Cours d’agriculture (Rozier)/RACINES

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RACINES. Leurs différentes formes, leur organisation et les fonctions qu’elles ont à remplir dans l’économie végétale, sont développées avec clarté dans le Cours complet d’Agriculture ; mais, indépendamment des usages des racines comme parties essentielles à la nutrition des plantes, et pour les fixer au sol qui les a vu naître, elles servent encore à la subsistance des hommes et des animaux : c’est sous ce dernier point de vue que nous devons les considérer.

Les racines potagères, dont nous connoissons aujourd’hui un assez grand nombre de variétés, n’étoient cultivées autrefois que dans les jardins ; à peine s’en trouvoit-il quelques carrés dans les plus vastes enclos ; mais, dès qu’on en eut apprécié les avantages pour la nourriture des bestiaux, on destina à leur culture des terrains d’une plus grande étendue, on les sema donc en plein champ ; et il est prouvé maintenant qu’elles y viennent aussi parfaitement, lorqu’on leur donne les mêmes façons, un fonds qui leur est propre, et qu’on espace suffisamment les pieds entr’eux. J’ajouterai, sans craindre d’être démenti, que, toutes circonstances égales d’ailleurs, plusieurs sont d’un goût supérieur, à cause du fumier qu’on y emploie en moindre quantité ; car on sait que la partie des plantes dont l’odeur et la saveur se ressentent davantage de la nature du sol et des engrais, ce sont les racines qui, provenant des jardins, ont à la vérité, plus d’embonpoint que celles des champs, mais en revanche moins de qualité.

On a cherché à révoquer en doute la bonté des racines, relativement à la qualité alimentaire ; mais, si elles sont moins nutritives que les semences, il est impossible de leur refuser d’être plus substantielles que les fruits ; la plupart renferment les principes qui constituent les autres parties des végétaux ; et, si elles ont passé, dans l’esprit de quelques physiologistes, pour fournir la nourriture la plus grossière, ce n’est point que l’aliment s’y trouve plus atténué et moins élaboré que dans les graines farineuses, puisque l’amidon et le sucre, les matières odorantes et colorantes qu’on en extrait, jouissent des mêmes propriétés ; le parenchyme libreux y domine seulement ; c’est ce parenchyme qui rend l’aliment plus ou moins grossier, à raison de la quantité qu’il en contient ; car la matière muqueuse plus disséminée, plus fluide dans les racines que dans les semences, est très-disposée, par la combinaison que la simple cuisson opère, à se rassembler, à se concréter, à passer ensuite dans le cours de la circulation, à se mêler avec nos liqueurs, et à prendre bientôt le caractère animal dont elle paroît éloignée dans l’étal naturel.

J’observerai à cet égard que, quoiqu’au moyen de la culture, les racines aient acquis, pour notre usage, un volume extraordinaire, on ne peut cependant cesser de les considérer comme le réservoir de la nourriture destinée à la reproduction de la graine, et devant contenir, sinon les sucs les plus élaborés, au moins les matériaux propres à les constituer. Il paroît qu’en effet les racines étant une fois formées dans les plantes bisannuelles, celles-ci ne tiennent plus leur nourriture de la terre, elles la prennent dans la substance même de la racine qui, devenue porte-graines, se creuse, s’affaisse et s’anéantit.

Il n’est donc pas douteux que les racines ne soient pourvues de sucs aussi affinés que les autres parties des végétaux. Toutes, à la vérité, n’ont pas en réserve une matière nutritive ; les unes, d’abord molles et charnues, deviennent dures et ligneuses en très-peu de temps ; les autres n’offrent, à l’origine de leur formation, que des filets chevelus, que des amas de fibres et non des sucs mucilagineux. Mais nous avons également des semences aussi dures dans leur substance intérieure que dans leur écorce, et que nous tourmenterions inutilement pour en extraire un aliment : il faut absolument y renoncer.

Les racines ont joui, de temps immémorial, de la plus grande célébrité, depuis sur-tout que la culture et l’industrie sont parvenues à les perfectionner et à multiplier leurs variétés ; il existe encore des peuplades qui font consister une partie de leurs ressources alimentaires dans cette partie des végétaux. Démocrite, quia écrit, il y a environ deux mille ans ; Columelle, Varron et Calony tous ces patriarches de l’agriculture leur attribuoient des propriétés merveilleuses ; ils pensoient qu’un jardin potager étoit ce qui rapportoit le plus dans une ferme, et que le produit suffisoit, au delà, pour les besoins du colon. On ne sauroit même douter que l’usage de ces racines ne fût étendu jusqu’aux bestiaux, puisque, dans la distribution de la métairie, ils indiquent les mangeoires pour la nourriture des bœufs pendant l’hiver.

Il seroit superflu d’insister ici sur la nécessité de faire choix, pour les plantes à racines charnues, du sol qui leur convient respectivement, si on veut avoir des récoltes abondantes, et de qualité supérieure ; que, dans des terres trop fortes, elles s’épuisent en feuillages, et grossissent d’autant moins en racines ; que, quand elles ont poussé leurs premières feuilles, il faut les éclaircir, parce que les pieds trop écartés donnent des racines grosses, il est vrai, mais spongieuses et creuses ; que, trop rapprochées, au contraire, elles ne produisent que des racines minces et fibreuses. Tous ces détails sont développés dans cet Ouvrage, aux mots Rave, Chou, Carotte, Betterave, Panais, Pommes de Terre, Topinambour.

