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DE LA CHINE.

chinois[1] à l’autre bout du monde ; c’est assurément le dernier excès de nos folies et de nos contradictions pédantesques. Tantôt on prétendait dans une de nos facultés que les tribunaux ou parlements de la Chine étaient idolâtres, tantôt qu’ils ne reconnaissaient point de Divinité ; et ces raisonneurs poussaient quelquefois leur fureur de raisonner jusqu’à soutenir que les Chinois étaient à la fois athées et idolâtres.

Au mois d’octobre 1700, la Sorbonne déclara hérétiques toutes les propositions qui soutenaient que l’empereur et les colaos[2] croyaient en Dieu. On faisait de gros livres dans lesquels on démontrait, selon la façon théologique de démontrer, que les Chinois n’adoraient que le ciel matériel.

Nil præter nubes et cœli numen adorant[3].

Mais s’ils adoraient ce ciel matériel, c’était donc là leur dieu. Ils ressemblaient aux Perses, qu’on dit avoir adoré le soleil ; ils ressemblaient aux anciens Arabes, qui adoraient les étoiles ; ils n’étaient donc ni fabricateurs d’idoles, ni athées. Mais un docteur n’y regarde pas de si près, quand il s’agit dans son tripot de déclarer une proposition hérétique et malsonnante.

Ces pauvres gens, qui faisaient tant de fracas en 1700 sur le ciel matériel des Chinois, ne savaient pas qu’en 1689 les Chinois, ayant fait la paix avec les Russes à Niptchou, qui est la limite des deux empires, ils érigèrent la même année, le 8 septembre, un monument de marbre sur lequel on grava en langue chinoise et en latin ces paroles mémorables :

« Si quelqu’un a jamais la pensée de rallumer le feu de la guerre, nous prions le Seigneur souverain de toutes choses, qui connaît les cœurs, de punir ces perfides, etc.[4] »

Il suffisait de savoir un peu de l’histoire moderne pour mettre

  1. Voyez dans le Siècle de Louis XIV, chapitre xxxix (tome XV, page 76) ; dans l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, chapitre ii (tome XI, page 176), et ailleurs. (Note de Voltaire.) — Voltaire en avait déjà parlé : voyez tome XI, page 57 ; et dans les Mélanges, année 1763, la sixième des Remarques sur l’Essai ; année 1769, le chapitre iv de Dieu et les Hommes... Il en a parlé depuis dans une note de son Épître au roi de la Chine, dans l’article xxii de ses Fragments sur l’Inde (Mélanges, année 1773), et dans la troisième de ses Lettres chinoises, etc. (Mélanges, année 1776).
  2. Voltaire a donné l’explication de ce mot, tome XI, page 176.
  3. Juvénal, xiv, 37.
  4. Voyez l’Histoire de la Russie sous Pierre Ier, écrite sur les Mémoires envoyés par l’impératrice Élisabeth. (Note de Voltaire.) — C’est au chapitre vii de la première partie (tome XVI).