Cours d’agriculture (Rozier)/ULCÈRE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 511-523).


ULCÈRE. Médecine rurale. Solution de continuité dans les parties molles, dont l’humeur qui en découle, & les bords, ont une altération contraire & opposée à l’établissement d’une bonne cicatrice. Il diffère de la plaie & de la contusion, en ce qu’elles reconnoissent une cause externe, au lieu que l’ulcère vient presque toujours d’une cause interne.

L’ulcère est quelquefois borné à la peau ; quelquefois aussi il attaque le corps graisseux, les glandes & les muscles. On le distingue encore, 1°. à raison de sa grandeur, en grand, en petit, en profond & en superficiel ; quand il est profond, mais étroit sur-tout à son ouverture, il est appelé sinus ou fistule. 2°. Par sa durée, en récent ou invétéré. 3°. Par ses symptômes ou ses accidens, en doux & malin ; c’est-à dire, accompagné de douleurs plus ou moins vives, & souvent extraordinairement aiguës, puant, sordide, ichoreux, rongeant, calleux, cancéreux, fistuleux ou vermineux. 4°. Enfin, par sa cause, il peut être vénérien, cancéreux, pestilentiel.

L’ulcère ne vient pas seulement de l’âcreté des humeurs, mais en général de tout ce qui peut procurer la stagnation du sang & sa corruption. Aussi le voit-on le plus souvent succéder aux tumeurs, aux inflammations, aux plaies, aux contusions, aux fractures, aux luxations, au squirre, au cancer & à la carie.

L’ulcère récent & bénin guérit fort aisément, sur-tout si celui qui en est atteint est jeune & bien portant ; mais plus il est invétéré & accompagné d’accidens graves & fâcheux, plus la cure en est difficile. De-là vient qu’on a tant de peine à guérir celui qui est extrêmement fétide ou qui flue abondamment, tel que l’ulcère calleux, fistuleux, cancéreux ou compliqué de carie, & que ce n’est que par des soins bien entendus, & des moyens les plus efficaces qu’on en vient à bout.

Remédier 1°. à l’état dominant de la fluxion inflammatoire ; 2°. aux vices locaux des bords de l’ulcère ; 3°. à l’altération des humeurs locales, sont les indications que l’on doit avoir en vue dans le traitement de l’ulcère.

La fluxion est un élément constitutif de l’ulcère ; elle est entretenue par tout ce qui altère la constitution, comme le changement de régime, l’exercice, &c. On ne doit en arrêter l’issue qu’avec beaucoup de précaution.

Cloptonssavers & autres, ont vu des ulcères naturels ou artificiels qu’on avoit fermé trop tôt, avoir des suites pernicieuses, parce que la nature, habituée à cette fluxion, se déterminoit à la reproduire sur quelque organe interne. J’ai vu un de mes bons amis, étudiant en médecine, périr de phthisie, pour avoir eu l’imprudence de faire fermer trop tôt un cautère qu’il s’étoit lui-même ouvert.

Le repos suffit quelquefois pour guérir des ulcères invétérés, sur-tout chez les personnes fortes, vigoureuses & accoutumées à la fatigue.

La distribution des forces qu’on leur procure, en les condamnant au repos, fait un changement avantageux de l’irritation primitive qui affectoit le principe vital.

Je ne saurois assez recommander la méthode révulsive & excellente (quoique singulière) que Sthal employa sur des personnes attaquées d’ulcères opiniâtres. Il leur donnoit par jour deux grains de vitriol de cuivre, qui leur occasionnoit un crachotement habituel. Il parvenoit souvent, par ce moyen, à les guérir.

S’il y a apostème ou dépôt inflammatoire, on doit s’abstenir des détersifs & des dessicatifs, pour ne se servir que des suppuratifs, pour hâter la fonte de ces apostèmes ; & quoiqu’ils rendent l’ulcère plus sordide, ils n’en sont pas moins efficaces.

Sanctorius rapporte l’observation d’un homme qu’un charlatan avoit traité par des topiques saturnins. Ces topiques sembloient tantôt réussir, & tantôt augmenter la maladie ; mais voyant que la fluxion inflammatoire étoit dominante, & que la sordidité de l’ulcère lui étoit subordonnée, dans cette vue il fit faire usage des émolliens, & guérit.

Les vices locaux qui s’opposent à la cicatrice de l’ulcère, se rapportent, 1°. aux excès de sécheresse sensible ; 2°. aux excès d’humidité ; 3°. à ceux de callosité ou de dureté ; 4°. enfin aux excès de relâchement dans l’ulcère.

