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en sortant de l’entendement, retrouver des objets sensibles pour se rattacher. Voilà en Philosophie le moyen de reconnoitre les mots vuides d’idées. Prenez un mot : prenez le plus abstrait ; décomposez le ; décomposez-le encore, & il se résoudra en dernier lieu en une représentation sensible. C’est qu’il n’y a en nous que des représentations sensibles, & des mots particuliers qui les désignent, ou des mots généraux qui les rassemblent sous une même classe, & qui indiquent que toutes ces représentations sensibles, quelque diverses qu’elles soient, ont cependant une qualité commune.

* INCONCEVABLE, adj. (Gramm.) il se dit d’une maniere absolue, ou d’une maniere relative. Dans le premier sens, inconcevable est synonyme à incompréhensible (voyez ce mot) ; dans le second on a égard au cours ordinaire des choses, & c’est sous ce point de vûe qu’on dit d’une chose qu’elle est incompréhensible ou inconcevable. Exemple, si un homme fait une action qui le deshonore, qui renverse sa fortune, qui soit contraire à ses penchans, en un mot dans laquelle on n’apperçoive rien qui ait pû l’annoncer ou la faire prévoir, on dit qu’elle est inconcevable.

Inconcevable est encore une expression d’exagération, comme nous en avons une infinité d’autres qui ont perdu toute leur énergie par l’application qu’on en fait dans des circonstances puériles & communes. Ainsi nous disons d’un poëte, qu’il a une peine ou une facilité inconcevable à faire des vers.

INCONFIDENS, (Hist. mod.) c’est ainsi qu’on nommoit dans les royaumes d’Espagne, de Naples & de Sicile, au commencement de ce siecle, les personnes peu affectionnées au gouvernement actuel, & soupçonnées d’entretenir une correspondance illicite avec la maison d’Autriche qui prétendoit à ces couronnes, & ses partisans. Philippe V. roi d’Espagne, établit des tribunaux pour rechercher ceux qui étoient dans ces dispositions ; ils avoient ordre de s’assûrer de leurs personnes, ou de les éloigner du pays.

* INCONGRU, INCONGRUITÉ, (Gram.) le premier se dit des fautes contre la langue ou la Logique ; & le fecond, des fautes contre l’honnêteté, la bienséance & les usages reçus. Le dictionnaire de Trévoux rend incongruité par inurbanitas ; mais inurbanitas marque une habitude, & incongruité ne marque qu’une action.

* INCONNU, adj. (Gram.) il ne se dit point des choses qu’on ne connoit point ; car on ne dit rien de ce qu’on ne connoit pas, mais des choses qu’on connoit & des qualités qu’on y soupçonne. Ainsi nous voyons des effets dans la nature ; nous ne doutons point qu’ils ne soient liés, mais la liaison nous en est inconnue. Nous voyons agir un de nos semblables, nous lui supposons un motif bon ou mauvais, mais il nous est inconnu. L’épithete inconnu se joint toûjours à quelque chose qu’on connoit.

Inconnue, adj. pris substantiv. (terme d’Algebre.) On appelle ainsi la quantité qu’on cherche dans la solution d’un problème. Voyez Equation, Problème, &c. (O)

* INCONSEQUENCE, INCONSEQUENT, (Gram. Logiq. & Morale.) il y a inconséquence dans les idées, dans le discours & dans les actions. Si un homme conclut de ce qu’il pense ou de ce qu’il énonce le contraire de ce qu’il devroit faire, il est inconséquent dans son discours & dans ses idées. S’il tient une conduite contraire à celle qu’il a déja tenue, ou contraire à ses intérêts ; il est inconséquent dans ses actions. Il y a encore une troisieme inconséquence, c’est celle des pensées & des actions, & c’est la plus commune. Il y a mille fois plus d’inconséquence encore dans la vie que dans les jugemens.

