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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/550

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9021. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
6 janvier.

Mon cher ami, j’ai déjà répondu à votre avant-dernière lettre, et j’ai adressé la mienne à Pézénas : peut-être ai-je mal fait ; mais vous avez sans doute donné ordre qu’on vous renvoyât à Montpellier toutes vos lettres.

Je réponds aujourd’hui, autant que je le peux, à votre lettre du 31 de décembre. Je dis autant que je le peux, car je suis très-malade. J’ai chez moi, depuis quelques jours, M. d’Hermenches[1], qui a amené avec lui mademoiselle sa fille, et une autre demoiselle qui est aussi sa fille d’une autre façon que celle qui est autorisée dans nos pays occidentaux. Mon état m’empêche de les voir, mais il ne m’empêche pas de vous écrire. Je surmonte pour vous tous mes maux.

Vous ne savez pas encore l’aventure de deux jeunes dragons[2] qui, ayant fait de sérieuses réflexions sur les malheurs de cette vie, se sont tués chacun d’un coup de pistolet, le jour de Noël, dans un cabaret, à Saint-Denis, après avoir soupé amicalement ensemble, et après avoir signé un beau mémoire très-philosophique, contenant les raisons qu’ils ont eues de disposer de leur personne étant encore mineurs. On a envoyé leur mémoire au roi. Je ne les imiterai pas, quoique je sois plus en droit qu’eux de finir ma vie, qui m’est à charge depuis fort longtemps. Je trouve plus honnête de savoir souffrir.

Je vous ai dit ce que je pensais sur le médecin des urines et sur ses maudites fioles rouges. Il est absurde qu’on sache ce qu’un cuisinier nous sert à souper, et qu’on ne sache pas ce qu’un prétendu médecin nous sert quand nous sommes malades. Cet excès d’impertinence et d’insolence allemande n’est pas tolérable, et je n’y pense point sans être en colère.

M. Lamure[3] est un homme très-sage et très-savant, et plus capable que personne de vous donner de bons conseils. J’espère qu’il nous renverra notre cher serin[4] au mois d’avril. J’espère

  1. À qui est adressée la lettre 8639, page 181.
  2. Les Mémoires secrets, à la date du 28 décembre 1773, disent qu’un seul était dragon au régiment de Belzunce, et s’appelait Bourdeaux l’autre était un tambour-major, et s’appelait Humain. Le testament est dans la Correspondance de Grimm, janvier 1774.
  3. Médecin à Montpellier, né en 1717, mort en 1787.
  4. Mme de Florian, née de Normandie.