Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes LXXI à LXXX

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Discours sur les psaumes : Psaumes LXXI à LXXX
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

DISCOURS SUR LE PSAUME 71[1][modifier]

LE VRAI SALOMON OU LE CHRIST.[modifier]

C’est le Christ qui nous donne la véritable paix avec Dieu. Il a reçu le pouvoir de juger et de sauver ceux qui sont humbles, pauvres selon l’esprit divin, qui ne prétendent point tenir la justice d’eux-mêmes. C’est de Dieu que vient le jugement ou la droiture, la justice. C’est aux montagnes ou aux hommes de recevoir et de maintenir la paix, aux collines d’obéir aux montagnes, mais sans les préférer alu Christ, comme font les schismatiques. Les premières nous réconcilient avec Dieu, l’obéissance des collines arrive au perfectionnement. Le démon ou calomniateur sera humilié quand Jésus nous donnera la grâce, mourra et ressuscitera, régnera avec le soleil ou s’assiéra à la droite de Dieu, tandis que la lune ou l’Église qu’il a devancée dans le ciel, réparera par les générations successives les pertes de la mort. Il descend par la grâce comme la pluie sur la toison. La lune ou l’Église sera élevée. Conversion des Éthiopiens ou Gentils, schismes. Le Christ nous arrache au puissant ou au démon, nous pardonne, nous rachète de l’usure ou du châtiment, nous fait grandir à ses yeux, vit éternellement, recueille l’or de l’Arabie ou la sagesse des convertis, affermit les montagnes ou accomplit les promesses des saintes Écritures, s’élève au-dessus du monde par le fruit de la charité, qui est le froment et qui domine le monde. Que son nom soit béni, puisque de lui nous vient la bénédiction.


1. « Pour Salomon », tel est le titre du psaume : et toutefois ce qu’il contient ne peut s’accorder avec le récit de l’Écriture au sujet de Salomon, roi charnel d’Israël, mais convient très bien à Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi ce nom de Salomon ne nous paraît ici qu’une figure de l’avenir qui nous annonce le Christ. Car Salomon signifie pacifique, et dès lors s’applique d’une manière bien vraie et bien convenable à celui qui nous sert de médiateur, afin que d’ennemis que nous étions, nous soyons réconciliés à Dieu, par la rémission de nos péchés. « Car lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils[2] ». Ce même Fils est le véritable pacifique, « puisque des deux peuples, il n’en a fait qu’un seul, en détruisant dans sa propre chair le mur de séparation, ou leurs inimitiés ; abolissant par ses décrets la loi chargée de préceptes, pour former en lui seul un homme nouveau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux ; il est donc venu prêcher la paix à ceux qui étaient éloignés et la paix encore à ceux qui étaient proches[3] ». Lui-même nous dit dans l’Évangile : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix[4] ». Et dans une foule d’autres témoignages le Christ notre Seigneur se montre pacifique non point dans le sens de cette paix que le monde connaît et recherche, mais de cette paix dont le Prophète a dit : « Je leur donnerai de vraies consolations, et paix sur paix[5][6] » : c’est-à-dire, qu’à la paix de réconciliation j’ajouterai la paix de l’immortalité. Car après l’accomplissement des promesses de Dieu, le même Prophète nous fait espérer une dernière paix dans laquelle nous vivrons éternellement avec Dieu, lorsqu’il nous dit : « Seigneur, notre Dieu, donnez-nous votre paix, après nous avoir donné toutes choses[7][8] ». Cette paix alors sera parfaite, « quand la mort notre dernière ennemie sera détruite[9] ». Mais en qui cela s’accomplira-t-il, sinon dans ce roi de paix et de réconciliation ? « De même, en effet, que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ[10] ». Après avoir trouvé le vrai Salomon, le vrai pacifique, écoutons maintenant les enseignements du psaume.
2. « O Dieu, donnez au roi votre jugement, et votre justice au fils du roi[11] ». Le Seigneur dit lui-même dans l’Évangile : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils[12] ». C’est bien là : « ô Dieu, donnez votre jugement au roi ». Et ce roi est aussi fils du roi, car le Père est roi lui-même : aussi est-il écrit qu’un roi fit des noces à son fils[13]. Cette répétition est dans l’usage des Écritures. Ainsi cette expression « Votre jugement », est répétée dans « votre justice » ; et cette autre : « Au roi », dans « au Fils du roi » ; de même qu’il est dit ailleurs : « Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux, et le Seigneur les persiflera[14] ». Or, « celui qui habite les cieux », est bien le même que « le Seigneur » ; et « se rira d’eux » a le même sens que « les persiflera ». Il en est de même dans « les cieux qui racontent la gloire de Dieu et le firmament qui annonce l’œuvre de ses mains[15] ». « L’œuvre de ses mains » est une répétition de « sa gloire », et « annoncer » une répétition de « raconter ». Or, ces répétitions sont fréquentes dans les Écritures, soit qu’elles redisent les mêmes paroles, soit qu’elles expriment le même sens avec des paroles différentes : elles se trouvent principalement dans les psaumes, et dans ce style dont le but est d’émouvoir les âmes.
3. Le Prophète continue : « De juger votre peuple dans la justice ; et vos pauvres dans l’équité[16] ». Ces paroles : « De juger votre peuple dans la justice », font voir suffisamment que le Père, qui est roi, a donné au roi son Fils le jugement et la justice pour juger votre peuple. Cette même expression se trouve dans Salomon : « Proverbes de Salomon, fils de David, de connaître la sagesse et la discipline[17] » ; c’est-à-dire, proverbes de Salomon, qui enseignent la sagesse et la discipline. De même « votre jugement de juger votre peuple », signifie votre jugement afin qu’il juge votre peuple. Mais ces expressions « Votre peuple », et ensuite « vos pauvres » ; et ces autres, « dans la justice », puis « dans l’équité », sont encore des répétitions. Le Prophète nous apprend ainsi que le peuple de Dieu doit être pauvre, sans orgueil, plein d’humilité. « Bienheureux en effet les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux est à eux[18] ». Telle était la pauvreté du bienheureux Job, même avant qu’il eût perdu ses richesses terrestres. Ce qu’il est bon de remarquer ici, car il est plus facile pour quelques-uns de distribuer tous leurs biens aux pauvres que de se faire les pauvres de Dieu. Ils s’enflent et sont pleins de jactance ; ils croient que c’est à eux-mêmes, et non à la grâce de Dieu, qu’ils doivent de vivre saintement, et voilà que leur vie n’est pas sainte, quelque nombreuses que paraissent leurs bonnes œuvres. Ils croient tout tenir d’eux-mêmes, et se glorifient comme s’ils n’avaient rien reçu[19] : ce sont des riches en eux-mêmes, et non des pauvres de Dieu ; pleins de leurs mérites, et non indigents pour l’amour de Dieu. Or, l’Apôtre l’a dit : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien[20] » ; comme s’il disait : Il ne me servirait de rien de distribuer mes biens aux pauvres, si je ne devenais pauvre pour Dieu. « La charité ne s’enfle point d’orgueil[21] » : et il n’y a point de charité en celui qui est ingrat envers l’Esprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos cœurs[22]. Aussi ces hommes n’appartiennent-ils pas au peuple de Dieu, parce qu’ils ne sont point pauvres selon Dieu. Ainsi parlent en effet les pauvres selon Dieu : « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’Esprit de ce monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits[23] ». Tandis que dans notre psaume, afin d’exprimer ce mystère d’un Dieu qui s’unit à l’homme, ou du Verbe fait chair[24], il est dit à Dieu le Père qui est Roi : « Donnez votre justice au Fils du Roi » : ceux-ci ne veulent point qu’on leur donne la justice, ils prétendent l’avoir en eux-mêmes. « Ignorant cette justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu[25] ». Ils ne sont donc point affamés de Dieu, mais pleins d’eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas humbles, mais superbes. Or, ce Fils du Roi viendra juger le peuple de Dieu tians la justice, et les pauvres dans l’équité, et par ce jugement, il séparera les pauvres qui sont à lui, c’est-à-dire, ceux qu’il a enrichis de sa pauvreté. Car c’est vers lui que ce peuple de pauvres élève cette voix : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de cette nation qui n’est point sainte[26] ».
4. Il y a ici dans les expressions un ordre qui est changé ; après avoir dit d’abord : « Dieu, donnez votre jugement au roi, et votre justice au fils du roi », énonçant d’abord le jugement, ensuite la justice, le Prophète au verset suivant met au premier rang la justice, et au second le jugement : « Pour juger votre peuple dans la justice, et vos pauvres selon le jugement » ; et montre ainsi que ce jugement a le sens de justice, et que lieu importe à quel rang vienne cette expression, qui a le même sens. On appelle d’ordinaire partial, un jugement injuste ; mais on ne dit guère une justice inique ou injuste ; car si elle est fausse, elle sera injuste, et dès lors ne s’appellera plus justice. Dire alors jugement, puis le répéter sans le nom de justice, puis dire justice et lui donner ensuite le nom de jugement, c’est montrer suffisamment qu’il appelle jugement ce que d’ordinaire on appelle justice, c’est-à-dire ce qui ne peut s’entendre d’un faux jugement. Quand le Seigneur nous dit en effet : « Ne jugez point selon l’apparence, mais jugez selon le sens droit[27] », il montre qu’un jugement peut être sans droiture ; et en disant : « Portez un jugement droit », il défend l’un et ordonne l’autre. Mais quand il dit le jugement, sans aucune qualification, il veut que l’on entende la justice. C’est ainsi qu’il a dit : « Vous omettez ce qu’il y a d’important dans la loi, la miséricorde et le jugement[28] » ; et que Jérémie a dit aussi : « Il amasse des richesses, mais non avec jugement[29] ». Il ne dit pas qu’il amasse des richesses avec un jugement faux ou pervers, ni avec un jugement droit ou injuste ; mais bien « non avec jugement », réservant ainsi le nom de jugement à tout ce qui est droit et juste.
5. « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice[30] ». Les montagnes sont plus hautes, les collines moins élevées. Le Prophète désigne ici ceux qu’il appelle ailleurs « les grands et les petits ». Ce sont là « ces montagnes qui bondirent comme des béliers, et ces collines comme des agneaux, quand Israël sortit de l’Égypte[31] » ; c’est-à-dire, quand le peuple de Dieu fut délivré de l’esclavage de ce monde. Ces montagnes sont donc les hommes qui, dans l’Église, dominent par une sainteté supérieure et qui sont capables d’instruire les autres[32] ; qui ne parlent que pour enseigner la vérité, qui règlent leur vie afin d’être des modèles de sainteté. Mais pourquoi « la paix est-elle pour les montagnes, et la justice pour les collines ? » Serait-il indifférent de dire que les montagnes reçussent la justice pour le peuple, et les collines la paix ? Car la justice comme la paix est nécessaire aux uns et aux autres, et il est possible que la paix ne soit qu’un autre nom de la justice. Telle serait en effet la véritable paix, non plus comme les hommes injustes la font entre eux. Ou peut-être, ne faut-il pas dédaigner la distinction du Prophète, et dire : « La paix aux montagnes et la justice aux collines ? » Car ceux qui sont éminents dans l’Église doivent apporter tous leurs soins à maintenir la paix, à ne pas briser les liens de l’unité, à ne point causer de schismes dans l’Église par leur conduite orgueilleuse. Quant aux collines, elles doivent imiter les montagnes, et leur être soumises, de manière néanmoins à leur préférer Jésus-Christ : de peur que séduites par l’éclat apparent de quelques montagnes dangereuses, elles n’en viennent à se séparer du Christ et à rompre avec l’unité. Voilà pourquoi le Prophète appelle « sur les montagnes la paix, pour le peuple ». Qu’elles disent : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ[33] ». Mais qu’elles disent encore : « Quand un ange venu du ciel, ou nous-mêmes vous annoncerions un Évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème[34]2 ». Qu’elles disent enfin : « Paul a-t-il été crucifié pour vous, ou seriez-vous baptisés au nom de Paul[35] ? » Qu’« ils reçoivent cette paix pour le peuple » de Dieu, ou pour les pauvres de Dieu, qui leur fasse désirer de régner, non sur eux, mais avec eux. Qu’à leur tour ceux-ci ne disent point : « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas », mais bien tous : « Moi je suis au Christ[36] ». La justice dès lors consiste pour les serviteurs à ne point se préférer ni même s’égaler au Seigneur, et à lever les yeux vers les montagnes d’où le secours doit leur venir, de manière cependant à ne pas attendre ce secours des montagnes elles-mêmes, mais bien du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[37].
6. On peut très bien encore donner à ces paroles : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple », le sens d’une paix qui nous réconcilie avec Dieu, car les montagnes la reçoivent pour son peuple. Voilà ce que nous prêche l’Apôtre : « Le passé n’est plus, tout est devenu nouveau : or, tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et nous a confié le ministère de la réconciliation ». Voilà comment les montagnes reçoivent la paix pour son peuple. « Car Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde, n’imputant plus aux hommes leurs péchés, et mettant en nous la parole de réconciliation ». En qui la met-il, sinon dans ces montagnes qui reçoivent la paix pour son peuple ? Voilà que les messagers de la paix s’écrient ensuite : « Nous remplissons donc la fonction d’ambassadeurs du Christ, c’est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche ; nous vous conjurons, au nom du Christ, de vous réconcilier avec Dieu[38] ». Telle est la paix que les montagnes reçoivent pour son peuple, c’est-à-dire la prédication et le message de la paix : aux collines la justice, ou l’obéissance qui est, pour l’homme ainsi que pour toute créature douée de raison, l’origine et le perfectionnement de la justice. Entre ces deux hommes, Adam qui fut pour nous la source de la mort, et le Christ ou l’auteur de notre salut, la grande différence consiste « dans cette désobéissance d’un seul homme « qui en a rendu tant d’autres pécheurs, comme l’obéissance d’un seul homme en établira un grand nombre dans la justice[39]. Que les montagnes reçoivent donc la paix pour le peuple, et les collines la justice » : afin que l’accord des uns et des autres justifie cette parole : « Voilà que la justice et la paix se sont embrassées[40] ». Il est vrai que l’on trouve dans certains exemplaires : « Que les montagnes et les collines reçoivent la paix » : je crois qu’il faut l’entendre des prédicateurs de l’Évangile, soit des premiers, soit des seconds. Alors dans ces manuscrits on lit ainsi le verset suivant : « C’est dans la justice qu’il jugera les pauvres du peuple ». Toutefois on préfère les exemplaires qui portent, comme nous venons de l’expliquer : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice ». D’autres encore lisent : « Pour votre peuple » ; d’autres n’ont point « votre », mais seulement « le peuple ».
7. « Il jugera les pauvres du peuple, et sauvera les fils des pauvres[41] ». Les pauvres et les fils des pauvres me paraissent identiques, de même que la cité de Sion n’est autre que la fille de Sion. Mais si l’on veut une distinction : par « les pauvres », nous entendrons « les montagnes » ; et par « les fils des pauvres, les collines » : alors les pauvres seraient les Prophètes et les Apôtres, et leurs fils, ou « les fils des pauvres », seraient ceux qui sous leur autorité s’avancent dans la vertu. Le Prophète dit d’abord que Dieu « les « jugera », ensuite qu’il « les sauvera », pour nous donner un aperçu du jugement qu’il doit exercer ; car il ne doit les juger que pour les sauver, ou les séparer de ceux qui seront damnés et réprouvés, et leur donner ainsi le salut qu’il est prêt de révéler dans ces derniers temps[42]. Ceux-là lui disent en effet : « Ne perdez point mon âme avec les impies[43] » et encore : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’une nation qui n’est point sainte[44] ». Remarquons aussi que le Prophète ne dit point : Il jugera le pauvre peuple ; mais bien : « Les pauvres du peuple ». Quand il dit plus haut : « Afin de juger le peuple dans la justice et vos pauvres dans l’équité », il identifie le peuple de Dieu avec ses pauvres, ou simplement ceux qui sont bons et qui doivent être placés à sa droite. Mais comme, en cette vie, ceux de la droite et ceux de la gauche paissent ensemble, ainsi que des boucs et des agneaux que l’on doit séparer à la fin des jours[45], le Prophète appelle ce mélange peuple de Dieu. Et comme le Prophète donne ici un sens favorable au jugement, et l’entend de ceux qu’il doit sauver ; « il jugera les pauvres du peuple », signifie dans son langage, qu’il discernera pour les sauver ceux de sou peuple qui sont pauvres, Après avoir dit quels sont ceux qui sont pauvres[46], comprenons encore qu’ils sont indigents. « Il humiliera le calomniateur ». Nous ne connaissons pas de plus grand calomniateur que le diable. Voici une de ses calomnies : « Est-ce gratuitement que Job honore le Seigneur[47] ? » C’est lui que le Seigneur Jésus humilie, en donnant sa grâce aux siens, afin qu’ils servent Dieu gratuitement, c’est-à-dire qu’ils trouvent leurs délices dans le Seigneur[48]. Il l’a humilié encore, quand le diable, ou le prince de ce monde, ne trouvant rien en lui[49], le mit à mort sous les calomnies de ces Juifs qui étaient pour le calomniateur des instruments dociles, agissant par ces enfants de rébellions[50]. Ce fut une humiliation pour lui de voir celui qu’ils avaient mis à mort, ressuscitant et détruisant cet empire de la mort, dans lequel il exerçait une telle puissance, que par un seul homme qu’il avait séduit, il entraînait le genre humain dans une éternelle damnation. Il fuit surtout humilié, parce que si le péché d’un seul homme a fait ainsi régner la mort, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la justice et de la grâce, régneront dans la vie par un seul qui est Jésus-Christ[51], qui a confondu le calomniateur, ainsi que les accusations mensongères, les juges d’iniquité, les faux témoins, que ce calomniateur suscitait pour le perdre.

8. « Il demeurera autant que le soleil, ou avec le soleil[52] ». Quelques-uns de nos interprètes ont cru qu’il était mieux de traduire ainsi, parce qu’il y a dans le grec συμπαμενεῐ, qu’on ne peut traduire en latin en un seul mot, que par compermanebit, il condemeurera : et comme on ne pouvait rendre cette pensée en une seule expression latine, on a dit : « Il demeurera avec le soleil ». Condemeurer au soleil n’aurait en effet d’autre sens que « demeurer avec le soleil ». Mais qu’y a-t-il de si grand à demeurer avec le soleil pour celui par qui tout a été fait, et sans qui rien n’a été fait[53], sinon la condamnation de ceux qui s’imaginent que la religion du Christ ne doit subsister que pour un temps, pour disparaître ensuite ? « Il subsistera donc avec le soleil », tant que le soleil se lèvera et se couchera ; c’est-à-dire que l’Église de Dieu ou le corps mystique du Christ subsistera sur la terre tant que s’écouleront les siècles. Quand le Prophète ajoute « Et avant la lune, de génération en génération », il aurait pu dire aussi bien : Et avant le soleil, c’est-à-dire et avec le soleil et avant le soleil ; ce qui signifierait : et avec les temps et avant les temps. Or, ce qui précède le temps est éternel : et l’on doit regarder comme vraiment éternel, ce qui ne varie point avec le temps, comme le Verbe qui était au commencement. Mais le Prophète a préféré symboliser dans la lune ces accroissements et ces dépérissements des choses mortelles. Aussi après avoir dit : « Avant la lune », le Prophète voulant en quelque sorte nous expliquer le sens qu’il y attache, ajoute : « Dans les générations des générations » ; comme s’il disait : « Avant la lune », c’est-à-dire, avant « les générations des générations », qui passent avec la mort et la succession des choses mortelles, comme les phases d’accroissement et de disparition de la lune. Dès lors, dans quel sens plus plausible peut-on dire que le Christ subsistera, « avant la lune », sinon que par son immortalité il a devancé tout ce qui est mortel ? On pourrait encore entendre très bien qu’après avoir humilié le calomniateur, le Christ est assis à la droite de son Père, et qu’il demeure ainsi « avec le soleil ». Car on entend par le Fils la splendeur de la gloire éternelle[54] : le soleil serait alors le Père, et le Fils en serait l’éclat. Toutefois cela doit s’entendre de la substance invisible du Créateur, et non de cette substance visible des créatures, qui est celle des corps célestes, dont le plus éclatant est le soleil, objet de notre comparaison, comme on en tire des objets terrestres, tels que la pierre, le lion, l’agneau, l’homme qui a deux fils, et le reste. Donc après avoir humilié le calomniateur, il demeure « avec le soleil » : car après avoir vaincu le diable par sa résurrection, il est assis à la droite du Père[55], où il ne mourra plus, et où la mort n’a plus d’empire sur lui[56]. Et cela « devant la lune », comme le premier-né d’entre les morts précédant son Église qui passe avec les hommes, par les phases de la mort et de la succession. Voilà « les générations des générations ». À moins d’entendre par génération notre naissance temporelle, et par « générations des générations », notre naissance dans l’éternité. Voilà l’Église que précède le Christ, afin de demeurer « avant la lune », lui, le premier-né d’entre les morts. Mais comme il y a dans le grec γενεας γενεῶν, plusieurs ont traduit non plus « générations », au pluriel, mais « la génération des générations ». Car γενεας répond à deux cas du grec, et pour traduire par l’accusatif pluriel, τὰς γενεάς, ou les générations, plutôt que par le génitif singulier, τῆς γενεᾶς, il n’y a pas de raison évidente, sinon que l’on a préféré traduire à l’accusatif « les générations des générations », comme une explication de ce qu’il entendait par « la lune », qui est aussi à l’accusatif.

9. « Il descendra comme la pluie dans la toison, et comme la rosée qui dégoutte sur la terre[57] ». C’est là une allusion qui nous rappelle que c’est dans le Christ que doit s’accomplir cette figure qui eut lieu sous Gédéon. Ce juge demanda pour signe au Seigneur que la toison placée dans l’aire, fût trempée de rosée, quand l’aire demeurerait sèche[58] ; et ensuite que la toison demeurât sèche, tandis que l’aire serait mouillée ; ce qui arriva en effet. Nous voyons en cela le peuple d’Israël, ou le premier peuple qui est une toison desséchée dans l’aire immense de l’univers entier. Ce même Christ est descendu comme la rosée dans la toison, tandis que l’aire était encore desséchée : aussi a-t-il dit : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël[59] ». C’est là qu’il a choisi et la mère qui devait lui donner cette forme de l’esclave dans laquelle il devait se rendre visible pour les hommes, et ces disciples auxquels il a donné ce précepte : « N’allez point par la voie des gentils, n’entrez point dans les villes des Samaritains allez d’abord vers les brebis de la maison d’Israël qui ont péri[60] ». Mais leur dire : « allez tout d’abord à ces brebis », c’est leur dire qu’au temps marqué pour tremper l’aire e la divine rosée, ils devront aller aussi vers ces autres brebis qui ne sont point de l’antique bercail d’Israël, et dont il a dit : « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur[61] ». De là cette parole de l’Apôtre : « Je dis que le Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos « Pères ».C’est ainsi que la pluie est descendue sur la toison, pendant que l’aire demeurait sèche. Mais l’Apôtre continue « Les gentils doivent louer Dieu de sa miséricorde[62] » puisque au temps marqué s’accomplit cette promesse du Prophète : « Le peuple que je n’ai point connu, m’a servi, il m’a obéi en entendant ma voix[63] » : or, nous voyons aujourd’hui le peuple juif qui demeure dans l’aridité, tandis que dans l’univers entier les nuées de la grâce arrosent pleinement tous les peuples. Notre psaume a pris un autre terme pour désigner la même pluie ; il la nomme : « des gouttes de rosée qui tombent », non plus sur la toison, mais « sur la terre ». Qu’est-ce en effet que la pluie, sinon des gouttes qui tombent ? Aussi, Dieu a-t-il, selon moi, désigné ce peuple sous le nom d’une toison, ou bien parce qu’il devait être dépouillé du droit d’enseigner comme on dépouille une brebis de sa toison ; ou bien parce qu’il renfermait cette pluie divine en lui-même sans permettre de l’annoncer aux peuples incirconcis.
10. « La justice s’élèvera en ses jours, ainsi que l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune disparaisse[64] ». Cette expression « disparaisse » est rendue chez d’autres interprètes par « soit enlevée », et chez d’autres encore par « soit élevée » : chacun a traduit à sa guise le verbe grec anatanairethe. Mais il y a peu de différence entre « disparaisse » et « soit enlevée ». « Disparaître e a plus ordinairement le sens d’être enlevé, de n’être plus, que celui d’être élevé plus haut. « Être enlevé », ne peut guère s’entendre que dans le sens d’être perdu, de n’exister plus ; « être élevé », n’a d’autre sens que d’être plus haut : ce qui se prend quelquefois en mauvaise part, et désigne l’orgueil ; ainsi : « Ne t’élève point dans ta sagesse[65] ». Damas un sens favorable, il signifie un plus grand honneur, ainsi quand on élève un objet : par exemple : « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur[66] ». Si donc nous traduisons par « disparaisse », qu’en résultera-t-il, sinon que, pour la lune, « disparaître » aura le sens de n’être plus ? Peut-être le Prophète a-t-il voulu nous dire qu’il n’y aura plus de mortalité, quand « la mort notre dernière ennemie sera détruite[67] » ; en sorte que l’abondance de la paix sera telle que rien ne s’opposera à la félicité des bienheureux, de la part des infirmités de la mort : ce qui arrivera dans ce séjour dont Dieu nous a donné l’infaillible promesse, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, et dont il est dit : « En ses jours s’élèvera la justice ainsi que l’abondance de la paix » : jusqu’à ce que la mort soit vaincue, et que toute mortalité soit détruite et absorbée, Mais si la lune désigne ici, non plus cette mortalité de la chair que subit ici-bas l’Église, mais bien l’Église elle-même qui doit être délivrée de cette mortalité pour demeurer éternellement, il faut traduire ainsi : « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit élevée » ; comme si l’on disait : En ses jours s’élèvera la justice qui dompte les contradictions et les rébellions de la chair, et une paix surgira pour aller croissant et se multipliant, jusqu’à ce que la lune s’élève, ou plutôt jusqu’à la glorification de l’Église qui doit régner par la gloire de la résurrection, avec ce premier-né d’entre les morts, qui l’a précédée dans cette gloire, et qui est assis à la droite de soma Père[68] : c’est là demeurer « avec le soleil et avant la lune », que ce même soleil doit ensuite élever en gloire.
11. « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre[69] ». Ainsi doit régner celui dont il est dit : « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit exaltée ». Si par lune on entend ici l’Église, on voit combien il doit étendre au loin cette Église, puisqu’il ajoute : « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer ». Car la terre est environnée de cette grande mer, qu’on appelle Océan, dont nous avons dans nos terres quelques portions étroites que forment ces mers si connues sillonnées par nos vaisseaux. « Depuis la mer jusqu’à la mer », ou depuis une extrémité de la terre jusqu’à l’autre, voilà ce que le Prophète assigne à la domination du Christ, dont le nom et la puissance devaient être prêchés dans l’univers entier pour le dominer. Et pour que nous ne donnions pas un autre sens à ces paroles : « Depuis la mer jusqu’à la mer », le Prophète ajoute : « Depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». Or, « jusqu’aux extrémités de la terre », était exprimé dans ces paroles ; « Depuis la mer jusqu’à la mer ». Mais quand le Prophète nous parle « du fleuve », il veut dire que le Christ a commencé à signaler sa puissance sur le fleuve du Jourdain, où il choisit ses disciples, où il fut baptisé et ou l’Esprit-Saint descendit sur lui alors que cette voix se fit entendre du ciel : « Celui-ci est mon fils bien-aimé[70] ». Tel est donc le point de départ de sa doctrine : c’est de là que l’autorité de cet enseignement céleste s’est l’épandue jusqu’aux confins de la terre, que l’Évangile du royaume des cieux a été prêché dans l’univers entier, pour servir de témoignage à toutes les nations : puis arrivera la fin de toutes choses.
12. « Devant lui les habitants de l’Ethiopie se prosterneront, et ses ennemis baiseront la poussière[71] ». Les Éthiopiens désignent ici les nations, c’est la partie pour le tout, et le Prophète choisit ici la nation la plus reculée sur les confins de la terre. « Ils se prosterneront en sa présence », est-il dit, pour, ils l’adoreront. Or, comme il doit naître en diverses contrées de la terre des schismes qui porteront envie à l’Église catholique répandue dans le monde entier ; comme ces schismes se diviseront ét porteront chacun le nom de son auteur ; comme ils s’attacheront aux hommes qui les ont provoqués, jusqu’à combattre même cette gloire du Christ resplendissante chez tous les peuples, voilà que le Prophète à ces paroles : « Les Éthiopiens se prosterneront devant lui », ajoute : « Et ses ennemis baiseront la poussière » : c’est-à-dire, aimeront les hommes et porteront envie à cette gloire du Christ, qui a fait dire : « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire apparaisse à la terre[72] ». L’homme a mérité, par son péché, d’entendre : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre[73] ». Or, baiser cette terre, c’est-à-dire, se soumettre avec joie à l’autorité de ces hommes frivoles, les aimer, y trouver ses délices, c’est contredire les saintes Écritures, qui préconisent l’Église catholique, dont le règne s’étendra, non plus sur quelque partie de la terre, comme il en est des schismes, mais qui envahira successivement l’univers entier et jusqu’aux Éthiopiens, c’est-à-dire aux plus éloignés, comme aux Plias dépravés des hommes.
13. « Les rois de Tharsis et des îles lui apporteront des présents ; les rois des Arabes et de Saba lui amèneront des offrandes. Tous les rois de là terre l’adoreront, toutes les nations lui seront assujetties[74] ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage, mais d’en contempler la vérité. Elle éclate aux yeux, non seulement des fidèles qui en tressaillent, mais des infidèles qui en gémissent. À moins peut-être que nous ne demandions le sens de « ces offrandes qu’on doit amener ». Car on amène ce qui peut marcher. Or, serait-il ici question de victimes à immoler ? Loin de nous de croire à une telle justice en ses jours. Mais les offrandes préconisées par ce verset, nous semblent désigner les hommes que l’autorité des rois amène au sein de l’Église du Christ, bien que ces rois aient aussi amené à Dieu des présents par leurs persécutions, en immolant des martyrs, sans savoir ce qu’ils faisaient.
14. Le Prophète expliquant pourquoi les princes doivent rendre au Christ un si grand honneur, et toutes les nations le servir, ajoute : « Parce qu’il arrachera le pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui n’a personne pour soutien[75] ». Ce pauvre, cet indigent, c’est le peuple qui croit en lui. Et dans ce peuple il est aussi des rois qui l’adorent, qui ne dédaignent pas de paraître pauvres et indigents, c’est-à-dire qui confessent leurs péchés, qui sentent le besoin de la gloire de Dieu, afin que ce roi fils du roi les délivre du puissant. Or, ce puissant est le même que le Prophète vient d’appeler calomniateur, et qui tient, non de sa propre force, mais des péchés des hommes, le pouvoir de les soumettre à sa tyrannie. C’est pourquoi il est appelé le fort, et ici le puissant. Mais celui qui a humilié le calomniateur, et qui est entré dans la maison du fort, afin de le garrotter et de lui enlever ses dépouilles[76], a « délivré aussi le faible des mains du puissant, et le pauvre qui était sans appui ». Nulle autre force, nul autre juste, pas même un ange n’eût pu le faire. Comme ces pauvres n’avaient aucun appui, le Christ est venu les sauver.
15. Mais on peut objecter : Si l’homme était au pouvoir du démon à cause de ses péchés, ces mêmes péchés plaisaient-ils donc au Christ pour qu’il délivrât le pauvre des mains du puissant ? Loin de là ; lui-même doit « pardonner au pauvre et à l’indigent[77] », c’est-à-dire remettre les fautes à l’homme humble, qui n’a pas confiance dans ses propres mérites, qui n’espère point son salut de sa propre force, mais qui sent le besoin de la grâce du Sauveur. « Et il sauvera les âmes des pauvres ». Le Prophète nous signale ainsi le double effet de la grâce ; et dans la rémission des péchés, quand il dit : « Il pardonnera au pauvre et à l’indigent » ; et dans la part qui nous est donnée à la justice, quand il ajoute : « Il sauvera les âmes des pauvres ». Nul en effet ne peut sans la grâce de Dieu se procurer le salut, qui est la justice parfaite. Car l’accomplissement de la loi, c’est la charité, et la charité n’existe point en nous par notre propre force, mais elle est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[78].
16. « Il délivrera leurs âmes de l’usure et de l’iniquité[79] ». Quelles sont ces usures, sinon les péchés, que l’on nomme encore des dettes[80] ? On leur donne, je crois, le nom d’usures, parce qu’un pécheur souffre dans les châtiments un mal plus grand que celui qu’il a commis en péchant. Un meurtrier, par exempte, tue le corps d’un homme, et ne peut rien sur son âme : mais pour lui, il se condamne corps et âme à l’enfer. De là vient qu’à propos de ces contempteurs de la loi en cette vie, de ces railleurs du supplice à venir, il est dit : « Je viendrai pour exiger le salaire avec usure[81] ». Or, les âmes des pauvres sont délivrées de ces usures, par le sang qui a été répandu pour la rémission des péchés. Racheter de l’usure, c’est donc racheter du péché qui mérite un plus grand châtiment ; or, le Christ nous rachète de l’iniquité en nous donnant le secours de sa grâce pour pratiquer la justice. Il y a dès lors ici une répétition de ce qui a été dit plus haut : puisque « pardonner au pauvre et à l’indigent[82] », c’est le « délivrer de l’usure », et « sauver les âmes des pauvres », c’est les sauver « de l’iniquité » ; le mot « racheter » serait sous entendu dans l’un et dans l’autre cas. Et en effet, pardonner, c’est racheter de l’usure ; sauver, c’est racheter de l’iniquité. Ainsi « pardonner au pauvre et à l’indigent, et sauver les âmes des pauvres, c’est racheter leurs âmes de l’usure et de l’iniquité. Son nom sera pour eux un nom de gloire ». Car ils relèvent par des louanges le nom d’un si grand bienfaiteur, ceux qui répondent qu’il est digne et juste de rendre grâces au Seigneur leur Dieu. On trouve en d’autres exemplaires : « Et ton nom est glorieux à ses propres yeux ». Car si le monde ne voit dans les chrétiens que des hommes à mépriser, leur nom est grand devant celui qui le leur a donné, et qui ne se souvient plus, pour le leur reprocher3, du nom qu’ils portaient auparavant, lorsqu’ils étaient engagés dans les superstitions des Gentils, ou de ces noms qui désignaient leurs crimes avant qu’ils fussent chrétiens : voilà le nom qui est honorable à ses yeux, bien qu’il paraisse méprisable à nos ennemis.
17. « Et il vivra, et on lui donnera de l’or de l’Arabie[83] ». « Vivre » ; de qui ne peut-on point parler ainsi, quelque peu de temps qu’il doive passer sur la terre ? Le Prophète veut donc nous signaler cette vie du « Christ qui déjà ne meurt plus, et sur qui la mort a perdu son empire[84] ». « Il vivra donc » celui dont on a méprisé la mort : puisque selon le mot d’un autre Prophète : « Sa vie e fut retranchée de dessus la terre[85] ». Mais qu’est-ce à dire qu’on « lui donnera de l’or de l’Arabie ? » De là, en effet, Salomon tira de l’or, et cela devient pour le Psalmiste une figure du véritable Salomon, ou du véritable pacifique. L’ancien Salomon, en effet, ne domina point « depuis le fleuve jusqu’aux extrémités du monde ». Cette prophétie nous marque alors que les sages du monde eux-mêmes croiront au Christ. Par l’Arabie nous entendons les Gentils ; par l’or, cette sagesse qui est au-dessus des autres sciences, comme l’or au-dessus des métaux. De là cette parole : « Recevez la prudence comme l’argent, et l’or comme un or éprouvé[86]. Il sera l’objet éternel de leurs vœux ». Comme il y a dans le grec, peri autou, plusieurs ont traduit qu’on fera des vœux « à son sujet » ; d’autres, « pour lui-même », ou « pour lui ». Or, qu’est-ce que faire des vœux « à son sujet », sinon peut-être dire : « Que votre règne arrive[87] ? » Or, l’avènement du Christ sera pour les fidèles l’entrée du royaume de Dieu. Mais il est assez difficile de comprendre « pour lui », sinon que prier pour l’Église, c’est aussi prier pour lui, puisqu’elle est son corps mystique, C’est en effet le Christ et l’Église que figure ce grand sacrement : « Ils seront deux dans une même chair[88] ». Quant au reste du sujet : « Tout le jour ils le béniront », il est assez évident que c’est pendant les siècles.
18. « Il sera sur la terre le ferme appui des hautes montagnes[89]. Car toutes les promesses de Dieu ont en lui leur affirmation[90] » ; c’est-à-dire, se confirment en lui. Car c’est en lui que s’accomplit tout ce qu’ont annoncé les Prophètes au sujet de notre salut. Il convient, en effet, d’entendre par ces montagnes les auteurs dont Dieu s’est servi pour nous donner les livres saints ; Jésus-Christ devient pour eux un ferme appui, parce que c’est à lui que se rapporte tout ce que Dieu a fait écrire. Il a voulu que cela fût écrit sur la terre, parce que c’est pour ceux qui vivent sur la terre qu’il l’a fait écrire ; et que lui-même n’est venu sur la terre qu’afin de le confirmer, ou d’en montrer en lui l’accomplissement. « Il fallait », dit-il, « que s’accomplit tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes[91] » : c’est-à-dire « sur les hautes montagnes ». Voilà que « dans les derniers jours, la montagne du Seigneur se manifestera et s’élèvera sur le sommet des montagnes[92] ». Ce que le psaume exprime ainsi : « Sur les hautes montagnes. Et son fruit dominera les sommets du Liban ». Le Liban a d’ordinaire pour nous le sens des dignités du siècle, car c’est une montagne dont les arbres sont très élevés, et dont le nom signifie blancheur. Or, quelle merveille que le fruit du Christ s’élève au-dessus de tous les prestiges du siècle, puisque tous ceux qui aiment ce fruit ont dédaigné ce qu’il y a d’éclatant et d’élevé dans le monde ? Si nous entendons le Liban dans un sens favorable, à cause « des cèdres du Liban que Dieu a plantés[93] », que devons-nous entendre par ce fruit qui s’élève au-dessus du Liban, sinon celui que nous marque saint Paul, quand il va parler de la charité : « Je vous montrerai une voie plus élevée encore[94] ? » C’est là ce qu’il met au premier rang dans les dons de Dieu, quand il dit : « Or, le fruit de l’Esprit-Saint est la charité[95] », et le reste, qu’il énumère ensuite. « Et ils fleuriront dans la cité comme les plantes de la terre ». Le mot de cité n’est point ici déterminé, et il n’est point dit : sa ville, ou la ville de Dieu, mais seulement : dans la cité ; nous le prendrons en bonne part, et ce sera dans la cité de Dieu, ou dans l’Église, qu’ils fleuriront comme l’herbe ; mais une herbe qui porte du fruit, comme le froment ; car lui-même a le nom de plante dans les saintes Écritures ; ainsi dans la Genèse Dieu ordonne à la terre de produire toute espèce d’arbres, toute espèce de plantes[96], et il n’est point dit toute espèce de froment, ce qui n’eût pas été omis certainement, s’il n’eût pas été compris sous le nom générique des plantes ; on en trouve encore beaucoup d’exemples dans les Écritures. Mais si nous devons donner à ces paroles : « Ils fleuriront comme les plantes de la terre », le sens de : « Toute chair est une herbe, et tout éclat pour l’homme n’est qu’une fleur des plantes[97] », alors la cité nous désignera la société du monde, et ce n’est pas sans raison que Caïn en fut le premier fondateur[98]. Or, quand ce fruit du Christ est élevé au-dessus du Liban, c’est-à-dire au-dessus des arbres à longue vie et des bois incorruptibles, comme ce fruit est éternel, l’homme dans tout son éclat et dans toute sa grandeur ici-bas, n’est plus comparé qu’à une herbe, car tous ceux qui croient eu Jésus-Christ, qui espèrent la vie éternelle, n’ont que du mépris pour une félicité passagère, et ainsi s’accomplit ce qu’a dit le Prophète : « Toute chair est une herbe, et toute beauté de la chair n’est qu’une fleur de l’herbe ; l’herbe se dessèche, la fleur tombe, mais la parole de Dieu demeure éternellement ». C’est en cela que le fruit du Christ domine les cèdres du Liban. Jamais la chair n’a été qu’une herbe, et la beauté de la chair que la fleur d’une herbe ; mais comme l’on n’enseignait pas la félicité qu’il fallait choisir et préférer, la fleur de l’herbe était en honneur, et non seulement on ne la dédaignait point, mais on la recherchait avec empressement. Or, comme si toutes ces fleurs mondaines commençaient à devenir viles dès qu’on s’en détourne et qu’on les dédaigne : « Voilà », dit le Prophète, « que son fruit sera élevé au-dessus du Liban, et qu’ils fleuriront dans la cité comme les fleurs de la terre[99] » ; c’est-à-dire que l’on estimera par-dessus tout, les promesses éternelles, et que l’on regardera comme l’herbe des champs ce qui occupe l’attention du monde.
19. « Que son nom soit béni à jamais : son nom durera plus que le soleil[100] ». Le soleil ici marque les temps. Donc le nom du Christ durera éternellement. Car l’éternité a devancé les temps, et ne finira point avec les temps. « C’est en lui que seront bénies les tribus de la terre » ; puisque c’est en lui que s’accomplit la promesse faite à Abraham. « Il n’est point dit, en effet : En ceux qui naîtront, comme s’ils devaient être plusieurs ; mais bien comme en parlant d’un seul : En celui qui naîtra, et qui est le Christ[101] ». Il fut dit à Abraham, en effet : « En celui qui naîtra de toi seront bénies toutes les tribus de la terre[102]. Or, ce ne sont pas les enfants selon la chair, mais les enfants de la promesse, qui font partie de sa race[103]. Toutes les nations le béniront ». C’est là une répétition qui explique ce qui précède. Ces peuples qui seront bénis en Jésus-Christ le grandiront, non point en ajoutant à sa grandeur, puisque par lui-même il est grand, mais en le bénissant, en chantant sa grandeur. C’est ainsi que nous grandissons Dieu ; ainsi disons-nous encore : « Que votre nom soit sanctifié[104] », bien qu’il soit saint éternellement.
20. « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, qui seul opère les merveilles[105] ». À la vue de ces merveilles qu’il vient d’énumérer, le Prophète échappe un hymne, et bénit le Seigneur, le Dieu d’Israël. Alors s’accomplit ce qui est dit à cette veuve stérile : « Celui qui t’a délivrée, ce Seigneur d’Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre[106] ». C’est lui qui « seul fait des merveilles », parce que c’est lui qui en opère dans tous ceux qui en font : « Lui qui seul opère des miracles ».
21. « Et que le nom de sa gloire soit béni dans l’éternité et dans les siècles des siècles[107] » Comment traduire en latin, si nous ne pouvons dire : Dans l’éternité, et dans l’éternité de l’éternité ? Comme si « l’éternité » avait un autre sens que « le siècle », ce qui n’est pas. Mais le grec porte : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos, que l’on traduirait plus facilement par : Dans les siècles, et dans les siècles des siècles ; alors « les siècles » s’entendraient de la durée du temps, et « les siècles des siècles » marqueraient ce qui est de l’avenir. « Et toute la terre sera remplie de sa gloire. Ainsi soit-il. Ainsi soit-il ». Vous l’avez ordonné, Seigneur, et cela s’accomplit : cela s’accomplit jusqu’à ce qu’enfin la parole partie « du fleuve », parviendra « jusqu’aux dernières extrémités de la terre ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 72[modifier]

SERMON AU PEUPLE[108].[modifier]

VANITÉ DES BIENS TERRESTRES.[modifier]

Dans l’Ancien Testament était caché le Nouveau, comme le fruit dans sa racine. De cette racine Dieu a retranché des branches pour y greffer les Gentils qui doivent craindre et persévérer dans le bien. Les promesses temporelles, figures des promesses spirituelles, n’étaient que pour un temps, non plus que les hymnes de David, ou ce culte de la synagogue, mère des Apôtres ou des chefs du bercail. Ce peuple tiré de la servitude, puis errant dans le désert, et introduit dans la terre promise, était la figure du peuple chrétien, délivré par le baptême. Toutefois la terre promise qui finit pour les Juifs, les force à chercher une terre sans fin. La synagogue servait Dieu pour les biens du temps et se scandalisait de voir ces biens entre les mains des impies Elle ne bénit plus le Seigneur, elle l’accuse, puis arrive à comprendre qu’il faut chercher Dieu lui-même. – Le Prophète a failli s’égarer en voyant la prospérité des impies, qui pèchent dans l’abondance et non par nécessité, qui haïssent tout avertissement, qui se glorifient du mal sans penser à leur fin. Mais la mort changea les rôles pour Lazare et pour le mauvais riche. Le vrai fidèle se demande si Dieu n’a pas soin des choses d’ici-bas ; il se rassure par l’autorité des livres saints, qui prêchent la providence et la justice ; il méprise des biens que Dieu donne à ses ennemis. Il s’unit à Dieu pour voir, à la lueur du jugement, que l’élévation des impies n’est qu’une vaine fumée, leur félicité, celle d’un songe qu’il n’y a qu’à nous laisser mener par la main à la possession de Dieu, seul et souverain bien.