Une vérité que nous ne saurions assez reproduire, c’est que les racines charnues, soit farineuses, soit muqueuses, doivent être, après les grains, placées au nombre des substances végétales les plus chargées de parties nourricières ; qu’elles renferment tous les principes qui constituent le corps alimentaire ; que la plupart portent leur assaisonnement avec elles, et n’ont besoin que de la simple cuisson dans l’eau ou sous les cendres, pour devenir un comestible salutaire ; qu’enfin, réunies plusieurs ensemble, elles forment des potages que le suc de nos viandes peut à peine imiter. Considérons-les maintenant sous le double rapport de la nourriture qu’elles peuvent procurer et aux hommes et aux animaux.

Des racines potagères pour la nourriture de l’homme. Ouvrons les meilleurs traités d’économie rurale et domestique, nous verrons les racines potagères servir, une grande partie de l’année, de fondement à la subsistance de plusieurs cantons. Parcourons ensuite la Flandre, la Lorraine et l’Alsace, et nous serons convaincus que ce nombre considérable de domestiques, cette quantité d’animaux de toute espèce que renferme chaque métairie, dans ces anciennes provinces, ont pour base de leur nourriture l’usage des racines potagères. Elles favorisent la multiplication des bestiaux, le nettoiement des mauvaises herbes, et l’abondance des engrais. Dans ces cantons, les hommes sont vigoureux, bien nourris, bien vêtus ; ils ne doivent rien à leurs propriétaires et aux percepteurs.

Mais, si une longue expérience a prouvé qu’il n’y a pas de terrains, de climats et d’aspects ou l’on ne puisse faire prospérer les racines potagères, qui pourroit donc nous empêcher d’en recueillir les avantages ? Les unes aiment les fonds bas et humides, les autres se plaisent dans les terres qui vont en pente, et sont d’une qualité légère ; mais, en général, c’est ans les terrains chargés de sable et de gravier, qu’elles réussissent le mieux, et, quelle que soit leur aridité, elles peuvent y être appropriées, sans nuire à la culture des grains, toujours plus abondans, quand ils leur succèdent. La plaine Saint-Denis, comparable autrefois à la plaine des Sablons, n’offre-t-elle pas aujourd’hui le tableau le plus intéressant du plus riche potager ?

Ces avantages sont si bien connus des Irlandais, que, pour améliorer leurs terres et y faire ensuite de riches moissons, beaucoup de fermiers sont dans l’usage de louer, pour une somme modique, leurs terres légères contre deux récoltes de grains, à des cultivateurs qui les couvrent de plantes potagères, dont le succès est assez constant, parce que ces plantes, à l’exception des pommes de terre, sont toujours arrachées avant la fleuraison, c’est-à-dire avant le moment où le végétal, occupé de former les principes de la génération future, exige le plus du sol. D’ailleurs, les racines, par leur forme, laissent intacte toute la substance de la terre qui avoisine la surface, et le blé est plus beau sur un champ qui vient de produire des turneps et des carottes, que sur celui qui aura rapporté d’autres grains.

On a une si haute idée de l’effet salutaire et nutritif des racines potagères, qu’on a proposé, dans ces derniers temps, de les réduire sous forme sèche et pulvérulente, pour en jouir dans les contrées lointaines, ou lorsque la saison ne permet plus de s’en procurer de fraîches. Renaud, entr’autres, avoit présenté des échantillons de ce nouveau genre d’approvisionnemens au maréchal de Castries. Consulté sur les avantages que la marine pourroit en retirer, je crus devoir saisir l’occasion d’un voyage de long cours, pour en apprécier la valeur ; en conséquence je déterminai le ministre à donner des ordres pour qu’il fût embarqué, à bord des bâtimens que commandoit l’infortuné la Pérouse, une certaine provision de poudre de racines, et je rédigeai une instruction pour s’en servir.

Cependant, tout en applaudissant à ces vues utiles pour la santé et la conservation tics équipages, j’observerai qu’à l’exception des carottes, des panais, et du raifort, qui contiennent du sucre et de l’amidon, les autres racines potagères ne me paraissent pas mériter la même considération, vu qu’elles perdent à l’étuve une grande partie de leur saveur, pour en contracter une très-mauvaise, à moins qu’on n’ait eu l’attention de les faire bouillir dans l’eau, préalablement à la dessiccation, de les diviser ensuite par tranches ; mais, malgré ces précautions, ce n’est pas encore chose aisée de les pulvériser, parce que, dans cet état, les racines prennent assez ordinairement, soit un caractère corné, soit un état flexible et mollasse ; dans l’un et l’autre cas, l’action du pilon devient très-difficile.

Toutes les fuis qu’un homme a de bonnes vues, il arrive souvent que, quand elles ne reposent point sur des connoissances positives, il les gâte par d’autres prétentions.

Renaud a également proposé de donner la même forme à des plantes très-aqueuses, dont l’arôme et le montant sont très-fugaces, comme le cresson, le cochléaria, le cerfeuil, etc. Le résultat, d’après l’examen que j’en ai fait, ne sauroit offrir rien d’utile, sous aucun rapport ; ce sont de ces niaiseries qu’il faut reléguer dans la classe nombreuse des recettes plus ou moins ridicules et impraticables. Tenons-nous-en donc principalement aux carottes et aux panais qui, coupés par tranches circulaires minces, et exposés à une chaleur de quarante degrés, perdent leur eau de végétation et se dessèchent au point de se pulvériser ; mais il faut avoir l’attention de conserver la poudre qui en résulte, dans une caisse bien fermée et dans un lieu extrêmement sec, parce qu’elle attire facilement l’humidité de l’air et fermente. Une cuillerée à café de la poudre dont il s’agit peut donner toute la saveur et l’odeur des racines fraîches aux racines potagères et aux ragoûts, lorsqu’on ne peut plus avoir ces dernières de bonne qualité, ainsi que je m’en suis assuré par une suite d’expériences nombreuses.

