qui ne trouvent pas d’herbe. C’est un des plus beaux morceaux de sculpture.

20. Abdias[94] (à l’intérieur du porche).

20. A. « Je les cachai dans une caverne (I Les Rois, xviii, 13).

Trois prophètes à l’ouverture d’un puits auxquels Abdias apporte des pains.

20. B. « Il tomba sur la face. » (xviii, 7.)

Il s’agenouille devant Élie qui porte un manteau à longs poils[95].

En façade

20. C. Le capitaine des cinquante[96].

Élie ? parlant à un homme armé sous un arbre.

20. D. Le messager. Un messager à genoux devant un roi. Je ne puis expliquer ces deux scènes. 20. C et 20. D.

Celle qui est le plus haut peut signifier le dialogue d’Élie avec les capitaines (II les Rois, i, 9,) et celle d’au-dessus le retour des messagers[97] (II les Rois, i, 5).

21. Jonas[98].

21. A. Échappé de la mer.

21. B. Sous le calebassier. Une petite bête ressemblant à une sauterelle rongeant le tronc d’un calebassier, J’aimerais savoir quels insectes attaquent les calebassiers d’Amiens[99]. Ceci peut être une étude entomologique pour qui voudra.

Michée.

En façade.

22. A. La tour du troupeau. (iv, 8.)

La tour est entourée de nuages, Dieu apparaît au-dessus.

22. B. Chacun se reposera, et « nul ne les effraiera. » (vi, 4.)

Un mari et sa femme « sous sa vigne et son figuier ».

À l’intérieur du porche :

Les épées en socs de charrue. (iv, 3.) — Néanmoins, deux cents ans après que ces médaillons furent taillés, la fabrication des épées était devenue une des principales industries d’Amiens ! Pas à son avantage.

22. D. « Les lances en serpes[100]. » (iv, 3.)

23. Nahum :

À l’intérieur du porche.

23. A. « Nul ne regardera en arrière. (i, 8.)

23. B. « La malédiction de Ninive[101]. » (i, 1.)

En façade.

23. C. Les princes et les grands. (iii, 17.)

23. A, B et C ne sont aucun susceptibles d’une interprétation certaine. Le prophète A montre du doigt, vers le bas du quatre-feuilles, une colline que le P. Rozé dit être couverte de sauterelles ? Je ne puis que copier ce qu’il en dit.

23. D. Les figuiers précoces. (iii, 12.)

Trois personnes sous un figuier attrapent dans leur bouche son fruit qui tombe.

24. Habakuk.

24. A. « Je veillerai afin de voir ce qu’il me dira. » (ii, 1.)

Le prophète écrit sur sa tablette sous la dictée du Christ.

24. B. Le ministère auprès de Daniel.

La visite traditionnelle à Daniel. Un ange emporte Habakuk par les cheveux, le prophète a un pain dans chaque main. Ils enfoncent le toit de la caverne. Daniel caresse le dos d’un jeune lion ; la tête d’un autre est passée nonchalamment sous son bras. Un autre ronge des os au fond de la caverne[102].

25. Sophonie[103].

En façade.

25. A. Le Seigneur frappe l’Éthiopie. (ii, 12.)

Le Christ frappant une cité avec une épée. Remarquez que dans ces bas-reliefs toutes les actions violentes sont rendues d’une manière faible ou ridicule ; les actions calmes toujours bien rendues.

23. B. Les bêtes dans Ninive. (ii, 15.)

Très beau. Toutes sortes de bêtes rampant parmi les murs chancelants, et sortant de leurs fentes et de leurs crevasses. Un singe accroupi devenant un démon présente la théorie darwinienne retournée.

À l’intérieur du porche.

25. C. Le Seigneur visite Jérusalem.

Le Christ traversant les rues de Jérusalem avec une lanterne dans chaque main.

25. D. Le hérisson et le butor[104] (iii, 14).

Avec un oiseau chantant dans une cage à la fenêtre.

26. Aggée.

À l’intérieur du porche.

26. A. Les maisons des princes ornées de lambris[105]. (i, 4.)

Une maison parfaitement bâtie de pierres carrées tristement solides ; la grille (d’une prison ?) sur la façade du soubassement.

26. Le ciel retient sa rosée. (i, 4.)

Les cieux comme une masse en saillie, avec des étoiles, le soleil, et la lune à la surface. Au-dessous, deux arbres flétris.

En façade.

26. C. Le temple du Seigneur désolé. (i, 4.)

La chute du temple, « pas une pierre laissée sur l’autre », majestueusement vide. Encore des pierres carrées. Examinez le texte. (i, 6.)

26. D. Ainsi dit le Seigneur des Armées. (i, 7.)

Le Christ montrant du doigt son temple détruit.

27. Zacharie.

27. A. L’iniquité s’envolant. (v, 6 à 9.)

La méchanceté dans l’Épha[106].

27. B. L’ange qui me parlait. (iv, 1.)

Le prophète presque couché, un glorieux ange ailé sort du nuage en volant.

28. Malachie.

28. A. « Vous avez blessé le Seigneur. (ii, 17.)

Les prêtres percent le Christ de part en part avec une lance barbelée dont la pointe ressort par le dos.

28. B. Ce commandement est pour vous. (ii, 1.)

Dans ces panneaux celui qui est placé le plus bas est souvent une introduction à celui d’au-dessus, son explication. C’est peut-être au chapitre i verset 6 aux titres indiqués que peut faire allusion ici l’image du Christ.

44. Avec ce bas-relief se termine la suite de sculptures destinées à illustrer l’enseignement apostolique et prophétique qui constitue ce que j’entends par la « Bible » d’Amiens. Mais les deux porches latéraux contiennent des sujets supplémentaires qui sont nécessaires à l’achèvement de l’enseignement pastoral et traditionnel adressé à son peuple en ces jours.

Le porche septentrional consacré à saint Firmin, qui le premier évangélisa Amiens, a sur son trumeau central la statue du saint ; au-dessus, sur le tympan, l’histoire de la découverte de son corps ; sur les côtés du porche les saints et les anges ses compagnons dans l’ordre suivant :


Statue centrale : Saint Firmin.

Côté sud (gauche):


41. Saint Firmin le confesseur.

42. Saint Domice.

43. Saint Honoré.

44. Saint Salve.

45. Saint Quentin.

46. Saint Gentian.


Côté nord (droit):

47. Saint Geoffroy.

48. Un ange.

49. Saint Fuscien, martyr.

50. Saint Victoric, martyr.

51. Un ange.

52. Sainte Ulpha.

De ces saints, en exceptant saint Firmin et saint Honoré, desquels j’ai déjà parlé[107], saint Geoffroy[108] est plus réel pour nous que les autres ; il était né l’année de la bataille d’Hastings, à Molincourt dans le Soissonnais et fut évêque d’Amiens de 1104 à 1150. Un homme d’une vie entièrement simple, pure et juste : un des plus sévères entre les ascètes, mais sans rien de sombre — toujours doux et pitoyable. On rapporte de lui un grand nombre de miracles, mais tous indiquant une vie qui était surtout miraculeuse par sa justice et sa paix.

Consacré à Reims et accompagné à son diocèse d’un cortège d’autres évêques et de nobles, il descend de son cheval à Saint-Acheul, le lieu de la première tombe de saint Firmin, et marche nu-pieds d’Amiens à Picquigny pour demander au vidame d’Amiens la liberté du châtelain Adam. Il défendit les privilèges des habitants de la ville, avec l’aide de Louis le Gros contre le comte d’Amiens, le battit, et rasa son château ; néanmoins, les gens ne lui obéissant pas assez dans la discipline de la vie, il blâma sa propre faiblesse plutôt que la leur et se retira à la Grande-Chartreuse, ne se trouvant pas capable d’être leur évêque. Le supérieur chartreux le questionnant sur les raisons de sa retraite, et lui demandant s’il avait trafiqué des charges de l’Église, l’évêque répondit : « Mon Père, mes mains sont pures de simonie, mais mille fois je me suis laissé séduire par la louange ».

46. Saint Firmin le Confesseur était le fils du sénateur romain qui reçut le corps de saint Firmin lui-même. Il garda pieusement la tombe du martyr dans le jardin de son père et à la fin bâtit sur elle une église consacrée à Notre-Dame-des-Martyrs, qui fut le premier siège épiscopal d’Amiens, à Saint-Acheul, et dont nous avons parlé plus haut.

Sainte Ulpha était une jeune Amiénoise qui vivait dans une grotte calcaire au-dessus des marais de la Somme ; si jamais M. Murray vous munit d’un guide comique pour aller à Amiens, nul doute que cet auteur éclairé pourra compter beaucoup sur le plaisir que vous causera l’histoire de cette sainte troublée dans ses dévotions par les grenouilles, et les faisant taire à force de prières. Vous êtes, bien entendu, maintenant, absolument au-dessus de telles extravagances et vous êtes assuré que Dieu ne peut pas ou ne veut pas faire tant pour vous que fermer la bouche d’une grenouille. Souvenez-vous, en conséquence, que comme Il laisse aussi maintenant ouverte la bouche du menteur, du blasphémateur et du traître, vous devez fermer vos propres oreilles à leurs voix, autant que vous le pourrez.

De son nom vient saint Wolf — ou Guelf. — Voyez de nouveau les noms chrétiens de Miss Yonge. Notre tour de pierre de Wolf, Ulverstone, et l’église d’Ulpha ignorent, je crois, leurs parents picards.

47. Les autres saints, dans ce porche, sont tous pareillement provinciaux, pour ainsi dire des amis personnels des Amiénois[109] ; et au-dessous d’eux les quatre-feuilles représentent l’ordre charmant de l’année qu’ils protègent et sanctifient, avec les signes du zodiaque au dessus, et les travaux des mois au-dessous ; différant peu de la manière dont ils sont toujours représentés — excepté pour mai : voyez la page suivante. La libra aussi est assez rare dans la femme qui tient les balances ; le lion particulièrement de bonne humeur, et la moisson, un des plus beaux morceaux dans toute la série de sculptures ; plusieurs des autres particulièrement fines et fouillées[110].

41. Décembre. — Tuant et échaudant le cochon[111]. Au-dessus, le Capricorne avec une queue qui s’effile brusquement ; je ne puis déchiffrer les accessoires.

42. Janvier. — À deux têtes[112], d’une exécution triste. Le Verseau plus faible que la plupart des bas-reliefs de cette série.

43. Février. — Très beau, chauffant ses pieds et mettant des charbons sur le feu. Le poisson au-dessus, travaillé, mais inintéressant.

44. Mars. — Au travail dans les sillons de vigne[113].

Le Bélier soigné mais assez lourd.

45. Avril. — Donnant à manger à son faucon ; très joli.

Au-dessus, le Taureau avec de charmantes feuilles pour la pâture.

46. Mai. — Très singulier, un homme d’âge moyen est assis sous les arbres à écouter les oiseaux chanter et les Gémeaux au dessus, un fiancé et une fiancée.

Ce quatre-feuilles rejoint ceux de l’angle intérieur à Sophonie.

52. Juin. — En face rejoignant ceux de l’angle intérieur où est Aggée. Fauchant. Remarquez les charmantes fleurs sculptées tout en travers de l’herbe. Au-dessus, le Cancer avec ses écailles superbement modelées.

51. Juillet. — La moisson. Très beau. Le Lion souriant complète la démonstration que toutes les saisons et tous les signes sont regardés comme une égale bénédiction et providentiellement bienfaisants.

50. Août. — Battant le blé[114]. La Vierge au-dessus, tenant une fleur, sa draperie très moderne, et confuse pour un travail du xiiie siècle.

49. Septembre. — Je ne suis pas sûr de son action soit qu’il émonde ou que d’une manière quelconque il cueille le fruit de l’arbre plein de feuilles[115]. La Balance au dessus ; charmant.

48. Octobre. — Foulant la vendange[116]. Le Scorpion une figure très traditionnelle et douce avec une queue fourchue, il est vrai, mais sans aiguillon.

47. Novembre. — Semant, avec le Sagittaire ; à moitié caché quand cette photographie fut prise grâce au bel arrangement qui règne maintenant sans interruption, que ce soit pour un travail ou pour un autre, dans les cathédrales françaises ; ils ne peuvent jamais les laisser tranquilles dix minutes.

48. Et maintenant, pour finir, si vous vous souciez de le voir, noms entrerons dans le porche de la Madone — seulement, si vous venez, bonne protestante ma lectrice, venez civilement ; et veuillez vous souvenir — si vous avez dans l’histoire connue, matière à souvenirs — si vous ne pouvez pas vous souvenir, recevez du moins l’assurance solennelle : — que le culte de la Madone, ni le culte d’aucune Dame, morte ou vivante, n’a jamais nui à une créature humaine — mais que le culte de l’argent, le culte de la perruque, du chapeau tricorne et à plumes, le culte, des plats, le culte du pichet et le culte de la pipe, ont fait, et font beaucoup de mal et que tous offensent des millions de fois plus le Dieu du Ciel de la Terre et des Étoiles, que toutes les plus absurdes et les plus charmantes erreurs, commises par les générations de Ses simples enfants, sur ce que la Vierge-mère pourrait, ou voudrait, ou ferait, ou éprouverait pour eux.

49. Et ensuite, veuillez observer ce simple fait historique sur les trois sortes de Madones.

Il y a d’abord la Madone douloureuse — le type byzantin, et de Cimabue. Il est le plus noble de tous, et le plus ancien qui ait eu une influence, populaire reconnaissable[117].

2o La Madone Reine qui est essentiellement la Madone franque et normande, couronnée, calme, pleine de puissance et de douceur. C’est celle qui est représentée dans le porche.

3o La Madone Nourrice qui est la Raphaëlesque[118] et généralement plus récente et de décadence, on en voit ici un bon modèle français dans le porche du sud, comme nous l’avons déjà remarqué.

Vous trouverez dans M. Viollet-le-Duc (l’article Vierge dans son Dictionnaire, mérite tout entier l’étude la plus attentive) une admirable comparaison entre cette statue de la Madone Reine du porche sud et la Madone Nourrice du transept. Je pourrai peut-être obtenir une photographie de ces deux dessins, mis en regard, mais si je le puis, le lecteur voudra bien observer qu’il a un peu flatté la Reine et un peu vulgarisé la Nourrice, ce qui n’est pas juste. La statue de ce porche, dans le style du xiiie siècle, est très belle, mais, il n’y a pas de raison pour lui donner autrement d’importance, les types byzantins plus anciens avaient beaucoup plus de grandeur.