1. Écoutez, écoutez, ô vous, mes frères bien-aimés, qui êtes les entrailles du corps de Jésus-Christ, vous qui avez mis votre espoir dans le Seigneur votre Dieu, qui détournez les yeux des vanités et des folies mensongères[109] ; et vous qui les regardez encore, écoutez, pour ne les regarder plus. Ce psaume a pour inscription ou pour titre : « Fin des psaumes de David, fils de Jessé, psaume d’Asaph[110] ». Nous avons beaucoup de psaumes qui portent le nom de David, mais nulle autre part qu’en celui-ci ne se lit cette addition : « Fils de Jessé », qui, nous devons le croire, n’est pas sans motif ni sans raison. Partout en effet Dieu se montre à nous, et stimule en nous l’amour et le pieux désir de comprendre. Que signifie : « Fin des psaumes de David, fils de Jessé ? » On appelle hymnes des louanges que l’on chante en l’honneur de Dieu ; des chants qui contiennent la louange du Seigneur. Une louange qui ne serait point la louange de Dieu, ne serait plus une hymne ; de même une louange, et même louange de Dieu, mais que l’on ne chante pas, n’est pas l’hymne. Dès lors, l’hymne renferme ces trois conditions la louange, la louange de Dieu, puis le chant. Que signifie donc : « Fin des hymnes ? » C’est dire : fin des louanges que l’on chante en l’honneur de Dieu. Le Prophète semble nous annoncer un événement triste et lamentable. Car celui qui chante une louange, non seulement loue, mais loue avec allégresse, et celui qui chante une louange, non seulement chante, mais aime celui qu’il chante. La louange témoigne d’un zèle de prédication ; le chant est l’élan du cœur. Donc « fin des hymnes de David », dit le Prophète, et il ajoute « Du fils de Jessé ». Car ce David, fils de Jessé[111] fut roi en Israël, dans l’Ancien Testament, lorsque le Nouveau Testament était caché dans l’Ancien comme le fruit dans la racine cherchez du fruit dans la racine, vous n’en trouverez point, et néanmoins vous n’en trouverez point dans les branches qui ne soient issus de la racine. En ces jours donc, et chez ce peuple issu le premier d’Abraham selon la chair, car le second peuple aussi est issu d’Abraham, mais selon l’esprit ; chez ce peuple donc encore charnel où quelques Prophètes comprenaient et les desseins de Dieu, et le moment où il devait se révéler au monde ; ces Prophètes annoncèrent les temps à venir et l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et comme ce Christ qui devait naître selon la chair, étau caché dans la génération patriarcale comme dans sa racine, et devait se manifester au temps marqué, semblable au fruit qui apparaît, ainsi qu’il est écrit : « Voilà que fleurit la tige sur la racine de Jessé[112] » ; de même, cette nouvelle alliance dont le Christ est l’auteur, était voilée dans ces premiers temps, connue seulement des Prophètes, et de quelques âmes d’élite, à qui Dieu, sans découvrir le présent, voulait bien révéler l’avenir. Pour n’en citer qu’un exemple, en effet, que signifie, mes frères, cette action d’Abraham, qui envoie son serviteur fidèle chercher une Épouse à son fils unique, et lui dit : « Pose ta main sur ma cuisse, et jure-moi[113] ? » Que signifiait la cuisse d’Abraham, que touchait le serviteur en faisant serment ? Qu’y avait-il, sinon cette promesse : « En ta postérité seront bénies toutes les nations[114] ? » Cette cuisse désigne le corps entier ; or, du corps d’Abraham, par Isaac, par Jacob, et pour abréger, par Marie, est né Jésus-Christ Notre-Seigneur.
2. Comment ferons-nous voir que la racine était chez les Patriarches ? Interrogeons saint Paul. Voilà que des Gentils convertis au Christ prétendent s’élever contre les Juifs qui ont crucifié le Christ, bien que de ce peuple soit sortie une muraille qui est venue s’unir à l’angle, ou dans le Christ, à cette autre muraille venant des incirconcis ou des Gentils. Donc les Gentils prétendent s’élever, et l’Apôtre abaisse ainsi leurs prétentions : « Si toi, qui n’étais que l’olivier sauvage, as été greffé parmi les branches, ne t’élève point au-dessus des rameaux naturels. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte ». L’Apôtre le déclare donc : sur le tronc des Patriarches on a retranché des branches à cause de leur infidélité, et l’on a inséré l’olivier sauvage, afin de lui donner part au suc et à la sève de l’olivier franc ; c’est là l’Église venue de la gentilité. Qui enta jamais un olivier sauvage sur un olivier franc ? C’est le franc que l’on greffe sur le sauvage, et l’on ne voit point le sauvage sur le franc. Quiconque le ferait, ne recueillerait que des baies sauvages. C’est en effet ce que l’on cuite qui pousse et qui porte du fruit. Car le fruit n’est point celui de la racine, mais celui de la greffe. L’Apôtre veut nous montrer que Dieu, par sa toute-puissance, a fait que l’olivier sauvage, greffé sur l’olivier franc, ne donnât plus de fruits sauvages, mais bien l’olive, et c’est à la toute-puissance de Dieu qu’il attribue ce miracle, en nous disant : « Si tu as été retranché de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, pour être enté, contre ta nature, sur l’olivier franc, ne te glorifie point contre les branches. Mais, diras-tu », poursuit l’Apôtre, « ces branches mit été rompues, afin que je fusse inséré. Il est vrai, elles ont été rompues à cause de leur incrédulité ; et toi, c’est par la foi que tu es debout : crains au lieu de t’élever dans ta sagesse ». Qu’est-ce à dire : « Ne point s’élever dans sa sagesse ? » Ne pas s’enorgueillir de son insertion, mais craindre que l’infidélité n’aboutisse au retranchement, comme il en a été d’eux-mêmes. « Car c’est leur infidélité », dit-il encore, « qui les a fait retrancher ; mais toi, tiens ferme dans la foi, crains au lieu de t’élever. Car si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera point non plus ». Puis il continue par ce passage si intéressant, si beau, qu’il faut si bien écouter : « Vois donc », nous dit-il, « la bonté et la sévérité de Dieu : sa sévérité pour ceux qu’il a retranchés, et sa bonté pour toi, qui es inséré, si tu persévères dans le bien. Autrement », c’est-à-dire si tu ne persévères pas dans le bien, « tu tomberas à ton tour, et pour eux, s’ils ne demeurent point dans l’infidélité, ils seront insérés de nouveau[115] ».
3. Ainsi donc, mes frères, dans l’Ancien Testament, notre Dieu avait fait au peuple charnel des promesses temporelles et terrestres. Il leur promit un royaume terrestre, il leur promit cette terre vers laquelle on les conduisit après la délivrance de l’Égypte : Josué les introduisit dans la terre promise, qui vit s’élever cette Jérusalem terrestre, où régna David. Ils reçurent donc cette terre après la délivrance de l’Égypte et le passage de la mer Rouge ; après des allées et des venues dans le désert, ils furent mis en possession de la terre et du royaume. Maîtres du royaume, comme ils n’avaient reçu que des biens terrestres, ils méritèrent par leurs péchés d’être attaqués, vaincus, emmenés captifs ; enfin la ville elle-même fut entièrement détruite. Telles étaient ces promesses qui ne devaient point durer, et qui étaient des figures de promesses plus durables ; en sorte que ce cours de promesses temporelles était la figure prophétique de l’avenir. Il devait donc finir ce royaume, qui était le royaume de David fils de Jessé, le royaume d’un homme, d’un saint, d’un prophète, lequel voyait et annonçait le Christ à venir, et issu de lui-même selon la chair ; il n’était néanmoins qu’un homme, il n’était pas le Christ, il n’était pas notre roi, le Fils de Dieu, mais seulement le roi David, fils de Jessé. Il devait périr ce royaume qu’avaient reçu ces hommes charnels, et dont ils bénissaient Dieu. Rien ne leur paraissait grand comme cette délivrance temporelle de leurs oppresseurs, comme le passage de la mer Rouge qui les dérobait à la poursuite de leurs ennemis, comme cette course à travers le désert qui aboutit à fonder une patrie et un empire. C’était là pour eux le seul motif de louer Dieu ; ils ne comprenaient point les promesses divines que dérobaient ces figures. Or, quand s’évanouirent ces biens qui portaient à louer Dieu un peuple charnel qui eut David pour roi, durent cesser aussi « les hymnes de David, fils de Jessé », et non fils de Dieu. Nous voilà, Dieu aidant, sauvés de l’écueil que ce titre nous présentait ; vous comprenez ce que signifie : « Fin des psaumes de David, fils de Jessé ».
4. Qui parle dans ce psaume ? « Asaph[116] ». Qu’est-ce que « Asaph ? » D’après le sens que nous donne la traduction de l’hébreu en grec, et du grec en latin, « Asaph » signifie synagogue. Voici donc la voix de la synagogue. Maïs à ce mot de synagogue, n’écoute pas ta haine contre cette meurtrière du Sauveur. Il est vrai que cette synagogue a mis à mort le Sauveur, nul n’en doute ; mais souviens-toi que c’est de la synagogue que sont venus ces chefs du bercail dont nous sommes les agneaux. De là cette parole du psaume « Amenez au Seigneur les fils des béliers[117] ». Or, quels sont ces béliers ? C’est Pierre, c’est Jean, c’est Jacques, c’est André, c’est Barthélemy, ce sont les autres Apôtres. C’est de là que vient Saul d’abord, ensuite appelé Paul, c’est-à-dire tout d’abord orgueilleux, puis humble. Car, vous le savez, Saül, d’où vient le nom de Saul, fut un roi superbe et insoumis. Ce ne fut point par une espèce de jactance que l’Apôtre changea son nom ; mais Saul devint Paul, ou plutôt l’orgueilleux devint humble. Car Paul, ou paulum, désigne la médiocrité. Or, veux-tu savoir ce que signifie Saul ? Écoute ce même Paul, te racontant ce qu’il a été par sa propre malice, et ce qu’il est devenu par la grâce de Dieu : écoute quel était Saul, et quel est Paul. « Tout d’abord, j’ai été un blasphémateur », nous dit-il, « j’ai persécuté, j’ai outragé[118] ». Voilà Saul, écoute maintenant Paul : « Je suis », dit-il, « le moindre des Apôtres ». Qu’est-ce à dire le moindre, sinon le plus petit ou Paul ? Et il ajoute : « Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre ». Pourquoi ? parce que j’ai été Saul. Comment Saul ? Qu’il nous l’explique : « Parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu : mais la grâce de Dieu m’a fait ce que je suis[119] ». Il se dérobe à sa propre grandeur, il se fait petit en lui-même, et grand en Jésus-Christ. Le voilà Paul, que dit-il ? « Dieu », nous dit-il, « n’a point repoussé son peuple », et il parle du peuple Juif, son peuple qu’il a connu dans sa prescience. Car moi aussi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, et de la tribu de Benjamin[120] ». Donc Paul lui-même nous vient de la synagogue, Pierre et les autres Apôtres de la synagogue. Donc à ce nom de synagogue, ne t’arrête pas à ce qu’elle mérite, mais à ce qu’elle a produit. Donc la synagogue parle dans ce psaume, alors que finissent les psaumes de David, fils de Jessé : c’est-à-dire, alors que touchaient à leur fin, ces objets temporels d’un culte que ce peuple charnel rendait à Dieu. Pourquoi devaient-elles finir, sinon pour que l’on en cherchât d’autres ? Et quelles autres chercher ? d’autres qui n’étaient point là ? Nullement, mais bien celles qui étaient voilées sous ces figures, et non celles qui n’y étaient point ; mais celles qui s’y cachaient sous l’enveloppe des mystères, comme le fruit dans sa racine. Quelles autres chercher ? Ces promesses qui étaient pour nous des figures[121].
5. Voyez rapidement, comme nous étions peints dans ces figures. Le peuple d’Israël est sous le joug de Pharaon et des Égyptiens[122] ; le peuple chrétien, que Dieu se réservait, était avant la foi sous l’empire du démon, assujetti à leur prince. Voilà un peuple esclave en Égypte, et un peuple esclave de ses péchés ; car ce n’est que par le péché seulement que le diable peut nous dominer, Moïse délivra du joug de l’Égypte le peuple ancien, et Notre-Seigneur Jésus-Christ délivre le peuple nouveau de sa vie ancienne du péché. Le premier peuple dut passer par les eaux de la mer Rouge, le second par celles du baptême. Les ennemis de l’un sont submergés dans la mer Rouge[123], tous les péchés de l’autre dans les eaux du baptême. Soyez attentifs, mes frères : après le passage de la mer Rouge, ce n’est point aussitôt la patrie, ce n’est pas aussitôt le triomphe, comme s’il n’y avait plus d’ennemis à combattre ; mais il restait la solitude, et dans ce pèlerinage, il restait les embûches des ennemis : ainsi après le baptême, il nous reste la vie chrétienne dans les épreuves. Dans ce désert, on soupirait après la terre promise, et quel est l’objet des soupirs des chrétiens quand ils sont purifiés par le baptême ? Règnent-ils donc avec Jésus-Christ ? Ils ne sont point encore parvenus à cette patrie qui nous est promise, mais qui ne doit point se terminer, et où les hymnes de David ne finiront point. Que tous les fidèles veuillent bien écouter mes paroles, et qu’ils sachent où ils sont : ils sont au désert, et soupirent après la patrie. Leurs ennemis sont morts par le baptême, ceux-là toutefois qui les suivaient par-derrière. Qu’est-ce à dire qui les suivaient par-derrière ? Nous avons devant nous l’avenir, derrière nous le passé tous les péchés du passé sont noyés dans les eaux du baptême ; et nos tentations ne sont plus derrière nous, mais dans les embûches du voyage. Aussi l’Apôtre marchant encore dans ce désert s’écriait ; « J’oublie ce qui est derrière moi, pour m’avancer vers ce qui est devant moi, afin d’atteindre la palme à laquelle Dieu m’a appelé d’en haut[124] ». Comme s’il disait : Je veux atteindre la patrie céleste que Dieu m’a promise. Et dans ce désert, mes frères, tout ce qu’endura ce peuple, tous les dons que lui fit le Seigneur, tous les châtiments qu’il lui infligea, sont des figures de ce qui doit nous arriver dans le désert de cette vie, quand nous marcherons en Jésus-Christ cherchant notre patrie, et qui sera pour nous une source de consolations ou d’épreuves. Il ne faut donc pas s’étonner de voir à sa fin ce qui n’était qu’une figure de l’avenir. Ce peuple fut conduit à la terre promise, mais devait-elle durer toujours ? S’il en était ainsi, elle ne serait pas une figure, mais bien une réalité. Comme donc elle n’était qu’une figure, le peuple n’aboutit qu’à une situation temporaire ; or, une situation temporaire devait finir, et en finissant nous forcer à chercher ce qui n’a point de fin.
6. Donc, la synagogue, ou ceux qui servaient Dieu avec piété, mais en vue des biens terrestres, (les biens de cette vie (car il est des impies qui demandent ces biens d’ici-bas aux démons, et le peuple avait cette supériorité sur les Gentils, que s’il recherchait les biens présents, les biens temporels, il les demandait néanmoins au seul Dieu créateur et des choses visibles et des choses invisibles) ; ces hommes pieux donc, mais charnels, cette partie de la synagogue, bonne en ce temps-là, mais non d’une piété spirituelle comme celle des Prophètes, et de ceux qui attendaient un royaume céleste et éternel ; cette synagogue vit les biens que Dieu prodiguait à son peuple, et qu’il lui promettait pour l’avenir l’abondance des richesses de la terre, une patrie, la paix, une félicité terrestre. Mais il n’y avait là que des symboles ; et sans coin Prendre les promesses que cachaient ces figures, elle s’imagina que c’était beaucoup pour Dieu de la traiter ainsi, et qu’il n’avait rien de mieux à donner à ceux qui le servent avec amour et fidélité. Dans cette pensée elle vit des hommes pécheurs, impies, blasphémateurs, des adorateurs de démons, des fils du diable, qui vivaient dans les excès de la malice et de l’orgueil, et qui possédaient néanmoins ces biens de la terre et du temps, dont la convoitise la portait à servir Dieu. Alors surgit dans son cœur une exécrable pensée, bien capable de la faire chanceler dans la voie de Dieu, et même de l’en écarter. Or, voici la pensée qui tourmentait ce peuple de l’Ancien Testament : à Dieu ne plaise qu’elle soit aussi chez ceux de nos frères qui sont charnels, quand on leur prêche ouvertement la félicité ! Que dit alors cette synagogue ? Que dit ce peuple ? Nous servons Dieu, et voilà des châtiments, des fléaux, voilà qu’on nous prive de ce que nous aimons, de ce que nous regardions comme une grande faveur de Dieu : des hommes criminels au contraire, des hommes injustes, orgueilleux, blasphémateurs, remuants, ont en abondance tous ces biens, pour lesquels nous servons le Seigneur ; c’est donc inutilement que nous le servons. C’est jusque-là qu’est tombé le peuple de notre psaume, peuple qui touche à sa fin, qui chancelle. Il voit en effet que ces biens terrestres qui lui font servir Dieu, coulent en abondance chez ceux qui ne servent point le Seigneur, et le voilà qui chancelle, qui tombe en défaillance, qui disparaît avec les hymnes de David, parce qu’en de semblables cœurs il n’y avait plus de louanges. Qu’est-ce à dire, qu’en de semblables cœurs il n’y avait plus de louanges ? Qu’avec de telles pensées on ne bénit plus le Seigneur. Comment en effet bénir Dieu, quand peu s’en faut qu’on ne l’accuse d’injustice, parce qu’il donne tant de biens aux méchants, et qu’il en prive ceux qui le servent ? À ces hommes, Dieu paraissait n’avoir aucune bonté ; or, ceux qui ne voient en Dieu aucune bonté, sont loin de le louer, et comme ils cessent de louer Dieu, la louange fait défaut chez eux. Plus tard néanmoins ce peuple comprit ce que Dieu l’avertissait de chercher, quand il privait ainsi ses serviteurs des biens temporels qu’il donnait à ses ennemis, à des impies, à des blasphémateurs ; cet avertissement lui fit connaître qu’en outre des biens que Dieu donne aux bons et aux méchants, et dont il prive quelquefois les méchants comme les bons, il en est qu’il réserve particulièrement aux bons. Qu’est-ce à dire, qu’il réserve pour les bons ? Que leur réserve-t-il ? Lui-même. Nous pouvons, si je ne me trompe, aller rapidement dans le psaume ; nous le comprendrons avec le secours du Seigneur. Voyons revenir de ses erreurs et se repentir, celui qui avait cru que Dieu manquait de bonté, parce qu’il donnait aux méchants les biens terrestres et les refusait à ceux qui le servent. Il a compris ce que Dieu réserve à ses adorateurs ; dans cette pensée, et comme pour se châtier de cette erreur, il s’écrie :
7. « Quelle bonté chez le Dieu d’Israël ! » Mais pour qui ? « Pour ceux qui ont le cœur droit ». Qu’est-il pour l’impie ? Il paraît injuste. C’est ainsi que dans un autre psaume il est dit : « Vous êtes saint pour l’homme saint, innocent avec l’innocent, et pervers avec l’homme pervers[125] ». Qu’est-ce à dire « pervers avec le pervers ? » L’homme corrompu ne verra chez vous que corruption. Non que Dieu se puisse laisser corrompre. Loin de là : il est ce qu’il est ; mais de même que le soleil est agréable pour l’homme qui a les yeux purs, sains, fermes et vigoureux, tandis qu’il paraît avoir des aiguillons pour les yeux chassieux, qu’il est la joie de l’un, et le tourment de l’autre, non que lui-même change, mais bien l’objet qu’il frappe ; ainsi dès que tu seras corrompu, tu verras en Dieu la corruption, tu seras changé, mais non lui. Tu trouveras ton supplice dans ce qui fera la joie des bons. Telle est la pensée du Prophète qui s’écrie : « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour l’homme au cœur droit ».
8. Mais pour toi, ô Prophète ? « Pour moi, mes pieds ont failli chanceller[126] ». Quand est-ce que les pieds chancellent, sinon quand le cœur n’est point droit ? Et d’où vient que le cœur n’était point droit ? Ecoute : « Peu s’en faut que mes pas ne glissent ». Tout à l’heure il disait : « Ont failli », maintenant « peu s’en faut » ; tout à l’heure : « Ses pieds chancelaient », maintenant « ses pas glissent ». Mes pieds ont failli chanceler, peu s’en faut que mes pas ne s’égarent. « Des pieds chancelants » ; mais dans quelle voie ont-ils chancelé, de quelle voie mes pas se seraient-ils égarés ? « Mes pieds chancelaient » pour s’égarer, « mes pas glissaient » pour tomber, non pas tout à fait, mais « presque ». J’allais à l’erreur, sans y être encore ; je tombais, mais je n’étais pas encore tombé.
9. Mais pourquoi ? « C’est », répond le Prophète, « que je porte envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent[127] ». J’ai considéré les pécheurs, je les ai vus dans la paix. Quelle paix ? Une paix temporelle, fragile, caduque et terrestre, mais telle cependant que je la désirais de Dieu. J’ai vu chez ceux qui ne servaient point le Seigneur, ce que je désirais pour prix de mes adorations ; et mes pieds ont chancelé, et mes pas ont presque glissé.
10. Mais il va vous dire en quelques mots pourquoi les méchants possèdent ces biens : « C’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment s’affermira. Aussi ne sont-ils point dans les travaux des hommes, et ne seront-ils point châtiés comme eux[128] ». J’ai compris, nous dit-il, pourquoi ils ont la paix et fleurissent ici-bas. C’est que leur mort est inévitable, c’est-à-dire que la mort est pour eux certaine, et qu’elle sera éternelle ; elle ne se détournera point d’eux, et ils ne pourront s’en détourner ; « c’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment s’affermira ». Un châtiment qui s’affermit, n’est plus un châtiment passager ; il est ferme pour l’éternité. C’est donc parce que Dieu leur réserve des maux qui doivent durer éternellement, qu’« ils ne sont point aujourd’hui dans les travaux des hommes, et qu’ils ne sont point châtiés avec eux[129] ». Toutefois n’est-il point châtié avec les hommes, ce diable auquel on prépare un supplice sans fin ?
11. Aussi qu’arrive-t-il ici-bas à ceux qui ne sont point châtiés avec les hommes, qui ne souffrent point avec eux ? « Voilà », dit le Prophète, « que l’orgueil les domine ». Voyez ces orgueilleux incorrigibles ; voyez cette victime dévouée au sacrifice, qu’on laisse errer à son gré, dévaster comme il lui plaît, jusqu’au jour où l’on doit l’égorger. Or, il est bon, mes frères, de voir dans les paroles du Prophète, cette victime dont nous parlons. L’Écriture qui en fait mention ailleurs, nous dit que ces hommes sont destinés à l’immolation, qu’on ne les épargne qu’en leur laissant une triste liberté[130]. « C’est pourquoi », dit le Prophète, « ils sont au pouvoir de l’orgueil ». Qu’est-ce qu’« être au pouvoir de l’orgueil ? Leur iniquité, leur impiété, les enveloppe comme un vêtement ». Il ne dit pas qu’ils sont couverts, mais « enveloppés », complètement revêtus de leur impiété. Malheur bien légitime ! sous leur manteau, ils ne voient point, ils ne sont vus de personne, et leur intérieur est invisible. Tel en effet qui pourrait sonder l’âme de ces hommes que l’on croit heureux ici-bas, tel qui verrait les tortures de leur conscience, tel qui découvrirait dans leurs cœurs ces déchirements, ces tyrannies de la crainte et de la convoitise, les trouverait malheureux dans ce qu’on regarde comme un bonheur ; « mais enveloppés de leur iniquité et de leur impiété », ils ne voient point et ne sont point vus. L’Esprit-Saint les connaissait quand il en parlait de la sorte ; et nous devons les regarder avec cet œil qui nous montre la vérité, quand on nous ôte le voile de l’impiété. Sachions donc les connaître, et fuyons-les nonobstant leur bonheur ; nonobstant leur bonheur, ne les imitons point : gardons-nous de demander au Seigneur notre Dieu, comme une grande faveur, des biens qu’ont mérité d’obtenir ceux qui ne le servent point. Car il nous réserve un tout autre bien, un bien vraiment désirable : écoutez quel bien.
12. Voici d’abord leur portrait. « Leur iniquité sortira de leur abondance[131] ». Voyez si cette grosse victime ne se reconnaît point ici. Écoutez, mes frères, et ne passons pas légèrement sur cette parole : « Leur iniquité sortira comme de leur embonpoint ». Il y a des méchants, mais méchants par maigreur, et qui sont méchants précisément parce qu’ils sont maigres, c’est-à-dire des âmes faibles, chétives, et comme sous l’empire de la nécessité ; ils sont mauvais à la vérité, et vraiment condamnables ; car on doit plutôt subir la nécessité que de commettre le crime. Et toutefois autre est pécher dans la nécessité, autre dans l’abondance. Qu’un pauvre mendiant commette un vol, son péché vient de sa maigreur ; mais un riche dans l’abondance, pourquoi s’empare-t-il du bien d’autrui ? Le péché vient chez l’un de sa maigreur, chez l’autre de sa graisse. Aussi, dis à ce pauvre : Pourquoi cette injustice ? et le voilà qui s’humilie, qui se repent, qui s’afflige. C’est la nécessité, dit-il, qui m’y a forcé. Comment n’as-tu pas craint le Seigneur ? La nécessité m’a contraint. Dis à un riche au contraire : Pourquoi cette injustice, et ne crains-tu pas le Seigneur ? si tu as toutefois assez de considération pour le pouvoir faire. Vois s’il daignera même t’écouter, et si l’iniquité qui vient de son abondance ne rejaillira point sur toi. Car ces hommes déclarent la guerre à tous ceux qui les instruisent et qui les reprennent, ils deviennent ennemis de quiconque dit la vérité, accoutumés qu’ils sont aux flatteries, ayant eux-mêmes l’oreille délicate, et le cœur corrompu. Qui ose dire à un riche : C’est mal à toi de prendre le bien d’autrui ? Et si quelqu’un ose le dire, et qu’il soit de telle condition qu’on n’ose point lui résister, que répondra ce riche ? Il n’ouvre la bouche que pour blasphémer Dieu. Pourquoi ? parce qu’il est orgueilleux. Pourquoi ? parce qu’il est dans l’abondance. Pourquoi ? parce qu’il est une victime dévouée au sacrifice. « Leur iniquité sortira de leur graisse ».
13. « ils ont tout dépassé dans la pensée de leur cœur ». C’est intérieurement qu’ils ont dépassé. Qu’est-ce à dire « dépassé ? » Au-delà de la voie. Qu’est-ce à dire encore ? Ils ont dépassé les bornes de la nature humaine, et ne se croient plus des hommes comme les autres hommes. Oui, dis-je, ils ont franchi les bornes de la nature humaine. Parfois tu dis à l’un de ces hommes : Ce pauvre que tu vois est ton frère, vous êtes issus des mêmes parents, d’Adam et d’Eve : n’écoute point ton orgueil, n’écoute point cette enflure de la vanité, quelque nombreux que soient tes serviteurs, quels que soient l’or et l’argent que lu possèdes, quelque précieux que soit le marbre de ton palais, quelque étincelant qu’en soit le dôme : non plus que le pauvre, tu n’as pour te couvrir qu’un même ciel, qui est le toit du monde. Rien ne t’appartient de tout ce qui te distingue du pauvre ; tout cela est étranger pour toi ; c’est en cela qu’il faut te voir, et non pas voir cela en toi-même. Considère ce que tu es en face du pauvre, mais considère toi-même, non ce que tu possèdes. Pourquoi mépriser ton frère ? Vous étiez nus l’un et l’autre dans les entrailles de vos mères ; et certes quand vous serez sortis de cette vie, quand l’âme aura quitté vos chairs en pourriture, démêle qui pourra discerner les ossements du pauvre et du riche. Je parle de l’égalité de nature qui est la condition du genre humain, et dans laquelle nous naissons tous ; or, celui que nous voyons riche en cette vie, n’y sera pas toujours, non plus que le pauvre. Le riche, à sa naissance, n’est point riche, à sa mort il ne sera point riche ; pour le riche comme pour le pauvre, même entrée dans la vie, même sortie de ce monde. J’ajoute même que leur sort peut être changé. Partout aujourd’hui on prêche l’Évangile ; remarque ce pauvre couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et dont le désir est de se rassasier des miettes qui tombaient de la table de ce riche ; vois ce même riche, revêtu comme toi de pourpre et de fin lin, et qui était chaque jour clans la bonne chère. Or, il arriva que ce pauvre mourut et fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli ; nul peut-être n’avait eu soin de la sépulture de l’autre ; et quand ce riche était dans les tourments de l’enfer, ne leva-t-il point les yeux, et ne vit-il pas au sein d’une joie infinie celui qu’il avait méprisé au seuil de sa porte ? Ne désira-t-il point qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui avait envié jadis les miettes de sa table ? Combien, mes frères, dura l’angoisse du pauvre ? Combien durèrent les délices du riche ? Mais ce qui ensuite leur échut en partage est éternel. Comme il n’y avait donc pour lui nul moyen d’échapper à la mort, et comme son châtiment devait être sans fin, il n’a point partagé le labeur des hommes, ni subi avec eux son châtiment. Le pauvre, au contraire, flagellé en cette vie, doit se reposer en l’autre ; car Dieu châtie celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants[132]. Mais à qui parle-t-on ainsi ? À l’homme de la bonne chère, qui est chaque jour vêtu de pourpre et de fin lin. À qui tenir ce langage ? À l’homme qui a tout dépassé « dans la pensée de son cœur », qui dira un jour avec raison, mais trop tard : « Envoyez Lazare, afin qu’il avertisse mes frères[133] » : car il ne tirera aucun profit de sa pénitence. Non point qu’il n’ait aucun regret, mais ce regret doit être éternel, ce regret ne produira point le salut. Ils ont donc « tout dépassé dans la « pensée de leur cœur[134] ».
14. « Ils ont pensé et dit le mal[135] ». Mais ce n’est qu’en tremblant que les hommes disent le mal : comment ceux-ci le disent-ils ? « Ils publient l’iniquité sur les hauteurs ». Non seulement ils publient l’iniquité, mais ils le font à haute voix, aux oreilles de tous, avec orgueil : c’est à moi que tu as affaire, moi qui te donnerai une leçon, tu sauras qui je suis, tu y laisseras la vie. Avoir cette pensée, ce serait beaucoup, quand même tu ne la montrerais pas : quand même ce désir de vengeance demeurerait inconnu, et enseveli dans le secret de ton cœur. Mais à quoi bon ? Cet homme est-il maigre ? « Leur injustice sortira comme de leur graisse, ils publient l’iniquité sur les hauteurs ».
15. « Ils opposent leurs bouches au ciel, et leur langue dépasse la terre[136] ». Qu’est-ce à dire, « dépasse la terre ? » C’est la répétition de ce qui est dit : « Ils opposent leurs bouches au ciel » ; car dépasser la terre signifie aller au-delà de tout ce qui est terrestre. Mais qu’est-ce qu’aller au-delà de tout ce qui est terrestre ? C’est-à-dire que l’homme dans son langage ne songe point qu’il peut mourir subitement, qu’il menace comme s’il devait toujours vivre : sa pensée oublie l’humaine fragilité, et ne sait point de quel faible manteau il est revêtu ; il ignore ce que l’Écriture a dit ailleurs à propos de ces orgueilleux : « Son âme s’en ira et il retournera dans la terre, en ce jour périront toutes ses pensées ». Mais ces hommes, peu soucieux de leur dernier jour, n’ont qu’un langage d’orgueil ; ils opposent leurs bouches au ciel, et s’élèvent au-dessus de la terre. Rien de plus insensé qu’un voleur jeté dans une prison, qui ne penserait point à son dernier jour, au jour qui termine sa condamnation ; et pourtant il peut encore s’enfuir. Mais où fuir la mort ? Ce jour arrivera certainement. Quelle peut être pour toi la plus longue vie ? Combien dure peu ce qui a une fin, quelle qu’en soit la durée ! Ajoutez que cette durée n’est point longue ; car celle qu’on appelle une longue vie est courte et encore incertaine. Pourquoi n’y point réfléchir ? C’est que l’on oppose sa bouche au ciel, et que la langue dépasse la terre.
16. « Aussi mon peuple eu reviendra-t-il à ces pensées[137] ». Asaph lui-même en revient le premier. Il a vu que les biens sont pour les impies, sont pour les orgueilleux ; il se retourne vers Dieu, et commence à lui en demander raison. Mais quand ? « alors que les jours s’accompliront pour eux ». Que sont « des jours accomplis ? » « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils[138] ». Ainsi les temps étaient accomplis quand le Christ est venu nous apprendre à mépriser ce qui est temporel, à ne pas estimer ce que désirent les méchants, à souffrir ce que redoutent les hommes d’iniquité. Il s’est donc fait la voie, il nous a fait rentrer en nous-mêmes, et nous a montré ce qu’il faut demander à Dieu. Vois maintenant comment de ses pensées qui se détruisent mutuellement, et qui se brisent comme des flots par leur propre choc, il s’élève aux vrais biens désirables. « C’est pourquoi mon peuple en reviendra là, et les jours s’accompliront en eux ».
17. « Et ils ont dit : Comment Dieu le sait-il ? le Très-Haut en a-t-il connaissance[139] ? » Vois par quelles réflexions ils doivent passer. Les méchants sont heureux, donc Dieu n’a aucun soin des choses humaines. Est-il vrai qu’il sache ce que nous faisons ? Écoutez les paroles du psaume ; et je vous en supplie, mes frères, que des chrétiens ne disent plus : « Comment Dieu le sait-il ? et le Très-Haut en a-t-il connaissance ? »
18. Comment peux-tu croire en effet que Dieu ignore ce qui se passe ici-bas, que le Très-Haut n’en a point de connaissance ? Le Psalmiste répond : « Voilà que les pécheurs et les heureux du siècle ont obtenu des richesses[140] ». Ils sont pécheurs, ils sont dans l’abondance, et néanmoins ils ont encore obtenu des richesses ici-bas. Il l’a déclaré, il n’a point voulu être pécheur, afin d’avoir des richesses. Cette âme charnelle vendait sa justice au prix des biens visibles et terrestres. Quelle justice peut-on acheter avec de l’or, comme si l’or était plus précieux que la justice ? Quand un homme nie un dépôt, pour qui le dommage est-il plus grand, pour celui qui nie, ou pour celui à qui on le nie ? L’un perd un vêtement, l’autre sa foi. « Voilà que les pécheurs et les riches du siècle ont obtenu des biens ». Donc Dieu ne le sait pas ? donc le Très-Haut n’en a point de connaissance ?
19. « Et j’ai dit : C’est donc en vain que j’ai justifié mon cœur ». Voilà que je sers Dieu, et je n’ai pas ces biens ; ceux-là ne le servent point et sont dans l’abondance : « Donc c’est vainement que j’ai justifié mon cœur, et que j’ai lavé mues mains parmi les innocents[141] ». C’est donc en vain que j’ai fait cela. Où est la récompense pour une vie juste ? Où est le prix de ta fidélité ? Je vis dans la justice et j’ai faim, tandis que l’impie est dans l’abondance. « Et j’ai purifié mes mains parmi les innocents ».
20. « Durant tout le jour je suis flagellé[142] ». Vos fléaux ne s’éloignent point de moi. Je vous sers fidèlement, et je suis châtié : cet autre ne vous sert point, il est au comble des biens. Terrible question que l’homme se pose à lui-même ! Son âme est dans le trouble, elle est sur le point de passer au mépris de ce qui passe pour désirer ce qui dure éternellement. Telle est la pensée qui bâte pour l’âme ce passage. Dès qu’elle est agitée par la tempête, c’est pour arriver au port. Il en est de même de ces malades, qui souffrent moins lorsque la santé est bien loin encore, et dont la douleur est plus aiguë quand la guérison est proche. C’est ce que les médecins appellent des accès de crise, qui sont le passage à la convalescence : la lièvre est plus vive, mais aboutit à la santé ; la crise est plus violente, mais la guérison est proche. Telles sont les récriminations du Psalmiste. Ses paroles sont fâcheuses, insolentes, presque blasphématoires : « Comment Dieu le sait-il ? » Je dis « presque », et en effet il ne dit point : Dieu ne le sait point ; il ne dit point : Le Très-Haut n’en a point connaissance ; mais il se questionne, il est dans l’hésitation et dans le doute, Il disait un peu auparavant : « Mes pieds ont failli chanceler », comme il dit maintenant : « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance ? » Il n’affirme point, mais son doute est dangereux, et tel est le péril qui le ramène à la santé. Écoute bien cette guérison : « C’est donc en vain que j’ai justifié mon cœur, et que j’ai lavé mes mains parmi les innocents, tout le jour je subis la flagellation, je suis châtié dès le matin ». Or, le châtiment est une correction : châtier, c’est se corriger. Qu’est-ce à dire : « dès le matin ? » Sans délai. Il est un délai pour les impies, il n’en est point pour moi. Pour eux le châtiment est tardif, ou même nul, pour moi il vient « dès le matin. – Tout le jour je suis flagellé, et mon châtiment est du matin ».
24. « Et je disais : Voilà ce que je raconterai[143] » ; ou ce que j’enseignerai. Qu’enseigneras-tu ? Que le Très-Haut n’en a point connaissance, et que Dieu ne sait rien ? Veux-tu donc enseigner que les justes mènent sans profit une vie juste, que l’homme de bien sert Dieu inutilement, puisque Dieu, ou favorise les méchants, ou n’a souci de personne ? Est-ce là ce que tu veux dire, enseigner ? Il cède à l’autorité qui le domine. Quelle autorité ? Souvent l’homme veut s’abandonner à ces sentiments ; mais il est retenu par les saintes Écritures qui lui disent de vivre toujours dans la justice, qui lui répètent que Dieu a soin des choses d’ici-bas, et qu’il met une différence entre le juste et l’impie. Voilà donc ce qui retient le Psalmiste, alors qu’il voudrait enseigner une telle doctrine. Et que dit-il ? « Si je disais : Voilà ce que je raconterai : je rejetterais la race de vos enfants ». Mon langage serait une condamnation portée contre vos enfants, contre les justes. Ou bien, comme on lit dans certains exemplaires : « Parmi vos enfants à qui ai-je parlé ? » ou bien auquel de vos enfants ai-je parlé ? Auquel mon langage convenait-il, qui l’approuvait ? Parler ainsi, c’est m’éloigner de tous. Celui-là m’approuve en effet qui est d’accord avec moi ; mais point d’accord, point d’approbation. Je tiendrai un langage autre que celui d’Abraham, celui d’Isaac, celui de Jacob, et celui des Prophètes. Car ils se sont tous accordés à dire que Dieu prend soin de ce qui se passe ici-bas : et moi j’irai dire qu’il n’en prend aucun soin ? Aurai-je donc plus de lumière qu’eux tous ? Telle est l’autorité salutaire qui éloigne de lui toute pensée impie.
22. Que dit ensuite le Prophète ? « Si je disais : Voilà ce que j’enseignerai, je rejetterais la race de vos enfants ». Que fait-il donc pour ne point la rejeter ? « J’ai résolu de comprendre », nous dit-il. Il veut donc comprendre ce mystère ; Dieu veuille bien l’aider et le lui faire connaître : toujours est-il, mes frères, qu’il évite une chute effroyable, alors qu’il ne présume point de sa science, et qu’il veut apprendre ce qu’il ne sait point. Naguère il prétendait que l’on crût à sa science, il voulait enseigner que Dieu n’a aucun soin des actions des hommes. C’est la doctrine impie et pernicieuse que prêchent tous les méchants. Il est bon que vous le sachiez, mes frères ; il en est beaucoup qui prétendent et qui osent dire que Dieu n’a aucun souci des actions des hommes, que tout est gouverné par le hasard, ou que nos volontés sont sous l’influence des astres, et que chacun de nous, loin d’être dirigé selon ses propres mérites, ne l’est que par la fatalité de son étoile. Doctrine impie ! Doctrine effroyable ! C’est là que devait aboutir celui dont « les pieds ont quelque peu chancelé, dont les pas ont failli trébucher[144] » ; c’est à cette erreur qu’il courait : mais comme il n’était point d’accord avec la génération des enfants de Dieu, il entreprend de connaître ; le voilà qui condamne ce qui est en dissonance avec les justes de Dieu. Écoutons ce qu’il va dire, car il a entrepris de connaître, et avec le secours de Dieu, il a compris, et nous en a fait part. « J’ai entrepris de connaître », dit-il, « et c’est là un travail devant moi ». C’est vraiment un labeur pénible, de connaître comment Dieu prend soin de ce que font les hommes, quand les méchants sont heureux, les justes dans la peine ! C’est là une grande difficulté. Aussi, « c’est là un labeur pénible devant moi ». C’est comme une muraille en face de moi ; mais le Prophète a dit : « Avec le secours de Dieu j’irai au-delà du mur[145]. « C’est là un labeur pénible devant moi ».
23. Tu dis vrai, ô Prophète, c’est un labeur pénible. Mais pour Dieu, il n’est point de labeur ; mets-toi en présence du Dieu qui ne connaît point la peine, et il n’y aura rien de pénible pour toi. C’est ce qu’a fait le Prophète, car il précise combien de temps ce labeur sera devant lui : « Jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des choses[146] ». Voilà une grande parole, mes frères. Je suis dans un long travail, dit le Prophète, et je vois devant moi un labeur en quelque sorte inextricable, quand je veux examiner comment Dieu connaît les choses humaines et en prend soin, et comment n’est-il point injuste, alors que les pécheurs, les criminels sont heureux sur la terre, tandis que les hommes pieux, qui le servent avec fidélité, sont souvent dans l’épreuve, et brisés par la tribulation : voilà ce qu’il est très difficile de comprendre, mais seulement « jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu ». Mais que verras-tu dans ce sanctuaire, afin de résoudre cette difficulté ? « Je comprendrai », dit le Psalmiste, « la fin des choses », non celles qui sont présentes. C’est vers le sanctuaire de Dieu que je dirige mes yeux pour voir la fin, peu soucieux du présent. Tout ce qui porte le nom d’homme, toute cette masse de mortels doit subir l’examen, tout alors sera pesé ; et alors seront appréciées les œuvres des hommes. Aujourd’hui tout est enveloppé d’un nuage, mais Dieu connaît les mérites de chacun. « Je comprendrai », dit le Prophète, « quelle est la fin » ; non par moi-même, car il n’y a devant moi que labeur. Comment alors « comprendrai-je la fin ? » En entrant dans le sanctuaire de Dieu. C’est donc là qu’il comprendra pourquoi les méchants sont heureux ici-bas.
24. « A cause de leurs artifices, vous les avez fait tomber[147] » À cause de leurs artifices, ou de leur fraude : parce qu’ils cherchent la fraude, ils sont trompés. Qu’est-ce à dire : Ils sont trompés, parce qu’ils veulent tromper ? Ils veulent tromper les hommes par mille artifices, eux-mêmes sont trompés, et délaissent les biens de l’éternité, pour les biens du temps, Donc, mes frères, ils se trompent en voulant tromper. Je vous l’ai déjà dit, mes frères, quelle âme peut avoir celui qui vole un manteau, et qui perd la foi ? Est-ce bien celui qui perd ce vêtement qui est victime de la fraude, ou celui qui éprouve un si grand dommage ? C’est le premier, si le manteau est plus précieux que la foi ; mais si la foi est infiniment préférable au monde enlier, l’un perdra son manteau à la vérité, mais il est dit à l’autre : « Que sert à l’homme de gagner le monde, s’il vient à perdre son âme[148] ». Qu’arrive-t-il donc aux méchants ? « A cause de leurs artifices vous les avez fait tomber : vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ». Il n’est pas dit : Vous les avez humiliés, parce qu’ils s’élevaient : car ce n’est point après qu’ils se sont élevés que vous les avez humiliés, mais à l’instant même qu’ils s’élevaient vous les avez humiliés. Car s’élever ainsi, c’est déjà tomber, « Vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ».
25. « D’où leur est venue cette catastrophe subite[149] ? » Le Prophète s’étonne à leur sujet, il comprend leur dernière fin. « Ils se sont véritablement évanouis » comme une fumée qui ne s’élève que pour se dissiper. Comment dit-il qu’« ils se sont évanouis ? » Il en parle comme un homme qui comprend la fin des choses. « Ils se sont évanouis ; ils ont péri à cause de leur iniquité ».
26. « Comme le songe d’un homme qui s’éveille[150] ». Comment se sont-ils évanouis ? Comme s’évanouit le songe d’un homme qui s’éveille. Suppose un homme qui voit en songe, qui dans son rêve croit avoir trouvé des trésors, il est riche, mais seulement jusqu’à ce qu’il s’éveille. Ces hommes se sont donc évanouis, « comme le songe de cet homme à son lever » ; il cherche, et ne trouve rien ; rien dans ses mains, rien dans son lit. Il s’était endormi pauvre, un songe l’avait enrichi ; il eût été riche sans le réveil, mais il s’est éveillé, et n’a retrouvé que la misère, qui l’avait abandonné dans son rêve. Ainsi les méchants retrouveront la misère qu’ils ont entassée. Quand ils s’éveilleront de cette vie, alors s’évanouira ce qu’ils ont possédé pendant leur sommeil. Tel est le songe pour l’homme qui s’éveille. Et pour éviter cette objection : N’est-ce donc rien à vos yeux que cet éclat qui les environne, rien que cette pompe, rien que ces titres, que ces images, que ces statues, que ces louanges, que cette foule de clients ? « Seigneur », répond le Prophète, « vous anéantirez leur image dans votre cité ». Je vous parlerai donc avec liberté, mes frères, dans la place que j’occupe et qui m’y autorise, car, quand nous nous mêlons à vous, c’est plus pour vous soutenir que pour vous instruire ; je vous en supplie donc, dans la crainte et dans l’amour du Christ, ô vous qui êtes privés de ces biens, ne les convoitez point, et vous qui les possédez, n’y mettez point votre confiance. Remarquez-le, je ne vous dit point : Vous serez damnés dès lors que vous les possédez ; mais : Vous serez damnés, si ces biens vous donnent de la présomption, s’ils stimulent votre orgueil, s’ils vous grandissent à vos propres yeux, s’ils vous font mépriser les pauvres, si dans l’exaltation de votre vanité, vous en venez à oublier la condition de la nature humaine. En ce cas, en effet, Dieu devrait à sa justice de châtier au dernier jour, et d’anéantir dans sa cité l’image de ces hommes. Que celui qui est riche le soit donc, selon le précepte de l’Apôtre : « Ordonnez », dit-il, « aux riches de ce monde, de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Il réprime ainsi l’orgueil des riches, et leur donne un conseil. Comme si ces riches lui disaient : Nous avons les richesses, et vous nous défendez de nous enorgueillir, vous nous interdisez d’étaler toutes les pompes de nos richesses, que ferons-nous donc de ces biens ? N’ont-ils pas occasion d’en faire usage ? « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres », dit l’Apôtre, « qu’ils donnent facilement, et qu’ils prêtent ». Que leur en reviendra-t-il ? « Qu’ils se fassent ainsi un trésor, et s’établissent un fondement solide pour l’avenir, afin d’arriver à la véritable vie[151] ». Où doivent-ils s’amasser un trésor ? où l’interlocuteur a jeté les yeux, quand il est entré dans le tabernacle de Dieu. Que tous ceux d’entre vous, mes frères, qui sont riches, tremblent à cette parole ; que tous ceux qui ont des biens, de l’or, de l’argent, des esclaves, des honneurs, tremblent quand le Prophète s’écrie : « Seigneur, vous réduirez au néant leur image dans votre cité ». N’est-il pas bien juste que Dieu anéantisse leur image dans sa cité, lorsque dans leur cité terrestre ils ont anéanti l’image de Dieu ? « Vous réduirez donc au néant, Seigneur, leur image dans votre cité ».
27. « Alors mon cœur s’est trouvé dans la joie ». Voici l’objet de ses tentations. « Mon cœur s’est trouvé dans la joie, et mes reins se sont changés[152] ». Mes reins se changeaient, lorsque je faisais mes délices des biens temporels. On peut aussi donner ce sens : « Parce que mon cœur a mis sa joie en Dieu, mes reins se sont changés », c’est-à-dire mes affections charnelles se sont changées, et je suis devenu entièrement chaste. « Mes reins se sont changés » ; voyons de quelle manière.
28. « Voilà que j’ai été réduit au néant, et je ne l’ai point connu[153] ». Moi qui vous parle maintenant contre les richesses, j’ai quelquefois désiré ces sortes de biens. Aussi, « ai-je été réduit au néant, quand mes pieds chancelaient ». « J’ai été réduit au néant sans rien connaître ». On voit dès lors qu’il ne faut pas désespérer de ces hommes dont je viens de parler.
29. Qu’est-ce à dire : « Je ne l’ai point connu ? » « J’étais devant vous comme le stupide animal, et néanmoins j’étais toujours avec vous[154] ». Il y a une grande différence entre ce nouvel interlocuteur et les autres. Celui-ci a ressemblé à l’animal par ses désirs terrestres, quand, réduit au néant, il n’a point connu les biens éternels ; mais il ne s’est point éloigné de Dieu, car il n’a point espéré recevoir ces biens des esprits malins, ni du diable. Je vous en ai déjà fait la réflexion, c’est la synagogue qui parle ici, ou ce peuple qui n’a point servi les idoles. J’ai donc ressemblé aux bêtes, en espérant de mon Dieu les biens terrestres ; mais je ne me suis jamais séparée de mon Dieu.
30. Dès lors qu’elle ne s’est point éloignée de Dieu, même en ressemblant à l’animal, elle ajoute : « Vous avez tenu la main de ma droite[155] ». Elle ne dit point Ma main droite, mais « la main de ma droite » ; si c’est la main de la droite, la main a donc une main. « Vous avez tenu la main de ma droite », afin de me conduire. Que nous marque cette main ? la puissance. Nous disons de quelqu’un qu’il tient dans sa main ce qu’il tient en son pouvoir. C’est ainsi que, en parlant de Job, le diable dit à Dieu : « Etendez votre main et ôtez-lui ce qu’il a[156] ». Que signifie : « Etendez votre main ? » Donnez-moi le pouvoir. La main de Dieu est donc la puissance de Dieu, selon qu’il est écrit ailleurs : « La mort et la vie sont dans les mains de la langue[157] ». La langue a-t-elle donc des mains ? Que signifie alors : « Dans les mains de la langue », sinon au pouvoir de la langue ? « C’est ta bouche qui te justifiera, et ta bouche qui te condamnera[158]. Vous avez tenu la main de ma droite », ou la puissance de ma droite. Quelle était ma droite ? « Je suis toujours avec vous ». Ma gauche était de ressembler au stupide animal, ou d’avoir en moi des convoitises terrestres, mais ma droite était d’être toujours avec vous. Vous avez donc tenu la main de cette droite, ou plutôt vous en avez dirigé la puissance. Quelle puissance ? « Il leur a donné la puissance de devenir les enfants de Dieu[159] ». Asaph commence d’être parmi les enfants de Dieu, et appartient au Nouveau Testament. Vois comment Dieu a tenu la main de sa droite. « Vous m’avez dirigé selon votre volonté ». Qu’est-ce à dire, « selon votre volonté ? » Non point selon mes mérites. Qu’est-ce encore, « selon votre volonté ? » Écoute l’Apôtre qui eut comme l’animal des désirs terrestres, et qui vécut selon l’Ancien Testament : que dit-il ? « Tout d’abord, je fus un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi ; mais j’ai obtenu miséricorde[160] ». Qu’est-ce encore, selon votre volonté ? « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis[161]. Et vous m’avez reçu u avec gloire ». Où m’avez-vous reçu ? et dans quelle gloire ? Qui nous l’expliquera ? qui nous le dira ? Attendons cet honneur, qui doit nous arriver à la résurrection, au dernier jour. « Et vous m’avez reçu avec gloire ».
31. Le voilà qui commence à méditer le bonheur du ciel, à se reprocher d’avoir ressemblé à l’animal par ses désirs terrestres. « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et sans vous, qu’ai-je désiré sur la terre[162] ? » Vous comprenez ces paroles, je l’entends à ce bruit. Asaph compare à ses désirs terrestres, cette récompense du ciel qu’il doit recevoir, il a vu ce que Dieu lui réserve ; alors il médite, et cette méditation l’enflamme d’un saint désir pour je ne sais quel bien ineffable que l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu, et qui n’est pas entré dans le cœur de l’homme[163]. Il ne dit pas : C’est tel ou tel bien que j’ai dans le ciel, mais : « Qu’y a-t-il au ciel pour moi ? » Qu’est-ce que je possède au ciel ? Qu’est-ce que ce bien ? Est-il grand ? de quelle nature ? Et comme ce bien du ciel ne doit point passer, « que puis-je désirer sur la terre, si ce n’est vous ? » Voilà que vous vous réservez à mon amour : (je m’explique, mes frères ; comme je le puis ; ayez de la condescendance pour moi, suppléez à mes efforts pour stimuler votre piété ; il m’est impossible de m’expliquer parfaitement.) Vous me réservez dans le ciel des biens impérissables, et c’est vous-même. Et moi, je vous ai demandé, sur la terre, des biens que possèdent les impies, des richesses, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des esclaves, que possèdent les méchants, qui sont le partage des criminels, le partage de tant de scélérats, le partage de tant de femmes débauchées, le partage de tant d’hommes souillés ; voilà ce qui me paraissait considérable, et ce que je demandais à Dieu sur la terre, tandis que mon Dieu lui-même se réserve à moi dans le ciel. « Au ciel, quel est mon bien ? » Ce bien, il peut maintenant le faire connaître. « Et que puis-je, après vous, désirer sur la terre ? »
32. « Mon cœur et ma chair ont défailli, ô Dieu de mon cœur[164] ». Voilà donc ce qui m’est réservé au ciel, « le Dieu de mon cœur, le Dieu qui est mon partage ». Eh quoi ! mes frères ? Cherchons les richesses d’ici-bas, que les hommes se choisissent un apanage. Voyez-les déchirés par toutes sortes de passions contraires ; les uns choisissent l’épée, les autres le barreau, ceux-ci les sciences diverses, ceux-là le négoce ou la culture des champs. Qu’ils se fassent une part dans les choses d’ici-bas ; mais que le peuple de Dieu s’écrie : « C’est Dieu qui est mon partage », non pas mon partage pour un temps, mais « mon partage pour l’éternité ». Quand j’aurai de l’or éternellement, qu’est-ce que cela ? Mais avoir Dieu, quand même ce ne serait pas éternellement, quel bien pour moi ! Ajoutez que c’est Dieu qui daigne se promettre à moi, et m’assurer que je le posséderai éternellement. Ineffable bien que je posséderai sans cesse ! Indicible félicité ! « C’est Dieu qui est mon partage ». Pour combien de temps ? « Pour l’éternité ». Voyons, en effet, comment notre interlocuteur a aimé Dieu ; il a châtié son cœur : « C’est le Dieu de mon cœur, c’est le Dieu qui est mon héritage pour l’éternité ». Son cœur est donc chaste, il aime Dieu gratuitement sans lui demander d’autre récompense. Demander à Dieu toute autre récompense que lui-même, et le servir dans ce dessein, c’est estimer ce que l’on demande plus que Dieu dont on l’attend. Mais quoi ! Dieu n’a-t-il donc nulle récompense à nous donner ? Aucune, si ce n’est lui-même. La récompense de Dieu, est Dieu même. Voilà pour le Prophète l’objet de son amour, de ses transports : tout autre amour ne Serait plus un amour chaste. Loin de ce feu immortel, c’est le froid, c’est la corruption. Ne t’en éloigne point, ô mon frère, tu aurais pour apanage la corruption, pour apanage la souillure. Asaph revient, il cède au repentir, il choisit la pénitence, il s’écrie : « Dieu est mon partage ». Quelles délices pour lui dans ce partage qu’il a choisi !
33. « Voilà qu’ils périront, ceux qui s’éloignent de vous[165] ». Celui-ci donc s’était « éloigné de Dieu, mais pas loin. « Je ressemble », dit-il, « au stupide animal, mais je suis toujours avec vous ». Les autres, au contraire, se sont retirés bien loin de Dieu ; car non seulement ils ont désiré les biens terrestres, mais ils les ont demandés aux mauvais anges et au diable. « Ceux qui s’éloignent de vous, périront ». Et qu’est-ce que s’éloigner de Dieu ? « Vous perdrez, Seigneur, quiconque porte son amour à d’autre qu’à vous ». L’amour chaste est opposé à cette fornication spirituelle. Qu’est-ce que l’amour chaste ? L’amour de l’âme pour Dieu son Époux. Mais que désire-t-elle de cet Époux qu’elle aime de toute sa flamme ? Va-t-elle, comme les femmes de la terre, se choisir un homme pour gendre ou pour Époux, et lui demander les richesses, comme si elle n’aimait que son or, ses campagnes, son argent, ses pierreries, ses chevaux, ses esclaves, et le reste ? Point du tout. Asaph n’aime que Dieu, il l’aime gratuitement parce qu’il trouve en lui toutes choses, et que c’est par lui que tout a été fait[166]. « Vous perdrez », dit-il, « tous ceux qui portent loin de vous leur amour ».
34. Mais toi, Prophète, que fais-tu ? « Pour moi, il m’est bon de m’attacher au Seigneur[167] ». C’est là le comble des biens, Désires-tu mieux ? Je te plains de ton désir. Mes frères, que voulez-vous de plus ? Le bien suprême est de nous attacher à Dieu, quand nous le verrons face à face[168]. Et quel est le bien aujourd’hui ? Aujourd’hui, que je parle en étranger, « mon bien est de m’attacher à Dieu » ; mais comme je ne suis que voyageur, comme je n’ai pas encore atteint le but, « je mets en Dieu mon espérance ». Tant que tu n’es pas encore attaché à Dieu, mets en lui ton espoir. Es-tu dans l’agitation ? Jette l’ancre sur la terre ferme. Adhère au Seigneur, sinon par la présence, du moins par l’espoir. « Mon bien est de mettre en Dieu mon espérance ». Et qu’arrivera-t-il, si tu mets en Dieu ton espoir ? Que devras-tu faire, sinon louer le Seigneur, et le faire bénir par les autres ? Si tu étais partisan d’un habile cocher, ne forcerais-tu pas les autres à l’aimer avec toi ? Tout partisan d’un cocher parle de lui partout sur son passage, il veut déterminer les autres à l’aimer aussi. On aime gratuitement des hommes flétris, et l’on ne veut pas aimer Dieu sans récompense ! Aimez donc le Seigneur gratuitement, et n’enviez cet amour à personne. Emparez-vous de lui, vous tous qui le pouvez, vous tous qui devez le posséder. Il peut vous suffire, car il ne connaît point de limites ; vous le posséderez tous tout entier, il est tout entier à chacun de vous. Que ce soit donc là ton occupation, ô mon frère, dans ton séjour ici-bas, mets ton espoir dans le Seigneur. Que dit ensuite le Prophète ? « Afin que je publie toutes vos louanges, sous les portiques de la fille de Sion ». « Afin que je publie toutes vos louanges », dit le Prophète, mais où ? « Sous les portiques de la fille de Sion » ; parce que l’on prêche Dieu inutilement, en dehors de l’Église. C’est peu de louer Dieu, c’est peu de publier toutes ses louanges. Il faut le prêcher « sous les portiques de la fille de Sion ». Cherche l’unité de l’Église, et ne jette point le schisme parmi les peuples, porte-les à l’unité, n’en fais qu’un seul corps. J’ai oublié depuis quel temps je vous parle. Notre psaume est fini ; la sueur me fait conjecturer que j’ai parlé bien longtemps : mais il m’est difficile de vous satisfaire ; vous me faites violence, et puissiez-vous par cette violence ravir le ciel !

DISCOURS SUR LE PSAUME 73[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LA FOI PASSE DES JUIFS AUX GENTILS.[modifier]

C’est la synagogue ou le peuple Juif qui parle dans ce psaume, lequel parait faire suite au précédent, car il s’agit de la disparition des figures de l’Ancien Testament, de la destruction de la ville et du temple, qui étaient des monuments de la promesse de Dieu. Aujourd’hui que l’homme céleste a paru, l’homme terrestre a dû disparaître. Dieu fit d’abord des promesses temporelles à l’homme encore enfant ; puis des promesses spirituelles à l’homme devenu adulte. Les premières ont dû disparaître avec l’Ancien Testament, pour faire place aux promesses du ciel. Pour s’être attachés aux premières, tes Juifs ont perdu et les biens temporels et les biens célestes. – Néanmoins la synagogue est l’héritage de Dieu, héritage délivré par Moïse dont la houlette figurait le Christ, et recruté parmi les Juifs et parmi les Gentils. En réprimant ces derniers, Dieu leur a fait connaître le Christ. Dès lors les figures devaient disparaître. Rome alors exécuta contre Jérusalem la volonté de Dieu sans la connaître, puis crut au Messie, que la synagogue attend toujours. Toutefois les Juifs sortis du sein de Dieu, et lépreux comme la main de Moïse, y rentreront après la conversion des Gentils, ils seront guéris par le serpent d’airain. Le Seigneur a donc affermi la mer ou converti les Gentils, et détruit la puissance du démon, qu’il a donné en pâture à ses adorateurs, comme Moïse fit boire à Israël la tête du veau d’or, réduite en poussière et jetée dans l’eau. Ces peuples sont incorporés au Christ, comme les serpents des magiciens de Pharaon furent absorbés par celui de Moïse. – C’est Dieu qui fait jaillir, et l’eau de la vie éternelle, et celle qui passe avec la rapidité du torrent, c’est-à-dire la doctrine pure, qui fait taire le démon et l’orgueilleux, qui a fait le jour ou la doctrine des parfaits, et la nuit ou celle des moins parfaits, l’homme spirituel et l’homme charnel. Toutefois le Prophète implore le pardon de son peuple coupable, qui n’a point adoré les faux dieux, qui a fait pénitence à la parole de Pierre, qui comprendra enfin le salut. Humilité du chrétien. – Nécessité de la foi aux promesses de Dieu.


