Cours d’agriculture (Rozier)/ÉCORCE

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 125-136).


ÉCORCE, Botanique. L’écorce est la partie extérieure végétale de la plante, qui la revêt depuis ses racines les plus fines jusqu’à l’extrémité des branches. Non-seulement les parties solides sont couvertes d’une écorce, mais encore les parties tendres comme les feuilles, les fleurs & les fruits. Il faut cependant observer ici, que si par le mot écorce, on entend cette partie de l’arbre composée du liber, des couches corticales & de l’épiderme, alors on a tort de dire que l’écorce revêt toute la plante ; mais, si par ce mot on veut désigner, comme quelques auteurs botanistes, & comme le vulgaire, la substance extérieure de la plante, il est vrai de dire alors que l’écorce est l’enveloppe générale de la plante. Nous verrons plus bas que, dans ce sens, ce nom ne convient exactement qu’à l’épiderme, & que l’écorce, proprement dite, n’est pas la même, non-seulement dans la plante herbacée & dans l’arbre, mais dans les différentes parties du végétal ; nous exposerons en même temps les raisons pour lesquelles la nature les a variées.

Pour mettre de l’ordre dans tout ce que nous avons à dire sur l’écorce en général, nous considérerons, 1°. chacune de ces parties dans l’arbre ; 2°. sa formation & son accroissement ; 3°. son utilité ; 4°. l’écorce dans la plante herbacée, dans la corolle, les feuilles, les fruits ; &c. 5°. les avantages que l’on peut retirer de l’écorce, soit dans les arts, soit dans la médecine.

Section Première.

Anatomie de l’Écorce.

Si l’on coupe une branche d’arbre, ou si l’on scie un tronc d’arbre, l’on remarquera facilement une couche concentrique & extérieure d’une couleur différente que celle du bois ; mais qui l’accompagne exactement dans toutes ses sinuosités, de façon que si le bois n’est pas rond, mais qu’il soit ovale ou polygone ou échancrée, la couche corticale décrit intérieurement, exactement la même figure, quoique souvent à l’extérieur elle affecte plus généralement la figure circulaire. De-là vient que, dans les troncs ou les branches, la couche corticale n’a pas par-tout la même épaisseur. Dans les blessures qu’un arbre reçoit, l’écorce en recouvrant la plaie, suit assez exactement les sinuosités qu’elle avoit. Quelle est donc cette production végétale si utile & si nécessaire ? Pour la bien connoître nous en allons faire l’anatomie.

Avec la pointe d’un canif ou d’un autre instrument tranchant, enlevez la première peau extérieure de l’écorce. Cette première peau plus ou moins mince dans les différentes plantes & arbres, se nomme épiderme. C’est la première partie de l’écorce. Au-dessous de cet épiderme, on apperçoit une substance succulente & parenchyrimateuse, ordinairement verte ; c’est l’enveloppe cellulaire & la deuxième partie de l’écorce. Au-dessous de l’enveloppe cellulaire, on remarque des fibres entrelacées les unes dans les autres, formant un tissu assez serré & des couches ou zones circulaires ; mais en même temps, avec une loupe ou au microscope, il sera très-facile de remarquer que ces fibres ne sont pas tellement liées les unes aux autres, qu’elles forment des mailles comme celles d’un filet ; ces mailles sont remplies d’une matière succulente, analogue à l’enveloppe cellulaire. Ces différentes zones ou couches corticales, sont enfin terminées intérieurement par une couche particulière nommée liber, & qui paroît tenir le milieu entre les couches corticales & les ligneuses. Entre l’écorce & l’aubier ou le bois, on peut donc distinguer cinq parties propres dans l’écorce ; l’épiderme, l’enveloppe cellulaire, les couches fibreuses ou corticales, la substance renfermée dans les mailles, & le liber.

