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CHAPITRE CXXI.

La gravure en estampes, inventée à Florence au milieu du XVe siècle, était un art tout nouveau qui était alors dans sa perfection. Les Allemands jouissaient de la gloire d’avoir inventé l’imprimerie, à peu près dans le temps que la gravure fut connue ; et, par ce seul service, ils multiplièrent les connaissances humaines. Il n’est pas vrai, comme le disent les auteurs anglais de l’Histoire universelle, que Fauste fut condamné au feu par le parlement de Paris comme sorcier ; mais il est vrai que ses facteurs, qui vinrent vendre à Paris les premiers livres imprimés, furent accusés de magie ; cette accusation n’eut aucune suite. C’est seulement une triste preuve de la grossière ignorance dans laquelle on était plongé, et que l’art même de l’imprimerie ne put dissiper de longtemps. (1474) Le parlement fit saisir tous les livres qu’un des facteurs de Mayence avait apportés : c’est ce que nous avons vu à l’article de Louis XI[1].

Il n’eût pas fait cette démarche dans un temps plus éclairé ; mais tel est le sort des compagnies les plus sages qui n’ont d’autres règles que leurs anciens usages et leurs formalités : tout ce qui est nouveau les effarouche. Ils s’opposent à tous les arts naissants, à toutes les vérités contraires aux erreurs de leur enfance, à tout ce qui n’est pas dans l’ancien goût et dans l’ancienne forme. C’est par cet esprit que ce même parlement a résisté si longtemps à la réforme du calendrier, qu’il a défendu d’enseigner d’autre doctrine que celle d’Aristote, qu’il a proscrit l’émétique, qu’il a fallu plusieurs lettres de jussion pour lui faire enregistrer les lettres de pairie d’un Montmorency, qu’il s’est refusé quelque temps à l’établissement de l’Académie française, et qu’il s’est enfin opposé de nos jours à l’inoculation de la petite vérole et au débit de l’Encyclopédie[2].

Comme aucun membre d’une compagnie ne répond des délibérations du corps, les avis les moins raisonnables passent quelquefois sans contradiction : c’est pourquoi le duc de Sully dit dans ses Mémoires que « si la sagesse descendait sur la terre, elle aimerait mieux se loger dans une seule tête que dans celles d’une compagnie ».

Louis XI, qui ne pouvait être méchant quand il ne s’agissait

  1. Voltaire ne dit pas tout à fait cela dans le chapitre xciv ; mais il le dit dans l’Histoire du parlement, à la fin du chapitre xi.
  2. Sur l’arrêt concernant l’inoculation, voyez, dans les Mélanges, année 1763, l’opuscule intitulé Omer de Fleury ; sur l’arrêt concernant l’Encyclopédie, du 6 février 1759, voyez une des notes sur le premier des Dialogues chrétiens (Mélanges, année 1760). (B.)