L’histoire de la Madone, en ses événements principaux, est racontée dans les séries des statues qui sont autour du porche et dans les quatre-feuilles placés au-dessous d’elles. Plusieurs d’entre eux se rapportent toutefois à une légende relative aux Mages que je n’ai pas pu pénétrer et je ne suis pas sûr de leur interprétation.

Les grandes statues à gauche, en lisant vers le dehors comme d’habitude, sont :


29. L’Ange Gabriel.

30. La Vierge Annonciade.

31. La Vierge Visitante.

32. Sainte Élisabeth.

33. La Présentation de la Vierge.

34. Saint Siméon.


À droite, en lisant vers le dehors :

35, 36, 37. Les trois Rois.

38. Hérode.

39. Salomon.

40. La Reine de Saba.


51. Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que viennent faire ici ces deux dernières statues ; mais je crois que l’idée de l’auteur[119] a été que virtuellement la reine Marie rendait visite à Hérode en lui envoyant ou en lui faisant envoyer les Mages pour lui annoncer sa présence à Bethléem ; et le contraste entre la réception de la reine de Saba par Salomon, et celle d’Hérode chassant la Madone en Égypte est décrit avec insistance tout le long de ce côté du Porche avec les conséquences diverses pour les deux Rois et pour le monde.

Les quatre-feuilles sous les grandes statues se déroulent dans l’ordre suivant :

29. Sous Gabriel.

A. Daniel voyant la pierre détachée sans mains[120].

B. Moïse et le buisson ardent[121].

30. Sous la Vierge Annonciade.

A. Gédéon et la rosée sur la toison[122].

B. Moïse se retirant avec les tables de la loi.

Aaron dominant, montre du doigt sa verge bourgeonnante[123].

31. Sous la Vierge visitante.

A. Le message à Zacharie : « Ne crains pas, car ta prière est entendue[124]. »

B. Le songe de Joseph : « Ne crains pas de prendre Marie pour femme[125]. »

32. Sous sainte Élisabeth :

A. Le silence de Zacharie : « Ils s’aperçurent qu’il avait eu une vision dans le temple[126]. »

B. Il n’y a pas un de tes parents qui soit appelé de ce nom[127] « Il écrivit en disant : son nom est Jean[128]. »

33. Sous la présentation de la Vierge.

A. Fuite en Égypte.

B. Le Christ avec les Docteurs.

34. Sous saint Siméon.

A. Chute des Idoles en Égypte[129].

B. Le retour à Nazareth.

Ces deux derniers quatre-feuilles rejoignent ceux si beaux d’Amos (C. et D.).

Puis sur le côté opposé, sous la reine de Saba et rejoignant les A et B d’Abdias.

40. A. Salomon traite la reine de Saba. La coupe de Grâce.

B. Salomon enseigne la reine de Saba : « Dieu est au-dessus ».

39. Sous Salomon :

A. Salomon sur son trône de Juge.

B. Salomon priant devant la porte de son temple.

38. Sous Hérode[130] :

A. Massacre des Innocents.

B. Hérode ordonne que le vaisseau des Rois soit brûlé[131].

37. Sous le troisième Roi :

A. Hérode faisant rechercher les Rois.

B. Incendie du vaisseau.

36. Sous le second Roi :

A. Adoration à Bethléem ? Pas certain.

B. Le voyage des Rois.

33. Sous le premier Roi :

A. L’Étoile à l’Orient.

B. « Étant avertis dans un songe qu’ils ne devaient pas retourner vers Hérode[132]. »

Je ne doute pas de trouver un jour l’enchaînement véritable de ces sujets, mais cela importe peu, ce groupe de quatre-feuilles étant de moindre intérêt que le reste, et celui du massacre des Innocents curieusement illustratif de l’incapacité du sculpteur à exprimer toute action ou passion violentes.

Mais je ne veux pas essayer d’entrer ici dans les questions relatives à l’art de ces bas-reliefs. Ils n’ont jamais eu d’autre objet que d’être des symboles, ou des guides pour la pensée. Et, si le lecteur veut se laisser doucement conduire par eux, il peut créer lui-même dans son cœur de plus beaux tableaux ; et en tout cas, il peut reconnaître comme leur message à tous, les vérités générales qui suivent :

52. D’abord, que dans tout le Sermon sur cette Montagne d’Amiens, le Christ n’apparaît jamais comme le Crucifié, comme le Christ mort ni n’en éveille un instant la pensée ; mais comme le Verbe Incarné, comme l’Ami présent — comme le Prince de la Paix sur la terre[133] — et comme le roi éternel dans le Ciel. Ce que Sa vie est, ce que Ses commandements sont, et ce que Son jugement sera sont les choses ici enseignées ; non ce qu’Il fit un jour, ce qu’il souffrit un jour, mais ce qu’Il fait à présent, ce qu’Il nous ordonne de faire. Ceci est la pure, joyeuse, belle leçon du Christianisme ; et les causes de décadence de cette foi et toutes les corruptions de ses pratiques stériles peuvent se résumer brièvement ainsi : l’habitude d’avoir sous nos yeux la mort du Christ, au lieu de sa vie, la méditation de ses souffrances passées substituée à celles de notre devoir présent[134]. »

Puis en second lieu, quoique le Christ ne porte pas sa croix, les prophètes affligés, les apôtres persécutés, les disciples martyrs, portent la leur. Car s’il vous est salutaire de vous rappeler ce que votre Créateur immortel a fait pour vous, il ne l’est pas moins de vous rappeler ce que des hommes mortels nos semblables, ont fait aussi. Vous pouvez à votre gré nier le Christ ou le renier, mais le martyre, vous pouvez seulement l’oublier ; le nier, vous ne le pouvez. Chaque pierre de cet édifice a été cimentée de son sang et il n’y a pas de sillon de ses piliers qui n’ait été labouré par sa souffrance.

Gardant donc ces choses dans votre cœur, retournez-vous maintenant vers la statue centrale du Christ, écoutez son message et comprenez-le. Il tient le Livre de la Loi Éternelle dans Sa main gauche ; avec la droite Il bénit, mais bénit sous condition : « Fais ceci et tu vivras[135] », ou plutôt dans un sens plus strict et plus rigoureux : « Sois ceci, et tu vivras », montrer de la pitié n’est rien, être pur en action n’est rien, tu dois être pur aussi dans ton cœur.

Et avec cette parole de la loi inabolie. « Ceci, si tu ne le fais pas, ceci, si tu ne l’es pas, tu mourras ».

55. Mourir — quelque idée que vous vous fassiez de la mort — totalement et irrévocablement. Il n’est pas parlé dans la théologie du xiiie siècle du pardon (dans notre sens moderne) des péchés, et il n’est pas parlé non plus du Purgatoire. Au-dessus de cette image du Christ avec nous, du Christ notre Ami, est placée l’image du Christ au-dessus de nous, du Christ notre Juge. Pour cette présente vie — voici Sa présence secourable. Après cette vie — voici Sa venue pour prendre connaissance de nos actes et des intentions de nos actes ; et séparer l’obéissant du désobéissant, l’aimant du méchant, sans espoir donné à ce dernier d’aucun recours, d’aucune réconciliation. Je ne sais pas quels commentaires adoucissants furent ajoutés ensuite et tracés en minuscules effrayées par la main des Pères, ou chuchotés en murmures hésitants par les prélats de l’Église moderne. Mais je sais que le langage de chaque pierre sculptée, de chaque brillant vitrail, de ces choses qui étaient journellement vues et universellement comprises par le peuple, était absolument et uniquement l’enseignement de Moïse au Sinaï aussi bien que de saint Jean à Patmos, du commencement comme à la fin de la Révélation du Seigneur à Israël.

Il en fut ainsi, simplement — sévèrement — et sans interruption pendant les trois grands siècles du christianisme dans sa force (xie, xiie, xiiie siècles), et dans toute l’étendue de son empire, d’Iona à Cyrène et de Calpe à Jérusalem. À quelle époque la doctrine du Purgatoire a-t-elle été ouvertement acceptée par les docteurs catholiques, je ne sais, ni ne me soucie de le savoir. Elle a été formulée pour la première fois par Dante ; mais n’a jamais été acceptée un instant par les maîtres de l’art sacré de son temps ou par ceux d’aucune grande école, à quelque époque que ce soit[136].

56. Je ne sais pas non plus ni ne tiens à savoir — à quelle époque la notion de la Justification par la Foi dans le sens moderne se trouva fixée nettement dans l’esprit des sectes et des écoles hérétiques du Nord. En réalité, sa force fut scellée par ses premiers auteurs sur un ascétisme qui différait de la règle monastique en ce qu’il était apte seulement à détruire, jamais à construire, qui s’efforçait d’imposer à tous la sévérité qu’il jugeait bon de s’imposer à lui-même, et luttait ainsi pour faire du monde un monastère sans art, sans lettres et sans pitié[137].

Son effort violent éclata au milieu des furies d’une réaction de dissolution et d’incrédulité et reste maintenant la plus méprisable des reprises populaires et des emplâtres pour chaque accroc à la loi et déchirure de la conscience que l’intérêt peut provoquer ou l’hypocrisie déguiser.

57. À partir des querelles qui suivirent entre les deux grandes sectes de l’église corrompue au sujet des prières pour les morts et des indulgences pour les vivants, de la suprématie papale ou des libertés populaires, aucun homme, femme ou enfant n’a plus besoin de prendre la peine d’étudier l’histoire du Christianisme. Ce ne sont rien que les querelles des hommes, et le rire des démons parmi ses ruines. Sa vie, son évangile et sa puissance sont entièrement écrites dans les grandes œuvres de ses vrais croyants : en Normandie et en Sicile, sur les îlots des rivières de France et aux pentes gazonnées riveraines des fleuves anglais, sur les rochers d’Orvieto et près des sables de l’Arno.

Mais de toutes ces œuvres, celle dont les leçons parlent de la façon la plus simple, la plus complète et la plus imposante à l’esprit actif de l’Europe du Nord est encore celle qui s’élève sur les premières pierres d’Amiens[138].

Croyez ce qu’elle vous enseigne, ou ne le croyez pas, lecteur, comme vous le voudrez : comprenez seulement combien cela a été un jour entièrement cru ; et que toutes les belles choses ont été faites, et toutes les nobles actions[139] accomplies, quand cette foi était encore dans sa force, avant que vînt ce que nous pouvons appeler « le temps présent », où la question de savoir si la religion a quelque effet sur la moralité est gravement agitée par des gens qui n’ont essentiellement aucune idée de ce que peuvent signifier l’un ou l’autre de ces mots.

Relativement auquel débat peut-être aurez-vous la patience de lire ce qui suit, tandis que la flèche d’Amiens s’efface dans le lointain et que votre wagon se précipite vers l’Île-de-France qui exhibe aujourd’hui les échantillons les plus admirés de l’art, de l’intelligence et de la vie européenne.

59. Toutes les créatures humaines, dans tous les temps et tous les lieux du monde, qui ont des affections ardentes, le sens commun, et l’empire sur elles-mêmes, ont été et sont naturellement morales. La nature humaine dans sa plénitude est nécessairement morale — sans amour elle est inhumaine — sans raison[140], inhumaine — sans discipline, inhumaine. Dans la proportion exacte où les hommes sont nés capables de ces choses, où on leur a appris à aimer, à penser, à supporter la souffrance, ils sont nobles, vivent heureux, meurent calmes et leur souvenir est pour leur race un honneur et un bienfait perpétuels. Tous les hommes sages savent et ont su ces choses depuis que la forme de l’homme a été séparée de la poussière ; la connaissance et le commandement de ces lois n’a rien à faire avec la religion[141] : un homme bon et sage diffère d’un homme méchant et idiot, simplement comme un bon chien d’un chien hargneux, et toute espèce de chien d’un loup ou d’une belette. Et si vous devez croire, ou prêcher sans y croire, la foi en un monde ou une loi spirituelle — seulement dans l’espoir que quoique vous commettiez, ou que d’autres commettent d’insensé ou d’indigne — cela pourra grâce à ces doctrines être raccommodé et replâtré, et pardonné, et entièrement remis à neuf — moins vous croirez en un monde spirituel et surtout moins vous en parlerez, mieux cela sera.

60. Mais si, aimant les créatures qui sont comme vous-même, vous sentez que vous aimeriez encore plus chèrement des créatures meilleures que vous-même, si elles vous étaient révélées ; si, vous efforçant de tout votre pouvoir d’améliorer ce qui est mal, près de vous et autour de vous, vous aimiez à penser au jour où le Juge de toute la terre rendra tout juste[142] et où les petites collines se réjouiront de tous côtés[143] ; si, vous séparant des compagnons qui vous ont donné toute la meilleure joie que vous ayez eue sur terre, vous gardiez le désir de rencontrer de nouveau leurs regards et de presser leurs mains, là où les regards ne seront plus obscurcis, ni les mains défaillantes ; si, vous préparant vous-même à être couchés sous l’herbe dans le silence et la solitude sans plus voir la beauté, sans plus sentir la joie, vous vouliez vous soucier de la promesse qui vous a été faite d’un temps dans lequel vous verriez de nouveau la lumière de Dieu et connaîtriez les choses que vous aspirez à connaître, et marcheriez dans la paix de l’éternel Amour — alors l’Espoir de ces choses pour vous est la religion ; leur Substance dans votre vie est la Foi. Et dans leur vertu il nous est promis que les royaumes de ce monde deviendront un jour les royaumes de Notre Seigneur et de Son Christ[144].


FIN


47 St. Geoffroy 41 St. Firmin le Conf. 7 PAUL Fol 1 Courage PIERRE 35 Roi mage 29 Gabriel
48 Un ange 42 St. Domice 8 JACQUES L’ÉVÊQUE Espérance 2 Patience ANDRÉ 36 Roi mage 30 Vierge Annonciade
49 St. Fuscien Martr 43 St. Honoré 9 PHILIPPE Charité 3 Gentillesse JACQUES 37 Roi mage 31 Vierge Visitante
50 St. Victoric Martr 44 St. Salve 10 BARTHy. Chasteté 4 Amour JEAN 38 Hérode 32 Élisabeth
51 Un Ange 45 St. Quentin 11 THOMAS Chasteté 5 Obéissance MATTs. 39 Salomon 33 Vierge à la Présentation
52 Ste. Ulpha 46 St. Gentier 12 JUDE Humilité 6 Persévérance SIMON 40 Reine de Saba 34 Siméon
15 EZEKIEL 13 ISAÏE
16 DANIEL 14 JÉRÉMIE
26 Aggée 23 Nahum 20 Abdias 17 Osée
27 Zacharie 24 Habakkuk 21 Jonas 18 Joel
28 Malachie 25 Sophonie 22 Michée 19 Amos
AMIENS
Plan du Porche Ouest
  1. La flèche d’Amiens est une flèche de charpente (Voir Viollet-le-Duc, art. Flèche). — (Note du Traducteur.)
  2. Voir Lectures on Art, 62-65. Le passage cité plus haut de The two Paths a plutôt trait à la sculpture. — (Note du Traducteur.)
  3. Plus exactement : de l’architecture française, du moins à l’endroit cité : Dictionnaire de l’architecture, vol. I, p. 71. Mais à l’article Cathédrale, elle est appelée (vol. II, p. 336) l’église ogivale par excellence. — (Note de l’Auteur.)