1. Ce psaume a pour titre : « Intelligence « d’Asaph[169] ». Or, Asaph signifie, en latin, Assemblée, en grec, Synagogue. Voyons ce qui a été compris par cette synagogue, ou plutôt comprenons d’abord ce qu’était la synagogue, afin de comprendre ensuite ce qu’elle a compris. Toute réunion, en général, s’appelle synagogue ; or, on peut appliquer ce mot de réunion aux animaux comme aux hommes ; seulement ici, il n’est pas question d’animaux, puisqu’il est parlé d’intelligence. Écoute en effet ce qu’il est dit de l’homme qui étaie en honneur, et qui a négligé de le comprendre : « L’homme était en donneur, il ne l’a point compris, il s’est comparé aux anis maux sans raison, et leur est devenu semblable[170] ». Inutile dès lors de nous arrêter ici plus longtemps, et de démontrer avec plus de soin qu’il ne s’agit point d’une assemblée d’animaux, mais bien d’une réunion d’hommes ; alors cherchons de quels hommes il est question. Assurément, il ne s’agit point de ces hommes qui, ne comprenant point l’honneur de leur condition, se sont comparés aux stupides animaux et leur sont devenus semblables, mais bien de ceux qui l’ont compris. C’est ce que marque le titre qui dit : « Intelligence d’Asaph ». Nous allons donc entendre la voix d’une assemblée intelligente. Mais comme le nom de synagogue est tellement particulier à la réunion du peuple d’Israël, que toujours, en entendant synagogue, nous entendons le peuple juif, voyons si ce n’est point lui qui parle dans notre psaume. Mais alors quels juifs, et quel peuple d’Israël ? Ce n’est point la paille, mais le froment[171], non point les rameaux brisés, mais les rameaux affermis[172]. « Tous ceux qui sont nés d’Israël, ne sont point tous israélites, mais c’est Isaac qui sera appelé votre fils, c’est-à-dire, ce ne sont point les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu, mais bien les fils de la promesse, qui sont réputés de la race d’Abraham[173] ». Il y a donc de vrais enfants d’Israël, au nombre desquels se trouvait celui dont le Sauveur a dit : « Voilà un vrai israélite, sans déguisement[174] ». Toutefois ils ne sont pas israélites dans le même sens que nous, car nous sommes aussi de la race d’Abraham. Et l’Apôtre s’adressait à des Gentils quand il disait : « Vous êtes de la race d’Abraham, et les héritiers de la promesse[175] ». Nous sommes donc enfants d’Israël, quand nous suivons les traces d’Abraham notre père. Mais nous entendons ici ces Israélites, à la manière de l’Apôtre : « Pour moi ». dit-il, « je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin[176] ». Comprenons alors ceux dont les Prophètes ont dit : « Les restes d’Israël seront sauvés[177] ». Écoutons donc la voix de ces restes d’Israël échappés au naufrage ; cette voix de la Synagogue qui avait reçu l’Ancien Testament, et qui n’attendait que des récompenses temporelles, d’où lui venaient ses allures chancelantes. Que lisons-nous en effet dans un autre psaume, que le titre assigne à Asaph ? « Combien est bon le Dieu d’Israël pour ceux qui ont le cœur droit ! Quant à mes pieds, ils ont failli trébucher ». Et comme si nous lui demandions : Pourquoi vos pieds ont-ils failli trébucher ? « Mes pas se sont presque égarés », nous dit-il, « parce que j’ai porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent ». Il n’attendait du Seigneur qu’un bonheur temporel, selon les promesses de l’Ancien Testament, et il voit que les impies jouissent de ce bonheur, qu’ils ont, sans adorer Dieu, ce qu’il attend pour prix de ses services ; alors ses pieds chancellent comme s’il servait Dieu en vain. « Voilà », dit-il en effet, « que les pécheurs et ceux qui sont ici-bas dans l’abondance ont obtenu les richesses. Est-ce donc en vain que j’ai justifié mon cœur[178] ? » Voyez combien ses pieds sont ébranlés, pour que son âme en vienne jusqu’à dire Que me revient-il de servir le Seigneur ? Tel qui ne le sert point est heureux ; et moi qui le sers, je suis dans l’angoisse. Enfin, quand même je serais heureux, dès lors que celui qui ne sert point Dieu l’est aussi, comment ce, bonheur viendrait-il du culte que je rends à Dieu ? Or, le psaume que je viens de citer, précède immédiatement celui que nous expliquons.
2. Sans aucun dessein de notre part, mais bien par la Providence de Dieu, nous venons d’entendre fort à propos dans l’Évangile : « Que la loi fut donnée par Moïse, que la grâce et la vérité viennent de Jésus-Christ[179] ». Car si nous remarquons bien les différences entre les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, nous ne trouverons ni les mêmes sacrements, ni les mêmes promesses, quoique ce soient les mêmes préceptes. Car : « Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point ; honorez votre père et votre père ; vous ne direz point de faux témoignage ; vous ne désirerez point le bien du prochain ; vous ne désirerez point son Épouse non plus[180] » ; voilà ce qui nous est aussi ordonné. Quiconque néglige ces préceptes, s’écarte de la voie, et se rend indigne d’aller avec Dieu sur cette montagne sainte, dont le Prophète a dit : « Qui habitera, Seigneur, dans vos tabernacles, ou qui reposera sur votre sainte montagne[181] ? L’homme aux mains innocentes, et au cœur pur[182] ». En examinant ainsi les préceptes, nous les trouvons semblables, ou à peine différents dans l’Évangile, de ce qu’en ont dit les Prophètes. Ainsi donc, ce sont les mêmes préceptes, mais non les mêmes sacrements, ni les mêmes promesses. Voyons pourquoi ce sont les mêmes préceptes ; c’est qu’ils déterminent la manière dont nous devons servir Dieu. Les sacrements sont différents, car les uns donnent le salut, les autres promettent le Sauveur. Les sacrements de la Nouvelle Alliance donnent le salut, tandis que c’est le Sauveur qui est promis dans ceux de l’Ancienne Alliance ; mais dès lors que l’on possède le Sauveur promis, à quoi bon s’arrêter aux promesses ? Je dis que nous possédons ce qui était promis, non point que nous ayons déjà la vie éternelle, mais parce que le Christ prédit par les Prophètes est venu. Les sacrements sont changés, ils sont devenus plus faciles, moins nombreux, plus salutaires, plus heureux. Pourquoi les promesses ne sont-elles pas les mêmes ? C’est que la terre de Chanaan fut promise aux Juifs, terre grasse et fertile, où coulaient des ruisseaux de lait et de miel ; un royaume leur fut promis, la félicité du temps leur était promise, la fécondité dans la famille et la victoire sur leurs ennemis[183]. Tout cela n’est qu’un bonheur de la terre. Mais comment ces promesses étaient-elles d’abord nécessaires ? « C’est que ce n’est point le corps spirituel qui a été créé le premier », dit saint Paul, « mais bien le corps animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme, est l’homme terrestre, formé de la terre ; le second est l’homme céleste, venu du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme le second fut céleste, ses enfants sont célestes. De même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, il nous faut porter l’image de l’homme qui est du ciel[184] ». L’Ancien Testament fut fait à l’image de l’homme terrestre, et c’est à l’image de l’homme céleste qu’est fait le Nouveau Testament. Mais afin que l’on ne crût point que le Créateur de l’homme terrestre n’est pas celui qui a fait l’homme céleste, voilà quo Dieu, pour nous montrer qu’il a créé l’un et l’autre, a voulu être l’auteur des deux Testaments, et faire dans l’Ancien des promesses terrestres, et des promesses célestes dans le Nouveau. Mais jusques à quand, ô homme, seras-tu terrestre ? Jusques à quand auras-tu du goût pour la terre ? Parce que l’on donne à un enfant des jouets enfantins pour amuser son jeune esprit, faut-il, quand il grandit, ne pas les lui enlever des mains, afin de lui donner une occupation plus utile et plus digne de son âme ? Toi-même, n’as-tu pas donné à ton fils des noix quand il était enfant, et un livre quand il a grandi ? Si donc Dieu, par le Nouveau Testament, a secoué, des mains de ses fils, ces espèces de jouets d’enfants, afin de leur donner, à mesure qu’ils grandissent, quelque chose de plus utile, ce n’est pas une raison de croire qu’il n’a point donné les premiers biens, il est l’auteur des uns et des autres. « Mais la loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité par Jésus-Christ[185] » ; « la grâce », parce que c’est la charité qui accomplit ce que prescrivait la loi ; « la vérité », parce que Dieu nous rend ce qu’il a promis. Voilà ce qu’a compris cet Asaph. Enfin tous ces biens temporels promis aux Juifs sont retranchés. Où est maintenant leur royaume ? Où est le temple ? Où est l’onction ? Où est le sacerdoce ? Où sont chez eux les Prophètes ? Depuis l’avènement de celui que les Prophètes annonçaient, ils n’ont plus paru dans cette nation ; elle a perdu les biens de la terre, et n’a pas encore acquis ceux du ciel.
3. Il ne faut donc point nous attacher aux biens de la terre, quoiqu’ils nous viennent de Dieu. Mais parce que nous ne devons pas nous y attacher, ce n’est pas une raison pour croire que ce soit un autre que Dieu qui nous les donne ; c’est de lui qu’ils nous viennent mais ne regarde pas comme une grande faveur de sa part, des biens qu’il donne même au méchant. Car s’il les estimait, il ne les donnerait point aux impies. Si donc il veut en faire le partage des méchants, c’est pour apprendre aux bons à lui demander ce qu’il ne donne pas aux impies. Quant aux Israélites, ils s’attachèrent misérablement aux biens terrestres, sans mettre son espoir dans Celui qui a créé le ciel et la terre ; qui leur donna les biens terrestres, qui les délivra de la captivité temporelle de l’Égypte, qui leur ouvrit un passage à travers la mer Rouge, et engloutit leurs ennemis dans les flots[186] ; sans mettre alors leur confiance dans Celui qui devait leur donner les biens célestes à l’âge viril, comme il leur avait donné les biens terrestres dans leur enfance, ils ont craint de perdre ce qu’ils avaient reçu et ont mis à mort le donateur. Nous vous parlons ainsi, mes frères, hommes du Nouveau Testament, afin que vous ne vous attachiez point aux biens d’ici-bas. S’ils sont inexcusables dans leur attachement pour ces biens, eux qui ne connaissaient point encore la nouvelle Alliance ; combien moins pourront trouver d’excuses pour leurs convoitises terrestres, ceux qui connaissent les promesses spirituelles du Nouveau Testament ! Rappelons-nous, mes frères, cette parole des persécuteurs du Christ : « Si nous le laissons libre, les Romains viendront, et nous enlèveront et la ville et le royaume[187] ». Vous le voyez, ils ont craint de perdre des biens terrestres, et ont tué le Roi du ciel. Et que leur est-il arrivé ? Ils ont même perdu les biens temporels : ils ont subi la mort dans ce même lieu où ils avaient mis à mort le Christ : l’appréhension de perdre la terre leur fit tuer l’Auteur de la vie, et ils n’en perdirent pas moins et la vie et la Terre ; et cela au temps même qu’ils l’avaient tué, afin qu’une telle coïncidence leur indiquât la cause de ces désastres. Les Juifs en effet célébraient la Pâque, lorsque leur ville fut détruite, et toute la nation était accourue en foule pour célébrer cette solennité. Ce fut alors que Dieu, par la main des méchants, bien qu’il soit toujours bon, par la main des injustes, bien qu’il demeure juste et agisse avec justice, tira des Juifs cette éclatante vengeance, qui les fit périr par milliers et détruisit leur ville.
Tel est le désastre que voit Asaph, et qu’il pleure dans notre Psaume ; dans ses lamentations il nous apprend à discerner les biens de ta terre des biens du ciel, et l’Ancien Testament du Nouveau : afin que tu saches par où il te faut passer, ce qu’il te faut espérer, à quels biens tu dois renoncer ou t’attacher. Il commence donc ainsi.
4. « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin[188] ? » Nous avez-vous repoussés à jamais dans la personne de ce peuple Juif, dans la personne de celte assemblée qui est spécialement appelée Synagogue ? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés à jamais ? » Ce n’est point là une inculpation, c’est une question. « Pourquoi », quel motif vous a fait agir ainsi ? Qu’avez-vous fait ? « Vous nous avez rejetés jusqu’à la fin ». Qu’est-ce à dire, « à la fin ? » Peut-être jusqu’à la fin du monde. Ou bien nous auriez-vous rejetés jusqu’au Christ qui est la fin pour tous ceux qui croient[189] ? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin ? votre fureur s’est-elle enflammée contre les brebis de votre bercail ? » Pourquoi cette colère contre les brebis de votre troupeau, sinon parce que nous nous attachions aux biens terrestres, et que nous ne connaissions point notre pasteur ?
5. « Souvenez-vous de votre peuple, que vous avez possédé depuis le commencement[190] ». Cette prière viendrait-elle des Gentils ? Dieu les a-t-il possédés à l’origine ? Et toutefois il possédait la race d’Abraham, le peuple d’Israël, né selon la chair des Patriarches qui sont aussi nos pères, car nous sommes devenus leurs enfants, non plus en vivant selon la chair, mais en imitant leur foi. Mais qu’est-il arrivé à ce peuple qui fut tout d’abord l’héritage de Dieu ? « Souvenez-vous, Seigneur, de ce peuple que vous avez possédé depuis le commencement. Vous avez « racheté le sceptre de votre héritage[191] ». Ce peuple, qui est le vôtre, c’est « le sceptre de votre héritage que vous avez racheté ». Reportons-nous à ce que Dieu fit tout d’abord quand il voulut posséder en héritage ce peuple qu’il délivra de l’Égypte, quel signe donna-t-il à Moïse, alors que Moïse lui disait : « Quel signe leur donnerai-je, pour leur montrer que vous m’envoyez ? Et le Seigneur lui répondit : Que tiens-tu en ta main ? une houlette. Jette-la sur la terre. Et Moïse jeta sur la terre sa houlette qui devint un serpent, et Moïse eut peur et s’enfuit. Or, le Seigneur lui dit : Saisis-le par la queue, et il le saisit, et il redevint une houlette, comme auparavant ». Qu’est-ce que cela signifie ? Car ce ne fut point une action sans motif. Interrogeons les saintes Écritures. À quoi aboutit pour l’homme l’insinuation du serpent ? À la mort[192]. Donc la mort vient du serpent. Si la mort vient du serpent, dans le sceptre il faut voir le serpent, et dans le Christ la mort. De là vient que quand les Juifs mouraient au désert par la morsure des serpents, Dieu donna ordre à Moïse d’élever un serpent d’airain, et d’avertir le peuple que tout homme blessé par le serpent, qui le regarderait, serait guéri[193]. Ce qui arrivait ; et les hommes mordus par les serpents étaient guéris de cette blessure venimeuse, en regardant le serpent d’airain. Que signifiait cette merveille, être guéri d’un serpent par la vue d’un serpent ? Être sauvé de la mort par la foi en un mort ? Et toutefois « Moïse eut peur et s’enfuit[194] ». Que signifie cette fuite de Moïse, à la vue du serpent ? Quoi, mes frères, sinon ce que nous raconte l’Évangile ? À la mort du Christ, les disciples furent saisis de crainte, et oublièrent l’espérance qu’ils avaient eue en lui[195]. Mais qu’est-il dit ensuite ? « Prends-le par la queue[196] » Qu’est-ce à dire, u la « queue ? » Saisis la partie postérieure. C’est dans le même sens qu’il dit encore : « Tu me verras par-derrière[197] ». D’abord le sceptre de Moïse devint un serpent, et quand il en saisit la queue, ce fut un sceptre ; comme le Christ mourut d’abord, pour ressusciter ensuite. La queue du serpent est aussi la fin des siècles. Aujourd’hui l’Église marche à travers la mort. Les uns vont, les autres viennent par la mort comme par le serpent ; puisque c’est lui qui a semé la mort ; mais à la fin des siècles, que figure la queue du serpent, nous retournons à Dieu, nous devenons le royaume stable de Dieu, et alors s’accomplit en nous cette parole : « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Mais l’interlocuteur est ici la Synagogue ; et c’est plutôt parmi les Gentils que paraît racheté le sceptre de l’héritage du Seigneur ; car il n’y avait dans les Juifs qu’une espérance cachée, soit dans ceux qui devaient croire dans l’avenir, soit dans ceux qui crurent alors, à la descente du Saint-Esprit, quand les disciples parlèrent toutes les langues des peuples[198]. Alors en effet quelques milliers de Juifs, qui avaient crucifié le Christ, embrassèrent la foi : il s’en trouva même qui eurent assez de foi pour vendre leurs biens et en apporter le prix aux Apôtres[199]. Tout cela néanmoins se passait dans l’obscurité, tandis que c’était avec plus d’éclat que le sceptre de l’héritage de Dieu devait être racheté parmi les Gentils ; le Prophète alors nous montre ceux dont il a dit : « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Il ne parle pas ainsi des Gentils, cela est visible chez eux. De qui dès lors ? « De la montagne de Sion ». Et comme on pouvait donner un autre sens à la montagne de Sion, le Prophète ajoute : « Cette montagne sur laquelle vous avez demeuré », qu’habitait jadis votre peuple, sur laquelle fut construit le temple, où l’on célébra les sacrifices, et ces rites nécessaires alors qui promettaient le Christ. Promesses devenues inutiles en face de l’accomplissement. La promesse est nécessaire en effet avant qu’elle soit accomplie, afin que celui à qui elle est faite n’oublie point ce qui lui est promis, et ne meure par défaut d’espérance. Il doit donc espérer, afin de recevoir au temps marqué : dès lors il ne doit point abandonner la promesse. Aussi n’abandonnait-on point les figures, afin que les ombres ne disparussent qu’à l’aube du jour. « Cette montagne de Sion, sur laquelle vous avez demeuré ».
6. « Jusqu’à la fin, élevez votre main contre leur orgueil[200] ». De même que vous nous rejetiez jusqu’à la fin, de même « jusqu’à la fin élevez votre main contre leur orgueil ». L’orgueil de qui ? De ceux qui ont renversé Jérusalem. Quels sont-ils, sinon les rois des Gentils ? La main du Seigneur s’est levée heureusement contre leur orgueil, jusqu’à la fin, car ils ont connu le Christ, et « le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront[201] ». Heureux souhait du Prophète ! Il semble parler avec colère, on dirait qu’il maudit. Plût à Dieu que ses malédictions s’accomplissent, ou plutôt réjouissons-nous de ce qu’elles s’accomplissent au nom de Jésus-Christ. Tous ceux qui tiennent le sceptre s’inclinent devant la croix ; ainsi s’accomplit cette parole : « Les rois de la terre l’adoreront, toutes les nations lui seront assujetties[202] ». Déjà sur le front des rois, le signe de la croix est plus précieux que les perles de leur diadème. « Jusqu’à la fin, élevez votre « main contre leur orgueil. Que de ravages a « faits l’ennemi dans votre sanctuaire ! » Avec quelle fureur l’ennemi a sévi contre tout ce qui vous était consacré, contre le temple, contre le sacerdoce, contre tout ce qui était alors sacré ! Ces excès sont bien l’œuvre d’un ennemi. Car les Gentils, qui les commettaient alors, adoraient de faux dieux, de vaines idoles, et servaient les démons ; et, toutefois, ils ont causé de grands ravages dans la maison de Dieu. Comment l’auraient-ils pu, si Dieu ne l’eût permis ? Or, comment Dieu l’eût-il permis, si ces rites figuratifs ne fussent devenus inutiles, par l’avènement de Celui qui avait fait ces promesses ? « Que de ravages a donc faits l’ennemi dans votre sanctuaire ! »
7. « Tous ceux qui vous haïssent ont signalé leur orgueil[203] » Vois ces esclaves des démons, ces idolâtres, comme l’étaient les Gentils quand ils détruisirent la ville et le temple de Dieu. « Ils signalèrent leur orgueil, au milieu de vos solennités ». Rappelez-vous ce que nous avons dit, que Jérusalem fut renversée pendant cette solennité de Pâques, choisie par les Juifs pour crucifier le Seigneur. Assemblés ils sévirent, assemblés ils périrent.
8. « Quant à leurs signes, ils les ont placés « comme des signes, et n’ont point compris[204] ». Ils avaient des signes à planter là : leurs étendards, leurs aigles, leurs dragons, étendards de Rome, leurs statues mêmes qu’ils placèrent d’abord dans le temple ; ou peut-être « leurs signes », seraient les oracles de leurs devins, inspirés par les démons. « Et ils n’ont point compris ». Qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris ? « Que vous n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous avait été donné d’en haut[205] ». Ils n’ont pas compris que ce n’était point pour les élever en gloire que Dieu leur permettait d’affliger, de prendre et de détruire cette ville, mais que leur impiété servait à Dieu comme une hache dans sa vengeance. Ils sont devenus l’instrument de sa colère, et non les ministres de sa bonté. Car Dieu fait quelquefois ce que font souvent les hommes. Souvent dans sa colère, un homme ramasse la première baguette qu’il trouve à terre, le premier sarment venu, et après qu’il en a châtié son fils, il jette le sarment au feu, et réserve son héritage pour son fils : ainsi Dieu se sert des méchants pour châtier les bons, et donne ici-bas le pouvoir à ceux qui seront damnés pour exercer la patience de ceux qui seront sauvés. Eh quoi, mes frères ? pourriez-vous croire que ce peuple ait été châtié, jusqu’à périr entièrement ? Combien d’entre eux ont ensuite embrassé la foi, et combien doivent l’embrasser encore ? Autre est la paille, autre le froment ; tous deux, néanmoins, subissent le fléau qui brise l’une et purge l’autre. Quel avantage pour nous Dieu n’a-t-il pas tiré de la trahison de Judas ? Quel bonheur n’a pas procuré aux Gentils infidèles la fureur des Juifs ? Le Christ a été mis à mort, afin que cloué à la croix, il pût être regardé par tout homme blessé par le serpent[206]. C’est ainsi que, peut-être, les Romains avaient appris de leurs devins, qu’ils devaient marcher contre Jérusalem, et la prendre ; et quand ils l’eurent prise et détruite, ils dirent que c’était l’ouvrage de leurs dieux. « Quant à leurs signes, ils les ont placés s comme des signes, et n’ont point compris ». Que n’ont-ils pas compris ? « Que cela venait d’en haut ». Car si le décret n’en était venu d’en haut, jamais la fureur des Gentils n’eût eu contre le peuple juif de tels succès. Mais le décret est venu d’en haut, ainsi que l’a dit le prophète Daniel : « La parole est sortie dès le commencement de ta prière[207] ». Voilà ce que signifie la réponse du Sauveur à Pilate, qui s’enflait dans son orgueil, qui plaçait son trophée comme un trophée, sans le comprendre, et qui disait au Christ : « Vous ne me répondez point ? Vous ne savez donc point que j’ai le pouvoir de vous faire mourir, et le pouvoir de vous renvoyer absous ? » Mais le Sauveur, comme pour crever cette bulle de vanité, lui répond : « Vous n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous était venu d’en haut[208] ». Ainsi, dans notre psaume, les Gentils placent « leurs étendards comme des signes, sans comprendre » Comment n’ont-ils pas compris ? « Que c’est un pouvoir d’en haut ». Les Romains, en effet, pouvaient-ils comprendre que c’était d’en haut que leur venait le pouvoir d’accomplir ces choses ?
9. Passons rapidement sur ces versets, puisque que la ruine de Jérusalem leur donne de l’évidence, et qu’il est pénible de s’appesantir sur une plaie, fût-elle d’un ennemi. « Ils ont uni leurs efforts pour abattre nos portes, comme on abat les arbres d’une forêt ; ils ont ruiné l’édifice avec la scie et le marteau[209] ». Ils y ont mis l’unanimité, la constance : « ils ont employé la scie et le marteau pour ruiner l’édifice ».
10. « Ils ont incendié votre sanctuaire, et profané sur la terre le tabernacle de votre nom[210] ».
11. « Ils ont dit dans leur cœur, et comme réunis en famille ». Qu’ont-ils dit ? « Venez, faisons disparaître de la terre du Seigneur toutes les solennités du Seigneur[211] ». C’est Asaph qui donne ici ce titre de Seigneur, car les forcenés n’appelaient pas ainsi celui dont ils détruisaient le temple. « Venez, faisons disparaître de la terre les solennités du Seigneur ». Que fait Asaph ? Où est « l’intelligence d’Asaph » dans tous ces malheurs ? De quoi lui sert ce châtiment même qu’il a reçu ? Son esprit dépravé ne se corrige-t-il point ? Tout ce qui était debout jadis est maintenant détruit : plus de sacerdoce, plus d’autel des Juifs, plus de victimes et plus de temple. N’a-t-il donc plus à connaître rien qui doive succéder à ces ruines ? et ce signe des promesses devrait-il disparaître, si l’objet des promesses n’était venu ? Voyons donc ici l’intelligence d’Asaph, voyons s’il a fait des progrès à l’école du malheur. Écoute ce qu’il dit : « Nous n’avons point vu nos prodiges, tout prophète a disparu, et Dieu ne nous connaît plus[212] ». Voilà ces Juifs qui accusent Dieu de ne les plus connaître, c’est-à-dire de les abandonner jusqu’alors dans la captivité, de ne point les délivrer, et qui attendent le Christ jusqu’à présent. Le Christ viendra sans doute, mais il viendra comme juge ; il est venu d’abord nous appeler, il viendra ensuite nous juger. Il viendra, puisqu’il est venu ; il viendra, cela est évident, mais il viendra d’en haut. Il était devant toi, ô Israël ! Tu t’es meurtri, en te heurtant contre lui : pour n’être point écrasé, regarde-le venir d’en haut. Voilà ce qu’ont annoncé les Prophètes : « Quiconque heurtera contre cette pierre sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera[213] ». Petite elle meurtrit, grande elle écrasera. Déjà tu ne comprends plus tes signes, il n’y a déjà plus de prophète, et tu dis : « Le Seigneur ne nous connaît plus ». C’est toi qui ne le connais plus. « Il n’y a plus de prophète, et Dieu ne vous connaît plus ».
12. « Jusques à quand, ô Dieu, notre ennemi nous insultera-t-il[214] ? » Plains-toi, Asaph, comme un homme abandonné de Dieu, un homme que l’on méprise ; plains-toi comme un malade, ô toi, qui as mieux aimé tuer le médecin que lui demander ta guérison : il ne te connaît plus. Voilà ce qu’il a fait pour toi, et dis qu’il ne te connaît plus. Ceux à qui il n’a pas été annoncé le verront, et ceux qui n’ont pas ouï parler de lui le connaîtront[215] ; et tu viens nous dire : « Il n’est plus de prophète, et il ne nous connaît plus ? » Où est donc ton intelligence ? « L’ennemi méprise votre nom jusqu’à la fin ». Or, cet ennemi méprise votre nom jusqu’à la fin, pour que dans votre colère vous le réprimiez, et qu’en le châtiant vous le connaissiez enfin, ou du moins jusqu’à la fin. Jusqu’à quelle fin ? Jusqu’à ce qu’il vous connaisse lui-même, jusqu’à ce qu’il pousse des cris vers vous, et qu’il saisisse enfin la queue du serpent, pour retourner dans votre royaume.
13. « Pourquoi détourner votre main, et retirer de votre sein votre main droite pour toujours[216] ? » Un autre signe donné à Moïse. Sa houlette fut un signe, comme sa main droite fut aussi un signe. Après le signe de la houlette, Dieu lui en donna un autre dans sa main droite. Donc le signe de la houlette fut suivi d’un autre signe : « Mettez », dit le Seigneur, « votre droite dans votre sein. Et Moïse l’y mit. Retirez-la ; et il la retira, et voilà qu’elle était blanche », c’est-à-dire lépreuse. Car cette blancheur dans la peau n’est pas une blancheur de beauté, mais une blancheur de lèpre[217]. Or, l’héritage du Seigneur, ou son peuple, fut jeté dehors par le Seigneur et devint lépreux. Mais que dit ensuite le Seigneur ? « Remettez votre main dans votre sein, et Moïse l’y remit, et sa main avait sa couleur naturelle[218] ». Quand sera-ce, dit Asaph, que vous agirez ainsi ? Jusques à quand éloignerez-vous votre main de votre sein, afin qu’elle demeure impure au-dehors ? Remettez-la dans votre sein, afin qu’elle reprenne sa couleur naturelle, et connaisse son Sauveur. « Pourquoi jusqu’à la fin détourner votre main droite du milieu de votre sein ? » C’est là le cri d’un aveugle, d’un peuple sans intelligence, mais Dieu fait son œuvre. Pourquoi le Christ est-il venu ? « Israël », dit l’Apôtre, « est tombé dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations fût entrée, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé[219] ». Reconnais donc, ô Asaph, ceux qui t’ont précédé, afin de les suivre au moins, si tu n’as pu les devancer. Car ce n’est pas en vain que le Christ est venu, ou qu’il a été mis à mort ; ce n’est pas en vain que le grain de froment a été mis en terre, mais bien pour multiplier[220]. Le serpent ne fut élevé au désert que pour guérir ceux que le venin avait blessés[221]. Pèse donc ce qui a été fait ; ne t’imagine pas que le Christ est venu en vain, de peur qu’il ne te condamne à son second avènement.
14. Asaph l’a compris, puisque le titre porte : « Intelligence d’Asaph ». Or, que dit-il ? « Le Seigneur, notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre[222] ». D’une part nous disons : « Il n’y a plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus » ; d’autre part : « Notre Dieu est notre roi avant tous les siècles » ; car il est le Verbe qui était au commencement, et par qui les siècles ont été faits : « Il a donc opéré le salut au milieu de la terre. Il est notre Dieu, notre roi avant tous les siècles ». Qu’a-t-il fait ? « Il a opéré le salut au milieu de la terre » : et je me plains encore comme un homme abandonné. Voilà que Dieu produit le salut sur la terre, et moi je demeure terre. Asaph a bien compris : « Intelligence d’Asaph ». Qu’est-ce que fout, cela ? Quel est le salut qu’a opéré le Christ sur la terre, sinon d’apprendre aux hommes à désirer les biens éternels, et à ne point demeurer attachés à ceux de la terre ? « Le Seigneur, notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre ». Pendant que nous crions : « Jusques à quand, Seigneur, serons-nous en butte aux outrages de nos ennemis ? Jusques à quand cet ennemi insultera-t-il à votre nom ? Jusques à quand éloignerez-vous de votre sein votre main droite[223] ? » Pendant que nous parlons ainsi : « Dieu, notre roi avant les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre » : et nous demeurons endormis. Déjà les nations s’éveillent, et nous dormons profondément, et comme si Dieu nous avait abandonnés, nous nous repaissons de rêveries. « Il a opéré le salut au milieu de la « terre ».
15. Corrige-toi donc, ô Asaph, afin de comprendre, et dis-nous quel est ce salut que Dieu a opéré au milieu de la terre. Voilà que pour vous est détruit le salut du temps : qu’a fait le Seigneur ? Où sont ses promesses ? « Dans votre puissance vous avez affermi la mer ». Le peuple juif était comme une terre sèche, et les Gentils, comme une mer d’amertume, l’environnaient de toutes parts « Vous avez affermi la mer dans votre puissance », elle est devenue comme une terre sèche, altérée des eaux du ciel. « Dans votre puissance, vous avez affermi la mer, et brisé sous les flots les têtes des dragons[224] ». Ces têtes des dragons, sont la puissance orgueilleuse de Satan, qui dominait sur les nations, et que vous avez brisée dans les eaux, Seigneur, en délivrant par le baptême ces malheureux esclaves.
16. Qu’a fait le Seigneur, après avoir brisé les têtes des dragons ? Ils ont en effet un prince, qui est le premier et le grand dragon. Et qu’en a fait Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre ? Écoutez : « Vous avez u écrasé la tête du dragon[225] ». De quel dragon ? Par les dragons nous avons entendu tous les démons qui sont aux ordres du diable. Que faut-il entendre par cet autre dragon dont le psaume parle au singulier, et dont le Seigneur a brisé la tête, sinon le diable lui-même ? Qu’en a fait le Seigneur ? « Vous avez écrasé la tête du dragon » ; tête qui est la source du péché, tête qui fut maudite, pour inviter la race d’Eve à prendre garde à cette tête du serpent[226]. Dieu donc avertit l’Église de fuir le commencement du péché. Quel est ce commencement du péché, ou la tête du dragon ? « Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil[227] ». Donc, briser la tête du dragon, c’était briser l’orgueil du diable. Mais qu’a fait de cette tête brisée, Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre ? « Vous l’avez donnée en pâture aux peuples de l’Ethiopie ». Qu’est-ce à dire ? Que devons-nous entendre par les peuples de l’Ethiopie, sinon toutes les nations de la terre ? Voilà ce que désigne la couleur de l’Ethiopien, qui est noir. Ceux qui étaient noircis par le péché, sont appelés à la foi, ces peuples dont il est dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes lumière dans le Seigneur[228] ». Ils sont donc noirs, quand Dieu les appelle, mais afin qu’ils ne demeurent point noirs. C’est d’eux qu’est formée l’Église, à qui l’on chante : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur[229][230] ? » Et sa noirceur ne lui fait-elle pas dire : « Je suis noire, mais je suis belle[231] » Mais comment l’Ethiopien s’est-il nourri du dragon ? Ne s’est-il pas nourri plutôt de Jésus-Christ ? Mais de Jésus-Christ pour se consommer en lui, du dragon pour le consumer en eux. Nous avons en effet à ce sujet la figure d’un grand mystère ; cette figure, c’est le veau d’or qu’adora un peuple infidèle et apostat, qui recherchait les dieux de l’Égypte et répudiait celui qui l’avait délivré de l’esclavage des Égyptiens. Moïse, en effet, dans sa colère à la vue de ce peuple qui se prosternait devant une idole, et enflammé du zèle de Dieu, voulut infliger à ces idolâtres un châtiment temporel, qui leur fit éviter une mort sans fin. Il jeta dans le feu la tête du veau, la brisa, la réduisit en poudre, et la jeta dans l’eau pour la faire boire au peuple[232]. C’était là un grand symbole. O colère vraiment prophétique dans une âme toujours tranquille, éclairée d’en haut ! Que fait Moïse ? Jetez, lui fut-il dit, cette tête au feu, pour la rendre méconnaissable, faites-en une poudre, afin de la réduire peu à peu ; jetez cette poudre dans l’eau, et faites-la boire au peuple. Que nous dit cette figure, sinon que les adorateurs du diable ne sont qu’un même corps avec lui ? De même ceux qui connaissent le Christ, sont incorporés au Christ, selon cette parole de saint Paul : « Vous êtes le corps et les membres du Christ[233] ». Or, il fallait consumer le corps du diable, et le consumer par les Israélites. C’est de ce peuple en effet que viennent les Apôtres, de lui que vient l’Église, Mais il fut dit à Pierre, à propos des Gentils : « Tue, et mange[234] ». Qu’est-ce à dire : « Tue et mange ? » Tue ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es. Ici, « tue et mange » ; là, brise et bois : ici et là, c’est néanmoins la même figure ; il fallait, en effet, oui certes, il fallait qu’un corps qui était au diable passât par la foi dans le corps du Christ. Ainsi le diable est consumé peu à peu en perdant ses membres. Voilà ce que figurait encore le serpent de Moïse. Car les mages de Pharaon changeront comme Moïse leurs verges en serpents, mais le serpent de Moïse dévorera toutes ces verges des mages[235]1. Voilà ce qui arrive maintenant au corps du démon ; il est dévoré par les Gentils qui embrassent la foi, il est donné en pâture aux peuples de l’Ethiopie. Dire qu’« il est donné en pâture aux peuples de l’Ethiopie », peut signifier encore qu’il est en proie à leurs morsures. À quelles morsures ? À leurs accusations, à leurs malédictions, à leurs représailles, dans le sens de cette prohibition de saint Paul : « Si vous vous déchirez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous consumer réciproquement[236] ». Qu’est-ce à dire, « vous déchirer, vous dévorer mutuellement ? » Disputer ensemble, médire l’un de l’autre, vous injurier réciproquement. Voyez ces morsures qui détruisent le diable aujourd’hui. Quel homme aujourd’hui, même chez les païens, dans sa colère contre son serviteur, ne le traite pas de Satan ? Voilà donc le diable donné en pâture. Tel est le langage des chrétiens, le langage même des païens, qui le maudissent fous en l’adorant.
17. Voyons la suite, mes frères, et redoublez d’attention, je vous en supplie ; on est heureux d’entendre ce que l’on voit s’accomplir dans le monde entier. Il n’en était pas ainsi quand le Prophète l’annonçait : c’était alors la promesse, mais non l’accomplissement ; quel bonheur aujourd’hui pour nous, de voir se vérifier dans le monde entier les prophéties que nous lisons dans ce livre ! Voyons ce qu’a fait Celui que comprend Asaph, et qui « a opéré le salut au milieu de la terre ». « Vous avez fait jaillir des fontaines et des torrents[237] » ; qui ont fait couler l’eau de la sagesse, répandu les richesses de la foi, arrosé les Gentils dans l’erreur, et par leur influence, ramené tous les infidèles aux douceurs de la foi. « Vous avez fait jaillir les fontaines et les « torrents ». Peut-être y a-t-il ici un sens différent ; peut-être un sens unique, et alors telle serait l’abondance des fontaines, qu’elles auraient formé des fleuves. « C’est vous qui avez fait jaillir les fontaines et les torrents ». S’il y a une différence, c’est que chez les uns « la parole de Dieu est une source d’eau qui jaillit jusqu’à la vie éternelle[238] », tandis que chez d’autres, cette parole qu’ils entendent, que leur langue publie, mais qui ne leur sert pas à mieux vivre, passe comme un torrent. Car les torrents ont cela de particulier qu’ils ne coulent pas toujours : quelquefois, néanmoins, on donne aux fleuves ce nom de torrents ; c’est ainsi qu’il est dit : « Ils seront enivrés par l’abondance de vos demeures, et vous les abreuverez au torrent de vos joies saintes[239] ». Or, ce torrent ne doit jamais tarir. Mais on appelle torrents proprement dits, ces cours d’eau, qui se dessèchent en été, et que grossissent les eaux de l’hiver. Voici donc un homme véritablement fidèle, qui doit persévérer jusqu’à la fin, qui n’abandonnera point Dieu au moment de l’épreuve, qui souffre tout pour.la vérité, et non pour la fausseté ou l’erreur. Or, d’où lui vient cette vigueur, sinon de ce que le Verbe est devenu en lui u une source d’eau vive, qui jaillit « jusqu’à la vie éternelle ? » Tel autre reçoit cette parole ; il la prêche et ne se tait point, c’est une eau qui coule ; l’été nous montrera si c’est une source ou un torrent. Toutefois qu’ils arrosent l’un et l’autre la terre, de la part de Celui « qui a opéré le salut sur toute la terre » : que les fontaines jaillissent, que les torrents s ’écoulent. « C’est vous qui avez fait jaillir les fontaines et les torrents ».
18. « C’est vous qui avez desséché les fleuves d’Etham ». Ici Dieu fait jaillir les fontaines et les fleuves ; là il dessèche les fleuves, afin que d’une part les eaux se précipitent, et que d’autre part elles s’arrêtent. « Les fleuves d’Etham », dit le Prophète. Qu’est-ce que Etham ? Un nom hébreu. Quel en est le sens ? Fort, robuste. Quel est ce fort, ce robuste dont Dieu dessèche les fleuves ? qui, sinon le dragon lui-même ? « Nul en effet n’entre dans la maison du fort, pour en enlever les dépouilles, avant d’avoir lié le fort[240] ». C’est là le fort qui a présumé de son pouvoir, pour abandonner Dieu ; ce fort qui a dit : « J’établirai mon trône du côté de l’Aquilon, je serai semblable au Très-Haut[241] ». Il a présenté à l’homme cette coupe d’une force trompeuse. Ils voulurent être forts, nos pères qui croyaient devenir des dieux en touchant au fruit défendu. Adam était devenu fort, quand Dieu disait avec ironie : « Voilà qu’Adam est devenu comme l’un de nous[242]. » Ils étaient forts ces Juifs qui présumaient de leur propre justice. « Sans connaître la justice de Dieu, et dans leur désir d’établir leur propre justice, les voilà comme des forts, rebelles à la justice de Dieu[243] ». Voyez au contraire cet homme qui a dissipé sa force, et qui demeure faible, pauvre, se tenant debout et éloigné, sans oser lever les yeux au ciel, mais qui frappe sa poitrine, et qui dit : « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur[244] ». Il est faible, et a conscience de sa faiblesse, ce n’est point un fort : c’est une terre sèche ; qu’elle reçoive l’eau des fontaines et des torrents. Quiconque présume de sa vertu est encore dans sa force. Que leurs fleuves soient desséchés, qu’elles tarissent toutes ces doctrines des païens, des aruspices, des astrologues, des magiciens, puisque Dieu a desséché les eaux du fort : « C’est vous qui avez tari les fleuves d’Etham ». Mort à ces doctrines, et que les âmes soient trempées de l’Évangile de vérité !
19. « A vous le jour, et à vous la nuit[245] ». Qui peut l’ignorer, puisque Dieu en est l’auteur, et que tout a été fait par son Verbe[246] ? C’est donc à Celui qui « a opéré le salut au milieu de la terre », qu’il est dit : « A vous le jour, et à vous la nuit ». Il nous faut donc comprendre ce qui regarde ici ce salut qu’il a opéré au milieu de la terre. « A vous le jour ». Qui est ici désigné ? Les hommes spirituels. « Et à vous la nuit ». Et ceux-là ? Les hommes charnels. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Que l’homme spirituel tienne à l’homme spirituel un langage spirituel ; car il est dit : « Nous tenons aux parfaits le langage de la sagesse, en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels[247] ». Mais cette sagesse est au-dessus de l’homme charnel : « Car », dit le même Apôtre, « je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels[248] ». Donc l’homme spirituel, s’adressant à l’homme spirituel, c’est « le jour qui parle au jour ». Mais l’homme charnel qui ne tait point sa foi en Jésus crucifié, telle que peuvent l’avoir les petits, c’est « la nuit qui donne la science à la nuit[249]. À vous le jour, et à vous la nuit ». À vous appartiennent et les hommes spirituels et les hommes charnels ; vous éclairez les uns au flambeau de la sagesse et de l’invariable vérité, vous consolez les autres par la manifestation de votre humanité, comme la lune qui vient consoler la nuit. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Veux-tu connaître le jour ? Vois, si tu le peux, élève ton esprit autant que tu en es capable. Voyons si tu appartiens au jour, voyons si tu en pourras soutenir la vue. Peux-tu contempler ce que tu viens d’entendre dans l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et, le Verbe était Dieu[250] ? » Car ta pensée ne peut embrasser d’autres paroles que celles qui passent à mesure qu’elles résonnent. Peux-tu comprendre le Verbe, non plus un son, mais Dieu ? Ne comprends-tu pas ce qui est dit ici : « Que le Verbe était Dieu ? » Te voilà donc méditant de telles paroles. « Tout a été fait par lui », et il a même fait ceux qui parlent de la sorte. Qu’est-ce donc que ce Verbe ? Le comprends-tu, homme charnel ? Réponds-moi, comprends-tu ? Non, tu ne comprends point, tu appartiens à la nuit : tu as besoin de la lune pour ne point mourir dans les ténèbres. « Car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc pour percer dans l’obscurité de la lune ceux qui ont le cœur droit[251] ». La chair du Christ fut obscurcie, quand on la descendit de la croix, pour la placer dans le tombeau : et ceux qui l’avaient mis à mort, lui insultait ; il n’était pas ressuscité encore, les disciples au cœur droit étaient percés de flèches, mais seulement dans l’obscurcissement de la lune. Donc, afin que le jour parle au jour, et que la nuit enseigne à la nuit, puisque « le jour est à vous, comme la nuit est à vous » ; daignez descendre, ô mon Dieu, et en même temps demeurer en votre Père ; descendez et venez à ceux pour qui vous descendez. Daignez descendre, ô vous qui étiez en ce monde, vous, par qui le monde a été fait, vous que le monde n’a point connu. Que la nuit ait sa consolation ; qu’elle ait « le Verbe qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous[252]. « A vous le jour, et à vous la nuit. C’est vous qui avez fait le soleil et la lune » : le soleil ou les hommes spirituels, la lune ou les hommes charnels. Que l’homme encore charnel ne soit point abandonné, mais conduit à la perfection. « Vous avez fait le soleil et la lune » : le soleil, image des parfaits ; la lune, image des moins parfaits, et vous ne les avez point abandonnés. Car voici ce qui est écrit : « Le sage demeure comme le soleil, l’insensé change comme la lune[253] ». Quoi donc ! parce que le soleil demeure, c’est-à-dire parce que « le sage demeure toujours égal comme le soleil, et que l’insensé change comme la lune », faut-il abandonner pour cela celui qui est encore charnel, encore faible ? Que devient alors cette parole de l’Apôtre : « Je suis redevable aux sages et aux insensés[254] ? C’est vous qui avez fait le soleil et la lune ».
20. « C’est vous qui avez fixé les bornes de la terre[255] ». Ne les a-t-il pas fixées tout d’abord, quand il a fondé la terre ? Mais comment a-t-il mis des bornes à la terre. « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre ? » Comment, sinon, comme le dit l’Apôtre « C’est par la grâce que nous sommes sauvés, et cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu, qui ne vient pas de nos œuvres, afin que nul ne s’élève ? » Nos œuvres n’étaient donc pas bonnes ? Elles étaient bonnes, mais comment ? Par la grâce de Dieu. Suivons saint Paul, et voyons. « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres[256] ». C’est ainsi qu’il a posé des bornes à la terre, « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre. C’est vous qui avez posé des limites à la terre, qui avez fait l’été et le printemps ». L’été ou ceux dont l’âme est fervente. C’est vous, dis-je, qui avez fait les âmes ferventes ; vous encore, qui avez fait le printemps, ou les nouveaux dans la foi. « L’été comme le printemps, vous les avez faits ». Qu’ils ne se glorifient point, comme s’ils n’avaient rien reçu : « C’est vous qui les avez faits ».
21. « Souvenez-vous de cette créature qui est la vôtre ». Quelle est cette créature ? « L’ennemi a insulté au Seigneur[257] ». Pleure, ô Asaph, qui le comprends, pleure ton aveuglement du passé : « L’ennemi a insulté au Seigneur ». On a dit au Christ, dans sa propre nation : « Celui-là est un pécheur, nous ne savons d’où il vient : nous connaissons Moïse, Dieu lui a parlé, celui-là est un samaritain[258]. L’ennemi a donc insulté au Seigneur : un peuple insensé a irrité votre nom ». Asaph n’était alors qu’un peuple insensé, mais Asaph n’avait point encore d’intelligence. Qu’est-il dit au psaume précédent ? « J’ai été pour vous comme le stupide animal ; mais j’étais toujours avec vous » ; car il n’a point couru après les dieux et les idoles des nations. Comme homme du moins il a connu le Seigneur, qu’il avait méconnu comme animal. Car il a dit : « Je suis toujours avec vous, nonobstant ma stupidité ». Mais que disons-nous encore dans ce même psaume d’Asaph ? « Vous avez tenu la main de ma droite, vous m’avez conduit dans votre bonté, et m’avez élevé en gloire[259] » : « dans votre bonté », et non dans votre justice ; c’est votre don, non pas mon mérite. Ici encore : « L’ennemi a insulté au Seigneur, et un peuple insensé a irrité votre nom ». Tous ont-ils donc péri ? Loin de là. Si des rameaux ont été brisés, il en reste néanmoins quelques-uns afin d’y greffer l’olivier sauvage3 ; la racine subsiste encore, et parmi ces rameaux que leur infidélité a fait briser, il en est qui ont été rappelés par la foi. Car l’apôtre saint Paul, brisé d’abord à cause de son infidélité, fut rejoint sur la tige par sa foi. Donc, « un peuple insolent a irrité votre nom », quand il s’est écrié : Qu’il descende de la croix[260] ».
22. Mais toi, Asaph, que dis-tu, maintenant que tu comprends ? « Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse[261] ». Je comprends, dit Asaph ; et comme il est dit dans un autre psaume : « Je sais que j’ai péché, et je n’ai point déguisé mon crime[262] ». Comment cela ? C’est que Pierre osa bien reprocher aux Israélites[263], qui admiraient le prodige des langues, d’avoir mis à mort le Christ, ce Christ envoyé pour eux, « et qu’à ces paroles, ils furent touchés au fond de leur cœur, et ils dirent aux Apôtres : Que nous faut-il faire ? dites-le-nous. Et les Apôtres : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ; alors vos péchés vous seront remis[264] ». Voilà donc la pénitence qui m’arrache cet aveu : « Ne livrez point aux bêtes une âme qui vous confesse ». Pourquoi cette confession ? « C’est que je me suis retourné dans ma douleur, en proie à l’aiguillon[265] ». La componction a donc envahi leur cœur ; l’orgueil et la cruauté font place chez eux à la douleur et au repentir, : « Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse ». À quelles bêtes, sinon à celles dont les têtes furent brisées sur les eaux ? Car le diable est appelé bête, lion et dragon. « Ne livrez point », dit le Prophète, « au diable et à ses anges, une âme qui vous confesse ». Que le serpent me dévore, si je goûte les choses de la terre, si je désire les biens d’ici-bas, si j’attends encore les promesses de l’Ancien Testament, au mépris du Nouveau qui est révélé. Maintenant que j’ai déposé tout orgueil, que je connais non plus ma justice, mais votre grâce, que les bêtes de l’orgueil n’aient plus aucun pouvoir sur moi. « Ne livrez point aux bêtes une âme qui vous confesse ; et n’abandonnez point jusqu’à la fin les âmes des pauvres ». Nous étions riches, nous étions forts, mais, « vous avez desséché les fleuves d’Etham ». Aujourd’hui, loin d’établir notre justice, nous reconnaissons votre grâce, nous sommes dans l’indigence, exaucez vos mendiants. Nous n’osons lever les yeux au ciel, mais nous frappons nos poitrines, en disant : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur[266]. N’oubliez pas jusqu’à la fin l’âme de vos pauvres ».
23. « Jetez les yeux sur votre Testament[267] ». Accomplissez ce que vous avez promis ; nous avons le contrat, nous attendons l’héritage. « Jetez les yeux sur votre Testament », non plus sur l’Ancien : ce n’est point la terre de Chanaan que je vous demande, ni une victoire temporelle sur mes ennemis, ni cette fécondité charnelle qui me donnera beaucoup d’enfants, ni des richesses de la terre, ni un salut passager : « Jetez les yeux sur ce testament », qui nous promet le royaume des cieux. Je comprends aujourd’hui votre Testament ; Asaph en a l’intelligence, Asaph n’est plus l’animal stupide ; il comprend ce qui est écrit : « Voici venir des jours, dit le Seigneur, et j’établirai avec la maison d’Israël et la maison de Juda, une alliance nouvelle, non plus selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères[268]. Jetez les yeux sur votre Testament, parce que des hommes ténébreux ont rempli sur votre terre les maisons de l’iniquité ». Leurs cœurs étaient alors impies, car nos maisons sont bien nos cœurs : c’est là que se plaisent ceux qui ont le cœur pur[269]. « Jetez donc les yeux sur votre Testament » ; et que les restes soient sauvés[270] : car le grand nombre de ceux qui s’attachent à la terre, sont dans l’aveuglement et absorbés par la terre. La poussière est entrée dans leurs yeux ; elle les aveugle, et ils sont devenus une poussière vaine qu’emporte le vent de la surface de la terre[271]. « Des hommes de ténèbres ont rempli sur la terre des maisons d’iniquités ». Ils n’ont vu que la terre et sont devenus aveugles ; c’est d’eux que le Psalmiste a dit ailleurs : « Que leurs yeux s’obscurcissent, et qu’ils ne voient point, tenez leur dos toujours courbé[272]. » Ils sont donc « absorbés dans la terre, ces aveugles qui ont occupé sur la terre les demeures de l’iniquité » : parce qu’ils avaient des cœurs iniques. Or, nos demeures, avons-nous dit, sont nos cœurs. C’est là que nous habitons volontiers, quand nous les purifions de toute injustice. C’est là qu’est la conscience mauvaise, qui en repousse l’homme, et où Jésus-Christ ordonne au paralytique de rentrer, après lui avoir remis ses péchés, et enjoint de porter son grabat : « Prenez votre grabat, et allez en votre maison[273] » : portez votre chair, et rentrez dans votre conscience guérie. « Voilà que des aveugles ont rempli sur la terre des maisons d’iniquité ». Ils sont aveugles et absorbés par la terre. Qui, ces aveugles ? Ceux dont le cœur est impie. Dieu les traite selon leurs cœurs.
24. « Que l’homme humble ne retourne point avec confusion » ; puisque l’orgueil a confondu les autres. « Le pauvre et l’indigent béniront votre nom[274] ». Vous voyez, mes frères, combien doit être douce la pauvreté ; vous voyez que les pauvres et les indigents appartiennent à Dieu ; mais les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient[275]. Quels sont les pauvres d’esprit ? Les humbles, ceux qui redoutent la parole de Dieu, qui confessent leurs péchés ; mais non ceux qui présument de leurs mérites et de leur justice. Quels sont les pauvres d’esprit ? Ceux qui louent Dieu du bien qu’ils peuvent faire, qui s’accusent du mal qu’ils commettent. « Sur qui reposera mon esprit », dit le Prophète, « sinon sur l’homme humble, paisible, et qui redoute ma parole[276] ? » Voilà donc Asaph qui a l’intelligence, voilà qu’il ne s’attache plus à la terre, voilà qu’il ne compte plus sur les promesses temporelles de l’ancienne alliance : il se fait votre mendiant, votre pauvre ; il a soif de vos fleuves, parce que les siens sont desséchés. Telles sont ses dispositions, que ses espérances ne soient point trompées : il a levé ses mains vers vous pendant la nuit, qu’il ne soit point frustré dans son attente[277]. « Que l’homme humble ne retourne point dans la confusion : votre nom sera béni du pauvre et de l’indigent ». Ils bénissent votre nom quand ils confessent leurs péchés, ils bénissent votre nom quand ils soupirent après les promesses de l’éternité. Ce ne sont point les hommes orgueilleux de leurs richesses, ni ceux qui se prévalent témérairement de leur propre justice, ce ne sont point ceux-là qui béniront votre nom : qui sera-ce donc ? « Le pauvre et l’indigent ».
25. « Levez-vous, Seigneur, et vengez ma cause[278] ». Je parais abandonné, parce que je n’ai point recueilli le fruit de vos promesses. Voilà que mes larmes sont ma nourriture le jour et la nuit, pendant que l’on me dit sans cesse : Où est donc ton Dieu[279] ? Et comme je ne puis montrer mon Dieu, on me tourne en dérision comme si je suivais un fantôme. Non seulement les païens, mais les Juifs, mais les hérétiques, mais souvent mes frères de l’Église catholique, répondent par la raillerie, à la prédication des promesses de Dieu, à l’annonce d’une résurrection à venir. On en voit même aujourd’hui qui ont été régénérés dans l’eau du salut éternel, qui portent le sacrement du Christ, et qui nous disent : Qui donc est ressuscité jusqu’à présent ? Depuis que j’ai enseveli mon père, je ne l’ai point entendu me parler du fond du sépulcre. Dieu a donné sa loi à ses serviteurs, afin de les occuper pour un temps ; mais qui est revenu du tombeau ? Que puis-je dire à ces hommes ? Leur montrerai-je ce qu’ils ne voient pas ? Je ne puis ; car Dieu ne se rendra point visible pour les satisfaire. Qu’ils le fassent eux-mêmes, s’ils le peuvent : qu’ils agissent, qu’ils s’efforcent ; qu’ils changent Dieu, puisqu’ils ne veulent point se changer eux-mêmes. Qu’il voie Dieu, celui qui le petit voir ; qu’il croie en Dieu, celui qui ne saurait le voir : mais voir Dieu, est-ce le voir des yeux ? C’est le voir de l’intelligence, le voir du cœur. Ce n’était point le soleil et la lune que voulait montrer Celui qui disait : « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[280] ». Que le cœur impur, peu disposé à la foi, croie au moins ce qu’il ne peut voir. Je ne crois rien, dit-il, que croirai-je donc ? On voit aussi ton âme sans doute ? insensé ! ton corps est visible, mais ton âme, qui la verra ? Mais puisqu’il ne paraît de toi que ton corps, pourquoi ne pas l’ensevelir ? Celte parole vous étonne : Pourquoi ne pas t’ensevelir, puisqu’on ne voit que ton corps ? C’est que je suis en vie, réponds-tu, car tu te sens alors. Mais comment saurai-je que tu es en vie, puisque je ne vois point ton âme ? Comment le saurai-je ? C’est que je parle, me réponds-tu, c’est que je marche, c’est que j’agis. Insensé ! les œuvres de ton corps me feront croire à la vie, et les œuvres de la création ne te feront pas croire au Créateur ! Un autre me dira peut-être : après ma mort je ne serai plus rien c’est un lettré sans doute, qui a pris cette maxime dans Epicure, dans ce je ne sais quel philosophe en délire, plus ami de l’orgueil que de la sagesse, à qui les philosophes eux-mêmes ont donné le nom de pourceau : c’est lui qui a placé le souverain bonheur dans les voluptés du corps, et il est appelé pourceau, parce qu’il se vautrait dans le bourbier de la chair. C’est à lui sans doute que notre savant a emprunté cette maxime : Après la mort, je ne serai plus rien. Que les fleuves d’Etham soient desséchés ; périssent ces doctrines des Gentils ; vivent les plantes de Jérusalem : qu’elles voient ce qu’elles pourront voir, qu’elles croient du fond du cœur ce qu’elles ne pourront voir. Assurément, tout ce que nous voyons aujourd’hui tians le monde n’existait pas encore, quand le Seigneur opérait le salut au milieu de la terre, et quand on faisait ces promesses : c’était alors le temps de la prophétie : aujourd’hui que nous la voyons s’accomplir, l’insensé dit encore dans son cœur : « Il n’y a point de Dieu[281] ». Malheur aux cœurs pervers ; car tout ce qui reste à s’accomplir, s’accomplira en effet, comme s’est accompli ce qui ne l’était point encore au moment de la prophétie. Dieu, après avoir accompli toutes ses promesses, nous aurait-il trompés sur le seul jour du jugement ? Le Christ n’était point autrefois sur la terre. Dieu nous l’a promis, Dieu nous l’a envoyé : une vierge n’avait pas enfanté ; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré : un sang précieux n’avait pas été versé pour effacer la cédule de notre mort ; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré : la chair n’était pas encore ressuscitée pour la vie éternelle ; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré : les Gentils n’avaient point encore embrassé la foi ; Dieu nous l’a promis, et il nous l’a montré : les hérétiques armés au nom du Christ, n’avaient pas encore combattu contre le Christ ; Dieu nous l’a prédit et il l’a montré : les idoles des nations n’étaient point encore tombées à terre ; Dieu l’a prédit et nous l’a montré : et quand il accomplit tant d’événements qu’il a promis, il nous aura trompés uniquement an sujet du jugement ? Non, il viendra comme tout le reste est venu : avant leur accomplissement, tous ces événements étaient à venir, ils ont été d’abord annoncés, puis accomplis ensuite. Ce jour viendra donc, mes frères ; que nul ne dise : Il ne viendra point ; ou bien : Il viendra, mais ce ne sera de longtemps. Mais il est proche, le jour où tu sortiras de la terre. Qu’il nous suffise d’une première erreur : si une fois déjà nous n’avons pu demeurer fermes dans le précepte de Dieu, corrigeons-nous du moins par l’exemple. Le monde n’avait pas eu d’exemple de la chute du genre humain, quand il fut dit à Adam : « Si tu touches à ce fruit, tu mourras ». Mais le serpent tortueux vint dire : « Tu ne mourras point ». L’homme crut au serpent et méprisa Dieu : l’homme crut au serpent, toucha au fruit défendu, et mourut[282]. La promesse de Dieu ne fut-elle pas justifiée plutôt que la promesse de l’ennemi ? Elle le fut en effet, nous le savons : de là vient que nous mourons tous. Que cette expérience nous tienne sur nos gardes. Aujourd’hui encore le serpent vient murmurer à notre oreille et nous dire : Dieu voudrait-il damner les multitudes et ne sauver que le petit nombre ? Que signifie ce langage, sinon : Agissez contre le précepte, vous ne mourrez point ? Mais aujourd’hui comme alors, si nous cédons aux suggestions du diable pour mépriser les préceptes du Seigneur, viendra le jour du jugement qui justifiera les menaces de Dieu, et démentira les promesses de l’ennemi. « Levez-vous, Seigneur, et jugez votre cause ». Vous êtes mort, et mort dans les opprobres. On me dit : Où est ton Dieu[283] ? « Levez-vous, et jugez ma cause ». Nul autre, en effet, que celui qui est ressuscité d’entre les morts, ne doit venir nous juger. Il était prédit qu’il viendrait, et il est venu, et les Juifs l’ont méprisé, dans son séjour sur la terre ; et maintenant qu’il est assis dans les cieux, de faux chrétiens le méprisent. « Levez-vous, Seigneur, et jugez ma cause ». Que je ne périsse point, puisque j’ai cru en vous ; j’ai cru ce que je n’ai point vu, que mon espérance ne soit point trompée, que je recueille vos promesses. « Jugez ma cause. Souvenez-vous des outrages de l’insensé, qui durent tout le jour ». Aujourd’hui encore on insulte au Christ, et pendant tout le jour, ou jusqu’à la fin des siècles, il y aura des vases de colère. On nous dit encore aujourd’hui : les Chrétiens prêchent des chimères ; on nous dit : la résurrection des morts est une rêverie. « Jugez ma cause, et souvenez-vous de vos opprobres ». Mais de quels opprobres, sinon de « ceux que l’insensé vous prodigue pendant tout le jour ? » Est-ce en effet l’homme prudent qui parle ainsi. Prudent vient du latin porro videns, qui voit au loin. Si l’homme prudent voit au loin, c’est la foi qui donne cette longue vue ; car nos yeux ne voient que peine devant nos pieds. « Pendant tout le jour ».
26. « N’oubliez pas la voix de ceux qui vous invoquent[284] », les gémissements de ceux qui soupirent après vos promesses dans la Nouvelle Alliance, et qui marchent selon la foi. « N’oubliez pas la voix de ceux qui vous invoquent ». Mais ceux-là me disent encore : Où est ton Dieu ? « Que l’orgueil de vos ennemis s’élève toujours devant vous ». Gardez-vous d’oublier cet orgueil. Aussi Dieu ne l’oublie-t-il point, mais il le châtie ou le corrige.

