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Lorsqu’au début de la Renaissance, les tendances pratiques s’allièrent à de solides études scientifiques, l’algèbre prit définitivement son essor[1]. Cependant bien des algébristes des xve et xvie siècles se trouvent gênés par les habitudes d’esprit qu’ils tiennent de la tradition grecque. C’est le cas de François Viète, à qui l’algèbre doit tant par ailleurs. Les tours de passe-passe des algébristes hindous eussent été pour Victe des non-sens, car il ne pouvait pas raisonner sur les grandeurs sans se les représenter. Il se croit donc obligé de distinguer, et de traiter l’un après l’autre, une longue suite de problèmes qui ne diffèrent que par leur interprétation concrète et ne feraient qu’un pour un algébriste moderne.

En somme, aux premiers temps de l’algèbre, ceux qui ont réussi dans cette science sont ceux qui n’avaient pas de scrupules théoriques. Il fallait en être dépourvu, par exemple, pour se permettre d’opérer sur des quantités inconnues exactement comme si elles étaient connues. Or c’est là l’une des caractéristiques et, pour beaucoup de savants, la caractéristique principale de l’algèbre.

Avec l’assistance de Dieu — ainsi débute l’algèbre d’Omar Al Khayyam[2] — et avec son concours pré-

    que l’absence des formules littérales n’empêche pas la science hindoue de manifester à un haut degré les tendances par lesquelles nous avons défini plus haut l’esprit algébriste. Aussi bien ne faudrait-il pas exagérer l’importance des services rendus par les lettres dans le calcul. On peut fort bien établir les formules générales de l’algèbre lors même qu’on remplace les lettres par des nombres ordinaires, à condition que l’on ne fasse état, à aucun moment de la démonstration, des valeurs particulières de ces nombres. C’est ainsi que procède encore Pascal au xviie siècle.

  1. Voir plus bas p. 93 et suivantes.
  2. L’Algèbre d’Omar Alkhayyami, traduct. Wœpcke, Berlin, 1851, p. 5 (xiie siècle).