Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/IIe Éclaircissement

La bibliothèque libre.

◄  Ier. Éclaircissement
Index alphabétique — É
IIIe. Éclaircissement  ►
Index par tome


IIe. ÉCLAIRCISSEMENT.

Quelle est la manière dont il faut considérer ce que j’ai dit concernant les objections des manichéens.


Ceux qui se sont scandalisés de certaines choses que j’ai observées dans les articles où j’ai traité du manichéisme, seraient pleinement inexcusables, s’ils s’étaient fondés sur ce que j’ai dit que la question de l’origine du mal est très-difficile ; car les anciens pères l’avouent ingénument [1], et il n’y a point aujourd’hui de théologien orthodoxe qui ne fasse le même aveu. Je crois donc que ce n’est point en cela que l’on a trouvé la pierre d’achoppement, et je suis persuadé qu’on ne l’a trouvée qu’en ce que j’ai prétendu que les objections des manichéens sont insolubles, pendant qu’elles ne sont discutées qu’au tribunal de la raison.

Cela ne saurait manquer d’être choquant pour ceux à qui un grand zèle de la vérité évangélique persuade qu’elle triomphe du mensonge dans toutes sortes de combats, et de quelques armes qu’il se serve. Ils trouvent tant de plaisir à la lecture d’un livre où l’on fait voir que la transsubstantiation est terrassée, soit qu’on la combatte par le témoignage des sens et par les principes de la philosophie, soit qu’on la combatte par l’Écriture et par la tradition des premiers siècles ; ils trouvent, dis-je, tant de plaisir à une victoire si complète qu’ils se persuadent facilement que toutes les disputes de l’orthodoxie ont le même sort. Flattés agréablement d’une si douce persuasion, ils s’irritent et ils s’indignent quand ils voient que l’on avoue que tous les articles de la foi chrétienne, soutenus et combattus par les armes de la seule philosophie, ne sortent pas heureusement du combat ; qu’il y en a quelques-uns qui plient, et qui sont contraints de se retirer dans les forteresses de l’Écriture, et de demander qu’à l’avenir ils aient la permission de s’armer d’une autre manière, faute de quoi ils refuseront de rentrer en lice.

Ceux qui se fâchent de se voir ainsi inquiétés dans la possession de l’image d’un plein triomphe, craignent d’ailleurs qu’en avouant une sorte d’infériorité on n’expose la religion à une défaite totale, ou que pour le moins on n’affaiblisse notablement sa certitude, et que l’on n’avance les affaires des ennemis de l’Évangile.

Un scandale pris de la sorte a deux circonstances favorables : l’une qu’il naît d’un bon principe, l’autre qu’on le peut lever facilement. C’est l’amour de la vérité qui le produit, et il ne faut que remonter à la considération du caractère des vérités évangéliques pour se délivrer de toute cette inquiétude. Car on verra que, bien loin que ce soit le propre de ces vérités de s’accorder avec la philosophie, il est au contraire de leur essence de ne se pas ajuster avec ses règles [2].

Les catholiques romains et les protestans se font la guerre sur une infinité d’articles de religion, mais ils sont d’accord sur ce point-ci, que les mystères de l’Évangile sont au-dessus de la raison. Il y a eu même des théologiens qui ont avoué que les mystères que les sociniens nient sont contre la raison. Je ne veux pas me prévaloir de cette avance, il me suffit que l’on reconnaisse unanimement qu’ils sont au-dessus de la raison ; car il résulte de là nécessairement qu’il est impossible de résoudre les difficultés des philosophes ; et par conséquent qu’une dispute, où l’on ne se servira que des lumières naturelles, se terminera toujours au désavantage des théologiens, et qu’ils se verront forcés de lâcher le pied, et de se réfugier sous le canon de la lumière surnaturelle.

Il est évident que la raison ne saurait jamais atteindre à ce qui est au-dessus d’elle : or si elle pouvait fournir des réponses aux objections qui combattent le dogme de la Trinité, et celui de l’union hypostatique, elle atteindrait à ces deux mystères, elle se les assujettirait, elle les manierait, et les plierait jusques aux dernières confrontations avec ses premiers principes, ou avec les aphorismes qui naissent des notions communes, et jusques à ce qu’enfin elle eût conclu qu’ils s’accordent avec la lumière naturelle. Elle ferait donc ce qui surpasse ses forces, elle monterait au-dessus de ses limites, ce qui est formellement contradictoire. Il faut donc dire qu’elle ne peut point fournir de réponses à ses propres objections, et qu’ainsi elles demeurent victorieuses pendant qu’on ne recourt pas à l’autorité de Dieu, et à la nécessité de captiver son entendement à l’obéissance de la foi.

Tâchons de rendre cela plus clair. Si quelques doctrines sont au-dessus de la raison, elles sont au delà de sa portée. Si elles sont au delà de sa portée, elle n’y saurait atteindre. Si elle n’y peut atteindre, elle ne peut pas les comprendre. Si elle ne peut pas les comprendre, elle n’y saurait trouver aucune idée, aucun principe, qui soit une source de solution, et par conséquent les objections qu’elle aura faites demeureront sans réponse, ou, ce qui est la même chose, on n’y répondra que par quelque distinction aussi obscure que la thèse même qui aura été attaquée. Or il est bien certain qu’une objection que l’on fonde sur des notions bien distinctes demeure également victorieuse, soit que vous n’y répondiez rien, soit que vous y fassiez une réponse où personne ne peut rien comprendre. La partie peut-elle être égale entre un homme qui vous objecte ce que vous et lui concevez très-nettement, et vous qui ne pouvez vous défendre que par les réponses où ni vous ni lui ne comprenez rien ?

Toute dispute philosophique suppose que les parties contestantes conviennent de certaines définitions, et qu’elles admettent les règles du syllogisme, et les marques à quoi l’on connaît les mauvais raisonnemens. Après cela, tout consiste à examiner si une thèse est conforme médiatement ou immédiatement aux principes dont on est convenu ; si les prémisses d’une preuve sont véritables, si la conséquence est bien tirée, si l’on s’est servi d’un syllogisme à quatre termes, si l’on n’a pas violé quelque aphorisme du chapitre de oppositis, ou sophisticis elenchis, etc. On remporte la victoire, ou en montrant que le sujet de la dispute n’a aucune liaison avec les principes dont on était convenu, ou en réduisant à l’absurde le défendeur. Or on l’y peut réduire, soit qu’on lui montre que les conséquences de sa thèse sont le oui et le non, soit qu’on le contraigne à ne répondre que des choses tout-à-fait inintelligibles. Le but de cette espèce de disputes est d’éclaircir les obscurités et de parvenir à l’évidence ; et de là vient que l’on juge que pendant le cours du procès la victoire se déclare plus ou moins pour le soutenant ou pour l’opposant, selon qu’il y a plus ou moins de clarté dans les propositions de l’un que dans les propositions de l’autre : et enfin l’on est d’avis qu’elle se déclare pleinement contre celui dont les réponses sont telles qu’on n’y comprend rien, et qui avoue qu’elles sont incompréhensibles. On le condamne dès lors par les règles de l’adjudication de la victoire ; et lors même qu’il ne peut pas être poursuivi dans le brouillard dont il s’est couvert, et qui forme une espèce d’abîme entre lui et ses antagonistes, on le croit battu à plate couture, et on le compare à une armée qui, ayant perdu la bataille, ne se dérobe qu’à la faveur de la nuit à la poursuite du vainqueur.

Ce qu’il faut conclure de cela est, que les mystères de l’Évangile, étant d’un ordre surnaturel, ne peuvent point et ne doivent point être assujettis aux règles de la lumière naturelle. Ils ne sont pas faits pour être à l’épreuve des disputes philosophiques : leur grandeur, leur sublimité, ne leur permet pas de la subir. Il serait contre la nature des choses qu’ils sortissent victorieux d’un tel combat : leur caractère essentiel est d’être un objet de foi, et non pas un objet de science. Ils ne seraient plus des mystères, si la raison en pouvait résoudre toutes les difficultés : et ainsi, au lieu de trouver étrange que quelqu’un avoue que la philosophie peut les attaquer, mais non pas repousser l’attaque, on devrait se scandaliser si quelqu’un disait le contraire [3].

Si ceux dont je veux guérir les scrupules ne se rendent pas à ces considérations, où ils trouveront peut-être quelque chose de trop abstrait, je les prierai de recourir à des réflexions qui soient plus à la portée de tout le monde. Je les prierai d’étudier un peu le génie que l’on voit régner dans le Nouveau Testament, et dans la mission des Apôtres.

L’esprit de dispute est la chose qui paraisse la moins approuvée dans l’économie évangélique. Jésus-Christ ordonne d’abord la foi et la soumission. C’est son début ordinaire, et celui de ses apôtres : Suis-moi [4], crois et tu seras sauvé [5]. Or cette foi qu’il exigeait ne s’acquérait point par une suite de discussions philosophiques, et par de grands raisonnemens : c’était un don de Dieu, c’était une pure grâce du Saint-Esprit, et qui ne tombait pour l’ordinaire que sur des personnes ignorantes [6]. Elle n’était pas même produite dans les apôtres par l’effet des réflexions sur la sainteté de vie de Jésus-Christ, et sur l’excellence de sa doctrine et de ses miracles. Il fallait que Dieu lui-même leur révélât que celui dont ils étaient les disciples était son fils éternel [7]. Si Jésus-Christ et ses apôtres sont descendus quelquefois au raisonnement, il n’ont point cherché leurs preuves dans la lumière naturelle, mais dans les livres des prophètes, et dans les miracles ; et si quelquefois saint Paul s’est prévalu de quelque argument ad hominem contre les gentils, il n’y a guère insisté. Sa méthode était entièrement différente de celle des philosophes. Ceux-ci se vantent d’avoir des principes si évidens, et un système si bien lié, qu’ils n’ont point à craindre d’autres obstacles de persuasion que l’esprit stupide des auditeurs, ou que la malice artificieuse de leurs émules, et ils s’exposent à rendre raison de leur doctrine à tout le monde, et à la soutenir contre tout venant. Saint Paul au contraire reconnaît que sa doctrine est obscure, qu’il ne la sait qu’imparfaitement [8] ; et qu’on n’y peut rien comprendre à moins que Dieu ne communique un discernement spirituel, et que sans cela elle ne passe que pour folie [9]. Il confesse [10] que la plupart des personnes converties par les apôtres étaient de petite condition et ignorantes. Il ne défie point les philosophes à la dispute, et il exhorte les fidèles à se tenir bien en garde contre la philosophie [11], et à éviter les contestations de cette science qui avait fait perdre la foi à quelques personnes [12].

