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verbe lever, qui vient lui-même du latin elevare.

Le levier est la premiere des machines simples, comme étant en effet la plus simple de toutes, & on s’en sert principalement pour élever des poids à de petites hauteurs. Voyez Machine & Forces mouvantes.

Il y a dans un levier trois choses à considérer, le poids qu’il faut élever ou soutenir, comme O, (Pl. de Méchanique, fig. 1.), la puissance par le moyen de laquelle on doit l’élever ou le soutenir comme B, & l’appui D, sur lequel le levier est soutenu, ou plutôt sur lequel il se meut circulairement, cet appui restant toûjours fixe.

Il y a des leviers de trois especes ; car l’appui C, est quelquefois placé entre le poids A & la puissance B, comme dans la figure premiere, & c’est ce qu’on nomme levier de la premiere espece ; quelquefois le poids A est situé entre l’appui C & la puissance B, ce qu’on appelle levier de la seconde espece, comme dans la fig. 2. & quelquefois enfin la puissance B est appliquée entre le poids A, & l’appui C, comme dans la fig. 3. ce qui fait le levier de la troisieme espece.

La force du levier a pour fondement ce principe ou théorème, que l’espace ou l’arc décrit par chaque point d’un levier, & par conséquent la vîtesse de chaque point est comme la distance de ce point à l’appui ; d’où il s’ensuit que l’action d’une puissance & la résistance du poids augmentent à proportion de leur distance de l’appui.

Et il s’ensuit encore qu’une puissance pourra soutenir un poids lorsque la distance de l’appui au point de levier où elle est appliquée, sera à la distance du même appui au point où le poids est appliqué, comme le poids est à la puissance, & que pour peu qu’on augmente cette puissance, on élevera ce poids. Voyez la démonstration de tout cela au mot Puissance méchanique, & plus au long encore au mot Balance, machine qui a beaucoup d’analogie avec le levier, puisque le levier n’est autre chose qu’une espece de balance ou de peson pour élever des poids, comme la balance est elle-même une espece de levier.

La force & l’action du levier se réduisent facilement à des propositions suivantes.

1°. Si la puissance appliquée à un levier de quelque espece que ce soit, soutient un poids, la puissance doit être au poids en raison réciproque de leurs distances de l’appui.

2°. Etant donné le poids attaché à un levier de la premiere ou seconde espece, AB, fig. premiere, la distance CV, du poids à l’appui, & la distance A, C, de la puissance au même appui, il est facile de trouver la puissance qui soutiendra le poids. En effet, supposons le levier sans pesanteur, & que le poids soit suspendu en V, si l’on fait comme AC est à CV, le poids V du levier est à un quatrieme terme, on aura la puissance qu’il faut appliquer en A, pour soutenir le poids donné V.

3°. Si une puissance appliquée à un levier de quelque espece que ce soit, enleve un poids, l’espace parcouru par la puissance dans ce mouvement est à celui que le poids parcourt en même tems, comme le poids est à la puissance qui seroit capable de le soutenir ; d’où il s’ensuit que le gain qu’on fait du côté de la force est toûjours accompagné d’une perte du côté du tems & réciproquement. Car plus la puissance est petite, plus il faut qu’elle parcoure un grand espace pour en faire parcourir un fort petit au poids.

De ce que la puissance est toûjours au poids comme la distance du poids au point d’appui est à la distance de la puissance au même point d’appui, il s’ensuit que la puissance est plus grande ou plus pe-

tite, ou égale au poids, selon que la distance du poids

à l’appui est plus grande ou plus petite, ou égale à celle de la puissance. De-là on conclura, 1°. que dans le levier de la premiere espece, la puissance peut être ou plus grande ou plus petite, ou égale au poids ; 2°. que dans le levier de la seconde espece, la puissance est toûjours plus petite que le poids ; 3°. qu’elle est toûjours plus grande dans le levier de la troisieme espece ; & qu’ainsi cette derniere espece de levier, bien loin d’aider la puissance quant à sa force absolue, ne fait au contraire que lui nuire. Cependant cette derniere espece est celle que la nature a employée le plus fréquemment dans le corps humain. Par exemple, quand nous soutenons un poids attaché au bout de la main, ce poids doit être considéré comme fixé à un bras de levier dont le point d’appui est dans le coude, & dont par conséquent la longueur est égale à l’avant-bras. Or ce même poids est soutenu en cet état par l’action des muscles dont la direction est fort oblique à ce bras de levier, & dont par conséquent la distance au point d’appui est beaucoup plus petite que celle du poids. Ainsi l’effort des muscles doit être beaucoup plus grand que le poids. Pour rendre raison de cette structure, on remarquera que plus la puissance appliquée à un levier est proche du point d’appui, moins elle a de chemin à faire pour en faire parcourir un très-grand au poids. Or l’espace à parcourir par la puissance, étoit ce que la nature avoit le plus à ménager dans la structure de notre corps. C’est pour cette raison qu’elle a fait la direction des muscles fort peu distante du point d’appui ; mais elle a du aussi les faire plus forts en même proportion.

Quand deux puissances agissent parallellement aux extrémités d’un levier, & que le point d’appui est entre deux, la charge du point d’appui sera égale à la somme des deux puissances, de maniere que si l’une des puissances est, par exemple, de 100 livres, & l’autre de 200, la charge du point d’appui sera de 300. Car en ce cas les deux puissances agissent dans le même sens ; mais si le levier est de la seconde ou troisieme espece, & que par conséquent le point d’appui ne soit pas entre les deux puissances, alors la charge de l’appui sera égale à l’excès de la plus grande puissance sur la plus petite ; car alors les puissances agissent en sens contraire.

Si les puissances ne sont pas paralleles, alors il faut les prolonger jusqu’à ce qu’elles concourent, & trouver par le principe & la composition des forces (voyez Composition) la puissance qui résulte de leur concours.

Cette puissance, à cause de l’équilibre supposé, doit avoir une direction qui passe par le point d’appui, & la charge du point d’appui sera évidemment égale à cette puissance. Voyez Appui.

Au reste, nous avons déja remarqué au mot Balance, & c’est une chose digne de remarque, que les propriétés du levier sont plus difficiles à démontrer rigoureusement lorsque les puissances sont paralleles, que lorsqu’elles ne le sont pas. Tout se réduit à démontrer que, si deux puissances égales sont appliquées aux extrémités d’un levier, & qu’on place au point du milieu du levier une puissance qui leur fasse équilibre, cette puissance sera égale à la somme des deux autres. Cela paroît n’avoir pas besoin de démonstration ; cependant la chose n’est pas évidente par elle-même, puisque les puissances qui se font équilibre dans le levier, ne sont pas directement opposées les unes aux autres ; & on pourroit croire confusément, que plus les bras du levier sont longs, tout le reste étant égal, moins la troisieme puissance doit être grande pour soutenir les deux autres, parce qu’elles lui sont pour ainsi dire, moins directement