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LE BANQUET

d que, précisément en ce qui concerne l’Amour, tu as accordé que c’est d’être dépourvu des choses bonnes et belles qui lui donne envie de ces choses même, dont il est dépourvu. — En effet je l’ai accordé. — Comment donc alors pourrait-il être dieu, celui qui justement n’a point dans son lot les choses belles et bonnes ? — En aucune façon ; au moins est-ce vraisemblable ! — Ainsi, tu le vois, toi-même, dit-elle, tu ne comptes pas l’Amour pour un dieu. — Que pourra bien dès lors être l’Amour ? répartis-je : un mortel ? — Pas le moins du monde ! — Mais quoi, enfin ? — Comme dans les cas précédents, un intermédiaire, dit-elle, entre le mortel et l’immortel. — Qu’est-ce qu’il serait alors, Diotime ? un démon — Un grand démon[1], Socrate. Et en effet tout ce qui est démonique e est intermédiaire entre le dieu et le mortel. — Quel en est, demandai-je, le rôle ? — C’est de traduire et de transmettre aux dieux ce qui vient des hommes et, aux hommes, ce qui vient des dieux : les prières et sacrifices de ceux-là, les ordonnances de ceux-ci et la rétribution des sacrifices[2] ; et d’autre part, puisqu’il est à mi-distance des uns et des autres, de combler le vide : il est ainsi le lien qui unit le Tout à lui-même[3]. La vertu de ce qui est démonique est de donner l’essor, aussi bien à la divination tout entière qu’à l’art des prêtres pour ce qui concerne sacrifices et initiations, tout comme incantations, 203 vaticination en général et magie[4]. Le dieu, il est vrai,

    se laisser prendre à celles d’une fausse universalité : les propositions alléguées le sont-elles, même par ceux qui savent vraiment ce dont il s’agit (distinction analogue 194 bc, 199 a) ? Après avoir accordé qu’aimer, c’est manquer de ce qu’on aime (cf. 200 a-e, 201 cd), peut-on encore faire de l’Amour un être divin ? La contradiction est évidente. Ce procédé de réfutation est très bien analysé Rép. VI 487 bc, Soph. 230 b.

  1. Sur ces Démons ou Génies, voir Notice, p. lxxvii sq.
  2. Peut-être l’idée de récompense suffirait-elle ici. Ce qui, pour Platon, vicie sacrifice ou prière, c’est d’y voir un commerce, ou un moyen d’acheter la complicité des dieux (Euthyphr. 14 e, Rép. II 364 bc, Lois IV 716 c-717 b, X 906 c-907 a). Cf. 220 d, la prière de Socrate au Soleil.
  3. Sans cet intermédiaire, il y aurait un vide entre les deux domaines : le Tout serait sans unité et divisé d’avec lui-même.
  4. C’est un ensemble solidaire : divination par interprétation de