On fait encore, avec les racines, des purées excellentes : c’est particulièrement au printemps qu’il convient de les réduire sous cette forme, parce qu’alors la germination les travaille intérieurement : quelque soin qu’on prenne de leur conservation, elles deviennent dures, fibreuses et très-âcres : or, ces défauts disparaissent lorsqu’on les convertit en purée ; nous proposerons les pommes de terre pour exemple. On fait cuire ces racines à grande eau ; on les épluche ; on les écrase au moyen d’une passoire, on se sert de bouillon pour véhicule ; et on la met sur le feu pour évaporer et lui faire prendre la consistance requise ; alors on ajoute un peu de sel et de la moutarde. Cette purée peut être servie avec des saucisses, du mouton, du lard, du petit salé, un fricandeau. Elle est d’un grand usage dans la Flandre, et partout où la pomme de terre est considérée pour ce qu’elle vaut réellement ; mais revenons à la culture en grand des racines.

Cette culture diffère de celle des graminées par l’époque de leur semis, par les façons qu’elles exigent, par leur court séjour en terre, par le temps indiqué pour en faire la récolte.

rendant qu’elles parcourent les périodes de leur premier accroissement, elles ont l’avantage de couvrir la surface du sol par leur feuillage, de s’opposer à l’évaporation de l’humidité de la surface, de la retenir dans l’intérieur, et de soutirer de l’atmosphère tous les fluides gazeux nécessaires à la végétation, avantages incalculables que ne peuvent avoir ni les stériles jachères, ni les plantes céréales, dont les feuilles et les tiges durcies, flétries et desséchées, sont hors d’état de remplir les fonctions d’organes aspirateurs, à une époque où la terre, exposée à toute l’ardeur du soleil, éprouve, s’il est permis de parler ainsi, une sorte de torréfaction.

Cette considération devroit, ce me semble, être de quelque poids, et servir à justifier l’opinion dans laquelle on est assez généralement, que la culture des racines potagères est un moyen efficace de reposer la terre ; qu’elles lui rendent beaucoup plus de principes qu’elles n’en ont reçus ; que l’épaisseur et l’étendue de leur feuillage contribuent à la maintenir en un meilleur état, en couvrant et ombrageant tout le terrain ; elles empêchent la croissance des plantes parasites, attirent tous les matériaux de la sève, et enrichissent plutôt le sol qu’elles ne l’appauvrissent. Il nous paroît donc, par une suite de ce raisonnement, qu’il faut être très-circonspect, lorsqu’il s’agit de retrancher leur feuillage, non seulement pour le volume et la qualité des racines, mais encore pour l’avantage du fonds lui-même, et le succès des récoltes futures, enfin pour la santé des habitans.

Il existe, dans un des faubourgs de St-Omer, des tissus de racines mêlés de terre grasse, détachés les uns des autres, mobiles et errans, qui ne s’enfoncent jamais. Quoique les hommes s’y promènent et que les bestiaux y paissent, il s’y est formé, depuis quelques années, des atterrissemens qu’on a défrichés, et qu’on loue jusqu’à cent francs l’arpent. Les habitans de ce faubourg, distingués des autres citoyens de la ville par leurs mœurs, par leur langage et par leurs vêtemens, sont au nombre de trois mille environ, et semblent composer une espèce de république particulière, dans laquelle on retrouve les traces de la simplicité et de la bonne foi du premier âge. Ils ont converti ces terres marécageuses en jardins potagers, qui représentent autant de petites îles d’où l’on ne sauroit sortir qu’à l’aide d’une chaloupe. Cultivant exclusivement des plantes potagères, ils en transportent sur des barques aux marches de Saint-Omer, de Dunkerque, d’Aire et même jusqu’à Lille. Il en résulte, pour le pays, la salubrité de l’air et un commerce considérable. Par-tout où la culture peut s’établir, les lieux aquatiques deviennent sains, et où les bras trouvent un salaire avantageux, ils s’y multiplient. Combien de terrains vagues et marécageux, qui répandent au loin l’infection et la mort, rappelleroient la santé et la vie par la végétation vigoureuse de ces plantes ! Si elles ne sont pour les riches citadins qu’un accessoire à leur nourriture, un mets de plus sur leurs tables, de quelle utilité ne seroient-elles pas dans les campagnes, où souvent il n’y a qu’un peu de lard ou de beurre pour faire la soupe ? Elles deviendroient la bonne chère de leurs habitans.

Les racines potagères, dira-t-on, sont généralement cultivées en France ; il n’y a pas de jardin où l’on n’en apperçoive quelques carrés ; les hommes en vivent certains jours de l’année, et font manger les rebuts à leurs bestiaux. Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut les considérer ; et, tant que leur culture en grand, qui fait une des branches de la richesse rurale de l’Allemagne et de l’Angleterre, se trouvera reléguée dans deux ou trois de nos provinces, les racines ne pourront jamais former la base de la subsistance journalière du ménage et de la basse-cour. N’est-il pas ridicule que les cantons ruraux les plus éloignés des cités n’en récoltent pas de quoi fournir à leur propre consommation, et que, forcés souvent d’aller s’en approvisionner à la ville, ils rapportent au village, en échange des grains qu’ils ont vendus au marché, une denrée toujours trop chère et trop rare, pour profiter de tous ces avantages, lorsqu’il leur seroit si facile de consacrer toujours, dans les environs de l’habitation, quelques arpens à cette culture, dont le produit ne sauroit être apporté de loin, sans des embarras et des frais qui nécessairement en rehaussent le prix et en circonscrivent l’emploi ?