1°. De l’épiderme. L’épiderme est cette enveloppe générale & commune à tout le règne végétal, que l’on ne sauroit mieux comparer qu’à la peau ou plutôt à l’épiderme qui recouvre tout animal ; aussi lui en a-t-on conservé le nom par rapport aux plantes. Cependant, d’après des observations microscopiques & comparatives que j’ai faites entre l’épiderme végétal & l’animal, il y a une grande différence. L’épiderme végétal est toujours accompagné d’un réseau, qui, comme nous l’avons dit au mot Corolle, s’il ne lui est pas essentiel, lui est au moins tellement adhérent qu’il est impossible de l’en détacher. Des observations ultérieures m’ont confirmé dans l’idée que l’épiderme lui-même n’est qu’un tissu, qu’un réseau extraordinairement fin de fibres végétales ; l’entrelacement de ses fibres forme le filet, & les mailles sont ces pores, ces ouvertures transparentes qui sont les orifices des vaisseaux de la plante, par lesquels s’exécutent la transpiration & l’aspiration insensibles. La peau, au contraire, n’offre pas ce même mécanisme ; elle est plutôt composée de plaques ou d’écailles collées les unes à côté des autres & parsemées d’une infinité de petits vaisseaux disposés en toute sorte de sens, qui s’ouvrent à la surface extérieure de la peau, & s’abouchent à l’intérieure avec tous ceux qui traversent la membrane adipeuse, & la peau proprement dite. De plus, l’épiderme animal est, pour ainsi dire, cousu avec la peau proprement dite, par ces petits vaisseaux, tandis que l’épiderme végétal n’est qu’appliqué sur le réseau ou l’enveloppe cellulaire. Cela est si vrai, que lorsque la sève est abondante, & qu’elle remplit de son suc l’enveloppe cellulaire & le parenchyme, l’épiderme se détache très-facilement de l’écorce, & même lorsque la sève n’agit plus, ou que la branche est morte, il suffit de la faire infuser ou bouillir dans de l’eau, pour que son adhérence à l’écorce soit détruite ; ce qui n’arrive pas avec l’épiderme animal. Ce sont ces deux moyens que j’ai employés pour soumettre à l’examen microscopique l’épiderme d’un très-grand nombre de plantes.

Je n’ai pas remarqué une très grande différence entr’eux ; la principale venoit plutôt de la forme & du tissu du réseau qui le compose, que de toute autre chose. Mais tous jouissent, sur-tout dans les jeunes plantes, de la propriété de se recoquiller sur eux-mêmes, lorsqu’on les a détachés & dépouillés de l’enveloppe cellulaire, comme nous l’avons observé pour l’épiderme de la Corolle : (voyez ce mot) la cause qui fait recoquiller l’épiderme dans le sens de ses fibres, est la même dans l’un & dans l’autre cas ; c’est le dessèchement des utricules qui sont renfermés dans les mailles, que forment les fibres de l’épiderme entrailles.

M. Duhamel pense que l’épiderme des jeunes tiges, des fleurs, des fruits, des racines, n’est pas d’une contexture absolument semblable comme l’épiderme animal de la langue, des mains, des pieds, &c. Ici l’analogie l’a induit dans une erreur que l’observation microscopique détruit facilement. L’épiderme est absolument semblable par-tout, & si les différens morceaux que l’on examine ne le paroissent pas, cela vient uniquement de la plus ou moins grande quantité, ou d’utricules, ou de parenchyme, ou d’enveloppe cellulaire, ou de réseau cortical qui reste adhérent à l’épiderme. Quand avec de l’adresse & de la patience on est venu à bout de l’en dépouiller, on remarque bientôt une ressemblance générale. Il faut cependant observer que, si l’on n’examine que la surface extérieure de l’épiderme d’une branche ou d’une racine, il pourra se faire que l’on y verra des rugosités que l’on ne retrouvera pas sur l’épiderme du fruit ou de la corolle. Mais qui ne sent pas que ces rugosités sont le produit d’une première décomposition que souffre l’épiderme de la part de l’air & des météores ? Voyez la Planche du mot Épine ; Fig. 3, l’épiderme du jasmin ; Fig. 4, celui du pommier ; Fig. 5, celui du marronnier ; Fig. 6, celui du chêne ; Fig. 7, celui du bouleau. Ils sont tous vu au microscope.