Les anciens pères se sont réglés sur le même esprit, ils exigeaient une prompte soumission à l’autorité de Dieu, et ils regardaient les disputes des philosophes comme l’un des plus grands obstacles que la vraie foi peut rencontrer dans son chemin [13]. Le philosophe Celse se moqua de la conduite des chrétiens, Qui ne voulant, disait-il [14], ni écouter vos raisons, ni vous en donner de ce qu’ils croient, se contentent de vous dire, N’examinez point, croyez seulement ; ou bien, Votre foi vous sauvera ; et ils tiennent pour maxime que la sagesse du monde est un mal... S’ils se renferment, à l’ordinaire, dans leur, N’examinez point, croyez seulement ; il faut, du moins, qu’ils me disent quelles sont ces choses qu’il veulent que je croie [15]. Mais voici ce qu’on répond [16] : « S’il était possible que tous les hommes, négligeant les affaires de la vie, s’attachassent à l’étude et à la méditation, il ne faudrait point chercher d’autre voie pour leur faire recevoir la religion chrétienne. Car pour ne rien dire qui offense personne, on n’y trouvera pas moins d’exactitude qu’ailleurs, soit dans la discussion de ses dogmes [17], soit dans l’éclaircissement des expressions énigmatiques de ses prophètes, soit dans l’expression des paraboles de ses évangiles, et d’une infinité d’autres choses, arrivées ou ordonnées symboliquement. Mais puisque ni les nécessités de la vie, ni l’infirmité des hommes, ne permettent qu’à un fort petit nombre de personnes de s’appliquer à l’étude, quel moyen pouvait-on trouver plus capable de profiter à tout le reste du monde, que celui que Jésus-Christ a voulu qu’on employât pour la conversion des peuples ? Et je voudrais bien que l’on me dît, sur le sujet du grand nombre de ceux qui croient, et qui par-là se sont retirés du bourbier des vices où ils étaient auparavant enfoncés, lequel leur vaut le mieux, d’avoir de la sorte changé leurs mœurs, et corrigé leur vie, en croyant sans examen qu’il y a des peines pour les péchés, et des récompenses pour les bonnes actions ; ou d’avoir attendu à se convertir, qu’on les y reçût, lorsqu’ils ne croiraient pas seulement, mais qu’ils auraient examiné avec soin les fondemens de ces dogmes. Il est certain, qu’à suivre cette méthode, il y en aurait bien peu qui en vinssent jusqu’où leur foi toute simple et toute nue les conduit ; mais que la plupart demeureraient dans leur corruption..... Mais puisqu’ils font tant de bruit de cette manière de croire sans examiner, il leur faut encore dire, que pour nous, qui remarquons l’utilité qui en revient aux personnes qui font le plus grand nombre, nous avouons franchement que nous la recommandons à ceux qui ne sont pas en état de tout abandonner pour s’appliquer entièrement à la recherche de la vérité [18]. »

Ce passage de saint Paul, Nous cheminons par foi et non point par vue [19], suffirait seul à nous convaincre que de philosophe à philosophe il n’y a rien à gagner pour celui qui entreprend, ou de prouver les mystères de la religion chrétienne, ou de se tenir sur la défensive. Car voici en quoi diffèrent la foi d’un chrétien et la science du philosophe : cette foi produit une certitude achevée, mais son objet demeure toujours inévident : la science au contraire produit tout ensemble l’évidence de l’objet, et la pleine certitude de la persuasion. Si donc un chrétien entreprenait de soutenir contre un philosophe le mystère de la Trinité, il opposerait à des objections évidentes un objet inévident. Ne serait-ce point se battre les yeux bandés, et les mains liées, et avoir pour antagoniste un homme qui se peut servir de toutes ses facultés ? Que si le chrétien pouvait résoudre toutes les objections du philosophe sans se servir que des principes de la lumière naturelle, il ne serait pas vrai, comme l’assure saint Paul, que nous cheminons par foi et non point par vue. La science, et non pas la foi divine, serait le partage du chrétien.

Se scandalisera-t-on d’un aveu qui est une suite naturelle de l’esprit évangélique et de la doctrine de saint Paul ?

Si l’on n’est point assez frappé de ces réflexions sur la conduite des premiers siècles ; si, dis-je, de tels objets considérés en éloignement ne font point assez d’impression, je demande que l’on veuille bien prendre la peine d’examiner les maximes des théologiens modernes. Les catholiques romains et les protestans s’accordent à dire, qu’il faut récuser la raison quand il s’agit du jugement d’une controverse sur les mystères. Cela revient à ceci, qu’il ne faut jamais accorder cette condition, que si le sens littéral d’un passage de l’Écriture renferme des dogmes inconcevables, et combattus par les maximes les plus évidentes des logiciens et des métaphysiciens, il sera déclaré faux, et que la raison, la philosophie, la lumière naturelle, seront la règle que l’on suivra pour choisir une certaine interprétation de l’Écriture préférablement à toute autre. Non-seulement ils disent qu’il faut rejeter tous ceux qui stipulent une telle chose comme une condition préliminaire de la dispute ; mais ils soutiennent aussi que ce sont des gens qui s’engagent dans un chemin qui ne peut conduire qu’au pyrrhonisme, ou qu’au déisme, ou qu’à l’athéisme : de sorte que la barrière la plus nécessaire à conserver la religion de Jésus-Christ est l’obligation de se soumettre à l’autorité de Dieu, et à croire humblement les mystères qu’il lui a plu de nous révéler, quelque inconcevables qu’ils soient, et quelque impossibles qu’ils paraissent à notre raison.

Il semble que les catholiques romains et les protestans de la confession d’Augsbourg devraient insister plus fortement sur ce principe que les réformés ; car le dogme de la présence réelle en a un besoin tout particulier : cependant les réformés sont aussi jaloux de cette thèse que les autres, et la poussent avec un grand zèle contre les sociniens ; et dès qu’ils voient que quelques-uns de leurs docteurs s’écartent de cette route commune pour augmenter les emplois de la raison, ils les réfutent fortement, et les font devenir suspects de l’hérésie socinienne.

Les preuves de tout ce que je viens de dire seraient bien aisées à recueillir, mais ce serait un travail fort inutile ; car, pour peu que l’on connaisse les ouvrages de controverse, on sait que les catholiques romains ne cessent de recommander le sacrifice de la raison et la captivité de l’entendement, et que les ministres attribuent au refus de ce sacrifice les impiétés des sociniens. Les disputes de l’académie de Franeker terminées par le silence que le souverain imposa [20], et celles de deux ministres français [21] terminées [22] par le synode wallon, ont fait tant de bruit, et sont de si fraîche date, qu’il n’est pas besoin que je me munisse de citations. Je dirai seulement que l’un de ces deux ministres soutint comme la doctrine universelle de l’église, et particulièrement de Calvin et des réformés, que le fondement de la foi n’est ni l’évidence des objets, ni l’évidence de la révélation, et que le Saint-Esprit nous persuade des mystères de l’Évangile sans nous montrer évidemment ce que nous croyons, ni la divinité de l’Écriture, ni la vérité du sens de tels et de tels passages. Il fut reconnu orthodoxe : son adversaire remporta un semblable témoignage d’orthodoxie ; mais cela ne prouve rien contre moi, car il avouait que la foi est sans évidence quant à l’objet, et que l’évidence qui l’accompagne quant à la révélation est un effet de la grâce. Il est donc de ceux qui disent que les mystères ne sont pas sous le ressort de la raison, et que la raison ou la lumière philosophique n’est point la règle qu’il faut consulter quand on dispute là-dessus.

Or si tous les théologiens orthodoxes sur le mystère de la Trinité, et sur celui de l’union hypostatique, les uns catholiques romains, et les autres protestans, rejettent et récusent d’une commune voix l’arbitrage de la raison, c’est un signe manifeste qu’ils la trouvent incapable de donner des preuves ni des solutions dans les controverses de ces mystères ; car lors qu’il s’agit de l’existence divine, ils ne demandent pas mieux que de disputer par les lumières de la raison. C’est parce qu’elles fournissent des armes, et pour attaquer et pour repousser l’ennemi, et pour le vaincre pleinement. Ce qui fait donc qu’ils se conduisent tout autrement par rapport à la Trinité, à l’Incarnation, etc., est qu’ils savent que les principes de philosophie n’y sauraient faire aucun bien, et y peuvent faire beaucoup de mal. Si la justice, si la prudence, permettent de récuser un juge, ce n’est qu’en cas d’incompétence et de partialité. Plus on a de zèle pour sa cause, moins néglige-t-on ses avantages ; et si d’ailleurs on est éclairé sur ses intérêts, on ne récuse jamais les personnes bien intentionnées.

Je conclus de tout ceci, qu’il n’y a rien de plus facile que de faire revenir ceux qui ont été choqués de mon aveu ; car il n’y a qu’à les prier de prendre garde que, s’ils veulent s’en scandaliser, il faut qu’ils se plaignent que tous les théologiens orthodoxes leur sont en scandale. Il n’y a point ici de milieu, il faut ou qu’ils trouvent bon ce que j’ai dit, ou qu’ils ne trouvent pas bon ce que disent les théologiens les plus opposés aux hérésies sociniennes.

Si l’on m’objecte qu’on a eu raison de se choquer de mon aveu, puisque c’est donner trop d’avantage aux incrédules que de leur passer que leurs objections contre nos mystères ne peuvent être réfutées philosophiquement, je réponds deux choses : 1°. La première est, qu’il faut donc qu’on se scandalise, non-seulement de ce que j’ai pu avancer sur ce sujet, mais aussi de ce que les théologiens les plus orthodoxes ont publié à cet égard-là. 2°. Je dis en second lieu, que ce n’est point accorder aux incrédules quelques avantages dont ils puissent se glorifier légitimement, comme ils pourraient faire si nos prédicateurs imitaient ces philosophes qui font savoir par des affiches qu’ils sont prêts à soutenir contre tout venant telles et telles propositions, et qu’un tel jour, à une telle heure, en un tel lieu, ils en donneront des preuves aussi claires que les rayons du soleil. Si les apôtres, saint Paul par exemple, se trouvant parmi les Athéniens eût prié l’Aréopage de lui permettre d’entrer en lice avec tous les philosophes ; s’il se fût offert de soutenir thèse sur les trois personnes qui ne sont qu’un Dieu, et sur l’unité d’hypostase de la nature divine et de la nature humaine en Jésus-Christ, et si avant que de commencer la dispute il fût convenu de la vérité des règles qu’Aristote a étalées dans sa dialectique, soit touchant les termes d’opposition, soit touchant les caractères des prémisses du syllogisme démonstratif, etc. ; si enfin, ces préliminaires ayant été bien réglés, il eût répondu que notre raison est trop faible pour s’élever jusques aux mystères, contre lesquels on lui proposait des objections, il eût essuyé toute la honte qu’un soutenant mis à bout puisse jamais essuyer. La victoire des philosophes d’Athènes eût été complète ; car il aurait été jugé et condamné selon des maximes dont il aurait reconnu la vérité auparavant. Mais si les philosophes l’avaient attaqué par ces maximes après qu’il leur aurait déclaré le fondement de sa créance, il aurait pu leur opposer cette barrière, que ses dogmes étaient inconnus à la raison, qu’ils avaient été révélés de Dieu, et qu’il fallait les croire sans les comprendre. La dispute, pour être régulière, n’aurait point dû rouler sur la question si ces dogmes-là étaient opposés aux maximes de la dialectique et de la métaphysique, mais sur la question si Dieu les avait révélés. Saint Paul n’eût pu avoir du dessous, qu’en cas qu’on les eût prouvé que Dieu ne demandait point que l’on crût ces choses.

Vous voyez par-là combien est imaginaire le prétendu triomphe des incrédules ; car nos théologiens ne se vantent pas de prouver la Trinité et l’Incarnation par des argumens philosophiques : ils n’admettent que la parole de Dieu pour le fondement et pour la source des preuves et des solutions. C’est leur forteresse, c’est leur place d’armes ; il leur doit suffire de la défendre et de parer tous les coups qui leur sont portés par un hérétique qui se fonde sur le même principe qu’eux de l’autorité de l’Écriture. Que l’ennemi s’empare du reste, peu leur importe ; c’est un pays qu’ils ont abandonné volontairement. Ce n’est point vaincre, que d’occuper une place personne n’avait intention de garder. Facile erat vincere non repugnantes [23].

Afin que ceux mêmes qui se trouveraient sans autre livre en lisant ceci puissent être très-assurés que ce n’est pas une chose avancée en l’air, je m’en vais les mettre dans une pleine confiance. Je m’en vais leur citer le témoignage de deux fameux écrivains [24], l’un prêtre, l’autre ministre, et tous deux très-orthodoxes sur la Trinité, sur l’Incarnation, sur la Satisfaction de Jésus-Christ, et sur quelques autres mystères. « Ce procédé [25] n’est pas raisonnable ; parce qu’il est contraire aux premières lumières et aux fondemens mêmes de la religion chrétienne. Si cette religion disait aux hommes qu’elle leur propose une foi exempte de toutes sortes de difficultés ; que l’on ne peut rien alléguer contre ses mystères qui ait quelque sorte d’apparence, et que les preuves sur lesquelles elle établit les vérités qu’elle enseigne, sont si claires qu’elles forcent l’incrédulité et la résistance de toutes sortes d’esprits, quelque préoccupés qu’ils soient ; ou aurait raison de prétendre détruire ses dogmes, en ramassant ainsi des difficultés vraisemblables contre ce qu’elle nous voudrait faire croire. Mais elle est bien éloignée de leur tenir ce langage. Non-seulement elle ne leur dit pas que les vérités qu’elle enseigne ne peuvent être combattues par aucunes raisons apparentes ; mais elle leur dit qu’il est nécessaire qu’elles le soient, et que c’est une suite infaillible du dessein que Dieu a eu en se découvrant aux hommes par la véritable religion [26]. » M. Claude, n’ayant rien dit contre ce passage de M. Nicolle, en doit passer pour l’approbateur ; car, s’il y eût trouvé quelque matière de critique, toutes sortes de raisons demandaient qu’il le censurât en réfutant, comme il a fait, le livre de la Perpétuité de la Foi.

