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ainsi ils imaginent qu’une matiere extrèmement subtile, & agitée par un mouvement très-vif, peut penser. Voyez à l’article Ame, la réfutation de cet opinion. Sur l’existence de la matiere, voyez les articles Corps & Existence, Chambers.

Matiere subtile, est le nom que les Cartésiens donnent à une matiere qu’ils supposent traverser & pénétrer librement les pores de tous les corps, & remplir ces pores de façon à ne laisser aucun vuide ou interstices entr’eux. Voyez Cartésianisme. Mais en vain ils ont recours à cette machine pour étayer leur sentiment d’un plein absolu, & pour le faire accorder avec le phénomene du mouvement, &c. en un mot, pour la faire agir & mouvoir à leur gré. En effet, s’il existoit une pareille matiere, il faudroit pour qu’elle dût remplir les vuides de tous les autres corps, qu’elle fût elle-même entierement destituée de vuide ; c’est-à-dire parfaitement solide, beaucoup plus solide, par exemple que l’or, & par conséquent, qu’elle fût beaucoup plus pesante que ce métal, & qu’elle résistât davantage (voyez Résistance) ; ce qui ne sauroit s’accorder avec les phénomenes. Voyez Vuide.

M. Newton convient néanmoins de l’existence d’une matiere subtile, ou d’un milieu beaucoup plus délié que l’air, qui pénetre les corps les plus denses, & qui contribue ainsi à la production de plusieurs des phénomenes de la nature. Il déduit l’existence de cette matiere des expériences de deux thermometres renfermés dans deux vaisseaux de verre, de l’un desquels on a fait sortir l’air, & qu’on porte tous deux d’un endroit froid en un endroit chaud. Le thermometre qui est dans le vuide devient chaud, & s’éleve presque aussitôt que celui qui est dans l’air, & si on les reporte dans l’endroit froid, ils se refroidissent, & s’abaissent tous deux à peu près au même point. Cela ne montre-t-il pas, dit-il, que la chaleur d’un endroit chaud se transmet à-travers le vuide par les vibrations d’un milieu beaucoup plus subtil que l’air, milieu qui reste dans le vuide après que l’air en a été tiré ? & ce milieu n’est-il pas le même qui brise & réfléchit les rayons de lumiere ? &c. Voyez Lumiere, Chambers.

Le même philosophe parle encore de ce milieu ou fluide subtil, à la fin de ses principes. Ce fluide, dit-il, pénetre les corps les plus denses ; il est caché dans leur substance ; c’est par sa force & par son action que les particules des corps s’attirent à de très petites distances, & qu’elles s’attachent fortement quand elles sont contiguës ; ce même fluide est aussi la cause de l’action des corps électriques, soit pour repousser, soit pour attirer les corpuscules voisins ; c’est lui qui produit nos mouvemens & nos sensations par ses vibrations, qui se communiquent depuis l’extrémité des organes extérieurs jusqu’au cerveau, par le moyen des nerfs. Mais le philosophe ajoute qu’on n’a point encore une assez grande quantité d’expériences pour déterminer & démontrer exactement les loix suivant lesquels ce fluide agit.

On trouvera peut-être quelqu’apparence de contradiction entre la fin de cet article, où M. Newton semble attribuer à une matiere subtile la cohésion des corps ; & l’article précédent où nous avons dit après lui que l’attraction est une propriété de la matiere. Mais il faut avouer que M. Newton ne s’est jamais expliqué franchement & nettement sur cet article ; qu’il paroît même avoir parlé en certains endroits autrement qu’il ne pensoit. Voyez Gravité & Attraction, voyez aussi Ether & Milieu Étheré, au mot Milieu. (O)