L’épiderme ne forme-t-il qu’une seule couche, une seule membrane, ou est-il composé de plusieurs couches ? Si l’on ne considéroit que l’épiderme du bouleau, du cerisier, du pommier, de l’acacia, &c. & de plusieurs autres arbres, (il faut un instrument très-fin & très-délicat, en général, pour pouvoir détacher plusieurs épidermes sur la même écorce) on pourroit conclure que l’épiderme a ses couches comme l’écorce, l’aubier & le bois ; mais si l’on dissèque l’épiderme de la plupart des plantes & d’une plus grande quantité d’arbres, il faut convenir que l’épiderme, du moins dans ces individus, est unique. Une variation aussi singulière dans les productions de la nature, doit étonner. Cette simplicité que nous retrouvons par-tout, est-elle donc ici en défaut ? Mais n’accusons pas la nature avant de la connoître ; étudions la mieux, & ce que nous prenons pour un écart, rentrera bientôt dans ses loix générales.

L’épiderme végétal, comme l’épiderme animal, devant se détruire facilement, à cause de sa situation extérieure, le but de la nature ne seroit pas rempli si au-dessous de lui il n’existoit pas une substance prête à le reproduire proportionnellement ; & c’est justement cet épiderme, plus ou moins avancé vers sa perfection, qui s’offre immédiatement au dessous & que l’on prend pour un second, un troisième épiderme. Les végétaux qui se dépouillent plus promptement & plus facilement de leur épiderme, sont aussi ceux qui travaillent le plus vite à cette reproduction ; il n’est donc plus étonnant que le bouleau, par exemple, que l’alternative du froid & du chaud dépouille de son épiderme, en ait, pour ainsi dire, de nouvelles couches toutes prêtes à remplacer celui qui a été détaché. Veut-on une démonstration évidente de cette vérité ? enlevez avec un instrument très-tranchant, un lambeau d’épiderme, même considérable, sur un arbre quelconque ; recouvrez la plaie ; au bout d’assez peu de temps, il s’est régénéré un nouvel épiderme. Un observateur a plus fait encore ; il enleva tout l’épiderme d’un tronc de cerisier, & laissa la plaie exposée à l’air : la partie de l’écorce qui étoit sous cet épiderme, se dessécha d’abord & s’exfolia ainsi que la couche suivante ; mais au bout de deux ou trois exfoliations, il parut une substance farineuse, qui offrit enfin un épiderme nouveau, qui recouvrit tout le tronc écorché.

La reproduction de l’épiderme nous conduit naturellement à rechercher sa première origine. Quelques auteurs ont pensé qu’elle n’étoit due qu’à l’action de l’air qui desséchoit les vésicules dont ils croyoient l’épiderme formé ; mais le microscope m’ayant assuré que l’épiderme est fibreux comme le reste de la plante, je crois, avec Grew, qu’il n’est absolument que la cuticule qui recouvre la plume dans la graine & qui croît, s’étend & se développe avec lui. On en sera encore plus convaincu, si l’on fait attention que l’épiderme, cette membrane qui paroît si sèche, est susceptible d’extension en toutes sortes de sens, & qu’elle peut acquérir une très grande surface avant que de se rompre. Cette faculté de pouvoir se dilater à mesure que l’arbre grossit, n’est pas la même dans tous les épidermes ; quelques-uns même semblent ne pouvoir supporter le travail de toute une année, sans se rompre en lambeaux & en filets. L’épiderme des platanes, du bouleau, de la vigne, des groseilliers se fendille & se détache assez régulièrement à chaque renouvellement d’année. Ce n’est cependant pas une loi générale & absolue pour ces arbres & arbrisseaux, car j’ai observé quelquefois des parties entières d’épiderme de bouleau même qui ne se dépouilloient qu’après deux ou trois années. La dépouille du platane paroît aussi être successive. Mais que nous sommes encore loin d’avoir fait des observations, & assez nombreuses, & assez exactes pour constater tous les détails de cet intéressant phénomène botanique !

Non-seulement l’épiderme des corolles & des feuilles, mais encore celui des branches & des troncs n’est pas de la même couleur dans tous les végétaux. Presque toujours transparent, il influe beaucoup sur l’intensité de la couleur du parenchyme & de l’enveloppe cellulaire ; &, comme l’a très-bien observé M. Duhamel, l’épiderme lui-même est de couleur différente sur les arbres de différente espèce, & sur les différentes parties du même arbre. Il paroît blanc & brillant sur le tronc des bouleaux, plus brun sur les jeunes branches ; gris & cendré sur le prunier ; roux & argenté sur le cerisier ; vert sur les jeunes branches de l’amandier & du pêcher ; cendré sur ses grosses branches ; brun-jaunâtre sur le pommier & le maronnier ; blanchâtre sur la vigne ; brun-verdâtre sur la plus grande partie des arbres, & vert au contraire sur presque toutes les plantes & sur les jeunes pousses des arbres.