L’excès de sécheresse peut dépendre, 1°. d’une compression trop forte qu’on fera sur l’endroit ulcéré, pu d’un pansement trop répété ; 2°. d’une atrophie ou manque de nourriture générale dans toute la constitution ; 3°. d’un épuisement nerveux, comme fatigue d’esprit, veilles, plaisirs amoureux. C’est alors que les toniques, tels que le quina, le lait & autres analeptiques doivent être employés ; on est en droit d’en attendre des bons effets.

L’excès d’humidité dans l’ulcère, peut être corrigé par une diète convenable, par des topiques desséchans & absorbans, tels que l’eau de chaux, par un pansement fréquent qui est d’autant plus utile, qu’il l’est beaucoup moins dans l’état de sécheresse dominant. Les évacuans révulsifs, tels que les diurétiques, les diaphorétiques, & même les purgatifs, dont on doit toujours régler & mesurer l’usage sur la constitution du malade ; par exemple, la chair & les bouillons de vipère seroient très-avantageux, s’il avoit sur-tout précédé une suppression de quelque maladie cutanée.

Quand les bords de l’ulcère sont trop durs, on doit les emporter par le fer ou par les caustiques, afin de les rappeler à l’état d’humidité naturelle aux plaies récentes, par une suppuration qu’on y procure, & de rendre la cicatrice plus parfaite. Si les bords sont très-douloureux, on doit préférer le fer aux caustiques, pour empêcher qu’ils ne dégénèrent en ulcères carcinomateux. La pierre infernale vaut plus que tous les autres caustiques, parce qu’elle fait un escarre plus utile. M. Barri bride, à plusieurs reprises, avec la pierre à cautère, & neutralise ensuite avec l’huile de vitriol. Il est parvenu, par ce moyen, à ronger des bords très-calleux.

Quand les bords de l’ulcère sont trop relâchés, qu’on y apperçoit des chairs baveuses, sordides, fongueuses, il ne faut pas appliquer des relâchans emplastiques, ils augmenteroient le relâchement & causeroient l’œdème ; mais des mondificatifs, des dessicatifs & des détersifs. Il ne faut pas croire que les modificatifs soient toujours des caustiques affoiblis. Ces derniers sont sans doute très-utiles pour ronger les chairs baveuses. Il est des cas où des astringens & des stimulans modérés suffisent, tels que la charpie sèche, les injections d’une infusion d’absinthe ou d’aristoloche. S’il en falloit de plus actifs, il pourroit être bon d’y appliquer le résidu d’une dissolution de vitriol, lavé plusieurs fois dans l’eau. On voit par-là combien il est utile de considérer les divers états qui dominent dans l’ulcère, & combien ces divers états constitutifs doivent faire varier le traitement & le régime. Ludovic dit qu’il faudroit, dans quelques cas, appliquer des astringens dans une partie, & des relâchans dans une autre. On doit encore s’abstenir de trop presser ou de toucher les bords de l’ulcère ; on le fatigueroit, & on y détermineroit la gangrène, sur-tout s’il est établi dans des parties qui s’abreuvent ordinairement de sucs putrides.

Dès qu’on aura consolidé & séché un ulcère considérable, on appliquera autour de l’ulcère des remèdes âcres, des sinapismes, afin de prévenir la régénération qui se fait très-fréquemment dans le même endroit, ou dans les parties voisines. Les anciens méthodistes traitoient par les adoucissant les ulcères qui se rouvroient, appliquoient ensuite des sinapismes auxquels ils attribuoient une vertu récorporative. Ils croyoient qu’ils agissoient en changeant les environs du lieu affecté par une impression totale qu’ils faisoient sur le principe vital ; mais cela ne suffit pas ; il faut encore changer la constitution entière du malade, par les bains, les frictions, l’exercice & le changement de nourriture. Je dois ici faire observer que la fièvre peut souvent changer utilement l’état ulcéreux : on l’a vu guérir des ophtalmies, des engelures, & alors ce changement étoit suivi d’un prurit, signe certain de la crise.

Les altérations des humeurs, qui perpétuent les ulcères produits par la quantité défectueuse du pus, se rapportent ou à la génération surabondante, ou à la défectuosité de ce pus, qui verse continuellement dans la partie ulcérée, & empêche la cicatrice, ou enfin aux qualités, que le pus a contractées par les vices généraux de la masse des humeurs contraires à la génération organique. Cette dégénération générale, contracte ces vices de la dégénération particulière de l’ulcère. On voit tous les jours des personnes chez lesquelles un ulcère s’est fermé, avoir des rapports qui présentent l’odeur même du pus qui étoit auparavant établi dans cet ulcère supprimé. Le quinquina, le camphre, le mercure doux sont les remèdes les plus propres à prévenir la dégénération purulente des humeurs. C’est dans cette vue que Rozen a compose des pillules dont le principal ingrédient est le camphre & le mercure doux qu’il donne aux enfans qui ont contracté la petite vérole, pour prévenir la dégenération des humeurs, qui se fait lors du développement du miasme varioleux. Il a observé que, par ce moyen, la maladie devenoit plus douce, plus bénigne & plus aisée à résoudre. Il y a encore d’autres observations analogues des maux de gorge gangréneux, guéris par ce moyen. De Haen a observé que, de quelque mauvaise qualité qu’on regarde la suppuration commençante, le quina étoit le vrai spécifique de la dégénération purulente. Il l’a donné, & a guéri. Monro l’a donné avec du lait dans une phthisie ischiatique. Andouillet a employé le quina pour empêcher la dégénération de la sanie, & l’a changée en bon pus. Dans les ulcères de mauvais caractère, tous ces moyens ont réussi.