Cette indifférence pour une ressource peu coûteuse, et en même temps pour la possibilité de retirer d’une petite étendue de terrain une quantité énorme de nourriture, influe nécessairement sur nos marchés. Dans les campagnes où lesracines potagères sont pour ainsi dire ignorées, les habitans consomment beaucoup de grains, négligent de faire des élèves, et ont par conséquent peu de bestiaux, ce qui diminue les seuls moyens qu’ils aient d’avoir de l’argent, et de satisfaire à tous leurs besoins ; tandis que quelques arpens consacrés, chaque année, aux racines potagères, les mettroient en état de subvenir au paiement de leurs charges, aux avances que demandent les améliorations, et de procurer à tout ce qui les environne une nourriture saine et abondante.

Racines potagères pour la nourriture des bestiaux. La multiplication des subsistances pour le bétail a été, de tous les temps, regardée comme un des meilleurs principes d’agriculture ; c’étoit la maxime des anciens : Une plante nouvelle applicable à la nourriture des hommes et des animaux, pendant la morte saison, est une double conquête.

C’est sur-tout dans le voisinage des grandes villes que la culture en grand des racines potagères deviendroit intéressante pour l’engrais des animaux destinés à la boucherie, pour les vaches laitières, qui donneroient pendant l’hiver plus de produits qu’avec le fourrage sec dont on les nourrit ordinairement ; d’ailleurs, on pourroit en trouver un débit avantageux, aujourd’hui que les racines forment la base de plusieurs ragoûts, qu’elles paroissent avec intérêt sur la table, et servent d’accessoire aux compositions des soupes économiques qui, heureusement, prennent une grande considération dans la classe indigente. Si les racines potagères succédoient constamment aux grains, dans l’année de jachères, elles deviendroient, comme tant de faits l’attestent, étant mêlées en certaines proportions au fourrage ordinaire, un moyen de prolonger, par l’abondance de leurs sucs, les effets du vert, toute l’année, et de conserver les animaux dans cet état de vigueur et d’embonpoint, si nécessaire pour le renouvellement des espèces ; l’hiver seroit infiniment moins long pour les bestiaux qui, fatigués du régime sec, soupirent après le retour du printemps. Le cultivateur, de son côté, seroit assuré, dans tous les temps, de partager avec les compagnons de ses travaux l’aliment qui leur est destiné, de mettre chaque année le sol en valeur, sans le détériorer, de recueillir enfin de belles moissons après l’une ou l’autre de ces racines potagères.

Les habitans des campagnes, instruits par la leçon du malheur, qu’il ne falloit pas compter trop exclusivement sur la récolte des foins et des avoines, ont recours aux prairies artificielles, dont les produits sont assez généralement plus certains. Mais combien de fois cette ressource ne leur échappe-t-elle pas encore ! Désespérés de voir leur bétail privé d’une nourriture suffisante, pendant l’été, et exposés, par conséquent, à s’en défaire aux approches de l’automne, ils seroient consolés par la douce espérance de le mieux nourrir l’hiver, et ils trouveroient du bénéfice dans la vente des productions qui en résulteroient.

Les effets de la disette des fourrages qu’on a éprouvée par l’extrême sécheresse de 1785, qui n’épargna aucun de nos départemens, ont été moins funestes à ceux de leurs habitans qui ont coutume de cultiver en grand les racines potagères. La grêle désastreuse du 13 juillet 1788, qui a changé le tableau de la plus riche moisson en un spectacle de la plus affreuse calamité, n’auroit pas enlevé toutes les ressources aux cantons qui l’ont essuyée, s’ils eussent couvert quelques arpens de ces plantes. Nous n’avons sauvé, m’ont écrit, à cette époque critique, plusieurs petits cultivateurs désolés, que le produit des pommes de terre que vous nous aviez données à planter.

Les propriétaires éclairés, qui font consister aujourd’hui une partie de leur revenu dans les troupeaux, ont essayé depuis peu de leur donner des racines pendant l’hiver ; les avantages qu’ils en ont déjà obtenus ne leur permettent plus d’abandonner cet usage. Combien de cultivateurs gagneroient à l’adoption d’une pareille pratique, s’ils vouloient faire taire leurs préjugés et imiter ceux qui leur prêchent d’exemple ! L’économie qui résulteroit de l’usage des racines administrées à l’étable ou à la bergerie, pendant à peu près la moitié de l’année, où l’on est presqu’entièrement privé de pâturages, est incalculable.

Il seroit superflu de faire remarquer ici que la substitution des racines aux grains ne doit rien changer au régime des animaux, et qu’il ne faut pas moins continuer de leur donner le fourrage dont on peut disposer ; mais il convient d’ajouter qu’un arpent de racines représente cinq arpens en grains, d’où il est naturel de conclure que le champ seroit en état de nourrir trois fois plus de bestiaux. Les cultivateurs allemands prétendent que son produit est décuple d’une même étendue de prairies artificielles.

Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’année où, pendant l’hiver, il n’arrive quelques révolutions subites sur le prix de la viande, occasionnées par une foule de circonstances qui s’opposent à l’arrivée des bestiaux venant des pays éloignés ; et il n’est pas rare de voir, dans nos marchés, la viande augmenter, d’une semaine à l’autre, de quatre à cinq sous la livre. Dans ce cas malheureux, les bouchers achètent tout ce qu’ils rencontrent : mères et petits, bêtes grasses et maigres ; la disette fait mettre tout sous le couteau. Ce seroit alors que les cultivateurs qui avoisinent la capitale auroient un grand bénéfice, s’ils tiroient de loin, dans la saison opportune, des moutons maigres, qu’ils engraisseroient en les nourrissant à la bergerie, pendant deux mois environ, avec des racines. Cette spéculation avoit lieu autrefois, mais c’étoit avec du grain pur et du fourrage de choix ; or, cette manière d’engraisser, trop coûteuse, les a déterminés à renoncer à une branche d’industrie qu’il seroit avantageux de favoriser et d’encourager, en suppléant à ces grandes dépenses par des productions de moindre valeur. Il faut voir le Mémoire des Expériences de Cretté-Palluel, sur les effets comparatifs des racines employées à l’engrais des moutons à l’étable, inséré dans le trimestre d’été 1788, de l’ancienne Société d’Agriculture de Paris. Des commissaires se sont rendus à Dugny, pour constater le résultat de cet essai intéressant, et leur rapport a été que la chair des animaux, nourris et engraissés ainsi, étoit très-succulente et de fort bon goût.

Le produit des plantes potagères ne consiste pas seulement dans leurs racines ; elles fournissent encore, pendant le cours de leur végétation, des feuilles qui sont mangées avec avidité par les bestiaux. Il est de ces plantes dont on retire plusieurs coupes, telles sont les betteraves champêtres. L’opération, il est vrai, d’effeuiller, à diverses époques de leur développement, certaines plantes, demande à être exécutée avec ménagement ; mais cette soustraction des feuilles est-elle un bon calcul, et ne doit-on pas craindre de nuire aux racines, ce qui est l’objet principal ? La pomme de terre, la carotte, le turneps, qui ne fournissent qu’une seule coupe, seul dans ce cas ; et c’est encore un problème de savoir si l’on gagne plus par l’effeuillement, qu’on ne perd par la diminution du volume des racines. Toutes ces connoissances pratiques s’acquerront insensiblement, dès que les racines potagères pourront être admises au nombre des grandes cultures, et qu’on sera persuadé qu’elles améliorent la terre, loin de l’appauvrir, et que même elles peuvent servir d’engrais au sol dans lequel elles ont pris leur accroissement : considérées sous ce rapport, elles sont d’une très-grande utilité. Lorsqu’on est au dépourvu de fumier, il suffiroit de donner un coup de charrue, pour découvrir la tête des racines, et les exposer à la gelée ou à la pluie : ainsi endommagées, elles se gonflent, se décomposent et forment un très-bon engrais, sur-tout pour les chanvres, les lins, etc., si le sol est propre au succès de ces deux plantes.

Quoique le but de cet article ne soit pas de faire connoître toutes les variétés des racines potagères, et que chaque espèce, à l’exception du topinambour, en offre plusieurs, il n’est pas douteux qu’à mesure que ces plantes acquerront parmi nous le degré de considération qu’elles méritent, leur nombre ne se multiplie, et qu’on ne puisse en avoir pour toutes les qualités de sol. C’est ainsi que, parmi les navets, on en a trouvé une variété, telle que le navet de Suède, par exemple, dont les bestiaux sont extrêmement friands, et qui n’est nullement difficile sur le choix du terrain ; ce navet a encore le précieux avantage de résister aux plus fortes gelées, et de se conserver en terre d’une récolte à l’autre. On ne sauroit donc trop propager sa culture, et la Société d’Encouragement pour l’industrie nationale, qui justifie de plus en plus son titre, vient de donner une nouvelle preuve de son zèle éclairé, en proposant un prix pour la multiplication de cette utile racine. La culture des carottes, qui n’est pas moins recommandable, a été également l’objet de son attention.

Moyennant cette multiplicité et cette abondance de racines, il sera possible d’en distribuer alternativement, et sous des formes différentes, aux bestiaux. Cretté-Palluel a remarqué que des moutons qui mangeoient depuis long-temps de la pomme de terre, et qui paroissoient en être dégoûtés, dévoroient la betterave ; il en étoit de même de ceux qu’on nourrissoit de turneps ou de betteraves ; la diversité d’alimens aiguillonne et soutient l’appétit. Les gros navets commencent l’engrais des bœufs, dans le Limousin, et peut-être le conduiroient-ils plus loin, si on ne se bornoit pas à la culture de cette racine, et qu’on en eût d’autres à lui substituer. On doit observer seulement qu’ils ont moins besoin de boire que quand ils sont au sec. Avant de livrer au boucher les animaux nourris et engraissés avec les racines, il faut les soumettre à l’usage du foin ou de quelque farineux, pour rendre leur graisse et leur chair plus fermes et plus succulentes.

Il ne suffit pas de se procurer beaucoup de racines potagères ; il faut savoir les conserver pendant l’hiver. On ne peut se dissimuler que, quand on a la récolte de plusieurs arpens à mettre en réserve, il seroit difficile de se servir des pratiques indiquées aux mots Pomme de terre et Rave, parce qu’il faudroit les multiplier à l’infini, et que d’ailleurs les cultivateurs manquent d’emplacement pour garder de grandes provisions. Voici une pratique à essayer, que mon collègue Yvart m’a communiquée.

