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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/336

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CORRESPONDANCE.

juger de la peine extrême que j’en ai ressentie. Il faut peu de chose pour accabler un malade : et souvent qui a résisté à cinquante accès de fièvre consécutifs ne résiste pas à un chagrin.

Pendant ma maladie, il m’est arrivé des revers bien funestes dans ma fortune, et j’ai craint de mourir sans pouvoir remplir mes engagements avec ma famille. La vie et la mort des hommes sont souvent bien malheureuses ; mais l’amitié que vous avez pour moi, depuis plus de soixante ans, rend la fin de ma carrière moins affreuse.

Pardonnez les expressions que la douleur m’arrache ; elles sont bien excusables dans un vieillard octogénaire qui sort de la mort pour se voir enseveli sous quatre pieds de neige, et pour être, comme il est d’usage, abandonné de tout le monde. J’espère que je ne le serai pas par vous, que je ne mourrai pas de chagrin, n’étant pas mort de cinquante accès de fièvre, et que je reprendrai ma gaieté pour les minutes que j’ai à ramper sur ce misérable globule.

8788. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 19 mars.

Sire, votre lettre du 29 février[1], qui est apparemment datée selon votre ancien style hérétique, ne m’en est pas moins précieuse. Votre style n’en est pas moins charmant : les choses les plus agréables et les plus philosophiques naissent sous votre plume. Il vous est aussi aisé d’écrire des choses dignes de la postérité qu’il l’est aux rois du Midi d’écrire : « Dieu vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde ; et vous, monsieur le président, en sa sainte garde. »

J’ai été sur le point de ne répondre à Votre Majesté que des champs Élysées ; c’est après cinquante accès de fièvre, accompagnés de deux ou trois maladies mortelles, que j’ai l’honneur de vous écrire ce peu de lignes.

Je ne sais si je me trompe, mais j’ai bien peur que le renouvellement de la guerre entre la Porte de Moustapha et la Porte de Catherine II n’entraîne des suites fatales. Votre Majesté est toujours préparée à tout événement, et, quelque chose qui arrive, elle fera de jolis vers et gagnera des batailles.

  1. No 8778.