Quant au défaut du pus dans l’ulcère, peut-être y remédieroit-on en appliquant un vésicatoire ou un cautère sur une partie sympathique avec l’organe affecté, pourvu cependant que ce défaut de pus ne fut pas produit par trop de sécheresse, comme le célèbre Barthez en a rapporté un exemple dans son discours sur le principe vital. Vagler assure s’être souvent servi du vésicatoire, pour augmenter la dégénération purulente.

De Haen a remarqué que l’usage du solanum, de la belladone & autres vénéneux, engendrent du pus dans les ulcères cancéreux, & autres de mauvais caractères. Ils agissent sans doute en faisant cesser la douleur. Il faut rapporter à cette observation celle de Werloof, qui a obtenu de bons effets du solanum dulcamara dans les ulcères de la poitrine. On peut faire révulsion de l’humeur purulente en appliquant plusieurs cautères à la fois, relativement aux forces du malade. Leur emploi seroit déplacé dans une colliquation générale.

Je ne dirai rien non plus de l’altération du pus dans les ulcères mal soignés, de même que de sa dégénération, qui participe à un vice général des humeurs écrouelleuses & autres. Ce vice demande un traitement particulier qui influera sur la dégénération de ce pus, & sans lequel on n’opérera jamais une cure méthodique. Je ferai seulement mention de la correction des digestions, des humeurs, & du défaut de leur coction, qui empêche la cicatrice, auxquels on remédie en donnant avec succès les amers & les aromatiques. Il est prudent de modérer l’usage des divers digestifs, & de les corriger par un régime adoucissant, tel que par le lait & les farineux.

On combat par le quinquina ainsi que par bien d’autres antigangréneux, la disposition de la gangrène que pourroient contracter les ulcères. Baglivi conseille la gentiane & la scabieuse ; mais lorsque cette dégénération du pus est maligne à l’extrême, que les bords de la plaie sont pourris, il seroit utile d’appliquer le feu & d’autres caustiques qui réussiroient quelquefois.

M. Ami.

Ulcères Des Animaux, en général. Médecine vétérinaire.

I.

Tout abcès formé, & la collection de la matière faite, son ouverture par la nature ou par l’art en change la dénomination & établit ce que nous appelons un ulcère.(Voyez abcès, plaies.)

II.

Si on laisse à la matière purulente le soin de se frayer une route au dehors, c’est exposer l’animal aux dangers qui peuvent résulter de ses progrès intérieurs ; c’est accorder à cette humeur le tems de creuser des sinus, des clapiers, de produire des callosités qui suivent des fistules, de faire une impression funeste sur des parties tendineuses, aponévrotiques qui seroient le siège de la tumeur, ou sur des organes délicats que cette même tumeur avoisineroit ; c’est lui ménager les moyens, en cas de malignité, de porter la contagion dans la masse.

III.

Les circonstances où nous abandonnons l’humeur contenue dans l’abcès, à elle-même, & où nous lui permettons de se procurer une issue, en nous réservant néanmoins toujours le droit de juger de son action & d’en prévenir l’effet, sont donc rares. Elles se bornent en général à celles des dépôts légers & superficiels, des abcès situés dans des parties glanduleuses & peu sensibles, de tous ceux dont la base zénitente, ainsi que nous l’observons régulièrement, par exemple, dans les javarts, (voyez ce mot) ne sauroit être ramollie que par le séjour du pus, ce maturatif le plus énergique & le plus puissant de tous étant d’ailleurs l’unique agent capable de détruire dans les corps glanduleux, dénués en partie de substance cellulaire, les brides qui séparent les différens foyers, et de les réunir en un seul.

IV.

