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HISTOIRE DE FRANCE

obtenus sans avoir recours à la torture, particulièrement en Angleterre[1].

Que tel ait été d’ailleurs le caractère général de l’ordre, que les statuts soient devenus expressément honteux et impies, c’est ce que je suis loin d’affirmer. De telles choses ne s’écrivent pas. La corruption entre dans un ordre par connivence mutuelle et tacite. Les formes subsistent, changeant de sens, et perverties par une mauvaise interprétation que personne n’avoue tout haut.

Mais quand même ces infamies, ces impiétés auraient été universelles dans l’ordre, elles n’auraient pas suffi pour entraîner sa destruction. Le clergé les aurait couvertes et étouffées[2], comme tant d’autres désordres ecclésiastiques. La cause de la ruine du Temple, c’est qu’il était trop riche et trop puissant. Il y eut une autre cause plus intime, mais je la dirai tout à l’heure.

À mesure que la ferveur des guerres saintes diminuait en Europe, à mesure qu’on allait moins à la croisade, on donnait davantage au Temple pour s’en dispenser. Les affiliés de l’ordre étaient innombrables. Il suffisait de payer deux ou trois deniers par an. Beaucoup de gens offraient tous leurs biens, leurs personnes mêmes. Deux comtes de Provence se donnèrent ainsi. Un roi d’Aragon légua son royaume (Alphonse-

  1. Les dépositions les plus sales, et qui paraîtraient avec le plus de vraisemblance dictées par la question, sont celles des témoins anglais, qui pourtant n’y furent pas soumis. App. 54.
  2. Voy. entre autres Henri IV et Richelieu, ch. xvi, xix, xx, et Richelieu et la Fronde, ch. ix.