DISCOURS SUR LE PSAUME 74[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

L’HUMILITÉ DE LA CONFESSION.[modifier]

Le but auquel nous devons tendre, c’est la fin, ou Jésus-Christ qui doit nous juger, et accomplir ainsi ses promesses. Mais pour arriver à Dieu, il faut nous humilier, car Dieu ne s’approche du pécheur que quand celui-ci fait l’aveu de ses fautes ; et l’aveu est une humiliation volontaire, il purifie le temple où doit venir le Seigneur. Le Prophète redouble ici ses expressions, afin de confirmer sa pensée. Il a donc fait l’aveu de ses fautes, et seulement après cet aveu il invoque le Seigneur. C’est l’Église qui parle ici dans son chef et dans ses membres, quand il s’agit de la prédication ; dans son chef seulement quand il s’agit de juger les justices. Le Christ les jugera quand le temps sera venu. Le temps sera pour celui qui gouverne le temps, parce qu’il viendra dans son humanité. La terre s’est effondrée sous les péchés des hommes, le Christ en a raffermi les colonnes ou les Apôtres que la résurrection confirma dans la foi, et qui prêchèrent l’Évangile. C’est par eux que le Christ nous avertit de pratiquer la justice, dit aux coupables de ne point s’enorgueillir, mais de s’humilier par l’aveu. Gardons-nous de blasphémer le Seigneur par nos murmures, de prendre sa patience pour l’impunité. Ne murmurons pas même intérieurement, car Dieu pénètre les pensées les plus intimes de notre cœur. Nous lui échappons en nous réfugiant en lui par la confession. Il abaisse l’orgueilleux ou le Pharisien, il élève l’humble ou le Publicain qui avoue ses fautes. Dans sa coupe est le vin pur du décalogue, les Gentils le boivent et sont raffermis ; et le vin trouble les enveloppes figuratives, que boivent les Juifs, et ils s’affaissent. Il brisera les impies dont nous devons mépriser les honneurs, élèvera les justes dont l’humilité doit nous plaire.


1. Ce psaume nous offre dans l’humilité un remède contre l’enflure de l’orgueil, et donne aux petits la consolation de l’espérance. Il prémunit les orgueilleux contre la présomption, et les humbles contre la défiance envers le Seigneur. Les promesses divines, en effet, sont invariables, certaines, inébranlables ; elles sont fidèles et hors de doute, consolantes pour l’affligé. Car « toute la vie de l’homme sur la terre[285] », est-il écrit, « est une épreuve sans fin ». Nous n’avons point à choisir, ou à rechercher la prospérité, ou à fuir l’adversité seulement ; l’une et l’autre sont à craindre ; l’une qui corrompt, l’autre qui abat ; ainsi tout homme, quel que soit son état en cette vie, n’a de refuge qu’en Dieu, et de joie qu’en ses promesses. La vie, quelles qu’en soient les joies, est un leurre pour beaucoup, Dieu ne trompe jamais. Tout homme qui se convertit à lui, ne fait que changer de plaisir ; car les délices ne lui sont point retranchées, mais changées : ici-bas sans doute nos délices en Dieu ne sont point en réalité, mais l’espérance que nous en avons est tellement certaine, qu’elle seule est préférable à toutes les délices du monde, ainsi qu’il est écrit : « Mets tes délices dans le Seigneur ». Mais ne t’imagine pas avoir déjà ce que Dieu promet, car le Prophète ajoute aussitôt : « Et il t’accordera les désirs de ton cœur[286] ». Mais si les désirs de ton cœur ne sont pas rassasiés, comment te complaire dans le Seigneur, sinon parce que tu es assuré des promesses qui le font ton débiteur ? C’est donc pour affermir en nous l’espérance de notre prière, et pour que nous entrions en possession des promesses que Dieu nous a faites, que le titre du psaume porte : « Pour la fin, ne corrompez pas ». Qu’est-ce à dire : « Ne corrompez point ? Exécutez ce que vous avez promis. Mais quand ? Pour la fin na. C’est bien là qu’il te faut diriger l’œil de ton esprit, « pour la fin ». Quoi que tu puisses rencontrer sur ta route, passe outre, afin d’arriver à la fin. Que la félicité du temps fasse tressaillir les orgueilleux, qu’ils s’enflent de leurs dignités, qu’ils étincellent d’or, qu’ils scient escortés de serviteurs, environnés de clients : tout cela passe et s’évanouit comme l’ombre. Quand viendra cette fin qui fait la joie de tous ceux qui espèrent dans le Seigneur, il n’y aura pour ces hommes qu’une tristesse sans fin. Quand les humbles recevront ce qui fait la risée des méchants, l’enflure des superbes ne sera plus qu’un deuil. Alors s’accomplira cette parole de la sagesse ils diront à la vue de cette gloire des saints, jadis si patients quand on les humiliait, et si humbles quand on les élevait en gloire, ils diront donc : « Voilà ces hommes que nous avons tournés en dérision ». Et ils ajouteront : «  De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il du faste de nos richesses ? Tout s’est évanoui comme une ombre[287] ! » Ils ont mis leur espoir dans des biens corruptibles, et cet espoir s’évapore ; le nôtre, au contraire, se réalisera. Car afin de laisser à la promesse de Dieu son intégrité, sa stabilité, sa certitude, nous avons dit dans notre cœur et avec confiance : « Pour la fin, ne corrompez point. » Ne craignez donc point qu’un potentat vienne altérer les promesses de Dieu. Lui-même ne les altère point, parce qu’il est véridique ; et nul n’est plus puissant que lui pour faire avorter ses promesses : la promesse de Dieu est donc certaine, et déjà nous pouvons chanter ce premier verset du Psaume.
2. « Nous nous confesserons, Seigneur, nous « nous confesserons, et nous invoquerons votre nom[288] ». Ne l’invoque pas avant d’avouer tes fautes, fais d’abord cet aveu, tu invoqueras ensuite. Invoquer Dieu, c’est l’appeler en toi : quel autre sens peut avoir « invoquer » ? Si donc tu l’invoques, ou si tu l’appelles en toi, chez qui descend-il ? Pas chez l’orgueilleux. Il est élevé, et nul ne l’atteint en s’élevant. Pour atteindre toute hauteur, il faut nous élever ; et si nous ne pouvons y arriver, nous avons recours aux machines ou aux échelles, afin de parvenir au faîte : Dieu, au contraire, est élevé, et il n’y a que les humbles pour l’atteindre. Il est écrit : « Le Seigneur est près de ceux qui ont un cœur contrit[289] ». Cette contrition du cœur, c’est la piété, l’humilité. L’homme contrit se fâche contre lui-même. Qu’il soit en guerre avec lui-même, afin d’être en paix avec Dieu ; qu’il soit son propre juge, afin d’avoir Dieu pour défenseur. Dieu vient donc, si nous l’invoquons ; mais chez qui vient-il ? Jamais chez l’orgueilleux. Écoutez un autre témoignage : « Du haut de son trône, Dieu regarde les humbles, il ne voit que de loin les orgueilleux[290]. Ainsi le Seigneur jette les yeux sur les humbles », mais non de loin, tandis que c’est de loin qu’il voit les orgueilleux. Or, après avoir dit que Dieu voit les humbles, de peur que les orgueilleux ne se rassurent dans l’impunité, comme si leur orgueil devait échapper à celui qui habite au plus haut des cieux, le Prophète les effraie en disant : Il vous voit, il vous connaît, mais de loin. Il fait les délices de ceux dont il s’approche ; pour vous, superbes, dit le Prophète, hommes altiers, vous ne jouirez pas de l’impunité, car il vous voit ; mais vous n’aurez point le bonheur, il ne vous connaît que de loin. Voyez ce que vous avez à faire : s’il vous connaît, il ne vous pardonnera point. Vous épargner, vaudrait mieux pour vous que vous connaître. Qu’est-ce que vous épargner, en latin ignoscere, sinon ne pas vous connaître, non noscere ? Que signifie ne pas vous connaître ? n’avoir point l’esprit contre vous, non animadvertere, car l’animadversion se dit d’un homme qui châtie. Écoutez le Prophète, qui demande à Dieu de l’épargner : « Détournez votre face de mes péchés[291] ». Que feras-tu donc, si le Seigneur détourne de toi son visage ? Voilà qui est fâcheux, il est à craindre qu’il ne t’abandonne. Mais que Dieu ne détourne point son visage, c’est l’animadversion. Dieu nous comprend, il a le pouvoir et de détourner sa face du pécheur, et de ne point la détourner de l’homme pénitent. Aussi est-il dit quelque part : « Détournez votre face de mes péchés » ; et ailleurs : « Ne détournez point de moi votre visage[292] ». Ici, détournez-la de mes péchés ; là, ne la détournez point de moi : confesse donc ton péché, et invoque le Seigneur. C’est par l’aveu que tu purifies le temple où viendra le Seigneur, sur ton invocation. Qu’il détourne sa face de ton péché, mais non de toi : qu’il détourne sa face de ce que tu as fait, mais non de ce qu’il a fait lui-même. En toi il a fait l’homme, et tu as fait tes péchés. Confesse-les donc, et invoque le Seigneur ; dis-lui : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons nos fautes ».
3. Cette répétition devient ici une confirmation ; ainsi ta confession ne te cause aucun repentir. Celui qui reçoit cet aveu n’est point un Dieu cruel, ni vindicatif, ni insulteur : confesse-toi sans crainte. Écoute celte autre parole encourageante du psaume : « Confessez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon[293] ». Qu’est-ce à dire, « parce qu’il est bon ? » Pourquoi redouter l’aveu ? Le Seigneur est bon, il pardonne à celui qui avoue . Crains d’avouer devant un homme qui est le juge, de peur qu’il ne te châtie, mais non devant Dieu ; l’aveu te le rendra propice, et ta négation ne lui déroberait pas ta faute. « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons avec confiance votre saint nom ». Nous avons épuisé nos cœurs par la confession ; vous nous avez jetés dans l’effroi et purifiés. L’aveu nous humilie ; approchez-vous des humbles, ô vous qui vous éloignez des superbes. En beaucoup d’endroits de l’Écriture, nous voyons, dans la répétition, une confirmation de la pensée. De là cette locution de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité[294] ». De là vient que dans plusieurs psaumes, nous lisons : « Ainsi soit-il, ainsi soit-il[295] ». Une seule fois suffisait pour le sens, la répétition n’est qu’une manière de le corroborer. Pharaon, roi d’Égypte, vous le savez, pendant que Joseph était en prison pour avoir aimé la chasteté, Pharaon, dis-je, eut un songe : sept vaches grasses qui furent dévorées par sept vaches maigres ; et ensuite sept épis pleins dévorés par sept épis grêles. Or, quelle interprétation donna Joseph ? S’il vous en souvient, ce n’étaient point là deux songes, mais une même vision. « Il n’y a », dit Joseph, « qu’un même sens : la seconde vision », ajouta-t-il, « vient confirmer la première[296] ». Je vous fais ces réflexions, afin que la répétition, dans le langage des saintes Écritures, ne vous apparaisse point comme un besoin de parler. Souvent, en effet, la répétition n’est qu’une confirmation de la pensée. « Mon cœur est prêt, Seigneur », dit le Prophète, « mon cœur est prêt[297] ». Ailleurs il s’écrie : « Attends le Seigneur, agis avec courage, raffermis ton cœur, et attends le Seigneur[298] ». Il y a dans les Écritures une foule de répétitions semblables. Qu’il nous suffise de vous avoir expliqué cette manière de parler, pour observer cette règle en semblable rencontre. Revenons maintenant à notre Psaume : « Nous vous confesserons », dit le Prophète, « et nous en appellerons à nous ». Je vous ai dit pourquoi l’aveu précède ici l’invocation. Invoquer, c’est inviter. Or, le Seigneur ne se rendra pas à ton invitation, si tu es orgueilleux ; et si tu es orgueilleux, tu ne pourras faire l’aveu de tes fautes. Or, tu ne caches rien à Dieu qu’il ne sache, et ton aveu ne lui apprend rien ; seulement il te purifie.
4. Le Prophète a donc avoué ses fautes, il a invoqué, ou plutôt, ils ont avoué, ils ont invoqué ; et il est dit au nom d’un seul : « Je raconterai toutes vos merveilles ». Son aveu l’a déchargé de ses misères, l’invocation l’a comblé de biens, et il répand ces biens avec sa parole. Remarquez-le, mes frères, le Prophète parle au nom de plusieurs, quand il s’agit d’avouer ses fautes : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom ». Les cœurs sont multiples pour l’aveu, ils ne sont qu’un pour croire. Pourquoi sont-ils plusieurs pour l’aveu, un seul pour la foi ? C’est que les hommes confessent des péchés différents, et qu’ils n’embrassent qu’une même foi. Or, quand le Christ sera venu habiter dans l’homme intérieur par la foi[299], quand le Dieu invoqué aura pris possession du cœur qui fait l’aveu ; alors le Christ sera tout entier dans son chef et dans son corps, il sera un dans plusieurs membres, Écoutez donc ces paroles du Christ ; car jusqu’alors elles ne paraissaient point lui appartenir : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons votre nom[300]. » Voici donc les paroles de notre chef. Or, que le chef parle, ou bien les membres, c’est le Christ qui parle : tantôt au nom dit chef, tantôt au nom des membres. Qu’est-il dit en effet ? « Ils seront deux dans une seule chair. Ce sacrement est grand, et moi, je le dis, dans le Christ et dans l’Église[301] ». Et le Sauveur a dit lui-même dans l’Évangile : « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair[302] ». Pour nous faire comprendre qu’il y a ici deux personnes en quelque sorte, et qui n’en font plus qu’une seule par l’union du mariage ; voilà qu’un seul nous dit en Isaïe : « Il m’a mis, comme à un Époux, une couronne sur la tête, et m’a paré de pierreries comme une Épouse[303] ». L’Époux se dit du chef, et l’Épouse du corps. C’est donc un seul qui parle, écoutons-le, et nous aussi parlons avec lui. Soyons ses membres, afin que sa voix soit aussi la nôtre. « Je publierai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Le Christ s’annonce lui-même, et il s’annonce par ceux qui sont déjà ses membres, et qui en amènent d’autres, afin que ceux qui n’en étaient pas encore, s’approchent de Dieu, et prennent place parmi ces membres qui ont déjà prêché l’Évangile ; alors il n’y aura plus qu’un seul corps sous un seul chef, dans un même esprit, dans une même vie.
5. Que dit-il donc ? « Quand le temps sera venu » dit-il, « je jugerai les justices[304] ». Quand jugera-t-il les justices ? Quand le temps sera venu. Le temps n’est donc pas venu ; bénissons sa divine miséricorde qui prêche d’abord la justice, et ensuite juge les justices. Car s’il eût voulu juger avant d’avoir prêché, qui trouverait-il à sauver ? Qui pourrait-il absoudre ? C’est donc maintenant le temps de la prédication : « Je raconterai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Écoute son récit, écoute sa prédication : car si tu le méprises : « Quand le temps sera venu », dit-il, « je jugerai les justices ». Je pardonne maintenant, dit-il, à celui qui fait l’aveu de ses fautes, je ne pardonnerai point à celui qui l’aura dédaigné. « Je chanterai en votre honneur, ô mon Dieu, la miséricorde et le jugement[305] », dit-il dans un autre psaume. « La miséricorde et « le jugement ». C’est maintenant « la miséricorde », et après « le jugement » ; la miséricorde qui pardonne les fautes, le jugement qui les châtie. Veux-tu ne point redouter le vengeur des crimes ? Aime celui qui pardonne, ne rejette point ses faveurs, ne t’élève point, ne dis point : je n’ai rien à me faire pardonner. Écoute ce qui suit : « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ». Est-ce au Christ que le temps doit échoir ? ou, le Fils de Dieu reçoit-il le temps ? Le temps n’est pas pour le Fils de Dieu, mais c’est le Fils de l’homme qui a reçu le temps. Lui-même est tout à la fois le Fils de Dieu par qui nous avons été faits, et le Fils de l’homme qui nous a refaits. Il a revêtu l’humanité, mais sans se dépouiller ; c’est l’homme qui a été élevé à un état supérieur, mais lui n’a pas été amoindri. Il n’a point cessé d’être ce qu’il était, il a pris ce qu’il n’était pas. Qu’était-il ? « Ayant eu la nature de Dieu, il n’a point cru faire usurpation en s’égalant à Dieu ». Ainsi dit l’Apôtre. Et qu’a-t-il reçu ? « Il s’est anéanti, et a pris la forme de l’esclave[306] ». Il a donc pris le temps comme il a pris la forme de l’esclave. Il a donc été changé, diminué, rapetissé, il est tombé en quelque défaut ? Loin de là. Comment donc « s’est-il anéanti en prenant la forme de l’esclave ? » Il a paru s’anéantir parce qu’il a pris une forme moindre, non qu’il soit déchu de son égalité avec Dieu. Que signifie donc, mes frères, cette parole : « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ? » Fils de l’homme, il a reçu le temps ; Fils de Dieu, il gouverne le temps. Écoute comment, Fils de l’homme, il a reçu le temps pour juger. Nous lisons dans l’Évangile : « Dieu lui a donné la puissance de rendre des jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme[307] ». Comme Fils de Dieu, il n’a pas reçu la puissance de juger, car il n’a jamais été privé de ce pouvoir judiciaire : mais comme Fils de l’homme, le temps lui a été assigné pour naître et pour souffrir, comme pour mourir, pour ressusciter, pour monter au ciel, enfin pour venir juger le monde. Ce langage est aussi celui de ses membres, car il ne doit pas juger sans eux ; et il est dit dans l’Évangile : « Vous serez assis sur douze eu trônes, jugeant les douze tribus d’Israël[308]. » C’est donc Jésus-Christ tout entier, dans son chef, et dans ses membres ou dans les saints, qui dit : « Quand le temps sera venu pour moi, eu je jugerai les justices ».
6. Qu’arrive-t-il maintenant ? « La terre s’est effondrée ». Comment la terre a-t-elle pu s’effondrer, sinon à cause des péchés ? Aussi pécher s’appelle encore défaillir, et défaillir signifie en quelque sorte déchoir de la solidité, de la force, de la justice et de la vertu, pour se répandre comme l’eau. Ce n’est que par l’amour des biens inférieurs que nous péchons : de même que la force, pour nous, est dans l’amour des biens supérieurs, de même l’amour des biens d’ici-bas est use défaillance et comme une dissolution. Voyant l’homme s’effondrer ainsi dans le péché, le Dieu de la clémence et du pardon, le Dieu qui pardonne le péché sans le châtier encore, s’écrie : « La terre s’est effondrée, ainsi que eu ses habitants[309] ». C’est la terre qui s’est effondrée dans ceux qui l’habitent. Le Prophète explique, au lieu d’ajouter. Comme si tu disais : Comment la terre s’est-elle effondrée ? En a-t-on dérobé les fondements, et ne trouvant plus qu’un vide, s’y est-elle abîmée ? Ce que j’appelle la terre désigne « tous ceux qui l’habitent ». J’ai trouvé, dit-il, une terre pécheresse. Et qu’ai-je fait ? « J’en ai affermi les colonnes ». Quelles colonnes a-t-il affermies ? Ce qu’il appelle colonnes, ce sont les Apôtres. Ainsi saint Paul, parlant des autres Apôtres, disait : « Ceux qui paraissaient être les colonnes[310] ». Mais que seraient ces colonnes, si Dieu ne les eût affermies ? Car elles furent ébranlées par un certain mouvement de la terre, et le désespoir s’empara de tous les Apôtres, à la passion du Sauveur. Ces colonnes donc ébranlées par la passion du Sauveur, se raffermirent à sa résurrection. Le fondement de l’édifice cria par ces colonnes, et dans toutes ces colonnes, ce fut l’architecte qui parla. L’apôtre saint Paul était une de ces colonnes, quand il disait : « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance du Christ qui parle en moi[311] ? » C’est donc « moi », dit le Sauveur, « qui en ai raffermi les colonnes » : je suis ressuscité, j’ai montré que la mort n’était point à craindre, j’ai prouvé à ceux qui la craignaient, que le corps même ne périt t oint par la mort. Mes blessures les effrayaient, mes cicatrices les ont rassurés. Le Christ pouvait ressusciter sans porter aucune cicatrice : était-ce trop en effet pour sa puissance, de rétablir son corps dans une intégrité si parfaite, qu’il ne parût aucune trace de ses anciennes plaies ? Il avait sans doute le pouvoir de guérir ses plaies sans cicatrice, mais il voulut à ces marques rétablir ces colonnes chancelantes.
7. Nous avons entendu, mes frères, qu’il ne cesse pas un jour de parler ; écoutons ce qu’il nous crie par ces colonnes. Il est temps d’écouter et de trembler à cette parole : « Quand le temps sera venu, je jugerai les justices[312] ». Le temps de juger les justices viendra pour lui ; pour vous est venu le temps de pratiquer la justice. S’il se taisait, vous ne pourriez faire aucun bien ; mais il crie par ses colonnes raffermies. Que crie-t-il ? « J’ai dit aux injustes : Ne commettez pas l’injustice ». Il crie donc, mes frères, et vous criez aussi certainement ; vous prenez plaisir d’entendre ses cris. C’est par lui que je vous en conjure, laissez-vous effrayer par cette voix ; car j’ai bien moins lieu de me réjouir de vos applaudissements, que vous d’être effrayés de ces paroles. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice ». Mais ils l’avaient déjà commise, et ils sont coupables : « la terre s’est effondrée avec ceux qui l’habitent », ils sont touchés de repentir, ceux qui ont mis à mort le Sauveur, ils ont reconnu leur péché, ils ont appris des Apôtres ne point désespérer leur pardon de celui qui prêche[313]. Il était médecin Celui qui était venu, aussi n’était-il point venu pour ceux qui avaient la santé. « Ce ne sont pas », avait-il dit, « ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis point venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence[314] ». Donc « j’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice », et ils n’ont pas entendu. Voilà ce qui nous fut dit en effet autrefois : nous n’avons pas entendu, nous sommes tombés, nous sommes devenus mortels, engendrés dans la mort : « la terre s’est effondrée ». Afin de se relever, qu’ils écoutent du moins le médecin qui est venu près du malade : en santé ils ont refusé de l’écouter pour éviter la chute, maintenant qu’ils sont couchés à terre, qu’ils l’écoutent pour se relever. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez pas l’injustice ». Que faire ? nous l’avons commise. « Et vous, pécheurs, ne levez point votre tête orgueilleuse ». Qu’est-ce à dire ? Si vous avez commis l’iniquité par convoitise, ne la défendez point par orgueil ; accusez-vous si vous l’avez commise. C’est lever la tête, qu’être coupable sans l’avouer. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice ; et aux coupables : Ne levez point la tête ». Le Christ élèvera sa force au milieu de vous, si vous n’élevez point la vôtre. Votre force vient de l’iniquité, la force du Christ vient de sa majesté.
8. « Ne vous élevez donc pas ; ne proférez point contre Dieu l’iniquité[315] » Écoutez ces paroles d’un grand nombre, que chacun de vous écoute, et soit touché de repentir. Que disent ordinairement les hommes ? Est-il vrai que Dieu jugera les actions des hommes ? Est-ce là l’occupation de Dieu ? Aurait-il souci de ce que l’on fait sur la terre ? Tant d’hommes injustes sont dans la prospérité, tant d’innocents dans la douleur ! Or, comme Dieu voulait t’avertir et te corriger, et qu’il lui est arrivé je ne sais quoi de fâcheux, qui lui découvre sa conscience, et lui fait comprendre qu’il est juste pour lui de souffrir à cause de ses péchés : d’où lui viennent ses arguments contre Dieu ? Comme il ne peut dire : Je suis juste, que pensez-vous qu’il va dire ? Il y en a de plus pécheurs que moi qui ne souffrent pas ainsi. Voilà l’iniquité des murmures de l’homme contre Dieu. Comprenez-en vous-mêmes l’injustice : afin de paraître juste, il accuse Dieu d’injustice. Dire, en effet : C’est injustement que je souffre, c’est accuser d’injustice Celui qui juge à propos de me soumettre à la douleur, et déclarer juste celui qui souffre injustement. J’en appelle à vous, mues frères, est-il bien que l’iniquité soit pour Dieu, la justice pour vous ? Parler de la sorte, c’est proférer l’iniquité contre Dieu.
9. Que dit le Seigneur dans un autre Psaume ? « Voilà votre œuvre », dit-il, après avoir énuméré plusieurs fautes, et néanmoins je me suis tu ». Qu’est-ce à dire : « Je me suis tu ? » Dieu ne se tait jamais en précepte, muais quelquefois en châtiment : il diffère sa vengeance, et ne prononce pas l’arrêt contre le coupable. Mais ce coupable dit alors : J’ai commis telle et telle faute, et Dieu ne m’a point châtié, me voilà en santé, rien de fâcheux ne m’est arrivé. « Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence : tu m’as soupçonné d’être injuste et de te ressembler ». Qu’est-ce à dire, « de te ressembler ? » Parce que tu es injuste, tu m’as cru injuste aussi ; tu m’as regardé comme l’approbateur, et non comme l’ennemi, le vengeur de tes crimes. Que dit ensuite le Seigneur ? « Je t’en convaincrai, et je t’exposerai toi-même à tes propres yeux[316] ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que maintenant, dans tes péchés, tu te dérobes à toi-même, tu ne te vois point, tu ne te considères point. Je te mettrai donc en face de toi-même, tu seras pour toi un supplice. C’est ainsi qu’il est écrit ici : « Ne dites point l’iniquité contre Dieu ». Remarquez, mes frères, beaucoup profèrent cette iniquité, mais ils n’osent le faire ostensiblement, de peur que les hommes de bien n’aient horreur de leurs blasphèmes ; mais dans leurs cœurs, ils rongent ces pensées, ils s’en font intérieurement un aliment abominable ; ils prennent plaisir à parler ainsi contre Dieu, et si la langue ne fait point d’éclat, le cœur n’est point muet. De là vient cette parole d’un autre Psaume : « L’insensé a dit dans son cœur : Dieu n’est point[317] ». « L’insensé l’a dit » ; mais il a craint les hommes ; il n’a osé le dire où les hommes l’auraient entendu ; jamais il l’a dit dans son cœur où l’entendait Celui qu’il blasphémait. Aussi voyez, mes bien-aimés, le Prophète, après avoir dit dans notre psaume : « Ne proférez point l’iniquité contre Dieu », voit que beaucoup en agissent ainsi dans leurs cœurs, et il ajoute : « Car ni dans l’Orient, ni dans l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, Dieu « n’est absent, partout il est juge[318] ». Dieu jugera vos iniquités, car s’il est un Dieu, il est présent partout. Comment te dérober aux yeux de Dieu ; où iras-tu pour qu’il n’entende point tes blasphèmes ? Si Dieu juge dans l’Orient, va dans l’Occident, et dis contre lui ce qu’il te plaira : s’il ne juge que dans l’Occident, va dans l’Orient, et parle à ton aise : s’il juge dans les déserts des montagnes, va au milieu des peuples, afin d’y murmurer sans crainte. Mais Dieu n’a pus un lieu spécial pour juger les hommes, il est caché partout, et partout il est visible ; nul ne peut le connaître tel qu’il est, et nul ne peut le méconnaître. Prends guide à ce que tu fais. Tu blasphèmes le Seigneur ; mais « l’Esprit du Seigneur a rempli toute la terre », est-il dit dans un autre endroit de l’Écriture, « et Celui qui contient tout, a la science de la parole : de là vient que le blasphémateur ne lui est pas inconnu[319] ». Ne t’imagine donc pas que Dieu soit en certains lieux : il est avec toi tel que tu es toi-même. Qu’est-ce à dire, tel que tu es toi-même ? Bon, si tu es bon ; tu le croiras méchant, si tu es méchant ; un Dieu secourable, si tu es bon ; un Dieu vengeur, si tu es méchant. Ton juge est donc dans le secret de ton cœur. Pour faire le mal, tu fuis le public, tu rentres chez toi où nul ennemi ne te verra ; tu évites même chez toi les endroits les plus exposés, qui seraient le plus en vue tu vas dans le lieu le plus secret, encore là tu redoutes un témoin, tu te renfermes dans ton cœur, pour y méditer à l’aise : mais Dieu pénètre plus avant que ton cœur. En quelque lieu que tu fuies, Dieu s’y trouve. Comment te fuir toi-même ? Ne te suivras-tu point partout où tu iras ? Mais lorsque Dieu est plus en toi que toi-même, où fuir un Dieu irrité, sinon en s’abritant sous sa miséricorde ? Tu n’as donc point à fuir ; veux-tu lui échapper ? Fuis en lui-même. Donc, ne proférez plus l’iniquité contre Dieu, pas même où vous le faites d’ordinaire. « Dans son lit », dit le Prophète, « l’ennemi a médité l’injustice[320] ». Qu’a-t-il médité dans son lit ? Ce lit, c’est son cœur, ainsi que le dit le Prophète : « Offrez un sacrifice de justice, et espérez daims le Seigneur ». Et déjà il avait dit : « Dites dans vos cœurs, et soyez dans vos lits percés de componction »[321]. Autant de fois le péché a stimulé votre cœur, autant de fois il vous faut sentir l’aiguillon de l’aveu. Dans le lieu même où tu as proféré l’iniquité contre Dieu, c’est là qu’il te juge : et ce n’est point le jugement qui est différé, mais le châtiment. Il te juge, il te connaît, il te voit ; il ne reste plus que le châtiment ; or, ce châtiment il te l’infligera, quand il sera en ta présence, et quand apparaîtra cette face majestueuse de Celui qui a été tourné en dérision, jugé, crucifié, amené devant un tribunal : lorsque tu seras en présence de cette majesté redoutable, c’est alors que tu subiras ton châtiment, si tu ne t’es corrigé. Que nous faut-il donc faire ? Prévenons sa face par un humble aveu, ἐν ἐξομολογήσει[322] « Préviens-le par la confession, et alors viendra dans sa douceur Celui dont nous avons excité la colère. « Ni loin des déserts des montagnes, parce que Dieu est juge ». Ni loin de l’Orient, ni loin de l’Occident, ni loin des déserts, des montagnes : pourquoi ? « Parce que Dieu est juge ». S’il était en quelque lieu, il ne serait plus Dieu or, comme Dieu est un juge, et non pas un homme, ce n’est pas de quelque lieu qu’il faut l’attendre. Tu seras toi-même sa demeure, si tu es bon, si tu l’invoques en confessant tes fautes.

10. « Il abaisse l’un pour élever l’autre ». Quel est celui qu’abaisse un tel juge, et quel est celui qu’il élève ? Voyez ces deux hommes dans le temple, et voyez celui qu’il humilie, et celui qu’il élève, « Deux hommes », dit le Sauveur, « un pharisien et un publicain, montèrent au temple pour prier » ; le pharisien disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce publicain je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je possède ». Il venait trouver le médecin, et il montrait ses membres pleins de santé, et cachait ses plaies. Mais que fait cet autre qui sait mieux prendre le moyen d’être guéri ? « Le publicain se tenait au loin, et se frappait la poitrine ». Vous le voyez debout et au loin, et pourtant il est proche de celui qu’il invoquait. « Et il frappait sa poitrine en disant : Mon Dieu, soyez-moi propice, à moi pécheur. En vérité, je vous le déclare, le publicain s’en retourna plus juste que le Pharisien ; parce que tout homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme qui s’abaisse sera élevé[323] ». Voilà, mes frères, l’explication de ce verset du psaume. Que fait Dieu dans sa justice ? « Il abaisse l’un, et élève l’autre » : il humilie les orgueilleux, pour élever les humbles.
11. « Dans la main du Seigneur est une coupe d’un vin pur et néanmoins mélangé ». Cela est bien injuste. « Il en verse à l’un et à l’autre ; et toutefois la lie ne tarit point, tous les pécheurs de la terre en boiront[324] ». Renouvelez quelque peu votre attention : il y a ici de l’obscurité ; mais, comme il vient de nous être dit dans l’Évangile : « Demandez et l’on vous dominera ; cherchez et e vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira[325] ». Mais, diras-tu, ou frapper afin que l’on m’ouvre ? « Ni à l’Orient, ni à l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, parce que Dieu est juge ». Si donc il est présent ici et là, s’il n’est absent d’aucun lieu, frappe où tu es, sois debout, car on est debout pour frapper. Que signifie donc notre verset ? Voici la première difficulté : « Un vin pur, et néanmoins mélangé ». S’il y a « mélange », comment est-il « pur ? » Du reste, que « cette coupe soit dans la main du Seigneur », je m’adresse à des fidèles instruits dans l’Église du Christ, et qui ne se représentent pas intérieurement l’image de Dieu sous une forme humaine, qui ne se font point d’idoles dans leurs cœurs, maintenant que les temples sont fermés. Ce calice a donc une signification, et nous l’examinerons. « En la main du Seigneur », ou plutôt en sa puissance, car sa main signifie son pouvoir ; comme on dit souvent des hommes : Il l’a sous la main c’est-à-dire, cela est en son pouvoir, il le fait à soin gré. « Cette coupe est donc pleine d’un vin pur et néanmoins trouble ». Le Prophète nous donne ensuite cette explication : « Il verse », dit-il, « à l’un et à l’autre, et la lie ne tarit point ». Voilà pourquoi le vin est mélangé. Ne vous étonnez point que le vin soit tout à la fois pur et mélangé ; il est pur à cause de son intégrité, il est trouble à cause de sa lie. Mais qu’est-ce que ce vin, et cette lie ? Pourquoi « verser à l’un et à l’autre », de manière à ne point tarir la lie ?

12. Rappelez-vous ce qu’il a dit plus haut : « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». C’est ce qu’ont figuré dans l’Évangile ces deux hommes, l’un pharisien, et l’autre publicain ; et dans un sens plus large, voyons ici deux nations, les Juifs et les Gentils ; le peuple juif sera le pharisien, le peuple des Gentils le publicain. Les Juifs se vantaient de leurs mérites, les Gentils confessaient leurs péchés. Il peut me comprendre celui qui a lu dans les Écritures les lettres apostoliques, et les actes des Apôtres : et pour abréger, il voit comment les Apôtres exhortaient les Gentils à ne point désespérer, à la vue des grands désordres de leur vie ; et comment ils réprimaient les Juifs qui se glorifiaient dans les justifications de la loi, qui se regardaient eux-mêmes comme justes, et les Gentils comme des pécheurs, parce que les Juifs avaient une loi, un temple, et un sacerdoce[326]. Quant à ces idolâtres, qui rendaient un culte aux démons, ils étaient loin de Dieu, comme ce publicain qui se tenait éloigné dans le temple. Mais les Juifs se sont éloignés de Dieu par leur orgueil, commue les Gentils sont revenus à lui par l’humble aveu. Je vous dirai donc ce qu’il plaira au Seigneur sur « ce calice qui est en sa main, et plein d’un vin pur ». Un autre pourra vous donner un sens meilleur ; telle est en effet l’obscurité de ce passage, qu’il est difficile de s’accorder sur un sens unique. Et toutefois, quelque sens que l’on y donne, pourvu qu’il s’accorde avec les règles de la foi, nous n’aurons ni envie contre les plus habiles, ni désespoir dans notre humilité. Je dirai donc à votre charité ce qui me vient à l’esprit, sans empêcher de prêter l’oreille à ceux qui pourront mieux dire. « Cette coupe d’un vin pur et pourtant eu trouble », me paraît être la loi, qui fut donnée aux Juifs, et toute cette Écriture qu’on appelle ancienne alliance ; c’est là que s’embarrassent toutes les interprétations. C’est là, en effet, qu’est caché le Nouveau Testament, comme enveloppé dans la lie des cérémonies légales. La circoncision de la chair est le symbole d’un grand mystère, et nous fait comprendre la circoncision du cœur. Ce temple de Jérusalem, est le symbole d’un grand mystère, et nous désigne le corps du Sauveur. La terre des promesses nous marque le royaume des cieux. L’offrande des victimes et des animaux était un grand symbole : mais tous ces sacrifices différents ne désignaient qu’un seul et même sacrifice, que le Seigneur, victime unique sur la croix : ce seul sacrifice a remplacé tous les autres, parce que tous les autres n’en étaient que la figure, c’est-à-dire le désignaient comme des symboles. Le peuple juif a donc reçu la loi, il a reçu des commandements justes et bons. Quoi de plus juste que ces préceptes : « Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point ; vous ne direz point de faux témoignage ; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez point le bien du prochain ; vous ne convoiterez pas l’Épouse de votre prochain ; vous adorerez un seul Dieu, et ne servirez que lui seul[327] ». Tout cela constitue leur vin. Les autres préceptes charnels sont en quelque sorte descendus au fond, pour demeurer chez les Juifs, et afin qu’il en découlât un sens tout à fait spirituel. « Cette coupe alors en la main du Seigneur », ou en la puissance du Seigneur, « est d’un vin pur », c’est la sainteté de la loi, « et néanmoins troublé » ; c’est-à-dire mélangé avec la lie du symbole charnel. Or, comme « il humilie celui-ci », ou le juif orgueilleux, « et abaisse celui-là », ou le gentil qui s’humilie : « Il a versé sur l’un et sur l’autre », c’est-à-dire du peuple juif, sur le peuple païen. « Toutefois la lie n’est pas épuisée », parce que toutes les enveloppes charnelles sont demeurées chez les Juifs. « Tous les pécheurs de la terre en boiront » ; Qui en boira ? « Tous les pêcheurs de la terre ». Quels pécheurs de la terre ? Les Juifs étaient pécheurs à la vérité, mais orgueilleux : les Gentils étaient pécheurs aussi, mais humbles. « Tous les pécheurs boiront » ; mais vois pour qui la lie, et pour qui le vin pur. Car les uns se sont affaissés en buvant la lie, les autres se sont justifiés en buvant le vin ; ils se sont même enivrés, j’ose le dire sans crainte ; et puissiez-vous tous avoir cette ivresse. Souvenez-vous de cette parole : « Que votre calice est enivrant et délicieux[328] ! » Eh quoi ! mes frères, pensez-vous qu’ils n’étaient pas dans l’ivresse, tous ceux qui ont voulu mourir tour Jésus-Christ ? Ils étaient ivres au point de méconnaître leurs proches. Tous les parents : qui essayaient, par l’amorce des biens terrestres, de les détourner du ciel, ne furent ni écoutés par ces hommes ivres, ni même connus. N’étaient-ils pas ivres ces hommes dont le cœur était ainsi changé ? N’était-ce pas de l’ivresse que ce mépris pour le monde ? « Tous les pécheurs de la terre boiront », dit le Prophète. Qui boira le vin ? Les pécheurs le boiront, afin de ne point demeurer dans le péché, afin de devenir justes, et non afin d’être châtiés.
13. « Quant à moi » : tous boiront, mais pour moi, c’est-à-dire pour le Christ dans son corps : « Je serai dans une allégresse éternelle, je chanterai le Dieu de Jacob[329] » dans l’espérance que Dieu me donne cette promesse pour l’avenir, et dont il est dit « Pour la fin, ne l’altérez pas. Je serai dans une éternelle allégresse ».
14. « Et je briserai toute la force des impies, et la force des justes sera élevée[330] ». Voici encore : « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». Les pécheurs ne veulent point dompter ici ces forces qui seront infailliblement brisées à la fin. Tu ne veux point que le Christ les brise alors ; brise-les toi-même aujourd’hui. Car tu as entendu plus haut, et garde-toi de le mépriser : « J’ai dit aux pécheurs : N’agissez plus injustement ; et aux coupables : « Ne vous élevez point avec orgueil ». Mais à ces paroles : « Ne vous élevez point avec orgueil », tu as répondu par le mépris et avec une orgueilleuse enflure : la fin viendra pour toi, et alors s’accomplira cette parole : « Je briserai toutes les cornes des pécheurs, et j’élèverai les cornes des justes ». Par les cornes des pécheurs, on entend ces dignités dont ils s’enorgueillissent, et par les cornes des justes les dons du Christ. Ce mot de cornes désigne en général tout ce qui est élevé. Dédaigne sur la terre une élévation terrestre, afin que tu sois un jour grand dans le ciel. Si tu aimes la gloire d’ici-bas, tu n’auras pas celle d’en haut il y aura confusion pour toi, à voir ton orgueil brisé, et gloire pour toi à voir élever ta force. C’est donc maintenant qu’il faut choisir, et non plus alors. Tu ne pourras dire : Renvoyez-moi afin que je choisisse ; car tu as entendu : « J’ai averti l’impie ». Si je ne l’ai point fait, prépare tes excuses, ta défense, mais si je l’ai dit, fais par avance l’aveu de tes fautes, afin de ne pas aboutir à la damnation ; car au jugement ton aveu serait trop tardif, et ta défense inutile.


DISCOURS SUR LE PSAUME 75[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LA JUDÉE OU L’ÉGLISE DE DIEU.[modifier]

Dieu est connu en Judée ou chez les hommes qui sont entrés dans la famille d’Abraham, par la foi. Parmi les douze fils de Jacob, Juda donna des rois à la nation, et Lévi des prêtres. Ceux-ci n’eurent point de partage dans la terre de Chanaan, et alors Joseph forma deux tribus. Comme l’avait prédit Jacob, le Christ est venu de Juda ; c’est le vrai roi que les Juifs n’ont vu que pour le crucifier, que les Gentils ont adoré sans l’avoir vu. La Judée est dès lors dans l’Église. Judée en effet signifie confession, et l’homme qui fait l’aveu de ses fautes est en accord avec Dieu. Jusque-là nous sommes en guerre, et il nous faudra combattre avec les armes de Dieu, jusqu’à la pacification définitive de la résurrection, qui détruira nos convoitises ; et alors nous verrons Dieu en Sion où il renverse les puissances ennemies. – Dieu répand sa lumière par les montagnes, ou par les prédicateurs de la vérité. Mais cette vérité ne leur appartient pas ; dès lors il ne faut suivre ni Donat, ni Maximien, ni même Paul ou Céphas, mais le Christ, et l’homme n’est rien qu’en s’attachant à lui. Nous séparer de l’Église, c’est nous séparer de Dieu. À la prédication de l’Évangile les orgueilleux se sont endormis pour se réveiller les mains vides, ils n’ont pas compris, comme Zachée, l’avantage qu’ils pouvaient tirer de leurs richesses pour la vie éternelle. Les cavaliers ou les orgueilleux se sont endormis, comme Pharaon, par un effet de la colère de Dieu, et ne s’éveilleront que pour regretter vainement leur vie. Mais l’homme qui voudra son salut, se confessera comme Paul, le persécuteur ; ce sera là sa première pensée, et sa seconde, ou les restes de sa pensée, sera de regretter son péché, de bénir Dieu qui nous les pardonne. Dans cette ferveur, nous faisons des vœux, mais alors il fait les accomplir. Les vœux sont une perfection, maie ne regardons point en amère comme la ferme de Loth. La vérité est le partage de tous, ce n’est pas à nous que nous devons de la connaître, mais à Dieu. Soyons humbles devant lui.


