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CORRESPONDANCE.

ne jamais écorcher ; ou du moins il faut écorcher avec gaieté, et donner le knout en riant à ceux qui le méritent. J’en dis autant du ministre ou ex-ministre La Beaumelle que de l’évêque Warburton. Le premier est un va-nu-pieds, le second est un pédant ; mais ni l’un ni l’autre ne sont dignes de votre colère. Vous êtes si persuadé, mon cher philosophe, qu’il faut rire de tout, et vous savez si bien rire quand vous voulez ; que ne riez-vous donc toujours, puisque Dieu vous a fait la grâce de le pouvoir ? Pour moi, dans ce moment, je n’en ai guère envie : on ne nous paye point nos pensions ; et, à la longue, cela ne peut produire tout au plus que le rire sardonique, qui est la grimace de ceux qui meurent de faim.

J’ai envoyé à Marmontel votre petit billet[1], qui sûrement lui fera plaisir. La censure de la Sortonne se fait toujours attendre ; ce sera sans doute un bel ouvrage. À propos, je trouve que le neveu de l’abbé Bazin ne l’a pas suffisamment vengé ; il dit presque autant de mal du capitaine Bélisaire que des censeurs du roman. Je lui recommande, encore une fois, les Coger, Riballier, et compagnie ; et je le prie de leur donner si bien les étrivières qu’il n’y ait plus à y revenir ; cette canaille a grand besoin qu’on lui rogne les ongles. Je voudrais que vous vissiez les deux ou trois phrases qu’ils ont retranchées dans le discours de M. de La Harpe. Par exemple, en parlant de l’autorité du clergé, qu’il faut, dit l’auteur, renfermer dans de justes bornes, ils ont mis dans ses justes bornes. Au lieu du mot juger le clergé, ils ont mis réprimer ses excès ; ils ont retranché principes cruels, et la phrase suivante : Porterez-vous encore longtemps le fardeau des vieilles erreurs ? Je voulais rétablir ces phrases à l’impression ; mais la plupart de nos confrères ont cru plus prudent de n’en rien faire, pour ne pas compromettre l’Académie. Avec cette prudence-là, on recevrait, sans mot dire, cent coups de bâton. Adieu, mon cher maître ; portez-vous bien, et surtout riez.

6964. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[2].
À Ferney, 5 auguste 1767.

Madame, je crois devoir envoyer à Votre Altesse sérénissime le mémoire authentique ci-joint. Elle verra qu’il s’y agit des matières les plus graves, et non pas de vaines disputes littéraires. Elle plaindra peut-être un vieillard de soixante-quatorze ans, obligé de repousser les calomnies d’un homme tel que La Beaumelle. Je la supplie aussi de se faire représenter la lettre que j’écris à M. Rousseau, conseiller de sa cour. Je me recommande aux bontés de la grande maîtresse des cœurs[3], et j’attends tout de l’équité et de la protection de l’auguste princesse à qui je suis

  1. Voyez lettre 6924.
  2. Éditeurs, Bavoux et François.
  3. Mme de Buchwald.