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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/296

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HISTOIRE DE FRANCE

même de piété, dans cette cellule de béguine (d’où Lucas de Leyde a tiré son aimable Annonciation), il trouvera prise. Où donc ? Au petit ménage, « au petit jardin[1] ». Pour le cacher, il suffirait d’une feuille de ce beau lis[2].

Moins qu’une feuille, un souille, un chant… Dans la pieuse complainte du tisserand que nous écoutions naguère, est-il sur que tout soit de Dieu ?… Le chant qu’il se chante à lui-même ne rappelle ni les airs rituels de l’église[3], ni les airs officiels[4] des confréries… Ce solitaire ouvrier de la banlieue, ce buissonnier[5], comme on l’appelle, quelles sont ses secrètes pensées ? Ne peut-il pas lui arriver de lire quelque

  1. Passage charmant de Sainte-Beuve : « Nous avons tous un petit jardin, et l’on y tient souvent plus qu’au grand. » (Port-Royal, I.) Voir dans les discours de M. Vinet, celui qui a pour titre : Des idoles favorites. L’idée première est le verset : « Et le jeune homme s’en alla triste, car il avait un petit bien. » — Dans les béguinages flamands l’esprit d’individualité est très marqué. « En France et en Allemagne, le béguinage était un seul couvent divisé en cellules ; dans les Pays-Bas, c’était comme un village qui comptait autant de maisons isolées qu’il y avait de béguines. » (Mosheim.) Aujourd’hui, il y en a ordinairement plusieurs dans chaque maison, mais chaque béguine a sa petite cuisine ; dans une maison où il y avait vingt filles, je remarquai (chose minutieuse à dire, mais très caractéristique) vingt petits fourneaux, vingt petits moulins à café, etc. Je demande pardon aux saintes filles d’une révélation peut-être indiscrète.
  2. Voy. au Musée du Louvre l’Annonciation de Lucas de Leyde.
  3. C’étaient des hymnes en langue vulgaire. (Mosheim.)
  4. Un caractère particulier de la poésie et de la musique des confréries allemandes (et je crois, des confréries en général), c’est la servilité de la tradition. App. 132.
  5. Quos dumicos vocant. » (Meïer.) Je traduis dumicos par un mot consacré dans l’histoire du protestantisme : Écoles buissonnières. — Les ouvriers buissonniers pourraient bien être des lollards. Le pape Grégoire XI nous représente ceux-ci comme vivant originairement en ermites. (Mosheim.) Saint Bernard nous dit que des prêtres quittaient leurs églises et leurs troupeaux pour aller vivre « inter textores et textrices ». (Serm. in Canticum cantic.)