L’usage de l’épiderme dans l’économie végétale, est de défendre tout l’individu des injures des météores, de retenir les sucs nourriciers, & de ne laisser passer à travers ses pores, que les fluides que l’acte de la végétation pousse en dehors, du centre à la circonférence. Quand ces sucs, ces fluides ne s’évaporent pas assez vite, qu’ils se déposent dans les pores de l’épiderme, ils s’échauffent bientôt, fermentent, s’altèrent & altèrent en même temps la substance même de l’épiderme. (Voyez ce que nous avons dit au mot Eau, de l’avantage de la pratique ce laver & nettoyer les troncs des arbres au moins tous les cinq ou six ans.)

2°. L’enveloppe cellulaire. Immédiatement au-dessous de l’épiderme, le premier corps que l’on apperçoit est une substance charnue & succulente, ordinairement d’un vert terne & foncé. C’est une prolongation du tissu cellulaire, du parenchyme qui vient terminer ses ramifications contre l’épiderme. Un petit morceau de cette substance, enlevé & vu au microscope, paroît exactement comme une éponge criblée de trous remplis d’une matière colorée, & qui, suivant mon idée, (voyez Couleur des plantes) est le principe des couleurs variées qui nous charment dans le règne végétal. Si l’on presse un peu cette substance, vous voyez suinter ce suc colorant. Les pores sont formés dans l’enveloppe cellulaire, par les ramifications d’un nombre infini de fibres, de vaisseaux ou fibres qui se croisent, s’entrelacent & s’anastomosent en toutes sortes de sens. La comparaison de l’éponge sera parfaitement exacte, si l’on suppose que chaque séparation, chaque cloison dans l’éponge est formée par une ou deux, ou plusieurs fibres appliquées les unes contre les autres. Voilà du moins ce que l’enveloppe cellulaire du sureau, une des plus succulentes & des plus apparentes, m’a offert au microscope. Suivant le sentiment de Malpighi, & d’après ses observations, on pourroit conclure que ce n’est qu’un amas d’utricules, ou de petits globules ; mais il faut bien distinguer les utricules & le parenchyme : le parenchyme renferme les utricules, elles sont logées souvent dans ses pores, dans les interstices, comme elles se retrouvent dans les mailles du réseau & des couches corticales. Il paroît que la destination de l’enveloppe cellulaire est 1°. de retenir autour de l’écorce une certaine humidité qui l’empêche d’éprouver trop directement l’action de la chaleur, & de lubrifier tous les vaisseaux excrétoires qui viennent se rendre à l’épiderme ; 2°. d’être une matière toujours prête à la réparation de l’épiderme, comme nous l’avons observé plus haut.