Voyons si l’on a pu prendre quelque sujet de scandale sous prétexte que les objections philosophiques contre le dogme de la Trinité, etc., ne réduisent point au silence les professeurs en théologie, et que dans les thèses qu’ils exposent fréquemment à la dispute sur ces points-là, ils donnent la solution de toutes les difficultés qui leur peuvent être proposées. Je prie ceux qui m’allégueront cela de faire attention à deux choses. L’une est que leur objection ne peut être bonne contre moi qu’elle ne le soit contre tous les théologiens qui avouent que les grands mystères de l’Évangile sont inexplicables par la lumière naturelle. L’autre est que les protestans ne peuvent point se servir de cette objection ; car elle prouve trop, puisqu’elle prouve que le dogme de la Transsubstantiation n’est point exposé à des attaques invincibles, philosophiquement parlant. Tous les catholiques romains enseignent qu’un corps peut être en plusieurs lieux à la fois. Les thomistes, se contentant du nécessaire, n’ont point osé assurer qu’il y puisse être circonscriptivement, mais tout au plus comme Jésus-Christ est sous les espèces sacramentales. Les autres scolastiques, et surtout les jésuites, ont été bien plus hardis : ils ont soutenu la réplication circonscriptive [27], et en cela ils ont raisonné plus conséquemment que les thomistes ; car si les raisons que l’on allègue contre cette réplication étaient bonnes, la réplication définitive [28] ne serait pas soutenable. Les théologiens ne sont pas les seuls qui enseignent la réplication, elle est aussi enseignée dans tous les cours de philosophie, et c’est toujours l’une des thèses qu’on fait soutenir publiquement aux écoliers de physique. Toutes les objections imaginables sont discutées dans les livres des théologiens scolastiques qui traitent du sacrement de la Cène, et dans les cours de philosophie à l’endroit où il s’agit d’expliquer les questions de loco. Aucune de ces objections ne demeure sans réponse. Cela empêche-t-il que les protestans réformés ne persistent à soutenir que la position d’un corps en plusieurs lieux à la fois est compliquée de mille contradictions et absolument impossible ? Ils ne peuvent donc rien conclure à l’avantage d’une opinion, de ce que l’on peut opposer quelque distinguo, ou quelque terme d’école à tout ce que les adversaires les plus subtils sont capables d’objecter [29]. Ce n’est pas le tout que de répondre, il faut donner une solution qui excite quelque idée, et qui soit exempte de la pétition du principe, et qui fasse voir que l’objection est bâtie sur des fondemens qui n’ont point de liaison avec les notions communes. Voilà trois caractères qu’on ne trouve point dans les réponses des scolastiques aux objections qui attaquent le dogme de la Transsubstantiation. Aussi est-il vrai que leur dernière et leur principale ressource est de dire que la toute-puissance de Dieu supplée ce que la raison ne peut comprendre, et que c’est à nous à captiver notre entendement, et à sacrifier nos lumières à l’autorité de l’église.

Ils n’ont pas été moins subtils ni moins féconds, soit à inventer des difficultés, soit à inventer des réponses par rapport à la Trinité, que par rapport à la Transsubstantiation. Mais les sociniens sont aussi mal satisfaits de ces deux espèces de réponses que les réformés de celles qui se rapportent au second de ces deux dogmes. Les unes et les autres, disent les sociniens, manquent des trois caractères qu’on a marqués ci-dessus : elles supposent ce qui est en question ; elles sont ou aussi obscures, ou plus obscures, que le dogme même qui est le sujet de la controverse ; elles sont si inconcevables, qu’on ne saurait les réfuter ; c’est une dispute où la nuit sépare les combattans : car si le défenseur de la thèse se couvre d’une distinction tout-à-fait incompréhensible, il faut de toute nécessité que l’opposant se retire, ou qu’il s’arrête : il ne voit aucun endroit par où frapper. On ne tire point une flèche, lorsque la plus petite lueur du monde nous manque pour entrevoir et pour deviner où est le but ; et comme le plus haut degré de l’évidence a cela de propre qu’on ne peut le prouver, le plus bas degré de l’inévidence a le destin de ne pouvoir être combattu. Ainsi de ce que les attaquans les mieux fondés sur les lumières philosophiques rencontrent enfin un retranchement de distinctions, couvert d’un nuage si épais qu’il faut qu’ils s’arrêtent, on ne peut tirer nulle conséquence en faveur d’un dogme.

Il y a dans l’une et dans l’autre communion, la romaine et la protestante, beaucoup de personnes qui sont mal édifiées des explications des scolastiques, et qui jugent que ces gens-là ont plus embrouillé que débrouillé les mystères de la religion. Quelques théologiens protestans souhaiteraient qu’on s’en fût tenu aux termes de l’Écriture, et qu’on eût enfermé en cinq ou six lignes tout ce qui concerne la Trinité ; et qu’au lieu de suivre les disputeurs d’objection en objection, on leur eût dit : Nous ne vous proposons point cela comme une chose à comprendre mais comme une chose à croire : si vous ne pouvez pas la croire, demandez à Dieu la grâce d’en être persuadé : si vous n’obtenez rien par vos prières, votre mal est incurable ; nos distinctions, nos subtilités, ne serviraient qu’à vous endurcir ; vous ne cesseriez de vous plaindre qu’on vous explique un dogme obscur par un plus obscur, obscurum per obscurius. Il y a beaucoup d’apparence que ce mystère, proposé en peu de mots selon la simplicité de l’Écriture, effaroucherait et révolterait beaucoup moins la raison qu’il ne l’effarouche et ne la révolte par le grand détail d’explications qui l’accompagne dans les commentateurs de Thomas d’Aquin. Plusieurs catholiques romains diraient de bon cœur, s’ils osaient, contre les subtilités des scolastiques, ce que M. l’abbé Faydit en a publié ; mais, pour n’avoir pas le courage qu’il a eu d’imprimer sur ce sujet une invective très-forte, ils n’en pensent pas moins. Voyez la note [30].

M. de Balzac a dit d’excellentes choses dans le cinquième discours de son Socrate chrétien [31]. En voici un morceau. « Ceux qui ont traduit d’une langue en une autre, avec le plus de réputation, ont pris des rivières pour des montagnes, et des hommes pour des villes. Les méprises de vos docteurs ne doivent rien à celles-là. La raison humaine fait, s’il se peut, de plus étranges équivoques, quand elle traite des choses divines. Étant faible et courte, comme elle est, elle devrait s’épargner et se mesurer : elle devrait être plus discrète et plus retenue. Il peut y avoir de l’intempérance au désir d’apprendre et de s’enquérir, c’est un vice que de savoir trop de nouvelles. L’ancienne morale l’a condamné : les Caractères de Théophraste ne l’oublient pas. Et s’il est vrai ce qu’on a dit autrefois, QU’IL NE FAUT PAS ÊTRE CURIEUX DANS LA RÉPUBLIQUE D’AUTRUI, quelle audace est-ce, je vous prie, quel attentat à un citoyen du bas monde, à un habitant de la terre, de se mêler si avant des choses supérieures, et des affaires du ciel ? En quel pays est-il plus étranger qu’en celui-là ? Y a-t-il de république qui lui soit plus inconnue ? Y a-t-il un autrui, dont il soit plus éloigné, avec lequel il ait moins de société et moins de commerce ? Nous devons ce respect à cette majesté qui se cache, de ne vouloir pas la découvrir, de ne la rechercher pas avec tant de diligence et d’empressement. Arrêtons-nous à ses dehors et à ses remparts, sans la poursuivre jusque dans son fort et dans ses retranchemens. Adorons les voiles et les nuages qui sont entre nous et elle. Puisqu’elle habite une lumière inaccessible, ne faisons point de dessein sur le lieu de sa demeure : n’essayons point de le surprendre par la subtilité de nos questions, de le forcer par la violence de nos argumens. Si nous avons soin de la conservation de nos yeux ; si notre vie nous est chère, fuyons cette présence redoutable, cette fatale lumière, cette lumière qui éblouit les anges et qui tue les hommes [32]...... Éloignés que nous sommes de lui, d’une distance qui ne se peut mesurer, et confinés au plus bas étage du monde qu’il a bâti, nous voulons monter sur son trône et toucher à sa couronne : nous aspirons à sa plus étroite confidence et à sa dernière familiarité. Au moins prétendons-nous de le voir avec des yeux de chair ; de le comprendre avec un esprit noyé dans le sang et enseveli dans la matière. Nous entreprenons de discourir de sa nature et de son essence ; de faire des relations de sa conduite et de ses desseins, avec le jargon de la philosophie d’Aristote [33]. »

C’est aux scolastiques d’Espagne que Balzac en veut dans ce discours-là : or il n’y a point de matière sur quoi ils méritent mieux cette censure que sur les explications qu’ils donnent du mystère de la Trinité ; tant s’en faut qu’il faille juger qu’ils y ont bien réussi, sous prétexte qu’ils ont inventé des réponses aux objections.

Mais, afin d’être équitable envers tout le monde, il faut dire que ceux qui s’engagent à disputer avec les sociniens, et qui se font de nouvelles routes, ne manquent guère de s’égarer. On a vu cela en Angleterre il y a cinq ou six ans [34]. Un fameux théologien, n’ayant point cru qu’il pût réfuter par l’hypothèse des scolastiques quelques écrits que les unitaires avaient publiés, en imagina une autre ; mais on prétendit qu’il établissait le trithéisme, et on ne voulut point souffrir qu’elle prît pied. D’où nous pouvons recueillir combien il est impossible de réfuter les objections philosophiques des sociniens, et que, puisqu’ils reconnaissent l’Écriture, il les faut d’abord combattre par-là. C’est l’endroit faible de leur place : l’autre en est le fort.

Quelque envie que j’aie d’être court, si faut-il que je remarque la manière dont un habile théologien, qui est depuis plusieurs années évêque de Salisburi, réfuta les objections d’un fameux athée [35] dont il fut le convertisseur. Il nous a donné l’Histoire des conférences qu’il eut avec lui, et nous y trouvons entre autres choses qu’étant question de répondre aux difficultés sur les mystères de l’Évangile, il n’eut recours qu’à ceci, que l’incompréhensibilité d’un dogme n’est point une raison valable de le rejeter, puisqu’il y a dans la nature beaucoup de choses très-certaines qu’il nous est impossible de comprendre. Il en cite quelques-unes et nommément l’union de l’âme et du corps. On lui avait objecté qu’il n’est pas en la puissance de l’homme de croire ce que l’on ne conçoit pas, et que c’est ouvrir la porte aux fourberies des prêtres que d’ajouter foi à des doctrines mystérieuses. Ne mysteriis fidem adhiberet, elabendi viam quærebat, autumabatque à nullo mortalium id fieri posse, quandoquidem credere, quod concipere, vel cogitatione comprehendere nequimus, non est penes hominem. Credere mysteriis, inquiebat, nihil aliud esse, quàm fenestram aperire præstigiis sacerdotum, cùm enim populo hâc in re obsequente uterentur, omnia illi pro lubitu persuaderent, qui, imposito rudi mysterii nomine, domabatur, nulloque negotio credebat [36]. Il répondit [37] qu’il ne fallait pas s’étonner de ce que l’essence de Dieu nous est incompréhensible, puisqu’il y a dans chaque être quelque chose dont on ne peut rendre raison [38], et que la possibilité de plusieurs faits reconnus pour véritables de tout le monde peut être attaquée par des argumeus spécieux [39] ; et qu’ainsi la révélation du mystère de la Trinité, et de celui de l’Incarnation, et de quelques autres étant certaine, nous devions y soumettre notre raison : car le seul argument qu’on puisse leur opposer est qu’ils surpassent la portée de notre esprit ; mais ne trouve-t-on pas la même difficulté dans plusieurs choses que l’on admet comme véritables [40] ? Il fut si éloigné de compter pour quelque chose les réponses des scolastiques, qu’au contraire il avoua qu’elles ne servaient qu’à obscurcir les difficultés. Curiositatis reverà nimium introductum, eaque magis conducit difficilioribus obscurandis quàm explanandis. Sunt autem defensa vacillantibus argumentis, illustrataque similitudinibus non adeò idoneis ac congrutis, additæque novæ subtilitates, magis intricantes, quàm extricantes, quæ omnia haud queunt negari. Oppositio Hæreticorum priscis temporibus nimium curiositatis inter Patres excitavit, quam Scolastici sequiorum seculorum mirè adauxerunt ; verùm si mysteria potiùs eâ simplicitate ; quâ in sacris tradita sunt litteris quàm secundùm absurdissima in ea fanaticorum hominum commentaria accepta fuissent, non minùs incredibilia [41] viderentur, quàm aliqua eorum objectorum, quæ quotidie in sensus incurrunt [42].