Elle consisteroit à faire, avec de la paille de peu de prix, très-commune dans presque toutes les fermes, une meule creuse, arrangée de cette manière : on feroit d’abord, avec des broussailles et de la paille, un large sous-trait, très-épais et très-serré, afin de garantir les racines de l’humidité et des rats ; on élèveroit ensuite tout autour de ce sous-trait un mur de paille, de trois pieds de haut environ, sur quatre de large au moins ; on y placeroit facilement et commodément les racines, au moyen d’une ouverture pratiquée d’un côté, ou même en les jetant par-dessus le mur ; lorsque la cavité seroit comblée, on couvriroit le tas d’une couche de paille, et on continueroit d’élever le mur de la même manière, et à multiplier, suivant le besoin, le nombre des couches, qui pourroient aussi renfermer les différentes espèces qu’on auroit cultivées. On recouvriroit le tout d’une quantité de paille suffisante, pour prévenir l’accès du froid, du chaud et de la pluie. Toutes les fois qu’on auroit besoin de racines, il seroit facile d’en entamer une couche, sans nuire en aucune manière aux autres.

On pourroit commencer à jouir des racines dès la fin de septembre, sur-tout si le fourrage étoit rare, parce que, dans leur nombre, il y en a de tardives et de hâtives, consommer d’abord celles qui sont sensibles au froid, telles que la pomme de terre, et finir par le navet de Suède et le topinambour, qui bravent la gelée. Il est possible que les animaux, qui ne sont pas encore familiarisés avec les racines, montrent, la première fois, de la répugnance et refusent de les manger ; mais on les habitue insensiblement à cette nourriture, en ne les leur administrant, dans le commencement, que bouillies dans de l’eau et mélangées avec un peu de son, de foin, etc. Le grand point, pour les animaux qu’on engraisse, c’est de leur donner peu à la fois, pour les exciter à manger plus qu’ils ne feroient si on leur en donnoit des quantités considérables.

Les racines s’administrent ordinairement quatre fois le jour aux bestiaux, le matin, à midi, à cinq heures et à neuf heures du soir ; cette dernière ration doit être plus forte. Lorsqu’on approche du terme de vendre les bestiaux nourris et engraissés avec des racines, il faudroit, avant de les livrer aux bouchers, les soumettre, une quinzaine, à l’usage du foin ou de quelque autre farineux, par intervalles, afin de rendre leur graisse plus ferme et leur chair plus succulente, et sur-tout quand les racines appartiennent à la famille des choux et des raves, qui ont un montant propre à communiquer un mauvais goût à la viande. On verra, à l’article Pommes De Terre, la manière de faire manger les racines sur place, sans avoir besoin d’en faire la récolte, et, par conséquent, de transporter le produit à la ferme.

Mais ce n’est pas assez d’avoir fait sentir tous les avantages qu’il y auroit de fournir, pendant l’hiver, une nourriture fraîche et salutaire aux animaux, il faut encore chercher à lever les principaux obstacles qui peuvent s’y opposer. Ce seroit rendre un important service à l’agriculture française, que de trouver une méthode facile, et en même temps économique, pour cultiver en grand les racines potagères ; car nous ne pouvons nous dissimuler que cette culture deviendra longue et coûteuse, dans les cantons où le sarclage et la récolte se font à la main ; l’embarras augmentera même encore, si l’on n’a pas la précaution de les semer par rangées, pour permettre à la houe à cheval, à la petite charrue, de passer par les intervalles, pour biner et récolter : d’ailleurs, il faut aussi que le cultivateur jouisse d’une sorte d’aisance qui lui permette d’acheter assez de bestiaux, pour leur faire consommer ces racines.

Tout en convenant des avantages de la culture en grand des racines potagères, M. Sageret l’a plusieurs fois tentée vainement dans les environs de Paris ; ce qui l’a sur-tout effrayé, c’est le prix exorbitant de la main-d’œuvre. Dans le nombre des racines qu’il a essayées, nous citerons la carotte et le navet : la première est lente à lever, et long-temps après sa naissance, elle se trouve encore foible et étouffée par une multitude d’herbes parasites ; la seconde a un autre inconvénient, celui d’être la proie des insectes, au premier développement des feuilles ; il faut, à cette époque, l’éclaircir, autrement elle ne fourniroit que des racines plus fibreuses que charnues ; mais, dans l’état actuel de notre agriculture, la méthode employée pour les carottes ne paieroit pas les frais, quand bien même leur abondance forceroit de les consacrer aux bestiaux. D’un autre côté, lorsque la sécheresse les fait manquer, ce qui n’arrive que trop souvent, attendu que le sol qui leur convient doit être plus sablonneux qu’argileux, et que le produit est alors si mince, que le prix, à quelque taux qu’on le suppose, compense à peine les frais énormes qu’elles ont coûtés.

Pénétré des avantages immenses attachés à la culture en grand des racines potagères, et à l’emploi de leurs produits pour l’homme et pour les animaux, dans une multitude d’époques, de terrains et de climats différens, Rozier n’a rien oublié de tout ce qui intéresse la carotte, et il forme des vœux pour que sa culture en grand s’introduise en France. Ce vœu est peut-être sur le point de se réaliser. La Société d’Encouragement pour l’industrie nationale a proposé au concours, un prix de 600 fr., pour l’an 13, à celui qui, dans cette année, aura cultivé des carottes, non pas dans un potager, mais en campagne ouverte, à l’instar des Flamands et des Allemands, sur un terrain de deux hectares, ou six arpens. J’ai cru qu’il seroit utile d’insérer ici le programme de cette compagnie.