Nulle différence ne frappe les yeux de l’artiste vétérinaire, fixés sur une plaie dans laquelle la suppuration commence & sur un abcès qui vient d’être ouvert. On voit dans l’un & dans l’autre de ces ulcères un fluide blanchâtre plus ou moins inégal, épais & gluant, mais toujours destructif, fourni par les humeurs qui engorgent les vaisseaux & leurs interstices, & on ne peut espérer ni la régénération, si toutefois on peut l’admettre, ni la réunion à laquelle les efforts & les vœux de l’artiste doivent tendre, qu’autant qu’il en aura tari la source, en opérant un dégorgement entier, & la fonte d’une multitude de petits canaux qui ont été dilacérés. Alors à l’écoulement de ce fluide succédera l’abord d’un suc favorable, fourni par des tuyaux qui étoient hors d’état de le charrier, attendu la pression qu’ils éprouvoient de la part des autres vaisseaux obstrués.

V.

Ce suc n’est autre chose qu’une lymphe balsamique & douce ; il n’est ni grumeleux, ni fétide. La couleur en est constamment blanche ; mais de tous les signes, qui annoncent sa présence, il n’en est pas de plus certain & de moins équivoque, que les mamelons charnus qu’on apperçoit dans le fond de l’ulcère, & qui bientôt le rempliroient, si cette lymphe couloit sans altération ; si cs même fond n’étoit pas dans des pansemens longs, fréquens & faits sans attention par les maréchaux de la campagne, soumis à l’impression d’un air froid, qui fronçant & crispant sensiblement ces petits tuyaux d’où part le suintement, y condenseroit trop tôt la substance nourricière & donneroit lieu a un engorgement nouveau ; si l’introduction inconsidérée de bourdonnets ou de tentes d’un volume & d’une dureté considérable, employés par ces mêmes maréchaux, n’en suspendoit pas le cours, n’en sollicitoit même le refoulement, & n’anéantissait pas le commerce & l’union qui se rétablissoient entre les parties ; enfin, si leur main ignorante & lourde ne ruinoit pas sans cesse l’ouvrage commencé, c’est-à-dire, les portions tendres, qui se montrent, soit en arrachant avec violence l’appareil qui les couvre, soit en nettoyant l’ulcère avec rudesse & jusqu’à effusion de sang.

VI.

Un examen attentif de l’état de l’ulcère fait connoître à l’artiste vétérinaire les obstacles dont la nature se voit dans la nécessité de triompher, & lui indique le genre des secours qui peuvent concourir aux succès de son action & de ses vues.

Ces obstacles résultent-ils d’une dureté dans le fond, ou dans la surface de la cavité ? on doit employer pour la détruire les substances vraiment suppuratives ; mais s’agit-il de l’arrêt de la matière dans les vaisseaux voisins, d’une difficulté dans le dégorgement, ou n’a-t-on à solliciter que la fonte & la destruction des portions ou des fragmens vasculaires dûs aux efforts primitifs de la suppuration ? on y parviendra incontestablement par la voie des digestifs.

Dans le premier cas, on fera usage des relâchans, tels que les huiles d’amandes douces, de millepertuis, l’huile rosat, l’onguent populéum, l’onguent d’althéa, & tandis que dans le second, on se servira du styrax, du baume d’arceus, ou du digestif le plus ordinaire dans la pratique, c’est-à-dire, d’un mélange d’huile de millepertuis, de jaunes d’œufs, de térébenthine que l’on tempère selon le besoin par l’augmentation de la quantité d’huile, ou que l’on anime par la diminution de cette quantité, & par l’addition de quelques liqueurs spiritueuses, telles que l’eau-de-vie, ou l’essence de térébenthine.

Les premiers de ces médicamens ramollissant les parois, facilitent l’issue des sucs dans l’ulcère ; ils procurent bientôt la suppuration louable que l’artiste désire, sur-tout si à l’aide de l’application extérieure des émolliens ou des relâchans indiqués, soit en cataplasmes, en onctions ou en linimens, on détend le tissu des vaisseaux engorgés à la circonférence, comme si, dans la circonstance de l’irritation, on emploie les anodins ou simplement les détersifs.

VII.

Il importe néanmoins d’observer ici qu’on doit craindre les suites de la constance avec laquelle on persévéreroit dans l’emploi des remèdes huileux que nous cessons d’indiquer en relâchant, en jetant dans une sorte d’inertie les parois & les orifice ; des vaisseaux ouverts qui garnissent le fond de l’ulcère, ils donneroient inévitablement lieu à la germination de fongosités toujours redoutables.

On prévient ces effets en s’abstenant de ces substances dès que l’on apperçoit de bonnes chairs, en leur substituant les balsamiques, & quelquefois même simplement la charpie sèche qui absorbe l’humidité superflue, & qui par une espèce de compression très-légère, morigène, s’il est permis de parler ainsi, les embouchures trop flasques & trop lâches des canaux, de façon à parer à l’influence trop considérable des sucs.

VIII.

