Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
482
CORRESPONDANCE.

Si on me refuse l’aumône, je n’aurai pas du moins à me reprocher de ne l’avoir pas demandée.

Je m’étais figuré que mon héros habiterait uniquement Versailles ; mais je vois qu’il veut encore jouir de son beau palais de Paris, où probablement j’aurai le malheur de ne lui faire jamais ma cour.

J’ai pris la liberté de recommander à Mme la duchesse d’Aiguillon[1] une dame de qualité de Franche-Comté, Mme la comtesse de Beaufort ; et cette liberté, qui serait ridicule dans d’autres circonstances, porte son excuse dans l’étonnante aventure dont cette dame est la victime. Un coquin de prêtre, d’ailleurs très-scandaleux, et mort de ses débauches et d’une fièvre maligne, a déclaré, en mourant, que M. le comte de Beaufort l’avait assassiné.

M. de Beaufort[2], ancien officier, père de six enfants, et reconnu pour un des plus honnêtes gentilshommes de la province, a été décrété de prise de corps, et sa femme d’ajournement personnel. Les prêtres se sont ameutés, ils ont ameuté le peuple ; M. de Beaufort a été obligé de s’enfuir pour laisser passer le torrent. Il ne demande qu’un sauf-conduit d’un mois, pour avoir le temps de préparer ses défenses. J’ignore si on peut obtenir cela de monsieur le chancelier. Si vous pouviez protéger Mme de Beaufort dans cette cruelle affaire, vous feriez une action digne de vous.

Cela ressemble à l’aventure de ce La Frenaie[3] qui se tua chez Mme de Tencin, pour lui faire pièce. Ma destinée est de prendre le parti des opprimés. Je plaide actuellement au conseil du roi pour douze mille hommes bien faits, que vingt chanoines prétendent être leurs esclaves, et que je soutiens n’appartenir qu’au roi. Ces petites affaires-là tiennent la vieillesse en haleine, et repoussent l’ennui, qui cherche toujours à s’emparer des derniers jours d’un pauvre homme.

Je ne renonce d’ailleurs ni aux vers ni à la prose ; et, si vous étiez premier gentilhomme d’année, je vous importunerais, moi tout seul, plus que quatre jeunes gens. Je suis pourtant aveugle, non pas comme Mme du Deffant, mais il s’en faut très-peu. Mme de Boisgelin[4], qui m’a vu dans cet état, m’a recommandé,

  1. La lettre à cette dame manque.
  2. Voyez lettre 8351.
  3. Dont il est question dans la lettre 6940, tome XLV, page 316.
  4. À qui est adressée la lettre 8278.