Couches corticales. Les couches corticales, placées au-dessous de l’enveloppe cellulaire & au-dessus du bois, sont autant de zones concentriques qui, à proprement parler, constituent l’écorce. Ces couches sont composées d’une infinité de fibres, disposées parallèlement à l’axe de l’arbre ou de la plante. Toutes ces fibres ne sont pas de même nature, & tous ceux qui ont étudié un peu l’anatomie des plantes, en ont reconnu de deux espèces, les vaisseaux lymphatiques & les vaisseaux propres. L’ordre admirable avec lequel ces différens vaisseaux sont entrelacés & liés, pour ainsi dire, mérite toute l’attention d’un observateur de la nature. Avant que d’expliquer l’emploi de ces vaisseaux, nous allons donner une idée de leur arrangement & de leur disposition ; que l’on jette les yeux sur les Figures 8 & 9 de la Planche du mot Épine ; la Figure 8 offre un morceau d’écorce de tilleul détachée dans le sens des couches, A sont les fibres, B les interstices par où viennent aboutir les rangées d’utricules & les productions du tissu cellulaire, qui se prolonge depuis le bois jusqu’à l’épiderme. La Fig. 9 offre un morceau d’écorce de peuplier, coupée suivant une ligne qui iroit du centre à la circonférence, & laisse voir par conséquent depuis l’épiderme jusqu’au liber. On remarquera facilement des faisceaux A de fibres réunies & qui s’anastomosent les unes dans les autres B ; elles forment différens interstices C, mais de différentes grandeurs & figures. Ces interstices sont remplis par le tissu cellulaire. À mesure que les couches corticales se rapprochent du bois, elles sont plus serrées, les interstices moins considérables, & la portion du tissu cellulaire moins grande. Comme on le voit en H, G, chacun de ces faisceaux est composé de petits filets qui peuvent se sous-diviser encore en de plus petits : tantôt ils suivent une ligne parallèle entr’eux, & tantôt ils s’inclinent les uns vers les autres pour s’anastomoser & se réunir ; puis se séparer ensuite, & imiter ainsi assez bien les mailles d’un filet. L’application de ces couches les unes contre les autres ne peut être mieux représentée que par la Figure 10 ; la couche 1 est la plus intérieure, en même temps celle dont le réseau est le plus serré & les mailles plus fines ; la couche 2 est un peu plus large ; la couche 3 encore davantage, & ainsi des autres, toujours en augmentant de largeur. On en aura encore une idée plus exacte par la Figure 11. On voit ici cinq couches ou réseaux réunis ensemble au point A, & séparées les unes des autres en B. Les expériences & les recherches de M. Duhamel, portent à croire que les interstices des différens feuillets se répondent les uns aux autres, & sont placés de manière que leurs aires forment, par leur assemblage, des entonnoirs ou alvéoles dont l’ouverture la plus évasée est du côté de l’enveloppe cellulaire, & la plus étroite du côté du bois.

Tous les réseaux ou plexus de fibres corticales ne se ressemblent point. Leur entrelacement varie suivant les espèces de plantes ou d’arbres. La Figure 8 offre celui du tilleul ; la Figure 9, celui du peuplier ; la Figure 12, celui de l’arbre à dentelle que tout le monde connoît ; & la Figure 13, celui du palmier.

Revenons à présent au tissu cellulaire qui se trouve dans les mailles ou les interstices du réseau cortical. Malpighi & Grew l’ont regardé comme un simple amas d’utricules ou de vésicules de différentes formes, situes à côté les uns des autres, & diminuant toujours insensiblement d’épaisseur depuis l’épiderme jusqu’au bois. M. Duhamel ne paroît pas être du même sentiment, & il a reconnu au microscope que ces petites vessies étoient entrelacées par quantité de fibres d’une finesse extrême. J’adopte d’autant plus volontiers son idée, que je me suis assuré que le tissu cellulaire étoit absolument de même nature que l’enveloppe cellulaire, que par conséquent ce n’étoit qu’un parenchyme ou un corps spongieux, résultant de l’entrelacement en toutes sortes de sens, de petites fibres qui contiennent à la vérité, dans leurs interstices, de petits corps globuleux, qui ne sont peut-être que les molécules isolées de la sève ou des sucs. La couleur du tissu cellulaire varie dans les différens arbres, mais elle est plus communément verte.

Nous n’avons considéré jusqu’à présent les fibres corticales que comme de simples fibres ; mais il ne faut pas oublier que ce sont de vrais vaisseaux, des tubes par lesquels montent & descendent les différens sucs qui doivent nourrir & entretenir la plante. Dans l’écorce, ils sont de deux espèces, comme nous l’avons déjà dit, les vaisseaux lymphatiques qui sont les plus communs, & qui forment, à proprement parler, le réseau cortical ; ils servent à transporter, dans les différentes parties, la sève ascendante & descendante ; & les vaisseaux propres dans lesquels circule seulement le suc propre à chaque plante. On les distingue facilement des premiers, & par leur grosseur ordinairement assez considérable pour laisser échapper la liqueur dont ils sont remplis lorsqu’on les coupe, & par leur couleur qui est communément différente de celle des vaisseaux lymphatiques. M. Mariotte a donné une description assez exacte de ces vaisseaux, quoiqu’il les ait comparés, assez mal à propos, aux artères des animaux : « ces canaux sont enfilés, dit-il, par une fibre ligneuse blanche, qui se peut séparer en plusieurs filamens. On apperçoit une membrane à l’entour de ces petits canaux, qui les sépare du reste de la tige, & en fait comme un petit tuyau ; & entre chacune des fibres de cette membrane, il y a une matière spongieuse, adhérente à la membrane, & remplie de suc coloré. On voit une structure semblable dans les feuilles de l’aloès, coupées en travers ; car on remarque que le milieu, qui a environ un pouce d’épaisseur, est d’une substance spongieuse, composée d’un grand nombre de membranes confondues ensemble, & remplie d’une humeur aqueuse, claire, & qui a fort peu d’amertume. On remarque aussi que le tissu (cellulaire) est couvert d’une écorce verte dans l’épaisseur de laquelle il y a plusieurs petits canaux noirâtres, disposés selon la longueur des feuilles, & qui ressemblent à ceux des plantes laiteuses. Ces canaux contiennent un suc visqueux, jaunâtre & très-amer, qui en sort abondamment au mois de mai ; mais, dans la pulpe, (tissu cellulaire) il y a plusieurs petits canaux blanchâtres qui apparemment contiennent un autre suc, & qui jettent çà & là de petits rameaux, dont quelques-uns vont se joindre aux tuyaux qui portent le suc jaune & amer. »