Il est essentiel encore de faire observer qu’on ne doit jamais se servir de médicamens gras & relâchans, lorsqu’il est question d’ulcères ou de plaies dans des parties tendineuses, aponévrotiques, osseuses. On peut en garnir les environs, mais l’incarnation de ces parties blanches & lymphatiques devant être précédée d’une exfoliation qui naîtra du dessèchement de leur surface, il faut rejeter toutes substances qui tendroient à amollir & à exciter une pourriture dont on doit préserver avec d’autant plus de soin leur tissu par des balsamiques spiritueux, qu’il n’y est que trop exposé, vu le défaut d’oscillations, les vaisseaux artériels y étant en bien moins grande quantité que dans les parties charnues.

IX.

En ce qui concerne les digestifs propres ou essentiels dont nous avons déja parlé, c’est-à-dire, du digestif ordinaire, des baumes, du styrax, &c., ils soutiennent l’action organique des chairs. Par eux les petits vaisseaux se voient invités d’une part à se dégager & à se débarrasser de l’humeur qui pourroit encore y rester, & de l’autre à se séparer de leurs extrémités dilacérées, qu’ils chassent à petits coups redoublés comme autant d’escarre légère dont il est essentiel de solliciter la chûte ; ils préparent donc par la suppuration qu’ils provoquent, les voies à l’abord du suc régénérant, & c’est ainsi que dans des ulcères bénins les plus effrayans par leur étendue & par leur profondeur, on obtient de ces substances seules, & au moyen d’un pansement méthodique, une reproduction entière suivie d’une cicatrice parfaite, (Voyez plaie, pansement)

X.

Mais les obstacles dont les médicamens digestifs triomphent, ne sont pas toujours les seuls qui contrarient & qui peuvent faire échouer la nature ; il est des ulcères dont l’espèce, le génie, le caractère & les diverses complications en demandent de plus énergiques & de plus puissans.

En général, les vices de la matière suppurée, dépendent ou de la perversion totale des humeurs, & en ce cas, il n’est possible d’y parer, qu’en attaquant vivement la cause par des remèdes internes ; ou du différent mélange des sucs & de la prédomination de ceux qui en font partie ; & dès-lors cette même matière grasse, chargé de flocons de graisse, ochreuse, glaireuse, sanguinolente, se trouve très-distincte des qualités qui constituent une suppuration locale ; ou enfin de son séjour dans le lieu où elle se forme, & de l’inflammation qui peut y exister ; de-là le degré d’épaississement & d’acrimonie qu’elle contracte, de manière à donner quelquefois naissance à des ulcères malins. Si l’on ajoute à ces différentes dépravations les empêchemens qui peuvent résulter des fragmens, ou dilacérations des vaisseaux qui, comme autant de parties mortes, macérées par le pus, & néanmoins encore adhérentes, sont plus ou moins tenaces, & plus ou moins difficiles à détruire, on aura rassemblé en peu de mots ce qui peut altérer, embarrasser le fond d’un ulcère, & éloigner tous les moyens de régénérer & réunir.

XI.

Telles sont donc les différentes conditions de ce qu’on appelle détersion, que pour y parvenir on est astreint, 1°. ou à dissoudre & à atténuer la matière épaisse & glutineuse, sur laquelle les vaisseaux n’ont point d’action ; 2°. ou à borner l’affluence d’une humeur trop séreuse qui, les jetant dans l’affoiblissement, fait éclore des chairs fongueuses, mollasses, baveuses & superflues ; 3°. ou à accélérer la chûte du débris informe que nous offrent des solides rompus, lâches, affaissés & privés de la vie ; 4°, ou à résilier à l’action des causes putrides, à la prévenir & à en préserver les liqueurs.

XII.

Le premier objet sera rempli au moyen de l’emploi raisonné des liquides plus ou moins animés, selon le besoin & la nécessité d’inviter les solides à se délivrer de la matière qui peut occuper leurs extrémités, ou de délayer & de dissoudre seulement celle qui séjourne & qui s’arrête à leur superficie.

Les détersifs dont on obtiendra les effets, sont les décoctions de feuilles d’absinthe, d’aigremoine, d’arum, de bardanne, de bétoine, d’iris, de marrube, de menthe, de millefeuille, de nicotine, de noyer, d’orties, de ronces, de scordium, l’eau de chaux, l’eau alumineuse, les eaux minérales de Vals, de Plombières, de Bourbon, de Barrège, de Balaruc, l’eau de la mer, l’urine, l’oxycrat, la lessive de cendre de sarmens, l’eau d’arquebusade, &c. On en fait des injections, des lotions, des fomentations.