    Ruskin fait ici une confusion. Au volume I (p. 71), Viollet-le-Duc appelle Parthénon de l’architecture française, non pas la cathédrale d’Amiens, mais le chœur de Beauvais. — (Note du Traducteur.)

  4. Voir le développement de ces idées dans Miscelleanous de Walter Pater (article sur « Notre-Dame d’Amiens »). Je ne sais pourquoi le nom de Ruskin n’y est pas cité une fois. — (Note du Traducteur.)
  5. C’était un principe universellement reçu par les architectes français des grandes époques d’employer les pierres de leurs carrières telles qu’elles gisaient dans leur lit ; si les gisements étaient épais ; les pierres étaient employées dans leur pleine épaisseur, s’ils étaient minces dans leur minceur inévitable et ajustées avec une merveilleuse entente de leurs lignes de poussée, de leur centre de gravité. Les blocs naturels n’étaient jamais sciés, mais seulement ébousinés (**) pour s’adapter exactement toute la force native et la cristallisation de la pierre étant ainsi gardée intacte — « ne dédoublant jamais une pierre. Cette méthode est excellente, elle conserve à la pierre toute sa force naturelle, tous ses moyens de résistance » (Voyez M. Viollet-le-Duc, article Construction (Matériaux), vol. IV, p. 129). Il ajoute le fait très à remarquer que, aujourd’hui encore, il y a en France soixante-dix départements dans lesquels l’usage de la scie au grès est inconnu (***). — (Note de l’Auteur.)

    Sur les pierres employées dans le sens de leur lit ou en délit, voir Ruskin, Val d’Arno, chap. vii, § 169. Au fond, pour Ruskin qui n’établit pas de ligne de démarcation entre la nature et l’art, entre l’art, et la science, une pierre brute est déjà un document scientifique, c’est-à-dire à ses yeux, une œuvre d’art qu’il ne faut pas mutiler. « En eux est écrite une histoire et dans leurs veines et leurs zones, et leurs lignes brisées, leurs couleurs écrivent les légendes diverses toujours exactes des anciens régimes politiques du royaume des montagnes auxquelles ces marbres ont appartenu, de ses infirmités et de ses énergies, de ses convulsions et de ses consolidations depuis le commencement des temps » : Stones of Venice, III, i, 42, cité par M. de la Sizeranne). — (Note du Traducteur.)

  6. Psaume XI, 4. — (Note du Traducteur.)
  7. Saint Matthieu, xviii, 20. — (Note du Traducteur.)
  8. « Car vous êtes le temple du Dieu vivant ainsi que Dieu l’a dit : « J’habiterai au milieu d’eux et j’y marcherai ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (II Corinthiens, vi, 16). — (Note du Traducteur.)
  9. Cf. l’idée contraire dans le beau livre de Léon Brunschwig Introduction à la vie de l’Esprit, chap. iii : « Pour éprouver la joie esthétique, pour apprécier l’édifice, non plus comme bien construit mais comme vraiment beau, il faut… le sentir en harmonie, non plus avec quelque fin extérieure, mais avec l’état intime de la conscience actuelle. C’est pourquoi les anciens monuments qui n’ont plus la destination pour laquelle ils ont été faits ou dont la destination s’efface plus vite de notre souvenir se prêtent si facilement et si complètement à la contemplation esthétique. Une cathédrale est une œuvre d’art quand on ne voit plus en elle l’instrument du salut, le centre de la vie sociale dans une cité ; pour le croyant qui la voit autrement, elle est autre chose (page 97). Et page 112 : « les cathédrales du moyen âge… peuvent avoir pour certains un charme que leurs auteurs ne soupçonnaient pas. » La phrase précédente n’est pas en italique dans le texte. Mais j’ai voulu l’isoler parce qu’elle me semble la contre-partie même de la Bible d’Amiens et, plus généralement, de toutes les études de Ruskin sur l’art religieux, en général. — (Note du Traducteur.)
  10. Cf. le passage concordant de Lectures on Art où est rappelée la vieille expression française de « logeur du Bon Dieu » (Lectures on Art, II, § 60 et suivants).
  11. Voir plus haut sur ces sculptures la note, page 113.
  12. Cf. « Le travail du charpentier, le premier auquel se livra sans doute le fondateur de notre religion » (Lectures on Art, II, § 31). — (Note du Traducteur.)
  13. Le lecteur philosophe sera tout à fait bienvenu à « découvrir » et « opposer » autant de motifs charnels qu’il voudra — compétition avec le voisin Beauvais — confort pour des têtes chargées de sommeil — soulagement pour les flancs gras, et autres choses semblables. Il finira par trouver qu’aucune somme de compétition ou de recherche de confort ne pourrait, à présent, produire rien qui soit l’égal de cette sculpture ; encore moins sa propre philosophie, quel que soit son système ; et que ce fut, en vérité, le petit grain de moutarde de la foi, avec une quantité très notable, en outre, d’honnêteté dans les mœurs et dans le caractère qui fit que tout le reste concourût au bien.
  14. Arnold Boulin, menuisier à Amiens, sollicita l’entreprise et l’obtint dans les premiers mois de l’année 1508. Un contrat fut passé et un accord fait avec lui pour la construction de cent vingt stalles avec des sujets historiques, des dossiers hauts, des dais pyramidaux. Il fut convenu que le principal exécutant aurait sept sous de Tournay (un peu moins que le sou de France) par jour, pour lui et son apprenti (trois pence par jour pour les deux, c’est-à-dire 1 shilling par semaine pour le maître, et six pences par semaine pour l’ouvrier), et pour la surintendance du travail entier 12 couronnes par an, au taux de 24 sous la couronne (c’est-à-dire 12 shillings par an). Le salaire du simple ouvrier était de trois sous par jour. Pour les sculptures des stalles et les sujets d’histoire qu’elles devraient traiter, un marché séparé fut conclu avec Antoine Avernier, découpeur d’images, résidant à Amiens, au taux de trente-deux sous (seize pences) le morceau. La plus grande partie des bois venait de Clermont-en-Beauvoisis près d’Amiens ; les plus beaux, pour les bas-reliefs, de Hollande, par Saint-Valery et Abbeville.

    Le chapitre désigna quatre de ses membres pour surveiller le travail : Jean Dumas, Jean Fabres, Pierre Vuaille, et Jean Lenglaché auxquels mes auteurs (tous deux chanoines) attribuent le choix des sujets, de la place à leur donner et l’initiation des ouvriers « au sens véritable et le plus élevé de la Bible ou des légendes et portant quelquefois le simple savoir-faire de l’ouvrier jusqu’à la hauteur du génie du théologien ».

    Sans prétendre fixer la part de ce qui revient au savoir-faire et à la théologie dans la chose, nous avons seulement à remarquer que la troupe entière, maîtres, apprentis, découpeurs d’images, et quatre chanoines, emboîtèrent le pas et se mirent à l’ouvrage le 3 juillet 1508, dans la grande salle de l’évêché, qui devait servir à la fois de cabinet de travail pour les artistes et d’atelier pour les ouvriers pendant tout le temps de l’affaire. L’année suivante, un autre menuisier, Alexandre Huet, fut associé à la corporation pour s’occuper des stalles à la droite du chœur pendant qu’Arnold Boulin continuait celles de gauche. Arnold laissant son nouvel associé commander pour quelque temps, alla à Beauvais et à Saint-Riquier pour y voir les boiseries ; et en juillet 1511 les deux maîtres allaient ensemble à Rouen « pour étudier les chaires de la cathédrale ».

    L’année précédente, en outre, deux Franciscains, moines d’Abbeville, « experts et renommés dans le travail du bois », avaient été appelés par le chapitre d’Amiens pour donner leur avis sur les œuvres en cours, et avaient eu chacun vingt sous pour cet avis, et leurs frais de voyages ».

    En 1516, un autre nom et un nom important apparaît dans les comptes rendus, celui de Jean Trupin, « un simple ouvrier aux gages de trois sous par jour », mais certainement un bon sculpteur et plein de feu dont c’est, sans aucun doute, le portrait fidèle et de sa propre main, qui fait le bras de la 85e stalle (à droite, le plus près de l’abside) au-dessous duquel est gravé son nom Jhan Trupin, et de nouveau sous la 92e stalle avec, en plus, le vœu : « Jan Trupin, Dieu pourvoie ».

    L’œuvre entière fut terminée le jour de la Saint-Jean, 1522, sans aucune espèce d’interruption (autant que nous sachions), causée par désaccord, ou décès, ou malhonnêteté, ou incapacité parmi ceux qui y travaillaient ensemble, maîtres ou serviteurs.

    Et une fois les comptes vérifiés par quatre membres du chapitre, il fut établi que la dépense totale était de 9.488 livres, 11 sous, et 3 oboles (décimes) ou 474 napoléons, 11 sous, 3 décimes d’argent français moderne, ou en gros 400 livres sterling anglaises.

    C’est pour cette somme qu’une troupe probablement de six ou huit bons ouvriers, vieux et jeunes, a été tenue en joie et occupée pendant quatorze ans ; et ceci, que vous voyez, laissé comme un résultat palpable et comme un présent pour vous.

    Je n’ai pas examiné les sculptures de façon à pouvoir désigner avec quelque précision l’œuvre de chacun des différents maîtres ; mais, en général, le motif de la fleur et de la feuille dans les ornements sont des deux menuisiers principaux et de leurs apprentis : le travail si poussé des récits de l’Écriture est d’Avernier, il est égayé çà et là de hors-d’œuvre variés dus à Trupin, et les raccords et les points ont été faits par les ouvriers ordinaires. Il n’a pas été employé de clous, tout est au mortier, et si admirablement que les jointures n’ont pas bougé jusqu’ici et sont encore presque imperceptibles. Les quatre pyramides terminales « vous pourriez les prendre pour des pins géants oubliés pendant six siècles sur le sol où l’église fut bâtie, on peut n’y voir d’abord qu’un luxe fou de sculptures et d’ornementation creuse, mais vues et analysées de près, elles sont des merveilles d’ordre systématique dans la construction réunissant toute la légèreté, la force et la grâce des flèches les plus célèbres de la dernière époque du moyen âge. »

    Les détails ci-dessus sont tous extraits ou simplement traduits de l’excellente description des Stalles et clôtures du chœur de la cathédrale d’Amiens, par MM. les chanoines Jourdain et Duval (Amiens, Vve Alfred Caron, 1867). Les esquisses lithographiques qui l’accompagnent sont excellentes et le lecteur y trouvera les séries entières des sujets indiqués avec précision et brièveté ainsi que tous les renseignements sur la charpente et la clôture du chœur dont je n’ai pas la place de parler dans cet abrégé pour les voyageurs. — (Note de l’Auteur.)

  15. La partie la plus forte et destinée à tenir la plus longtemps dans un siège, de l’ancienne ville, était sur cette hauteur. — (Note de l’Auteur.)
  16. La cathédrale. — (Note du Traducteur.)
  17. Cf. avec The two Paths : « Ces statues (celles du porche occidental de Chartres) ont été longtemps et justement considérées comme représentatives de l’art le plus élevé du xiie ou du commencement du xiiie siècle en France ; et, en effet, elles possèdent une dignité et un charme délicat qui manquent, en général, aux œuvres plus récentes. Ils sont dus, en partie, à une réelle noblesse de traits, mais principalement à la grâce mêlée de sévérité des lignes tombantes de l’excessivement mince draperie ; aussi bien qu’à un fini des plus étudiés dans la composition, chaque partie de l’ornementation s’harmonisant tendrement avec le reste. Autant que leur pouvoir sur certains modes de l’esprit religieux est due à un degré palpable de non-naturalisme en eux, je ne le loue pas, la minceur exagérée du corps et la raideur de l’attitude sont des défauts ; mais ce sont de nobles défauts, et ils donnent aux statues l’air étrange de faire partie du bâtiment lui-même et de le soutenir, non comme la cariatide grecque sans effort, où comme la cariatide de la Renaissance par un effort pénible ou impossible, mais comme si tout ce qui fut silencieux et grave, et retiré à part, et raidi avec un frisson au cœur dans la terreur de la terre, avait passé dans une forme de marbre éternel ; et ainsi l’Esprit a fourni, pour soutenir les piliers de l’église sur la terre, toute la nature anxieuse et patiente dont il n’était plus besoin dans le ciel. Ceci est la vue transcendantale de la signification de ces sculptures.

    Je n’y insiste pas, ce sur quoi je m’appuie est uniquement leurs qualités de vérité et de vie. Ce sont toutes des portraits — la plupart d’inconnus, je crois — mais de palpables et d’indiscutables portraits ; s’ils n’ont pas été pris d’après la personne même qui est censée représentée, en tout cas ils ont été étudiés d’après quelque personne vivante dont les traits peuvent, sans invraisemblance, représenter ceux du roi ou du saint en question. J’en crois plusieurs authentiques, il y en a un d’une reine qui, évidemment, de son vivant, fut remarquable pour ses brillants yeux noirs. Le sculpteur a creusé bien profondément l’iris dans la pierre et ses yeux foncés brillent encore pour nous avec son sourire.

    Il y a une autre chose que je désire que vous remarquiez spécialement dans ces statues, la façon dont la moulure florale est associée aux lignes verticales de la statue.

