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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/495

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bien que cette œuvre ne puisse échapper à l’ordre universel dont Dieu est l’arbitre et qu’elle y trouve sa place. Car celui qui n’aime pas les lois en devient l’esclave.

CHAPITRE XV.

L’AME ACCOMPLIRA EN PAIX LES MOUVEMENTS DU CORPS APRÈS LA RÉSURRECTION : LA PERFECTION DE L’AME CONSISTERA ALORS EN QUATRE VERTUS.

49. Si, dans le temps que notre pensée se reporte souvent, avec une attention profonde, sur les choses immatérielles et immuables, il s’élève par hasard en nous, à propos d’un mouvement facile et habituel du corps, comme une promenade, une psalmodie, des nombres qui s’évanouissent à notre insu, bien qu’ils n’existeraient pas sans un effort de notre activité ; si enfin, lorsque nous sommes plongés dans nos vaines imaginations, nous produisons également des nombres sans en avoir conscience ; combien cet état de l’âme né sera-t-il pas plus élevé et plus durable, lorsque notre corruption aura revêtu l’incorruptibilité, que notre mortalité aura revêtu l’immortalité[1] ? En d’autres termes, pour exprimer cette vérité simplement, lorsque Dieu aura vivifié nos corps, mortels « à cause de l’Esprit qui demeure en nous » comme dit l’Apôtre[2], avec quel bonheur, voyant Dieu seul et la vérité pure, face à face, comme il a été dit, sentirons-nous sans le moindre trouble s’élever en nous les nombres destinés à mouvoir les organes ? On ne saurait croire en effet que l’âme trouve sa félicité dans les biens qui lui doivent naissance, sans pouvoir la trouver dans les biens qui la rendent bonne elle-même.

50. Or, l’acte par lequel l’âme, avec l’aide de Dieu et de son Seigneur, s’arrache à l’amour de la beauté inférieure, en combattant avec énergie et en détruisant les habitudes qui lui font la guerre ; la victoire qui la fait triompher dans son sein des puissances de l’air[3] et prendre son vol, malgré leur jalousie et en dépit de tous leurs efforts, vers Dieu son soutien et son inébranlable appui, qu’est-ce, sinon la vertu qu’on appelle tempérance ? — L’E. Je la reconnais et j’en distincte parfaitement les traits. — Le M. Allons plus loin : quand elle marche à grands pas dans le chemin du ciel, qu’elle savoure déjà les joies éternelles et semble y toucher, la perte des biens périssables ou la mort pourrait-elle l’épouvanter ? Se troublerait-elle quand elle est assez forte pour dire à ses sueurs moins parfaites : « Il m’est avantageux de mourir et de me réunir au Christ : mais il est nécessaire, à cause de vous, que je reste dans ma chair[4] ? » — L’E. Non, assurément. — Le M. Cette disposition qui lui fait braver les adversités et la mort ne doit-elle pas s’appeler force ? — L’E. J’en conviens encore. — Le M. Et cet ordre suivant lequel elle ne sert que Dieu, ne reconnaît pour égales que les âmes les plus pures, ne veut exercer d’empire que sur les bêtes et sur la nature physique, quelle vertu est-ce à ton avis ? — L’E. La justice, comment ne pas le voir ? — Le M. Tu as raison.

CHAPITRE XVI.

COMMENT CES QUATRE VERTUS[5] SONT L’APANAGE DES BIENHEUREUX.

51. Maintenant une question : la Prudence consistant pour l’âme, comme nous en sommes convenus plus haut, à comprendre l’objet auquel elle doit s’arrêter et le but où elle doit atteindre par la tempérance, en d’autres termes, par la charité, qui tourne tout son amour vers Dieu, comme par le renoncement au monde, qui est un acte de force et de justice ; penses-tu qu’après avoir atteint l’objet de son amour et de ses peines par une sanctification parfaite, après avoir vu son corps vivifié, les imaginations désordonnées bannies de sa mémoire, après avoir commencé sa vie en Dieu et par Dieu seul ; expérimenté enfin cette promesse divine : « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu et on ne voit pas encore ce que nous serons mais nous savons que lorsqu’il apparaîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est[6] ; » penses-tu, dis-je, que l’âme verra les vertus dont nous venons de parler subsister encore ? — L’E. Non : car les choses, contre lesquelles l’âme réagit, ayant disparu, je ne vois plus la raison d’être de la prudence, qui ne sert à porter la lumière que dans les contradictions ; de la tempérance, qui ne sert qu’à détourner

  1. 1Co. 15, 53.
  2. Rom. 8,11
  3. Les démons.
  4. Phi. 1, 23,21.
  5. Y compris la prudence dont saint Augustin parle immédiatement.
  6. 1Jn. 3, 2.