« La culture en grand des carottes, pour la nourriture des animaux, a été recommandée avec raison par un grand nombre d’agronomes. Cette racine est non seulement très-agréable aux chevaux, aux bêtes à cornes, aux moutons et aux porcs, mais encore elle leur fournit, pendant l’hiver, une nourriture fraîche et abondante ; cependant, malgré les essais heureux qui ont été tentés à cet égard en France, malgré les exemples constans de quelques nations voisines, la culture de la carotte, dans une grande partie de la France, est encore bornée à nos jardins potagers, et le prix élevé de cette racine, dans nos marchés, prouve qu’elle n’est pas assez multipliée, même pour la nourriture des hommes. La Société ne croit pas devoir répéter ici des détails de culture et de produit, qui se trouvent dans tous les livres d’agriculture et de jardinage ; mais elle veut appeler, sur la pratique, l’attention des agriculteurs, et leur montrer l’importance qu’elle attache à cette culture précieuse. En conséquence, elle se propose de décerner, en l’an 13, un prix de la valeur de 600 fr., à un agriculteur qui, dans un département où la culture en grand de la carotte n’est pas pratiquée, aura cultivé avec succès cette plante sur la plus grande étendue de terrain, cette étendue ne pouvant être moindre de deux hectares (environ six arpens de Paris.)

» Dans le cas où plusieurs concurrens auroient ensemencé et cultivé avec les mêmes précautions une égale étendue de terrain, la Société accorderoit le prix à celui qui auroit semé ses carottes avec les grains de mars. Cette pratique, qui a lieu dans plusieurs pays, a des avantages, et la Société saisit cette occasion de mettre les cultivateurs à même de les mieux apprécier.

» Dans cette hypothèse, on doit employer quatre kilogrammes de graines par hectare de terre (environ trois livres par arpent.) Semées de cette manière, les carottes exigent moins de binage et de sarclage, et peu de temps après la récolte des grains de mars, les champs sont couverts de fanes des carottes, qui ont poussé à l’abri des plantes qui entretiennent une fraîcheur favorable à leur végétation.

» On se borne à indiquer que la fourche de fer à trois dents est l’instrument le plus commode pour arracher les carottes. Une charrue à petit soc peut être employée à cet usage dans les grandes exploitations, et cette méthode est beaucoup plus expéditive. »

Aussitôt que ce programme a été connu, le président du Sénat conservateur, M. François de Neufchâteau, pour déterminer les fermiers des terres du Sénat ou de la Légion d’honneur à concourir au prix, s’est empressé de publier les résultats des expériences entreprises sur la carotte et le panais. Ces dernières racines peuvent en effet prospérer dans une terre différente du sol favorable aux carottes ; elles sont aussi moins sensibles à la gelée, il est possible de les laisser impunément en terre. Ces deux espèces de racines peuvent s’unir et croître dans le même terrain.

Nous engageons le lecteur à lire l’ouvrage de M. François de Neufchâteau.

Supposons maintenant toutes les difficultés vaincues, il en reste encore une assez majeure pour se flatter que la méthode de cultiver en grand les racines potagères, puisse être généralement adoptée en France ; et en effet, tant que les héritages ne seront point environnés de haies, que nous n’aurons aucune sorte de clôture et qu’un fermier ne pourra pas dire : « Ce champ est à moi, je puis seul y conduire mon troupeau » ; ce sera en vain qu’on cherchera à éclairer les habitans des campagnes sur les avantages incontestables de la culture dont il s’agit.

Nous ne cesserons de le répéter, c’est à la faveur des racines potagères que, dans quelques endroits, on est parvenu à diminuer les jachères, à commencer les défrichemens, et à augmenter par conséquent le produit territorial. Il n’y a donc personne qui ne soit réellement intéressé à l’extension de cette culture, puisque la même étendue de sol nourrira un plus grand nombre d’hommes et de bestiaux ; d’où résultera nécessairement une diminution sensible dans le prix de la viande de boucherie, sans renchérir celui du pain ; cette subsistance augmentera la constitution physique de nos villageoises animaux, mieux nourris, perfectionneront leurs races et seront de plus facile défaite ; ce qui entretiendra dans le pays un commerce d’échange qui répandra par-tout l’aisance, par conséquent la santé et le bonheur.

Machine propre à diviser les racines destinées à la nourriture des animaux. Il est nécessaire que les racines, pour produire tout leur effet, soient déchirées par la dent des bestiaux, et que pendant la mastication, elles s’imprègnent de salive qui, comme on sait, favorise l’acte de la digestion. On a donc profité des recherches que les Allemands ont faites, pour découper les racines promptement et à peu de frais.

De tous les instrumens imaginés pour remplir ces vues, aucun n’a d’abord eu plus de succès que celui que Cretté Palluel avoit fait construire d’après les dessins de Gobert, serrurier. Il présenta ce moulin-couteau à la Société royale d’Agriculture de Paris, qui l’accueillit et le fit graver dans l’un des trimestres de cette compagnie. Depuis ce temps, Gilbert, à la fin de son savant Traité des prairies artificielles, et M. Bourgeois, économe de l’établissement impérial de Rambouillet, en ont fait construire un autre.

On ne peut refuser à cette machine de réunir à la simplicité, la commodité, puisqu’un enfant peut la faire mouvoir et hacher, en tranches assez minces et menues, douze boisseaux de racines en cinq minutes. Cette promptitude du service est très-avantageuse dans les exploitations d’une certaine étendue ; cependant, elle ne peut convenir, vu son prix, qu’à un fort métayer ou à un grand propriétaire. En voici la description :

Explication de La Planche VII. La fig. 1ere représente le bâtis de cette machine, vu tout à découvert.

AAAA, sont les quatre montans de bois, emmanchés à tenon et mortoise par le bas, dans deux patins ou semelles NN.

BBBB, Traverses emmanchées dans les quatre montans.

CCCC, Quatre autres morceaux de bois ajustés en forme de X, qui retiennent le roulement du châssis, et servent encore à soutenir le cylindre, à travers lequel passe l’arbre tournant.

D, Trémie où l’on verse les racines que l’on veut hacher.