» J’ai aussi remarqué que beaucoup de grosses plantes laiteuses, comme la férule, ont de petits canaux disposés par des intervalles égaux, depuis le centre de la tige jusqu’à la circonférence, & que la plupart des autres plantes, comme le salsifis, le tythimale, l’éclaire, &c. en ont seulement deux ou trois rangées proche la circonférence de la tige : ces canaux qui ont leurs filets blancs & leur matière spongieuse remplie de suc coloré, se continuent de la tige aux branches & jusqu’aux extrémités des feuilles. »

M. Malpighi a observé pareillement un de ces vaisseaux, & dans son anatomie de l’écorce du sapin, il a découvert auprès de la surface externe les orifices des vaisseaux propres qui fournissent la térébenthine. On peut voir, dans la Figure 14, la disposition de l’orifice de ces vaisseaux AA, & même un de ces vaisseaux BB ; dans le spirea ils sont tout près du corps ligneux ; (Figure 15) dans le pin, au contraire, les uns sont près de l’épiderme, tandis que les autres sont près du bois, & quelques-uns dans l’épaisseur de l’écorce. (Voyez Figure 16, AA sont les vaisseaux propres)

4°. Le liber. C’est la couche corticale la plus proche du bois. Quelques auteurs ont donné ce nom à toutes les couches corticales, parce qu’elles ressemblent aux feuillets d’un livre ; mais il nous semble qu’il vaut mieux restreindre ce nom à la seule couche qui enveloppe l’aubier, parce qu’elle est un peu différente des autres ; elle est déjà un peu ligneuse, aussi est-elle plus forte & plus ferme. Il en est de cette dernière couche comme de la plus extérieure de l’épiderme ; quoiqu’elles aient une très grande analogie avec celles qui les suivent immédiatement, cependant elles sont plus parfaites & plus épiderme & liber, si on peut s’exprimer ainsi. Voyez au mot Couche Ligneuse, comment dans les différens sentimens le liber devient bois.

Telles sont toutes les parties qui composent l’écorce, & que la dissection fait aussi observer dans les petites branches, comme on les remarque sur les troncs les plus gros.

Section II.

Formation & Accroissement de l’Écorce.

L’écorce & toutes ses parties sont renfermées en petit dans la graine, & recouvrent la plume & la radicule, ou plutôt le germe AB. (Voyez Planche 15, page 511, Tome III) À mesure que le germe se développe, l’écorce prend un accroissement proportionné ; ses fibres, d’abord, très-petites & infiniment pressées les unes contre les autres, grossissent & s’écartent, ce qui leur donne de l’étendue. (Voyez le mot Accroissement) Toutes les ramifications qui se produisent dans les racines, comme dans les troncs & les branches, sont fidellement recouvertes par l’extension de l’écorce.