1. Les Juifs, dont la haine pour Notre-Seigneur Jésus-Christ est connue partout, tirent un sujet de vanité du psaume que nous venons de chanter. « Dieu est connu dans la Judée », nous disent-ils, « son nom est grand en Israël[331] » : ils reprochent aux Gentils de ne point connaître le Seigneur, et se font gloire d’être les seuls pour le connaître ; car si le Prophète s’écrie : Dieu est « connu dans la Judée », il est donc inconnu ailleurs. Il est vrai que Dieu est connu dans la iodée, si nous comprenons bien ce qu’est la Judée. Et nous aussi, nous avançons qu’à moins d’être dans la Judée, nul ne peut connaître Dieu. Que dit néanmoins l’Apôtre ? « Le Juif est celui qui l’est intérieurement, qui est circoncis de cœur selon l’esprit et non selon la lettre[332] ». Les Juifs ont donc reçu la circoncision de la chair, et il y a des Juifs circoncis dans la chair, d’autres circoncis dans le cœur. Nos pères, saints pour la plupart, avaient la circoncision de la chair, comme signe de leur foi, et la circoncision du cœur, comme l’effet de leur fol. Voilà que leurs enfants ont dégénéré de leur piété ; ils ne font valoir que leur nom et oublient leurs œuvres ; fils dégénérés de leurs pères, ils sont Juifs selon la chair, et païens de cœur. Car on appelle Juifs ceux qui sont nés d’Abraham, qui eut pour fils Isaac, duquel est né Jacob, qui eut pour fils les patriarches, et de ces douze patriarches est venu le peuple entier des Juifs. Mais ce nom de Juifs ou Judéens leur vient spécialement de Juda, l’un des douze fils de Jacob, patriarche comme les douze, dont la postérité régna sur le peuple des Juifs. Car ce peuple était divisé en douze tribus selon le nombre des douze fils de Jacob : ces tribus sont en quelque sorte des curies, des sociétés séparées. Ce peuple avait donc douze tribus, et parmi ces douze tribus, celle de Juda qui donnait des rois, et celle de Lévi qui donnait des prêtres. Mais les prêtres occupés au service du temple n’avaient aucune part dans la terre[333], et néanmoins cette terre devait être divisée en douze parts ; l’exception que l’on faisait en faveur de la tribu de Lévi, à cause de sa dignité, eût réduit à onze les portions de cette terre, si les deux fils de Joseph n’étaient venus compléter le nombre douze. Écoutez comment cela se fit. Joseph était un des douze fils de Jacob ; c’est celui-là que ses frères vendirent pour l’Égypte, et que sa chasteté porta au comble des honneurs, parce que Dieu bénit toutes ses actions ; lui qui recueillit ses frères et son père, exténués par la faim, et qui venaient en Égypte chercher du pain. Ce Joseph eut deux fils, Ephraïm et Manassé. Jacob, en mourant, déclara qu’il adoptait ses deux petits-fils, et dit à Joseph « Ceux qui naîtront à l’avenir, seront vos enfants ; ceux-ci sont à moi, ils partageront la terre avec leurs frères[334] ». Or, cette terre promise n’était encore ni échue à ce peuple, ni divisée ; mais il parlait ainsi par l’esprit de prophétie. Avec les deux fils de Joseph, on compléta donc le nombre de douze, car alors on arrivait à treize ; puisque Joseph fournissait deux tribus, il y avait alors treize tribus. Si donc nous exceptons du partage la tribu de Lé 6, tribu sacerdotale, occupée au service du temple, vivant de la dîme qu’elle recevait des tribus qui avaient une part dans les terres, nous retrouvons le nombre douze. Dans ces douze, c’était la tribu de Juda qui donnait des rois. Il est vrai que, tout d’abord, le roi Saül fut tiré d’une autre tribu[335], mais il fut réprouvé comme un mauvais roi ; vint alors David, de la tribu de Juda, et ce fut sa race, dans la tribu de Juda, qui donna des rois[336], Voici ce qu’avait dit Jacob lorsqu’il bénissait ses enfants « Le prince ne sortira point de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui à qui est faite la promesse[337] ». Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est de la tribu de Juda ; car, ainsi que le dit l’Écriture, et que vous venez de l’entendre, il est né de Marie, « dans la famille de David[338] ». Mais dans sa divinité qui le rend égal à son père, Notre-Seigneur Jésus-Christ est non seulement avant les Juifs, mais avant Abraham[339], non seulement avant Abraham, mais avant Adam ; non seulement avant Adam, mais avant le ciel et la terre, et avant les siècles « Car tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui[340] ». Telle était donc la prophétie de Jacob : « Le Prince ne sortira point de la famille de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a reçu la promesse » : parcourons les siècles, et nous trouverons que les Juifs ont toujours eu des rois de la tribu de Juda, d’où leur est venu ce nom de Juifs ; qu’ils n’ont eu aucun roi étranger avant cet Hérode, qui gouvernait quand le Sauveur vint au monde[341]. Avant lui tous les rois étaient de la tribu de Juda, mais jusqu’à celui qui avait reçu la promesse. Aussi à l’avènement du Sauveur, le royaume des Juifs fut détruit et leur fut enlevé. Ils n’ont plus de royaume aujourd’hui, parce qu’ils ne veulent point reconnaître le véritable roi. Voyez, mes frères, s’ils doivent porter encore le nom de Juifs, ou plutôt, vous comprenez que ce nom ne leur convient plus. Car ils ont eux-mêmes abjuré ce nom, au point qu’ils ne méritent plus ce nom de fils de Juda que selon la chair. Où donc ont-ils abjuré ce nom ? Ils ont blasphémé, ils ont sévi contre le Christ, c’est-à-dire contre la race de Juda, le sang de David. Pilate leur dit : « Faut-il crucifier votre roi ? » Ils répondent : « Nous n’avons d’autre roi que César[342] ». O peuple, qui portes le nom de Juda, tu ne l’as plus ; si tu n’as d’autre roi que César, le prince n’est donc plus en Juda : il est donc venu « celui qui a reçu la promesse ». Ceux-là sont plus véritablement fils de Juda, qui de Juifs sont devenus chrétiens : quant aux fils de Juda qui n’ont pas cru au Christ, ils ont mérité de perdre jusqu’à leur nom. La véritable Judée est donc l’Église qui croit en ce roi, issu de la tribu de Juda par la Vierge Marie : qui croit en celui dont l’Apôtre parlait tout à l’heure dans sa lettre à Timothée : « Souvenez-vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Évangile que j’annonce[343] ». Car David est fils de Juda, et le Christ est fils de David. Or, en croyant au Christ nous appartenons à Juda : et nous avons connu le Christ, non pour l’avoir vu des yeux, mais nous le tenons par la foi. Qu’ils ne nous insultent donc plus, ces Juifs qui ne sont plus Juifs. Eux-mêmes l’ont dit : « Nous n’avons d’autre roi que César » ; il leur était plus avantageux d’avoir pour roi le Christ de la race de David, de la tribu de Juda. Mais comme le Christ issu de David selon la chair, est aussi Dieu béni par-dessus tout dans les siècles, il est tout ensemble notre roi et notre Dieu : notre roi parce que comme Christ, Seigneur et Sauveur, il est né selon la chair dans la tribu de Juda ; notre Dieu, parce qu’il est avant Juda, avant le ciel et la terre, puisque c’est par lui qu’a été fait le monde spirituel comme le monde visible. Or, si « tout a été fait par lui », Marie aussi, dont il est né, a été faite par lui. Dès lors, comment serait-il né comme le reste des hommes, Celui qui a fait la mère dont il devait naître ? Il est donc aussi notre Seigneur, selon ce mot de l’Apôtre à propos des Juifs : « Ils ont pour pères les patriarches, de qui est sorti selon la chair le Christ même, le Dieu au-dessus de tontes choses, et béni dans tous les siècles[344] ». Mais les Juifs n’ayant vu le Christ que pour le crucifier, n’ont pas vu en lui un Dieu ; les Gentils, au contraire, qui sans le voir ont cru en lui, l’ont reconnu pour Dieu. Si donc ceux-ci ont compris le Seigneur qui se réconciliait le monde dans le Christ[345], tandis que ceux-là l’ont crucifié, parce qu’ils n’ont point compris en lui un Dieu qui se cachait dans la chair, arrière cette Judée qui en porte le nom et qui ne l’est plus : et que la véritable Judée s’approche, elle à qui l’on a dit : « Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairés, et la confusion ne sera point sur votre visage[346] ». Le visage du véritable Juif n’aura point à rougir. Car ils ont entendu, et ils ont cru : et l’Église est devenue la véritable Judée, où est connu le Christ, qui est homme de la lignée de David, et Dieu au-dessus de David.
2. « Dieu est connu dans la Judée, son nom est grand dans Israël ». Nous devons prendre Israël dans le même sens que la Judée ; de même que les Juifs ne sont lias les vrais fils de Juda, de même ils ne sont pas le véritable Israélite. Que signifie en effet Israélite ? Qui voit Dieu. Or, de quelle manière ont-ils vu Dieu, ceux au milieu desquels il a vécu dans sa chair, et qui l’ont pris pour un homme qu’ils ont crucifié ? À sa résurrection il s’est montré Dieu à tous ceux auxquels il lui plaisait de se faire voir. Ceux-là donc sont dignes d’être appelés Israélites, qui ont mérité de comprendre que le Christ était un Dieu fait homme, sans mépriser ce qu’ils voyaient ; mais en adorant ce qu’ils ne voyaient pas. Sans voir le Christ de leurs yeux, les Gentils l’ont vu en esprit, et leur humble foi a embrassé ce qu’ils ne voyaient point. Alors ceux qui l’ont touché de leurs mains l’ont crucifié ; ceux qui t’ont vu par la foi seulement, l’ont adoré. « Son nom est grand en Israël ». Veux-tu être Israélite ? Souviens-toi de celui dont le Seigneur a dit : « Voilà un vrai Israélite, sans déguisement[347] ». Si « le vrai Israélite est sans déguisement », les hommes de fraude et de mensonge ne sont point Israélites. Qu’ils ne disent donc point que Dieu est chez eux, que son nom est grand en Israël. Qu’ils prouvent d’abord qu’ils sont Israélites, et moi je leur accorderai que « son nom est grand en Israël ».
3. « Son tabernacle est dans la paix, et sa demeure en Sion[348] ». Sion est encore pour les Juifs comme une patrie : la véritable Sion, c’est l’Église chrétienne. Voici en effet l’interprétation qu’on nous donne des noms hébreux : Judée signifie confession, et Israël qui voit Dieu. Or, Israël ne vient ici qu’après la Judée : « Dieu », dit le Prophète, « est connu dans la Judée, son nom est grand dans Israël ». Veux-tu voir Dieu ? Confesse tes fautes, et tu prépareras en toi une place au Seigneur ; car « sa demeure est dans la paix ». Jusqu’à ce que tu aies fait l’aveu de tes fautes, tu es en guerre avec Dieu. Comment ne pas être en guerre, en effet, quand tu approuves ce qui lui déplaît ? Il punit le voleur, et tu approuves le vol ; il punit l’ivrogne, et tu approuves l’ivrognerie. Tu es en guerre avec Dieu, tu ne lui fais point une place dans ton cœur ; car « sa demeure est dans la paix ». Mais que faire pour être en paix avec Dieu ? Commence par l’aveu. C’est le mot du Psalmiste : « Commencez, pour le Seigneur, par l’aveu des fautes[349] ». Qu’est-ce à dire : « Commencez, pour le Seigneur, par l’aveu des fautes ? » Commencez par vous rapprocher de Dieu. Comment ? En condamnant ce qui lui déplaît. Ta vie désordonnée lui est à charge : si elle est agréable pour toi, tu es en désaccord avec lui ; si elle te déplaît, tu te rapproches de lui par l’aveu. Vois donc de combien de manières tu es en désaccord avec lui, puisque c’est par cela mérite que tu lui déplais. O homme, tu as été fait à t’image de Dieu. Mais ta vie perverse et désordonnée a défiguré chez toi, a effacé chez toi l’image de ton créateur. Dans ce désaccord, si tu viens à te considérer et à te déplaire, tu redeviens semblable à Dieu, puisque tu détestes ce qu’il déteste.
4. Mais, diras-tu, comment puis-je être semblable à Dieu, quand je me déplais encore à moi-même ? – Aussi le Prophète a-t-il dit : « Commencez ». Commence par confesser tes fautes au Seigneur ; tu te perfectionneras dans la paix ; car tu es encore en guerre contre toi-même. Tu dois combattre non seulement contre les suggestions du démon, contre ce prince de la puissance de l’air, qui règne sur les fils de l’incrédulité, contre le diable et ses anges, contre les esprits de malice[350] ce n’est pas seulement contre tout cela qu’il te faut combattre, mais aussi contre toi-même. Comment contre toi-même ? Contre tes habitudes mauvaises, contre les attaches invétérées de ta vie coupable, qui te ramènent toujours aux désordres du passé, te détournant d’une vie nouvelle. C’est orne vie nouvelle en quelque sorte, qui t’est demandée, et tu es le vieil homme. La joie d’une vie nouvelle t’élève, et le poids du vieil homme te rabaisse : ce double mouvement est une guerre contre toi-même. Te haïr toi-même, c’est t’unir à Dieu, et cette union à Dieu te donne la force de vaincre, parce que tu as avec toi Celui qui est supérieur à tout. Vois ce que dit l’Apôtre : « Je suis soumis à la loi de Dieu par l’esprit, et à la loi du péché par la chair[351] ». Comment « par l’esprit ? » Parce que tu hais ta vie désordonnée. Comment « par la chair ? » C’est que tu n’es pas exempt des suggestions et des attraits du péché, mais ton cœur uni à Dieu te fait vaincre ce qui refuse en toi d’obéir. Tu avances d’une part, tu es retardé d’autre part. Traîne-toi vers celui qui t’élève en haut. Es-tu entraîné par le poids du vieil homme ? Redis dans tes cris : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps mortel ? » Qui me délivrera de ce corps qui m’entraîne ? Car ce corps corruptible appesantit l’âme[352]. Qui donc me délivrera ? « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur[353] ». Pourquoi te laisser dans une longue guerre contre toi-même, jusqu’à ce que toute convoitise soit détruite ? C’est afin que tu comprennes que ton châtiment est en toi, que tu as en toi-même ton propre fléau ; que ton coin bat soit de même en toi. C’est ainsi que Dieu tiré vengeance des rébellions : pour n’avoir point voulu de la paix avec Dieu, le pécheur est en guerre avec lui-même. Mais tiens tes membres en garde contre tes convoitises déréglées. Dans l’irritation, tiens-toi dans l’union de Dieu. Elle aura bien pu s’élever, mais non trouver des armes. L’irritation a ses transports, toi tu as des armes : qu’elle demeure désarmée, afin que ses vains soulèvements lui apprennent à ne plus se soulever.
5. Je vous parle ainsi, mes frères, de peur que cette parole : « Par la chair, je suis soumis à la loi du péché », ne vous fasse obéir à vos convoitises charnelles. Bien qu’il soit impossible de n’en point ressentir en cette vie, il ne faut point y consentir pour cela. Aussi l’Apôtre n’a-t-il pas dit : Que le péché n’entre point dans votre corps mortel. Il sait que dans un corps mortel il y aura toujours péché. Mais que dit-il donc ? « Que le péché ne règne point en votre corps mortel ». Qu’est-ce à dire, « qu’il ne règne pas ? » Le même saint Paul nous l’explique. « En sorte », dit-il, « que vous lui obéissiez dans ses tendances[354] ». Il y a donc des tendances dans la chair, elle a ses inclinations ; mais tu n’obéis point à ces tendances, tu n’es pas à la remorque de ces inclinations, ta volonté n’y est point : le péché est en toi, mais il a perdu son empire, puisqu’il n’y règne en aucune sorte. Alors sera détruite la mort, ta dernière ennemie[355]. Que nous promet l’Apôtre en disant que l’esprit en nous obéit à la loi de Dieu, tandis que la chair obéit à la loi du péché[356] ? Apprends qu’il nous promet que ces désirs déréglés s’éteindront un jour dans notre chair. Car elle ressuscitera et sera changée ; et quand cette chair mortelle sera devenue un corps spirituel, alors nulle convoitise du siècle, nul attrait charnel ne fera battre notre cœur, et ne nous détournera de la contemplation de Dieu. Ainsi donc s’accomplira ce que dit l’Apôtre : « A la vérité, le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, rendra aussi la vie à vos corps mortels à cause de son Esprit qui habite en vous[357] ». Donc après la résurrection, le corps jouira de cette paix où le Seigneur établit sa demeure : mais faisons d’abord l’aveu de nos fautes. « Dieu est connu dans la Judée ». Confesse à Dieu ce que tu es, alors « son nom sera grand en Israël ». Tu ne vois pas Dieu tel qu’il est, vois-le par la foi, et alors s’accomplira cette parole : « Et il fixe dans la paix sa demeure, c’est en Sion qu’il habite ». Sion signifie contemplation. Que veut dire contemplation ? Nous contemplerons Dieu face à face[358]. Ici-bas on nous promet Celui en qui nous croyons sans te voir. Quelle sera notre joie quand nous le verrons ? Mes frères, si la simple promesse nous fait ainsi tressaillir aujourd’hui, que sera-ce quand elle s’accomplira ? Car Dieu accomplira ce qu’il a promis. Et qu’a-t-il promis ? Lui-même, que nous verrons face à face, et dont la vue causera notre joie : et rien autre chose n’aura pour nous des charmes, parce que rien n’est supérieur à Celui qui a fait lui-même tout ce qui peut nous plaire. « Son tabernacle est dans la paix et il habite en Sion » : c’est-à-dire que sa demeure s’établit dans une contemplation paisible, dans une vue bienheureuse, « en Sion ».
6. « C’est là qu’il a brisé la puissance de l’arc, le bouclier, le glaive et la guerre[359] ». Où les a-t-il brisés ? Dans cette paix éternelle, cette paix parfaite. Et maintenant, mes frères, ceux qui ont une foi saine, comprennent qu’ils ne doivent point présumer d’eux-mêmes ; ils émoussent en eux-mêmes la pointe de leurs glaives, et toute la force de leurs menaces. C’est là que Dieu a brisé toutes les forces dont ils attendaient un secours temporel, et cette guerre qu’ils faisaient à Dieu en défendant leurs péchés.
7. « C’est vous qui répandez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles[360]2 ». Quelles sont ces montagnes éternelles ? Celles que Dieu même a rendues éternelles ; quelles sont ces montagnes élevées ? les prédicateurs de la vérité. C’est vous qui les éclairez, mais du haut des montagnes éternelles : ces hautes montagnes reçoivent d’abord votre lumière, et la terre se revêt ensuite de cette lumière qu’ont reçue les montagnes. Mais les grandes montagnes qui ont reçu la lumière sont les Apôtres, les Apôtres éclairés des premiers rayons de cette lumière naissante. Ont-ils retenti pour eux ce qu’ils avaient reçu ? Point du tout ; afin de ne pas entendre cette parole : « Méchant et lâche serviteur, que ne donnais-tu mon argent à la banque[361] ? » Si donc ils n’ont point retenu pour eux ce qu’ils avaient reçu, mais l’ont prêché à l’univers entier, « voilà que des montagnes éternelles vous avez répandu la lumière ». Vous avez rendu ces montagnes éternelles, et par elles vous avez promis aux autres une vie sans fin. « Du haut des montagnes éternelles, c’est vous qui avez répandu une admirable lumière ». C’est vous, dit le Prophète avec poids et magnificence, « c’est vous » ; afin que nul ne s’imagine que ce sont les montagnes qui l’éclairent. Il en est plusieurs en effet qui ont cru que la lumière était produite par les montagnes, et ils se sont partagé ces montagnes : et voilà que les montagnes se sont affaissées, et qu’eux-mêmes ont été brisés. Quelques-uns se sont choisi Donat, quelques autres ont suivi Maximien, celui-ci l’un, celui-là l’autre. Pourquoi s’imaginer que le salut vient des hommes, et non de Dieu ? O homme ! la lumière te vient au moyen des montagnes, mais celui qui éclaire, c’est Dieu, et non point les montagnes. « C’est vous qui éclairez », dit le Prophète, « vous », et non les montagnes. « C’est vous qui répandez la lumière », au moyen des montagnes éternelles, il est vrai mais la lumière vient de vous. De là vient cette autre parole du Psalmiste : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Quoi donc ! est-ce dans les montagnes que tu espères, est-ce de là que ton secours doit venir ? Es-tu demeuré sur les montagnes ? Prends garde à toi. Il y a quelque chose au-dessus des montagnes ; il y a, par-dessus les montagnes, Celui que redoutent les montagnes. « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Mais que dit ensuite le Prophète ? « Mon secours », a-t-il soin de dire, « me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[362] ». J’ai donc levé les yeux vers les montagnes, parce que ces montagnes m’enseignent les Écritures ; mais mon cœur espère en Celui qui éclaire toutes les montagnes.
8. Je vous parle ainsi, mes frères, afin que nul d’entre vous ne mette son espérance dans un homme. Car l’homme n’est quelque chose qu’en s’attachant à Celui qui l’a créé : dès qu’il s’en retire, il n’est plus rien, fût-il uni aux autres hommes. Prends donc conseil d’un homme, de manière à ne voir que Celui qui éclaire les hommes. Car toi-même tu peux avoir accès auprès de Celui qui t’instruit par un homme, car il ne t’a pas rejeté pour le faire approcher. Mais celui qui s’approche véritablement de Dieu, de manière que Dieu habite en lui, ne peut souffrir ceux qui ne mettent pas en lui seul leurs espérances. Aussi nous en fut-il donné un exemple, quand les fidèles se partagèrent les Apôtres, et se divisèrent en schismes, en disant : « Moi je suis à Paul, et moi à Apollo, et moi à Céphas », ou à Pierre. L’Apôtre s’apitoie sur eux, et leur dit : « Le Christ est-il donc divisé ? » et se choisissant lui – même pour s’humilier devant eux, « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous », s’écrie-t-il, « ou seriez-vous baptisés au nom de Paul[363] ? » O sainte montagne ! qui ne cherche point sa gloire, mais la gloire de Celui qui éclaire les montagnes. Il ne voulait point qu’on mit son espoir en lui, mais en Celui en qui lui-même espérait. Quiconque dès lors se fera valoir aux yeux des peuples, de manière à les séparer au moindre trouble qui arrive, et à se faire un Parti en divisant l’Église catholique, celui-là n’est pas une montagne éclairée par le Très-Haut. Qu’est-il donc ? Aveuglé par lui-même, et non point éclairé par le Seigneur. Comment éprouver la fidélité de ces montagnes ? S’il arrive dans l’Église quelque trouble contre les montagnes, soit par les séditions des hommes charnels, soit par les faux soupçons des autres hommes, une montagne fidèle repousse avec horreur tous ceux qui voudraient se donner à elle pour se séparer de l’unité. Elle-même demeurera dans l’unité quand elle ne souffrira point que l’unité se divise à son occasion. Pour ceux qui sont divisés, ils ont tressailli de joie, quand le peuple a fait schisme avec l’univers entier, pour suivre leur nom ; ils se sont élevés, et ont été rejetés. Que ne s’humiliaient-ils ! Dieu les eût relevés. Puni s’abaisse lui-même quand il dit : « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous ? » Et ailleurs « J’ai planté, À polio a arrosé ; mais Dieu a donné l’accroissement. Or, celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, mais bien Dieu qui donne l’accroissement[364] ». Ces montagnes sont humbles en elles-mêmes, élevées aux yeux de Dieu ; mais ceux qui s’élèvent en eux-mêmes sont humiliés par Dieu. « Car celui qui s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera humilié[365] ». Ces hommes, dès lors, qui recherchent leur propre gloire, abreuvent de fiel les hommes pacifiques dans l’Église. Les uns s’efforcent de maintenir la paix, les autres de semer la discorde. Or, que dit à ce sujet un autre psaume ? « Que les hommes de fiel ne s’élèvent point en eux-mêmes[366] ». C’est vous qui donnez la lumière, écoutez bien, « vous qui donnez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles ».
9. « Les hommes au cœur insensé ont été dans le trouble[367] ». On a prêché la vérité, annoncé la vie éternelle aux hommes, et à cette lumière que répandaient les montagnes, les hommes ont fait bon marché de la vie présente pour acquérir la vie éternelle. « Mais les hommes au cœur insensé ont été dans le trouble ». Commuent « se sont-ils troublés ? » Quand on a prêché l’Évangile. Qu’est-ce donc que la vie éternelle ? Qui donc est ressuscité d’entre les morts.? Ainsi parlaient avec surprise les Athéniens, quand Paul leur annonçait la résurrection des morts, qu’ils prirent pour je ne sais quelle fable nouvelle[368]. Mais comme il parlait d’une autre vie, que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, que le cœur de l’homme n’a point comprise[369], voilà que « des insensés ont été dans le trouble ». Or, que leur est-il arrivé ? « Ils ont dormi leur sommeil, et n’ont trouvé dans leurs mains aucune de leurs richesses ». Ils ont aimé les biens de cette vie, ils se sont endormis sur ces biens, et ces biens leur ont causé des délices, telles qu’en ressent un homme qui, dans son rêve, trouve des trésors ; tant qu’il ne s’éveille point, il est riche. Un songe l’a fait riche, le réveil va l’appauvrir. Le voila qui s’est endormi sur la terre, et sur la terre dure, pauvre, mendiant peut-être ; il s’est vu en songe dans un lit d’or ou d’ivoire, et sur des monceaux de plumes : tant qu’il dort, il est bien ; mais à son réveil il se retrouve sur la terre dure où il s’était endormi. Telle est l’image des riches. Ils sont venus en cette vie, où les ont tenus endormis les convoitises temporelles ; ils se sont trouvés au milieu des pompes et du luxe des richesses : ce luxe a passé devant leurs yeux, et ils n’ont point compris combien ils pouvaient en devenir meilleurs. Car, s’ils eussent connu une autre vie, ils s’y seraient amassé un trésor, avec ce qui doit périr ici-bas : c’est ce bien que connut Zachée, chef des publicains, quand il reçut Jésus dans sa maison, et qu’il dit : « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rendrai quatre fois autant[370] ». Il n’était point dans l’illusion d’un songe, mais dans la foi d’un homme éveillé. Aussi le Seigneur, qui était venu comme un médecin auprès d’un malade, annonça la guérison de cet homme, en disant : « Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, car celui-ci est aussi un enfant d’Abraham[371] ». D’où nous apprenons que nous devenons enfants d’Abraham en imitant sa foi mais les Juifs ont dégénéré de cette foi, en s’enorgueillissant dans la chair. « Ces hommes donc ont dormi leur sommeil, dans leurs richesses, et ensuite ils n’ont rien trouvé dans leurs mains ». Ils se sont endormis dans leurs convoitises ; ce sommeil leur plaît, mais il passe, leur vie passe également, et ils se trouvent les mains vides, parce qu’ils n’ont rien mis en dépôt dans la main du Christ. Veux-tu trouver un jour quelque chose dans ta main ? Ne méprise pas maintenant la main du pauvre, et regarde les mains vides, si tu veux qu’un jour tes mains soient pleines. Car le Seigneur l’a dit : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’ai été étranger, et vous m’avez recueilli », et le reste. Et ceux-ci : « Quand est-ce que nous vous avons vu ayant faim, ou soif, ou étranger ? » Alors le Sauveur leur répond : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[372] ». Il a voulu avoir faim dans les pauvres, Celui qui est riche dans les cieux ; et toi, ô homme, tu hésites à donner à l’homme, quand tu sais que lui donner, c’est donner au Christ, qui t’a donné le premier ce que tu donnes ensuite ? Mais les riches « ont dormi leur sommeil, et ensuite n’ont retrouvé en leurs mains aucune de leurs richesses ».
10. « A vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis[373] ». Quels sont « ces hommes montés sur des chevaux ? » Ceux qui ont repoussé l’humilité. Monter à cheval n’est pas un péché, mais bien élever contre Dieu une tête orgueilleuse, et alors se croire en honneur. Tu es donc à cheval, ô riche ; Dieu tonne, et tu t’endors. O colère menaçante ! colère d’uni Dieu ! Écoutez bien, mes frères, ce qu’il nous faut craindre, La menace est un bruit, et d’ordinaire le bruit tire les hommes du sommeil. Mais au contraire, sous le poids de menaces divines, le Prophète s’écrie : « Au bruit de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ». Tel était le sommeil de Pharaon, qui montait sur des chevaux[374]. Son cœur ne se réveilla point, parce que ce même cœur s’était endurci contre les menaces. L’endurcissement du cœur est un vrai sommeil. Voyez, mes frères, je vous en supplie, combien il en est qui sont endormis profondément ; dans l’univers entier on prêche l’Évangile, on chante partout, Amen et Alléluia, et ils ne veulent point condamner la vie du vieil homme, pour s’éveiller à une vie nouvelle, Jadis l’Écriture sainte n’était qu’en Judée, aujourd’hui elle est récitée dans tout l’univers. Il n’y avait qu’une nation où l’on prêchât le culte d’un seul Dieu, où le Créateur de toutes choses fût adoré ; et maintenant où n’est-il point publié ? Le Christ est ressuscité ; bafoué sur la croix, il a mis sur le front des empereurs cette même croix, instrument de ses épreuves ; et l’on sommeille encore ! Effrayante colère du Seigneur, mes frères ! Combien il est mieux pour nous d’écouter celui qui dit : « Debout, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et le Christ sera ta lumière[375] ». Mais qui écoutera sa parole ? Ceux qui ne montent point à cheval. Qui ne se grandit point sur des chevaux ? Ceux qui ne s’élèvent pas, qui ne se font pas de leurs honneurs et de leur puissance, un certain piédestal. « Au bruit de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ».
11. « Vous êtes terrible, et qui pourra vous résister dans votre colère[376] ? » Aujourd’hui qu’ils dorment leur sommeil, ils ne comprennent point votre colère, mais l’effet de cette colère est leur sommeil même. Un jour ils verront pour l’éternité ce qu’ils ne voient point aujourd’hui dans leur assoupissement ; quand apparaîtra le Juge des vivants et des morts, alors « qui pourra vous résister dans votre colère ? » ils discourent maintenant à leur gré, ils disputent contre Dieu, et osent dire : Quels sont les chrétiens ? ou, qui est le Christ ? ou bien : Quelle ineptie de croire ce que l’on ne voit pas, et de renoncer aux plaisirs que l’on voit de ses yeux, pour s’opiniâtrer à croire ce que les yeux ne voient point ? Insensés, vous rêvez, vous aboyez, vous vous élevez contre Dieu de toute la force de vos blasphèmes. Jusques à quand, ô mon Dieu, jusques à quand les pécheurs pourront-ils se glorifier ? Jusques à quand se répandront-ils en vains discours[377] ? Mais quand cessera-t-on de répondre et de questionner, sinon quand on rentrera en soi-même ? Quand est-ce qu’ils tourneront contre eux-mêmes ces dents acérées dont ils nous déchirent maintenant, en raillant les chrétiens, en jetant le ridicule sur la vie des saints ? Ils ne se tourneront contre eux-mêmes, que quand s’accomplira l’oracle de la sagesse : « Ils diront alors en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoisse de leur esprit[378] » ; ils diront en voyant la gloire des saints : « Les voilà, ces hommes que nous avions en mépris ». O vous, qui dormez depuis si longtemps ! vous sortez de votre sommeil, et vous vous trouvez les mains vides. Vous les voyez, au contraire, ayant la gloire de Dieu à pleines mains, ces pauvres que vous tourniez en dérision. Dites alors, alors que vous ne pouvez résister à la colère de Dieu, ni de la main, ni de la langue, ni des paroles, ni de la pensée ; dites, quand vous verrez à découvert Celui que vous avez tourné en dérision lorsqu’on vous annonçait son avènement ; mais que diront-ils ? « Nous avons donc erré loin de la voie de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est point levé pour nous ». Comment le soleil de la justice se lèverait-il pour des hommes endormis ? Mais ce sommeil est un effet de la colère et des menaces de Dieu. Peut-être me dira-t-on : Mais si je ne montais pas à cheval ; et alors ils s’accuseront d’être montés sur des chevaux. Écoutez-les s’en prendre à ces chevaux sur lesquels ils ont dormi : « Nous avons donc erré loin de la vérité, et la lumière de la vérité n’a point lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous. Que nous a servi notre orgueil ? que nous a procuré l’ostentation de nos richesses ? Tout a passé comme une ombre ». Te voilà donc enfin réveillé. Mais il eût mieux valu pour toi ne pas monter à cheval, et ne point t’assoupir alors que tu devais être éveillé, pour entendre la voix du Christ, qui eût été la lumière. « Vous êtes terrible, Seigneur, et qui peut vous résister dans votre colère ? » Qu’arrivera-t-il alors ?
12. « Du haut du ciel vous avez lancé vos jugements, la terre s’en est émue, elle est demeurée dans le silence[379] ». Elle qui se trouble, elle qui ose maintenant parler, sera dans le silence et dans le repos. Mieux vaudrait pour elle le repos aujourd’hui et la joie au dernier jour.
13. « La terre a tremblé, elle est demeurée dans la stupeur ». Quand ? « Alors que Dieu se levait pour le jugement, afin de sauver tous ceux qui ont le cœur doux[380] ». Quels sont ces hommes au « cœur doux ? » Ceux qui n’ont point monté sur des chevaux frémissants, mais qui ont humblement confessé leurs péchés. « Afin de sauver les hommes au cœur doux ».
14. « C’est pourquoi la pensée de l’homme vous confessera, et les restes de cette pensée célébreront une fête en votre honneur ». « Unie pensée » d’abord, et ensuite « les restes de cette pensée » Quelle est cette « pensée » première ? Celle qui commence, et la bonne « pensée » est celle qui commence l’accusation de ses fautes. La confession nous unit au Christ. Mais cette confession elle-même ou cette première « pensée » laisse en nous comme des suites, et ces mêmes « suites de la pensée célébreront en votre honneur des solennités. La pensée de l’homme vous confessera, et les suites de cette pensée célébreront des solennités en votre honneur[381] » Quelle sera donc « la pensée qui confessera ? » Une désapprobation de notre vie passée, qui prend à dégoût ce que nous avons été, et nous fait ce que nous n’étions pas encore : telle est la première « pensée ». Toutefois, comme l’aveu de tes fautes qui est le fruit de ta première pensée, te doit éloigner du péché, saris te faire oublier que tu as été pécheur ; avoir été pécheur, c’est là célébrer une fête en l’honneur de Dieu. Encore plus de clarté. La première « pensée » est l’aveu qui nous fait rompre avec le passé : mais oublier les fautes dont nous avons été délivrés, c’est ne pas remercier Dieu, et ne point célébrer une fête en son honneur. Voyez la première « pensée » de Saul devenu apôtre, et déjà Paul. Il était d’abord Saut, quand une voix se fit entendre du ciel, au moment où il persécutait le Christ, enlevait les chrétiens, et les cherchait partout pour les traîner à la mort ; il entendit cette voix du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[382] ? » Environné de lumière et néanmoins frappé d’aveuglement afin de ne voir qu’à l’intérieur, il émit sa première pensée d’obéissance. Il entendit ces paroles : « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes. Seigneur », dit-il alors, « que voulez-vous que je fasse[383] ? » C’est là une « pensée » de confession ; il appelle Seigneur Celui qu’il persécutait. Comment « les restes de cette pensée seront-ils une fête ? » Saint Paul vous l’a dit lui-même, dans la lecture que vous avez entendue : « Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Évangile que j’annonce[384] ». Qu’est-ce à dire : « Souvenez-vous ? » Que cette « pensée », qui vous a fait tout d’abord avouer vos fautes, ne s’efface point de votre mémoire. Et voyez comme le même Apôtre se souvient du lardon qui lui a été accordé : « Tout d’abord », nous dit-il ailleurs, « je fus un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi[385] ». Mais dire : « Je fus un blasphémateur », est-ce l’être encore ? Pour n’être plus blasphémateur, il eut tout d’abord une « pensée » de confession : et pour se souvenir du pardon, il eut « ces suites de la pensée », et ces suites furent une fête en l’honneur de Dieu.
15. Le Christ en effet, mes frères, nous a renouvelés, il nous a pardonné nos fautes et il a opéré notre conversion. Oublier cette miséricorde et Celui qui nous l’a faite, c’est oublier le don du Sauveur : mais quand nous n’oublions point le don du Sauveur, Jésus-Christ n’est-il pas chaque jour immolé pour nous ? Il l’a été une fois ; croire en lui, c’était là une première « pensée » ; « les suites de « cette pensée », sont de nous souvenir de Celui qui est venu en nous, de ce qu’il nous a pardonné. Ces restes de notre pensée, ou ce souvenir fait que Jésus-Christ s’immole chaque jour pour nous, et renouvelle chaque jour en nous cette première grâce du renouvellement. Car le Seigneur nous a retrempés dans le baptême, et nous sommes devenus des hommes nouveaux, pleins de joie dans l’espérance, et de patience dans la tribulation[386] ». Et toutefois ne perdons pas le souvenir de la grâce qui nous a été faite. Si votre « pensée » n’est point aujourd’hui ce qu’elle a été, car votre première « pensée » a été de sortir du péché, et si vous n’en sortez pas maintenant que cette œuvre est accomplie, ayez en vous « les restes de votre pensée », et n’oubliez point Celui qui vous a guéris. Oublier que vous fûtes blessés autrefois, c’est n’avoir plus « les restes de votre pensée ». Que veut dire ici David, croyez-vous ? Car il parle ici au nom de tous. David nonobstant sa sainteté pécha gravement, et le prophète Nathan lui fut envoyé pour le réprimander. David confessa sa faute en disant : « J’ai péché[387] ». Cette pensée d’accusation fut sa première « pensée ». « La pensée de l’homme vous confessera ». Quels furent « les restes de cette pensée ? » Ce fut de dire : « Mon péché est toujours devant moi[388] ». Quelle fut donc sa première « pensée ? » De sortir du péché. Mais s’il est sorti du péché, comment son péché peut-il être toujours devant lui, sinon qu’après l’exécution de sa première « pensé », « les restes de cette même pensée » offrent à Dieu une fête continuelle ? Tel est le souvenir que je vous supplie de garder, mes frères bien-aimés : que tout pécheur délivré se souvienne de ce qu’il a été, qu’il conserve « les restes de sa pensée ». Car il supportera ceux qui sont à guérir, s’il se souvient d’avoir été guéri. Que chacun donc se souvienne de ce qu’il a été, qu’il voie s’il ne l’est point encore, et il viendra en aide à Celui qui est encore ce que lui-même n’est plus. Que si au contraire il veut s’appuyer de ses propres mérites, et repousser les pécheurs comme indignes, et sévir contre eux sans aucune pitié, il monte alors à cheval, qu’il prenne garde à l’assoupissement. « Ils se sont assoupis tous ceux qui sont montés sur des chevaux ». Mais voilà qu’il descend de cheval, qu’il s’est humilié : qu’il n’y monte plus une seconde fois, c’est-à-dire, qu’il ne s’élève plus dans son orgueil. Comment cela se fera-t-il ? « Si les restes de sa pensée » sont pour Dieu une hymne de louanges.
16. « Faites au Seigneur, votre Dieu, des « vœux, et accomplissez-les[389] ». Que chacun fasse des vœux selon son pouvoir, et les accomplisse. N’allez point faire des vœux que vous n’accompliriez pas ; mais que chacun proportionne ses vœux à son pouvoir et les accomplisse. Ne soyez point tièdes à offrir des vœux ; car ce n’est point par votre force que vous les accomplirez. Vous serez en défaut si vous comptez sur vous-mêmes ; mais faites des vœux, si vous comptez sur le Dieu à qui vous les faites, car alors vous les accomplirez. « Faites au Seigneur votre Dieu des vœux et accomplissez-les ». Quels vœux devons-nous faire communément à Dieu ? De croire en lui, d’espérer qu’il nous donnera la vie éternelle, de vivre saintement dans la vie commune à tous les chrétiens. Car il est une manière de vivre commune à tous. S’abstenir du vol, n’est pas un précepte enjoint aux vierges, et dont serait exempte une Épouse ; ne pas commettre l’adultère, est un précepte commun à tous ; éviter les excès du vin, qui gorgent l’âme et souillent en nous le temple de Dieu, est encore un précepte pour tous ; il est aussi défendu à tous de ne point s’enorgueillir, à tous encore de ne point commettre l’homicide, de ne point haïr son frère, de ne vouloir aucun mal à personne. Voilà des vœux obligatoires pour tous. Mais il est encore des vœux particuliers à chacun. L’un a fait vœu d’être chaste dans le mariage, et de ne connaître aucune autre femme que la sienne ; de même une femme a fait vœu de ne connaître que son mari. Quelques-uns, après s’être engagés dans le mariage, ont fait vœu de n’en plus user, de ne plus rien désirer ou supporter de semblable ; d’autres sont allés plus loin encore que ces derniers. D’autres ont fait vœu, dès l’enfance, de garder la virginité, et de ne pas même se permettre le mariage, que ces derniers s’étaient permis : c’est un vœu plus parlait. Ceux-ci ont promis à Dieu de faire de leur maison l’asile de tous nos frères qui peuvent leur venir : c’est là un vœu agréable à Dieu. Celui-là promet de quitter son bien pour le donner aux pauvres, et de vivre en communauté dans la compagnie des saints : c’est encore un vœu méritoire, « Faites au Seigneur votre Dieu des vœux, et accomplissez-les ». Que chacun fasse tel vœu qu’il voudra : qu’il ait soin seulement d’accomplir sa promesse. Quiconque après avoir fait un vœu, regarde en arrière, est déjà coupable. Voilà je ne sais quelle vierge qui veut se marier après avoir fait vœu de virginité. Que veut-elle ? Ce que veut toute autre tille. Que veut-elle encore ? Ce que veut sa mère. Est-elle donc si coupable ? Oui, sans doute. Pourquoi ? Parce qu’elle avait fait un vœu au Seigneur son Dieu. Que dit saint Paul à propos de ces personnes ? Il dit aux jeunes veuves de se marier si elles veulent[390] ; et pourtant il ajoute à un certain endroit : « Elle sera plus heureuse, si elle demeure veuve, et c’est ce que je lui conseille[391] ». Il dit qu’elle sera plus heureuse de demeurer veuve, mais il ne la condamne pas si elle veut se marier. Et que dit-il de celles qui ont fait des vœux sans les accomplir ? « Elles encourent la condamnation », dit-il, « parce qu’elles éludent leur promesse déjà faite[392] ». Qu’est-ce à dire, « elles éludent leur promesse déjà faite ? » Elles ont fait no vœu qu’elles n’accomplissent point. Que nul de nos frères qui ont embrassé la vie monastique ne dise : Je me retire du monastère, car il n’y aura pas que les moines pour aller au ciel, et ceux qui ne sont point ici, ne laissent pas d’être à Dieu. On lui répond : Ceux-là n’ont fait aucun vœu ; toi, tu en as fait, et tu regardes en arrière. Que dit le Seigneur en nous menaçant du jour du jugement ? « Souvenez-vous de la femme de Loth[393] ». Et il parle pour tous. Que fit la femme de Loth ? Elle échappe à la ruine de Sodome, mais, chemin faisant, elle tourne la tête, et la voilà qui demeure où elle avait regardé. Elle est changée en statue de sel[394], et devient une leçon pour ceux qui la verront à l’avenir ; afin qu’ils deviennent sages, ne soient point insipides, ne regardent point en arrière, ne donnent point l’exemple pernicieux qui les fixerait pour devenir un exemple aux autres. Voilà ce que nous disons aujourd’hui à quelques-uns de nos frères que nous voyons s’affaiblir eu quelque sorte dans leurs bonnes résolutions : Voulez-vous donc ressembler à tel ou tel ? en leur citant ceux qui ont regardé en arrière. Voila des hommes fades en eux-mêmes, et qui servent de condiment aux autres : on les cite afin d’intimider par leur exemple, et de préserver de leur chute. « Faites au Seigneur votre Dieu des vœux, et accomplissez-les ». Cette femme de Loth est pour tous un exemple. Qu’une femme mariée veuille commettre l’adultère, c’est là tourner la tête du lieu où elle était arrivée. Une veuve qui a fait vœu de demeurer en cet état, veut se marier, elle veut ce qui a été permis à d’autres qui sont mariés une seconde fois ; mais à elle cela n’est point permis, c’est regarder en arrière. Voila une vierge qui s’est consacrée à Dieu, elle avait toutes les vertus qui embellissent la virginité elle-même, et sans lesquelles cette pureté n’est que laideur. Que serait-ce en effet qu’une âme corrompue dans une chair intacte ? Que dis-je ? Que serait-ce qu’une chair immaculée, avec l’intempérance du vin, de l’orgueil, de la colère, de la langue ? Car tout cela est condamné par Dieu. Qu’elle se soit mariée avant d’avoir fait des vœux, elle n’était point condamnable ; elle a choisi mieux, elle s’est élevée au-dessus de ce qui lui était permis ; et voilà que son orgueil la porte à des excès. Je le répète, Il est permis de se marier avant d’avoir fait des vœux, mais de s’enorgueillir, jamais. Toi donc, ô vierge de Dieu, tu as renoncé au mariage qui était permis, et tu as de l’orgueil, ce qui n’est jamais permis. L’humilité dans une vierge est supérieure à l’humilité dans une Épouse ; mais une Épouse qui est humble est bien supérieure à une vierge orgueilleuse. Quant à celle qui s’est retournée vers le mariage, ce n’est point pour avoir voulu se marier qu’elle est condamnable, mais parce qu’elle s’était élevée au-dessus du mariage, et qu’elle a regardé en arrière comme la femme de Loth. Ne vous attardez point, mues frères, qui le pouvez, vous à qui Dieu domine d’aspirer à un état plus élevé : ce n’est point pour vous détourner des vœux, que je vous parle de la sotte, mais pour vous faire accomplir ce que vous avez promis. « Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ». Peut-être que mon langage t’a détourné des vœux que tu voulais taire. Mais écoute ce que dit le Psalmiste. Il ne dit point : Ne faites aucun vœu ; mais au contraire : « Faites des vœux et « accomplissez-les o. Voudrais-tu ne faire aucun vœu, parce qu’il est dit « Accomplissez-les ? » Alors tu voulais en faire, mais pour ne point les accomplir ? Fais l’un et l’autre au contraire : L’un sera le fruit de ta bonne volonté, l’autre du secours de Dieu. Considère Celui qui te conduit, et tu ne regarderas point en arrière le lieu d’où il t’a fait sortir. Ton guide est devant toi, le lieu d’où tu viens est derrière toi. Aime ton guide et tu n’encourras pas sa condamnation en regardant derrière. « Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ».
17. « Tous ceux qui l’environnent, lui offriront des présents ». Qui est-ce qui environne le Seigneur ? En quel lieu peut-être celui-ci pour dire : « Tous ceux qui l’environnent ? » Si tu as en pensée Dieu le Père, où peut n’être l’oint Celui qui est présent partout ? Si c’est le Fils dans sa nature divine, il est avec le Père, présent partout : car il est la sagesse de Dieu, dont il est dit : « Elle atteint partout à cause de sa pureté[395] ». Si tu envisages le Fils, comme revêtu de notre chair, tel qu’on l’a vu parmi les hommes, il fut crucifié, il est ressuscité, et nous savons qu’il est monté au ciel. Qui donc est autour de Dieu ? Les anges. Et nous, n’offrons-nous aucun présent ? Car le Prophète a dit : « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des présents ». Si Notre-Seigneur était enseveli quelque part sur ta terre, si son corps était renfermé dans quelque tombeau comme celui des martyrs, nous remarquerions ceux qui seraient à l’entour, et les peuples qui avoisineraient ce tombeau, ou ceux qui y viendraient de toutes parts. Maintenant qu’il s’est élevé de la terre, il est au ciel. Que signifie : « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des présents ? » Je vais vous dire le sens que Dieu daigne m’inspirer au sujet de ces paroles : s’il s’en présente un meilleur, il sera également à vous, car la vérité est de tout le monde : elle n’est ni à vous ni à moi, ni à celui 101, ni à celui-là, elle est commune à tous. Peut-être est-elle au milieu de nous, afin d’être ainsi environnée de tous ceux qui l’aiment. Ce qui est commun à tous, est au milieu de tous. Qu’est-ce à donc au milieu ? Également éloignée de tous, également rapprochée de tous. Ce qui n’est pas au milieu, paraît un bien privé. Ce qui est public, se place au milieu, afin que tous ceux qui viennent en aient une part, en soient éclairés. Que nul ne dise : Ceci est à moi, de peur de s’approprier ce qui est au milieu pour tous. Qu’est-ce donc : « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des présents ? » Tous ceux qui comprennent que la vérité est commune à tous, qui ne tentent pas de se l’approprier avec orgueil comme leur bien propre, lui offriront des présents, parce qu’ils ont de l’humilité. Ceux, au contraire, qui s’emparent de ce qui est commua à tous, qui attirent séparément à eux ce qui est au milieu, n’offrent pas des présents à Dieu ; car « tous ceux qui l’environnent offrent les présents au Dieu terrible ». C’est au Dieu terrible que l’on fait des offrandes. Qu’ils le craignent dès lors, tous ceux qui l’environnent. Ils le craindront en effet, et le loueront avec frayeur, car ils ne l’environnent que pour l’atteindre, afin de le posséder en commun, d’en recevoir une lumière commune à tous. C’est là craindre Dieu. Chercher à se l’approprier, de sorte qu’il ne soit plus le bien de tous, c’est le propre de l’orgueil. Or, il est écrit : « Servez le Seigneur avec crainte, et louez-le avec tremblement[396] ». Donc ceux qui l’environnent lui offriront des présents, car ceux-là sont humbles qui savent que la vérité est le bien de tous.
18. À qui offriront-ils des présents ? « Au Dieu terrible, à celui qui ôte l’esprit des princes[397] ». L’esprit des princes est un esprit d’orgueil. Ceux-là ne sont pas de l’esprit de Dieu, qui regardent ce qu’ils savent, non comme le bien de tous, mais comme leur bien propre : il est, au contraire, à celui qui se regarde l’égal de tous, qui se met au milieu afin que tous puisent en lui ce qu’ils voudront et autant qu’ils voudront, non ce qui vient de l’homme, mais de Dieu, et dès lors ce qui est à eux puisqu’ils sont de Dieu. Tous ceux-là donc ont l’humilité, car ils ont échangé leur esprit coutre l’esprit de Dieu. Qui leur a fait perdre leur esprit ? Celui qui le fait perdre aux princes, ainsi qu’il est dit dans un autre psaume : « Vous leur ôterez leur esprit et ils seront sans force, et ils retourneront dans leur poussière. Vous enverrez votre esprit, et ils renaîtront, et la face de la terre sera changée[398] ». Quelqu’un a peut-être compris une vérité ; s’il se l’attribue en propre, il a encore son esprit ; il est à souhaiter qu’il perde son esprit pour acquérir l’Esprit de Dieu ; il s’enorgueillit encore avec les princes : il est bon qu’il rentre dans sa poudre, et qu’il dise : « Souvenez-vous, Seigneur, que nous ne sommes que poussière[399] ». Si tu confesses que tu es poussière, de cette poussière Dieu fera un homme. Tous ceux qui l’environnent lui offrent des présents. Tous ceux qui sont humbles se prosternent devant lui pour l’adorer. Ils offrent des présents au Dieu terrible. S’il est terrible, « tressaillez avec crainte, devant Celui qui ôte l’esprit des rois », ou qui réprime l’audace des orgueilleux. « il est terrible aux rois de la terre ». Les rois de la terre sont redoutables en effet, mais il est plus redoutable que tous les rois, Celui qui l’est même aux rois de la terre. Sois un roi de la terre, et Dieu sera terrible pour toi. Mais, diras-tu, comment serai-je un roi de la terre ? Gouverne la terre, et tu seras un roi de la terre. Loin de toi cette soif du pouvoir, qui te ferait jeter les yeux sur de vastes provinces pour y déployer ta puissance ; gouverne la terre que tu portes. Écoute l’Apôtre qui gouvernait la terre : « Je combats, non comme frappant les airs ; mais je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même[400] ». Soyez donc, mes frères, soyez autour de Dieu, afin de ne pas attribuer le mérite de la vérité à celui qui vous l’annonce, quel qu’il soit : que cette vérité soit au milieu de vous comme le bien de tous. Soyez humbles, et si vous comprenez quelque peu ce bien inappréciable, ne vous en attribuez pas le mérite. Ce que nous pourrions comprendre mieux que vous, est à vous ; et ce que vous pourriez mieux comprendre, est à nous également ; demeurons tous autour de Dieu et dans l’humilité. Et de la sorte en faisant abnégation de notre esprit, nous offrirons des présents à Celui qui est redoutable aux rois de la terre, c’est-à-dire à ceux qui gouvernent leur chair, dans la soumission au Créateur.


DISCOURS SUR LE PSAUME 76[modifier]

SERMON AU PEUPLE[modifier]

L’INTÉRIEUR DU CHRÉTIEN.[modifier]

Idithun, ou celui qui devance, bondit jusqu’à ce qu’il arrive à la fin de la loi qui est le Christ, et en dehors de qui tout est affliction. Il demande à Dieu, non les biens de cette vie, ce serait reculer, mais Dieu lui-même, qu’il appelle en lui au jour de la tribulation. Cette tribulation, c’est la vie qui est une épreuve. L’homme qui devance cherche Dieu par de bonnes œuvres, il le cherche la nuit ou dans cette vie, qui est ténèbres, puisque nous avons besoin de la lumière des Écritures, mais qui est lumière en comparaison de la vie des infidèles. C’est en cette vie qu’il faut chercher Dieu par des œuvres incessantes, et le chercher en sa présence pour éviter la déception. Le Prophète est dans la tristesse, à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; pour se consoler des scandales, il se souvient de Dieu et cherche en lui le repos. Partout il rencontre des pièges, et il s’abrite dans le silence pour méditer les années éternelles, non point ces années dans lesquelles nous n’avons que le moment où, nous parlons, encore nous échappe-t-il avec chaque syllabe. Dans le silence de son âme il comprend que Dieu ne nous repoussera point éternellement, car s’il y a en nous quelque pitié, elle vient de lui. En s’élevant au-dessus de lui-même, il arrive aux délices pures, et se complaît dans les œuvres de Dieu, dans Dieu lui-même, qui est la sainteté, la grandeur, qui opère seul des merveilles, et fait connaître son Christ aux Juifs et aux Gentils. Alors les peuples ont confessé le Seigneur, à ta voix des nuées ou des Apôtres, dont la prédication a transpercé les cœurs, et qui ont converti le monde entier à cette lumière du Christ, dont les Juifs ont méconnu les traces.