    Vous avez ainsi la suprême complexité et richesse de courbes côte à côte avec les pures et délicates lignes parallèles, et les deux caractères gagnent en intérêt et en beauté ; mais il y a une signification plus profonde dans la chose qu’un simple effet de composition ; signification qui n’a pas été voulue par le sculpteur, mais qui a d’autant plus de valeur qu’elle est inintentionnelle. Je veux dire l’association intime de la beauté de la nature inférieure dans les animaux et les fleurs avec la beauté de la nature plus élevée dans la forme humaine. Vous n’avez jamais ceci dans l’œuvre grecque. Les statues grecques sont toujours isolées ; de blanches surfaces de pierre, ou des profondeurs d’ombre, font ressortir la forme de la statue tandis que le monde de la nature inférieure qu’ils méprisaient était retiré de leur cœur dans l’obscurité. Ici la statue drapée semble le type de l’esprit chrétien, sous beaucoup de rapports, plus faible et plus contractée mais plus pure ; revêtue de ses robes blanches et de sa couronne, et avec les richesses de toute la création à côté d’elle.

    Le premier degré du changement sera placé devant vous dans un instant, simplement en comparant cette statue de la façade ouest de Chartres avec celle de la Madone de la porte du transept sud d’Amiens.

    Cette Madone, avec la sculpture qui l’entoure, représente le point culminant de l’art gothique au xiiie siècle. La sculpture a progressé continuellement dans l’intervalle ; progressé simplement parce qu’elle devient chaque jour plus sincère et plus tendre et plus suggestive. Chemin faisant, la vieille devise de Douglas : « Tendre et vrai » peut cependant être reprise par nous tous pour nous-mêmes, non moins dans l’art que dans les autres choses. Croyez-le, la première caractéristique universelle de tout grand art est la tendresse, comme la seconde est la vérité. Je trouve ceci chaque jour de plus en plus vrai ; un infini de tendresse est le don par excellence et l’héritage de tous les hommes vraiment grands. Il implique sûrement en eux une intensité relative de dédain pour les choses basses, et leur donne une apparence sévère et arrogante aux yeux de tous les gens durs, stupides et vulgaires, tout à fait terrifiante pour ceux-ci s’ils sont capables de terreur et haïssable pour eux, si, ils ne sont capables de rien de plus élevé que la haine. L’esprit du Dante est le grand type de cette classe d’esprit. Je dis que le premier héritage est la tendresse — le second la vérité ; parce que la tendresse est dans la nature de la créature, la vérité dans ses habitudes et dans sa connaissance acquise ; en outre, l’amour vient le premier, aussi bien dans l’ordre de la dignité que dans celui du temps, et est toujours pur et entier : la vérité, dans ce qu’elle a de meilleur, est parfaite.

    Pour revenir à notre statue, vous remarquerez que l’arrangement de la sculpture est exactement le même qu’à Chartres. Une sévère draperie tombante rehaussée sur les côtés, par un riche ornement floral ; mais la statue est maintenant complètement animée ; elle n’est plus immuable comme un pilier rigide, mais elle se penche en dehors de sa niche et l’ornement floral, au lieu d’être une guirlande conventionnelle, est un exquis arrangement d’aubépines. L’œuvre toutefois dans l’ensemble, quoique parfaitement caractéristique du progrès de l’époque comme style et comme intention, est en certaines qualités plus subtiles, inférieure à celle de Chartres. Individuellement, le sculpteur, quoique appartenant à une école d’art plus avancée, était lui-même un homme d’une qualité d’âme inférieur à celui qui a travaillé à Chartres. Mais je n’ai pas le temps de vous indiquer les caractères plus subtils auxquels je reconnais ceci.

    Cette statue marque donc le point culminant de l’art gothique parce que, jusqu’à cette époque, les yeux de ses artistes avaient été fermement fixés sur la vérité naturelle ; ils avaient été progressant de fleur en fleur, de forme en forme, de visage en visage, gagnant perpétuellement en connaissance et en véracité, perpétuellement, par conséquent, en puissance et en grâce. Mais arrivés à ce point un changement fatal se fit dans leur idéal. De la statue, ils commencèrent à tourner leur attention principalement sur la niche de la statue, et de l’ornement floral aux moulures qui l’entouraient », etc. (The two Paths, § 33-39). — (Note du Traducteur.)

  18. Moins charmante que celle de Bourges. Bourges est la cathédrale de l’aubépine. Cf. Ruskin, Stones of Venice : « L’architecte de la cathédrale de Bourges aimait l’aubépine, aussi il a couvert son porche d’aubépine. C’est une parfaite Niobé de mai. Jamais il n’y eut pareille aubépine. Vous la cueilleriez immédiatement sans la crainte de vous piquer » (Stones of Venice, I, II, 13-15). — (Note du Traducteur.)
  19. Cf. « Remarquez que le calme est l’attribut de l’art le plus élevé. » Relations de Michel Ange et de Tintoret, § 219, à propos d’une comparaison entre les anges de Della Robbia et de Donatello « attentifs à ce qu’ils chantent, ou même transportés, — les anges de Bernardino Luini, pleins d’une conscience craintive — et les anges de Bellini qui, au contraire, même les plus jeunes, chantent avec autant de calme que filent les Parques ». — (Note du Traducteur.)
  20. Voyez d’ailleurs pages 32 et 130 (§§ 112-114) de l’édition in-octavo, The Two Paths. — (Note de l’Auteur.)
  21. La même nuance (tissé ou brodé) se retrouve dans Verona and other Lectures, p. 47. — (Note du Traducteur.)
  22. Cf. sur la hauteur apparente et réelle des cathédrales et des montagnes, The Seven lamps of Architecture, chap. iii. § 4. — (Note du Traducteur.)
  23. Cf. « J’ai vu, gravée au-dessus du porche de bien des églises cette inscription : C’est ici la maison de Dieu et la Porte du Ciel » (The Crown of wild olive, II). — (Note du Traducteur).
  24. Article Meneau. — (Note du Traducteur.)
  25. Contre la trop grande perfection en art voyez notamment The Stones of Venice, II chap. III, § 23, 24 et 25 ; — contre le fini de l’exécution, The Stones of Venice, II, chap. vi, 20 et 21 : contre la précision excessive, Elements of Drawing, II, 104. — (Note du Traducteur).
  26. À Saint-Acheul. Voyez le chapitre I de ce livre et la Description historique de la cathédrale d’Amiens, par A. P. M. Gilbert, in-octavo, Amiens, 1833, p. 3-7. — (Note de l’Auteur.)
  27. Feud, saxon faedh : bas latin, Faida (dérivés : écossais « fae » anglais « foe »), Johnson. Rappelez-vous aussi que la racine de Feud dans son sens normand de partage de terre, est foi, non fee, ce que Johnson, vieux tory comme il était, n’observe pas, ni en général les modernes antiféodalistes. — (Note de l’Auteur.)
  28. « Tu quoque magnam
    Partem opere in tanto, sineret dolor, Icare, haberes,
    Bis conatus erat casus effingere in auro, —
    Bis patriæ cecidere manus. »

    Il n’y a, de parti pris, aucun pathétique de permis dans la sculpture primitive. Ses héros conquièrent sans joie et meurent sans chagrin. — (Note de l’Auteur.)

  29. Voyez Fors Clavigera, lettre LXI, p. 22. — (Note de l’Auteur.)
  30. Ainsi, le commandement aux enfants d’Israël « qu’ils marchent en avant » est adressé à leurs propres volontés. Eux obéissant, la mer se retire mais pas avant qu’ils aient osé s’y avancer. Alors les eaux leur font une muraille à leur main droite et à leur gauche. — (Note de l’Auteur.)
  31. L’original est écrit en latin seulement ; « Supplico tibi, Domine, Pater et Dux rationis nostræ, ut nostræ nobilitatis recordemur, qua tu nos ornasti : et ut tu nobis presto sis, ut iis qui per sese moventur ; ut et a Corporis contagio, Brutorumque affectuum repurgemur, eosque superemus, atque regamus ; et, sicut decet pro instrumentis iis utamur. Deinde, ut nobis ad juncto sis ; ad accuratam rationis nostræ correctionem, et conjunctionem, cum iis qui vere sunt, per lucem veritatis. Et tertium, Salvatori supplex oro, ut ab oculis animorum nostrorum caliginem prorsus abstergas ; ut norimus bene, qui Deus, au mortalis habendus. Amen. » — (Note de l’Auteur.)
  32. Viollet-le-Duc, vol. VIII, p. 256. — Il ajoute : « L’une d’elles est comme art » (voulant dire art général de la sculpture) « un monument de premier ordre » ; mais ceci n’est vrai que partiellement ; ainsi je trouve une note dans l’étude de M. Gilbert (p. 126). « Les deux doigts qui manquent à la main droite de l’évêque Godefroy paraissent un défaut survenu à la fonte. » Voyez plus loin sur ces monuments et ceux des enfants de saint Louis, Viollet-le-Duc, vol. IX, p. 61, 62. — (Note de l’Auteur.)
  33. Je vole encore à l’abbé Rozé les deux inscriptions avec sa notice introductive sur l’intervention mal inspirée dont elles avaient été l’objet.

    « La tombe d’Évrard de Fouilloy (mort en 1222) coulée en bronze en plein relief, était supportée, dès le principe, par des monstres engagés dans une maçonnerie remplissant le dessous du monument, pour indiquer que cet évêque avait posé les fondements de la cathédrale. Un architecte malheureusement inspiré a osé arracher la maçonnerie pour qu’on ne vît plus la main du prélat fondateur, à la base de l’édifice.

    « On lit, sur la bordure, l’inscription suivante en beaux caractères du xiiie siècle :

    « Qui populum pavit, qui fundameta locavit
    Huius Structure, cuius fuit urbs data cure
    Hic redolens nardus, fama requiescit Ewardus,
    Vir plus afflictis, viduis tutela, relictis
    Custos, quos poterat recreabat munere ; vbis,
    Mitib agnus erat, tumidis leo, lima supbis. »

    « Geoffroy d’Eu (mort en 1237) est représenté comme son prédécesseur en habits épiscopaux, mais le dessous du bronze supporté par des chimères est évidé, ce prélat ayant élevé l’édifice jusqu’aux voûtes. Voici la légende gravée sur la bordure :

    » Ecce premunt humile Gaufridi membra cubile.
    Seu minus aut simile nobis parai omnibus ille ;
    Quem laurus gemina decoraverat, in medicina
    Lege qû divina, decuerunt cornua bina ;
    Clare vir Augensis, quo sedes Ambianensis
    Crevit in imensis ; in cœlis auctus, Amen, sis. »

    Tout est à étudier dans ces deux monuments ; tout y est d’un haut intérêt, quant au dessin, à la sculpture, à l’agencement des ornements et des draperies. »

    En disant au-dessus que Geoffroy d’Eu rendit grâces dans la cathédrale pour son achèvement, je voulais dire qu’il avait mis au moins le chœur en état de servir : « Jusqu’aux voûtes », peut signifier ou ne pas signifier que les voûtes étaient terminées. — (Note de l’Auteur.)

  34. En français dans le texte.
  35. Cf. Sesame and lilies : II. Of kings treasuries, 22 : « Un « pasteur » est une personne qui nourrit, un « évêque » est une personne qui voit. La fonction de l’évêque n’est pas de gouverner, gouverner c’est la fonction du roi ; la fonction de l’évêque est de veiller sur son troupeau, de le numéroter brebis par brebis, d’être toujours prêt à en rendre un compte complet. En bas de cette rue, Bill et Haney se cassent les dents mutuellement. L’évêque sait-il tout là-dessus ? Peut-il en détail nous expliquer comment Bill a pris l’habitude de battre Haney, etc. Mais ce n’est pas l’idée que nous nous faisons d’un évêque. Peut-être bien, mais c’était celle que s’en faisaient saint Paul et Milton. » — (Note du Traducteur.)
  36. Allusion à saint Matthieu : « Or tout cela arriva afin que s’accomplît ce que Dieu avait dit par le prophète : Une vierge sera enceinte et elle enfantera un fils et on le nommera Emmanuel, ce qui veut dire : Dieu avec nous » (I, 23). Le prophète dont parle saint Matthieu est Isaïe (iii, 14). — (Note du Traducteur.)
  37. Regardez maintenant le plan qui est à la fin de ce chapitre. — (Note de l’Auteur.)
  38. Saint Jean, 14, 60. — (Note du Traducteur.)
  39. Saint Matthieu, xvii, 5. — (Note du Traducteur.)
  40. Saint Matthieu, xxi, 7. — (Note du Traducteur.)
  41. Pour mieux distinguer ces différentes espèces de lys, reportez-vous aux belles pages de The Queen of the Air et de Val d’Arno : « Considérez ce que chacune de ces cinq tribus (des Drosidæ) a été pour l’esprit de l’homme. D’abord dans leur noblesse ; les lys ont donné le lys de l’Annonciation, les Asphodèles la fleur des Champs-Élysées, les iris, la fleur de lys de la Chevalerie ; et les Amaryllidées, le lys des champs du Christ, tandis que le jonc, toujours foulé aux pieds, devenait l’emblème de l’humilité. Puis, prenez chacune de ces tribus et continuez à suivre l’étendue de leur influence. « La couronne impériale, les lys de toute espèce » de Perdita, forment la première tribu ; qui donnant le type de la pureté parfaite dans le lys de la Madone, ont, par leur forme charmante, influencé tout le dessin de l’art sacré de l’Italie ; tandis que l’ornement de guerre était continuellement enrichi par les courbes des triples pétales du « giglio » florentin et de la fleur de lys française ; si bien qu’il est impossible de mesurer leur influence pour le bien dans le moyen âge, comme symbole partie du caractère féminin, et partie de l’extrême splendeur, et raffineront de la chevalerie dans la cité, dans la cité qui fut la fleur des cités. » (The Queen of the Air, II, § 82.)

    Dans Val d’Arno, à la conférence intitulée Fleur de Lys, il faudrait noter (§ 251) le souvenir de Cora et de Triptolène à propos de la Fleur de Lys de Florence, et la couronne d’Hera qui typifie la forme de l’iris pourpré, ou de la fleur dont parle, Pindare quand il décrit la naissance d’Iamus, et qui se rencontre aussi près d’Oxford. Le note que Ruskin met à la page 211 de Val d’Arno fait remarquer que les artistes florentins mettent généralement le vrai lys blanc dans les mains de l’ange de l’Annonciation, mais à la façade d’Orvieto c’est la « fleur de lys » que lui donne Giovanni Pisano, etc., etc., et la conférence entière se termine par la belle phrase sur les lys que j’ai citée dans la préface, page 70. — (Note du Traducteur.)