Il ne faut cependant pas dire d’un homme qui tremble dans les ténebres, & qui ne croit point aux revenans, qu’il soit inconséquent. Sa frayeur n’est pas libre. C’est un mouvement habituel dans ses organes qu’il ne peut empêcher, & contre lequel sa raison réclame inutilement.

* INCONSIDERÉ, adj. (Gram.) il se dit ou des actions ou des discours, lorsqu’on n’en a pas pesé les conséquences. On se perd par un propos inconsidéré ; on s’embarrasse par une promesse inconsidérée ; on se ruine par une largesse inconsidérée.

Il se dit aussi des personnes. Vous êtes un inconsidéré ; vous vous êtes déchaîné contre la galanterie au milieu d’un cercle de femmes.

* INCONSTANCE, s. f. (Gram. & Morale.) indifférence ou dégoût d’un objet qui nous plaisoit ; si cette indifférence ou ce dégoût naît de ce qu’à l’examen nous ne lui trouvons pas le mérite qui nous avoit séduit, l’inconstance est raisonnable ; s’il naît de ce que nous n’éprouvons plus dans sa possession le plaisir qu’il nous faisoit ; s’il est le même, mais s’il ne nous émeut plus ; s’il est usé pour nous ; s’il ne nous fait plus cette impression qui nous enchaînoit ; si la fée a perdu sa baguette, il faut que le charme cesse, & l’inconstance est nécessaire. Celui qui fait des vœux qu’il ne pourra rompre ; celui qui prononce un serment qui l’engage à jamais, est quelquefois un homme qui présume trop de ses forces, qui s’ignore lui-même & les choses du monde. Je ne connois qu’un remede à l’inconstance, c’est la solitude & les soins assidus. Fuir la dissipation qui nous répandroit sur trop d’objets, pour que nous pussions demeurer à un seul. Sur-tout multiplier les sacrifices. Vous vous rendrez tous les jours l’un à l’autre plus agréables, si tous les jours vous vous rendez l’un à l’autre plus nécessaires. Je ne blâme point l’inconstance qui nous fait abandonner un objet de prix pour un objet plus précieux encore, dans toutes ces bagatelles qui ne souffrent point, qui ne sentent point, & qui font notre bonheur sans le partager. Mais en amitié, en attachement de cœur, si l’on permettoit cette préférence ; on quitteroit, on seroit quitté, & la porte seroit ouverte au plus étrange déréglement.

* INCONTESTABLE, adj. (Gramm.) qui ne peut être contesté. Il se dit d’une rente, d’un fait, d’un titre, d’un droit, &c.

INCONTINENCE, subst. fem. (Morale.) vice opposé à la pudicité, à la continence. Voyez Continence.

Nous ne décrirons point les diverses especes d’incontinence, elles ne sont que trop connues, & quelques-unes trop honteuses pour que la pudeur ne fût pas allarmée d’un pareil détail. Il nous suffira donc de quelques remarques sur ce déréglement dans la recherche des plaisirs de l’amour.

La corruption qui en résulte est double, parce qu’elle se porte d’abord sur deux personnes, & que d’ailleurs ses mauvais effets se répandant ensuite sur plusieurs, confondent les droits des familles & ceux des successions ; par conséquent tout le corps de l’état en souffre, & la dépopulation de l’espece s’en ressent à proportion que le vice prend faveur.

Il la prend nécessairement avec le luxe qu’il accompagne toûjours, & dont il est toûjours accompagné ; c’est ce qu’on vit à Rome sous les empereurs. Comme leurs lois ne tendoient ni à réprimer le luxe, ni à corriger les mœurs, on afficha sans crainte le débordement de l’incontinence publique.

Il n’est pas vrai qu’elle suive les lois de la nature, elle les viole au contraire ; c’est la modestie, c’est la retenue qui suit ces lois. Mais l’exemple, les conversations licentieuses, les images obscènes, le ridicule qu’on jette sur la vertu, la mauvaise honte