1. Voici l’inscription qui ouvre le psaume : « Pour la fin, psaume à Asaph pour Idithun[401] ». Vous savez ce que signifie u pour la fin n. « Car le Christ est la fin de la loi pour ceux qui croiront[402] ». Idithun signifie celui qui devance les autres, et Asaph l’assemblée. Celle qui parle ici, est donc une assemblée qui s’avance pour arriver à la fin, qui est le Christ Jésus : et le psaume nous apprend ce qu’il nous faut devancer pour arriver à cette fin, où nous n’aurons plus rien à devancer. Car il nous faut incessamment dépasser tout ce qui nous est obstacle, tout ce qui nous embarrasse, tout ce qui nous retient comme une glu, tout fardeau qui appesantit notre vol, jusqu’à ce que nous arrivions à ce qui doit nous suffire, au-delà de quoi il n’y a plus rien, qui domine tout, et par qui tout existe. Un jour Philippe voulait voir le Père, et disait à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit[403] », comme s’il avait encore quelques obstacles à franchir pour arriver au Père, s’y reposer en toute sécurité, et n’avoir plus rien à dépasser. Tel est le sens de cette parole : « Cela nous suffit ». Or, Jésus-Christ, qui avait dit, dans toute la force de la vérité : « Mon Père et moi nous sommes un », avertit Philippe et lui enseigna que tout homme qui comprend le Christ trouve aussi sa fin dans le Christ, parce que le Père et lui sont un. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore ? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père[404] ». Quiconque dès lors veut entrer dans les sentiments du psaume, les reproduire, les conserver, doit s’élever au-dessus de tous les désirs charnels, fouler aux pieds les pompes et les charmes du monde, et ne se proposer d’autre terme à sa course, que Celui par qui tout a été fait. Tout cela le fait languir, jusqu’à ce qu’il arrive à sa fin. Que nous dit alors celui qui devance ?
2. « J’ai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur[405] ». Mais combien en est-il qui élèvent la voix au Seigneur, pour en obtenir des richesses, pour éviter quelque perte, pour la santé des leurs, pour l’affermissement de leur maison, pour une félicité temporelle, pour les dignités du monde, enfin pour leur propre santé, qui est le patrimoine du pauvre ? C’est pour ces biens et pour d’autres semblables que beaucoup élèvent la voix vers le Seigneur[406], à peine s’en trouve-t-il qui élèvent la voix pour Dieu lui-même. Il arrive aisément qu’un homme cherche à obtenir quelque chose de Dieu, et ne cherche pas Dieu : comme si le don nous convenait mieux que le donateur. Quiconque demande à Dieu autre chose que lui-même, n’est pas encore l’homme qui devance. Que dit alors cet Idithun ? « J’ai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur ». Et pour nous montrer qu’en élevant sa voix au Seigneur, il n’a d’autre but que le Seigneur lui-même, il ajoute : « Et ma voix s’adresse à Dieu. Notre voix peut, en effet, s’élever vers Dieu, et avoir un autre but que Dieu lui-même. Nos cris ont pour but l’objet qui nous les fait élever. Mais celui-ci qui aimait Dieu gratuitement, qui sacrifiait volontairement au Seigneur[407], qui s’était élevé au-dessus de tout ce qui est ici-bas, qui ne voyait plus au-dessus de lui rien qu’il pût désirer, sinon Celui d’où il venait, par qui et en qui il avait été créé, vers lequel il élevait sa voix, celui-ci, dis-je, n’adressait qu’au Seigneur ses cris. Est-ce donc en vain ? Écoute la suite : « Et il m’a entendu ». Oui, sans doute il se penche vers toi, quand tu le cherches, et non lorsque tu attends de lui autre chose que lui. Il est dit de quelques-uns, qu’« ils ont crié sans que personne les sauvât, vers le Seigneur, qui ne les a point écoutés[408] ». Pourquoi ? Parce que leur voix ne cherchait point le Seigneur. Voilà ce que nous marque l’Écriture, qui dit ailleurs, à propos de ces hommes : « Ils n’ont pas invoqué le Seigneur[409] ». Ils n’ont cessé de crier vers lui, et pourtant « ils n’ont point invoqué le Seigneur ». Que veut dire : « Ils n’ont point invoqué le Seigneur ? » lis n’ont point appelé le Seigneur en eux ; ils ne l’ont point attiré dans leurs cœurs, ils n’ont point voulu que le Seigneur habitât en eux. Aussi que leur est-il arrivé ? : « Ils ont été saisis de frayeur, ou il n’y avait nulle crainte[410] ». Ils ont redouté de perdre les biens du temps, parce qu’ils n’étaient point rassasiés de Celui qu’ils n’avaient point appelé en eux. Ils n’avaient point pour lui cet amour désintéressé qui leur eût fait dire : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit bénis ». « Ma voix donc est pour le Seigneur », dit le Prophète ; puisse-t-il nous enseigner comment il en est ainsi.
3. « Au jour de ma tribulation, j’ai recherché le Seigneur[411] ». Qui es-tu pour en agir de la sorte ? Vois ce qui t’affecte au jour de la tribulation. Si tu es affligé d’être en prison, ton désir est d’être délivré ; si tu souffres de la fièvre, tu désires la santé ; si tu souffres de la faim, tu recherches la nourriture ; si tu as essuyé quelque dommage, tu cherches de nouveaux gains ; si l’éloignement de ta patrie te cause quelque douleur, tes désirs sont d’y retourner : qu’ai-je besoin d’énumérer tout le reste, et comment le pourrais-je ? Veux-tu tout devancer ? Au jour de la tribulation, recherche le Seigneur, et non autre chose par le Seigneur ; oui, Dieu dans la tribulation, afin qu’il écarte la tribulation, et que tu puisses demeurer en lui en toute sécurité. « Au jour de la tribulation, j’ai recherché le Seigneur », rien que Dieu, mais Dieu lui-même. Et comment l’as-tu recherché ? « Toute la nuit je l’ai recherché de mes mains en sa présence[412] ». Redis-le au Prophète, afin que nous le sachions, que nous le comprenions, que nous le pratiquions, s’il nous est possible. Qu’as-tu donc recherché au jour de la tribulation ? « Dieu ». Comment l’as-tu cherché ? « De mes mains ». Quand l’as-tu cherché ? « La nuit ». Où l’as-tu cherché ? « En sa présence ». Quel est le fruit de tes recherches ? « Je n’ai pas été déçu ». Autant de particularités, mes frères, qu’il faut voir, qu’il faut sonder, qu’il faut examiner avec soin ; et quelle est cette affliction qui lui a fait rechercher Dieu ; et qu’est-ce que rechercher Dieu des mains, et pendant la nuit, et en sa présence : car tout le monde comprend ce qui suit : « Et je n’ai pas été déçu ». Que veut dire en effet : « Je n’ai pas été déçu ? » j’ai trouvé ce que je cherchais.
4. Cette affliction n’est pas une peine telle quelle. Quiconque ne devance pas encore, ne connaît d’autre affliction que celle qui nous survient en des temps fâcheux ; mais celui qui s’avance ici regarde toute sa vie comme une peine. Telle est son ardeur pour la céleste patrie, que son pèlerinage sur la terre est sa plus grande tribulation. Comment, je vous le demande, cette vie-ci ne serait-elle pas une calamité ? Comment ne serait-elle point une tribulation, quand elle est appelée une tentation continuelle ? On lit en effet dans le livre de Job : « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une épreuve[413] ? » Nous dit-il que la vie de l’homme est éprouvée sur la terre ? Du tout. « Elle est elle-même l’épreuve » ; si elle est épreuve, elle est aussi tribulation. Ainsi donc, dans cette tribulation, c’est-à-dire dans cette vie, l’homme qui devance a cherché Dieu. Comment ? « De mes mains », répond-il. Qu’est-ce à dire, « de mes mains ? » Par mes œuvres. Car il ne cherchait rien de corporel qu’il pût toucher, comme on cherche une monnaie d’or ou d’argent qu’on a perdue, ou toute autre chose que la main peut toucher. Il est vrai que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même voulut qu’on le touchât des mains, quand il montra ses plaies au disciple qui doutait. Mais quand après avoir touché les cicatrices des plaies, il se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu » ; n’entendit-il pas : « Tu as cru, parce que tu as vu : bienheureux ceux qui ont cru sans voir[414] ? » S’il mérita ce reproche pour avoir cherché Jésus-Christ de ses mains, en sorte qu’il soit ignominieux d’avoir cherché Dieu de la sorte ; nous qui sommes appelés bienheureux parce que nous avons cru sans voir, pourquoi chercherions-nous le Seigneur, de la main ? Nous le chercherons, disons-nous, par nos œuvres. Quand le chercherons-nous ? « La nuit ». Qu’est-ce à dire, « la nuit ? » En cette vie. Car la nuit règne tant que ne paraît point le jour où Jésus-Christ Notre-Seigneur doit paraître dans sa gloire. Voulez-vous comprendre que nous sommes dans la nuit ? C’est que si nous n’avions un flambeau nous serions continuellement dans les ténèbres. Saint Pierre dit en effet : « Nous avons une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous avez raison d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que vienne à poindre le jour, et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs[415] ». Il viendra donc après cette nuit, mais pendant cette nuit servons-nous d’un flambeau. C’est là sans doute ce que nous faisons actuellement : vous exposer les saintes Écritures, c’est vous donner comme consolation dans nos ténèbres, un flambeau qui doit toujours être allumé dans vos demeures ; car c’est à ce sujet qu’il est dit : « N’éteignez point l’esprit[416] ». Et comme pour expliquer cette parole, saint Paul ajoute : « Ne méprisez pas la prophétie ». C’est-à-dire, que votre lampe soit allumée. Or, cette lumière est appelée nuit lorsqu’on la compare avec le jour ineffable ; mais en face de la vie des infidèles, la vie des fidèles est bien une lumière. Nous avons déjà dit comment elle est nuit, et nous l’avons prouvé par le témoignage de saint Pierre, qui nous parte de flambeau et nous avertit d’être attentifs a ce flambeau, c’est-à-dire aux discours des Prophètes, « jusqu’à ce que le jour vienne, et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs ». Saint Paul nous montre aussi que la vie des fidèles est un véritable jour, si nous la comparons à la vie des impies : « Loin de nous », dit-il, « ces œuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière ; marchons dans la décence comme dans le jour[417] ». Une vie honnête est donc le jour en comparaison de la vie des impies. Mais ce jour d’une vie fidèle ne suffit point à notre Iditum. Il veut s’élever au-delà de cette lumière, jusqu’à ce qu’il arrive à ce jour où il ne craindra plus les tentations de la nuit. Ici-bas, en effet, bien que la vie des fidèles soit une lumière, « la vie de l’homme sur la terre est une épreuve[418] ». Elle est lumière et ténèbres ; lumière, si nous la comparons à la vie des infidèles ; ténèbres, si nous la comparons à la vie des anges. Car les anges ont une lumière que nous n’avons pas encore, et nous avons une lumière que n’ont pas les infidèles : mais les fidèles n’ont point la vie des anges, ils n’en doivent jouir que quand ils seront comme les anges de Dieu, ce qui leur est promis pour le jour de la résurrection[419]. Ainsi donc, en ce jour qui est nuit encore, nuit en comparaison du jour auquel nous aspirons, jour en comparaison des ténèbres de notre vie passée : dans celte nuit, dis-je, recherchons Dieu de nos mains. Que nos bonnes œuvres ne s’arrêtent point ; cherchons Dieu, et que nos désirs ne soient point stériles. Si nous sommes en voyage, faisons les dépenses pour arriver au terme. Cherchons Dieu de nos mains. Bien que ce soit pendant la nuit que nous le cherchions de nos mains, il n’y a point d’erreur, puisque nous le cherchons « en sa présence ». Qu’est-ce à dire, « en sa présence ? » « Gardez-vous de faire vos bonnes œuvres devant les hommes, afin qu’ils vous voient ; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Lors donc que vous faites l’aumône », dit-il, lorsque vos mains cherchent Dieu, « ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites ; mais que votre aumône soit dans le secret ; et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra[420] ». Donc « j’ai cherché de mes mains en sa présence, et je n’ai pas été déçu ».
5. Mais voyons ce qu’Idithun a enduré sur la terre et pendant cette nuit ; écoutons avec la plus grande attention, comment les embarras et les afflictions de cette vie, l’ont mis dans une certaine nécessité de s’élever au-dessus de tout cela. « Mon âme a refusé toute consolation[421] ». Tel était mon ennui sur la terre, que mon âme se fermait à toute consolation. D’où lui venait un tel ennui ? La grêle avait-elle ravagé sa vigne, ou ses olives ne mûrissaient-elles point, ou la pluie avait-elle retardé ses vendanges ? D’où vient cet ennui ? Écoute un autre psaume, dont l’interlocuteur est le même : « L’ennui m’a saisi, à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi[422] ». Tel est le mal qui lui avait causé un si profond ennui, que son âme, dit-il, se refusait à toute consolation. Absorbé par l’ennui, plongé dans une tristesse sans ressource, il ne veut plus de consolation. Dès lors que lui reste-t-il ?
6. Vois d’abord ce qui le consolerait. N’avait-il pas cherché quelqu’un qui s’affligeât avec lui et sans le trouver[423] ? Où pouvait-il se tourner pour être consolé, celui qui s’affligeait en voyant abandonner la loi de Dieu ? Où se tourner ? vers quelque homme de Dieu ? L’expérience ne lui a-t-elle pas fait rencontrer, de leur part, une douleur d’autant plus grande, qu’il en avait espéré une joie plus douce ? Quelquefois, en effet, on découvre des hommes justes, et l’on s’en réjouit ; il faut d’autant plus s’en réjouir, que la charité est inséparable de cette joie ; mais si dans ces hommes qui causent notre joie, nous trouvons quelque dépravation, comme il arrive souvent, nous ressentons autant d’ennui que tout d’abord nous avions ressenti de joie ; c’est au point que, dans la suite, on craint de donner cours à sa joie, de s’abandonner à l’allégresse, de peur de rencontrer une tristesse plus grande encore que la joie que l’on a pu ressentir. Frappé donc de ces nombreux scandales, comme d’autant de plaies, il ferme son âme à toute consolation humaine, il n’en veut chercher aucune. Comment vivre alors ? comment respirer ? « Je me suis souvenu de Dieu, et j’ai été dans la joie ». Mes mains n’avaient pas travaillé vainement, elles avaient trouvé le souverain Consolateur. Ce n’est point dans le repos que « je me suis souvenu de Dieu, et que j’ai été dans la joie ». C’est donc Dieu qu’il faut prêcher, lui dont le souvenir a comblé de joie notre interlocuteur, l’a consolé dans la tristesse, et lui a rendu l’espoir du salut, c’est Dieu qu’il faut bénir. Il nous montre encore qu’il a été consolé, quand il dit : « J’ai communiqué ». Qu’est-ce à dire : « J’ai communiqué ? » J’ai tressailli, j’ai répandu ma joie. On appelle communicatifs, ceux que le vulgaire nomme causeurs, et qui dans les transports de leur joie ne peuvent et ne veulent pas se taire. Voilà Idithun, et que dit-il ensuite ? « Et mon âme est tombée en défaillance ».
7. L’ennui l’avait accablé, il retrouvait la joie dans le souvenir de Dieu, puis il tombe en défaillance, après avoir parlé ; que dit-il ensuite ? « Mes ennemis ont devancé le moment de la veille[424] ». Mes ennemis ont veillé sur moi, ils ont veillé plus que moi, et dans cette vigilance ils m’ont surpris. Où ne sont point leurs pièges ? Mes ennemis n’ont-ils pas devancé l’heure de la veille ? Quels sont en effet mes ennemis, sinon ceux dont l’Apôtre a dit : « Vous n’avez pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs[425] ? » C’est donc le diable et ses anges qu’il nous faut combattre ; et c’est avec raison qu’ils sont appelés gouverneurs du monde, puisqu’ils gouvernent ceux qui sont épris du monde. Sans doute l’Apôtre ne les appelle point gouverneurs du monde, comme s’ils avaient la direction du ciel et de la terre, mais par ce mande il entend les pécheurs : « Et le monde ne l’a point connu[426] ». Ainsi donc le monde gouverné par le démon, c’est le monde qui n’a pas connu le Christ. C’est contre ces démons que nous avons d’impérissables inimitiés. Quelle que soit ta haine contre un homme, tu songes à en finir, ou en recevant ses excuses, s’il t’a offensé le premier, ou en présentant les tiennes, si l’offense vient de toi, ou par de mutuelles excuses, Si vos outrages sont réciproques : tu t’efforces d’en venir à une satisfaction, à un accord mais avec le diable et ses anges, nul accord n’est possible. Ils nous envient le royaume des cieux. Ils ne peuvent s’adoucir à notre égard : « Ce sont des ennemis qui ont devancé « toutes nos veilles ». Ils sont plus attentifs à nous tromper, que moi à me défendre. « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Comment n’auraient-ils point mis en demeure toute vigilance, eux qui ont tendu partout des pièges et des pierres de scandale ? Es-tu dans l’ennui ? tu dois craindre que la tristesse ne t’accable ; es-tu dans la joie ? crains que l’expansion de cette joie ne te conduise à la défaillance : « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Enfin, lorsque tu épanches ta joie, lorsque tu parles dans une sécurité parfaite, combien n’y a-t-il pas dans ton langage de ces choses que tes ennemis voudraient saisir et critiquer, et dont ils voudraient te faire un crime, fût-ce par la calomnie : voilà ce qu’il a dit, voilà ce qu’il pense, tel est son langage ? Que peut faire un homme, sinon ce qui suit : « Dans mon trouble, j’ai gardé le silence ? » Il s’est donc troublé, et craignant que son ennemi aux aguets ne cherchât et ne trouvât dans ses épanchements matière à calomnie, il a gardé le silence, Mais Idithun n’a point cessé pour cela de s’épancher intérieurement : s’il a interrompu sa parole extérieure, où peut-être s’était glissée quelque envie de plaire aux hommes, il ne s’est point découragé, il n’a pas interrompu ses efforts pour devancer jusqu’à cette vanité. Et que dit-il ?
8. « J’ai médité les jours anciens[427] ». Semblable à celui que l’on maltraite au-dehors, il se retire en lui-même dans le secret de sa pensée. Qu’il nous dise alors ce qu’il y fait « J’ai médité les jours anciens ». Tant mieux. Voyez, je vous en supplie, quelles sont ses pensées. Dans son intérieur, dans son âme, il médite les jours anciens. Nul ne vient lui dire : Tu t’es mal exprimé ; nul ne lui dit : C’est trop parlé ; nul ne lui dit : Ton opinion est fausse. Que Dieu l’aide ainsi à se contenter de lui-même : qu’il médite les jours anciens, et qu’il nous dise ce qu’il a fait dans le secret de son âme, où en est-il arrivé ? qu’a-t-il devancé ? où en est-il demeuré ? « J’ai médité les jours anciens, et je me suis souvenu des années éternelles ». Quelles sont ces années éternelles ? Sublime pensée t Voyez si cette pensée n’exige point un grand silence. Loin de moi tout bruit du dehors, tout fracas des choses humaines, quand je veux méditer intérieurement les années éternelles. Sont-elles bien éternelles, ces années qui sont les nôtres, qui furent celles de nos ancêtres, ou qui seront celles de notre postérité ? Gardons-nous bien de le croire. Que nous reste-t-il de ces années ? Dans la conversation, nous disons : Cette année ; mais que possédons-nous de cette année, sinon le jour où nous sommes ? car les jours qui ont précédé ont passé, et il n’en reste rien ; les jours à venir ne sont point encore. Nous ne sommes que dans un jour, et nous disons : Cette année ; disons plutôt : Aujourd’hui, si nous voulons parler du présent. Que nous reste-t-il, en effet, de toute l’année ? Tout ce qui est écoulé de l’année, n’existe déjà plus ; tout ce qu’il y a dans l’avenir n’existe point encore ; comment dire : Cette année ? Corrige ton langage et dis : Aujourd’hui. C’est vrai, je dirai : Aujourd’hui. Et maintenant encore fais-y attention ; les heures du matin sont écoulées, les heures à venir ne sont point encore. Corrige donc une seconde fois ton langage, et dis : Cette heure. Mais dans cette heure quelle est ta part ? Il s’en est écoulé une partie déjà, et l’autre partie n’existe point encore. Dis donc : Le moment. Quel moment ? Pendant que j’articule des syllabes, si j’en dois prononcer deux, la seconde ne résonne que quand l’autre n’est déjà plus ; et même dans cette syllabe, s’il y a deux lettres, la seconde lettre ne résonne que quand la première n’est plus. Quelle est donc notre part dans ces années ? Ces années sont mobiles ; il nous faut penser aux années éternelles, aux années qui demeurent, qui ne s’écoulent point dans le va-et-vient des jours, aux années dont l’Écriture a dit ailleurs, en parlant à Dieu : « Pour vous, vous demeurez le même, et vos années ne s’en vont point[428] ». Telles sont les années que cet homme qui devance a méditées en silence, et non dans un babil extérieur : « Et je me suis souvenu des années éternelles ».
9. « Et j’ai médité la nuit dans mon cœur[429] ». Nul ne lui tend des pièges pour incriminer ses paroles, il a médité dans son cœur. « Je babillais ». Tel est son babil, redouble d’attention, et ne laisse pas sommeiller ton esprit. Ce babil n’est plus extérieur, il est autre maintenant. Quel est-il maintenant ? « Je me répandais en paroles, et je sondais mon esprit ». S’il fouillait la terre, pour y chercher un filon d’or, nul ne l’accuserait de folie, plusieurs même vanteraient sa sagacité à chercher l’or : quelles richesses n’a-t-il pas à l’intérieur, et qu’il ne cherche point ? Idithun sondait son esprit, il s’entretenait avec son esprit, il s’épanouissait dans son babil. Il s’interrogeait, il s’examinait, il était à lui-même son juge. Aussi dit-il : « Je sondais mon esprit ». Il est à craindre qu’il ne demeure dans son esprit : il a babillé au-dehors, et comme ses ennemis avaient devancé toute veille, il n’a trouvé là que de la tristesse, et son esprit a défailli. Après avoir babillé au-dehors, il a cherché sa sûreté dans un entretien intérieur ; c’est là que dans le silence il médite les années éternelles : « Et je sondais mon esprit », nous dit-il encore. Il est à craindre néanmoins qu’il ne se renferme dans son âme, et ne se jette plus en avant. Toutefois son action intérieure est préférable à l’action du dehors. Il y a progrès : voyons quelle en est l’étendue. Car il ne cesse de se porter en avant, jusqu’à ce qu’il arrive « à cette fin qui donne le titre à notre psaume : « Je babillais », dit-il, « et je sondais mon âme ».
10. Et qu’as-tu trouvé, ô Prophète ? Que e Dieu ne nous repoussera point éternellement[430] ». L’ennui l’avait assailli en cette vie ; nulle part la confiance, nulle part une sécurité consolante. À quelques hommes qu’il pût s’adresser, il trouvait ou redoutait en eux le scandale. Nulle part il n’est en sûreté. Le silence avait pour inconvénient de se taire au sujet des bienfaits : parler et babiller au-dehors était dangereux, car ses ennemis qui avaient devancé toutes ses veilles, cherchaient dans son langage de quoi le calomnier. Eu butte aux angoisses et à la violence, en cette vie il a beaucoup médité sur l’autre vie qui n’aura point ces épreuves. Et quand y arrivera-t-il ? Car nul doute à cet égard, les afflictions de cette vie sont un effet de la colère de Dieu. Voici en effet ce que dit Isaïe : « Mes vengeances contre vous ne seront pas éternelles, et ma colère contre vous ne durera point à jamais ». Il nous en donne la cause. « C’est de moi que viendra l’Esprit, et moi j’ai créé les âmes. Je l’ai affligé à cause de son péché, je l’ai frappé, j’ai détourné de lui ma face, et il s’en est allé, et s’est égaré dans ses voies[431] ». Quoi donc ! cette colère de Dieu sera-t-elle éternelle ? Voilà ce que le Prophète n’a point trouvé dans son silence, Que dit-il en effet ? « Le Seigneur ne nous repoussera point éternellement ; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins » : c’est-à-dire, il n’entrera pas dans ses desseins de nous rejeter, et il ne continuera pas éternellement de nous rejeter loin de lui. Il faut qu’il rappelle à lui ses serviteurs, il faut qu’il recueille tous ces fugitifs qui reviennent au Seigneur, il faut qu’il écoute les plaintes de ceux qui sont enchaînés. « Le Seigneur ne nous rejettera pas éternellement ; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins ».
11. « Nous privera-t-il de sa miséricorde jusqu’à la fin, et de race en race ? Ou le Seigneur oubliera-t-il sa clémence[432] ? » En toi et de toi-même, tu n’as pour les autres que cette miséricorde qui te vient de Dieu ; et Dieu oublierait la miséricorde ? Le ruisseau coule ; et la source elle-même se tarirait ? « Dieu oubliera-t-il de nous prendre en pitié ? et sa colère va-t-elle arrêter sa compassion ? » On sera-t-il en colère, de manière à n’avoir plus de pitié ? Il lui est plus facile de s’arrêter dans sa colère que dans sa bonté. C’est ce qu’il avait dit encore par Isaïe : « Ma vengeance contre vous ne sera point éternelle, ni ma colère sans fin ». Et après avoir dit : « Il s’en est allé triste, et a marché dans ses voies ». « Ces voies », dit-il, « je les ai vues, et je l’ai guéri[433] ». Voilà ce qu’a reconnu le Prophète, et il s’est élevé au-dessus de lui-même, pour mettre sa joie en Dieu et s’épanouir là où il est, ainsi que dans ses œuvres, non pas dans son esprit, non point dans ce qu’il a été, mais dans celui qui est son Créateur. C’est de là qu’il s’est élancé pour s’élever. Voyez-le s’élancer, voyez s’il s’arrête quelque part, jusqu’à ce qu’il arrive à Dieu.
12. « Et j’ai dit ». Déjà élevé au-dessus de lui-même, que dit-il ? « Maintenant je commence » : je me surpasse moi-même. « Maintenant je commence ». Nul péril ici désormais ; car il était dangereux pour moi de demeurer en moi-même. « Et j’ai dit : Maintenant, je commence, c’est là un changement qui est l’œuvre de la droite du Très-Haut[434] ». C’est le Très-Haut qui a commencé à me changer ; c’est là un commencement qui me donne la sécurité, c’est maintenant que j’entre dans ces régions du bonheur où nul ennemi n’est à craindre, maintenant que j’habite ces contrées où tous mes ennemis ne devanceront point mes veilles. « Je commence aujourd’hui ; ce changement est l’œuvre de la droite du Très-Haut ».
13. « Je me suis souvenu des œuvres de Dieu ». Voyez-le se donnant de l’espace dans les œuvres de Dieu. Il babillait au-dehors, et dans son affliction son esprit s’en est allé : il a babillé dans le secret de son cœur, avec son esprit ; et en sondant ce même esprit, il s’est souvenu des années éternelles, souvenu de la miséricorde de Dieu, car le Seigneur ne doit point nous rejeter éternellement : et le voilà qui se réjouit en sûreté dans ses œuvres, qui tressaille sans crainte. Écoutons ces œuvres nous aussi, et prenons part à sa joie ; mais élevons cette joie au-dessus de nous-mêmes, et ne l’abaissons pas au niveau du temps. Car nous aussi, nous avons notre lit secret. Pourquoi n’y pas entrer ? pourquoi n’y point travailler dans le silence ? pourquoi n’y point sonder notre esprit ? pourquoi n’y point méditer les années éternelles ? pourquoi ne pas nous réjouir dans les œuvres de Dieu ? Écoutons-le maintenant ; que sa parole fasse tellement nos délices, que même, sortis d’ici, nous fassions encore ce que nous faisions pendant qu’il parlait ; si toutefois nous avons commencé comme le Prophète l’a dit : « Maintenant, c’en est fait ». Te réjouir des œuvres de Dieu, c’est t’oublier toi-même, si tu peux mettre en lui seul tes délices. Où trouver mieux que lui ? Ne vois-tu pas que rentrer en toi-même, c’est trouver bien moins ? « Je me suis souvenu des œuvres de Dieu : parce que je me souviendrai, Seigneur, de toutes vos œuvres depuis le commencement[435] ».
14. « Et je méditerai sur vos œuvres, et je m’entretiendrai de vos charmes[436] ». Voilà un troisième entretien. Entretien au-dehors, quand ton esprit a défailli ; entretien intérieur et dans le secret du cœur, quand il s’est avancé ; entretien sur les œuvres de Dieu, quand il est arrivé au but qu’il poursuivait. « Je gloserai sur vos charmes », non point sur les miens. Quel est l’homme qui vit sans charmes ? Et pourriez-vous croire, mes frères, qu’il n’y ait point de charmes pour l’homme qui craint Dieu, qui sert Dieu, qui aime Dieu ? Pouvez-vous le croire et penser qu’il n’y ait rien d’attrayant dans les œuvres de Dieu, quand vous trouvez de l’attrait dans un tableau, dans le théâtre, dans la chasse aux bêtes fauves ou aux oiseaux, dans la pêche ? N’y aurait-il aucun attrait à méditer les œuvres de Dieu, à contempler le monde, à ramener sous nos yeux le spectacle de la nature, alors que l’on en recherche l’auteur, et qu’on ne le trouve jamais en désaccord, mais dans une harmonie incomparable ?
15. « Votre voie, ô Dieu, est dans la sainteté[437] ». Il envisage autour de nous les œuvres de la miséricorde suprême, il en glose, il s’épanouit dans leurs charmes. Tel est son point de départ. « Votre voie est dans la sainteté ». Quelle est cette voie dans la sainteté ? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité et la vie[438] ». Revenez donc, ô hommes, revenez de vos passions. Où allez-vous ? Où courez-vous ? Pourquoi fuir ainsi, non seulement loin de Dieu, mais loin de vous ? Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs[439], sondez votre âme, repassez les années éternelles, reconnaissez la bonté de Dieu pour vous, et voyez les œuvres de sa miséricorde. « Sa voie est dans la sainteté ». Enfants des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis ? Que cherchez-vous dans vos délices ? Pourquoi vous éprendre de la vanité, et courir après le mensonge ? Sachez donc que le Seigneur a glorifié son saint[440]. « Votre voie est dans la sainteté ». Élevons-nous donc à lui, élevons-nous au Christ ; c’est là qu’est sa voie. « O Dieu, votre voie est dans le saint. Quel Dieu est aussi grand que notre Dieu ? » Les Gentils trouvent des charmes dans leurs dieux ; ils adorent des idoles, qui ont des yeux et ne voient point, des oreilles et n’entendent point, des pieds et ne marchent point[441]. Pourquoi marcher vers ce Dieu qui ne marche pas ? Je n’adore point ces idoles, me dit-il. Qu’est-ce que tu adores ? La divinité qui y réside ? Tu adores, sans aucun doute, ce qui a fait dire ailleurs : « Que les dieux des nations sont des démons[442] » C’est l’idole que tu adores, ou le démon ? Ni l’idole, ni le démon répond-il. Quel est donc ton culte ? Celui des étoiles, du soleil, de la lune, des corps célestes : qu’il vaudrait mieux adorer celui qui a fait le ciel et la terre ! Quel Dieu est grand comme notre Dieu[443] ?
16. « Vous opérez des merveilles, et les opérez seul ». Vous êtes un Dieu véritablement grand, qui opérez des merveilles en notre corps et en notre âme, et le seul pour en opérer. Les sourds ont entendu, les aveugles ont vu, les malades ont été guéris, les morts ont ressuscité, les paralytiques ont recouvré la force. Ces merveilles toutefois sont corporelles ; voyons les miracles sur l’âme. Des hommes naguère adonnés au vin sont devenus sobres ; ceux qui tout à l’heure adoraient des idoles ont embrassé la foi ; d’autres qui volaient le bien des autres donnent leurs biens aux pauvres ». Quel Dieu est grand comme notre Dieu ? Vous opérez des merveilles et les opérez seul. Moïse a fait des merveilles, mais non seul ; Elie en a fait, Elisée en a fait, les Apôtres en ont fait ; mais nul d’entre eux n’était seul. Pour les faire, ces merveilles, vous étiez avec eux ; mais vous, pour les faire, vous n’aviez nul besoin d’eux. Ils n’étaient point avec vous, en effet, quand vous les avez faits eux-mêmes. « Vous êtes un Dieu opérant des merveilles et les opérant seul ». Comment seul ? Peut-être le Père et non le Fils ? ou le Fils et non le Père ? Non, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit. « Vous êtes un Dieu opérant seul des merveilles ». Car il n’y a pas trois dieux, mais un seul Dieu qui fait des merveilles, et qui en fait dans celui qui devance. Car le jeter en avant et le faire arriver où il en est, c’est là une merveille de Dieu ; mais quand il s’est tenu un langage intérieur et dans son âme, et qu’il s’est élevé au-dessus de son âme pour trouver ses délices dans les œuvres de Dieu, c’est lui qui a fait là une merveille. Mais qu’a fait le Seigneur ? « Vous avez fait connaître aux peuples votre puissance ». De là cette Église, ou Asaph qui devance, parce que le Seigneur a fait connaître sa puissance parmi les nations. Quelle puissance a-t-il montrée aux peuples ? « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils ; mais pour les Juifs qui sont appelés, aussi bien que pour les Grecs, la puissance de Dieu, la sagesse de Dieu[444] ». Si donc le Christ est la puissance de Dieu, c’est le Christ qu’il a fait connaître aux peuples. Pouvons-nous l’ignorer encore ? Serions-nous dans une telle démence, dans une telle prostration, assez arriérés jusqu’à ne pas voir cette parole accomplie : « Vous avez montré aux peuples votre puissance ? »
17. « Votre bras a racheté votre peuple[445] ». « Votre bras », c’est-à-dire votre puissance. À qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé[446] ? « Votre bras a racheté votre peuple, les enfants d’Israël et de Joseph ». Comment paraît-il faire deux peuples « des fils d’Israël et des fils de Joseph ? » Ces fils de Joseph étaient-ils fils d’Israël ? Oui, assurément. Voilà ce que nous savons, ce que nous lisons, ce que nous prêche l’Écriture, ce que nous enseigne la vérité, que Israël ou Jacob eut douze fils parmi lesquels nous comptons Joseph, et que tous ceux qui sont nés de ces douze patriarches appartiennent au peuple d’Israël. Pourquoi dire alors, « les fils d’Israël et les fils de Joseph ? » Je ne sais point quelle distinction il veut nous indiquer. Cherchons dans notre âme : peut-être y a-t-il quelque dessein de ce même Dieu qu’il nous faut chercher de nos mains au milieu de la nuit, afin de n’être point trompés ; c’est nous peut-être que nous trouverons dans cette distinction « des enfants d’Israël et de Joseph ». Par Joseph il a voulu entendre un autre peuple que celui d’Israël, le peuple des Gentils. Pourquoi Joseph désignerait-il les nations ? Parce qu’il fut vendu en Égypte par ses frères[447]. La jalousie porta ses frères à vendre Joseph pour l’Égypte, et ainsi vendu il passa par la douleur et par l’humiliation ; reconnu, il se releva, grandit, commanda. À tous ces points de vue, qu’a-t-il symbolisé ? Quoi, sinon le Christ, vendu par ses frères, rejeté de sa patrie, comme dans l’Égypte chez les nations ? La, humilié d’abord quand la persécution sévit contre les martyrs, il est élevé dans cette gloire que nous voyons ; car voilà que s’est accompli cet oracle : « Les rois de la terre doivent l’adorer, les nations le serviront[448] ». Donc Joseph est le peuple des nations, Israël est le peuple de la race des Hébreux. Dieu a racheté son peuple, « les fils d’Israël et les fils de Joseph ». Par quoi ? Par cette pierre de l’angle où se réunissent les deux murailles[449].
18. Le Prophète poursuit ainsi : « Les eaux vous ont vu, ô Dieu[450] ». Quelles sont « ces eaux ? » Les peuples. Quelles sont « ces eaux », est-il dit dans l’Apocalypse ? et il est répondu : ce sont les peuples : par là, nous le voyons clairement, les eaux désignent les peuples[451]. Le Prophète a dit plus haut : « Vous avez fait connaître aux peuples votre force. C’est donc à bon droit que les eaux vous ont vu, ô Dieu ; les eaux vous ont vu et ont frémi ». Et parce qu’elles ont frémi, elles ont changé. « Les eaux vous ont vu, ô Dieu, les eaux vous ont vu et ont frémi, et les ahuries ont été troublés ». Qu’est-ce que « l’abîme ? » La profondeur des eaux. Qui n’est pas ému parmi les peuples quand la conscience est frappée ? Tu cherches la profondeur des mers : quelle profondeur plus grande que la conscience humaine ? Telle est la profondeur qui s’est troublée, quand le Seigneur a racheté sou peuple par la force de son bras. Quand l’abîme s’est-il troublé ? C’est quand les peuples ont répandu leurs consciences par l’aveu. « Et l’abîme s’est troublé ».
19. « Les eaux sont tombées avec fracas[452] ». La louange de Dieu, la confession des fautes, les hymnes, les cantiques, les prières, c’est là « le fracas des grandes eaux ». « Les nuées ont grondé ». Le fracas des eaux, le trouble de l’abîme viennent de « la grande voix des nuées ». Quelles nuées ? Ceux qui ont prêché la parole de vérité. Quelles nuées ? Ces nuées dont Dieu menace la vigne qui donne des épines et non des raisins : « Je commanderai à mes nuées de ne point pleuvoir sur elle[453] ». En effet, les Apôtres ont abandonné les Juifs pour aller chez les Gentils. Ces nuées « ont fait entendre leur voix » dans toutes les nations, et c’est en prêchant le Christ qu’« elles ont fait entendre leur voix ».
20. « Car vos flèches ont traversé[454] ». Le Prophète appelle des flèches, ce qu’il appelait des nuages. Les paroles des Évangélistes, en effet, sont des flèches, ou ressemblent à des flèches. Car, à proprement parler, une flèche n’est pas la pluie, ni la pluie une flèche ; mais la parole de Dieu est une flèche parce qu’elle frappe, et une pluie parce qu’elle arrose. Il n’est donc pas étonnant que l’abîme se trouble, quand « vos flèches le traversent ». Qu’est-ce à dire « traverser ? » Qu’elles ne demeurent point dans les oreilles, mais qu’elles transpercent les cœurs. « La voix de votre tonnerre est dans une roue ». Qu’est-ce à dire ? Comment faut-il comprendre ? Dieu nous soit en aide. « La voix de votre tonnerre est dans une roue ». Dans notre enfance le bruit du tonnerre nous paraissait le bruit d’un chariot sortant de l’étable : car les secousses du tonnerre ont de la ressemblance avec les secousses d’un chariot. Faut-il en revenir à ces puérilités pour comprendre : « La voix de votre tonnerre est dans une roue » ; comme si Dieu avait dans les nuages des chariots dont la marche occasionnerait ces bruyantes secousses ? Point du tout. Ce serait puéril, vain et frivole. Que signifie donc : « La voix de votre tonnerre est dans une roue ? » Votre voix tourne, je ne comprends pas davantage. Que faire alors ? Interrogeons, Idithun lui-même ; peut-être expliquera-t-il ce qu’il entend par « la voix de votre tonnerre est dans une roue », et que je ne comprends point. Écoutons ce qu’il dit ensuite : « Le feu de vos éclairs a brillé devant le globe terrestre ». Parlez, ô Prophète, car je ne comprenais point. Le globe de la terre est une roue, car la circonférence du globe terrestre se nomme avec raison un cercle, d’où l’on appelle petit cercle une petite roue. « La voix de votre tonnerre est dans une roue, le feu de vos éclairs a brillé devant le globe de la terre ». Ces nuages, dans une roue, ont parcouru l’univers entier ; ils l’ont parcouru avec des tonnerres et des éclairs ; ils ont troublé l’abîme par les tonnerres des préceptes et par les éclairs des miracles car leur voix a retenti sur toutes les terres, et leurs paroles dans tous les confins de l’univers[455]. « La terre s’est troublée, elle a bondi en frémissant » : c’est-à-dire, tous ceux qui l’habitent, et par figure la terre elle-même. Pourquoi ? Parce que toutes les nations sont désignées sous le nom de mer, à cause de l’amertume de cette vie, exposée à des troubles et à des tempêtes. Puis, si l’on veut considérer que les hommes se dévorent comme les poissons, que le plus faible est la proie du plus fort, on voit que ce monde est une mer ; et c’est là qu’allèrent les Évangélistes.
21. « Votre voie est dans la mer[456] ». Tout à l’heure c’était : « Votre voie est dans la sainteté » ; maintenant : « Votre voie est dans la mer », parce que le Saint lui-même est dans la mer et qu’il a marché sur les eaux de la mer[457]. « Votre voie est dans la mer », c’est-à-dire que votre Christ est prêché parmi les Gentils. Il est dit, en effet, dans un autre psaume : « Que Dieu nous prenne en pitié et nous bénisse ; qu’il fasse briller sur nous la lumière de son visage, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Où « sur la terre ? » « Votre salut est chez toutes les nations[458] ». Tel est le sens de « votre voie est dans la mer. Et vos sentiers dans les grandes eaux » : c’est-à-dire chez des peuples nombreux. « Et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Je ne sais à qui cette phrase fait allusion, je m’étonnerais si ce n’était aux Juifs. Voilà que la miséricorde du Christ est prêchée aux Gentils, en sorte que « votre voie est dans la mer, vos sentiers dans les grandes eaux, et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Pourquoi et qui ne les connaître point, sinon ceux qui disent encore : Le Christ n’est point encore venu ? Pourquoi dire que le Christ n’est point encore venu ? Parce qu’ils ne connaissent point sa marche sur la mer.
22. « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron[459] ». Il n’est pas facile de comprendre pourquoi cette addition. Aidez-nous de votre attention, car ces deux versets termineront le psaume et mon discours. Ne vous imaginez point qu’il doive durer encore et que la crainte de cette longueur ne diminue point votre attention. Après ces paroles : « Votre voie est dans la mer », que nous avons appliquées aux nations, « et dans les grandes eaux vos sentiers », que nous avons entendues des peuples ; voilà que le Prophète ajoute : « Et l’on ne connaîtra point vos sentiers ». Nous lui demandions qui ne les connaîtra point, et voilà qu’il ajoute aussitôt : « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron » c’est-à-dire, c’est ce peuple que vous avez conduit par les mains de Moïse et d’Aaron qui ne connaîtra point vos traces. N’est-ce point un reproche, et un reproche amer qu’il fait à ce peuple quand il s’écrie : « Votre voie est dans la nier ? » Pourquoi « votre voix est-elle dans la mer », sinon parce qu’elle est effacée de votre terre ? Car les Juifs ont chassé le Christ, et ces malades n’ont point voulu leur Sauveur : et voilà qu’il s’est retiré chez les Gentils, chez tous les Gentils, parmi tous les peuples. Seuls, quelques restes de ce peuple ingrat ont été sauvés ; mais la multitude est restée dehors dans son ingratitude, cette cuisse de Jacob a boité dans toute son étendue[460]. Car la cuisse de Jacob désigne la nombreuse postérité, et la majeure partie de cette postérité est devenue légère et insensée, au point de méconnaître la trace du Christ sur les grandes eaux. « Vous avez conduit votre peuple comme des brebis », qui ne vous ont point connu. Vous les avez comblés de tant de faveurs, vous avez divisé la mer, vous leur avez fait passer les eaux à pied sec, vous avez enseveli dans les flots leurs ennemis qui les poursuivaient ; dans leur détresse vous leur avez fait pleuvoir la manne au désert, les conduisant « par la main de Moïse et d’Aaron » ; et néanmoins ils vous ont chassé de leur terre, en sorte que votre voie a été dans la mer, et qu’ils n’ont point connu vos traces.

DISCOURS SUR LE PSAUME 77[modifier]

LES FIGURES DE L’ANCIENNE LOI.[modifier]

Le Prophète nous avertit de chercher un sens caché dans ces figures que tous les enfants de la synagogue n’ont pas comprises. Le Prophète, s’adressant au peuple, parle au pluriel, parce que tous doivent écouter la loi, et avec humilité. Ce peuple ou la génération venir, c’est l’Église formée des Juifs et des Gentils. Évitons les châtiments consignés par le Prophète, châtiments figuratifs bien au-dessous de la réalité, Il dit les énigmes dès le commencement, c’est-à-dire depuis la délivrance d’Égypte. Dieu commence à parler lui-même, puis il se sert d’un homme pour parler en son nom. Pour cet homme, le commencement c’est l’Ancien Testament que domine la crainte ; la fin, c’est le Nouveau avec la grâce et la charité. Dans l’un tout est promesse figurative, dans l’autre tout s’accomplit. La loi est un témoignage parce qu’elle a mis en évidence le péché ; les Juifs l’ont reflué pour la faire connaître aux chrétiens sans l’avoir eux-mêmes comprise, parce qu’ils n’avaient pas le cœur en haut, ni la foi en Dieu : ils ne s’attachaient point à Dieu pour faire le bien par sa grâce. Ils comptaient sur leurs œuvres, et ont tourné le dos an jour du combat ; eux, les privilégiés de Dieu, les premiers n’ont point gardé son alliance, et dais les œuvres extérieures leur cœur, qui n’était pas en Dieu, n’était pas d’accord avec les mains. Ils ont oublié les merveilles opérées en présence de Moïse, d’Aaron, des anciens qui étaient en Israël, comme saint Paul pour les premiers fidèles. L’Égypte est pour nous le monde, Tanis l’humilité. Dieu, qui retint les eaux, peut arrêter nos convoitises coupables, éclairer notre marche, nous abreuver de l’Esprit-Saint. Ils eurent soif, Ou mieux, leur cœur n’avait aucune sève, ils demandaient de la nourriture sans croire pie Dieu pût leur en donner. Dieu leur en donna d’abord, puis les châtia. La foi leur est donné le Verbe qui eût ouvert les nuées ou la bouche des prédicateurs pour en faire tomber la parole de l’Évangile, ce même pain qui nous vient par saint Paul. Notre indocilité provoque la colère du Seigneur qui n’épargne – pas même ses élus. Les Juifs recherchaient Dieu par crainte de la mort, et non pour lui-même ; ils attendaient de sa bonté L’impunité de leurs crimes. Dieu pardonne sans doute, mais en cette vie, comme il fit tant de fois pour ce peuple qui aurait dû profiter des plaies d’Égypte. Dieu se servit des mauvais anges pour exercer sa justice, comme il se sert quelquefois des bons. Quant aux incrédules, ils, sont la propriété des démons. L’endurcissement des Égyptiens est l’effet de l’abandon de Dieu, abandon qui les portait à haïr son peuple. Telle est la domination des mauvais anges, dont nous délivre la grâce de Dieu seulement, qui nous arrache à la puissance des ténèbres pour nous transporter au ciel, comme ce peuple arriva à la terre promise. Nous sommes alors les brebis du Seigneur, qui chasse devant nous les erreurs, nous met à la place des auges rebelles. Irrité de nouveau, Dieu rejeta le tabernacle de Silo, permit que l’arche fût prise, puis frappa les Philistins comme il frappe toute âme lâche. Il rejette en grande partie le peuple juif, choisit Juda d’où naquit le Christ ; de là le peuple chrétien fondé pour les siècles, enfanté par les églises juives, issu des Gentils, que Dieu fait paître dans la foi et dans l’innocence.