On satisfera à la seconde indication, par l’usage des substances plutôt accidentellement que proprement détersives, c’est-à-dire, par le secours de celles que l’on tire de la classe des absorbantes ou des dessicatives ; celles-ci s’abreuvant & s’imbibant d’une part de l’humidité surabondante, & restreignant, resserrant & crispant de l’autre, attendu leur septicité naturelle, les fibres & les vaisseaux, de manière à les fortifier contre le nouvel abord de ce suc nuisible & superflu. Ces substances sont la charpie sèche, l’aloës, la litharge, le mastic, l’os de sèche, la colophane, &c. on s’en sert sous la forme de poudre.

La troisième indication, c’est-à dire, la séparation des débris de la suppuration, sera opérée par les détersifs irritans, qui stimulant & agaçant les vaisseaux, en ranimeront & en augmenteront l’oscillation ; or, en les forçant, en les déterminant à des heurts réitérés contre les portions mortes, ils en provoqueront nécessairement la chûte.

Ces détersifs sont, l’alun de roche brut ou calciné, le verdet, l’antimoine, les baumes de Tallu, le camphre, le galbanum, la gomme copal, la gomme élémie, la gomme animée, le miel, le sagapenum, le sel ammoniac, le storax, le sel commun, le vinaigre, le vitriol, la poudre de sabine, l’ocre, le beurre de saturne, le baume de Fioraventi, l’emplâtre divin, l’emplâtre de nicotine, l’élixir de propriété, l’huile de camphre, l’essence de térébenthine, la teinture de myrrhe & d’aloès, l’onguent égyptiac, &c.

Si néanmoins ces escarres étoient si considérables, ou l’humeur dans un tel degré d’épaississement que les parties irritables fussent soustraites & dérobées à l’action de ces substances, ou que la résistance de ces masses étrangères fût supérieure aux efforts & aux mouvemens syntactiques des vaisseaux, leur destruction ne pourroit s’attendre que de l’effort des substances évidemment plus puissantes, & l’on en trouvera les moyens ou dans l’activité certaine du feu même, (voyez feu, Cautère actuel) ou dans celle des remèdes corrosifs, tels que l’eau phagédénique, le collyre de lanfrane, le baume d’acier ou d’aiguilles, l’huile de tartre par défaillance, le sublimé corrosif, les précipités blanc & rouge, la dissolution mercurielle, le beurre d’antimoine, &c. qui pénétrant, rompant & rongeant une partie des portions qui masquoient celles qui sont vives & sensibles, mettront les détersifs plus doux & moins animés qu’on leur substituera, à portée de faire sur celle-ci l’impression qui doit achever la ruine des autres.

Enfin, quant à la quatrième indication, c’est-à-dire, aux ulcères fétides & malins, compliqués d’une constitution vicieuse de la masse y d’un vice local, comme d’une disposition inflammatoire dans la partie même, de la présence d’une humeur âcre & corrosive qui, par de funestes progrès, s’étend à tout ce qui l’avoisine, amortit & éteint le principe vital dans la superficie de tous les vaisseaux qu’elle touche, & subit toujours elle-même une plus grande dépravation dans le lieu qu’elle infecte & qu’elle ravage. Le premier soin de l’artiste, doit être de remonter à la source, d’administrer intérieurement les remèdes indiqués par les circonstances, & sans lesquels le régime & les topiques n’auroient aucun succès ; de tenter d’abord d’appaiser l’inflammation, d’adoucir l’acrimonie par l’usage des détersifs mitigés, tels que les décrétions plus ou moins fortes des plantes vulnéraires, mêlées avec le miel, & tels que l’oxymel simple, &c. sauf à mettre ensuite en usage les médicamens anti-putrides qui seront l’oxymel scillitique, le sel ammoniac, le camphre dissous dans l’eau-de-vie, la teinture de myrrhe & d’aloës, tirée par l’esprit-de-vin, &c.

Cette même teinture, la coloquinte, la coraline, l’ellébore blanc & noir, la rhue, la tanaisie, la staphisaigre, les racines de gentiane, de fougère en décoction ou en poudre, les huiles de térébenthine, de pétrole, d’aspic, sont, ainsi que les antiputrides dont nous venons de parler, de la plus grande efficacité, quand il s’agit d’ulcères vermineux ; comme une dissolution de sublimé corrosif dans l’esprit-de-vin camphré, étendue ensuite dans suffisante quantité d’un véhicule aqueux & mucilagineux, tel que la décoction de racine de guimauve, & injectée dans les naseaux de l’animal, forme un détersif auquel résistent assez rarement les ulcérations chancreuses, qui sont un des signes univoques de la morve. (Voyez Morve, Chancre.)

XIII.