N’oublions pas cette observation. Luther et plusieurs autres théologiens protestans n’eussent jamais soutenu qu’il y a des choses fausses en philosophie, qui sont vraies en théologie [43], s’ils eussent cru que les réponses que l’on fait aux objections des philosophes contre nos mystères peuvent contenter la raison ; car ils ne soutenaient cela qu’à cause de ces mystères [44].

Je ne vois donc point que jusqu’ici les objections que j’ai à résoudre dans cet éclaircissement aient pu m’embarrasser. Examinons-en quelques autres.

Si l’on m’objecte que mon aveu n’est scandaleux qu’à cause qu’il se rapporte non pas aux raisons philosophiques qui peuvent combattre la Trinité, l’Incarnation, et quelques autres mystères, mais aux disputes sur l’origine du mal, on commettra bien des fautes. Car on ignorera, 1°. que les décrets de Dieu sur la chute du premier homme, et sur les suites de cette chute, sont un des mystères les plus incompréhensibles de la religion ; 2°. que nos théologiens les plus orthodoxes tombent d’accord de cela.

Les écrits de saint Paul nous apprennent que ce grand apôtre, s’étant proposé les difficultés de la prédestination, ne s’en tira que par le droit absolu de Dieu sur toutes les créatures [45], et que par une exclamation sur l’incompréhensibilité des voies de Dieu. Eût-il pu signifier plus clairement que par une telle solution, combien le dogme des décrets de Dieu sur la destinée des élus et des réprouvés est inexplicable ? N’est-ce pas nous dire en termes bien clairs que la prédestination est un des mystères qui accablent le plus la raison de l’homme, et qui demandent le plus inévitablement qu’elle s’humilie sous l’autorité de Dieu, et qu’elle se sacrifie à l’Écriture ? Les objections qu’elle forme contre les mystères de la Trinité et de l’Incarnation ne se font sentir pour l’ordinaire qu’à ceux qui ont quelque teinture de logique et de métaphysique ; et comme elles appartiennent à des sciences de spéculation, elles frappent moins le commun des hommes ; mais celles qu’elle forme contre le péché d’Adam, et contre le péché originel, et contre la damnation éternelle d’une infinité de gens qui ne pouvaient être sauvés sans une grâce efficace que Dieu ne donne qu’à ses élus, sont fondées sur des principes de morale que tout le monde connaît, et qui servent continuellement de règle tant aux savans qu’aux ignorans, pour juger si une action est injuste, ou si elle ne l’est pas. Ces principes sont de la dernière évidence, et agissent sur l’esprit et sur le cœur, de sorte que toutes les facultés de l’homme se soulèvent quand il faut imputer à Dieu une conduite qui n’est pas conforme à cette règle. La solution même que l’on tire de l’infinité de Dieu, et qui sert d’un puissant motif pour captiver l’entendement, n’est pas exempte d’une nouvelle difficulté ; car si la distance infinie qui élève Dieu au-dessus de toutes choses, doit persuader qu’il n’est point soumis aux règles des vertus humaines, on ne sera plus certain que sa justice l’engage à punir le mal, et l’on ne saurait réfuter ceux qui soutiendraient qu’il est l’auteur du péché, et qu’il le punit néanmoins fort justement, et qu’en tout cela il ne fait rien qui ne s’accorde avec les perfections infinies du souverain être ; car ce ne sont pas des perfections qu’il faille ajuster aux idées que nous avons de la vertu.

Il est donc visible que le dogme du péché d’Adam, avec ce qui en dépend, est entre tous les mystères inconcevables à notre raison, et inexplicables selon ses maximes, celui qui demande le plus nécessairement que l’on se soumette à la vérité révélée, nonobstant toutes les oppositions de la vérité philosophique.

Il serait à souhaiter que l’on se fût toujours souvenu de ce point-là ; car les malheureuses contestations sur la grâce, qui ont causé tant de désordres, ne sont venues que de ce qu’on a osé traiter ce mystère comme une chose qui se pouvait concilier avec notre faible raison. Les catholiques romains ont donné ici dans la disparate : ils ont insulté Calvin avec les derniers emportemens, parce qu’il avait suivi à la lettre les doctrines de saint Paul ; ils voulaient les expliquer d’une manière mitigée, afin que la raison humaine y trouvât son compte. Ils n’avaient pas eu les mêmes égards pour la raison quand ils avaient expliqué les passages de l’Écriture qui concernent la Trinité et le sacrement de l’Eucharistie. On pourrait lancer sur eux les traits que Balzac décoche sur leurs adversaires. « Nous devrions traiter les ministres de ridicules, dit-il [46], après les avances qu’ils ont faites, et les réserves qu’ils veulent faire. Puisqu’ils nous ont accordé le plus, nous sauraient-ils refuser le moins ? Nous ayant donné le mystère de la Trinité, et celui de l’Incarnation, ils ne se sont rien réservé après cela. Par la concession de ces deux grandes, étranges, étonnantes vérités, ils ont renoncé à la liberté de leur esprit ; et cette liberté est une chose qui ne peut ni se perdre ni se conserver que toute entière. La même autorité qui les assure de la certitude du symbole des apôtres, les assure de la validité de toutes les autres pièces de la religion, et ils ne sont pas mieux fondés de la contester ici que là. L’autorité étant infaillible, elle est infaillible partout ; elle est également infaillible. Le chrétien étant captif de la foi, et non pas juge de la doctrine, doit obéir à la voix qui parle, sans délibérer sur les paroles, parce que les paroles ne le persuaderont pas, si la voix ne l’a déjà persuadé. On n’a plus de droit de rentrer dans les termes de la première franchise de l’homme, quand on a subi le joug de Dieu dominant et victorieux. Il n’est pas temps de vouloir se servir de la raison, après l’avoir soumise à la foi. Quel jeu, je vous prie, serait celui-là, de quitter tantôt sa raison, et tantôt de la reprendre ; de choisir, dans le christianisme, certains endroits qui plaisent, et de rejeter les autres qui ne plaisent pas ; d’être demi-incrédule, et demi-croyant ? Ce serait capituler avec Jésus-Christ, et faire des conditions avec l’église. Ce serait faire quelque chose de pis, et passer de la complaisance au démenti, en lui avouant une partie de ce qu’elle nous propose à croire, et lui soutenant que le reste est faux. » Calvin eût pu se défendre de la sorte contre ceux qui désapprouvaient son hypothèse de la prédestination. Il pouvait leur dire : Vous faites mal à propos les délicats, après avoir digéré les difficultés d’un seul Dieu en trois personnes, et celles de la Transsubstantiation. Vous ne voulez pas qu’on écoute là-dessus les raisonnemens des philosophes, vous ne parlez que de la toute-puissance de Dieu, vous vous plaignez qu’on la nie quand on ne veut pas admettre la conservation des accidens sans sujet, et la présence d’un corps en plusieurs lieux. Pourquoi donc attaquez-vous le mystère de la prédestination par des argumens humains ? Pourquoi ne croyez-vous pas que la puissance de Dieu s’étend jusqu’à concilier la liberté des créatures avec la nécessité de ses décrets, et sa justice avec la punition d’un péché commis nécessairement ?

Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que l’introduction du mal moral et ses annexes ne soit l’un des plus impénétrables mystères que Dieu nous ait révélés. Citons là-dessus quelques auteurs.

Je ne répète point ce qu’on a pu lire dans un autre endroit de cet ouvrage [47], qu’un théologien réformé avoue publiquement que l’hypothèse de saint Augustin et de Calvin est pour lui d’une pesanteur insupportable, et qu’il ne s’y tient que parce qu’aucune de toutes les autres hypothèses ne saurait le soulager. Les paroles latines de Calvin que j’ai rapportées [48] méritent bien de paraître ici selon le français de l’auteur : « Par tous ses escrits il ne cesse de crier, toutesfois et quantes qu’il est question du peché, que le nom de Dieu n’y doit point estre meslé, d’autant que rien n’apartient à la nature de Dieu, sinon une parfaite droiture et équité. C’est doncques une calomnie par trop vilaine et puante, d’enveloper un tel homme qui a si bien servi à l’eglise de Dieu, en ce crime, comme s’il faisoit Dieu autheur de peché. Il enseigne bien par tout que rien ne se fait que par le vouloir de Dieu : cependant il maintient que cela, que les hommes font meschamment, est tellement conduit et gouverné par le jugement secret de Dieu, qu’il n’a rien de commun avec le vice des hommes. La somme de sa doctrine est, que Dieu adresse toutes choses par moyens admirables et qui nous sont incognus à telle fin qu’il lui plaist, de sorte que sa volonté éternelle est la premiere cause de toutes choses. Et confesse que c’est un secret incompréhensible, que Dieu veuille ce qui ne nous semble nullement raisonnable : et pourtant il afferme qu’il ne s’en faut point enquerir par trop curieusement ni audacieusement, pource que les jugemens de Dieu sont un abyme profond, et qu’il vaut beaucoup mieux adorer en toute reverence les mysteres et secrets qui surmontent nostre capacité, que de les esplucher ou s’y fourrer trop avant [49]. » Vous voyez combien il recommande de ne s’approcher de cet abîme qu’avec un esprit de soumission et de respect pour ce grand et incompréhensible mystère. M. Morus, étant ministre et professeur en théologie dans la même ville de Genève où Calvin l’avait été, déclama très-fortement contre les théologiens réformés qui disputaient sur l’universalité de la grâce. Il avait en vue M. Amyraut et M. Spanheim. Il leur fit la même leçon que l’on fait aux écrivains téméraires qui ont l’audace de fouiller dans les secrets les plus cachés du Créateur. Il les fit ressouvenir des maximes les plus graves que l’on emploie pour recommander le sacrifice de la raison et la servitude de l’entendement sous le poids de l’autorité de Dieu par rapport aux mystères les plus incompréhensibles. Ses termes ont tant d’emphase qu’ils ne pourraient être traduits sans un grand déchet. Rapportons-les donc en original. Quis non videat quæ de Trinitate, quam sibi soli notam vetus ait scriptor, deque decretis Dei, quorum non aliter constat ratio, quàm si nemini reddatur, deque aliis ejusmodi, quæ nec licet scire, nec prodest, anxiè disputantur, non tutò, sed frustrà, disputari ? Nemo cœleste mysterium discutiat ratione terrenâ ; divina verba modis non pensemus humanis, inquit Chrysologus. Credere quod jussum est, non est discutere permissum, ait Ambrosius. Lauda, venerare, tuum est nescire, quod agitur, inquit author de Vocatione gentium Quæ Deus occulta esse voluit, non sunt scrutanda ; quæ manifesta fecit, non sunt negligenda, ne et in illis illicitè curiosi, et in his damnabiliter inveniamur ingrati. Nos autem fastidimus aperta in scripturis, clausa et obsignata in cœlis quærimus, nunquam visa perambulare, oculis quoque subducta calcare pedibus, ἐμϐατεύειν, Pauli vox agnoscitor, satagimus ardeliones. Quare hi sic, illi aliter, absit ut dicamus judicium esse luti non figuli, quæ sunt Augustini verba, compescat se humana temeritas, et quod non est, non quærat, ne id, quod est, non inveniat : Ὄτι ἀκατάληπτον τὸ Θεῖον Damascenus aliique præscribunt. Quid æternis minorem consiliis animum fatigas ? Audi Tertullianum : Præstat, inquit, per Deum nescire, quia ipse non revelaverit, quàm per hominem scire, quia ipse præsumserit ; cedat curiositas fidei, cedat gloria, saluti. Audi Scripturam : Arcana Deo, revelata nobis et filiis nostris. Moses Dei vocem audivit, faciem non vidit ; quia fide, non visu, ambulamus, et cujus ferre majestatem non possumus, à posteriori, ut loquuntur, opera cum Mose lustramus. Deus absconditus habitat in caligine, inquit rex pacificus ; in luce, sed inaccessâ, inquit cœlestis Apostolus. Hic subvectus in tertium cœlum quæ visere potuit, non potuit enarrare : nos humi serpentes adhuc enarramus velut conscii, quæ nunquam, ne per nebulam quidem, vidimus. Non constat sine arcano majestas, nubes Dei gloriam obumbrat, Arca oppanso velo tegitur : nos in horribile Dei Sacrarium emissitios oculos evibramus, et nondum benè initiati Epoptas agimus. Ut ad ignem, solemque, sic ad Deum accedamus, hactenùs ut calore foveamur, non voraci flammâ, non radiis æstuantibus hauriamur [50]. Tout fraîchement, l’un de ceux qui sont assis sur la chaire de Calvin a reconnu d’une manière très-précise l’incompréhensibilité de la prédestination. Je n’ai pas eu encore le plaisir de voir son nouveau Système de théologie ; mais voici ce qu’on en trouve dans les Nouvelles de la République des Lettres. « Il commence par une question extrêmement difficile, et qui est une pierre de scandale et aux profanes et aux faibles, savoir pourquoi Dieu a permis le péché, qui est cause d’un si grand nombre de maux, et qu’il pouvait si facilement empêcher ? M. Pictet ne dissimule point la grandeur de la difficulté. Il la met dans tout son jour. Ceux qui ont osé assurer que Dieu ne sait pas l’avenir, lorsqu’il dépend de la liberté des créatures intelligentes, se tirent aisément de ce mauvais pas ; Dieu n’a pas empêché ce qu’il n’a pas prévu : mais c’est se jeter dans un abîme, pour éviter un précipice, et il est encore plus difficile de concevoir que Dieu ne sache pas l’avenir que de concevoir qu’il n’ait pas empêché le péché, quoi qu’il l’ait prévu. La pensée de ceux qui disent que Dieu l’a permis pour manifester sa sagesse, ou pour exercer sa justice et sa miséricorde, paraît plus raisonnable. Cependant, tout cela ne satisfait point, car, outre qu’il n’était peut-être pas impossible que Dieu fit paraître ses vertus autrement, est-ce avoir, par exemple, un grand fonds de miséricorde, que de permettre un grand mal qu’on pouvait empêcher, afin d’avoir occasion de le guérir ? Aussi M. Pictet avoue-t-il de bonne foi, que comme l’Écriture ne nous rend aucune raison de la conduite de Dieu dans cette occasion, et qu’elle nous fait assez comprendre qu’il y a là des abîmes qu’il est impossible de sonder, on ne doit point l’entreprendre [51]. »