1. Ce psaume contient le récit de tout ce que Dieu a fait pour le peuple ancien le Prophète avertit le peuple nouveau d’éviter l’ingratitude à l’égard des bienfaits de Dieu, de ne point provoquer sa colère, de recevoir ses faveurs avec soumission et fidélité, de n’être point « comme leurs pères, une race indocile et rebelle, une race qui n’a point redressé son cœur, et dont l’âme n’a point mis sa confiance en Dieu[461] ». Tel est le but du psaume, son utilité, l’excellent fruit qui nous en reviendra. Bien que tout y soit clair, et facile à exposer, le titre néanmoins attire notre attention. Ce n’est pas sans sujet qu’il porte : « Intelligence d’Asaph[462] » ; c’est afin que, loin de s’arrêter à la superficie, le lecteur attentif cherche un sens plus caché. Puis, avant de rappeler et d’exposer toutes ces merveilles, qui semblent n’avoir besoin que d’être dites pour être comprises, le Prophète s’écrie « J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’exposerai « les propositions depuis le commencement[463] ». Qui ne sortirait de son sommeil ? Qui oserait lire à la hâte et regarder comme intelligibles des figures, des paraboles, dont le nom seul indique un sens plus profond qu’il faut rechercher ? Parabole est en effet un mot grec employé dans le latin, et qui indique une comparaison ; car, chacun le sait, dans la parabole on compare ce que l’on dit avec ce que l’on veut faire entendre. Quant aux propositions, appelées en grec problemata ce sont des questions que la discussion doit résoudre. Qui donc alors oserait lire en courant des paraboles et des propositions ? Qui, au contraire, à ces mots, ne redoublerait d’attention pour les comprendre et en tirer du fruit ?
2. « Écoutez ma loi, ô mon peuple[464] », est-il dit. Qui parle de la sorte, sinon Dieu, croirons-nous ? C’est lui qui a donné sa loi à son peuple qu’il avait rassemblé après l’avoir tiré de l’Égypte ; et cette assemblée porte le nom de synagogue, ce que désigne encore Asaph. Mais cette parole : « Intelligence d’Asaph », indiquerait-elle ce que comprenait un homme du nom d’Asaph, ou bien doit-on l’entendre au figuré, de ce qu’a pu comprendre la synagogue, ou ce même peuple à qui l’on dit : « Écoutez ma loi, ô mon peuple ? » Mais alors pourquoi un prophète nous dirait-il de ce même peuple : « Israël ne m’a point connu, et mon peuple a manqué d’intelligence ?[465] » Assurément il y avait dans ce peuple des hommes qui comprenaient, qui croyaient ce qui a été révélé depuis, et qui par cette croyance appartenaient, non plus à la lettre de la loi, mais à l’esprit de grâce. Car ils ne manquaient pas de foi, ceux qui ont pu prévoir et prédire que cette foi nous serait révélée en Jésus-Christ, et que tous ces rites mystérieux de l’ancienne loi n’étaient que des ombres de l’avenir. N’y eut-il que les Prophètes pour avoir cette foi, et le peuple ne l’eut-il point ? Il l’avait sans doute, et tous ceux qui écoutaient fidèlement les Prophètes, recevaient la même grâce pour croire ce qu’ils entendaient. Mais le mystère du royaume des cieux était voilé dans l’Ancien Testament, pour être révélé dans le Nouveau, quand les temps seraient accomplis. « Je ne veux point », dit l’Apôtre, « vous laisser ignorer, mes frères, que vos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, qu’ils ont tous mangé le même pain mystérieux, qu’ils ont tous bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, pierre qui les suivait, et cette pierre était le Christ[466] ». C’était donc le même pain mystérieux, le même breuvage que le nôtre, le même par la signification, et non en apparence : car ce même Christ qui était pour eux figuré dans la pierre s’est manifesté à nous dans sa chair. « Mais », poursuit l’Apôtre, « la plupart d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur. Tous à la vérité mangèrent la même nourriture spirituelle, tous burent le même breuvage spirituel », c’est-à-dire un breuvage qui avait une signification spirituelle : « Mais tous ne furent pas agréables à Dieu ». L’Apôtre dit que « tous ne furent pas agréables » ; il y en avait donc plusieurs qui plaisaient à Dieu : les mystères étaient communs à tous, mais la grâce qui est la force des sacrements, n’était pas commune à tous. Aujourd’hui en pleine lumière de cette foi qui était alors voilée, tous sont baptisés au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit[467], c’est pour tous le même bain de la régénération ; mais cette grâce, marquée par les sacrements, et par laquelle les membres du Christ sont régénérés dans leur chef, n’est pas la même pour tous. Car les hérétiques ont le même baptême, aussi bien que les faux frères qui sont dans la communion catholique. Il est donc vrai de dire ici que « tous ne furent « point agréables à Dieu ».
3. Ce n’est pas inutilement néanmoins, alors comme aujourd’hui, que cette voix se fait entendre : « Écoutez ma loi, ô mon peuple ». On voit dans tous les exemplaires que le Prophète ne dit pas : Ecoute ; mais bien : « Écoutez ». Car le peuple se compose de nombreux individus, et c’est à tous que s’adresse au pluriel cette parole qui suit : « Inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche ». « Écoutez » a le même sens que « prêtez l’oreille », et « ma loi » est répétée dans ces expressions, « les paroles de ma bouche ». Il écoute en effet pieusement la loi de Dieu et les paroles de sa bouche, celui dont l’oreille s’incline avec humilité, non pas celui qui élève la tête avec arrogance. Une eau que l’on verse est recueillie dans les bas-fonds de l’humilité, et ne tient point sur le cône de l’orgueil. Aussi est-il dit ailleurs : « incline l’oreille, et reçois les paroles e de l’intelligence[468] ». Nous le voyons suffisamment, ce psaume est de l’intelligence à Asapb, car dans le titre, ce mot intelligence est au génitif ; il y a de l’intelligence, et non intelligence, et nous devons l’écouter en inclinant l’oreille, ou avec une humble piété. Et même il n’est pas dit d’Asaph, mais bien à Asaph, comme nous le voyons par l’article grec, et dans certains exemplaires. Ces paroles sont donc des paroles d’instruction, des leçons comprises données à Asaph ; et Asaph n’est point un seul homme, mais bien le peuple de Dieu dont nous ne devons pas nous séparer. Sans doute le mot de Synagogue convient particulièrement aux Juifs, celui d’Église aux chrétiens, comme on dit un troupeau de bêtes, une réunion d’hommes ; cependant nous voyons le nom d’Église donné à la Synagogue, et c’est à nous qu’il convient plus particulièrement de dire : « Sauvez-nous, Seigneur, notre Dieu, rassemblez-nous du milieu des peuples, afin que nous confessions votre nom[469] ». Nous ne devons pas rougir, mais plutôt rendre à Dieu d’ineffables actions de grâce, de ce que nous sommes les brebis de ses mains, qu’il avait en vue quand il disait : J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul pasteur[470] ; enjoignant le peuple fidèle sorti de la gentilité au peuple fidèle venu des Juifs, dont il disait plus haut : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël[471] ». Car toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera comme le berger sépare les boucs des brebis[472]. Cette parole donc : « Écoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche », nous devons comprendre qu’elle est adressée, non plus aux Juifs, mais à nous-mêmes, ou du moins à nous comme aux Juifs. Car après avoir dit : « Mais la plupart d’entre eux ne furent point agréables à Dieu », pour montrer qu’il s’agit des Juifs qui déplurent à Dieu, l’Apôtre ajoute : « Ils périrent dans le désert », puis : « Or, toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde, afin que nous ne nous livrions pas aux mauvais désirs, comme ils s’y abandonnèrent. Ne devenez point idolâtres comme quelques-uns d’eux, ainsi qu’il est écrit : Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se réjouir. Ne commettons point la fornication, comme le firent quelques-uns, et vingt-trois mille périrent en un seul jour. Ne tentons point le Christ, comme le tentèrent quelques-uns qui furent tués par des serpents. Ne murmurez point comme quelques-uns d’eux murmurèrent et furent frappés par l’ange exterminateur. Or, toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures : elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps[473] ». Ces chants sont donc principalement pour nous. Aussi, entre autres choses, est-il dit dans ce psaume : « Afin de donner la lumière à une autre génération, aux fils qui doivent naître et nous suivre ». Or, si la mort que donnaient les serpents, si les coups de l’ange exterminateur ; si la fureur du glaive, n’étaient que des figures, comme le dit clairement saint Paul, bien que ces maux soient des faits réels ; car il ne dit pas Tout cela se disait ou s’écrivait en figure ; mais : « Tout cela leur arrivait en figure » : avec quel pieux empressement ne devons-nous point éviter les maux dont elles étaient la menace figurative ? De même en effet que dans les biens la réalité figurée dépasse de beaucoup la figure elle-même, de même en fait de malheurs, ceux que nous représentent les figures sont incomparablement plus à craindre, que ces calamités déjà si grandes qui étaient figuratives. De même encore que la terre de la promesse, où l’on conduisait ce peuple, n’est rien en comparaison de ce royaume des cieux, où se dirige le chrétien ; de même ces châtiments, quelque sévères qu’ils soient, ne sont rien en comparaison des peines dont ils sont le symbole. Ce que saint Paul appelle ici figures, le Psalmiste, autant que nous pouvons le voir, l’appelle paraboles et énigmes. Nous ne devons pas nous attacher aux faits accomplis, mais bien aux instructions qu’ils nous donnent par une comparaison très juste. Nous, peuple de Dieu, écoutons donc sa loi, et inclinons notre oreille aux paroles de sa bouche.
4. « J’ouvrirai ma bouche en paraboles », dit le Prophète, « je dirai les énigmes dès le commencement[474] ». La suite nous montre assez quel est ce commencement dont le Prophète veut parler. Ce n’est point la création du ciel et de la terre, ni même la création de l’homme et du genre humain, c’est la délivrance de l’Égypte, alors que ce peuple fut réuni en un corps, en sorte que les instructions s’adressent à Asaph, qui signifie réunion. Mais, hélas ! quand le Prophète s’écriait : « J’ouvrirai la bouche en paraboles », pourquoi ne daignait-il pas ouvrir aussi notre intelligence ? Si seulement, en ouvrant la bouche en paraboles, il nous découvrait aussi ces paraboles elles-mêmes ; si en nous disant des énigmes, il nous en donnait aussi l’explication, nous ne serions point à la torture. Mais il y a ici une telle obscurité, une telle nuit, que même avec son secours, si nous parvenons à en tirer de quoi nourrir nos âmes, nous aurons encore mangé notre pain à la sueur de notre front[475] ; et cette peine à laquelle nous sommes condamnés depuis longtemps, pèse à la fois, non seulement sur le corps, mais encore sur l’âme. Que le Prophète parle donc, et nous, écoutons ses paraboles et ses énigmes.
5. « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères[476] ! ». C’est le Seigneur qui a parlé plus haut ; à qui en effet attribuer ces paroles : « Écoutez ma loi, ô mon peuple ? » Comment donc est-ce un homme qui parle tout à coup ? Car voici le langage d’un homme : « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Ou plutôt, c’est Dieu qui, voulant parler par l’entremise d’un homme, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche[477] ? » c’est Dieu, dis-je, qui a lui-même parlé tout d’abord, de peur qu’on ne méprisât un homme, si un homme venait à parler. Telle est en effet la parole divine, qu’elle s’insinue par les sens de notre corps c’est le créateur qui stimule, par une action invisible, la créature qui lui est soumise mais ce n’est point sa substance qui se change en quelque chose de corporel ou de temporel, afin de se servir de signes matériels et palpables, qui puissent agir sur les yeux et sur les oreilles, pour manifester sa volonté, autant que des hommes la peuvent comprendre. Si un ange peut se servir de l’air, d’un nuage, du feu, ou de quelque autre nature ou apparence qui ait du corps, si l’homme peut, au moyen d’un regard, d’un mot, de la main, d’une plume, de lettres, ou par tout autre signe, indiquer les secrets de son cœur ; et même si, tout homme qu’il est, il peut avoir pour messagers d’autres hommes, s’il dit à l’un : Allez, et il va ; à l’autre : Venez, et il vient ; et à son serviteur : Fais ceci ; et il le fait[478] : avec quelle puissance, et quelle efficacité bien plus grande, le Seigneur à qui tout est soumis, ne pourra-t-il pas se servir d’un ange ou d’un homme pour annoncer ce qu’il lui plaît. C’est donc un homme qui dit : « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Et néanmoins nous devons écouter ces paroles comme celles de Dieu, et non comme des fables humaines. C’est pour cela que Dieu a commencé à dire : « Écoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, je dirai les énigmes depuis le commencement. Combien de merveilles », répond le Prophète, « avons-nous entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » « Nous avons entendu et appris », dit le Prophète ; ainsi dit-il ailleurs : « Écoute et vois, ô ma fille[479] ». Ce qui a été entendu dans l’ancienne loi, est compris dans la nouvelle : entendu quand se faisait la prophétie, comme quand elle s’accomplissait. Accomplir la promesse, c’est ne point tromper ceux qui l’ont écoutée. « Combien d’événements nous ont racontés nos pères », Moïse et les Prophètes.
6. « Ils n’ont pas été cachés à leurs enfants, de génération en génération ». Ce qui est génération pour nous, c’est la naissance spirituelle qui nous a été donnée. « Ils annonçaient les louanges du Seigneur, ses grandeurs, et les merveilles qu’il a faites[480] ». Le sens des paroles est celui-ci : « Nos pères nous apprenaient ces merveilles, en publiant les louanges du Seigneur ». Nous louons Dieu afin de l’aimer. Quel amour est plus avantageux ?
7. « Il a suscité un testament en Jacob, et établi sa loi en Israël[481] ». Tel est le commencement dont il a été dit : « Je dirai les énigmes depuis le commencement ». L’Ancien Testament est donc le commencement, et le Nouveau est la fin. C’est la crainte qui domine dans la loi, et « le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur[482] ». « Or, la fin de la loi est le Christ qui doit justifier ceux qui croiront[483] ; c’est par sa grâce que la charité a été répandue dans nos cœurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné[484], et la charité parfaite bannit toute crainte[485], puisque c’est en dehors de la loi, que la justice de Dieu est manifestée aujourd’hui. Mais comme la Loi et les Prophètes lui rendent témoignage[486] », c’est pour cela que « Dieu a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël ». Aussi ce tabernacle dont la construction était une œuvre si admirable et pleine de si grandes figures, a-t-il été appelé tabernacle du témoignage[487]. C’est là qu’était le voile qui cachait l’arche de la loi, comme le ministre de la loi avait aussi un voile sur la face, parce que c’était alors le temps des figures et des énigmes. Tout ce que l’on disait, tout ce que l’on faisait alors était caché sous les ombres figuratives, on ne le voyait qu’à travers l’obscurité des symboles. « Mais », dit l’Apôtre, « quand tu auras passé au Christ, le voile sera enlevé[488] ». Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité, leur amen[489]. Quiconque adhère au Christ, possède tout bien, même sans le comprendre dans la lettre de la loi ; quiconque lui demeure étranger, ne comprend rien, ne possède rien. « Il a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël ». C’est là une répétition comme à l’ordinaire. Car « établir un témoignage », a le même sens que « donner sa loi » ; et « en Jacob », le même sens que « Israël ». Ce sont là en effet les deux noms d’un même homme, de même que la loi et le témoignage sont les deux noms d’une même chose. Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas une différence entre « susciter » et « établir ? » Il y en a une, sans doute, comme entre « Jacob » et « Israël ». Ce ne sont point là deux hommes différents, mais deux noms donnés au même personnage, pour des causes différentes ; Jacob ou supplantateur, parce qu’en naissant il tenait le pied de son frère ; Israël parce qu’il vit Dieu[490]. De même « il suscita », diffère d’établir. Le Prophète, en effet, si je ne me trompe, a dit : « Il suscita le témoignage », parce que ce témoignage suscita quelque chose. « Sans la loi », dit l’Apôtre, « le péché était mort, et moi je vivais, lorsque je n’avais point de loi : mais le commandement étant survenu, le péché a repris la vie[491] ». Voilà donc ce qu’a suscité la loi, qui est dès lors appelée témoignage ; elle a mis en évidence ce qui demeurait caché, comme le dit ensuite saint Paul : « Mais le péché, pour se « montrer péché, m’a donné la mort par ce qui était bon ». Cette expression : « Il a imposé sa loi », désigne en quelque sorte un joug imposé aux pécheurs : de là cet autre mot : « La loi n’est pas imposée au juste[492] ». C’est donc un témoignage, puisqu’il devient une preuve ; et c’est une loi, parce qu’elle est une injonction, et néanmoins c’est une seule et même chose, De même donc que le Christ est une pierre, et que pour les fidèles il est la pierre angulaire[493], mais pierre de scandale et pierre d’achoppement pour les incrédules ; de même la loi est un témoignage ; pour ceux qui usent mal de la loi, témoignage qui sert à les convaincre et à les châtier ; pour ceux qui en usent avec droiture, témoignage qui démontre à qui les pécheurs doivent recourir pour être délivrés. « Car c’est par sa grâce, que Dieu nous donne la justice, qui a son témoignage dans la loi et les Prophètes, et qui justifie l’impie. Quelques-uns ignorant cette justice, et voulant établir celle qui leur est propre, ne se sont point soumis à la justice de Dieu[494] ».
8. « Combien a-t-il adressé d’ordonnances à nos pères, afin qu’ils les tissent connaître à leurs fils, à la génération qui viendra, aux fils qui sont à naître et qui viendront, et qui les raconteront à leurs enfants ; afin qu’ils mettent leur espérance en Dieu, qu’ils n’oublient point les œuvres du Seigneur, et qu’ils recherchent ses préceptes ; afin qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, une race indocile et rebelle ; une race dont le cœur n’a pas été droit, dont l’esprit n’a pas été fidèle là Dieu[495] ». Ces paroles désignent en quelque sorte deux peuples, un peuple de l’Ancien, et un peuple du Nouveau Testament. Car le Prophète, en disant : « Combien il a adressé d’ordonnances à nos pères, afin de les faire connaître à leurs fils » ; fait voir qu’ils ont reçu ces ordonnances, « afin de les faire connaître à leurs fils » ; mais il ne dit point qu’ils les aient eux-mêmes connues ou accomplies : ils les recevaient seulement « pour transmettre à une autre génération », ce qu’ils n’avaient pas compris eux-mêmes. « Les enfants qui naîtront et qui s’élèveront ». Ceux qui sont nés ne se sont point élevés : leur cœur n’était point en haut, mais bien sur la terre. Ce n’est qu’avec le Christ qu’on s’élève ; de là cette parole : « Si vous vous êtes relevés avec le Christ, cherchez les choses d’en haut[496]. Qu’ils disent à leurs enfants », s’écrie le Prophète, « de mettre en Dieu leur espérance ». C’est ainsi que les justes ne cherchent point à établir leur propre justice, mais qu’ils découvrent leur voie en Dieu lui-même, espèrent en lui, afin que sa grâce agisse en eux[497]. « Et qu’ils n’oublient point les œuvres de Dieu », en s’élevant eux-mêmes, en vantant leurs œuvres, comme si elles étaient leurs œuvres ; tandis que c’est Dieu qui, dans sa miséricorde, opère, chez tous ceux qui font le bien, et le vouloir et le faire[498]. « Et qu’ils recherchent ses commandements ». Comment les chercher, s’ils les savent déjà ? « Combien », dit le Prophète, « il a fait d’ordonnances à nos pères, qui doivent les transmettre à leurs fils, afin qu’une autre génération en ait connaissance ». Que connaîtra-t-elle ? Assurément les commandements qu’il a faits. Comment rechercheront-ils, sinon qu’en mettant leur confiance en Dieu, ils rechercheront en lui la grâce de les accomplir ? « Afin qu’ils ne deviennent point, comme leurs pères, une génération indocile et rebelle, une génération dont le cœur n’a pas été droit ». Et il nous en explique aussitôt le motif : « Leur esprit », dit-il, « n’a pas été fidèle à Dieu » ; c’est-à-dire qu’ils n’ont pas eu cette foi, qui obtient de faire ce que la loi commande. Car la loi divine s’accomplit quand l’esprit de l’homme se met en accord avec l’esprit de Dieu et cela n’arrive que par la foi en celui qui justifie l’impie[499]. Telle est la foi que n’eut point cette génération indocile et rebelle ; de là cette parole du Prophète : « Son esprit n’avait point mis sa foi en Dieu ». Cette expression désigne admirablement la grâce de Dieu, qui ne se borne point à effacer le péché, mais qui se fait du cœur de l’homme un coopérateur dans les bonnes œuvres comme si le Prophète disait : Son esprit ne s’est point confié à Dieu. Pour le cœur, en effet, se confier en Dieu, c’est croire que nous ne pouvons sans Dieu arriver à la justice, mais bien avec Dieu. C’est encore là croire en Dieu, ce qui est plus que croire à Dieu. Souvent, en effet, il nous faut croire au premier homme venu, bien qu’il ne faille point croire en lui. Croire en Dieu, c’est donc nous attacher en lui par la foi, afin d’agir avec Dieu qui fait le bien. « Sans moi », dit l’Évangile, « vous ne pouvez faire aucun bien[500] ». Que pouvait dire de plus l’Apôtre, qui nous déclare que : « Celui qui s’attache à Dieu devient un même esprit[501] ? » Autrement la loi n’est qu’un témoignage pour condamner le coupable, et non pour l’absoudre. Elle est une lettre menaçante qui convaincra les prévaricateurs, et non un esprit de grâce qui délivre et justifie les coupables. Donc cette génération, dont l’exemple est à éviter, fut indocile et rebelle, parce que « son esprit ne se confia point dans le Seigneur » : parce que si elle crut parfois à Dieu, elle ne crut point en Dieu : elle ne s’attacha point à Dieu par la foi, afin que sanctifiée par Dieu, elle put faire avec lui le bien qu’il eût fait en elle.
9. Continuons : « Les enfants d’Ephraïm qui bandent l’arc et lancent la flèche, ont tourné le dos au jour du combat[502] ». En poursuivant la loi de la justice, ils ne sont point parvenus à la loi de la justice[503]. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi. C’était en effet une génération dont l’esprit n’avait point cru en Dieu, et ils attendaient tout de leurs œuvres. Bander l’arc pour tirer des flèches, c’est là une œuvre extérieure, comme celle de la loi, mais ils n’ont point ainsi redressé leur cœur, où le juste vit de la foi[504] qui agit par la charité[505] ; or, c’est par la charité que l’on s’attache à Dieu qui, par sa grâce, opère en l’homme le vouloir et le faire[506]. Qu’est-ce, en effet, que bander l’arc, lancer la flèche, et tourner le dos au jour du combat, sinon écouter, pro mettre d’accomplir la loi au jour qu’on l’entend proclamer, puis fuir au jour de la tentation, s’exercer à la guerre et lâcher pied à l’heure de la bataille ? Le Prophète a dit avec raison : « Ils ont bandé et lancé l’arc » ; lorsqu’il aurait dû dire, ce semble, bander l’arc, et lancer les flèches, car on ne jette pas l’arc, on s’en sert pour lancer quelque chose. Ou bien, c’est une locution, comme celle dont nous avons déjà parlé à propos de cette expression : « Il a suscité un témoignage », pour dire, il a suscité quelque chose à propos de ce témoignage ; alors « lancer l’arc » signifierait lancer une flèche avec l’arc : ou bien il y a de l’obscurité dans les paroles, il y a un mot qu’il faut sous-entendre, et alors tel serait l’ordre véritable : « Les enfants d’Ephraïm bandent l’arc, et lancent », sous-entendu, des flèches ; et le sens complet serait, bandent l’arc, et lancent des flèches. S’il y avait en effet : bander et lancer des flèches, il né faudrait pas comprendre, bander des flèches ; mais après l’expression « bander », il faudrait sous-entendre « l’arc », bien que cette expression fût omise. Toutefois, quelques exemplaires grecs portent, dit-on, « bander et lancer avec l’arc » ; il faut assurément sous-entendre « des flèches ». Mais par ces enfants d’Ephraïm, le Prophète veut indiquer ici toute cette génération corrompue, et la partie désigne la généralité. Peut-être a-t-il choisi cette partie pour désigner le peuple tout entier, parce que c’était d’eux principalement qu’on devait se promettre le plus de bien ; puisqu’ils sont nés de celui que Jacob bénit comme son petit-fils, qu’il toucha de sa droite et qu’il préféra à son aîné par une bénédiction mystérieuse, bien que Joseph l’eût placé à gauche parce qu’il était le plus jeune[507]. Le reproche que l’on fait ici à cette même tribu, le silence de l’Écriture sur la manière dont elle répondit à cette bénédiction, nous font comprendre qu’il y avait dans les paroles de Jacob un mystère, plus grand que ne l’attend la prudence de la chair. Elles marquaient en effet que les derniers seraient les premiers, et les premiers les derniers[508], lors de l’avènement du Sauveur, dont il est dit : « Celui qui vient après moi, est fait devant moi[509] ». Ainsi le juste Abel a été préféré à son frère[510], Isaac à Ismaël[511], Jacob à Esaü né avec lui, mais le premier[512] : ainsi Pharès précéda par sa naissance, naquit avant son frère jumeau, qui avait voulu naître d’abord et avait montré la main[513] ainsi David fut préféré à ses frères aînés[514] ; ainsi enfin le peuple chrétien fut préféré au peuple Juif, selon le sens de toutes ces figures et de tant d’autres qui furent proposées, non seulement en actions, mais encore en paroles ; et c’est pour le racheter que le Christ a été mis à mort par les Juifs, comme Abel par Caïn[515]. Voilà donc ce que figurait l’action de Jacob qui croisa les mains, pour mettre la droite sur Ephraïm placé à sa gauche ; le préférant ainsi à Manassé placé à droite et qu’il touchait de sa main gauche. Ce ne sont donc point « les fils d’Ephraïm, selon la chair, qui bandent l’arc, lancent des flèches, et tournent le dos au jour du combat ».
10. Le sens de cette parole : « ils ont tourné le dos au jour du combat », est expliqué dans les versets suivants qui le disent avec clarté : « Ils n’ont point gardé l’alliance du Seigneur, et n’ont point voulu marcher dans ses lois[516] ». Ainsi donc, « tourner le dos au jour du combat », c’est ne point garder l’alliance du Seigneur. Ils ont donc bandé l’arc et lancé les flèches, ils ont engagé leur promesse avec empressement : « Nous écouterons et nous ferons tout ce que le Seigneur notre Dieu nous a ordonné[517] : Ils ont tourné le dos au jour du combat » ; car une promesse d’obéissance ne s’accomplit point par l’attention à écouter, mais dans la tentation. Celui dont l’esprit est en Dieu, éprouve alors que Dieu est fidèle, qu’il ne l’exposera point à une tentation au-dessus de ses forces, mais lui ménagera dans la tentation une issue, afin qu’il puisse la surmonter et ne tourne point le dos au jour du combat. Quant à celui qui se glorifie en soi-même, et non pas en Dieu[518], quelque promesse qu’il ait faite d’être ferme, bien qu’il bande l’arc et lance des flèches, il tourne le dos au jour du combat. Parce que son esprit ne s’était point confié en Dieu[519], voilà que l’Esprit de Dieu n’est point en lui ; et comme il est écrit : « N’ayant point cru, il ne sera point protégé[520] ». Quand après ces paroles : « Ils n’ont point observé le testament du Seigneur », le Prophète ajoute : « Et ils n’ont point voulu marcher dans sa loi » ; il répète la pensée précédente avec une certaine explication. Il nomme « Loi de Dieu », ce qu’il avait appelé plus haut, « le Testament de Dieu », en sorte que cette parole : « Ils n’ont point gardé », se trouve répétée dans « ils n’ont point voulu marcher ». Mais comme il pouvait dire plus simplement : Ils n’ont point marché dans sa loi ; il me semble qu’il veut nous faire peser quelque peu, pourquoi il a préféré dire : « Ils n’ont point voulu marcher », au lieu de : ils n’ont point marché. On aurait pu croire que la loi des œuvres est suffisante pour la justification, en voyant les hommes faire à l’extérieur les œuvres prescrites, bien qu’au fond de leur cœur ils eussent mieux aimé qu’elles ne fussent point prescrites, mais les faire néanmoins : ils paraissent donc marcher dans la loi de Dieu, mais ils n’y marchent pas réellement, puisque le cœur n’y est point. Car il est impossible d’appeler œuvre du cœur, l’œuvre que l’on fait par crainte du châtiment et non par amour de la justice. Quant à l’action extérieure, l’homme qui aine la justice et l’homme qui craint le châtiment, s’abstiennent également de voler ; les mains se ressemblent, et les cœurs sont bien différents ; l’œuvre est la même, la volonté dissemblable. De là cette parole flétrissante : « C’est là », dit le Prophète, « une génération qui n’a pas redressé son cœur ». 2 n’accuse pas l’œuvre, mais le cœur. Quand le cœur est droit, les œuvres sont droites ; mais quand le cœur n’est pas droit, les œuvres ne sont pas droites, quelle qu’en soit l’apparence. Le Prophète nous montre aussi pourquoi cette génération perverse n’a point redressé son cœur, quand il nous dit : « Son esprit n’a pas cru en Dieu ». Dieu est droit, en effet, et en s’attachant à lui comme à la règle immuable, tout cœur humain peut se redresser, quelque tortueux qu’il ait été. Mais pour unir notre cœur à Dieu et le redresser, il faut nous approcher de lui, non par une démarche, mais par la foi. Aussi, dans l’épître aux Hébreux, est-il dit de cette génération indocile et rebelle : « La parole qu’ils entendirent ne leur servit de rien, n’étant pas unie à la foi chez ceux qui l’entendirent[521] ». Le Seigneur donc prépare la volonté dans un cœur droit, au moyen de la foi qui a précédé, et qui nous rapproche de Dieu toujours droit, de manière à redresser notre cœur. Cette foi est éveillée en nous par l’obéissance, alors que Dieu nous prévient et nous appelle dans sa miséricorde. Elle applique ensuite à Dieu notre cœur qui se redresse, et plus il se redresse, plus il voit ce qu’il ne voyait point, et peut faire ce qu’il ne pouvait faire, Voilà ce que n’avait point fait Simon, à qui l’apôtre saint Pierre disait : « Tu n’as aucune part dans cette foi, car ton cœur n’est point droit devant Dieu[522] » ; nous montrant ainsi que sans Dieu notre cœur ne peut être droit, afin que les hommes commencent à ne plus marcher sous la loi comme des esclaves sous le poids de la crainte, mais qu’ils observent comme des enfants cette loi, dans laquelle n’ont point voulu marcher ces mêmes Juifs, qui sont demeurés sous le poids de leurs transgressions, C’est la charité, et non la crainte, qui donne cette volonté ; et la charité est répandue dans les cœurs qui croient par le Saint-Esprit[523]. C’est à eux qu’il est dit « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient jas de vous, c’est un don de Dieu ; cela ne vient pas de vos œuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions[524] », et que nous n’imitions point ceux qui « n’ont point voulu marcher dans sa loi », qui n’ont point cru en Dieu, qui n’ont point dirigé vers lui leur voie, en espérant en lui, afin qu’il fît tout en eux.
11. « Ils ont oublié ses bienfaits, les miracles qu’il leur a fait voir, et les merveilles qu’il opéra en présence de leurs pères. Il y a ici une question qu’il ne faut pas négliger. Tout à l’heure, en parlant de leurs pères, le Prophète les appelait une race perverse et indocile. « Qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, race indocile et rebelle, race qui n’a pas redressé son cœur[525] », et tout le reste qu’il a dit de cette race, détournant la race à venir de l’imiter, l’engageant « à mettre en Dieu son espérance, à n’oublier point les œuvres de Dieu, à rechercher ses préceptes » ; ainsi que nous l’avons suffisamment expliqué. Maintenant que le Prophète nous parle de cette génération qui a oublié les bienfaits de Dieu, et les merveilles qu’il leur a fait voir, pourquoi vient-il ajouter : « Les merveilles qu’il a opérées en présence de leurs pères ? » De quels pères est-il question, car ils sont eux-mêmes ces pères, avec lesquels il ne veut point de ressemblance dans leurs enfants ? Si nous entendons par là ces hommes dont ils étaient nés, comme Abraham, Isaac et Jacob, ils étaient morts depuis longtemps quand le Seigneur opéra des merveilles en Égypte. Car nous lisons ensuite : « Sur la terre d’Égypte, dans les champs de Tanis » ; c’est là, nous dit-on, que Dieu opéra des merveilles en présence de leurs pères. Ou bien ces mêmes pères étaient-ils présents en esprit, selon cette parole du Sauveur dans l’Évangile : « Car tous vivent devant lui[526] ? » Ne serait-il pas plus facile d’entendre par ces pères, Moïse et Aaron, et ces anciens dont l’Écriture nous dit qu’ils reçurent le même esprit que Moïse, afin de l’aider à conduire et à supporter le peuple[527] ? Pourquoi ne pas les appeler des pères ? Non point dans le sens que l’on donne à Dieu seul le nom de père, parce qu’il régénère dans le Saint-Esprit ceux qu’il adopte comme enfants dans l’héritage éternel ; mais ce nom de père serait un nom d’honneur à cause de leur âge et de leur pieux dévouement. Ainsi saint Paul déjà vieux disait : « Ce n’est point pour vous donner de la confusion que j’écris ceci ; mais ce sont des avis que je vous donne comme à des enfants bien-aimés[528] » ; et pourtant il n’ignorait pas cette parole du Seigneur : « N’appelez sur la terre personne votre père ; car vous n’avez qu’un seul père, qui est dans les cieux[529] ». Ce que le Christ n’a point dit sans doute pour ôter du discours ordinaire ce terme d’honneur, mais seulement pour nous empêcher d’attribuer, ou à la nature, ou à la puissance, ou à la sainteté d’aucun homme, la grâce de Dieu qui nous régénère pour la vie éternelle. En disant donc : « C’est moi qui vous ai engendré », il a précisé auparavant : « En Jésus-Christ et par l’Évangile », afin qu’on ne lui attribuât point ce qui appartient à Dieu.
12. Donc « cette génération indocile et rebelle a oublié les bienfaits de Dieu, les merveilles qu’il leur a montrées, les miracles opérés en présence de leurs pères, en Égypte, dans le champ de Tanis ». Le Prophète alors commence à raconter la suite de ces merveilles. S’il y a là des paraboles et des énigmes, elles doivent, par la comparaison, nous rappeler quelques leçons. N’oublions tas le but qui est celui du psaume, et le fruit principal que nous devons en tirer ; ainsi que Dieu nous le marque, en stimulant si vivement notre attention : « Écoutez-moi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche » : mettons notre confiance en Dieu, n’oublions point ses œuvres, recherchons ses préceptes : ne soyons point comme ces hères, une race indocile et rebelle, une génération dont le cœur n’est pas droit, dont l’esprit n’a point cru en Dieu. C’est à ce point qu’il nous faut tout rapporter. Ainsi tout ce que figurent ces actions symboliques, doit s’accomplir dans l’homme d’une manière spirituelle, ou par la grâce de Dieu, si ce sont des biens, ou par le jugement de Dieu si ce sont des malheurs ; de même que tout cela est arrivé pour Israël ou en bénédictions, ou en châtiments contre eux et contre leurs ennemis. Si nous retenons avec soin tous ces enseignements, plaçant en Dieu notre espérance, et n’oubliant pas ses bienfaits, si nous avons pour lui non plus cette crainte servile qui redoute seulement les maux du corps, mais cette crainte chaste qui demeure dans l’éternité, et qui redoute comme une grande peine d’être privée de la lumière de justice, alors nous ne deviendrons point comme ces pères, une génération indocile et rebelle. La terre d’Égypte est donc pour nous l’image de ce monde ; le champ de Tanis est une plaine qui désigne la loi de l’humilité, car Tanis signifie, en hébreu, humble précepte. Recevons donc en cette vie la loi de l’humilité, afin de mériter d’être élevés en gloire dans l’autre vie, gloire que nous a promise Celui qui s’est fait humble pour nous.
13. Car celui qui a divisé la mer pour y « faire passer son peuple, qui a retenu les eaux comme dans une outre[530] », en sorte que l’eau s’est arrêtée comme si elle eût été enfermée, peut aussi par sa grâce arrêter le cours de la convoitise et de nos désirs charnels, nous porter à renoncer au monde, afin que nos ennemis, c’est-à-dire nos péchés, étant abîmés dans les eaux, le peuple passe par le sacrement de baptême. Celui qui « les a conduits tout le jour à l’ombre d’une nuée, et toute la nuit à la lueur du feu[531] », peut encore guider nos pas d’une manière spirituelle, si notre foi crie vers lui : « Redressez mes voies selon votre parole[532] ». C’est de lui qu’il est dit ailleurs : « Il redressera votre course, et conduira en paix tous vos pas[533] », par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui nous a été révélé en cette vie comme au grand jour, et qui a paru en sa chair comme il apparaissait dans la nuée ; mais qui viendra au jour du jugement comme dans une nuit de terreur. Car alors la tribulation sera pour le monde comme un feu qui brillera aux yeux des justes, et qui consumera les hommes injustes. Celui « qui brisa la pierre au désert, et les désaltéra par d’abondantes eaux ; qui fit sortir l’eau de la pierre, et les eaux coulèrent comme des fleuves[534] », peut sans doute épancher sur l’âme altérée par la foi, les dons de l’Esprit-Saint, dont cette action était la figure ; il peut le répandre de cette pierre spirituelle qui les suivait, et qui était le Christ[535] ; ce même Christ qui était là criant : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi » ; et encore : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, des fleuves d’eau vive jailliront en lui ». Voilà ce qu’il disait, comme le marque l’Évangile, « de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui[536] ». Telle est la pierre qui a frappé le bois de la croix, comme la verge de Moïse, afin d’en faire couler la grâce pour les fidèles.
14. Et néanmoins ces hommes, comme une « race indocile et rebelle, ont continué de pécher contre lui[537] » ; c’est-à-dire de ne point croire. C’est là en effet un péché dont l’Esprit-Saint doit convaincre le monde, comme l’a dit le Sauveur : « Il le convaincra de péché, parce qu’ils n’ont point cru en moi[538]. Ils ont irrité le Seigneur dans la sécheresse », ou, selon d’autres exemplaires, « dans un désert sans eau », expression plus précise qui vient du grec, et qui n’a d’autre sens que la sécheresse. Or, cette sécheresse venait-elle du désert, ou plutôt de leur cœur ? Ils avaient bu l’eau de la pierre, et alors c’était moins leurs entrailles que leurs cœurs qui étaient desséchés, et n’avaient aucune vigueur pour produire la justice. C’était néanmoins dans cette sécheresse qu’ils devaient être pins fidèles à Dieu, et le supplier de leur donner des mœurs pures, après avoir étanché leur soif ; puisque c’est à lui qu’a recours toute âme fidèle : « Que mes yeux voient la justice[539] ».
15. « Ils ont tenté Dieu dans le secret de leurs cœurs, et lui ont demandé une nourriture selon leurs désirs ». Autre chose est de demander avec fidélité, autre de demander pour tenter. Le Prophète continue : « Ils murmurèrent coutre Dieu, et dirent : Dieu pourra-t-il préparer des tables au désert ; sans doute il a frappé le rocher, et des eaux en ont coulé, des torrents ont inondé la terre ; mais pourra-t-il nous donner du pain et dresser des tables pour son peuple[540] ? » C’était donc sans y croire qu’ils demandaient une nourriture selon leurs désirs. Ce n’est pas ainsi que saint Jacques nous engage à demander la nourriture de notre cœur, mais il veut que nous la demandions avec foi, et non pour tenter ou avec murmure. « Si quelqu’un de vous », dit-il, « a besoin de la sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui répand ses dons sur tous libéralement et sans les reprocher, et la sagesse lui sera donnée : mais qu’il demande avec foi, et sans hésiter[541] ». Telle est donc la foi qui manquait à cette génération, dont le cœur n’était point droit, et dont l’esprit n’avait pas cru en Dieu.
16. « Le Seigneur les entendit et différa, le feu de sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël[542] ». Le Prophète explique ce qu’il appelle un feu ; il nomme ainsi la colère de Dieu, bien que le feu véritable ait dévoré beaucoup de ces murmurateurs. Que signifie donc : « Le Seigneur entendit et différa ? » Est-ce d’introduire son peuple dans la terre promise qu’il différa ? Il eût pu le faire en peu de jours, mais a cause de leurs péchés ils durent être accablés au désert, où le malheur les affligea pendant quarante ans. En ce cas ce fut son Peuple qu’il différa d’introduire, et non ceux qui l’avaient tenté par leurs doutes ; car tous périrent au désert, et leurs enfants seulement entrèrent dans cette terre. Différa-t-il seulement de les châtier, et voulut-il d’abord se prêter à leur incrédule convoitise, de peur qu’ils ne vinssent à attribuer sa colère à l’impuissance où il était de subvenir à leur demande, bien qu’ils ne l’eussent faite que pour le tenter et lui ôter la confiance ? Donc « il entendit et différa » sa vengeance ; et après qu’il eût fait ce qu’ils avaient pensé qu’il ne pourrait faire, alors « sa colère s’alluma contre Israël ».
17. Ensuite, après cette courte exposition, le Prophète reprend le cours de son récit : « Parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu, ni espéré dans son salut ». Après nous avoir dit pourquoi le feu de sa colère s’est allumé contre Jacob, et sa fureur contre Israël, c’est-à-dire, parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu ni espéré dans son salut » ; il énumère à l’instant tous les bienfaits visibles qu’ils reçurent avec ingratitude. « Il avait cependant commandé aux nuées, et ouvert les portes du ciel. Il leur avait fait pleuvoir la manne pour apaiser heur faim, et donné le pain du ciel. L’homme mangea le pain des anges[543]. Dieu leur donna des viandes en abondance. Il fit élever dans les airs le vent d’Orient, et par sa puissance le vent du midi. Il répandit les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des mers. Il les fit tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes. Et ils mangèrent et furent rassasiés ; « Dieu contenta leurs désirs ». Voila pourquoi il différait ; mais écoutons ce qu’il a différé. « Les viandes étaient encore dans leurs bouches, quand la colère de Dieu s’alluma contre eux[544] ». Voilà ce qu’il avait différé. Tout d’abord « il différa » ; puis ensuite « sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël ». Si donc il avait différé, c’était dans le dessein de faire d’abord ce qu’ils croyaient impossible à sa puissance, et de les châtier ensuite comme ils le méritaient. S’ils eussent mis en Dieu leur espérance, il eût satisfait en eux, non seulement leurs désirs charnels, mais les désirs de l’esprit. En effet, « Celui qui a pu commander aux nuées, ouvrir les portes du ciel, faire tomber la manne pour les nourrir, et leur donner le pain du ciel de manière que l’homme mangeât le pain des anges, qui leur adonné des vivres en abondance » pour rassasier ces incrédules, est assez puissant pour donner, à ceux qui croient en lui, le vrai pain du ciel dont la manne était la figure ; ce pain qui est vraiment le pain des anges, ce Verbe de Dieu, aliment incorruptible de ceux qui sont incorruptibles : c’est pour être la nourriture de l’homme qu’il s’est fait chair, et a demeuré parmi nous[545]. C’est là le pain que les nuées de l’Évangile font pleuvoir dans le monde entier. Il ouvre les cœurs des prédicateurs, comme des portes célestes, pour annoncer sa parole, non plus à une synagogue qui murmure et tente le Seigneur, mais à l’Église qui croit et met son espoir en lui. Celui qui « a fait lever dans les airs le vent d’orient, et souffler par sa puissance le vent du midi ; qui leur fait pleuvoir les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des mers ; qui les a fait tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes, pour leur en faire manger et les rassasier ; qui a comblé leurs convoitises et ne les a point privés de leur désir » ; celui-là peut nourrir la foi faible encore de ceux qui croient en lui sans chercher à le tenter par des signes et des paroles qui sortent de la chair, et qui traversent les airs à la façon des oiseaux. Ces paroles toutefois ne viendront point de l’Aquilon, région froide et ténébreuse, c’est-à-dire de l’éloquence mondaine qui plaît aux hommes, mais en faisant souffler dans les cieux le vent du midi. Où soufflera-t-il, sinon sur la terre ? afin que Les faibles dans la foi entendent ce qui est de la terre, et se fortifient pour comprendre les choses du ciel. « Si je vous dis des choses terrestres et que vous ne les croyiez pas, dit le Sauveur, comment croirez-vous les choses du ciel[546] ? » Il était en quelque sorte transféré du ciel, ce même saint Paul ravi jusqu’à Dieu en extase, et qui, se proportionnant à ses auditeurs, leur disait : « Je n’ai point voulu vous prêcher comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels[547] ». Ravi en Dieu il avait entendu des paroles ineffables[548], qu’il ne lui était pas donné d’exprimer sur la terre en ces sons articulés qui voltigent contre l’oiseau. Il a fait souffler l’Africus par sa puissance, c’est-à-dire ces vents du midi, ces souffles de la prédication qui portent la chaleur et la lumière. Tel est l’effet « de sa puissance », afin que l’Africus ne s’attribue point ce qui lui vient de Dieu. Ces vents donc viendront d’eux-mêmes vers les hommes, et leur apporteront les paroles venues d’en haut ; afin que chacun, demeurant à sa place, ramasse autour de son pavillon ces sortes d’oiseaux, et adore Dieu dans le rang qu’il occupe, et que toutes les îles des nations arrivent à le connaître[549].
18. Mais pour les infidèles, comme pour cette nation indocile et rebelle, il arrive que les viandes sont encore dans leurs bouches, quand « la colère de Dieu s’allume contre eux, et en tue un grand nombre » ; c’est-à-dire la plus grande partie, ou, comme portent certains manuscrits, « les plus gras d’entre eux ». Il est vrai que nous n’avons point vu cela dans les manuscrits grecs en notre possession. Mais si tel est le sens le plus vrai, que faut-il entendre par « les plus gras », sinon les plus orgueilleux, dont il est dit que u leur « iniquité semble venir de leur plénitude[550] ? « Et il abattit l’élite d’Israël ». Il y avait là des élus, à la foi desquels n’avait aucune part cette génération indocile et rebelle. Mais de quoi furent-ils empêchés, sinon d’être utiles à ceux que leur affection paternelle eût voulu conseiller ? De quoi peut servir la pitié humaine aux hommes qui ont irrité Dieu ? L’Écriture, en disant que les élus furent liés, n’a-t-elle pas voulu nous faire comprendre que les hommes séparés de cette race par leur vie et leurs mœurs, étaient non seulement des modèles de justice, mais aussi des modèles de patience, puisqu’ils étaient confondus dans les châtiments du peuple ? Car je ne vois point pour quel autre motif Dieu aurait laissé emmener en captivité les saints et les pécheurs : aussi lisons-nous dans les manuscrits grecs, non plus ἐνεπμόδισεν, ou « il empêcha », mais συεπμόδισεν, qui se traduit mieux par « il lia ensemble ».

19. Mais « cette génération rebelle et indocile ne laissa pas de pécher encore et ne crut point aux merveilles du Seigneur. Et leurs jours se consumèrent dans la vanité[551] ». Ils pouvaient, s’ils eussent cru en Dieu, passer leurs jours dans la vérité, dans l’immobilité de celui à qui le Prophète dit : « Vos années ne passeront point[552] ». Donc « leurs jours s’écoulèrent dans la vanité, et leurs années dans la précipitation ». Car la vie des hommes passe bien vite, et celle qui nous paraît la plus longue, n’est qu’une vapeur de quelques instants.

20. Toutefois « dès qu’il les frappait, ils le recherchaient », non par amour de la vie éternelle, mais par crainte de perdre une vie qui n’est qu’une fumée. Ce n’était donc point ceux qui mouraient, qui cherchaient Dieu, mais ceux qui craignaient de mourir comme eux ; et si l’Écriture s’exprime comme si ceux qui mouraient eussent cherché Dieu, c’est qu’ils ne formaient tous qu’un peuple, et que le Prophète en parle comme d’un même corps. « Et ils retournaient à lui, et se hâtaient de revenir à Dieu. Ils se souvenaient que Dieu était leur refuge, que le Très-Haut était leur Sauveur[553] ». Mais tout cela n’était que pour obtenir des biens de la terre, éviter les maux de cette vie. Chercher Dieu en vue des biens temporels, ce n’est point aspirer à Dieu, mais à ces biens ; ce n’est point une crainte servile, mais un libre amour, qui honore le Seigneur. Ainsi donc ce n’est point Dieu que l’on sert, mais on sert ce que l’on aime. De là vient que Dieu, qui est supérieur à tout, meilleur que tout, est plus que tout digne de notre amour et de notre culte.

21. Voyons encore la suite : « Ils l’aimaient du bout des lèvres », dit le Prophète, « mais leur langue mentait au Seigneur. Leur cœur n’était pas droit devant lui, ils n’étaient point fidèles à son alliance[554] ». Mais Dieu, qui pénètre les secrets des hommes, et qui découvrait sans peine leur préférence, voyait que le langage du cœur n’était point d’accord avec celui des lèvres. Un cœur est droit devant Dieu quand il cherche Dieu pour Dieu. Il ne veut obtenir de Dieu qu’une seule faveur, qu’il réclamera toujours, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur, et de contempler ses délices[555]. C’est à lui que le cœur des fidèles a dit : Je serai rassasié, non plus des viandes de l’Égypte, ni de ses melons, ni de ses concombres, ni de l’ail, ni de l’oignon, que cette génération indocile et rebelle préférait au pain du ciel[556], ni même de la manne visible, ou de la chair des oiseaux, mais je serai rassasié quand votre gloire m’apparaîtra[557]. Tel est l’héritage du Nouveau Testament auquel ce peuple ne fut point fidèle. La foi en cette alliance, bien que voilée alors, était chez les élus ; aujourd’hui qu’elle est révélée, elle n’est que chez bien peu d’appelés. « Beaucoup en effet sont appelés, mais peu sont élus[558] ». Telle était donc cette race corrompue et rebelle : même en paraissant chercher Dieu, elle ne l’aimait que des lèvres et sa langue était menteuse ; elle n’avait point pour Dieu la droiture du cœur, et lui préférait les faveurs qu’elle attendait de lui.

22. « Mais lui, plein de miséricorde, leur pardonnera leurs offenses, et ne les perdra point : sans cesse il retient sa colère, et ne laisse point s’allumer sa fureur. Il se souvient qu’ils ne sont que chair, un esprit qui s’en va pour ne plus revenir[559] ». Plusieurs, en lisant ces paroles, comptent sur la bonté de Dieu pour l’impunité de leurs crimes, même lorsqu’ils y demeurent, comme cette génération, que le Prophète appelle « indocile et rebelle, dont le cœur n’était pas droit, et dont l’esprit ne croyait point en Dieu » : avec laquelle toute ressemblance est funeste. Si. Dieu, en effet, pour parler leur langage, ne perd point les méchants, il est certain qu’il ne perdra point non plus les bons. Pourquoi ne pas choisir de préférence ce qui est hors de doute ? Ceux dont la langue est menteuse, et dont le cœur tient un autre langage, pensent que Dieu est menteur, désirent même qu’il le soit, quand il menace de châtiments éternels ces prévaricateurs. Mais ni eux ne peuvent tromper Dieu par leurs « mensonges, ni Dieu nous tromper par sa vérité. Que cette génération dépravée ne détériore point les oracles divins, dont elle se glorifie, comme elle a détérioré son cœur ; malgré cette corruption du cœur, les paroles de Dieu demeurent incorruptibles. C’est dans ce sens, en effet, que nous pouvons entendre ces paroles de l’Évangile : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[560] ». Qui ne voit avec quelle patiente miséricorde il pardonne aux méchants, mais avant de les juger ? C’est ainsi qu’il épargna cette nation, et réprima sa colère pour ne pas la détruire et l’exterminer entièrement ; c’est là ce que nous voyons dans les paroles de Dieu, dans les supplications de Moïse pour obtenir le pardon de leurs péchés, alors que Dieu lui dit : « Je les exterminerai, et te ferai le chef d’une grande nation[561] ». Moïse insiste, déterminé à périr plutôt qu’eux ; il savait qu’il parlait à un Dieu plein de miséricorde, qui ne pourrait le détruire, et qui leur pardonnerait en sa faveur. Voyons en effet, combien Dieu a pardonné, combien il pardonne encore. Il a introduit ces rebelles dans la terre promise, et conservé cette nation jusqu’à ce qu’ils se fussent engagés à tuer le Christ, par le plus grand de tous les crimes ; bien qu’il les ait arrachés de leur terre pour les disséminer chez tous les peuples du monde, néanmoins il ne les a point détruits. Ce peuple subsiste encore, et se conserve par une succession continuelle, portant un signe, comme autrefois Caïn[562], afin qu’on ne le détruise pas entièrement. Ainsi s’accomplit cet oracle : « Dieu est plein de miséricorde, il pardonnera leur crime, et ne les perdra point. Sans cesse il retient sa colère, et n’aie turne point sa fureur ». S’il se livrait à toute sa colère, c’est-à-dire autant qu’ils en sont dignes, rien ne demeurerait de cette race criminelle. Ainsi ce même Dieu dont le Prophète chante la miséricorde et le jugement[563], pousse, encore aujourd’hui, la miséricorde jusqu’à faire luire son soleil sur les bons et sur les méchants », et à la fin du monde, au jugement, il séparera les méchants de la lumière éternelle, pour les jeter dans des ténèbres sans fin.
23. Toutefois, afin de ne point faire violence à la parole divine, et quand elle dit : « Dieu ne les perdra point », afin de ne point dire au contraire : Il les perdra plus tard ; voyons dans ce même psaume une façon de parler très ordinaire dans l’Écriture, et qui nous donnera une solution plus nette, et plus vraie de cette difficulté. Parlant un peu plus loin de cette nation, après avoir montré les désastres essuyés à leur sujet par les Égyptiens, et rappelé la dernière plaie, le Prophète ajoute : « Il frappa tout premier-né sur la terre d’Égypte, les prémices de l’enfantement dans tes tabernacles de Cham. Puis il conduisit son peuple comme des brebis, et leur fit traverser le désert comme à un troupeau. Il les conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis. Il les conduisit à la sainte montagne, à la montagne que sa droite avait conquise. Il chassa devant eux les nations, et leur divisa la terre comme ou divise les héritages[564] ». Si quelqu’un voulait incidenter sur ces paroles et nous dire : Comment le Prophète peut-il alléguer que Dieu leur ait fait ces grâces, puisque ceux qui sortirent de l’Égypte, ne furent pas introduits dans la terre promise, et qu’ils moururent au désert ? Que répondre, sinon que l’on dit eux, parce que c’est le même peuple, par la succession des enfants ? Ainsi quand nous entendons dire, surtout que les expressions sont au futur : « Et il leur pardonnera leurs fautes et ne les détruira point : toujours il retiendra sa colère, et sa fureur ne s’allumera point » ; nous devons comprendre que cela s’est accompli dans ceux dont l’Apôtre a dit : « De même en nos jours, les restes ont été sauvés par l’élection de la grâce ». De là cette autre parole : « Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Non, sans doute. Car moi aussi je suis enfant d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux[565] ». L’Écriture avait donc en vue ceux de ce peuple qui devaient croire au Christ, recevoir la rémission des péchés, et même de ce crime le plus grand de tous, qui leur fit tuer leur médecin, dans un accès de folie. Voilà ce qui a dicté cette parole du Prophète : « Dieu est miséricordieux, il leur pardonnera leurs péchés et ne les détruira point ; il a surtout modéré sa colère », jusqu’au point de leur pardonner la mort même de son Fils : « Et il ne laissera point s’allumer sa fureur, puisque les restes ont été sauvés ».
24. « Il se souvint que ce peuple est charnel, qu’il n’est qu’un souffle qui passe et ne revient plus ». Aussi, dans ses instances miséricordieuses, les a-t-il rappelés par sa grâce, car ils ne pouvaient revenir par eux-mêmes. Comment une faible chair, comment un esprit qui passe sans retour, aurait-il pu revenir à Dieu, sans l’élection de la grâce, quand le poids des châtiments qu’il a mérités l’entraîne au fond de l’abîme ? Et Dieu ne vous donne point cette grâce comme une récompense, mais elle est un don gratuit, afin que l’impie soit justifié[566], que la brebis égarée retourne au bercail, non par ses propres forces, mais sur les épaules du pasteur qui la rapporte[567]. Elle a bien pu s’égarer au gré de ses caprices, mais elle ne pourrait se retrouver elle-même, elle n’est retrouvée que par la bonté du pasteur qui la recherche, li n’est lias en effet sans ressemblance avec cette brebis, ce fils qui rentre en lui-même, et se dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon père ». Un appel secret, une sainte inspiration le cherchait, et il ne doit sa résurrection qu’à celui qui donne la vie à tout : et par qui a-t-il été retrouvé, sinon par celui qui sauve et qui recherche ce qui était perdu[568] ? « Il était mort et il est ressuscité ; il était perdu et il est retrouvé[569] ». C’est ainsi que l’on peut répondre à cette autre difficulté des Proverbes, alors que l’Écriture nous dit, à propos de la voie des impies : « Quiconque marche dans cette voie, n’en reviendra point[570] ». Parole qui nous porterait au désespoir sur le compte des impies : quand l’Écriture nous marque l’effet de la grâce ; car l’homme peut bien par ses propres forces marcher dans le sentier du mal, tandis qu’il n’en peut revenir par lui-même, si la grâce ne le rappelle.
23. « Combien de fois donc » ces hommes pervers et indociles « ont-ils aigri le Seigneur au désert, et ont-ils provoqué sa justice dans les terres sans eau ? Ils sont retournés à leurs murmures, et ont tenté Dieu, et aigri le saint d’Israël[571] ». C’est là une répétition de cette infidélité déjà flétrie ; mais le Prophète ne la rappelle que pour nous énumérer les plaies dont le Seigneur frappa l’Égypte en leur considération, Ils devaient en conserver plus précieusement la mémoire, sans se montrer ingrats. Enfin quelle est la suite ? « Ils oubliaient le bras du Tout-Puissant, au jour où il les délivra du joug de l’oppression ». Vient alors l’énumération des plaies de l’Égypte : « Le Seigneur a fait éclater sa puissance en Égypte, et ses merveilles dans les champs de Tanis : lorsqu’il changea leurs fleuves en sang, et leurs pluies dont on ne put boire » ; ou plutôt « toute source d’eaux », comme nous lisons dans le grec, ta ombremata, que nous traduisons en latin par scaturigines, ou des eaux qui s’élancent de dessous terre. Les Égyptiens creusèrent, et au lieu d’eau trouvèrent du sang. « Il envoya contre eux des insectes qui les dévoraient, et des grenouilles qui désolaient tout. Il livra leurs récoltes à la rouille, et leurs maisons aux sauterelles. Il fit périr leurs vignes par la grêle, et leurs sycomores par les frimas. Il livra leurs brebis à la grêle, et leurs troupeaux au feu du ciel. Il versa sur eux toute sa colère, la fureur, l’indignation, les tribulations, les influences des mauvais anges. Il élargit les voies de sa colère, et ne leur épargna point la mort, il livra leurs bestiaux à la peste. Il frappa tout premier-né de l’Égypte, et les prémices de l’enfantement sous les tentes de Cham[572]. »
26. Tous ces fléaux de l’Égypte peuvent s’entendre d’une manière allégorique, selon qu’il plaît à chacun de les interpréter, et de leur trouver des analogies. Nous essayerons de le faire aussi, et nous y réussirons comme il plaira au Seigneur de nous éclairer. Nous y sommes forcés par les paroles de ce psaume : « J’ouvrirai ma bouche en parabole, j’exposerai les énigmes dès le commencement ». Aussi voyons-nous dans ce récit du psaume des plaies dont l’Écriture ne nous dit point que les Égyptiens aient été frappés, bien que tous ces fléaux soient décrits très exactement dans l’Exode. Toutefois ce n’est pas sans raison que nous lisons dans le psaume ce qui n’est pas dit ailleurs ; comme nous ne pouvons y voir que des figures, nous devons comprendre que ces autres plaies qui sont arrivées très certainement, n’ont été envoyées par Dieu et écrites par Moïse, que pour être des figures. C’est ce que nous pouvons remarquer en beaucoup d’endroits prophétiques de l’Écriture. Elle nous raconte parfois des particularités que l’on ne trouve point dans l’histoire qu’elle en a écrite et qu’elle semble rappeler, souvent même on trouve le contraire ; afin que nous jugions de là que son but n’est point celui que l’on croirait tout d’abord, mais qu’il faut nous élever à une pensée supérieure. Aussi, quant à ces paroles : « il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre[573] » ; il est constant qu’elles n’ont pas été accomplies sous le règne de Salomon, que le psaume paraît chanter, tandis qu’il chante le Christ. Ainsi donc, dans ces plaies des Égyptiens, que nous marque d’une manière exacte le livre que l’on nomme Exode, et où l’Écriture a pris soin de nous détailler ces fléaux dont ils furent accablés, nous ne trouvons pas ce que dit notre psaume ; « Il détruisit leurs maisons par la rouille ». De plus, après avoir dit : « Il abandonna leurs bestiaux à la grêle », le Prophète ajoute : « Et leurs possessions au feu du ciel ». Or, nous lisons bien dans l’Exode[574], que leurs bestiaux furent frappés de la grêle, mais non que leurs possessions aient été détruites par le feu. Il est vrai qu’à la grêle se mêlent des bruits et des feux, comme le tonnerre et les éclairs ; et pourtant il n’est pas écrit que ces feux aient rien consumé. Enfin il n’est point dit que les plantes flexibles que la grêle ne pouvait blesser, aient été frappées ou blessées par des coups violents, puisqu’elles furent ensuite la proie des sauterelles[575]. De même encore il est dit : « Il fit périr leurs sycomores par les frimas », ce qui n’est pas dans l’Exode. Car les frimas diffèrent beaucoup de la grêle, et en hiver, pendant les nuits sereines, les frimas blanchissent la terre.
21. Quant à l’explication de ces figures, que chacun en parle comme il pourra, et que le lecteur en juge équitablement. Pour moi, l’eau changée en sang, désigne le jugement charnel que l’on porte sûr les choses. Ces insectes marquent le cynisme de ceux qui ne respectent point les parents dont ils sont nés. Les grenouilles, la vanité qui parle sans cesse. La rouille nuit d’une manière invisible, tantôt on l’appelle rouille, et tantôt canicule à quel vice comparer ce fléau, sinon à celui qui apparaît le moins, comme la confiance en soi-même ? C’est en effet un souffle nuisible qui la produit insensiblement dans les moissons ; c’est le travail de cet orgueil secret qui nous fait croire que nous sommes quelque chose, quand en effet nous ne sommes rien[576]. La sauterelle est cette bouche méchante qui blesse les autres par le faux témoignage. La grêle, c’est l’injustice qui enlève le bien d’autrui, qui produit les rapines, les larcins, les pillages, et où le spoliateur perd plus que ceux qu’il dépouille. La bruine marque le péché qui refroidit la charité pour le prochain, par le froid de la nuit, dans l’obscurité de la folie. Quant au feu, s’il s’agit d’un feu séparé des éclairs et de la grêle, puisqu’il est écrit qu’« il livra au feu leurs possessions », ce qui paraît dire qu’elles furent incendiées, ce que l’Écriture ne dit point du feu du tonnerre, il semble désigner une colère violente qui porte souvent jusqu’au meurtre. La mort des troupeaux, autant que j’en puis juger, marque la perte de toute pudeur, parce que cette concupiscence, d’où provient la génération, nous est commune avec les bêtes, et la vertu de chasteté consiste à l’assujettir et à la régler. La mort des premiers-nés, c’est la perte de cette justice qui est le bien social parmi les hommes. Cependant, que tel soit le sens des figures, ou qu’un autre en donne un plus convenable, qui pourrait voir sans étonnement les dix plaies dont l’Égypte est frappée, et les dix préceptes inscrits sur les tables pour servie de code au peu pie de Dieu ? Chercher l’analogie de ces deux faits, c’est-à-dire de ces plaies et de ces préceptes, nous l’avons fait ailleurs[577], et nous n’en voulons point surcharger l’explication de notre psaume : disons seulement que les dix plaies d’Égypte sont exprimées ici, quoique l’ordre diffère de celui de l’Exode, puisque au lieu des trois que nous y voyons[578], et qui manquent ici, c’est-à-dire des moucherons, des ulcères et des ténèbres, nous eu trouvons trois dans le psaume, et qui manquent dans l’Exode, c’est-à-dire, la rouille, la bruine et le feu, non le feu des éclairs, mais le feu qui consuma leurs biens, et dont l’Exode ne parle point.
28. Mais il est assez clair que Dieu, par un juste jugement, les accable de ces maux, au moyen des mauvais anges, qui travaillent dans notre siècle comme dans l’Égypte et dans les champs de Tanis, où nous devons pratiquer l’humilité, jusqu’à ce que vienne le jour où nous mériterons de sortir glorieusement de cette bassesse. Égypte, en langue hébraïque, signifie ténèbres ou tribulations, et Tanis, comme nous l’avons dit, signifie un humble commandement. Ne passons donc point légèrement star ce que le psaume nous dit des mauvais anges, à propos de ces plaies : « Il a déchaîné contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la fureur, les influences des mauvais anges ». Qu’il y ait un diable avec ses anges, auxquels Dieu a préparé le feu éternel, il n’est aucun fidèle pour l’ignorer : mais ceux qui sont moins capables de considération, comprendront difficilement la souveraine justice de Dieu qui se sert utilement des méchants mêmes, et qui déchaîne leur puissance contre ceux qu’il juge dignes de leur méchanceté. Quant à la substance de ces esprits, quel autre que Dieu les a faits ? Mais il ne les a point faits mauvais : il en use néanmoins dans sa bonté, c’est-à-dire avec sagesse et avec justice : comme au contraire les méchants abusent pour le mal des meilleures créatures. Dieu donc se sert des mauvais anges, non seulement pour punir les méchants, comme ceux dont il est question dans notre psaume, comme le roi Achab, qu’un esprit de mensonge séduisit par l’ordre de Dieu, afin qu’il pérît dans la guerre[579], mais encore pour mettre les bons à l’épreuve, et en évidence, comme il arriva pour Job. Pour ce qui est de cette matière corporelle des éléments visibles, je crois que les bons anges peuvent s’en servir comme les méchants, selon le pouvoir qu’ils ont reçu ; de même que les hommes bons ou méchants s’en servent indifféremment, chacun à proportion de sa faiblesse. La terre est à notre usage, ainsi que l’eau, l’air et le feu, non seulement dans ce qui est nécessaire pour sustenter notre vie, mais encore dans ce qui est superflu, ou amusant, ou même dans les œuvres d’art que l’on admire. Ces ouvrages sans nombre de mécanique, en grec mexanemata, n’ont pas d’autre objet que ces éléments. Mais la puissance des anges, soit bons, soit méchants, est bien plus grande, et des bons plus que des mauvais ; pour eux néanmoins comme pour nous, elle est subordonnée à l’ordre ou à la permission de Dieu. Pour nous, en effet, le pouvoir sur les éléments ne se mesure pas à la volonté ; et dans un livre authentique de l’Écriture, nous lisons que le diable a bien pu lancer le feu du ciel, pour consumer, par un coup d’une violence extrême et surprenante, les immenses troupeaux d’un saint personnage : et nul peut-être n’oserait attribuer au démon une telle puissance, s’il ne l’apprenait par l’autorité de l’Écriture. Mais cet homme que la grâce de Dieu avait rendu juste, fort et saintement clairvoyant, ne dit point : Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté ; mais bien : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté[580] ». Il savait très bien que le démon ne peut user de sa puissance sur les éléments et contre les serviteurs de Dieu, que selon la volonté et la permission de Dieu. Il confondait ainsi la malice du démon, parce qu’il connaissait celui qui s’en faisait un instrument pour l’éprouver. Quant aux fils de l’incrédulité, le démon s’en fait des esclaves[581], comme les hommes s’assujettissent les animaux ; et toujours néanmoins autant que le permet la souveraine justice de Dieu. Mais interdire au démon par une puissance supérieure, de traiter à son gré ceux qui sont à lui, et lui donner un pouvoir sur ceux qui lui sont étrangers, sont choses bien différentes. Ainsi un homme fait de son cheval ce qu’il veut, et toutefois il cesse d’en disposer, quand un pouvoir supérieur le lui interdit ; mais pour user du cheval d’un autre, il attend qu’on lui en donne le pouvoir. Dans un cas on restreint le pouvoir qui existait, dans l’autre on accorde une puissance qui n’existait pas.
29. S’il en est ainsi, et si Dieu se servit des anges pour frapper les Égyptiens, oserions-nous bien dire que ce furent ces mêmes anges qui changèrent les eaux en sang, ces mêmes anges qui produisirent les grenouilles, merveilles qu’imitèrent les magiciens de Pharaon par leurs enchantements ? Ces esprits méchants obsédaient-ils ce peuple d’une double manière, l’affligeant d’une part, le trompant de l’autre, selon la juste volonté de Dieu qui, dans sa toute-puissance, se sert très justement de la malice des méchants ? Je n’ose prononcer. Pourquoi les magiciens de Pharaon ne purent-ils produire des mouches[582] ? Est-ce parce que les démons n’en reçurent point le pouvoir ? Ou mieux, n’y a-t-il point là une raison cachée qui dépasse les forces de notre analyse ? Si nous prétendons en effet que Dieu n’agissait alors que par les anges mauvais, parce qu’il s’agissait de châtiments à infliger, et non de faveurs à distribuer, comme si Dieu ne châtiait jamais par le ministère des bons anges, mais seulement par ces bourreaux de la milice céleste ; il nous faudra croire que Sodome fut ruinée par les mauvais anges, et que ce fut à de mauvais anges qu’Abraham et Loth donnèrent l’hospitalité. Loin de nous de le penser contre l’autorité si claire des Écritures[583]. Il est donc évident que ces maux peuvent arriver aux hommes par les bons et par les mauvais anges. J’ignore quand cela se fait ou se doit faire. Mais Dieu qui le fait ne l’ignore pas, non plus que le confident qu’il lui plaît de se choisir. Toutefois, en prenant l’Écriture pour règle de mes pensées, je lis que Dieu châtie par les bons anges, comme il arriva pour Sodome, et qu’il châtie par les mauvais anges, comme il arriva pour les Égyptiens : mais je ne sache pas que par le moyen des bons anges, il ait infligé aux justes une épreuve corporelle.
30. Quant au passage du psaume que nous expliquons, si nous n’osons attribuer aux mauvais anges ces merveilles sur les créatures ; nous avons de quoi leur attribuer, sans hésitation, la mort des troupeaux, le trépas des premiers-nés, et ce qui déchaîna tous les fléaux, cet endurcissement du cœur, qui s’opposait à la sortie du peuple de Dieu. Quand l’Écriture dit que Dieu jeta leurs cœurs dans cette obstination si injuste et si criminelle[584], tel n’est point l’effet d’une inspiration de sa part, ou d’une excitation, mais simplement d’un abandon, en sorte que les diables ont fait, sur ces enfants de l’incrédulité[585], ce que Dieu leur a permis dans sa stricte justice. C’est dans ce sens qu’il nous faut entendre cette parole d’Isaïe : « Vous êtes irrité, Seigneur, et nous sommes pécheurs. Aussi sommes-nous tombés dans l’égarement, nous sommes tous comme dans l’impureté[586] ». Quelque crime de ce peuple avait donné lieu à la juste colère de Dieu de leur retirer sa lumière, en sorte que leur âme aveuglée s’éloigna du chemin de la justice pour tomber dans des fautes dont rien ne peut diminuer la gravité quand nous voyons dans un autre psaume que Dieu convertissait le cœur des Égyptiens, afin qu’ils n’eussent que de la haine pour son peuple, et qu’ils traitassent injustement ses serviteurs[587], nous pouvons croire que Dieu agissait ainsi par ses mauvais anges, afin que les cœurs vicieux de ces incrédules fussent portés à la haine contre le peuple de Dieu, par ces mêmes anges qui se plaisent dans les mêmes vices, et que les merveilles qui suivirent pussent effrayer et corriger les bons. On peut très bien croire aussi que les mauvais anges infligent à ceux que leur abandonne la divine justice, les plaies de l’âme, dont ces plaies sensibles sont la figure, d’après cet oracle : « J’ouvrirai ma bouche en parabole ». En effet, quand s’accomplit ce que nous dit saint Paul : « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs cœurs, afin qu’ils fissent des choses honteuses[588] », il se trouve là des démons qui s’emparent avec joie de ces cœurs comme d’une propriété : puisque Dieu leur assujettit la corruption des hommes, à l’exception de ceux qu’il en délivre par sa grâce. Qui comprendra ces choses[589] ? Aussi, quand le Psalmiste a dit : « Il déchaîna contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la fureur, et les influences des anges mauvais » ; et qu’il ajoute : « Il élargit les voies à sa colère », quel esprit assez éclairé, assez pénétrant, peut se promettre d’aller au fond de la sentence renfermée dans ces paroles ? La colère de Dieu s’était fait un sentier pour châtier par une justice occulte, l’impiété de l’Égypte. Mais il a élargi ce sentier, et par l’effet des mauvais anges, les a tirés de ces vices cachés pour les jeter dans des crimes publics, et venger d’une manière éclatante cette impiété déclarée. Pour délivrer l’homme de ce pouvoir des mauvais anges, il n’y a que la grâce de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « C’est lui qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé[590] » : voilà ce que figurait ce peuple, qu’il arrachait à la puissance des Égyptiens, pour les mettre en possession de cette terre qui leur était promise, et où coulaient des ruisseaux de lait et de miel, symbole de la douceur de la grâce.
31. Après avoir énuméré les plaies de l’Égypte, le Psalmiste continue : « Il mena son peuple comme des brebis, et le conduisit comme un troupeau dans le désert. Il les conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis[591] ». Voilà ce qui se produit d’une manière d’autant plus avantageuse, qu’elle est plus intérieure, alors que Dieu arrache notre âme à la puissance des ténèbres, et nous transfère dans des pâturages spirituels ; nous devenons les brebis de Dieu, marchant dans cette vie comme dans un désert, puisque nul ne comprend notre foi. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « Votre vie est cachée en Dieu avec le Christ[592] ». Nous arrivons ensuite à l’espérance, car « l’espérance est notre salut ». Nous ne devons plus craindre, « car si Dieu est avec nous, qui sera contre nous[593] ? » La mer a englouti nos ennemis, parce que le baptême nous a remis nos péchés.
32. Le Prophète continue : « Il les fit entrer sur la montagne sainte ». Combien vaut-il mieux entrer dans la sainte Église ? « La montagne acquise par sa droite[594] ». Combien est plus sublime encore cette Église acquise par le Christ, et dont il est dit « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé[595] ? » « Il a chassé devant eux les nations » : devant ses fidèles. Ces nations sont en quelque sorte les erreurs des Gentils, et les esprits du mensonge. « Il leur a divisé la terre, comme on divise un héritage. C’est le même esprit qui opère en nous toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il lui plaît[596] ».
33. « Il a fait reposer sous leurs tentes les tribus d’Israël[597] ». C’est sous les tentes des nations, dit le Prophète, qu’il fit reposer les tribus d’Israël. Cela s’accomplit bien mieux d’une manière spirituelle, selon moi, lorsque la grâce de Jésus-Christ nous élève dans cette gloire d’où furent chassés et précipités les anges prévaricateurs. Car tant de bienfaits visibles ne faisaient point déposer à cette « race indocile et rebelle », la tunique du vieil homme. « Et de nouveau ils tentèrent le Seigneur et l’irritèrent, ils ne gardèrent point ses préceptes ; ils se retirèrent de lui et violèrent son alliance, aussi bien que leurs pères[598] ». Ils s’étaient liés envers Dieu par un pacte, et avaient dit librement : « Nous ferons, et nous écouterons tout ce qu’a ordonné le Seigneur notre Dieu[599] ». N’oublions pas que le Prophète a dit : « Aussi bien que leurs pères ». Quoiqu’il paraisse dans tout le psaume ne parler que des mêmes hommes, il est évident qu’il est question ici de ceux qui étaient déjà dans la terre promise, et qu’il appelle leurs pères les murmurateurs du désert.
34. « Ils se sont détournés », dit le Prophète, « comme un arc nuisible » ; ou, comme on lit dans quelques exemplaires, « comme un arc de travers ». Le Prophète nous explique ensuite plus clairement sa pensée : « Ils l’ont irrité », dit-il, « sur les hauts lieux[600] ». Ce qui signifie qu’ils tombèrent dans l’idolâtrie. Un arc est de travers quand il combat, non plus pour le nom du Seigneur, mais contre ce même Seigneur qui a dit à ce peuple : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi[601] ». L’arc désigne ainsi l’intention de l’âme. C’est ce que nous dit le Prophète avec plus de clarté : « Ils ont allumé sa jalousie en adorant des idoles ».
35. « Dieu les vit et les méprisa », c’est-à-dire qu’il les vit pour en tirer vengeance, « et pour anéantir Israël[602] ». Ainsi méprisé de Dieu, que pouvait devenir un peuple qui n’était rien que par le secours de Dieu ? Il rappelle sans doute ce qui eut lieu quand Israël fut vaincu par les Philistins, du temps du grand prêtre Héli, alors que l’arche de Dieu fut prise, qu’il se fit un grand carnage des Israélites[603], ce qu’exprime ensuite le Prophète : « Il rejeta le tabernacle de Silo, ce tabernacle où il avait demeuré avec les hommes[604] ». Nous dire : « Où il habita parmi les hommes », c’est nous dire pourquoi il rejeta ce tabernacle. Ces hommes n’étant pas dignes qu’il habitât parmi eux, pourquoi n’aurait-il point rejeté ce tabernacle, qu’il avait fait dresser non pour lui-même, mais pour ces hommes qu’il jugeait indignes de sa présence ?
36. « Il livra leur force à la captivité, et aux ennemis l’arche de leur gloire[605] ». Il appelle force et gloire des Juifs, cette arche avec laquelle ils se croyaient invincibles, et dont ils étaient fiers. Dans la suite, comme ces hommes débauchés s’applaudissaient du temple du Seigneur, il les effraie par son Prophète : « Voyez », leur dit-il, « ce que j’ai fait à Silo, où était mon tabernacle[606] ».
37. « Il livra son peuple au glaive, et méprisa son héritage. Les jeunes guerriers furent dévorés par le feu, ou par sa colère, et leurs jeunes filles ne furent point pleurées[607] » : la crainte des ennemis ne le permettait point.
38. « Leurs prêtres tombèrent sous le glaive, et leurs veuves ne furent point pleurées[608] ». Les deux fils d’Héli furent tués en effet, et la femme de l’un, devenue veuve, mourut bientôt dans l’enfantement, et dans le trouble d’alors ne pût être pleurée, ni ensevelie avec honneur[609].
39. « Le Seigneur s’éveilla comme d’un profond sommeil ». Il paraît, en effet, dormir, quand il abandonne son peuple entre les mains de ceux qu’il déteste, et qui lui disent : « Où est ton Dieu[610] ? Il s’est éveillé s comme un homme endormi, comme un homme puissant appesanti par le vin[611] ». Il n’y a que l’Esprit de Dieu pour oser parler de la sorte. Il prend le langage insolent des impies, qui s’imaginent que Dieu dort comme un homme ivre, quand il ne vient point au secours des hommes aussitôt qu’ils l’avaient cru.
40. « Il frappa ses ennemis par-derrière[612] » ces mêmes ennemis qui s’applaudissaient d’avoir pu prendre l’arche. Ils furent frappés dans la partie la plus cachée du corps[613], ce qui figure pour moi le châtiment dont sera frappé quiconque regardera en arrière. Tout cela doit être pour nous du fumier, selon le mot de l’Apôtre[614]. Recevoir l’arche de Dieu, sans se dépouiller de la vanité, c’est ressembler à ces peuples ennemis qui, après avoir pris l’arche de l’alliance, la placèrent près de leur idole. Et ces idoles tombent, nonobstant leurs efforts : « Car toute chair n’est qu’une herbe des champs, toute gloire de l’homme n’est que la fleur de l’herbe. L’herbe se dessèche, la fleur tombe ; tandis que l’arche du Seigneur demeure éternellement[615] », c’est-à-dire le royaume des cieux, le lieu secret de cette alliance, et où réside « le Verbe » de Dieu. Mais ceux qui aiment ce qui est par-derrière, en sont justement châtiés : « Dieu les couvre d’une éternelle ignominie ».
41. « Il rejeta le tabernacle de Joseph, et ne choisit point la tribu d’Ephraïm. Mais il choisit la tribu de Juda[616] » Il n’est point dit qu’il ait rejeté le tabernacle de Ruben, qui fut le premier-né de Jacob, non plus que ceux qui suivirent Ruben et qui précédèrent Jacob dans l’ordre de naissance, pour choisir Juda après avoir rejeté les autres. On pouvait croire néanmoins que ces tribus étaient rejetées car Jacob, dans la bénédiction qu’il donne à ses lits, maudit les crimes détestables des aînés[617] : toutefois, parmi eux la tribu de Lévi mérita d’être la tribu sacerdotale, et de donner le jour à Moïse[618]. Le Prophète ne dit point que Dieu rejeta la tribu de Benjamin ; ou qu’il ne choisit point la tribu de Benjamin, qui fut la première à donner un roi ; car ce fut en elle que Saut fut élu[619]. Or, le peu de temps qui s’écoule entre la réprobation de Saül qui fut rejeté, et l’élection de David[620], nous ferait dire parfaitement bien, que Dieu rejeta Benjamin. Mais le Prophète ne donna que les noms de ceux que leurs mérites paraissaient rendre plus célèbres. Joseph nourrit en Égypte son père et ses frères. Vendu sans aucune pitié, il mérita d’arriver au comble de la gloire, par sa piété, sa chasteté, sa sagesse[621] : Ephraïm fut préféré à son aîné dans la bénédiction le Jacob son aïeul[622] : et pourtant Dieu rejeta le tabernacle de Joseph, et ne choisit point Ephraïm ». Que nous montre le Prophète par ces noms d’un mérite éclatant, sinon que ce peuple tout entier fut rejeté et réprouvé parce qu’il n’avait jamais recherché de Dieu que des biens temporels : et que si la tribu de Juda fut choisie, ce ne fut point à cause des mérites de Juda ? Joseph méritait beaucoup plus. Mais comme c’est de la tribu de Juda que le Christ est né selon la chair, l’Écriture nous montre ici que le peuple du Christ, peuple nouveau, a été préféré à l’ancien peuple, par le Seigneur qui ouvre sa bouche en paraboles. Aussi dans ces paroles qui suivent : « La montagne de Sion qu’il a aimée », nous aimons mieux voir l’Église du Christ, qui ne sert point Dieu à cause des biens temporels, mais qui plonge les regards de sa foi dans un lointain avenir et sur les biens éternels : car Sion signifie contemplation.
42. Nous lisons ensuite : « Il a bâti sa sanctification comme la corne du rhinocéros[623] », ou, comme l’ont dit quelques interprètes avec un mot nouveau, son sanctifice. Le rhinocéros est bien choisi pour figurer ceux dont l’espérance ferme s’élève vers un seul objet, et dont un autre psaume a dit : « J’ai fait une seule demande au Seigneur, et la ferai toujours[624] ». Cette sanctification est, selon saint Pierre, « le peuple saint, le sacerdoce royal[625] ». Quand cette parole : « Il l’a fondée sur la terre pour l’éternité » : le grec porte eis ton aiona ; le latin peut traduire in aeternum, ou in saeculum, car c’est la même signification, aussi trouvons-nous tantôt l’un et tantôt l’autre dans les exemplaires latins. Il en est même qui traduisent au pluriel, dans les siècles, ce que nous n’avons point lu dans les exemplaires grecs que nous avions sous les yeux. Mais quel fidèle peut douter encore que l’Église, qui passe de cette vie à une autre, avec ceux qui naissent et qui meurent, est néanmoins fondée pour l’éternité ?
43. « Il a choisi David son serviteur[626] » ; ou la tribu de Juda à cause de David, David à cause du Christ : et dès lors Juda à cause du Christ. Aussi les aveugles criaient-ils sur son passage : « Ayez pitié de nous, fils de David » et ils recevaient la lumière à cause de sa miséricorde[627] ; parce qu’ils disaient vrai. Ce n’est donc point à la légère, mais avec réflexion que l’Apôtre fait cette recommandation à Timothée : « Souvenez-vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Évangile que je prêche. C’est pour lui que je souffre dans les chaînes comme un criminel ; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée[628] ». Ce Sauveur donc, fils de David selon la chair, nous apparaît ici en figure sous le nom de David, alors que Dieu ouvre la bouche pour parler en paraboles. Ne nous étonnons pas qu’après avoir dit : « Il choisit David », qui nous marque le Christ, le Prophète ajoute « son serviteur », et non son fils ; c’est ce qui nous montre que ce n’est point la substance du. Fils unique, coéternelle au Père, qui est issue de David, mais bien la forme de l’esclave.
44. « Il l’a tiré du milieu des bergeries, il l’a pris quand il gardait les brebis, pour être le pasteur de Jacob son peuple, et d’Israël son héritage[629] ». Ce David de qui est né Jésus-Christ selon la chair, fut tiré de la garde des troupeaux, pour conduire les peuples ; mais notre David ou Jésus-Christ, ne passa que des hommes à d’autres hommes, des Juifs aux Gentils, et cependant, selon la parabole, il a été transféré d’un troupeau de brebis à d’autres brebis. On ne retrouve Plus dans ces contrées ces Églises juives qui crurent en Jésus-Christ, qui vinrent de la circoncision peu après la passion et la résurrection du Sauveur, et dont l’Apôtre a dit : « J’étais inconnu de visage aux Églises de Judée, qui sont en Jésus-Christ ; seulement elles avaient appris que celui qui nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait de détruire, et elles bénissaient Dieu à mon sujet[630] ». Mais toutes ces Églises de la circoncision n’existent plus aujourd’hui ; et ainsi le Christ n’est plus dans cette terre qu’on appelait la Judée. Il en est sorti pour être le pasteur des Gentils. À la vérité, il a été tiré de la garde des « brebis pleines », comme dit le Psalmiste ; car elles étaient de celles dont il est parlé dans le cantique des cantiques, quand il est dit, à une Église composée de beaucoup d’églises, à un troupeau formé de plusieurs autres troupeaux : « Vos dents », ou plutôt ceux par qui vous parlez, ou dont vous vous servez pour manger les autres, et les taire ainsi entrer dans votre corps, ceux qui sont pour vous « des dents, ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues, qui montent du lavoir ; elles n’enfantent qu’un double fruit, et ne connaissent point la stérilité[631] ». Ils ont déposé comme une toison les fardeaux du siècle, quand ils ont apporté aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens vendus[632] ; ils sont sortis de ce même bain, dans lequel saint Pierre leur a dit de se laver parce qu’ils ont répandu le sang du Christ. « Faites pénitence », leur dit-il, « et que chacun de vous soit baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ, et « vos péchés vous seront remis[633] ». Ils ont porté un double fruit dans les œuvres des deux préceptes de la charité, envers Dieu, et envers le prochain : ainsi nulle de ces brebis n’a été stérile. Notre David a donc été tiré de la garde des brebis pleines, et garde maintenant, parmi les Gentils, d’autres brebis, qui sont aussi Jacob et Israël, ainsi que l’a dit notre Psaume : « Pour faire paître Jacob son serviteur, et Israël son héritage ». Pour être venues en effet de la gentilité, ces brebis n’en sont pas moins de la race d’Abraham et de Jacob. Car cette race est celle d’Abraham, race de la promesse que lui fit le Seigneur, en disant : « C’est d’Israël que sortira votre race[634] ». C’est ce que nous explique saint Paul : « Ce ne sont point les fils selon la chair », dit-il, « mais les enfants selon la promesse, qui entrent dans la postérité[635] ». C’était aux fidèles de la Gentilité que l’Apôtre disait : « Si vous êtes au Christ, vous êtes la postérité d’Abraham, les héritiers selon la promesse[636] ». Quant à cette parole : « Jacob mon serviteur, et Israël mon héritage », c’est une répétition de pensée, en usage dans l’Écriture. À moins peut-être qu’on ne veuille mettre cette différence, que c’est Jacob qui sert en cette vie, et que l’héritage du Seigneur s’ouvrira par cette vie éternelle qui nous montrera Dieu face à face, d’où vient te nom d’Israël[637].
45. « Il les a fait paître dans l’innocence de son cœur ». Quelle plus parfaite innocence que celle qui n’eut point de péché, non seulement pour la vaincre, mais encore qu’elle pût vaincre ? » Il les a conduites d’une main « sage et prudente[638] ». Ou, comme on lit dans d’autres exemplaires, « de ses mains intelligentes ». On pourrait croire qu’il serait mieux de dire : dans l’innocence de ses mains, et la sagesse de son cœur ; mais celui qui sait mieux que tout autre comme il convient de dire, attribue au cœur l’innocence et aux mains la sagesse. Et autant que j’en puis juger, c’est que beaucoup se croient innocents parce qu’ils s’abstiennent de faire le mal, à cause du châtiment qu’ils craignent ; et qui ont la volonté de le faire, s’ils te pouvaient impunément. On peut croire â l’innocence de leurs mains, mais non à celle de leur cœur. Et néanmoins quelle peut être une innocence qui n’existe pas dans le cœur où est la ressemblance de l’homme avec Dieu ? Quand le Prophète nous dit que le Christ « a conduit son peuple dans l’intelligence de ses mains », il semble parler de cette sagesse que le Christ produit dans ceux qui croient en lui ; aussi dit-il « des mains », parce que c’est la main qui agit : ce que l’on peut entendre de la main de Dieu, car le Christ est tout ensemble homme et Dieu. Il est certain que le roi David, dont le Christ est issu, ne pouvait eu agir ainsi à l’égard de ce peuple qu’il gouvernait, car il était homme : mais il le fait, celui à qui toute âme fidèle peut dire : « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi[639] ». Dès lors, afin de ne point nous égarer loin de lui, en nous confiant en notre sagesse, comme si elle était bien la nôtre, soumettons-nous à ses mains par la foi. Qu’il produise lui-même cette sagesse en nous, afin qu’après nous avoir délivrés de toute erreur, il nous conduise où toute erreur est impossible. C’est là le fruit que doit recueillir le peuple de Dieu lorsqu’il écoute sa loi, qu’il incline l’oreille à sa parole, qu’il redresse son cœur en l’élevant à lui, s’unit à lui d’esprit par une foi vive, afin de ne point devenir une race indocile et rebelle. Mais qu’il apprenne de tout ce que nous avons dit, à mettre son espérance en Dieu, non seulement pour la vie présente, mais aussi pour la vie éternelle ; non seulement pour recevoir la récompense qui est due à ses bonnes œuvres, mais aussi pour faire ces mêmes bonnes œuvres.