  42. « Ô Proserpine, que n’ai-je ici les fleurs que dans ton effroi tu laisses tomber du char de Pluton, les asphodèles qui viennent avant que l’hirondelle se risque…, les violettes sombres… les pâles primevères, la primerole hardie et le couronne impériale, les iris de toute espèce, et entre autres la fleur de lys ! » (Conte d’Hiver, scène XI, traduction François-Victor Hugo). — (Note du Traducteur.)
  43. Cantique des Cantiques, ii, 1. — (Note du Traducteur.)
  44. Saint Jean, xv, 1. — (Note du Traducteur.)
  45. Selon M. Émile Male, le sculpteur d’Amiens s’est inspiré ici d’un passage d’Honorius d’Autun. Voici ce passage (Male, p. 61) : « L’aspic est une espèce de dragon que l’on peut charmer avec des chants. Mais il est en garde contre les charmeurs et quand il les entend, il colle, dit-on, une oreille contre terre et bouche l’autre avec sa queue, de sorte qu’il ne peut rien entendre et se dérobe à l’incantation. L’aspic est l’image du pécheur qui ferme ses oreilles aux paroles de vie. » M. Male conclut ainsi : « Le Christ d’Amiens qu’on appelle communément le Christ enseignant est donc quelque chose de plus : il est le Christ vainqueur. Il triomphe par sa parole du démon, du péché et de la mort. L’idée est belle et le sculpteur l’a magnifiquement réalisée. Mais n’oublions pas que le Speculum Ecclesiæ lui a fourni la pensée première de son œuvre et lui en a dicté l’ordonnance. À l’origine d’une des plus belles œuvres du xiiie siècle on trouve le livre d’Honorius d’Autun (Art religieux au xiiie siècle, p. 62). — (Note du Traducteur.)
  46. « Tu marcheras sur l’Aspic et sur le Basilic et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon » (Psaume XCI, 13). — (Note du Traducteur.)
  47. Voyez mon résumé de l’histoire de Barberousse et Alexandre dans Fiction, Beau et Laid. Ninetenth century, novembre 1880, p. 752, seq. Voyez Sur la Vieille Route, vol. II, p, 3. — (Note de l’Auteur.)

    La citation faite par Alexandre III est aussi rappelée dans Stones of Venice, II, III, 59. — (Note du Traducteur.)

  48. Cf. chapitre ier, § 33, de ce volume « jusqu’à ce que le même signe soit lu à rebours par un trône dégénéré ». — (Note du Traducteur.)
  49. Voyez ce qu’en dit et les dessins très exacts qu’en donne Viollet-le-Duc (art. Christ, Dictionnaire d’architecture, III, 245). — (Note de l’Auteur.)

    Voir aussi plus haut, page 76, l’opinion de Huysmans sur cette statue. — (Note du Traducteur.)

  50. Psaume XXIV. — (Note du Traducteur.)
  51. Voyez le cercle des Puissances des Cieux dans les interprétations byzantines, I, la Sagesse ; II, les Trônes ; III, les Dominations ; IV, les Anges ; V, les Archanges ; VI, les Vertus ; VII, les Puissances ; VIII, les Princes ; IX, les Séraphins. Dans l’ordre Grégorien (Dante, Par., xxviii, note de Cary), les anges et les archanges sont séparés, donnant, en tout, neuf ordres, mais non pas neuf classes dans un ordre hiérarchique. Remarquez que, dans le cercle byzantin, les chérubins sont en premier, et que c’est la force des Vertus qui ordonne aux monts de se lever (Saint Marks Rest, p. 97 et p. 158, 159). — (Note de l’Auteur.)
  52. Saint Luc, x, 5. — (Note du Traducteur.)
  53. Aujourd’hui le mot d’argot pour désigner un prêtre dans le peuple, en France, est un Pax vobiscum ou, en abrégé, un vobiscum. — (Note de l’Auteur.)
  54. C’est là (dans le De orte et obitu Patrum, attribué à Isidore de Séville), dit M. Male, que nous apprenons qu’Isaïe fut coupé en deux avec une scie, sous le règne de Manassé (Émile Male, Histoire de l’Art religieux au xiiie siècle, p. 214). Au Portail Saint-Honoré à Amiens, Isaïe est représenté la tête fendue. — (Note du Traducteur.)
  55. Voir la version des Septante. — (Note de l’Auteur.)
  56. En français dans le texte.
  57. Selon M. Male, c’est un lion. — (Note du Traducteur.)
  58. Interprété différemment par M. Male : « Nos artistes ont représenté la lâcheté à Paris, à Amiens, à Chartres et à Reims, par une scène pleine de bonhomie populaire. Un chevalier pris de panique jette son épée et s’enfuit à toutes jambes devant un lièvre qui le poursuit ; sans doute il fait nuit, car une chouette perchée sur un arbre, semble pousser son cri lugubre. Ne dirait-on pas un vieux proverbe ou quelque fabliau. Je croirais volontiers que l’anecdote du soldat poursuivi par un lièvre était au nombre des historiettes que les prédicateurs aimaient à raconter à leurs ouailles. Il y a, dans la Somme le Roi de Frère Lorens, quelque chose qui ressemble fort à notre bas-relief (Histoire de l’art religieux, p. 166 et 167). Voir la description de la Patience du Palais des Doges 4e face du 7e chapiteau (Stones of Venice, I, V, § LXXI). — (Note du Traducteur.)
  59. Dans la cathédrale de Laon il y a un joli compliment fait aux bœufs qui transportèrent les pierres de ses tours au sommet de la montagne sur laquelle elle s’élève. La tradition est qu’ils se harnachèrent eux-mêmes, mais la tradition ne dit pas comment un bœuf peut se harnacher lui-même (****), même s’il en avait envie. Probablement la première forme du récit fut qu’ils allaient joyeusement « en mugissant ». Mais, quoi qu’il en soit, leurs statues sont sculptées sur le haut des tours, au nombre de huit, colossales, regardant de ses galeries, à travers les plaines de France. Voyez le dessin dans Viollet-le-Duc, article Clocher. — (Note de l’Auteur.)
  60. Cf. Stones of Venice, I, v, lxxxviii.
  61. Symbole de la douceur selon les théologiens parce qu’il se laisse prendre sans résistance ce qu’il a de plus précieux, son lait et sa laine (voir Male). — (Note du Traducteur.)
  62. Le rameau d’olivier de la Concorde (Voir Male, p. 170). — (Note du Traducteur.)
  63. Voir la Discorde du Palais des Doges (troisième face du septième chapiteau) avec la citation de Spencer, Stones of Venice, I, v, lxx. — (Note du Traducteur.)
  64. Cf. Volney : « Enfin la nature l’a (le chameau) visiblement destiné à l’esclavage en lui refusant toutes défenses contre ses ennemis. Privé des cornes du taureau, du sabot du cheval, de la dent de l’éléphant et de la légèreté du cerf, que peut le chameau ? etc. » (Voyage en Égypte et en Syrie). — (Note du Traducteur.)
  65. Cf. l’Obéissance au Palais des Doges (sixième face du septième chapiteau) et la comparaison avec l’Obéissance de Spencer et celle de Giotto à Assise. Stones of Venice, I, v, § lxxxiii. — (Note du Traducteur.)
  66. « La rébellion n’apparaît au moyen âge que sous un seul aspect, la désobéissance à l’église… La rose de Notre-Dame de Paris » (ces petites scènes sont presque identiques à Paris, Chartres, Amiens et Reims) « offre un curieux détail : l’homme qui se révolte contre l’évêque porte le bonnet conique des Juifs… Le Juif qui depuis tant de siècles refusait d’entendre la parole de l’église semble être le symbole même de la révolte et de l’obstination » (Male, p. 172). — (Note du Traducteur.)
  67. Apocalypse, iii, 2. — (Note du Traducteur.)
  68. Cf. la Constance du Palais des Doges (deuxième face du septième chapiteau) : Constantia sum, nil timens, et la comparaison avec Giotto et le Pilgrims Progress (Stones of Venice, I, v, § lxix). — (Note du Traducteur.)
  69. Éphésiens, vi, 15. — (Note du Traducteur.)
  70. Cantique des cantiques, vii, 1. — (Note du Traducteur.)
  71. À Paris une croix, à Chartres un calice. Au Palais des Doges (première face du neuvième chapiteau) sa devise est : Fides optima in Deo. La Foi de Giotto tient une croix dans sa main droite, dans la gauche un phylactère, elle a une clef à sa ceinture et foule aux pieds des livres cabalistiques. Sur la Foi de Spencer (Fidelia), voir Stones of Venice, I, v, § lxxvii. — (Note du Traducteur.)
  72. Saint Jean, vi, 53. — (Note du Traducteur.)
  73. Dans ce passage ce furent pour moi non pas les paroles du Christ, mais les paroles de Ruskin qui pendant plusieurs années « restèrent dans leur mystère ». J’ai toujours pensé pourtant, que c’était du caractère sacré de la nourriture dans son sens le plus général et le plus matériel qu’il s’agissait ici qu’en parlant des lois de la vie et de l’esprit comme liées à son acceptation et à son refus, Ruskin entendait signifier le support indispensable et incessant que la nutrition donne à la pensée et à la vie, tout refus partiel de nourriture se traduisant par une modification de l’état de l’esprit, par exemple dans l’ascétisme. Quant à la distribution de la nourriture, les lois de l’esprit et de la vie me paraissaient lui être liées aussi en ce que d’elle dépend, si on se place au point, de vue subjectif de celui qui donne (c’est-à-dire au point de vue moral), la charité du cœur, et si on se place au point de vue de ceux qui reçoivent, et même de ceux qui donnent (considérés objectivement, au point de vue politique), le bon état social. — Mais je n’avais pas de certitude, ne trouvant ni les mêmes idées, ni les mêmes expressions dans aucun des livres de Ruskin que j’avais présents à l’esprit. Et les ouvrages d’un grand écrivain sont le seul dictionnaire où l’on puisse contrôler avec certitude le sens des expressions qu’il emploie. Cependant cette même idée, étant de Ruskin, devait se retrouver dans Ruskin. Nous ne pensons pas une idée une seule fois. Nous aimons une idée pendant un certain temps, nous lui revenons quelquefois, fût-ce pour l’abandonner à tout jamais ensuite. Si vous avez rencontré avec une personne l’homme le plus changeant je ne dis même pas dans ses amitiés, mais dans ses relations, nul doute que pendant l’année qui suit cette rencontre si vous étiez le concierge de cet homme vous verriez entrer chez lui l’ami ou une lettre de l’ami que vous avez rencontré ou si vous étiez sa mémoire vous verriez passer l’image de son ami éphémère. Aussi faut-il faire avec un esprit, si l’on veut revoir une de ses idées, ne fût-elle pour lui qu’une idée passagère et un temps seulement préférée, comme font les pêcheurs : placer un filet attentif, d’un endroit à un autre (d’une époque à une autre) de sa production, fût-elle incessamment renouvelés. Si le filet a des mailles assez serrées et assez fines, il serait bien surprenant que vous n’arrêtiez pas au passage une de ces belles créatures que nous appelons Idées, qui se plaisent dans les eaux d’une pensée, y naissait par une génération qui semble en quelque sorte spontanée et où ceux qui aiment à se promener au bord des esprits sont bien certains de les apercevoir un jour, s’ils ont seulement un peu de patience et un peu d’amour. En lisant l’autre jour dans Verona and other Lectures, le chapitre intitulé : « The Story of Arachné », arrivé à un passage (§§ 25 et 26) sur la cuisine, science capitale, et fondement du bonheur des états, je fus frappé par la phrase qui le termine. « Vous riez en m’entendant parler ainsi et je suis content que vous riiez à condition que vous compreniez seulement que moi je ne ris pas, et de quelle façon réfléchie, entière et grave, je vous déclare que je crois nécessaires à la prospérité de cette nation et de toute autre : premièrement une soigneuse purification et une affectueuse distribution de la nourriture, de façon que vous puissiez, non pas seulement le dimanche, mais après le labeur quotidien, qui, s’il est bien compris, est un perpétuel service divin de chaque jour — de façon, dis-je, à ce que vous puissiez manger des viandes grasses et boire des liqueurs douces, et envoyer des portions à ceux pour qui rien n’est préparé. » (Cette dernière phrase est de Néhémie, viii, 10.) Je trouverai peut-être quelque jour un commentaire précis des mots « acceptance » et « refusal ». Mais je crois que pour « food » et pour « distribution » ce passage vérifie absolument mon hypothèse. — (Note du Traducteur.)
  74. « L’insensé a dit dans son cœur, il n’y a point de Dieu » (Psaume XIV).

    Le Dixit incipiens reparaît souvent dans Ruskin. Je cite de mémoire dans The queen of the air : « C’est la tâche du divin de condamner les erreurs de l’antiquité et celle du philosophe d’en tenir compte. Je vous prierai seulement de lire avec une humaine sympathie les pensées d’hommes qui vécurent, sans qu’on puisse les blâmer, dans une obscurité qu’il n’était pas en leur pouvoir de dissiper et de vous souvenir que quelque accusation de folie qui se puisse justement attacher à l’affirmation : « Il n’y a pas de Dieu », la folie est plus orgueilleuse, plus profonde et moins pardonnable qui consiste à dire : « Il n’y a de Dieu que pour moi » (Queen of Air, I), et dans Stones of Venice :

    « Comme il est écrit : « Celui-là qui se fie à son propre cœur est un fou », il est aussi écrit « L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu ». Et l’adulation de soi-même conduisit graduellement à l’oubli de tout excepté de soi et à une incrédulité d’autant plus fatale qu’elle gardait encore la forme et le langage de la foi » (Stones of Venice, II, iv, xcii) et aussi Stones of Venice, I, v, 56, etc., etc. — (Note du Traducteur.)

  75. Selon M. Male, symbole de résurrection, car la croix ornée d’un étendard est le symbole de Jésus-Christ sortant du tombeau. Nous aurons notre couronne, notre récompense, le jour de la résurrection. — (Note du Traducteur.)
  76. L’espérance de Giotto a des ailes, un ange devant elle porte une couronne. L’espérance de Spencer est attachée à une ancre. Voir Stones of Venice, I, v, § lxxxiv. — (Note du Traducteur.)
  77. Avant le xiiie siècle, c’est la Colère qui se poignarde. À partir du xiiie siècle, c’est le Désespoir. La transition est visible à Lyon, où le Désespoir est opposé encore à la Patience (Male). — (Note du Traducteur.)
  78. Parlant du caractère réaliste et pratique du christianisme dans le nord, Ruskin évoque encore cette figure de la charité d’Amiens dans Pleasures of England : « Tandis que la Charité idéale de Giotto à Padoue présente à Dieu son cœur dans sa main, et en même temps foule aux pieds des sacs d’or, les trésors de la terre, et donne seulement du blé et des fleurs : au porche ouest d’Amiens elle se contente de vêtir un mendiant avec une pièce de drap de la manufacture de la ville (Pleasures of England, iv).