Le choix, le mélange de ces différentes substances, doit toujours être en raison du degré d’activité qui peut être nécessaire en elles, ainsi que des diverses modifications qu’il est utile qu’elles reçoivent, eu égard à l’état de l’ulcère & à la nature ou à la sensibilité de la partie ulcérée. Ce même état qui en indique le genre & l’emploi, indique aussi à l’artiste le moment où l’usage ne pourroit qu’en être nuisible & préjudiciable. Le fond de l’ulcère est-il suffisamment purgé, il n’est pas douteux que les vaisseaux délivrés des humeurs qui les engorgeoient, & qui les recouvrant, les rendoient moins accessibles à l’action de ces médicamens, seront inévitablement blessés de l’impression qu’ils feront sur eux ; d’un autre côté, le suc régénérant, exposé à une dissolution que doivent provoquer leurs molécules salines, péchera par un défaut de consistance ; ce seroit donc se préparer de nouveaux obstacles à combattre, que de ne pas les bannir au moment où les vaisseaux libres & souples, ne fourniront que la lymphe nourricière destinée à ne faire qu’un seul & même corps avec les tuyaux qui la charient & qui la versent, dès l’instant que leur prolongement ou leur expansion aura lieu.

XIV.

C’est en effet dans ce prolongement que semblent principalement consister le mécanisme & le mystère de la régénération & de la réunion. Mais sans nous arrêter davantage à des idées aussi compliquées, occupons-nous seulement de la cicatrisation de l’ulcère. C’est constamment par les bords de l’ulcère que la cicatrisation commence, ces bords étant plus en butte aux effets de l’air que le froid, qui d’ailleurs est toujours plus humide ; que si elle laisse entrevoir assez fréquemment des rides, on doit principalement les imputer au gluten qui se collant en premier lieu à la portion solide du bord, & successivement plus avant du côté du lieu qui étoit cave, ne peut se dessécher & acquérir une compacticité qu’il n’occupe bien moins d’étendue, vu le rapport intime de ses molécules, & qu’il ne suscite par resserrement ces plis & ces inégalités qui peuvent offenser l’amour-propre du sexe, mais qui sont toujours assez indifférens, relativement à la plupart des hommes, & généralement eu égard aux animaux.

XV.

Quoi qu’il en soit de la cicatrisation, de cette action à laquelle la nature se porte vraisemblablement plutôt qu’à tout autre, lorsque abandonnée à elle-même, elle est d’ailleurs dégagée de tout obstacle ; l’art peut l’aider & la rendre plus prompte au moyen des substances qui ont le pouvoir de hâter la clôture des solides & la concrétion du suc, & qui composent les médicamens que l’on appelle, d’après ces effets, du nom général de dessicatifs, épulotiques, cicatrisans.

XVI.

Le choix que l’on doit faire de ces médicamens, est dicté par les différens états de l’ulcère.

Le liquide nourricier est-il trop fluide, & le tissu des vaisseaux prolongés est-il conséquemment trop mal ? il faut employer les dessiccatifs absorbans, qui imitant l’action des substances astringentes, ont le double pouvoir de raffermir les vaisseaux, & en s’abreuvant d’une partie de la sérosité, d’en épaissir l’autre portion restante. Ces médicamens, dont on fait le plus souvent usage sous une forme sèche, c’est-à-dire, en poudre, sont ceux dont nous avons déja parlé, article XI, & auxquels on peut joindre la tutie, la pierre calaminaire, le pompholix, la céruse, le minium, le sel de Saturne, son beurre, &c. mais le plus souvent la charpie seule, brute ou râpée, suffit pour remplir ces vues.

Les fibres cutanées pèchent-elles par trop de rigidité, & cette rigidité est-elle prouvée par la peine & par la difficulté que les bords de la cicatrice ont à se rapprocher, malgré la bonté du fond de l’ulcère ? il faut recourir aux dessiccatifs adoucissans ; c’est-à-dire, à ceux que l’on mêle à des substances grasses, & d’où résultent des onguens, des pommades dessiccatives, l’effet des graisses étant de relâcher insensiblement les solides, & d’en modifier la tension, tandis que celui des matières qui dessèchent est d’agir toujours sur le gluten, tels sont l’onguent rosat, de tutie, de pompholix, l’album phasis, le cérat de diapalme, celui de Galien, le dessicatif rouge.

Enfin, par un événement diamétralement contraire, ces mêmes fibres sont-elles dans le relâchement & dans l’inertie ? les bords de l’ulcère sont-ils mols, & les principes de la cicatrice n’ont-ils que très-peu de solidité ? cette circonstance exige des substances balsamiques & fortifiantes ; telles que le baume dur du Pérou, la myrrhe, l’aloës, leur teinture, l’alun, l’eau de chaux, l’eau vulnéraire, l’eau de Rebel, le baume du Commandeur, celui de Fioraventi, &c.

XVI.

