Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/317

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que vvous m’avez données. Je vous ai déjà dit, je crois, du moins j’ai dû vous dire[1] que vous êtes, pour les arts de l’esprit et de l’agrément, ce que Pierre le Grand a été pour la police de son empire : la différence sera que vous voyagerez chez les nations étrangères avec plus de connaissance et de goût que vous n’en trouverez peut-être dans la plupart des pays que vous verrez. Je me flatte, monsieur, que vous aurez la bonté de m’informer du temps de votre départ. Vous passerez sans doute par l’Allemagne et par Genève pour aller en France : vous verrez tantôt des cours brillantes, et tantôt des ermitages rustiques. Je suis dans le dernier cas : vous ne verrez en moi qu’un philosophe champêtre ; vous passerez de la magnificence à la simplicité, mais songez que c’est dans cette simplicité champêtre que se trouvent la vérité et l’effusion du cœur. La vanité vous donnera ailleurs des fêtes ; mais la cordialité vous fera les honneurs de Ferney et des Délices. Si vous venez en hiver, vous trouverez autant de neige que chez vous : si vous venez au printemps, vous trouverez des fleurs.

Comme je suis précisément entre la France et l’Allemagne, je me flatte d’avoir l’honneur de vous voir à votre passage et à votre retour. Ce seront deux époques bien agréables dans ma vie. Cette espérance adoucit tous les maux auxquels la nature m’a livré ; je les souffre patiemment, et je vous désire ardemment. Votre Excellence doit être bien persuadée des sentiments tendres et respectueux de votre, etc.


5110. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 23 décembre.

Je ne peux rien ajouter, mes favorables anges, à tout ce que je vous ai dit sur le futur[2], sinon que je suis content de lui de plus en plus. Les bons caractères sont, dit-on, comme les bons ouvrages : on en est moins frappé d’abord qu’on ne les goûte à la longue ; mais comme il n’a rien, et que de longtemps il n’aura rien, il est difficile de le marier sans la protection de M. le duc de Praslin, et c’est sur quoi nous attendons vos ordres.

En attendant, il faut que je vous parle de Mlle  d’Épinay ou de

  1. Dans ses lettres 4654, 4941 et 5048, Voltaire appelle Schouvalow le Mécène de la Russie.
  2. Voyez lettres 5105 et 5106.