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— Que dites-vous là ! Je suis bien sûr…
— Que dites-vous là ! Je suis bien sûr…


— Ne finissez pas votre phrase, puisque je vous dis que j’ai souscrit dès le début. La question d’Orient a été exploitée par les Slavophiles. Quelques-uns ont trouvé le moyen de faire leurs petites affaires de ce côté là, de trouver des carrière, de faire leur réputation. Voyez ce qui s’est passé en Herzégovine. Je ne dis rien contre cela : l’excès d’amour est en lui-même une chose excellente, mais on a été trop loin. Enfin, il y a eu du sang russe de versé : c’est chose grave, nous voici forcément engagés dans la lutte.
— Ne finissez pas votre phrase, puisque je vous dis que j’ai souscrit dès le début. La question d’Orient a été exploitée par les Slavophiles. Quelques-uns ont trouvé le moyen de faire leurs petites affaires de ce côté-là, de trouver des carrières, de faire leur réputation. Voyez ce qui s’est passé en Herzégovine. Je ne dis rien contre cela : l’excès d’amour est en lui-même une chose excellente, mais on a été trop loin. Enfin, il y a eu du sang russe de versé : c’est chose grave, nous voici forcément engagés dans la lutte.


— Vous aviez cru avant cela que nous pourrions abandonner nos frères ?
— Vous aviez cru avant cela que nous pourrions abandonner nos frères ?


— Oui, pécheur que je suis, je l’avais cru : à Belgrade, lors de l’entrée des Turcs sur le territoire serbe, on a crié :« À bas Tchernaïev ! » Quelques-uns, il est vrai, affirment que c’est faux, que les Serbes adorent la Russie et attendent tout de Tchernaïev. Moi, je crois aux renseignements des uns et des autres. Il y a eu des cris des deux paroisses, c’est certain. Mais je me suis imaginé que ce désaccord même refroidirait la Russie. Il n’en a été rien. Le peuple russe a parlé en faveur de ses frères d’Orient et il n’a été question d’aucune annexion : il ne s’est agi que de « l’œuvre orthodoxe », et nos Russes n’ont refusé ni leurs sous ni leurs têtes. Remarquez cette formule « l’œuvre orthodoxe ». Elle a son importance ; elle semble devoir engager notre avenir. On ne peut en vouloir à l’Europe de croire que nous faisons une affaire d’accaparement de territoires ; elle, elle accepterait. Mais voici que nous allons entrer en collision avec l’Europe, la Russie est inintelligible ; les malentendus vont se multiplier. Enfin, le résultat de toutes ces complications est que nous trouvons en Orient de véritables frères, toute rhétorique mise à part. Ce n’est pas le comité slavophile, c’est le peuple, c’est la terre qui à parlé. Je ne l’aurais jamais pensé. — Oui, j’ai lu ce dont vous me parliez au sujet de cette malheureuse mère bulgare. Mais une autre mère s’est fait connaître : la Mère Russie qui vient d’adopter de nouveaux enfants. Et retenez bien ceci : il faut qu’elle reste la mère, rien que
— Oui, pécheur que je suis, je l’avais cru : à Belgrade, lors de l’entrée des Turcs sur le territoire serbe, on a crié :« À bas Tchernaïev ! » Quelques-uns, il est vrai, affirment que c’est faux, que les Serbes adorent la Russie et attendent tout de Tchernaïev. Moi, je crois aux renseignements des uns et des autres. Il y a eu des cris des deux paroisses, c’est certain. Mais je me suis imaginé que ce désaccord même refroidirait la Russie. Il n’en a été rien. Le peuple russe a parlé en faveur de ses frères d’Orient et il n’a été question d’aucune annexion : il ne s’est agi que de « l’œuvre orthodoxe », et nos Russes n’ont refusé ni leurs sous ni leurs têtes. Remarquez cette formule « l’œuvre orthodoxe ». Elle a son importance ; elle semble devoir engager notre avenir. On ne peut pas en vouloir à l’Europe de croire que nous faisons une affaire d’accaparement de territoires ; elle, elle accaparerait. Mais voici que nous allons entrer en collision avec l’Europe : pour l’Europe, la Russie est inintelligible ; les malentendus vont se multiplier. Enfin, le résultat de toutes ces complications est que nous trouvons en Orient de véritables frères, toute rhétorique mise à part. Ce n’est pas le comité slavophile, c’est le peuple, c’est la terre qui a parlé. Je ne l’aurais jamais pensé. — Oui, j’ai lu ce dont vous me parliez au sujet de cette malheureuse mère bulgare. Mais une autre mère s’est fait connaître : la Mère Russie qui vient d’adopter de nouveaux enfants. Et retenez bien ceci : il faut qu’elle reste la mère, rien que
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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


— Que dites-vous là ! Je suis bien sûr…

— Ne finissez pas votre phrase, puisque je vous dis que j’ai souscrit dès le début. La question d’Orient a été exploitée par les Slavophiles. Quelques-uns ont trouvé le moyen de faire leurs petites affaires de ce côté-là, de trouver des carrières, de faire leur réputation. Voyez ce qui s’est passé en Herzégovine. Je ne dis rien contre cela : l’excès d’amour est en lui-même une chose excellente, mais on a été trop loin. Enfin, il y a eu du sang russe de versé : c’est chose grave, nous voici forcément engagés dans la lutte.

— Vous aviez cru avant cela que nous pourrions abandonner nos frères ?

— Oui, pécheur que je suis, je l’avais cru : à Belgrade, lors de l’entrée des Turcs sur le territoire serbe, on a crié :« À bas Tchernaïev ! » Quelques-uns, il est vrai, affirment que c’est faux, que les Serbes adorent la Russie et attendent tout de Tchernaïev. Moi, je crois aux renseignements des uns et des autres. Il y a eu des cris des deux paroisses, c’est certain. Mais je me suis imaginé que ce désaccord même refroidirait la Russie. Il n’en a été rien. Le peuple russe a parlé en faveur de ses frères d’Orient et il n’a été question d’aucune annexion : il ne s’est agi que de « l’œuvre orthodoxe », et nos Russes n’ont refusé ni leurs sous ni leurs têtes. Remarquez cette formule « l’œuvre orthodoxe ». Elle a son importance ; elle semble devoir engager notre avenir. On ne peut pas en vouloir à l’Europe de croire que nous faisons une affaire d’accaparement de territoires ; elle, elle accaparerait. Mais voici que nous allons entrer en collision avec l’Europe : pour l’Europe, la Russie est inintelligible ; les malentendus vont se multiplier. Enfin, le résultat de toutes ces complications est que nous trouvons en Orient de véritables frères, toute rhétorique mise à part. Ce n’est pas le comité slavophile, c’est le peuple, c’est la terre qui a parlé. Je ne l’aurais jamais pensé. — Oui, j’ai lu ce dont vous me parliez au sujet de cette malheureuse mère bulgare. Mais une autre mère s’est fait connaître : la Mère Russie qui vient d’adopter de nouveaux enfants. Et retenez bien ceci : il faut qu’elle reste la mère, rien que

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