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Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/296

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n’ai point choisi cet ordre dès le principe, puisque je le savais si bon, je vous répondrai encore avec l’Apôtre, « c’est que si tout m’est permis, tout ne m’est pas également avantageux (I Corinth., x, 22. » Saint Bernard dit pour quelle raison il a préféré l'ordre de Cîteaux à celui de Cluny. Je ne veux pas dire par là que votre ordre ne soit ni juste ni saint, mais j’étais un homme charnel, vendu au péché et je comprenais que le mal dont mon âme était alors atteinte demandait un traitement plus rigoureux. Vous savez bien que les remèdes doivent varier avec les maladies, et qu’on doit recourir aux plus énergiques, quand la maladie est elle-même plus grave. Supposons deux hommes atteints l’un de la fièvre quarte, et l’autre de la fièvre tierce. Si celui qui souffre de la fièvre quarte recommandait à celui qui a la fièvre tierce, l’eau, les poires et des potions rafraîchissantes, tandis qu’il s’en abstient lui-même et ne prend que du vin et des boissons excitantes, parce qu’elles conviennent mieux à son mal, celui-ci pourrait-il le blâmer et aurait-il raison de lui dire : Pourquoi ne buvez-vous pas vous-même de l’eau, puisque vous trouvez que c’est un si bon remède pour moi ? Il aurait tort, et le premier ne manquerait pas de lui répondre : J’ai raison de vous la recommander, et je fais bien de mon côté de n’en pas boire.

8. Me demandera-t-on enfin, pourquoi je ne suis pas de tous les ordres religieux, puisque je les loue tous ? je répondrai : Je les loue et les aime tous, pourvu qu’ils vivent en piété et en justice dans l’Église, en quelque lieu du monde qu’ils se trouvent, et si je n’en embrasse qu’un seul dans la pratique, je les embrasse tous par la charité qui me procurera, je le dis avec confiance, le fruit des observances mêmes que je ne pratique pas ; bien plus, si vous ne faites attention à vous, il peut arriver que vous suiviez en pure perte les observances que Par la charité nous participons aux bonnes œuvres des autres. vous avez embrassées dans la pratique, tandis qu’il est absolument impossible que j’embrasse en vain, par la charité, le bien que vous faites. Quelle confiance donne la charité ! L’un pratique sans charité et l’autre a la charité sans les pratiques ; le premier perd ses peines, mais ce n’est point en vain que le Il y a différentes voies pour arriver à la perfection. second a la charité. Faut-il donc s’étonner si, dans ce lieu d’exil, tant que l’Église n’est point encore arrivée à la céleste patrie, il y ait en même temps, dans son sein, unité et multiplicité réunies si je puis parler de la sorte, quand on sait que dans la céleste patrie, alors même qu’elle triomphera, on retrouvera encore, en elle, des sortes de différences et d’inégalités ? car il est dit : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père (Joan., xiv, 2). » Eh bien ! de même que là haut il se trouve plusieurs demeures dans la même habitation, ainsi ici-bas il y a plusieurs ordres religieux dans l’Église qui n’en est pas moins une, de sorte que si, dans l’une, « il y a diversité de grâce et un seul esprit (I Corinth., xii, 4), » dans l’autre il y a différents degrés de gloire et une seule et même demeure. Or, ce qui fait l’unité tant ici-bas que là-haut, c’est la charité, et la diversité tient, sur la terre, à la différence des ordres et à la répartition des œuvres, et, dans le ciel, à la seule différence des mérites et à leur classification parfaitement ordonnée. Aussi, l’Église qui comprend cette sorte de contradiction dans son sein, s’écrie-t-elle avec le Psalmiste : « Il m’a conduite par les sentiers de la justice, pour la gloire de son nom (Psalm. xxii, 3), » parlant « des sentiers » au pluriel et de « la justice » au singulier, pour ne point exclure la diversité des opérations sans nier l’unité de ceux qui opèrent. Mais en même