Tout homme qui se pourra scandaliser raisonnablement de mes articles touchant le manichéisme, se pourra scandaliser légitimement de cette doctrine du professeur de Genève, toute orthodoxe qu’elle est.

Amenons aussi le témoignage d’un catholique romain ; afin que la mesure soit comble. « Il y a de petits esprits, qui aiment mieux condamner hardiment ce qu’ils n’entendent pas dans les saints pères de l’église, que de s’humilier comme eux sous le poids des difficultés qui se trouvent dans l’explication des mystères de notre foi. Car c’est un mystère, et un grand mystère, que la justification d’un pécheur et la sanctification d’un chrétien. Et c’est parce qu’on ne le regarde pas comme un mystère, qu’on entreprend hardiment d’en aplanir toutes les difficultés, qu’on se forme des systèmes qui mettent tout en évidence et en démonstration, si l’on en croit les auteurs ; et qu’on se figure en Dieu une science moyenne, dont les demi-pélagiens ont été les premiers inventeurs, et dont le pape Clément VIII, très-habile sur cette matière, avait coutume de dire, comme le rapporte Lemos [* 1], que c’était une invention humaine pour accommoder en apparence toutes choses. Loin donc ces inventions humaines qui n’expliquent les mystères qu’en les détruisant, et qui ne satisfont l’esprit humain qu’en le séduisant par des apparences trompeuses de lumière et d’évidence. Recevons avec humilité ce que l’Écriture et la tradition nous en découvrent. Ignorons volontiers ce que Dieu veut qui nous en soit caché. Arrêtons-nous où les apôtres et les docteurs de l’église se sont arrêtés : et en lisant saint Augustin, loin de lui insulter comme à un écrivain qui s’égare et qui conduit ceux qui le suivent dans le précipice de l’erreur, reconnaissons que ce n’est pas de ses expressions que viennent les difficultés, mais de la matière même, comme il répond à Julien [52]. »

Voyons si l’on a pu se choquer légitimement d’une certaine comparaison que j’ai alléguée [53]. Je n’ignore pas que bien des gens en ont murmuré ; les uns parce qu’ils n’avaient point d’habitude avec les livres de controverse, les autres parce qu’ils n’avaient pas les idées assez fraîches de ce qu’ils y avaient lu autrefois. Quel que puisse être le fondement de leur scandale, on peut le lever facilement. On n’a qu’à leur représenter que la méthode la plus ordinaire des controversistes est celle qu’on nomme reductionem ad absurdum, la réduction à l’absurde. Ils tâchent surtout de faire voir que la suite nécessaire du dogme qu’ils réfutent est que la conduite de Dieu serait exécrable, et ils ne feignent point de dire beaucoup de mal du Dieu de leurs adversaires ; c’est-à-dire de Dieu considéré selon qu’il serait en cas que la doctrine en question fût reçue. Ils se servent hardiment des comparaisons les plus choquantes. Les catholiques romains soutiennent que Calvin a introduit un Dieu fourbe, et cruel, et inhumain ; un Dieu sans justice, sans raison et sans bonté [54], moins innocent et moins Dieu, que ne l’est le Dieu d’Épicure [55] ; un Dieu qui a deux volontés ; une publique par laquelle il déclare qu’il veut sauver tout le monde, et l’autre secrète, par laquelle il pousse dans l’impiété ceux qu’il n’aime point, afin de trouver un prétexte pour les punir [56] ;... un maître inhumain, qui commande des choses impossibles à ses serviteurs, et les châtie d’une peine éternelle, parce qu’ils ne les ont pas exécutées, comme faisait le tyran Caligula [57] ; enfin un Dieu qui comme Caligula ordonne que l’on écrive ses lois avec un caractère si petit qu’on ne les puisse lire [58]. L’arminien Bertius, disputant contre Piscator, l’accusa de faire tenir à Dieu à l’égard de l’homme une conduite toute semblable à celle dont Tibère se servit envers les filles de Séjan. Il marqua ce parallèle [59] en deux colonnes, et il arrangea dans l’une ce qui fut fait par cet empereur afin que les filles de Séjan ne fussent pas étranglées contre les lois ; il arrangea dans l’autre ce que Piscator fait faire à Dieu afin que les réprouvés ne soient pas punis contre les formes. Un théologien réformé emploie contre les sociniens une semblable batterie. Il leur soutient que leur Dieu est le plus grand de tous les monstres qui soit monté dans l’imagination [60] ; que Platon et Zénon ne s’en seraient point accommodés [61] ; que c’est un Dieu ignorant, fort impuissant [62], tout plein d’imperfections [63], un fantôme de Dieu qui est démonté à chaque pas par des événemens imprévus [64] ; un étrange Dieu qui ne vaut guère mieux que celui d’Épicure [65] ; et qui vit au jour la journée [66].

Telle étant la coutume des controversistes, j’aurais été un fort mauvais historien de la dispute sur l’origine du mal, et un rapporteur infidèle des raisons de chaque parti, si je n’avais point allégué la comparaison qui a déplu à certaines gens. C’est celle de Dieu avec une mère qui, prévoyant que sa fille, etc. ; et notez que j’ai montré qu’elle peut être rétorquée contre les sociniens.

S’il y a des gens qui se sont choqués de ce que je me suis départi de la maxime qu’il ne faut jamais avouer à ses adversaires que l’on ne peut pas répondre à leurs objections, je n’aurai pas besoin d’une longue apologie, je n’aurai qu’à faire cette petite demande : Agir de bonne foi, n’est-ce pas une belle chose ? n’est-ce pas une affaire d’obligation, ou pour le moins de permission ? On ne saurait me répondre qu’affirmativement. Je puis donc, répliquerai-je, me servir de cette louable liberté, et surtout puisqu’il n’y a ni règlement de synode, ni règlement de consistoire, qui lie les mains à personne à cet égard-là. Si l’on me peut produire un jugement doctrinal signé de quatre professeurs en théologie, et scellé du sceau de quelque université, ce n’est pas demander beaucoup ; si, dis-je, l’on me peut montrer un tel acte, portant que jamais un orthodoxe ne doit convenir, non pas même lorsque cela est très-vrai, que certaines objections des hétérodoxes ne peuvent être réfutées autrement que par l’Écriture, je m’engagerai à tout ce que l’on voudra ; car je suis sûr qu’on ne me montrera jamais une telle signature.

Mais, pour une plus ample satisfaction des lecteurs les plus scrupuleux, je veux bien déclarer ici que partout où l’on verra dans mon Dictionnaire que tels et tels argumens sont insolubles, je ne souhaite pas qu’on se persuade qu’ils le sont effectivement. Je ne veux dire autre chose, sinon qu’ils me paraissent insolubles. Cela ne tire point à conséquence, chacun se pourra imaginer, s’il lui plaît, que j’en juge ainsi à cause de mon peu de pénétration. Je voudrais que l’on ajoutât qu’en me conformant aux règles de la bonne foi, plutôt qu’aux maximes politiques de l’esprit de parti, je ne laisse pas de considérer que l’hérésie ni le paganisme ne peuvent tirer aucun avantage de l’insolubilité de leurs objections contre les mystères [67].

La difficulté qui me reste à examiner nous retiendra un peu plus long-temps. Elle est fondée sur ce que j’ai rapporté fort au long ce que les manichéens peuvent objecter, et que je ne me suis pas mis en peine de produire les raisons qui les réfutent. Voici de quoi contenter sur ce sujet de murmure tous les lecteurs raisonnables. Quatre raisons m’empêchèrent de m’arrêter à la réfutation du manichéisme.

La première est, que dans la disposition où se trouvent aujourd’hui les gens il n’y a point d’hérésie moins à craindre que celle-là. Les peuples ne sauraient concevoir que de l’horreur pour une hypothèse qui admet une nature éternelle et incréée, distincte de Dieu, et ennemie de Dieu, et méchante essentiellement. Et pour ce qui est des esprits forts, ou en général de ceux qui ont cultivé l’étude de la métaphysique, et qui ont quelque penchant à en abuser, il n’y a rien qui leur déplaise davantage que la multiplicité de principes. La dépravation de leur goût les porte plutôt à être parfaitement unitaires [68], qu’à se déclarer pour les dualistes [69].

En second lieu, tous les chrétiens quelque ignorans qu’ils puissent être enferment si clairement la toute-puissance et l’infinité dans l’idée de la nature divine, qu’ils n’ont pas besoin d’armes d’emprunt pour combattre les manichéens. Cette idée seule les rend assez forts dans une guerre offensive : ils y trouvent de quoi réfuter solidement l’hypothèse de ces gens-là. Je crus donc qu’il n’était pas nécessaire de montrer à aucun de mes lecteurs comment il faut l’attaquer.