    La même comparaison (rencontre certainement fortuite) se trouve être venue à l’esprit de M. Male, et il l’a particulièrement bien exprimée.

    « La Charité qui tend à Dieu son cœur enflammé, dit-il, est du pays de saint François d’Assise. La charité qui donne son manteau aux pauvres est du pays de saint Vincent de Paul. »

    Ruskin compare encore différentes interprétations de la Charité dans Stones of Venice (chap. sur le Palais des Doges) : « Au cinquième chapiteau est figurée la charité. Une femme, des pains sur ses genoux en donne un à un enfant qui tend les bras vers elle à travers une ouverture du feuillage du chapiteau. Très inférieure au symbole giottesque de cette vertu. À la chapelle de l’Arena elle se distingue de toutes les autres vertus à la gloire circulaire qui environne sa tête et à sa croix de feu. Elle est couronnée de fleurs, tend dans sa main droite un vase de blé et de fleurs, et dans la gauche reçoit un trésor du Christ qui apparaît au-dessus d’elle pour lui donner le moyen de remplir son incessant office de bienfaisance, tandis qu’elle foule aux pieds les trésors de la terre. La beauté propre à la plupart des conceptions italiennes de la Charité est qu’elles subordonnent la bienfaisance à l’ardeur de son amour, toujours figuré par des flammes ; ici elles prennent la forme d’une croix, autour de sa tête ; dans la chapelle d’Orcagna à Florence elles sortent d’un encensoir qu’elle a dans sa main ; et, dans le Dante, l’embrasent tout entière, si bien que dans le brasier de ces claires flammes, on ne peut plus la distinguer. Spencer la représente comme une mère entourée d’enfants heureux, conception qui a été, depuis, banalisée et vulgarisée par les peintres et les sculpteurs anglais » (Stones of Venice, I, v, § lxxxi). Voir au paragraphe lxviii du même chapitre comment le sculpteur vénitien a distingué la Libéralité de la Charité. — (Note du Traducteur.)

  79. Pour se rendre compte combien sa religion jadis glorieuse est profanée et lue à rebours par l’esprit français moderne, il vaut la peine, pour le lecteur de demander chez M. Goyer (place Saint-Denis), le Journal de Saint-Nicolas de 1880 et de regarder le Phénix tel qu’il est représenté à la page 610. L’histoire a l’intention d’être morale, et le Phénix représente l’avarice, mais l’entière destruction de toute tradition sacrée et poétique dans l’esprit d’un enfant par une telle image, est une immoralité qui neutraliserait la prédication d’une année.

    Afin que cela vaille la peine pour M. Goyer de vous montrer le numéro, achetez celui dans lequel il y a « les conclusions de Jeannie » (p. 337) : La scène d’église (avec dialogue) dans le texte est charmante. — (Note de l’Auteur.)

    M. Male n’est pas éloigné de croire que l’artiste qui a représenté la chasteté à Notre-Dame de Paris (Rose) voulait figurer sur son écu une salamandre, symbole de la chasteté parce qu’elle vit dans les flammes, a même la propriété de les éteindre et n’a pas de sexe. Mais l’artiste s’étant trompé et ayant fait de la salamandre un oiseau, son erreur aurait été reproduite à Amiens et à Chartres. — (Note du Traducteur.)

  80. Mais chaste cependant : « Nous voilà loin des terribles figures de la luxure sculptées au portail des églises romanes ; à Moissac, à Toulouse des crapauds dévorant le sexe d’une femme et se suspendant à ses seins » (Male). — (Note du Traducteur.)
  81. « Son écu est décoré d’un serpent qui, parfois, s’enroule autour d’un bâton. Aucun blason n’est plus noble puisque c’est Jésus lui-même qui l’a donné à la prudence : « Soyez prudents, disait-il, Comme des serpents » (Male).

    Giotto donne à la Prudence la double face de Janus et un miroir (Stones of Venice, I, v, § lxxxiii). Voir dans ce chapitre de Stones of Venice la définition des mots tempérance, σωροσύνη, μανία, ὔβριςlxxix). — (Note du Traducteur.)

  82. « La folie, qui s’oppose à la prudence, mérite de nous arrêter plus longtemps. Elle s’offre à nous à Paris, à Amiens, aux deux portails de Chartres, à la rose d’Auxerre et de Notre-Dame de Paris (*****), sous les traits d’un homme, à peine vêtu, armé d’un bâton, qui marche au milieu des pierres et qui parfois reçoit un caillou sur la tête. Presque toujours il porte à sa bouche un objet informe. C’est évidemment là l’image d’un fou que d’invisibles gamins semblent poursuivre à coups de pierres. Chose curieuse, une figure si vivante, et qui semble empruntée à la réalité quotidienne, a une origine littéraire. Elle est née de la combinaison de deux passages de l’Ancien Testament. On lit, en effet, dans les Psaumes : « L’insensé a lancé contre Dieu une pierre, mais la pierre est tombée sur sa tête. Il a mis une pierre dans le chemin pour y faire heurter son frère et il s’y heurtera lui-même. » Voilà bien le fou d’Amiens. Il marche sur des cailloux qui semblent rouler sous ses pieds et une pierre vient de l’atteindre à la tête. Mais quel est l’objet qu’il porte à sa bouche ? Un passage des Psaumes suivant nous l’explique. Quiconque a feuilleté quelques psautiers à miniatures du xiiie siècle a remarqué que les illustrations, en fort petit nombre, ne varient jamais. En tête du psaume LIII est dessiné un fou tout à fait semblable au personnage sculpté au portail de nos cathédrales. Il est armé d’un bâton et il s’apprête à manger un objet rond, qui est tout simplement, comme on va le voir, un morceau de pain. On lit, en effet, dans le texte : « Le fou a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu. Le fou accomplit des iniquités abominables… il dévore mon peuple comme un morceau de pain. » On ne peut douter, je crois, que l’artiste ait essayé de rendre ce passage. Ainsi s’explique la figure si complexe de la folie qui, comme tant d’autres, a été imaginée d’abord par les miniaturistes, et adoptée ensuite par les sculpteurs et les peintres verriers » (Male). — (Note du Traducteur.)
  83. Généralement les prophéties sont écrites sur des banderoles au lieu d’être figurées comme à Amiens dans des bas-reliefs. Pour compléter par des images ruskiniennes, le tableau que donne ici Ruskin, nous cesserons de citer uniquement M. Male et nous rapprocherons les prophéties figurées à Amiens, des prophéties inscrites au baptistère de Saint-Marc. On sait que ces mosaïques sont décrites dans Saint Marks Rest au chapitre Sanctus, Sanctus, Sanctus. Et le baptistère de Saint-Marc, dont l’éblouissante fraîcheur est si douce à Venise pendant les après-midi brûlants, est à sa manière une sorte de Saint des Saints ruskinien. M. Collingwood, le disciple préféré de Ruskin, à qui nous devons, en somme, le plus beau livre qui ait été écrit sur lui, a dit que le Repos de Saint-Marc était aux Pierres de Venise ce que la Bible d’Amiens était aux Sept Lampes de l’architecture. Je pense qu’il veut dire par là que le sujet de l’un et de l’autre a été choisi par Ruskin comme un exemple historique, destiné à illustrer les lois édictées dans ses livres de théorie ! C’est le moment où, comme aurait dit Alphonse Daudet, « le professeur va au tableau ». Et, en effet, par bien des points rien ne ressemble plus à la Bible d’Amiens que cet Évangile de Venise. Mais le Repos de Saint-Marc n’est déjà plus du meilleur Ruskin. Il dit lui-même, de façon touchante dans le chapitre ; The Requiem, cité plus haut : « Passons à l’autre dôme qui est plus sombre. Plus sombre et très sombre ; pour mes vieux yeux à peine déchiffrable ; pour les vôtres s’ils sont jeunes et brillants, cela doit être très beau, car c’est l’origine de tous ces fonds dorés de Bellini, Cima, Carpaccio, etc. » Mais c’est tout de même pour essayer de voir ce qu’avaient vu ces « vieux yeux » que nous allions tous les jours nous enfermer dans ce baptistère éclatant et obscur. Et nous pouvons dire d’eux comme il disait des yeux de Turner : « C’est par ces yeux, éteints à jamais que des générations qui ne sont pas encore nées verront les couleurs. » (Note du Traducteur.)
  84. Ruskin dans un moment de découragement s’est appliqué à lui-même ce verset d’Isaïe : « Malheur à moi, s’écrie-t-il dans Fors Clavigera, car je suis un homme aux lèvres impures, et je suis un homme perdu parce que mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur des armées » (Fors Clavigera, III, lviii). — (Note du Traducteur.)
  85. Au baptistère de Saint-Marc, comme à l’Arena à Padoue et au porche occidental de la cathédrale de Vérone la prophétie rappelée sur le phylactère d’Isaïe est : Ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitur nomen ejus Emmanuel (Isaïe, vii, 14). Et l’aspect (qui sera plus évocateur des mosaïques byzantines pour ceux qui en ont une fois vu) est celui-ci :

    ECCE V
    IRGO
    CIPIET
    ET PAR
    IET FILI
    UM ET V
    OCABIT
    UR NOM.

    Et ces inscriptions, et ces couleurs éclatantes à côté des grises allégories d’Amiens font penser à la page des Stones of Venice que nous avons citée plus haut, pages 81 et 82. — (Note du Traducteur.)

  86. Au baptistère de Saint-Marc le texte de Jérémie est : Hic est Deus noster et non extimabitur alius. — (Note du Traducteur.)
  87. Sur la manière de représenter les fleuves voir notamment Giotti and his work in Padua au Baptême du Christ. — (Note du Traducteur.)
  88. « Comment croire que le sculpteur d’Amiens qui a représenté Ézéchiel, la tête dans la main devant une mesquine petite roue, ait eu la prétention d’illustrer ce passage du prophète : « Je regardais les animaux et voici, il y avait des roues sur la terre près des animaux. À leur aspect… les roues semblaient être en chrysolithe… chaque roue paraissait être au milieu d’une autre roue. Elles avaient une circonférence et une hauteur effrayantes et les quatre roues étaient remplies d’yeux tout autour. Quand les animaux marchaient, les roues cheminaient à côté d’eux. Au-dessus il y avait un ciel de cristal resplendissant. » Toute l’horreur religieuse d’une pareille vision disparaît à l’instant où on essaie de la représenter. Ces petites images inscrites dans des quatre-feuilles sont charmantes comme les claires figures qui ornent les livres d’heures français. Mais elles n’ont rien retenu de la grandeur des originaux qu’elles prétendaient traduire » (Émile Male, p. 216, passim). — (Note du Traducteur.)
  89. Je crains que cette main n’ait été brisée depuis que je l’ai décrite, en tout cas elle est sans forme discernable dans la photographie. — (Note de l’Auteur.)
  90. Peintre anglais (1789 à 1854). Son Festin de Balthazar est de 1821. — (Note du Traducteur.)
  91. Au baptistère de Saint-Marc : Venite et revertamur ad dominum quia ipse capit et sana (bit nos). (Osée, vi, 1.) — (Note du Traducteur.)
  92. Allusion au verset : « Après cela l’Éternel me dit : « Va encore aimer une femme aimée d’un ami et adultère, comme l’Éternel aime les enfants d’Israël lesquels, toutefois, regardent à d’autres dieux et aiment les flacons de vin (Osée, iii, 1).

    Et c’est alors que la prophétie ajoute : « Je m’acquis donc cette femme-là pour quinze pièces d’argent et un homer et demi d’orge. — (Note du Traducteur.)

  93. À Saint-Marc : Super servos meos et super ancillas effundam de spiritu meo (Joël, ii, 29). — (Note du Traducteur.)
  94. À Saint-Marc : Ecce parvulum dedit te in gentibus (Abdias, 2). — (Note du Traducteur.)
  95. « Ils lui répondirent : c’était un homme vêtu de poil… et Achazia leur répondit : C’est Élie, le Tshischbite » (II Rois, i, 8). Ce manteau de poils était une ressemblance de plus entre Élie et saint Jean-Baptiste que l’on croyait être Élie ressuscité (Voir Renan, la Vie de Jésus). — (Note du Traducteur.)
  96. « Il envoya vers lui un capitaine de cinquante avec ses cinquante hommes » (II Rois, i, 9). — (Note du Traducteur.)
  97. Auprès d’Achazia qui les avait envoyés consulter Beal-Zebub, Dieu d’Ekron. — (Note du Traducteur.)
  98. À Saint-Marc : Clamavi ad dominum et exaudivit me de tribulation(e) mea. — (Note du Traducteur.)
  99. Cf., plus haut, sur la connaissance qu’on pouvait avoir des chameaux à Amiens. — (Note du Traducteur.)
  100. « Les nations forgeront leurs épées en hoyaux et leurs lances en serpes. » Ce verset, se retrouve dans Isaïe (ii, 4) et dans Joël. (iii, 10). Après avoir analysé ce passage de la Bible d’Amiens et isolé le verset biblique qui en fait le fond, faisons l’opération inverse, et en partant de ce verset, montrons comment il entre dans la composition d’autres pages de Ruskin. Nous lisons par exemple dans The two Paths : « Ce n’est pas en supportant les souffrances d’autrui, mais en faisant l’offrande des vôtres, que vous vous approcherez du grand changement qui doit venir pour le fer de la terre : quand les hommes forgeront leurs épées en socs de charrue et leurs lances en serpes, et où l’on n’apprendra plus la guerre. (The Two Paths, 196.)

    Et dans Lectures on Art : « Et l’art chrétien, comme il naquit de la chevalerie, fut seulement possible aussi longtemps que la chevalerie força rois et chevaliers à prendre souci du peuple. Et il ne sera de nouveau possible que, quand, à la lettre, les épées seront forgées en socs de charrue, quand votre saint Georges d’Angleterre justifiera son nom, et que l’art chrétien se fera connaître comme le fit son Maître, en rompant le pain. » (iv, 126). — (Note du Traducteur.)