L’accroissement de l’écorce en largeur & en hauteur est assez facile à comprendre ; mais celui en épaisseur offre les mêmes difficultés que la formation des couches ligneuses, & les sentimens des auteurs qui ont discuté cette matière, sont également partagés. (Voyez le mot Couches ligneuses) S’il m’est permis hasarder mon sentiment après les Malpighi, les Grew, les Halles, &c. je le ferai ici, en prévenant cependant le lecteur qu’il est le résultat, non seulement de la lecture des ouvrages du savant M. Bonnet, mais encore de l’observation. La graine renferme l’écorce, & la plume & la radicule en sont recouvertes. Dans cet état, l’écorce est tout ce qu’elle doit être, c’est-à-dire, composée du même nombre de feuilles qu’elle doit avoir lorsque l’arbre aura atteint sa perfection ; je dis plus, elle en a un plus grand nombre, puisqu’une partie de les feuillets doit être détruite, & sous la forme d’épiderme, & sous la forme de liber.

Ceci demande quelque développement. Je suppose que l'écorce, dans son état de perfection, doive être composée de dix feuillets, par exemple, que ces dix feuillets doivent occuper une ligne entière, que l’arbre qui la porte doit mettre dix ans pour acquérir tout son accroissement, après lequel temps il commencera à dépérir : ces dix feuillets existent dans l’écorce de la plume & de la radicule, dans la graine, mais ils n’ont qu’un dixième de ligne d’épaisseur. Après la première année révolue, l’écorce a augmenté en largeur par l’affluence des sucs nourriciers, & le développement de la masse totale ; (voyez le mot Accroissement) alors elle aura de ligne d’épaisseur ; la troisième année l’augmentation sera plus forte, & elle aura de ligne, & ainsi de suite jusqu’à la fin de la dixième année, où elle aura la ligne entière d’épaisseur. Dans tout cet accroissement, il ne s’est point formé de nouveaux feuillets ; ce sont les dix qui se sont séparés, & ont pris toute l’épaisseur que la nature leur avoit attribuée pour être parfaits.

Que l’on applique cette comparaison à un plus grand nombre de feuillets, & l’on aura, je crois, la solution de ce beau problème de botanique.

La nature, en formant une plante, un individu quelconque, qui doit jouir de la vie & de la faculté de se développer, le produit avec tout ce qu’il doit avoir pour être parfait. Ainsi le germe en petit, est tout ce que sera un jour l’individu en grand, si rien ne s’oppose au développement de toutes les parties. La plante que nous avons mise en supposition, doit être dix ans à parvenir à son entier accroissement. Si des circonstances particulières altèrent sa santé, & avancent sa vieillesse, elle aura acquis le terme moyen de sa vie, avant que son développement total ait eu lieu ; alors l’écorce, au lieu d’avoir une ligne d’épaisseur, n’aura que de ligne ; mais elle aura toujours ses dix feuillets. Si, au contraire, une surabondance de nourriture, ou une nourriture succulente l’engraisse, pour ainsi dire, & lui fait avoir un embonpoint extraordinaire, le développement aura été plus considérable, nous aurons de ligne ; mais malgré cela, on ne retrouvera que les dix feuillets.

On peut faire peut-être l’application de ces principes à la formation des couches ligneuses. Des observations ultérieures les confirmeront sans doute.

Un second phénomène non moins intéressant, c’est celui de la régénération de l’écorce qui a péri par quelqu’accident, ou qu’on a enlevée.

M. Bonnet, dans les Œuvres duquel j’ai puisé les principes que je viens d’exposer, va lui-même en donner l’explication.

Voici ses propres paroles. (T. III. de ses Œuvres, in-4°. pag. 34.)

« Si toutes les parties d’un corps organisé existoient en petit dans le germe, s’il ne se fait point de nouvelle production, comment concevoir la formation d’une nouvelle écorce, d’une nouvelle peau ? &c. Toutes les fibres d’un corps organisé ne se développent pas à la fois ; il en est un grand nombre qui ne peuvent parvenir à se développer, qu’à l’aide de certaines circonstances ; telles sont les fibres qui fournissent aux reproductions dont il s’agit ici. La plaie faite à l’ancienne peau, détermine les sucs nourriciers à se porter aux fibres invisibles qui environnent les lèvres de la plaie, &c. mais sans recourir à l’existence de ces fibres invisibles, on peut se contenter d’admettre que les fibres des environs de la plaie étant mises plus au large par la destruction des fibres qui les avoisinoient, & recevant tout le suc qui étoit porté à celles-ci, doivent naturellement grossir & s’étendre davantage. »

Cette explication est fondée, comme on le voit, sur le principe que nous avons adopté, de la dilatation successive du réseau cortical par l’addition & la conversion des sucs nourriciers en parenchyme. Au mot Bourrelet nous avons fait voir qu’il se reproduisoit par le même mécanisme. Il est à croire que toutes les réparations végétales sont de même nature.

