Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/605

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ciel il a précipité les superbes et au fond des enfers il a dépouillé l’avare. Il était donc convenable qu’il disposât tout avec douceur, dans le ciel et sur la terre, d’une part en précipitant l’esprit inquiet pour affermir les autres dans la paix et de l’autre en commençant par nous laisser un exemple bien nécessaire de douceur et d’humilité, pour terrasser ici-bas l’esprit envieux, et qu’il devînt ainsi en même temps par un admirable arrangement de la sagesse aussi doux pour les siens que fort contre ses ennemis. En effet, à quoi aurait-il servi que le diable fût vaincu de Dieu, si nous étions restés orgueilleux ? Il était donc nécessaire que Marie fut fiancée à Joseph, puisque c’était le moyen de soustraire aux chiens un saint mystère, de faire constater par son propre époux la virginité de Marie, et de ménager en même temps la pudeur et la réputation de la Vierge. Est-il rien de plus sage, rien de plus digne de la divine providence ? Par ce moyen, les secrets desseins de Dieu ont un témoin, se trouvent soustraits à la reconnaissance de l’ennemi, et l’honneur de la Vierge mère est conservé sans tache. Autrement Joseph aurait-il été juste en épargnant l’adultère ? Or il est écrit : « Joseph son mari, étant un homme juste et ne voulant pas la déshonorer en la traduisant en justice, résolut de la renvoyer en secret (Matth., i, 19). » Ainsi, c’est parce qu’il était juste qu’il ne voulut point la traîner en justice ; mais de même qu’il n’eût point été juste, si, connaissant la faute de Marie il l’avait dissimulée, ainsi il n’est point juste non plus, si, connaissant son innocence, il l’eût néanmoins condamnée. Comme il était juste et qu’il ne voulait point la traduire devant les juges, il résolut de la renvoyer en secret.

14. Mais, pourquoi voulut-il la renvoyer ? Écoutez Pourquoi Joseph voulut renvoyer Marie. sur ce point, non pas ma propre pensée, mais la pensée des Pères. Si Joseph voulut renvoyer Marie, c’était dans le même sentiment qui faisait dire à saint Pierre, quand il repoussait le Seigneur loin de lui : « Éloignez-vous de moi car je suis un pécheur (Luc, v, 8), » et au centurion, quand il dissuadait le Sauveur de venir chez lui : « Seigneur je ne suis pas digne que vous veniez dans ma maison (Matth., viii, 8). « C’est donc dans cette pensée que Joseph aussi, se jugeant indigne et pécheur, se disait à lui-même, qu’il ne devait pas vivre plus longtemps dans la familiarité d’une femme si parfaite et si sainte, dont l’admirable grandeur le dépassait tellement et lui inspirait de l’effroi. Il voyait avec une sorte de stupeur à des marques certaines qu’elle était grosse de la présence d’un Dieu, et, comme il ne pouvait pénétrer ce mystère, il avait formé le dessein de la renvoyer. La grandeur de la puissance de Jésus inspirait une sorte d’effroi à Pierre, comme la pensée de sa présence majestueuse déconcertait le centurion ; ainsi Pourquoi voulut-il la renvoyer secrètement. Joseph, n’étant que simple mortel, se sentait également déconcerté par la nouveauté d’une si grande merveille et par la profondeur d’un pareil mystère ; voilà pourquoi il songea à renvoyer secrètement Marie. Faut-il vous étonner que Joseph se soit trouvé indigne de la société de la Vierge devenue grosse, quand on sait que sainte Élisabeth ne put supporter sa présence sans une sorte de crainte mêlée de respect ? En effet, « d’où me vient, s’écria-t-elle, ce bonheur, que la mère de mon Seigneur vienne à moi (Luc, i, 43) ? » Voilà donc pourquoi Joseph voulait la renvoyer. Mais pourquoi avait-il l’intention de le faire en secret, non point ouver-