En troisième lieu, l’observation, que je faisais et que j’étendais suffisamment dans la remarque (D) de l’article Manichéens, tome X, page 195, contient tout ce qui est nécessaire pour dégoûter du dogme des deux principes ceux qui ont du jugement. Je disais que la bonté d’un système consiste en ce qu’il n’enferme rien qui répugne aux idées évidentes, et en ce qu’il donne raison des phénomènes. J’ajoutais que le système manichéen n’a tout au plus que l’avantage d’expliquer plusieurs phénomènes qui embarrassent étrangement les sectateurs de l’unité de principe ; mais qu’au reste il porte sur une supposition qui répugne à nos plus claires idées, au lieu que l’autre système est appuyé sur ces notions-là. Par cette seule remarque, je donne la supériorité aux unitaires, et je l’ôte aux dualistes ; car tous ceux qui se connaissent en raisonnemens demeurent d’accord qu’un système est beaucoup plus imparfait lorsqu’il manque de la première des deux qualités dont j’ai parlé ci-dessus, que lorsqu’il manque de la seconde. S’il est bâti sur une supposition absurde, embarrassée, peu vraisemblable, cela ne se répare point par l’explication heureuse des phénomènes ; mais s’il ne les explique pas tous heureusement, cela se répare par la netteté, par la vraisemblance, et par la conformité qu’on lui trouve aux lois et aux idées de l’ordre ; et ceux qui l’ont embrassé à cause de cette perfection n’ont pas accoutumé de se rebuter sous prétexte qu’ils ne peuvent point rendre raison de toutes les expériences. Ils imputent ce défaut à la petitesse de leurs lumières, et ils s’imaginent qu’avec le temps on découvrira le vrai moyen de résoudre les difficultés [70]. Un philosophe cartésien, se voyant pressé d’une objection qui regardait le principe que M. Descartes donne du flux et du reflux de la mer, répondit entre autres choses qu’il ne faut pas quitter légèrement une opinion, et cela principalement lorsque d’un autre côté elle est bien établie. On objecta à Copernic, quand il proposa son système, que Mars et Vénus devraient en un temps paraître beaucoup plus grands, parce qu’ils s’approchaient de la terre de plusieurs diamètres. La conséquence était nécessaire ; et cependant on ne voyait rien de cela. Quoiqu’il ne sût que répondre, il ne crut pas devoir pour cela l’abandonner : il disait seulement que le temps le ferait connaître, et que c’était peut-être à cause de la grande distance. L’on prenait cette réponse pour une défaite et l’on avait ce semble raison : mais les lunettes ayant été trouvées depuis, on a vu que cela même qu’on lui opposait comme une grande objection est la confirmation de son système et le renversement de celui de Ptolomée [71].

Remarquez ici en passant un bel exemple de ce que j’ai dit sur les perfections d’un système. Celui de Copernic est si dégagé, si simple, si mécanique, qu’on le devrait préférer à celui de Ptolomée, encore qu’il satisfît moins heureusement à quelqu’une des apparences.

Enfin, ma quatrième raison est, que j’indiquais une ressource si bonne et si assurée, qu’il aurait été superflu de se sertir de quelque autre expédient pour compenser le désavantage. Le système des dualistes rend mieux raison de plusieurs expériences que celui des unitaires ; mais d’autre côté il renferme des absurdités monstrueuses et directement combattues par les idées de l’ordre. Le système des unitaires jouit de la perfection opposée à ce défaut-là : et ainsi, tout bien compté et rabattu, il est préférable à l’autre. Cela pouvait en quelque façon suffire ; mais je ne m’en contentai pas, j’observai de plus que le système des unitaires était conforme à l’Écriture, et que celui des dualistes était réfuté invinciblement par la parole de Dieu. Que peut-on souhaiter de plus fort et de plus démonstratif pour s’assurer que le système des unitaires est vrai, et que l’autre est faux ? Fallait-il outre cela, pour lever tous les scrupules, que je réfutasse philosophiquement le manichéisme ? Ne serait-on pas de petite foi, si l’on avait besoin d’une semblable dispute ? Dieu parle, et cela ne vous persuade pas pleinement ? Vous voulez d’autres cautions, vous souhaitez qu’un raisonnement humain ratifie son témoignage [72] ? Cela n’est-il pas indigne d’un homme qui n’a pas perdu le sens commun ? Vous craignez sous l’autorité révélée les objections des manichéens ? Que ne dites-vous avec l’Écriture, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous [73] ? Vous ne pouvez pas répondre aux difficultés qu’ils vous proposent sur l’origine du mal et sur les décrets de réprobation ? Eh bien, répondez-leur ce que le petit catéchisme des églises réformées fait répondre à cette demande concernant la Trinité, Comment cela se peut-il faire ? C’est un secret surmontant notre entendement et toutefois très-certain ; Car Dieu le nous a ainsi déclaré par sa parole [74]. Toute subtilité philosophique, qui tend à vous enlever la persuasion de la vérité céleste, doit passer auprès de vous pour une de ces attaques que saint Paul veut que l’on repousse en prenant le bouclier de la foi [75]. Prenez-le donc, et vous aurez d’assez bonnes armes ; et songez bien qu’en craignant que ce ne soit trop peu de chose, vous vous exposez à la raillerie qui est tombée sur un cardinal à qui les papes faisaient pitié, lorsqu’ils n’avaient point d’autre assistance que celle du Saint-Esprit [76]. Non ho potuto d’hora in hora non compassionare i Pontefici con venti frà loro contrarii e tutti infesti al corso di lei, eccetta l’aura dello Spirito Sancto [77].

Mais ayons aujourd’hui quelques égards pour les personnes de petite foi. Proposons quelques raisonnemens contre le manichéisme.

Je ne veux point l’attaquer par son endroit faible, c’est-à-dire que je ne veux point me prévaloir des absurdités palpables que les manichéens débitaient quand ils descendaient dans le détail des explications de leur dogme. Elles sont si pitoyables, que c’est les réfuter suffisamment que d’en faire un simple rapport. On en a vu ci-dessus quelque échantillon [78]. Faisons-leur quartier sur leur ridicule, et considérons seulement leur hypothèse dans la plus grande simplicité où on la puisse réduire.

Je ne me servirai point de cette objection de Simplicius [79] : le principe du bien et le principe du mal seraient contraires ; or ils ne pourraient être contraires qu’ils ne fussent sous un même genre ; il y aurait donc quelque chose au-dessus d’eux, et cette chose ne serait qu’une et aurait toute l’essence de principe ; ce serait donc elle qui serait proprement principe, et par conséquent il n’y aurait pas deux premiers principes, et ainsi la supposition de deux principes contraires implique contradiction. Cela est plus subtil que solide ; car les genres et les espèces n’existent que dans notre entendement, et de là vient que le genre sous lequel seraient les deux principes contraires ne serait au plus qu’une idée de notre esprit, comme l’idée générale de l’être qui, selon quelques philosophes chrétiens, est univoque à Dieu et aux créatures [80].

Les autres raisonnemens de Simplicius ont beaucoup plus de solidité [81]. Il fait voir à ceux qui admettent deux principes, l’un du bien l’autre du mal, que leur opinion est tout-à-fait injurieuse au Dieu qu’ils appellent bon ; qu’elle lui ôte pour le moins la moitié de la puissance, et qu’elle le fait timide, injuste, imprudent et ignorant. La crainte qu’il eut d’une irruption de son ennemi, disaient-ils, l’oblige à lui abandonner une partie des âmes afin de sauver le reste. Ces âmes étaient des portions et des membres de sa substance, et n’avaient commis aucun péché. Simplicius conclut de là qu’il eut de l’injustice à les traiter de la sorte, vu principalement qu’elles devaient être tourmentées, et qu’au cas qu’elles contractassent quelque souillure, elles devaient demeurer éternellement au pouvoir du mal. Ainsi le bon principe n’avait point su ménager ses intérêts, il s’était exposé à une éternelle et irréparable mutilation. Joignez à cela que sa crainte avait été mal fondée, car puisque de toute éternité et par leur nature les états du mal étaient séparés des états du bien, il n’y avait nul sujet de craindre que le mal fit une irruption sur les terres de son ennemi. Simplicius reproche à ses adversaires qu’ils donnent moins de prévoyance et moins de puissance au bon principe qu’au mauvais. Le bon principe n’avait point prévu l’infortune des détachemens qu’il exposait aux assauts de l’ennemi [82], mais le mauvais principe avait fort bien su quels seraient les détachemens que l’on enverrait contre lui, et il avait préparé les machines nécessaires pour les enlever. Le bon principe fut assez simple pour aimer mieux se mutiler, que de recevoir sur ses terres les détachemens de l’ennemi, qui par ce moyen eût perdu une partie de ses membres. Le mauvais principe avait toujours été supérieur [83], il n’avait rien perdu, et il avait fait des conquêtes qu’il avait gardées ; mais le bon principe avait cédé volontairement beaucoup de choses par timidité, par injustice, et par imprudence. L’auteur conclut qu’en refusant de reconnaître que Dieu soit l’auteur du mal, on l’a fait mauvais en toutes manières. Τὸ δὲ ἀγαθὸν, ὡς οὗτοι φασὶν, ἑκουσίως ἑαυτὸ τῷ κακῷ συνέμιξε, καὶ δειλῶς, καὶ ἀδίκως, καὶ ἀνοήτως, κατ᾽ αὐτοὺς, μέχρι νῦν διεγένετο. Ὥςε φεύγοντες, αἴτιον αὐτὸν τοῦ κακοῦ εἰπεῖν, πάγκακον ὑπογράφουσι· καὶ, κατὰ τὴν παροίμιαν, φεύγοντες τὸν καπνὸν, εἰς πῦρ ἐμπεπτώκασι. Cùm bonum ultrò sese cum malo commiscuerit, seque et timidè, et injustè, et amenter (si illis credimus) gesserit. Itaque dum mali causam dicere Deum recusant, ab omni parte malum describunt : et, ut proverbio dicitur, fumum fugientes in ignem inciderunt [84].

Je laisse plusieurs autres observations de Simplicius contre l’hypothèse des deux principes ; car elles en attaquent les endroits qui n’étaient faibles que par le faut particulier des explications arbitraires de ceux qui la soutenaient. Cela convient un peu à quelques-unes des objections de ce philosophe que j’ai abrégées ; mais en voici une qui porte coup, quelle que puisse être la simplicité où l’on voudra considérer la doctrine des deux principes.

Il dit [85] qu’elle renverse entièrement la liberté de nos âmes, et qu’elle les nécessite à pécher, et par conséquent qu’elle implique contradiction ; car, puisque le principe du mal est éternel et impérissable, et si puissant que Dieu même ne le peut vaincre, il s’ensuit que l’âme de l’homme ne peut résister à l’impulsion avec laquelle il la pousse vers le péché. Or, si elle y est poussée invinciblement, elle ne commet point un homicide, un adultère, etc., par sa faute, mais par une force majeure qui vient de dehors ; et en ce cas-là elle n’est point criminelle ni punissable. Il n’y a donc plus de péché, et ainsi cette hypothèse se détruit et s’extermine elle-même, vu que s’il y a un principe du mal, il n’y a plus de mal dans le monde ; mais s’il n’y a point de mal dans le monde, il est clair qu’il n’y a aucun principe du mal ; d’où nous pouvons recueillir qu’en supposant un tel principe on ôte par une conséquence nécessaire et le mal et le principe du mal. Εἰ οὖν τούτων ὡς κακῶν ὄντον τὴν αἰτίαν ζητοῦντες,
ἀρχὴν ὑπέθεντο κακοῦ· ἐκείνης δὲ ὑποτεθείσης καὶ βιαζομένης οὐκ ἔςιν οὐδὲν ἔτι κακόν· χαριέντως αὐτοῖς ὁ λόγος περιτέτραπται. Συνάγεται γὰρ, ὅτι εἰ ἔςιν ἀρχὴ τοῦ κακοῦ, οὐκ ἔςι κακὸν ὅλως᾽ εἰ δὲ μὴ ἔςι κακὸν, οὐδὲ ἀρχὴ ἂν εἴη τοῦ κακοῦ, ὥςε εἰ ἔςιν ἀρχὴ τοῦ κακοῦ, ὥς φασιν, οὔτε κακὸν ἔςαι, οὔτε ἀρχὴ τοῦ κακοῦ. Quòd si talium facinorum ut malorum causam inquirentes, mali principium statuerunt ; eoque statuto, et quidem vim inferente, malum nullum relinquitur : festivè suo ipsi (quod aïunt) gladio jugulantur. Nam indè colligitur : si mali principium sit, nullum omninò esse malum. Si verò malum non est, ne principium quidem mali esse. ltaque si est principium mali, ut aïunt, nec malum erit, nec mali principium [86].