  101. La statue du prophète, en arrière, est la plus magnifique de la série entière ; remarquez spécialement le « diadème » de sa chevelure luxuriante, tressée, comme celle d’une jeune fille, indiquant la force Achilléenne, de ce plus terrible des prophètes (Voyez Fors Clavigera, lettre lxv, p, 157). D’ailleurs, cette longue chevelure flottante a toujours été un des insignes des rois Franks, et leur manière d’arranger leur chevelure et leur barbe peut être vue de plus près et avec plus de précision dans les sculptures des angles des longs fonts baptismaux, dans le transept nord, le morceau le plus intéressant de toute la cathédrale, au point de vue historique, et aussi de beaucoup de valeur artistique (Voir plus haut, chap. ii, p. 86). — (Note de l’Auteur.)
  102. Voir dans Male (p. 198 et suiv.) l’interprétation des sculptures du porche de Laon, représentant Daniel recevant dans la fosse aux lions le panier que lui apporte Habakuk. Ce porche est consacré à la glorification de la sainte Vierge. Mais, d’après Honorius d’Autun, qu’a suivi le sculpteur de Laon, Habakuk faisant passer la corbeille de nourriture à Daniel sans briser le sceau que le roi y avait imprimé avec son anneau, et, le septième jour, le roi trouvant le sceau intact et Daniel vivant, symbolisait ; ou plutôt prophétisait le Christ entrant dans le sein de sa mère sans briser sa virginité et sortant sans toucher à ce sceau de la demeure virginale. — (Note du Traducteur.)
  103. À Saint-Marc : Expecta me in die resurrectionis meæ quoniam (judicium meum ut congregem gentes). — (Note du Traducteur.)
  104. Voir plus haut, p. 215, note. — (Note de l’Auteur.)

    « Le médaillon représente un petit monument gothique, un oiseau est perché sur le linteau, et un hérisson entre par la porte ouverte. On pense à quelque fable d’Ésope, et non au terrible passage de Sophonie, que l’artiste a la prétention de rendre : « L’Éternel étendra sa main sur le Septentrion, il détruira l’Assyrie, et il fera de Ninive une solitude, une terre aride comme le désert ; des troupeaux se coucheront au milieu d’elle, des animaux de toute espèce, le pélican et le hérisson, habiteront parmi les chapiteaux de ses colonnes, des cris retentiront aux fenêtres, la dévastation sera sur le seuil, car les lambris de cèdre seront arrachés » (Émile Male, p, 217). — (Note du Traducteur.)

  105. En français dans le texte.
  106. « Dans un autre médaillon sur Zacharie, deux femmes ailées soulèvent une autre femme assise sur une chaudière et formant une composition élégante ; mais qu’est devenue l’étrangeté du texte sacré ? (suivent les versets 5 à 11 du chapitre v de Zacharie) » (Male, p. 217).

    Mais comparez surtout avec Unto this last :

    « De même aussi dans la vision des femmes portant l’ephah, « le vent était dans leurs ailes » ; non les ailes « d’une cigogne », comme dans notre version, mais « milvi », d’un milan, comme dans la Vulgate ; et peut être plus exactement encore dans la version des septante « hoopoe », d’une huppe, oiseau qui symbolise le pouvoir des richesses d’après un grand nombre de traditions dont sa prière d’avoir une crête d’or est peut être la plus intéressante. Les Oiseaux d’Aristophane où elle joue un rôle capital est plein de ces traditions, etc. (Unto this last, § 74, p. 148, note). Dans Unto this last, aussi (§ 68, p. 135), Ruskin interprète ces versets de Zacharie. L’ephah ou grande mesure est la « mesure de leur iniquité dans tout le pays ». Et si la perversité y est couverte par un couvercle de plomb, c’est qu’elle se cache toujours sous la sottise. — (Note du Traducteur.)

  107. Voir ante, chap. i (p. 8, 9) l’histoire de saint Firmin, et de saint Honoré (p. 77, § 8) dans ce chapitre, avec la référence qui y est donnée. — (Note de l’Auteur.)
  108. Voir sur saint Geoffroy, Augustin Thierry, Lettres sur l’Histoire de France, Histoire de la Commune d’Amiens, pp. 271-281. — (Note du Traducteur.)
  109. À Reims un portail est également consacré aux saints de la province ; à Bourges, sur cinq portails, deux sont consacrés à des saints du pays. À Chartres, figurent également tous les saints du diocèse ; au Mans, à Tours, à Soissons, à Lyon, des vitraux retracent leur vie. Chacune de nos cathédrales présente ainsi l’histoire religieuse d’une province. Partout les saints du diocèse, tiennent après les apôtres la première place (Male, 390 et suivantes). — (Note du Traducteur.)
  110. L’étude des travaux des mois dans nos différentes cathédrales est une des plus belles parties du livre de M. Male. « Ce sont vraiment, dit-il en parlant de ces calendriers sculptés, les Travaux et les Jours. » Après avoir montré leur origine byzantine et romane il dit d’eux : « Dans ces petits tableaux, dans ces belles géorgiques de la France, l’homme fait des gestes éternels. » Puis il montre malgré cela le côté tout réaliste et local de ces œuvres : « Au pied des murs de la petite ville du moyen âge commence la vraie campagne… le beau rythme des travaux virgiliens. Les deux clochers de Chartres se dressent au-dessus des moissons de la Beauce et la cathédrale de Reims domine les vignes champenoises. À Paris, de l’abside de Notre-Dame on apercevait les prairies et les bois ; les sculpteurs en imaginant leurs scènes de la vie rustique purent s’inspirer de la réalité voisine », et plus loin : « Tout cela est simple, grave, tout près de l’humanité. Il n’y a rien là des Grâces un peu fades des fresques antiques : nul amour vendangeur, nul génie ailé qui moissonne. Ce ne sont pas les charmantes déesses florentines de Botticelli qui dansent à la fête de la Primavera. C’est l’homme, tout seul, luttant avec la nature ; et si pleine de vie, qu’elle a gardé, après cinq siècles, toute sa puissance d’émouvoir. » On comprend après avoir lu cela que M. Séailles parlant du livre de M. Male ait pu dire qu’il ne connaissait pas un plus bel ouvrage de critique d’art. — (Note du Traducteur.)
  111. Ce sont les préparatifs de Noël. — (Note du Traducteur.)
  112. Souvenir païen de Janus perpétué à Amiens, à Notre-Dame de Paris, à Chartres, dans beaucoup de psautiers. Un des visages regarde l’année qui s’en va, l’autre celle qui vient. À Saint-Denis dans un vitrail de Chartres, Janus ferme une porte derrière laquelle disparaît un vieillard, et en ouvre une autre à un jeune homme (Male, p. 95). — (Note du Traducteur.)
  113. Il n’y a plus de vignobles à Amiens, mais il y en avait encore au moyen âge. À Notre-Dame de Paris, le paysan va à sa vigne, à Chartres, à Saumur, il la taille, à Amiens il la bêche. Comme le vent est froid, à Chartres (porche nord), le paysan garde le capuchon et le manteau (ibid., p. 97). — (Note du Traducteur.)
  114. En août la moisson continue au portail nord de Chartres, à Paris, à Reims. Mais à Senlis, à Semur, à Amiens, on commence déjà à battre (ibid., p. 99). — (Note du Traducteur.)
  115. Dans d’autres cathédrales on commence déjà la vendange. La France du moyen âge paraît avoir été plus chaude que la nôtre (ibid., p. 100). — (Note du Traducteur.)
  116. À Semur, à Reims, pays de vignes, c’est la fin des travaux du vigneron. À Paris, à Chartres, c’est le temps des semailles. Le paysan a déjà repris le manteau d’hiver (ibid., p. 100). — (Note du Traducteur.)
  117. Voyez la description de la Madone de Murano dans le second volume de Stones of Venice. — (Note de l’auteur.)
  118. Sur la manière « dont Raphaël pense à la Madone » et sur la Vierge couronnée de Pérugin « tombant au rang d’une simple mère italienne, la Vierge à la chaise de Raphaël ». Voir Ruskin, Modern Painters, III, IV, 4, cités par M. Brunhes. — (Note du Traducteur.)
  119. Cf. Male, p. 209 et 210. « On a rapproché non sans raison à Chartres et à Amiens la statue de Salomon de celle de la reine de Saba. On voulait signifier par là que, conformément à la doctrine ecclésiastique, Salomon figurait Jésus-Christ et la Reine de Saba l’église qui accourt des extrémités du monde pour entendre la parole de Dieu. La visite de la reine de Saba fut aussi considérée au moyen âge, comme une figure de l’adoration des mages. La Reine de Saba qui vient de l’Orient symbolise les mages, le roi Salomon sur son trône symbolise la Sagesse Éternelle assise sur les genoux de Marie (Ludolphe le Chartreux, Vita Christi, XI). C’est pourquoi à la façade de Strasbourg, on voit Salomon sur son trône gardé par douze lions et au-dessus la Vierge portant l’enfant sur ses genoux ». — (Note du Traducteur.)
  120. Allusion au chapitre ii de Daniel. Le prophète raconte à Hebricatsar ses propres songes qu’il va interpréter et dit dans le récit du songe : « Tu la contemplais (cette statue) lorsqu’une pierre fut détachée de la montagne, sans mains, qui frappe la statue dans ses pieds de fer et de terre et les brise. Alors le fer, la terre, l’airain et l’or furent brisés, etc. » (Daniel, ii, 34). — (Note du Traducteur.)
  121. Exode, iii, 3, 4. — (Note du Traducteur.)
  122. Les Juges, vi, 37, 38. — (Note du Traducteur.)
  123. « Voici, la verge d’Aaron avait fleuri pour la maison de Lévi et elle avait jeté des fleurs, produit des boutons et mûri des amandes » (Nombres, xvii, 8). — (Note du Traducteur.)

    Ces quatre sujets si éloignés en apparence de l’Histoire de la Vierge, se retrouvent au porche occidental de Laon et dans un vitrail de la collégiale de Saint-Quentin, tous deux consacrés à la Vierge comme le portail d’Amiens. Le lien entre ses sujets et la vie de la Vierge se trouve, selon M. Male, dans Honorius d’Autun (sermon pour le jour de l’Annonciation). Selon Honorius d’Autun, la Vierge a été prédite, et sa vie symboliquement figurée dans ces épisodes de l’Ancien Testament. Le buisson que la flamme ne peut consumer, c’est la Vierge portant en elle le Saint Esprit, sans brûler du feu de la concupiscence. Le buisson où descend la rosée, est la Vierge qui devient féconde, et l’aire qui reste sèche autour est la virginité demeurée intacte. La pierre détachée de la montagne sans le secours d’un bras c’est Jésus-Christ naissant d’une Vierge qu’aucune main n’a touché. Ainsi s’exprime Honorius d’Autun dans le Speculum Ecclesiæ. M. Male pense que les artistes de Laon, de Saint-Quentin et d’Amiens avaient lu ce texte et s’en sont inspiré. — (Note du Traducteur.)

  124. Saint Luc, i, 13. — (Note du Traducteur.)
  125. Saint Matthieu, i, 20. — (Note du Traducteur.)
  126. Saint Luc, i, 61. — (Note du Traducteur.)
  127. Saint Luc, I, 61. — (Note du Traducteur.)
  128. Saint Luc, i, 63. — (Note du Traducteur.)
  129. Mise en scène d’une légende rapportée par tous les auteurs du moyen âge. Jésus en arrivant dans la ville de Solime fit choir toutes les idoles pour que s’accomplît la parole d’Isaïe. « Voici que le Seigneur vient sur une nuée et tous les ouvrages de la main des Égyptiens trembleront à son aspect » (Voir Male, p. 283, 284). — (Note du Traducteur.)
  130. « À la façade d’Amiens, on voit sous les pieds de la statue d’Hérode, devant qui les rois mages comparaissent, un personnage nu que deux serviteurs plongent dans une cuve. C’est le vieil Hérode qui essaie de retarder sa mort en prenant des bains d’huile : « Et Hérode avait déjà soixante-quinze ans et il tomba dans une très grande maladie ; fièvre violente, pourriture et enflure des pieds, tourments continuels, grosse toux et des vers qui le mangeaient avec grande puanteur et il était fort tourmenté ; et alors, d’après l’avis des médecins, il fut mis dans une huile d’où on le tira à moitié mort » (Légende dorée). « Hérode vécut assez longtemps pour apprendre que son fils Antipater n’avait pas caché sa joie en entendant le récit de l’agonie de son père. La colère divine éclate dans cette mort d’Hérode… L’imagier d’Amiens a donc eu une idée ingénieuse en mettant sous les pieds d’Hérode triomphant le vieil Hérode vaincu ; il annonçait l’avenir et la vengeance prochaine de Dieu » (Male, p. 283).

    J’ai adopté la traduction adoucie de M. Male, n’osant pas reproduire la crudité de l’original. Le lecteur peut se reporter à la belle traduction de la Légende dorée par M. Téodor de Wyzewa, mais M. de Wyzewa ne donne pas le passage sur l’incendie du vaisseau des rois. — (Note du Traducteur.)

  131. « Comme Hérode ordonnait la mort des Innocents, il… apprit en passant à Tarse que les trois rois s’étaient embarqués sur un navire du port, et dans sa colère il fit mettre le feu à tous les navires, selon ce que David avait dit : « il brûlera les nefs de Tarse en son courroux » (Jacques de Voragine, Légende dorée, au jour des saints Innocents, 28 décembre). — (Note du Traducteur.)

    On voit les mages revenant en bateau, dit M. Male, sur un des panneaux de la rose de Soissons et sur le vitrail consacré à l’enfance de Jésus-Christ qui orne la chapelle absidale de la cathédrale de Tours. — (Note du Traducteur.)

  132. Saint Matthieu, ii, 12. — (Note du Traducteur.)
  133. Isaïe, ix, 5. — (Note du Traducteur.)
  134. Cf. Lectures on Art : « L’influence de cet art réaliste sur l’esprit religieux de l’Europe a eu des formes plus diverses qu’aucune autre influence artistique, car dans ses plus hautes branches, il touche les esprits les plus sincèrement religieux, tandis que, dans ses branches inférieures, il s’adresse, non seulement au besoin le plus vulgaire d’excitation religieuse, mais à la simple soif de sensations d’horreur qui caractérise les classes sans éducation de pays partiellement civilisés ; non pas seulement même à la soif de l’horreur, mais à un étrange amour de la mort qui s’est manifesté quelquefois dans des pays catholiques en s’efforçant que, dans les chapelles du Sépulcre, les images puissent être prises, à la lettre, pour de véritables cadavres.

    Le même instinct morbide a souvent gagné l’esprit des artistes les plus puissants, et les plus imaginatifs, lui communiquant une tristesse fiévreuse qui dénature leurs plus belles œuvres ; et finalement, c’est là le pire de tous ses effets, c’est par lui que la sensibilité des femmes chrétiennes a été universellement employée à se lamenter sur les souffrances du Christ au lieu d’empêcher celles de son peuple.

