Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 34 —

contes irrévérencieux de Saint Pierre et du Jongleur, des Quatre Souhaits Saint Martin, et du Vilain qui conquist Paradis par plaid.

De même les fabliaux ne sont point des dits moraux ; mais ce n’est pas dire qu’ils doivent nécessairement être immoraux ; et, sans perdre leur caractère de contes plaisants, ils peuvent confiner à ce genre voisin et distinct : tels sont les fabliaux de la Housse partie, de la Bourse pleine de sens, de la Folle largesse. En cas d’indécision, nous devons nous poser cette question : si le trouvère a voulu plutôt faire œuvre de conteur, ou de moraliste ; s’il a été attiré vers son sujet par le conte, qui l’amusait, ou s’il a, au contraire, imaginé le conte pour la moralité. C’est ainsi que nous écarterons de notre collection le dit de la Dent[1]Le roi d’Angleterre et le Jongleur d’Ely est à la limite des deux genres.

Enfin, les fabliaux, qui sont des contes à rire, s’opposent aux lais, qui sont des légendes d’amour, souvent d’origine celtique et

  1. Le dit de la Dent (I, 12) est bien une pièce morale, et le petit apologue qu’il renferme n’a de valeur et d’agrément qu’autant que le poète en tire une moralité, qui, seule, lui importe. Je sais que ce petit conte du fèvre arracheur de dents peut vivre indépendant, sans aucune idée d’application morale. Il est, par exemple, narré pour lui-même dans les Contes en vers de Félix Nogaret, Paris, 1810, liv. VI, p. 108 :

    Dans un recueil chirurgical
    Composé par M. Abeille,
    Je trouve un moyen infernal
    D’arracher les dents à merveille……

    Voyez aussi Sacchetti, no 166. — Mais notre liste de fabliaux s’allongerait démesurément si nous y faisions entrer tous les contes répétés accidentellement, occasionnellement, par les trouvères. On en relèverait dans les romans d’aventure, dans les chansons de geste, dans les vies de saints, partout. Ce serait la confusion des genres. Il est manifeste que la Dent appartient au genre très déterminé du dit moral. Il ressemble exactement aux autres poèmes de Huon Archevesque, surtout au dit de Largece et de Debonaireté, où le forgeron de Neufbourg est remplacé par Jésus-Christ en croix. — V. l’intéressante monographie de M. A. Héron, Les dits de Hue Archevesque, Paris, 1885. — La question est plus malaisée pour le lai de l’Oiselet que M. G. Paris range parmi les fabliaux dans son Tableau de la Littér. fr. au m. âge, § 77 (2e édition), tandis qu’il ne le mentionnait pas à cette place lors du 1er tirage de ce même Tableau de la Littér. fr., et que, dans son exquise édition de cet exquis poème, il n’écrit pas une seule fois le mot fabliau. Il faut plutôt, je crois, ranger le lai de l’Oiselet parmi les apologues, auprès du dit de l’Unicorne et du Serpent et d’autres poèmes similaires.