Cette objection n’est pas moins solide que subtile. On la peut fortifier par celle que j’ai proposée ailleurs [87], qui est que le dogme des manichéens est l’éponge de toutes les religions, puisque, en raisonnant conséquemment, ils ne peuvent rien attendre de leurs prières, ni rien craindre de leur impiété. Ils doivent être persuadés que, quoi qu’ils fassent, le bon dieu leur sera toujours propice, et que le mauvais dieu leur sera toujours contraire. Ce sont des dieux dont l’un ne peut faire que du bien, et l’autre ne peut faire que du mal. Ils sont déterminés à cela par leur nature, et ils suivent selon toute l’étendue de leurs forces cette détermination.

L’argument que je m’en vais faire me paraît bien fort. Le meilleur chemin que l’on puisse prendre dans les discussions philosophiques est de consulter les idées de l’ordre. Si nous les consultons dans la dispute présente, nous verrons fort clairement que l’unité, et le pouvoir infini, et le bonheur, appartiennent à l’auteur du monde. La nécessité de la nature a porté qu’il y eût des causes de tous les effets, il a donc fallu nécessairement qu’il existât une force suffisante à la production du monde. Or il est bien plus selon l’ordre que cette puissance soit réunie dans un seul sujet, que si elle était partagée à deux ou à trois, ou à cent mille. Concluons donc qu’elle n’a pas été partagée, et qu’elle réside toute entière dans une seule nature, et qu’ainsi il n’y a pas deux premiers principes, mais un seul. Il y aurait autant de raison d’en admettre une infinité, comme faisaient les atomistes, que de n’en admettre que deux.

S’il est contre l’ordre que la puissance de la nature soit partagée à deux sujets, généralement parlant, combien serait-il plus étrange que ces deux sujets fussent ennemis et diamétralement opposés ? Il ne pourrait naître de là que toutes sortes de confusions. Ce que l’un voudrait faire, l’autre le voudrait défaire, et ainsi ou rien ne se ferait, ou s’il se faisait quelque chose, ce serait un ouvrage de bizarrerie, et bien éloigné de la justesse de cet univers. Voilà donc le manichéisme combattu par une très-forte raison. S’il eût admis deux principes qui eussent agi de concert en toutes choses, il eût été exposé à de moindres difficultés.

Il aurait néanmoins choqué l’idée de l’ordre par rapport à la maxime, qu’il ne faut point multiplier les êtres sans nécessité[88] ; car s’il y a deux premiers principes, ils ont chacun toute la force nécessaire pour la production de l’univers, ou ils ne l’ont pas. S’ils l’ont, l’un des deux est superflu ; s’ils ne l’ont pas, cette force a été partagée inutilement, et il eût bien mieux valu la réunir en un seul sujet, elle en eût été plus active, virtus unita fortiùs agit, dit-on dans les écoles des péripatéticiens. Outre qu’il n’est pas aisé de comprendre qu’une cause qui existe par elle-même n’est qu’une portion de force. Qui est-ce qui l’aurait bornée à tant ou à tant de degrés ? Elle ne dépend de rien, elle tire tout de son propre fonds.

Le rabbin Maimonides me paraît trop délicat, lors qu’il rejette toutes les cinq preuves de l’unité de Dieu employées par les philosophes de la secte des Parlans, et lorsqu’il loue celui d’entre eux qui, se trouvant embarrassé de la faiblesse de ces preuves, avait dit qu’on ne connaissait l’unité de Dieu, ou qu’on ne pouvait la prouver, que par la révélation soutenue de la tradition. Hæc argumentorum istorum debilitas sic defatigavit et exercuit nonnullos, ut quidam illorum dixerit, Unitatem Dei haberi ex lege per Cabbalam ; sed à reliquis ludibrio tantùm fuit habitus et non nisi sannis exceptus. Mihi autem videtur, virum illum fuisse sani admodùm ingenii ac judicis. Nam cùm nihil solidum et demonstrativum in ipsorum rationibus vidisset, in quo animus ipsius acquiescere potuisset, dixit, per Cabbalam sive traditionem hoc haberi ex lege[89]. La quatrième de ces cinq preuves était celle-ci : Ou un seul Dieu suffisait à la production du monde, ou il n’y suffisait pas. S’il y suffisait, un autre Dieu aurait été inutile ; et, s’il avait besoin de l’aide d’un autre Dieu, chacun d’eux manquait de la force nécessaire : or il est impossible qu’une imperfection soit en Dieu. Maimonides répond qu’encore qu’un Dieu n’eût pas pu faire tout seul la machine de ce monde, on n’aurait pas un juste sujet de l’appeler impuissant ou insuffisant, car on ne doit point qualifier de la sorte celui qui ne fait pas ce qui surpasse sa nature. Ce n’est point une impuissance en Dieu de ne pouvoir pas se donner un corps, ou faire un carré dont le côté soit égal à la ligne diagonale. Cela n’empêche point que Dieu ne soit tout-puissant ; l’impossibilité naturelle de certaines choses ne fait aucun préjudice à la toute-puissance de Dieu. Si donc on soutient qu’il est naturellement impossible qu’un seul Dieu crée le monde, le besoin de deux divinités pour le créer ne sera point une marque d’imperfection ou de défaut de pouvoir dans chacune d’elles. Sicut non est attribuenda Deo impotentia, quia non potest se ipsum corporeum facere, vel alium sibi similem creare, aut quia nequit creare quadratum, cujus latus æquale sit diametro : sic illi, qui duos Deos statuunt, possunt dicere, non esse illis omnipotentiam derogandam ideò, quia nullus illorum solus creat ; eò quòd necessitas existentiæ ipsorum requirat, ut sint duo. Hoc verò non esse ex indigentiâ, quasi unus alterius ope indigeret, sed ex necessitate, contrariumque esse impossibile. Et, sicut non ideò dici potest, Deum non esse omnipotenten, nulloque modo indigentiæ, impotentiæ, vel insufficientiæ titulo appellandum, quòd non possit existere facere corpus aliquod, nisi creet substantias individuas, illasque per accidentia, quæ itidem creat, conjungat, ut illi Loquentes asserunt ; quia scilicet, ut aliter fiat, est impossibile. Sic, qui dues Deos statuit, dicere potest, impossibile esse, ut unus solus faciat orania, nec tamen imperfectioni ipsius hoc adscribendum esse, quia illa talis sit, ut duo simul et unà sint et operentur [90].

On pourrait montrer que ce ne sont que des chicanes ; mais, pour éviter les trop longues discussions, je me contente de dire que les manichéens ne peuvent pas se servir de cette défaite ; car si quelque puissance doit être essentiellement contenue dans la nature de Dieu, c’est celle de faire ce qu’il désire le plus fortement. L’idée de Dieu ne renferme aucun attribut avec plus de netteté et d’évidence que la béatitude [91]. Si donc le défaut de quelque pouvoir est capable d’ôter à Dieu la béatitude, il faut dire qu’il est de l’essence et de la nature de Dieu de n’avoir point ce défaut. Or elle l’aurait de toute nécessité, si l’opinion des manichéens était véritable : donc leur système est tout-à-fait faux.

La nature du bon principe, disent-ils, est telle qu’il ne peut produire que du bien, et qu’il s’oppose de toutes ses forces à l’introduction du mal. Il veut donc et il souhaite avec la plus grande ardeur du monde qu’il n’y ait point de mal : c’est donc à son grand regret qu’il y a du mal dans l’univers ; il a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher ce désordre : s’il a donc manqué de la puissance nécessaire à l’empêcher, ses volontés les plus ardentes ont été frustrées, et par conséquent les forces les plus nécessaires à son bonheur lui ont manqué ; il n’a donc point la puissance qu’il doit avoir le plus nécessairement selon la constitution de son être. Or que peut-on dire de plus absurde que cela ? N’est-ce pas un dogme qui implique contradiction ?

Les deux principes des manichéens seraient les plus malheureux de tous les êtres : car le bon principe ne pourrait jeter les yeux sur le monde, qu’il n’y vît une multitude épouvantable de toutes sortes de maux : le mauvais principe n’y pourrait jeter les yeux sans y voir beaucoup de biens. La vue du mal affligerait l’un ; la vue du bien affligerait l’autre. Ce ne serait pas un spectacle interrompu quelquefois : il serait continuel et sans le moindre relâche. Les hommes les plus infortunés ne sont pas assujettis à une si dure condition ; ils passent successivement de la tristesse à la joie, et enfin la mort les met à couvert des misères de cette vie. Mais les deux principes des manichéens sont impérissables, ils ne peuvent voir ni aucune fin ni aucune interruption à ces objets désagréables qui les chagrinent au dernier point.

Tout ce que les manichéens pouvaient supposer touchant la première introduction du mal, et sa première combinaison avec le bien dans le cœur de l’homme, était sujet à mille difficultés. Leurs propres armes leur étaient contraires. Ils ne pouvaient souffrir l’hypothèse que le mal était venu du mauvais usage du franc arbitre. Dieu, disaient-ils, infiniment bon, n’aurait pas permis que ses créatures dégénérassent de leur bonté originelle ; et cependant ils n’accordaient pas qu’elles fussent incorruptibles moralement parlant. Nous avons vu que Simplicius leur objecte, que les âmes dont le mauvais principe s’était emparé, et qui étaient des portions du bon principe, devenaient mauvaises, et qu’en ce cas elles demeuraient éternellement dans la corruption et dans la misère sous l’empire du conquérant. Mais voici bien pis. Nous savons par expérience que la même âme en nombre pèche et fait de bonnes actions. Quand on se repent, et qu’on implore la miséricorde de Dieu, et qu’on répare par des aumônes, etc., sa mauvaise vie ; Ce ne sont pas deux substances qui font tout cela, c’est un seul et même sujet : nous le savons par conscience [92], la raison veut que la chose soit ainsi ; car pourquoi s’affligerait-on et se repentirait-on d’une faute qu’on n’aurait point faite ? Je demande aux manichéens : L’âme qui fait une bonne action a-t-elle été créée par le bon principe, ou par le mauvais ? Si elle a été créée par le mauvais principe, il s’ensuit que le bien peut naître de la source de tout mal. Si elle a été créée par le bon principe, il s’ensuit que le mal peut naître de la source de tout bien [93] ; car cette même âme en d’autres rencontres commet des crimes. Vous voila donc réduits à renverser vos propres raisonnemens, ou à soutenir, contre le sentiment intérieur et évident de chaque personne, que jamais l’âme qui fait une bonne action n’est la même que celle qui pèche.

Pour se tirer de cette difficulté ils auraient besoin de supposer trois premiers principes : un essentiellement bon, et la cause de tout bien : un essentiellement mauvais, et la cause de tout mal : un essentiellement susceptible du bien et du mal, et purement passif. Après quoi il faudrait dire que l’âme de l’homme est formée de ce troisième principe, et qu’elle fait tantôt une bonne action et tantôt une mauvaise, selon qu’elle reçoit l’influence ou du bon principe ou du mauvais.