Dans de simples excoriations, on peut faire valoir sur-le-champ les dessiccatifs animés, tels que l’eau vulnéraire, pourvu que l’air n’ait point encore produit une crispation & un engorgement des petits canaux ouverts ; car alors il donneroit lien à une tension, à une inflammation, à une suppuration véritable, & les dessiccatifs adoucissans seroient à préférer ; ils garantiront ces mêmes canaux, ainsi que les houpes nerveuses, de toute impression fâcheuse, & ils les maintiendront dans une souplesse qui, favorisant l’écoulement des sucs les plus déliés, leur permettra de former, avec les fibres cutanées qui se prolongeront, une cicatrice superficielle.

XVII.

Tous les dessiccatifs nuisent en général, si l’emploi en est prématuré ; ils retardent l’ouvrage de la nature ; ils s’opposent à la végétation des chairs ; ils causent une induration dans les bords, à la surface des ulcères ou dans les sinuosités qui peuvent y être, par le dessèchement précipité qu’ils occasionnent.

On doit de plus en user avec précaution dans les dépôts critiques ; il seroit infiniment dangereux de supprimer trop à la hâte un reste de suppuration qui pourroit encore être utile. Ce précepte n’est pas moins essentiel en ce qui concerne les irruptions cutanées, d’où suinte une humeur âcre & corrosive, telle que celle que rendent les malandres, les solandres, les crevasses, &c. (Voyez ces mots suivant l’ordre du Dictionnaire.) Si l’on cherche à tarir l’écoulement de ces ulcères, sans remonter à la source & sans avoir fait le moindre effort pour corriger les dépravations de la masse, c’est exposer l’animal à des reflux funestes ; on a vu par l’expérience que des malandres desséchées trop tôt ont été suivies de crevasses ; nous avons traité au long de cette maladie, qu’on appelle fic ou crapaud, (voyez Fic, Crapaud), elle est d’autant plus grave que l’humeur ne refluant pas au-dedans, mais se portant sur les parties déclives, les pervertit toujours de plus en plus.

XVIII.

Par le moyen des injections, on porte les remèdes dont nous avons parlé dans des lieux, où on ne pourroit pas les faire pénétrer autrement.

À l’égard des collyres secs très-propres à cicatriser les ulcères de cornée, (Voyez Œil) on ne doit jamais les souffler, ainsi qu’on le pratique communément à la campagne, dans l’œil de l’animal, attendu qu’après un ou deux jours d’une semblable opération, il redoute l’abord de l’homme, & devient plus ou moins féroce, & plus ou moins intraitable ; il faut les appliquer légèrement sur la partie avec le doigt.

XIX.

Différences de qualités d’Ulcères qui surviennent le plus communément dans la pratique, & que l’on trouvera par ordre alphabétique dans le corps de l’ouvrage.

Les ulcères bénins sont ceux qui surviennent à la suite d’un dépôt de gourme, tels qu’aux glandes parotides, maxillaires, sublinguales, en dedans de la cuisse, proche le fourreau, au toupet, à la suite de la maladie de la taupe, au garot, sur les reins, au poitrail, aux pieds, à la suite de l’enclouure d’un clou de rue, qui n’a attaqué que la sole de chair, ou de la brûlure de la sole.

Les ulcères calleux sont ceux dont nous venons de parler ; quand ils ont été maltraités, négligés, ou qu’il y a un vice dans le sang, & auxquels on peut encore ajouter l’ulcère des barres, les cors, la malandre, la solandre, la mule traversine, l’ulcère provenu d’un javart, l’ulcère survenu à la suite d’une enchevêtrure.

Ils sont sinueux & fistuleux, quand l’ulcère des barres va jusqu’à l’os, quand l’escarre du cors est tombée, & qu’il y a quelque portion tendineuse des muscles intéressans d’attaquée ; lorsque la malandre & la solandre sont profondes, que la mule traversine, l’enchevêtrure ont été jusqu’aux gaines des tendons ; toutes les fois que le bourbillon du javart a été profond, & qu’il a attaqué le tendon ou ses gaines ; à ceux-ci, on peut encore ajouter les fistules des avives ou parotides de dessous la mâchoire, de la lacrymale, de la saignée du col, de la taupe, du garot des reins, de l’avant-cœur au cartilage du sternum, du plat de la cuisse, de l’anus, des bourses ou du scrotum, du javart excorié improprement dit, de l’enclouure, dont la matière a soufflé à la couronne, de celle qui a attaqué l’os ou le tendon de la bleime, de la seime, de la fourmillière & du croissant à la suite de la fourbure.

Les ulcères putrides sont les aphtes, les chancres de morve & autres, les os aux jambes, les poireaux, les fics ou crapauds. (Voyez tous ces mots, suivant l’ordre du Dictionnaire, quant aux causes & à la curation.) M. T.