    Quand l’un de vous voyagera, qu’il étudie la signification des sculptures et des peintures qui, dans chaque chapelle et dans chaque cathédrale, et dans chaque sentier de la montagne, rappellent les heures et figurent les agonies de la Passion du Christ, et essaye d’arriver à une appréciation des efforts qui ont été faits par les quatre arts : éloquence, musique, peinture, sculpture, depuis le xiie siècle, pour arracher aux cœurs des femmes les dernières gouttes de pitié que pouvait encore exciter cette agonie purement physique car ces œuvres insistent presque toujours sur les blessures ou sur l’épuisement physique, et dégradent bien plus qu’elles ne l’animent, la conception de la douleur.

    Puis essayez de vous représenter la somme de temps et d’anxieuse et frémissante émotion, qui a été gaspillée par les tendres et délicates femmes de la chrétienté pendant ces derniers six cents ans. (Ceci rejoint encore de plus près le passage du chapitre II de la Bible d’Amiens sur les femmes martyres à propos de sainte Geneviève.) Comme elles se peignaient ainsi à elles-mêmes sous l’influence d’une semblable imagerie, ces souffrances corporelles passées depuis longtemps, qui, puisqu’on les conçoit comme ayant été supportées par un être divin, ne peuvent pas, pour cette raison, avoir été plus difficiles à endurer que les agonies d’un être humain quelconque sous la torture ; et alors essayez d’apprécier à quel résultat on serait arrivé pour la justice et la félicité de l’humanité si on avait enseigné à ces mêmes femmes le sens profond des dernières paroles qui leur furent dites par leur Maître : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants », si on leur avait enseigné à appliquer leur pitié à mesurer les tortures des champs de bataille, les tourments de la mort lente chez les enfants succombant à la faim, bien plus, dans notre propre vie de paix, à l’agonie de créatures qui ne sont ni nourries, ni enseignées, ni secourues, qui s’éveillent au bord du tombeau pour apprendre comment elles auraient dû vivre, et la souffrance encore plus terrible de ceux dont toute l’existence, et non sa fin, est la mort ; ceux auxquels le berceau fut une malédiction, et pour lesquels les mots qu’ils ne peuvent entendre « la cendre à la cendre » sont tout ce qu’ils ont jamais reçu de bénédiction. Ceux-là, vous qui pour ainsi dire avez pleuré à ses pieds ou vous êtes tenus près de sa croix, ceux-là vous les avez toujours avec vous ! et non pas Lui.

    Vous avez toujours avec vous les malheureux dans la mort. Oui, et vous avez toujours les braves et bons dans la vie. Ceux-là aussi ont besoin d’être aidés, quoique vous paraissiez croire qu’ils n’ont qu’à aider les autres : ceux-là aussi réclament qu’on pense à eux et qu’on se souvienne d’eux. Et vous trouverez, si vous lisez l’histoire dans cet esprit, qu’une des raisons maîtresses de la misère continuelle de l’humanité, est qu’elle est toujours partagée entre le culte des anges ou des saints qui sont hors de sa vue, et n’ont pas besoin d’appui, et des hommes orgueilleux et méchants qui sont trop à portée de sa vue et ne devraient pas avoir son appui.

    Et considérez combien les arts ont ainsi servi le culte de la foule. Des saints et des anges vous avez des peintures innombrables, des chétifs courtisans ou des rois hautains et cruels, d’innombrables aussi ; quel petit nombre vous en avez (mais ceux-là remarquez presque toujours par des grands peintres) des hommes les meilleurs et de leurs actions. Mais réfléchissez vous-même à ce qu’eût pu être pour nous l’histoire ; bien plus, quelle histoire différente eût pu advenir par toute l’Europe si les peuples avaient eu pour but de discerner, et leur art d’honorer les grandes actions des hommes les plus dignes. Et si, au lieu de vivre comme ils l’ont toujours fait jusqu’ici dans un nuage infernal de discorde et de vengeance, éclairés par des rêves fantastiques de saintetés nuageuses, ils avaient cherché à récompenser et à punir selon la justice, mais surtout à récompenser et au moins à porter témoignage des actions humaines méritant le courroux de Dieu ou sa bénédiction plutôt que de découvrir les secrets du jugement et les béatitudes de l’éternité. »

    C’est après cette phrase que vient le morceau sur l’idolâtrie que j’ai cité dans le Post-Scriptum de ma Préface et qui termine ce long développement par ces mots :

    « Nous servons quelque chère et triste image que nous nous sommes créée, pendant que nous désobéissons à l’appel présent du Maître qui n’est pas mort, qui ne défaille pas en ce moment sous sa croix, mais nous ordonne de lever la nôtre » (ce qui correspond exactement aux paroles de la Bible d’Amiens) « substituer l’idée de ses souffrances passées à celle de notre devoir présent ». (Lectures on Art, II, § 56, 57, 58 et 59). — (Note du Traducteur.)

  135. « Jésus lui dit : Qu’est-ce qui est écrit dans la loi et qu’y lis-tu ? » — Il répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée et ton prochain comme toi-même. Et Jésus lui dit : « Tu as bien répondu ; fais cela et tu vivras » (Saint Luc, x, 26, 27, 28). — (Note du Traducteur)
  136. L’origine la plus authentique de la théorie du Purgatoire dans l’enseignement donné par l’art, se trouve dans les interprétations postérieures au xiiie siècle, du verset : « par lequel aussi Il alla et prêcha parmi les âmes en prison », se transformant graduellement en l’idée de la délivrance, pour les saints dans l’attente, de la puissance du tombeau.

    En littérature et en tradition, l’idée est à l’origine, je crois, Platonicienne, certainement pas Homérique, Égyptienne c’est possible, mais je n’ai encore rien lu des récentes découvertes faites en Égypte. N’aimant cependant pas laisser le sujet dans le dénuement absolu de mes propres ressources, j’ai fait appel à mon investigateur général M. Anderson (James R.) qui m’écrit ce qui suit :

    » Il ne peut pas être question de la doctrine ni de son acceptation universelle, des siècles avant le Dante, il en est fait mention cependant d’une façon assez curieuse dans le Summa theologiæ, comme nous l’avons dans une version plus récente ; mais je trouve par des références que saint Thomas l’enseigne ailleurs. Albertus Magnus la développe en grand, Si vous vous reportez à la Légende Dorée, au Jour de toutes les Âmes, vous y verrez comment l’idée est prise, comme lieu commun dans un ouvrage destiné au peuple au xiiie siècle. Saint Grégoire (le Pape) la soutient (Dial, iv, 38), dans deux citations scripturaires : (1), le péché qui n’est pardonné ni « in hoc seculo ni dans celui qui est à venir », (2) le feu qui éprouvera chaque œuvre de l’homme. Je pense que la philosophie Platonicienne et les mystères grecs doivent avoir eu fort à faire pour faire passer l’idée au début ; mais chez eux — comme chez Virgile — elle faisait partie de la vision orientale de la circulation d’un fleuve de vie, dont quelques gouttes seulement étaient jetées par intervalle dans un Élysée permanent et défini ou dans un enfer permanent et défini. Cela s’accorde mieux avec cette théorie que ne le fait le système chrétien qui attache finalement dans tous les cas, une importance infinie aux résultats de la vie « in hoc seculo ».

    « Connaissez-vous une représentation du Ciel ou de l’Enfer qui ne soit pas liée au Jugement dernier, je ne m’en rappelle aucune, et comme le Purgatoire est à ce moment-là passé, cela expliquerait l’absence de tableaux le représentant.

    « En outre le Purgatoire précède la Résurrection — il y a débat continuel entre les théologiens pour savoir quelle sorte de feu il peut y avoir au Purgatoire, qui puisse affecter l’âme sans toucher au corps. — Peut-être que le Ciel et l’Enfer — comme opposés au Purgatoire, parurent propres à être peints parce ils ne comportent pas seulement la représentation d’âmes mais aussi de corps s’élevant.

    « Dans le récit de Bede de la vision du prophète Ayrshire, il est question du Purgatoire en termes très semblables à ceux de Dante dans la description du second cercle de tourbillons de l’Enfer ; et l’ange qui finalement sauve l’Écossais du démon vient à travers l’Enfer, « quasi fulgor stellæ micantis inter tenebras » « que sul presso del mattino Per gli grossi vapor Marte rosseggia. » Le nom de Bede fut grand au moyen âge. Dante le rencontre dans le Ciel, et, j’aime à l’espérer, peut avoir été aidé par la vision de mon compatriote qui vivait plus de six cents ans avant lui. — (Note de l’Auteur.)

  137. Comparez avec le Monastère lettré, artiste et doux de Saint-Jérôme, où les murs sont peints à fresque, dans la citation de Saint Marks Rest, que j’ai donnée pages 222, 223, 224. — (Note du Traducteur.)
  138. Ruskin dit ici « les pierres d’Amiens » comme autrefois il avait dit les pierres de Venise. Il a dit aussi dans Præterita : « Si le jour où je frappai à sa porte le portier de la Scuola san Rocco ne m’avait pas ouvert, j’aurais écrit les Pierres de Chamounix au lieu des Pierres de Venise. » — (Note du Traducteur.)
  139. Toutes les courageuses actions, Ruskin ne pense pas que la guerre soit moins nécessaire aux arts que la foi. Voir dans The Crown of wild olive la troisième conférence sur The War. — (Note du Traducteur.)
  140. Je ne veux pas dire Aesthésis — mais noũs ; s’il faut que vous parliez en argot grec. — (Note de l’Auteur.)
  141. Tout lecteur, ayant un peu de flair métaphysique, trouvera une certaine parenté entre l’idée exprimée ici (depuis « Toutes les créatures humaines »), et la théorie de l’Inspiration divine dans le chapitre iii : « Il ne sera pas doué d’aptitudes plus hautes ni appelé à une fonction nouvelle. Il sera inspiré… selon les capacités de sa nature » et, cette remarque « La forme que prit plus tard l’esprit monastique tint beaucoup plus… qu’à un changement amené par le christianisme dans l’idéal de la vertu et du bonheur humains ». Sur cette dernière idée Ruskin a souvent insisté, disant que le culte qu’un païen offrait à Jupiter n’était pas très différent de celui qu’un chrétien etc… D’ailleurs dans ce même chapitre iii de la Bible d’Amiens, le Collège des Augures et l’institution des Vestales sont rapprochés des ordres monastiques chrétiens. Mais bien que cette idée soit par le lien que l’on voit, si proche des précédentes, et comme leur alliée c’est pourtant une idée nouvelle. En ligne directe elle donne à Ruskin l’idée de la Foi d’Horace et d’une manière générale tous les développements similaires. Mais surtout elle est étroitement apparentée à une idée bien différente de celles que nous signalons au commencement de cette note, l’idée (analysée dans la note des pages 244, 245, 246) de la permanence d’un sentiment esthétique que le christianisme n’interrompt pas. Et maintenant que de chaînons en chaînons, nous sommes arrivés à une idée si différente de notre point de départ (bien qu’elle ne soit pas nouvelles pour nous), nous devons nous demander si ce n’est pas l’idée de la continuité de l’art grec par exemple, des métopes du Parthénon aux mosaïques de Saint-Marc et au labyrinthe d’Amiens (idée qu’il n’a probablement crue vraie que parce qu’il l’avait trouvée belle) qui aura ramené Ruskin étendant cette vue d’abord esthétique à la religion et à l’histoire, à concevoir pareillement le collège des Augures comme assimilable à l’Institution bénédictine, la dévotion à Hercule comme équivalente à la dévotion à saint Jérôme, etc., etc.

    Mais du moment que la religion chrétienne différait peu de la religion grecque (idée : « plutôt qu’à un changement amené idée par le christianisme dans l’idée de la vertu et du bonheur humains »). Ruskin n’avait pas besoin, au point de vue logique, de séparer si fortement la religion et la morale. Aussi il y a dans cette nouvelle idée, si même c’est la première qui a conduit Ruskin à elle, quelque chose de plus. Et c’est une de ces vues assez particulières à Ruskin, qui ne sont pas proprement philosophiques et qui ne se rattachent à aucun système, qui, aux yeux du raisonnement purement logique peuvent paraître fausses, mais qui frappent aussitôt toute personne capable à la couleur particulière d’une idée de deviner, comme ferait un pécheur pour les eaux, sa profondeur. Je citerai dans ce genre parmi les idées de Ruskin, qui peuvent paraître les plus surannées aux esprits banals, incapables d’en comprendre le vrai sens et d’en éprouver la vérité, celle qui tient la liberté pour funeste à l’artiste, et l’obéissance et le respect pour essentiels, celle qui fait de la mémoire l’organe intellectuelle plus utile à l’artiste, etc., etc.

    Si on voulait essayer de retrouver l’enchaînement souterrain, la racine commune d’idées si éloignées les unes des autres, dans l’œuvre de Ruskin, et peut-être aussi peu liées dans son esprit, je n’ai pas besoin de dire que l’idée notée, au bas des pages 212, 213 et 214 à propos de « je suis le seul auteur à penser avec Hérodote » est une simple modalité de « Horace est pieux comme Milton », idée qui n’est elle-même qu’un pendant des idées esthétiques analysées dans la note des pages 244, 245, 246. « Cette coupole est uniquement un vase grec, cette Salomé une canéphore, ce chérubin une Harpie », etc. — (Note du Traducteur.)

  142. Genèse, xviii, 23. — (Note du Traducteur.)
  143. Psaume, lxv, 13. — (Note du Traducteur.)
  144. Saint Jean, Révélation, xi, 15. — (Note du traducteur.)
**. Ébousiner une pierre, c’est enlever sur ses deux lits les portions du calcaire qui ont précédé ou suivi la complète formation géologique, c’est enlever les parties susceptibles de se décomposer (Viollet-le-Duc). — (Note du Traducteur.)
***. Et Viollet-le-Duc assure que ce sont ceux où l’on construit le mieux. — (Note du Traducteur.)
****. Voir plus haut chapitre iii ; « La vie de Jérôme ne commence pas comme celle d’un moine Palestine. Dean de Milman ne nous a pas expliqué comment celle d’aucun homme le pourrait. » — Voir dans Male (page 77) une légende de Guibert de Nogent relative aux bœufs de Laon. — (Note du Traducteur.)
*****. La figure de la folie au portail de Notre-Dame de Paris a été retouchée. Un cornet dans lequel souffle le fou a remplacé l’objet qu’il semblait manger, le bâton est devenu une espèce de flambeau.