Ceux qui prendront la peine de considérer avec attention tout ce que j’ai exposé dans cet Éclaircissement cesseront sans doute d’être choqués de ce qui les avait fait murmurer contre l’article des Pauliciens, etc. Ils verront que cet article et ceux où la même matière a été traitée peuvent être lus sans scandale, et même avec édification, pourvu que l’on se souvienne bien,

I. Que c’est le propre des mystères évangéliques d’être exposés à des objections que la lumière naturelle ne peut éclaircir ;

II. Que les incrédules ne peuvent tirer légitimement aucun avantage de ce que les maximes de philosophie ne fournissent point la solution des difficultés qu’ils proposent contre les mystères de l’Évangile ;

III. Que les objections des manichéens sur l’origine du mal, et sur la prédestination, ne doivent pas être considérées en général en tant qu’elles combattent la prédestination, mais avec cet égard particulier que l’origine du mal, les décrets de Dieu sur cela, et le reste, sont un des plus inconcevables mystères du christianisme ;

IV. Qu’il doit suffire à tout bon chrétien que sa foi soit appuyée sur le témoignage de la parole de Dieu ;

V. Que le système manichéen considéré en lui-même est absurde, insoutenable, et contraire aux idées de l’ordre ; qu’il est sujet aux rétorsions, et qu’il ne saurait lever les difficultés ;

VI. Qu’en tout cas on ne saurait se scandaliser de mes aveux, que l’on ne soit obligé de regarder comme scandaleuse la doctrine des théologiens les plus orthodoxes, puisque tout ce que j’ai dit est une suite naturelle, inévitable de leurs sentimens, et que je n’ai fait que rapporter, d’une manière plus prolixe, ce qu’ils enseignent d’une façon moins étendue.

Il y aura peut-être des gens qui trouveront imparfaite ma réfutation du manichéisme, parce que je ne réponds point aux objections que j’ai étalées comme de la part des manichéens. Je prie ceux qui se feront ce scrupule de se souvenir que pour des réponses évidentes tirées de la lumière naturelle, je n’en connais point ; et que pour les réponses que l’Écriture peut fournir, on les trouve dans une infinité de livres de controverse.

Ceux qui demandent l’utilité ou le cui bono des discussions qui leur ont déplu verront ma réponse dans le troisième éclaircissement.


  1. (*) Inventum humanum ad accommodandum in apparentiâ omnia. Lemos, tom. I, p. 2. Tract. 5, c. 35, pag. 280.
  1. Voyez ci-dessus, citation (108) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 502.
  2. Restreignez ceci aux vérités évangéliques qui contiennent des mystères ; car il faut avouer que les préceptes de la morale de Jésus-Christ se peuvent facilement concilier avec la lumière naturelle.
  3. Notez qu’on ne veut pas condamner ceux qui s’efforcent de concilier ces mystères avec la philosophie ; leurs motifs peuvent être bons, et leur travail avec la bénédiction de Dieu peut quelquefois être utile.
  4. Évangile de saint Luc, chap. V, vers. 27, et chap. IX, vers. 59.
  5. Actes des Apôtres, chap. XVI, v. 31.
  6. Évangile selon saint Matthieu, ch. XI, vers. 25.
  7. Là-même, chap. XVI, vers. 17.
  8. Ire. Épître aux Corinth., chap. XIII, vers. 12.
  9. Là même, ch. II, vers. 14
  10. Là même, ch. I, vers. 26.
  11. Ire. Épître aux Colossiens, chap. II, vers. 8.
  12. Ire. Epître à Timothée, chap. VI, vers. 20, 21.
  13. Voyez les passages des pères, que M. de Launoi a compilés au chap. II du livre de Variâ Aristotelis Fortunâ.
  14. Origène, contre Celse, liv. I, chap. II, pag. 5 de la version de M. Bouhéreau.
  15. Là même, pag. 7.
  16. Là même, pag. 5.
  17. Cela se doit entendre, non par rapport aux principes de logique et de métaphysique, de quoi il s’agit dans cet Éclaircissement, (car il est certain que les pères ne discutaient point sur ces règles-là le dogme de la Trinité, ni celui de l’Incarnation), mais par rapport à des principes tirés de la parole de Dieu, quand il est question d’un mystère de l’Évangile.
  18. Origène, contre Celse, liv. I, ch. II, pag. 6.
  19. IIe. Épître aux Corinthiens, ch. V, vers. 7.
  20. L’an 1687. On a pu voir dans la Bibliothéque universelle les extraits de plusieurs livres publiés de part et d’autre sur cette controverse.
  21. MM. Jurieu et Saurin.
  22. En septembre 1696.
  23. Cicero, Tuscul. Quæst., lib. I, folio m. 245, C.
  24. M. Nicolle et M. Claude.
  25. C’est-à-dire, faire des amas de raisons qui ont quelque chose de surprenant contre la Trinité, etc.
  26. Nicolle, Perpétuité de la Foi, pag. m. 92, 93.
  27. C’est ainsi qu’on nomme dans les écoles la position d’un même corps en plusieurs lieux sans pénétration de dimensions.
  28. C’est ainsi qu’on nomme la position d’un corps en plusieurs lieux à la fois, avec pénétration de dimensions.
  29. Conférez avec ceci ce qu’on a dit ci-dessus, rem. (G) de l’article Zénon d’Élée, pag. 41, touchant les objections qui concernent la divisibilité du continu.
  30. Pour connaître les embarras inexplicables où l’abbé Faydit a réduit les scolastiques, il ne faut que consulter l’auteur qui a tâché de lui répondre, ou seulement l’excellent Extrait que M. de Bauval a donné de sa Réponse dans l’Histoire des Ouvrages des Savans, mai 1699, pag. 214 et suiv.
  31. Il est intitulé : De la trop grande Subtilité dans les choses de la Religion.
  32. Balzac, Socrate chrétien, pag. m. 57 et suiv.
  33. Là même, pag. 62, 63.
  34. On écrit ceci en novembre 1701.
  35. Jean Wilmot, comte de Rochester, né au mois d’avril 1638, mort pénitent l’an 1680 : homme qui s’était distingué par son esprit, et par des compositions de plume pleines de sel et d’agrémens, et l’un de ces athées qui vivent selon leurs principes ; car il se plongea dans les plus affreux excès de l’ivrognerie et de l’impudicité. Voyez l’Histoire de sa conversion ; c’est un livre du docteur Gilbert Burnet. Je me sers de la traduction latine qui en a été publiée à Utrecht l’an 1698.
  36. Roftæ Comitis in extremis Μετάνοια seu Pœnitentia salutaris, pag. 51.
  37. Ibid., pag. 53.
  38. Certum in unâquâque re quid esse cujus ratio reddi nequit. Ibid., p. 52.
  39. Roftæ Comitis in extremis Μετάνοια seu Pœnitentia salutaris, p. 53.
  40. Notez que l’auteur qui publia un Traité de Religion contre les athées, les déistes et les nouveaux pyrrhoniens, à Paris l’an 1677, pressa fortement l’argument, que les impies ne peuvent éviter dans leurs principes de croire des choses incompréhensibles. Voyez les chap. III, IV et V de la IIe. partie.
  41. Je n’entends pas cela, et il me semble que l’auteur a plutôt dit credibilia qu’incredibilia, ou qu’au lieu de minùs il eût fallu mettre magis.
  42. Comitis Roftæ in extremis Μετάνοια, pag. 54, 55.
  43. Voyez ci-dessus, rem. (C) de l’article Hoffman (Daniel), tom. VIII, pag. 183, et remarque (KK) de l’article Luther, tom. IX, pag. 581.
  44. Voyez ci-dessus, rem. (KK) de l’article Luther, tom. IX, pag. 581.
  45. Voyez la rem. (E) de l’article d’Arminius, tom. II, pag. 387.
  46. Balzac, Socrate chrétien, disc. XII, pag. m. 320 et suiv.
  47. Ci-dessus, article Pauliciens, t. XI, pag. 488, cit. (44) et (45).
  48. Ci-dessus, cit. (16) de l’article Synergistes, tom. XIII, pag. 314.
  49. Calvin, Briefve Response aux calomnies d’un certain brouillon par lesquelles il s’est efforcé de diffamer la doctrine de la Prédestination éternelle de Dieu, p. 2037, de ses Opuscules, édition de Genève, 1611.
  50. Alexander Morus, Oratione de Pace, pag. 53 et seq., edit. Amstelod., 1648, in-12.
  51. Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1701, pag. 493, 494, dans l’Extrait de la Théologie chrét. de M. Pictet, pasteur et professeur en théologie à Genève.
  52. Saint Augustin justifié de Calvinisme, pag. 179, 180. C’est un écrit imprimé l’an 1689, avec les Lettres du prince de Conti au père de Champs.
  53. Voyez ci-dessus, cit. (50) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 489.
  54. Voyez M. Daillé, Réplique à Adam et à Cottibi, IIe. p.artie, ch. I, pag. 2.
  55. Là même, pag. 3.
  56. Là même.
  57. Là même, pag. 4.
  58. Là même, pag. 12.
  59. Le sieur André Charles, théologien luthérien, a inséré ce parallèle dans son Memorabilia ecclesiastica sæculi XVII, lib. II, pag. 385, 386.
  60. Voyez le Jugement sur les Méthodes d’expliquer la Grèce, pag. 10.
  61. Voyez le Tableau du Socinianisme, Ire. lettre, pag. 20.
  62. Là même, pag. 23.
  63. Là même, pag. 25.
  64. Là même.
  65. Là même, pag. 27.
  66. Là même, pag. 34.
  67. Voyez ce que je réponds à la première objection.
  68. C’est ainsi que pour abréger on pourrait nommer ceux qui avec les spinosistes ne reconnaissent qu’une substance l’univers ; mais notez que ci-dessous je donne ce nom à ceux qui ne reconnaissent qu’une première cause de toutes choses.
  69. C’est ainsi que les Perses nomment les sectateurs des deux principes. Voyez ci-dessus, cit. (77) de l’article Zoroastre, p. 97. Pour éviter l’équivoque, je ne me sers point du mot duéliste, comme l’analogie le voudrait, mais de celui de dualiste.
  70. Conférez ce que dessus, cit. (61) de l’article Zénon (d’Élée), pag. 42.
  71. Gadroys, Lettre à M. de la Grange-Trianon, pour servir de Réponse à celle que M. Castelet a écrite, pag. 13 et 14. Cette lettre fut publiée à Paris l’an 1677.
  72. Conférez ce que dessus, rem. (L) de l’article Perrot (Nicolas), tom. XI, p. 643.
  73. Épître aux Romains, chap. VIII, vers. 31.
  74. Petit Catéchisme, sect. II.
  75. Épître aux Éphésiens, chap. VI., vers. 16.
  76. Si les papes, n’ayant que Dieu pour eux, font pitié au cardinal Palavicin, jésuite, paraissant ainsi misérables aux autres, comment pourraient-ils convertir les mahométans ? Il faut donc autre chose que le Saint-Esprit pour pareilles conversions, et ce serait une fort grande pitié qu’un pape qui n’aurait que cela pour lui. Évangile nouveau du cardinal Palavicin, chap. IV, art. I, pag. 142, édit. de Hollande.
  77. Pallav. Istor. del Concilio di Trento, lib. V, cap. XIII. Je rapporte ses paroles comme je les trouve dans l’Évangile nouveau, ch. IV, art. I, pag. 142.
  78. Dans la rem. (B) de l’article Manichéens, tom. X, p. 189, et dans la rem. (F) de l’article Zoroastre, p. 94. Voyez aussi la rem. (E) de ce dernier article.
  79. Simplic., in Epicteti Enchir., capite XXXIV, pag. 163. Édit. Lugd. Bat. 1640.
  80. Voyez ci-dessus tom. II, pag. 405. la rem. (B) de l’article Arnauld (Antoine), docteur de Sorbonne.
  81. Simpl., in Epicteti Enchir., cap. XXXIV, pag. 165.
  82. Simplic., in Epicteti Enchir., capite XXXIV, pag. 164. Édit. Lugd. Bat. 1640.
  83. Notez que ceci prouve qu’on reconnaissait que le mal surpasse le bien dans le monde.
  84. Idem, ibid., pag. 168.
  85. Idem, ibid., pag. 169.
  86. Idem, ibid.
  87. Dans la rem. (G) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 491.
  88. Non sunt multiplicanda entia sine necessitate.
  89. Maimonides, in More Nevechim, parte I, cap. LXXV, pag. 175.
  90. Idem, ibid.
  91. Voyez ci-dessus l’article Spinoza, tom. XIII, pag. 444, rem. (N), num. V.
  92. Conférez ce que dessus, article Rorarius, tom. XII, pag. 611, rem. (K), vers le commencement.
  93. C’est-à-dire par le mauvais usage de la liberté que le bon Dieu a donnée à la créature.
◄  Ier. Éclaircissement
IIIe. Éclaircissement  ►