Section III.

De l’utilité de l’Écorce.

L’utilité de l’écorce est trop sensible pour que nous nous y arrêtions long-temps. Sa nature & celle des vaisseaux qui la composent, l’indiquent assez. L’élaboration des sucs circulans, l’entretien d’une humidité nécessaire, l’obstacle qu’elle oppose perpétuellement à une évaporation trop forte ou trop prompte, la réparation des plaies, &c. &c. sont les principaux avantages de l’écorce. Cela est si vrai, que lorsque quelques accidens ont dépouillé un arbre d’une grande partie de son écorce, il languit jusqu’à ce que une reproduction entière l’ait recouvert & regarni. On pourroit objecter cependant que souvent l’on voit des arbres, presque totalement écorcés, pousser encore des rejetons & des feuilles. Mais ces productions sont toujours foibles, & si l’écorce entière est enlevée, l’arbre mourra bientôt. Si, au contraire, il se trouve une bande d’écorce qui parte depuis le haut du tronc, & qui se prolonge jusqu’aux racines, l’arbre végétera encore assez bien, parce que les sèves ascendantes & descendantes trouveront des vaisseaux qui les porteront d’une extrémité à l’autre. (Voyez le mot Sève.)

L’humidité que l’écorce entretient autour de l’aubier est le principe de sa mollesse. Dès que cette humidité peut se dissiper, les fibres de l’aubier s’affermissent en se desséchant, & le bois en devient plus fort. Voyez le mot Aubier, où nous avons prouvé, par le raisonnement & l’expérience, l’effet, l’avantage d’écorcer es arbres quelque temps avant de les couper.

Section IV.

Écorce des Plantes, des Corolles & des Feuilles.

Nous n’avons considéré jusqu’à présent l’écorce que dans les plantes ligneuses ou les arbres, parce qu’il est plus facile d’en distinguer toutes les parties. Si nous descendons vers les plantes herbacées, nous la retrouverons encore, mais avec cette différence que l’écorce ne paroît point composée d’autant de parties, & que l’épiderme, un feuillet ou un réseau cellulaire avec du parenchyme disséminé dans les mailles, forment toute l’écorce. Les plantes qui ne vivent qu’une année, qui ne sont pas destinées à affronter les rigueurs des frimats, la vicissitude des saisons, l’intempérie de l’atmosphère, ne sont pas vêtues aussi chaudement que les autres ; comme elles n’ont point de fibres ligneuses, elles n’ont qu’un épiderme. J’avoue cependant que quelques observations que j’ai faites sur l’écorce des plantes herbacées, me porteroient à croire que l’épiderme n’existe pas seul, qu’au moins l’enveloppe cellulaire tient lieu des couches corticales ; mais elles ne sont pas en assez grand nombre pour oser décider.

Voyez au mot Corolle l’anatomie de l’écorce des corolles des plantes, & au mot Feuille, celle de l’écorce des feuilles.

Section V.

De l’Écorce considérée économiquement.

L’industrie humaine qui fait tout tourner à son profit, & qui, à chaque instant, démontre la magnificence du grand Auteur de tout, en convertissant à son usage presque tout ce qui est sorti de ses mains, a bientôt reconnu que les fibres corticales, par leur force naturelle & leur flexibilité, leur odeur ou leur saveur, pourroient lui être de quelqu’utilité. Elle a fait des tissus non moins commodes que brillans des fibres corticales du lin & du chanvre, & même du spart. L’écorce de tilleul se convertit en corde ; & tandis que l’asiatique emploie les fibres soyeuses de quelques plantes, pour en faire des toiles aussi fines que le coton, aussi belles que la soie, l’américain sauvage creuse & nettoie l’écorce des arbres antiques, qui l’ont couvert de leur ombre, pour en former ses pirogues, dans lesquelles il doit affronter les rivières les plus rapides. La médecine a su encore découvrir, dans plusieurs écorces, du soulagement à nos douleurs, & des remèdes à nos maux : telle est entr’autres celle du quinquina. M. M.