Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sait que nous sommes ses plus anciens malades, et, parmi les étrangers, ses plus anciens amis.

Personne ne s’intéressera jamais plus que nous à sa gloire, à son bonheur. L’idée de tous les avantages dont il va jouir[1] peut seule nous dédommager de sa perte.


6136. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
16 octobre.

J’ai vu, madame, votre Écossais[2], qui aurait droit d’être fier comme un Écossais, si on pouvait être fier en proportion de ses connaissances et de son mérite. Il m’a dit que, malgré la mélancolie dont vous me parlez, vous conservez une imagination charmante dans la société. Il n’y a point de dédommagement pour les deux yeux, mais il y a de grandes consolations. Voici bientôt le temps où je vais perdre la vue ; mes détestables fluxions me reprennent dans l’automne et l’hiver ; je suis précisément comme Pollux, qui ne voyait le jour que six mois de l’année.

Nous avons beaucoup parlé de vous et de M. le président Hénault. Vous savez bien que je m’intéresserai tendrement à l’un et à l’autre jusqu’au dernier moment de ma vie. Il me manda, par sa dernière lettre, que tout doit finir. Rien n’est plus vrai : tous les êtres animés ne sont nés qu’à cette condition ; mais il faut bien se souvenir que Cicéron, qui était premier président du parlement de Rome, dit souvent dans ses lettres, et quelquefois même au sénat romain, que la mort n’est que la fin des douleurs. César, qui a conquis et gouverné votre pays des Welches, pensait de même, et ces deux messieurs valaient bien le Père Elisée[3].

En attendant, il faut s’amuser. Mme de Florian, ma nièce, vous fera tenir, avec cette lettre, quelques feuilles imprimées[4] que j’ai trouvées chez un curieux. Il y a une lettre sur Mlle de Lenclos, écrite à un ministre huguenot, qui pourra vous égayer quelques minutes. Il y a quelques chapitres métaphysiques qui pourront

  1. À Paris, comme médecin du duc d’Orléans.
  2. James Mac-Donald ; voyez une note sur la lettre 5967.
  3. Jean-François Copel, connu sous le nom du Père Élisée, était un carme qui prêcha avec quelque succès. Ses sermons sont imprimés. Né à Besançon en 1726, il mourut à Pontarlier en 1783.
  4. C’était le tome III des Nouveaux Mélanges, contenant le morceau Sur mademoiselle de Lenclos, qui est au tome XXIII, page 507.