E, Porte qui sert à fermer le devant de la machine, et qui se trouve ouverte dans cette position.

Il y a une porte pareille à la face opposée ; les deux côtés de ce hachoir doivent être aussi fermés par des planches minces et clouées à demeure ou rainées dans le bâtis, les deux portes étant suffisantes pour faciliter les réparations et voir le mécanisme de la machine.

F, Cylindre creux, garni de lames tranchantes.

GGGG, Traverses de bois parallèles, servant à recevoir les coulisseaux décrits dans la fig. 2.

HHHH, Quatre coulisse aux-attachés sur les traverses G, lesquels servent à recevoir les planches décrites fig. 2.

I, Boîte de cuivre nommée plumant, dans laquelle passe l’arbre tournant.

L, Manivelle avec laquelle on fait mouvoir le cylindre.

M, Plancher de planches où tombent les racines hachées.

NN, Semelles de bois ou patins, dans lesquels sont emmanchés les quatre montans.

O, Traverses qui supportent la trémie ; leur utilité est détaillée fig. 2,

Fig. 2, représentant le moulin vu de côté.

A, Cylindre creux, garni de lames de fer coupantes.

B, Arbre tournant, emmanché carrément dans les deux tourtes.

C, Bascule ouverte, par où sortent les racines hachées.

DD, Planches de la trémie vues de champ.

E, Pièce de bois placée sur les deux XX du bâtis de cette machine.

L’effet essentiel de ces deux pièces de bois (car il y en a une pareille de chaque côté) est de soutenir la trémie et de la fixer, sur-tout lorsqu’elle est pleine de racines, et que la machine est en mouvement.

F. Cet endroit est le plus profond de la trémie ; tout le travail des couteaux se fait là en passant : à chaque tour que fait le cylindre, les racines tombant à cet angle, et se foulant l’une l’autre par leur propre poids, s’y trouvent coupées.

G, Planches placées sur des coulisseaux, attachées à quatre traverses.

Ces planches servent à recevoir les tranches des racines, au fur et à mesure qu’elles tombent du cylindre ; elles s’amoncelant dans le bas sur le plancher, ou dans une boîte qu’on pratique, à cet effet, en forme de tiroir.

Fig. 3, H, Partie de cintre du cylindre dans une proportion plus grande que l’échelle.

III, La forme de chaque lame de fer.

LLL, Sont les vides par où passent les morceaux des racines, à mesure qu’elles sont coupées, et par où elles entrent dans le cylindre.

Fig. 4, M, Petite palette de bois servant à faire tomber les racines qui restent quelquefois dans la trémie, sur la planche la plus inclinée.

Fig. 5, AA. Cette figure montre le dedans de la trémie, au milieu de laquelle on voit une portion du cylindre.

B, Plate-bande de fer attachée sur la planche de la trémie.

L’écartement ou le rapprochement de cette plate-bande de fer avec les lames des couteaux du cylindre, est ce qui donne le plus ou le moins d’épaisseur aux tranches des racines.

Fig. 6. Cette figure représente le cylindre démonté, et vu dans toutes ses proportions.

C, Pièces de bois nommées tourtes, auxquelles sont attachés les couteaux par chaque bout avec écrous ; ces deux pièces doivent être de bon bois, de l’épaisseur de deux pouces.

D, Arbre tournant fixé dans les deux tourtes.

E, Lames de fer trempé, ayant un tranchant aiguisé comme celui des planes, fixées des deux bouts sur les tourtes à une distance suffisante seulement au passage des racines coupées en rouelles de trois lignes environ d’épaisseur.

F, Bascule ouverte au moyen des pivots tournants.

G, Porte du cylindre, ayant deux lames rivées sur deux petites traverses de fer, et deux pivots ronds à chaque bout, ce qui facilite son mouvement, de manière qu’elle s’ouvre et se ferme à chaque tour que fait le cylindre : la fréquence de ces mouvemens nécessite qu’elle soit de fer.

Fig. 7. Moulin vu de face, dans l’enfoncement de son bâtis.

A, Cylindre.

BB, Trémie.

C, Porte de face ouverte.

P, Manivelle pour tourner le cylindre.


Cette machine vient d’être perfectionnée et exécutée au Conservatoire des arts et métiers, à l’ancienne abbaye St-Martin.

Elle consiste essentiellement dans quatre lames d’acier, tranchantes par un de leurs bords, placées à la circonférence d’un cylindre, dont un des bouts est creux, et que l’on fixe par l’autre à l’extrémité à un arbre en fer, comme un mandrin sur le nez de l’arbre d’un tour.

Le tranchant de chaque lame, ou couteau d’acier dont le cylindre est armé, est tourné du même côté. Les surfaces du cylindre qui séparent les lames rentrent graduellement vers le centre, à partir du dos de chaque couteau, de manière que près du tranchant elles laissent un espace, entr’elles et la lame, d’environ douze millimètres ; cet espace, qu’on pourroit en quelque sorte comparer à la lumière d’un rabot, pénètre dans le creux du cylindre, d’où il résulte qu’en faisant tourner le cylindre dans le sens qui convient, les carottes, ou autres racines que contient une trémie placée au dessus, sont coupées par tranches qui entrent dans le creux du cylindre, d’où elles sortent ensuite et tombent dans la mangeoire qui se trouve devant la machine. Nous observerons seulement qu’il est nécessaire de placer, sur le bâtis, une boîte à couvercle, dans laquelle on renferme les lames à tranchant, lorsqu’on ne fait pas usage de la machine, afin de les préserver de la rouille et prévenir tout accident.

(Parm.)