Matiere ignée ou Matiere de feu, principe que quelques chimistes emploient dans l’explication de plusieurs effets, sur-tout pour rendre raison de l’augmentation de poids que certains corps éprou-

vent dans la calcination. Ceux qui ont fait le plus d’usage de ce principe, & qui l’ont mis le plus en vogue, conviennent qu’il n’est pas démonstratif par lui-même, comme le sel, l’eau, &c. mais ils prétendent seulement qu’il l’est par les conséquences : donnons-en un exemple. Lorsqu’on fait fondre vingt livres de plomb dans une terrine plate qui n’est pas vernie, & qu’on agite ce plomb sur le feu avec une spatule jusqu’à ce qu’il soit réduit en poussiere, on trouve après une longue calcination, que quoique par l’action du feu il se soit dissipé une grande quantité de parties volatiles du plomb, ce qui devroit diminuer son poids, cette poudre, ou cette chaux de plomb, au-lieu de peser moins que le plomb ne pesoit avant la calcination, occupe un plus grand espace, & pese beaucoup plus ; car au-lieu de peser vingt livres, elle en pese vingt-cinq. Que si au contraire on revivifie cette chaux par la fusion, son volume diminue, & le plomb se trouve alors moins pesant qu’il n’étoit avant qu’on l’eût réduit en chaux ; en un mot on ne trouve que dix-neuf livres de plomb. Or ce n’est ni du bois ni du charbon qu’on a employé dans cette opération, que le plomb en se calcinant a pu tirer ces cinq ou six livres de poids ; car on a fait calciner plusieurs matieres au foyer du verre ardent, dont feu M. le régent a fait présent à l’académie, & on a trouvé également que le poids augmentoit. L’air n’a pu non plus se condenser durant l’opération, en une assez grande quantité dans les pores du plomb, pour y produire un poids si considérable : car pour condenser un volume d’air du poids de cinq livres dans un espace cubique de quatre à cinq pouces de hauteur, il faudroit y employer un poids énorme. On a donc conclu que cette augmentation de poids ne pouvoit procéder que des rayons du soleil qui se sont concentrés dans la matiere exposée à leur action pendant tout le tems que dure l’opération, & que c’étoit à la matiere condensée de ces rayons de lumiere qu’il falloit attribuer l’excès de pesanteur qu’on y observoit ; & pour cet effet on a supposé que la matiere qui sert à nous transmettre la lumiere & la chaleur, l’action du soleil ou du feu, étoit pesante, qu’elle étoit capable d’une grande condensation, qu’elle se condensoit en effet prodigieusement dans les pores de certains corps, sans y être contrainte par aucun poids ; que la chaleur, qui raréfie universellement toutes les autres matieres, avoit néanmoins la propriété de condenser celle-ci, & que la tissure des corps calcinés, quoique très-foible, avoit nonobstant cela la force de retenir une matiere qui tend à s’étendre avec une telle force, qu’une livre de cette matiere contenue dans les pores de cinq livres de plomb, étant dans son état naturel, devoit nécessairement occuper un espace immense, puisque la pesanteur de cette matiere, dans son état naturel, est absolument insensible ; que c’étoit ensuite cette matiere de feu, condensée dans les sels alkalis, qui produisoit en nous ce goût vif & perçant que nous y éprouvons, & dans les fermentations cette ébullition qui nous étonne, ces couleurs vives que les différentes matieres prennent en se précipitant ; en un mot que c’étoit à cette matiere de feu qu’on devoit attribuer conformément les effets les plus délicats de la Chimie, & que sans être obligé d’entrer dans aucune autre discussion, il suffisoit d’avoir remarqué, que ces effets avoient quelque relation à ceux que le feu produit communément, sans qu’on sache comment, ni qu’on soit obligé de le dire, cela suffisoit, dis-je, pour rapporter tous les effets à cette cause : voilà bien des hypotheses précaires. Les Chimistes ont-ils donc constaté par quelque expérience sensible, ce poids prétendu des rayons du soleil ? ont-ils éprouvé que la matiere qui reste dans le récipient de la machine du vuide,