DISCOURS SUR LE PSAUME 78[modifier]

LES PERSÉCUTIONS DE JÉRUSALEM.[modifier]

Sous la forme du passé, le Prophète ne plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui découvre pour l’avenir, et an nom de ceux qui vivront alors, s’il est question de la ruine de Jérusalem sous Titus, car alors l’héritage du Seigneur serait un peuple qui aurait rejeté le Christ, quoique les premiers fidèles en soient issus, ainsi que les premières Églises qui appartiennent à cet héritage par leur foi, mais non le reste du peuple. La Jérusalem du Prophète serait l’Église formée de la gentilité et de la circoncision ; le temple détruit se dirait des fidèles égorgés, pierres vivantes de l’Église : Jérusalem est une hutte abandonnée, puisque les martyrs ou les fruits que l’on y gardait sont retournés au ciel. Le sang coula dans le monde entier, et la terreur empêchait que l’on donnât la sépulture. Le Prophète appelle colère la vengeance que Dieu tire de l’injustice, et son zèle le soin de notre âme ; mais Dieu est toujours calme. Cette colère se répandra sur les ennemis de Dieu La maison de Jacob, c’est l’Église dont plusieurs membres effrayés retourneront au paganisme. Mais comme les persécuteurs n’ont de pouvoir que selon la permission de Dieu, le Prophète implore son secours et sa délivrance, afin que les nations voient la puissance du Seigneur et se convertissent. S’il appelle la vengeance divine, c’est par amour de cette justice, ou qui corrige l’impie, ou qui détourne de l’impiété, ou qui du moins fait éclater l’équité du juge ; il ne déteste que le vice. Les chaînes dans lesquelles il veut que Dieu l’entende, sont les infirmités qui font gémir les bons, on les liens de la sagesse. Le sang des martyrs a fait vivre l’Église an lieu de la détruire ; elle voit la réprobation des persécuteurs, et chante les louanges de Dieu, jusqu’à la fin des siècles.


1. Le titre de ce psaume est si court et si simple, qu’il n’est pas, je crois, besoin de nous y arrêter. Quant aux promesses et aux prophéties qu’il renferme, nous en avons sous les yeux l’accomplissement. Lorsque au temps de David on chantait ces prophéties, aucun malheur semblable n’était arrivé à la ville de Jérusalem, ni au temple de Dieu qui n’était point encore bâti. Qui ne sait que ce fut après la mort de David que Salomon son fils éleva ce temple au Seigneur ? Le Prophète rapporte donc comme au passé ce que l’Esprit du Seigneur lui montre dans l’avenir. « Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage[640] ». Cette même manière de parler a fait dire à propos de la passion du Sauveur : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif m’ont abreuvé de vinaigre[641] » ; et d’autres particularités qui sont révélées, comme si elles étaient accomplies déjà. Ne nous étonnons pas que l’on parle ainsi au Seigneur. On ne cherche point à les leurs apprendre comme s’il les ignorait, puisque c’est lui qui les révèle : mais alors c’est l’âme qui s’entretient avec Dieu, avec cette affectueuse piété qu’agrée le Seigneur. Quand les Anges font aux hommes des révélations, ils les font à des ignorants : mais ce qu’ils redisent à Dieu, il le sait ; c’est ainsi qu’ils lui présentent nos prières, et que dans un langage ineffable ils demandent ce qu’ils ont à faire à l’éternelle vérité, comme à la loi immuable. Ici donc l’homme de Dieu se plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui apprend, comme le disciple parle au maître qui sait et qui juge, qui approuve ce qu’il a enseigné, qui reprend ce qu’il n’a point enseigné, d’autant plus que le Prophète personnifie en lui-même ceux qui vivront quand arriveront ces malheurs. D’ordinaire, en effet, on représente à Dieu dans la prière les vengeances qu’il a exercées, on le conjure ensuite de prendre en pitié et de pardonner. De même le Prophète parle ici des malheurs qu’il prédit comme en parleraient ceux qui les ont essuyés : et cette plainte qui est une prière, est en même temps une prophétie.
2. « O Dieu ! les Gentils sont entrés dans votre héritage : ils ont souillé votre saint temple, et ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits. Les cadavres de vos serviteurs sont la proie des oiseaux du ciel, la chair de vos saints, la pâture des bêtes sauvages. Leur sang a coulé comme l’eau autour de Jérusalem, et nul n’était là pour les ensevelir[642] ». Si quelqu’un de nous voit dans cette prophétie la ruine de Jérusalem, qui arriva sous l’empereur romain Titus, alors que Jésus-Christ était déjà ressuscité et monté au ciel, et qu’on prêchait son Évangile parmi les Gentils, je ne vois pas comment le Prophète appelle héritage du Seigneur ut peuple qui n’avait pas reçu Jésus-Christ, qu’en le rejetant et en le livrant à la mort avait encouru la réprobation, qui n’avait pas voulu croire en lui-même après sa résurrection, et qui même avait égorgé ses martyrs. Ils étaient néanmoins du peuple d’Israël, ceux qui crurent d’abord au Christ, qui profitèrent de son avènement, pour qui s’accomplit avec fruit et d’une manière salutaire la promesse qui en avait été faite, et dont le Seigneur lui-même a dit : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées[643] » : ce sont là « les enfants de la promesse » parmi les Juifs, ceux « qui entrent dans la race d’Abraham[644] » ; ils appartiennent à l’héritage de Dieu. De là sont venus Joseph, cet homme juste, et la vierge Marie qui a enfanté le Christ[645] ; de là Jean-Baptiste, l’ami de l’Époux, et ses parents, Zacharie et Elisabeth[646] ; de là le vieillard Siméon et la veuve Anne, qui n’entendirent point la parole extérieure du Christ, mais qui le connurent tout enfant[647] ; de là les Apôtres ; de là Nathanaël sans déguisement[648] de là cet autre Joseph, qui attendait aussi le royaume de Dieu[649] ; delà cette grande foule qui le précédait et qui le suivait en chantant « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur[650] ». De là cette troupe de petits enfants, dont il est dit qu’ils accomplirent ce mot du Prophète : « C’est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la mamelle que vous avez tiré une louange parfaite[651] ». De là ceux qui, après sa résurrection, furent baptisés[652], trois mille en un jour, et cinq mille en un autre jour, et qui, au feu de la charité, ne firent qu’un seul cœur et une seule âme, dont nul ne s’appropriait rien, mais qui possédaient tout en commun[653]. De là ces saints diacres, parmi lesquels Étienne reçut avant les Apôtres la couronne du martyre[654]. De là toutes ces Églises de Judée, qui croyaient au Christ, qui ne connaissaient point le visage de Paul[655], mais ses persécutions fameuses, et surtout l’insigne miséricorde que lui fit le Christ. De là Paul lui-même selon la prophétie qui en avait été faite : « C’est un loup ravissant, au matin il enlève sa proie, au soir il partage les dépouilles[656] » ; c’est-à-dire que tout d’abord il persécute et égorge, et ensuite prêche et donne le pain de la vie. C’était là parmi les Juifs l’héritage du Seigneur. Aussi le plus humble des Apôtres[657], le docteur des Gentils a-t-il dit : « Que dirai-je ? le Seigneur a-t-il réprouvé son peuple ? Loin de là ; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a choisi dans sa prescience[658] ». Ce peuple sorti de l’ancienne alliance pour entrer dans le corps mystique de Jésus-Christ, est l’héritage de Dieu. Cette parole en effet de l’Apôtre : « Dieu n’a point rejeté le peuple qu’il a connu dans sa prescience », est analogue à cette autre parole du Psalmiste, ainsi écrite : « Car le Seigneur ne rejettera point son peuple » ; et il ajoute : « Il n’abandonnera point son héritage[659] » : ce qui prouve que ce peuple est bien l’héritage de Dieu, Avant de parler ainsi, d’Apôtre avait rappelé la prophétie qui annonce pour l’avenir l’incrédulité du peuple d’Israël : « J’ai tendu les bras durant tout le jour à ce peuple incrédule et rebelle à ma parole[660] ». Ici donc, pour empêcher que cette parole mal comprise ne fasse envelopper dans le crime d’incrédulité et de contradiction le peuple tout entier, l’Apôtre ajoute aussitôt : « Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple ? Loin de là. Car moi, je suis Israélite, de la race d’Israël, et de la tribu de Benjamin ». Montrant ainsi qu’il ne parle que du premier peuple, et que si Dieu l’eût réprouvé, l’eût condamné tout entier, il ne serait point apôtre du Christ, lui, Israélite de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Il emploie aussi un témoignage très important, quand il dit : « Ne savez-vous point ce que l’Écriture rapporte d’Elie, de quelle sorte il demande justice à Dieu contre Israël ? Seigneur, ils ont tué vos Prophètes, ils ont détruit vos autels ; je suis demeuré seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie. Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc en ce temps-ci, quelques-uns, que Dieu s’est réservés par l’élection de sa grâce, ont été sauvés ». Tel est le petit nombre qui fait partie de l’héritage de Dieu ; mais non ceux dont il est dit un peu après : « Pour les autres, ils ont été aveuglés » ; selon qu’il est écrit : « Qu’estil donc arrivé ? Ce que cherchait Israël, il ne l’a point trouvé, mais les élus l’ont trouvé ; et les autres sont tombés dans l’aveuglement[661] ». C’est donc cette élection, ce sont ces restes, c’est ce peuple de Dieu que Dieu n’a point rejeté, qui forme son héritage. Mais dans cet autre peuple qui n’a rien trouvé, dans ces autres qui furent aveuglés, ne se trouvait point l’héritage de Dieu dont on put dire après la glorification du Christ au temps de l’empereur Titus : « O Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage, et tout ce que notre psaume semble prédire sur la destruction de ce peuple de la ville et du temple.
3. Dès lors, ou bien il nous faut entendre ces prophéties de ce que firent d’autres ennemis avant l’avènement du Christ en sa chair (car il n’y avait alors d’autre héritage de Dieu que ce peuple des saints Prophètes, lorsqu’il fut transporté à Babylone, et que la nation subit de tels désastres[662] ; ce peuple des Macchabées, horriblement torturés par Antiochus, et qui furent si glorieusement couronnés[663] ; le psaume nous prédit en effet ce qui fait les horreurs de la guerre), ou bien, s’il nous faut envisager l’héritage de Dieu après la résurrection et l’ascension du Seigneur, nous entendrons par ces calamités les maux que les idolâtres, les ennemis du nom chrétien ont fait endurer à l’Église dans cette foule innombrable de martyrs. Bien que le nom d’Asaph signifie synagogue ou assemblée, et que ce nom se donne ordinairement au peuple juif : néanmoins cette assemblée peut être nommée Église ; et déjà dans un autre psaume[664], nous avons donné le nom d’Église à l’ancien peuple. Cette Église est donc l’héritage de Dieu, formé de la circoncision et de la gentilité, c’est-à-dire du peuple d’Israël et des autres nations, par « cette pierre qu’ont rejetée les architectes, et qui est devenue la tête de l’angle[665] », et à cet angle se sont jointes deux murailles, venant de directions différentes. « C’est lui qui est notre paix ; lui qui e des deux peuples n’en a fait qu’un ; pour former en lui-même un seul homme noue veau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux, les réunissant tous deux à Dieu en un même corps[666] ». C’est dans ce corps que nous sommes les enfants de Dieu, et que nous crions « Abba, notre Père[667] ». « Abba » dans la langue des Juifs, « Père » dans la nôtre, car « Abba » signifie « Père ». De là cette parole du Sauveur : « Je ne suis envoyé que vers les brebis d’Israël qui se sont égarées[668] » ; montrant ainsi que la promesse faite à ce peuple de lui envoyer le Messie était accomplie ; et pourtant au même endroit il ajoute : « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur[669] » : désignant ainsi les nations qu’il devait appeler à lui, non par sa présence corporelle, afin de justifier cette parole : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées » ; mais par son Évangile que devaient aller répandre « les pieds si beaux de ceux qui annoncent la paix, qui prêchent les biens[670] : leur voix s’est fait entendre dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde[671] ». De là encore cette Parole de l’Apôtre : « Je déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères ». Voilà bien : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis d’Israël qui se sont égarées ». L’Apôtre ajoute : « Pour les Gentils, ils doivent bénir la divine miséricorde[672] ». Voilà aussi : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, il me faut les amener, et il n’y aura plus qu’un troupeau et qu’un pasteur ». Telle est la double grâce exprimée dans ce mot du Prophète cité par saint Paul : « Nations, réjouissez-vous avec son peuple[673] ». C’est donc ce troupeau unique sous un seul pasteur qui forme l’héritage de Dieu, héritage non seulement du Père, mais encore héritage du Fils. Car c’est le Fils qui a dit : « Le cordeau a mesuré ma part dans des lieux ravissants, mon héritage est incomparable ». Et cet héritage, par la bouche du Prophète, dit à Dieu : « Seigneur, notre Dieu, possédez-nous[674][675] ». Ce n’est point un héritage que le Père mourant ait laissé à son Fils ; mais c’est le Fils qui par sa mort l’a acquis d’une manière merveilleuse, et en a pris possession par sa résurrection.
4. Si donc c’est à cet héritage qu’il faut appliquer la prophétie de ce psaume : « O Dieu, les nations sont entrées dans votre héritage », et croire que les païens sont entrés dans l’Église, non par la foi, mais par la persécution, c’est-à-dire qu’ils l’ont envahie dans le dessein de la détruire et de la ruiner entièrement, comme le prouvent tant de cruautés inouïes, alors cette parole : « Ils ont profané votre saint temple », se doit appliquer, non plus aux bois et aux pierres, mais aux chrétiens eux-mêmes, dont saint Pierre a dit qu’ils sont les pierres vivantes formant la maison de Dieu[676]. D’où saint Paul a dit clairement : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[677] ». Voilà le temple que les persécuteurs ont profané, dans ces chrétiens qu’ils ont forcés à renier le Christ par les menaces et les tortures, et que leurs violences ont fait retourner au culte des idoles : toutefois plusieurs se sont relevés par la pénitence, et purifiés de cette souillure. C’est une âme pénitente qui a dit : « Purifiez-moi de mes péchés » ; et : « Créez en moi un cœur nouveau, et renouvelez dans mes entrailles un esprit de droiture[678] ». Le Prophète continue : « Ils ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits » : l’Église peut très bien être appelée ainsi : « La Jérusalem libre est notre mère, dont il est écrit : Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas, pousse des cris de joie, élève la voix, toi qui n’es pas mère : l’Épouse délaissée a plus d’enfants que celle qui a un Époux[679] ». Cette expression, « une hutte à garder les fruits », signifie, selon moi, le désert qu’a tait la fureur de la persécution : comme une hutte à garder les fruits, car on abandonne ces huttes aussitôt que les fruits sont cueillis. Et certes, quand les Gentils eurent persécuté l’Église, elle parut un désert, les âmes des martyrs avaient passé au banquet céleste, comme des fruits nombreux et d’une admirable beauté cueillis dans le jardin du Seigneur.
5. « Ils ont donné pour pâture, aux oiseaux du ciel, les cadavres de vos serviteurs, et la chair de vos saints aux bêtes de la terre[680] », Le mot de « cadavre » est répété dans « la chair », et « vos serviteurs » dans « vos saints ». Il n’y a de différence qu’entre « les oiseaux du ciel » et u les bêtes de la « terre ». Traduire « cadavre » est beaucoup mieux que traduire « dépouille mortelle », comme l’ont fait quelques-uns. Cadavre ne se dit que des morts, et dépouille mortelle se dit même d’un corps vivant. Lors donc que les martyrs, comme je l’ai dit, retournèrent comme d’excellents fruits à Dieu qui les cultivait, leurs cadavres et leurs chairs devinrent la proie des oiseaux du ciel et des bêtes de la terre ; comme s’ils eussent pu perdre quelque chose pour la résurrection, alors que Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête[681], saura tirer des secrètes entrailles de la nature de quoi nous restaurer.
6. « Ils ont répandu le sang comme l’eau », c’est-à-dire avec abondance et avec mépris : « autour de Jérusalem[682] ». Si par Jérusalem nous entendons la ville de la terre, ce sang répandu autour de ses murs est celui de ses enfants que l’ennemi a pu rencontrer en dehors de ses murailles. Mais si nous comprenons cette Jérusalem dont il est dit : « Plus nombreux sont les fils de l’Épouse abandonnée, que les fils de celle qui a un Époux[683] », son enceinte est l’univers entier. Car dans ce même endroit où le Prophète s’écrie : « L’Épouse abandonnée est plus féconde que celle qui a un Époux » ; il continue à dire peu après : « Et le Dieu d’Israël qui t’a délivrée sera appelé le Dieu de la terre entière[684] ». En ce cas, l’enceinte de Jérusalem, dans notre psaume, comprendrait les lieux où l’Église était répandue, alors qu’elle croissait et portait des fruits dans le monde entier, et que la persécution, sévissant partout, fit un grand carnage des martyrs, répandant leur sang comme l’eau, et les enrichissant des trésors du ciel. Quant à cette parole : « Nul n’était là pour les ensevelir » ; il n’est pas étonnant que, dans certaines contrées, la terreur ait été si grande, que nul n’ait osé donner la sépulture aux corps des saints ; ou que plusieurs martyrs soient demeurés longtemps sans sépulture, jusqu’à ce que des mains pieuses leur eussent rendu ce devoir.
7. « Nous avons été en opprobre à nos voisins[685] ». Aussi n’est-ce point en présence des hommes, mais en présence de Dieu que la mort de ses saints est précieuse[686]. « Nous sommes la fable et le jouet », ou comme d’autres ont traduit : « La dérision de ceux qui nous environnent ». C’est une répétition de la pensée précédente. Car cette expression, « en opprobre », est répétée dans « la fable et le jouet » ; et « nos voisins » se trouve répété dans « ceux qui nous environnent ». Dès lors les voisins de la Jérusalem terrestre sont les autres peuples qui environnaient la Judée. Quant à la Jérusalem libre qui est notre mère, ses voisins et ceux qui l’environnent sont les ennemis chez qui elle habite dans l’univers entier.
8. Le Prophète se répand ensuite en prières, et nous montre que le récit qu’il vient de faire de tant de maux est moins un récit qu’une lamentation : « Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère, et votre zèle s’allumera-t-il toujours comme la flamme[687] ? » Il supplie le Seigneur de n’entrer point dans une fureur implacable ; de ne point prolonger cette pression, cette affliction, ce massacre, mais de mettre un terme à ses châtiments, selon cette parole d’un autre psaume : « Jusques à quand serons-nous nourris du pain des larmes, et abreuvés au calice des pleurs[688] ? » Dire en effet : « Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère ? » a bien le même sens que : Seigneur, mettez un terme à votre colère. Et quand nous lisons ensuite : « Votre zèle s’allumera-t-il comme une flamme ? » faut-il sous-entendre « jusques à quand », et « jusqu’à la fin », comme s’il y avait : Jusques à quand votre colère s’allumera-t-elle comme une flamme ? Sera-ce jusqu’à la fin ? Il faut en effet sous-entendre ces deux mots, comme plus haut nous avons sous-entendu celui-ci : « Ils ont donné ». Dans la première partie du verset, on lit : « Ils ont donné les cadavres de vos serviteurs pour servir de proie aux oiseaux du ciel » : ce verbe « ils ont donné », ne se trouve pas dans la seconde partie : « Et la chair de vos saints aux bêtes de la terre » ; il faut l’y sous-entendre. Quant à ce zèle et à cette colère de Dieu, ce n’est point une passion qui le trouble, comme l’en accusent quelques-uns[689] qui ignorent les Écritures. La colère de Dieu, c’est la vengeance qu’il tire de l’injustice, et son zèle, la jalousie de notre pureté, le soin de notre âme qui mépriserait sa loi, et se séparerait de lui par une fornication spirituelle. Ces sentiments causent du trouble chez les hommes qui souffrent ; mais sont paisibles chez Dieu qui les règle et à qui il est dit : « Pour vous, Seigneur, vous jugez dans le calme[690] ». C’est ce qui nous montre que les tribulations viennent aux hommes, et même aux fidèles, à cause de leurs péchés : quoique la gloire des martyrs en devienne plus éclatante par le mérite de la patience, et par leur humble piété à supporter les fléaux qui sont l’épreuve du Seigneur. C’est ce qu’ont témoigné et les Macchabées dans les tourments les plus cruels[691], et les trois jeunes hommes dans les flammes qui ne les touchaient point[692], et les saints Prophètes en captivité. Sans doute ils supportaient ce châtiment paternel avec force et humilité, et pourtant ils ne cachaient point que ces maux étaient la punition de leurs fautes. Ce sont eux qui disent dans le psaume : « Le Seigneur m’a châtié, et il m’a frappé de verges, et ne m’a point livré à la mort[693] ». Il flagelle tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants : quel fils n’est point châtié de son père[694] ?
9. Quand le Prophète ajoute : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point, et sur les royaumes qui n’invoquent point votre nom[695] » : c’est encore une prophétie, et non une imprécation. Ce n’est point un souhait malveillant, mais un souffle prophétique qui a dicté ces paroles, de même qu’en parlant des maux qui doivent arriver à Judas, le Prophète semble appeler de ses désirs le châtiment que Judas aura bien mérité. Mais comme il n’y a point de commandement de la part du Prophète, quand il dit au Christ au mode impératif : « Ceignez votre glaive, ô le plus puissant des rois ; revêtez-vous de votre éclat et de votre gloire, et dans votre majesté, marchez à la victoire et régnez[696] » ; il ne souhaite rien non plus, mais il prophétise, quand il dit : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point » : ce qu’il répète selon sa coutume, « et sur les royaumes qui n’invoquent point votre nom ». Car, royaumes est la répétition de nations ; et : qui n’invoquent point votre nom, la répétition de : qui ne vous connaissent point. Comment faut-il entendre cette parole du Sauveur dans l’Évangile : « Le serviteur qui ignore la volonté de son maître et qui fait des actions dignes du châtiment, en recevra moins : mais le serviteur qui a connu la volonté de son maître et fait des actes à châtier, le sera davantage[697] », si la colère de Dieu est plus grande contre les nations qui ne connaissent point son nom ? Car en disant : « Répandez votre colère », il indique assez quelle grande colère nous devons entendre. Aussi dit-il ensuite : « Rendez à nos voisins sept fois autant[698] ». Est-ce parce qu’il y a une grande différence entre le serviteur qui invoque le nom du Seigneur, bien qu’il ignore sa volonté, et l’étranger qui n’appartient pas à la famille d’un si grand maître, qui ignore Dieu au point de ne pas l’invoquer ? Au lieu de Dieu, ils invoquent des idoles, des démons ou une créature quelconque ; mais non le Créateur qui est béni dans les siècles. Le Prophète ne marque point ici que ceux dont il parle, ignorent la volonté de Dieu, au point de ne pas craindre le Seigneur ; mais il désigne ceux qui ignorent le Seigneur, de manière à ne pas l’invoquer, et à se poser comme les antagonistes de son nom. Il y a donc une grande différence entre ces serviteurs qui ne savent point, à la vérité, ta volonté de leur maître, mais qui font partie de sa famille, qui vivent dans sa maison, et ces ennemis qui, non seulement veulent que ce maître leur soit inconnu, mais qui n’invoquent point son nom, et persécutent ses serviteurs.
10. « Ils ont dévoré la maison de Jacob », continue le Prophète, « ils ont mis le deuil dans sa demeure[699] ». Jacob était en effet la figure de l’Église, comme Esaü l’était de la synagogue. De là cette prédiction : « L’aîné sera le serviteur du plus jeune[700] ». Ce nom peut désigner aussi l’héritage du Seigneur, dont nous parlions, et contre lequel se sont rués les peuples par la persécution, afin de l’envahir et de le détruire après l’ascension du Seigneur. Mais il faut examiner comment nous comprendrons « la demeure de Jacob ». Il semble qu’on ne peut guère l’entendre que de cette ville qui possédait le temple, et où le Seigneur avait ordonné que la nation tout entière viendrait lui offrir des sacrifices, célébrer la Pâque et l’adorer. Car si le Prophète avait voulu désigner les assemblées chrétiennes, que la persécution empêchait et désolait, il aurait dû dire des demeures désolées, et non une demeure. Et pourtant nous pouvons encore ici prendre le singulier pour le pluriel, comme on dit le vêtement pour les vêtements, le soldat pour les soldats, le troupeau pour les troupeaux : ces manières de parler qui sont ordinaires, non seulement dans le commun du peuple, mais aussi chez les plus habiles maîtres de l’éloquence. L’Écriture elle-même use de cette façon de parler, et a dit la sauterelle pour les sauterelles[701], la grenouille pour les grenouilles, et beaucoup d’antres locutions semblables. Cette expression : « Ils ont dévoré Jacob », marque parfaitement bien que les menaces des persécuteurs contraignirent beaucoup de chrétiens à entrer dans leurs corps, ou plutôt dans leur société.
11. Le Prophète sait fort bien que si, d’une part, Dieu doit châtier selon leur perversité la volonté des persécuteurs, d’autre part eux n’auraient eu contre son héritage aucune puissance, s’il n’avait voulu par le fouet du châtiment corriger son peuple de ses péchés. C’est pourquoi il ajoute : « Ne vous souvenez point de nos anciennes iniquités[702] ». Je ne dis pas simplement de nos iniquités passées, et qui pourraient être bien récentes ; mais des « anciennes », c’est-à-dire de celles qui viennent de nos pères. Car ce n’est plus le châtiment qui est dû à ces offenses, mais bien la condamnation. « Que vos miséricordes nous préviennent ». Qu’elles nous arrivent avant le jugement. « Car la miséricorde est préférable au jugement. Or, le jugement sera sans miséricorde, mais pour celui qui n’aura pas été miséricordieux[703] ». Et quand il ajoute : « Parce que nous sommes devenus pauvres », il montre son désir que la volonté de Dieu nous prévienne, afin que notre pauvreté ou notre infirmité soit soutenue par sa miséricorde dans l’accomplissement des préceptes, et que nous n’arrivions pas au jugement pour y être condamnés.
12. Aussi lisons-nous ensuite : « Secourez-nous, ô Dieu notre Sauveur[704] ». Cette expression « notre Sauveur », désigne clairement de quelle pauvreté il veut parler, quand il dit : « Parce que nous sommes réduits à une extrême pauvreté ». C’est une faiblesse qui a besoin d’un sauveur. Demander un secours pour nous, ce n’est ni faire injure à la grâce, ni supprimer le libre arbitre. Car agir avec un secours, c’est faire quelque chose de soi-même. Le Prophète ajoute encore : « Délivreznous, pour la gloire de votre nom », afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans le Seigneur[705]. « Et pardonnez-nous nos péchés, à cause de votre nom », mais non à cause de nous. Que méritons-nous en effet pour nos péchés, sinon un très juste châtiment ? Nous délivrer, ô Dieu, ou nous tirer de nos misères, c’est nous aider à faire le bien, et nous pardonner nos péchés, dont nous ne pouvons être exempts ici-bas. « Car nul homme vivant ne sera juste en votre présence[706]. Or, le péché, c’est l’injustice[707], et si vous considérez nos injustices, qui subsistera devant vous[708] ? »
13. « Afin qu’on ne dise point dans les nations : où est leur Dieu[709] ? » Ces paroles qu’ajoute le Prophète, sont plutôt en faveur des nations. Car elles périssent misérablement si elles n’espèrent point en Dieu, si elles croient ou qu’il n’existe point, ou qu’il n’est pour les siens d’aucun secours, ne leur accorde aucune faveur, « Et que, sous nos yeux, on sache parmi les nations, que vous vengez le sang de vos serviteurs qui a été répandu » : c’est ce qui s’accomplit, ou bien quand ceux qui persécutaient l’héritage du Seigneur croient en lui ; c’est là en effet une vengeance qui fait mourir par le glaive de la parole de Dieu leur injuste cruauté : et c’est de ce glaive qu’il est dit : « Ceignez votre épée[710] » ; ou bien quand les ennemis de Dieu persévèrent jusqu’à la fin, et sont châtiés. Car les maux du corps qu’ils endurent en cette vie, leur sont communs avec les bons. Il est encore une autre vengeance, c’est l’extension et la fécondité de l’Église en ce monde, après ces persécutions dont ils pensaient l’exterminer ; c’est ce que voit tout pécheur, tout incrédule, tout ennemi de Dieu, qui en grince les dents, et en sèche de dépit[711]. C’est là un châtiment des plus sensibles ; qui oserait le nier ? Mais je doute que cette expression « sous nos yeux », se puisse entendre avec justesse, de cette peine qui demeure cachée au fond du cœur, qui torture ceux qui nous applaudissent et nous sourient, sans que nous puissions voir ce qu’ils souffrent dans l’intérieur de l’âme, Mais si l’on entend par là cette foi des persécuteurs qui tue leur injustice ; ou le supplice qui vient torturer leur persévérance dans le mal, nous pouvons sans difficulté y appliquer ces paroles : « Que, sous nos yeux, on connaisse vos vengeances parmi les nations ».
14. Ceci est une prédiction, avons-nous dit, et non point un désir. Ce qui nous donne lieu de remarquer en passant comment il faut entendre cette parole de l’Apocalypse à propos des martyrs qui sous l’autel du Seigneur font entendre ces plaintes : « Jusques à quand, Seigneur, différerez-vous de venger notre sang[712] ? » et de ne point laisser croire que ces âmes saintes veulent assouvir leur haine dans la vengeance, ce qui serait déroger à leur perfection. Et pourtant il est écrit : « Le juste tressaillira à la vue des vengeances de l’impie, il lavera ses mains dans le sang du pécheur[713] ». Et saint Paul dit : « Ne vous vengez point vous-mêmes, mes bien-aimés, mais donnez place à la colère : car il est écrit : La vengeance est à moi, et je l’exercerai, dit le Seigneur[714] ». Dès lors, le Seigneur ne leur commande point de renoncer à la vengeance, mais de ne point se venger soi-même, et de laisser exercer sa colère au Dieu qui a dit : « La vengeance est à moi, et je l’exercerai ». Le Seigneur, à son tour, nous propose dans l’Évangile l’exemple d’une veuve qui, désirant d’être vengée, importuna un juge inique, et, ce juge vaincu par ses instances, plutôt que dirigé par la justice, consent à l’écouter[715] : et le Seigneur nous tient ce langage, pour nous montrer que Dieu, beaucoup mieux que ce juge, rendra justice à ses élus, qui en appellent à lui, la nuit et le jour[716]. De là vient ce cri des martyrs, sous l’autel de Dieu, qui demandent justice et vengeance. Mais que devient donc cette parole : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent[717] ? » Que devient cette autre parole : « Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’injure pour l’injure[718] ? » et encore : « Ne rendez à personne le mal pour le mal[719] ? » Car si l’on ne doit rendre à personne le mal pour le mal, non seulement il ne faut faire aucun mal à cause du mal qu’on nous aurait fait, mais il ne faut pas même désirer un mal pour un mal que l’on nous aurait fait ou désiré. Or, celui-là désire un mal, qui tout en renonçant à se venger lui-même, attend et souhaite que Dieu châtie son ennemi. Si donc l’homme juste et le méchant demandent également à Dieu d’être vengés de leurs ennemis, en quoi diffèrent-ils, sinon en ce que le juste désire l’amendement plutôt que le châtiment de son ennemi ? Et quand il voit que Dieu en tire vengeance, il met sa joie, non dans la peine qu’il endure, car il ne le hait point, mais dans la justice divine, parce qu’il aime Dieu. Et si Dieu exerce sa vengeance dès ce monde, il s’en réjouit, ou pour son ennemi, s’il se corrige, ou pour les autres, s’ils craignent de l’imiter. Lui-même en devient meilleur, non pas en repaissant sa haine du supplice d’un ennemi, mais en se corrigeant de ses fautes. C’est donc par bonté, et non par malice, que le juste se réjouit à la vue des vengeances divines, et qu’il lave ses mains, ou plutôt qu’il purifie ses œuvres dans le sang, c’est-à-dire dans la perte des pécheurs, et qu’il tire de là, non une joie criminelle du mal des autres, mais un exemple des divins avertissements. S’il s’agit de cette vengeance que Dieu se réserve pour l’autre vie à son dernier jugement, le juste trouve sa joie dans cette volonté de Dieu qui ne donne point le bonheur au méchant, ni à l’impie la récompense des justes ; ce serait un acte injuste et contraire aux lois de la vérité qui fait les délices du juste. Aussi quand le Sauveur nous exhorte à l’amour de nos, ennemis, il nous propose l’exemple de notre Père céleste, « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[720] » : et néanmoins n’a-t-il pas pour eux des châtiments temporels, et à la fin l’enfer pour les endurcis obstinés ? Il faut donc aimer le prochain sans haïr la justice de Dieu qui le punit, et aimer cette justice qui le châtie de manière à n’aimer point le châtiment, mais l’équité du juge. Un esprit haineux au contraire, s’afflige de voir son ennemi se convertir et échapper à la peine, et quand il le voit châtié, il se réjouit de se voir vengé, non qu’il aime la justice de Dieu, mais bien le malheur de son ennemi, et s’il abandonne sa cause à Dieu, c’est qu’il souhaite que Dieu châtie cet ennemi, plus que lui-même ne le pourrait faire : et quand il donne à manger à son ennemi qui a faim, à boire à celui qui a soif, il savoure méchamment cette parole : « En agissant ainsi, vous amassez sur sa tête des charbons de feu[721] ». Il prétend aggraver ainsi la faute de son ennemi, appeler sur sa tête cette indignation de Dieu figurée, croit-il, par des charbons ardents ; il ne comprend pas que ce feu est la douleur de la pénitence, qui brûle le cœur jusqu’à ce que le coupable, devant ces bienfaits d’un ennemi, baisse enfin par l’humilité une tête qu’élevait l’orgueil, en sorte que le bien rie l’un ait vaincu le mal de l’autre. Aussi l’Apôtre a-t-il eu soin d’ajouter : « Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien[722] ». Comment vaincre le mal par le bien, quand on n’est bon qu’en apparence, et mauvais au fond de l’âme ; quand sans nuire en actions, on nuit en désirs ; que la main est innocente, et la volonté sanguinaire ? C’est donc ainsi que notre psaume prédit les châtiments des impies, en termes de désirs, en sorte qu’il nous faut comprendre que le serviteur de Dieu aime ses ennemis, ne souhaite à personne que le bien, c’est-à-dire la piété en cette vie, l’heureuse éternité en l’autre vie ; que dans les châtiments des méchants, il se réjouit, non des maux qu’ils souffrent, mais des justes jugements de Dieu ; et dans tous les endroits de l’Écriture, où nous lisons leur haine contre les hommes, cette haine s’applique à leurs vices, que chacun devrait détester en soi-même, s’il s’aimait véritablement.
15. Quant à ces paroles : « Que les cris des enchaînés s’élèvent jusqu’à vous », ou comme on lit dans d’autres exemplaires, « jusqu’en votre présence[723] » ; nous ne voyons guère dans les saintes Écritures, que les saints aient été jetés dans les entraves par leurs persécuteurs ; et si cela est arrivé dans les tourments, si grands et si variés qu’ils ont endurés, cela est arrivé si rarement qu’il n’est pas croyable que le Prophète ait voulu choisir ce supplice pour s’y arrêter. Mais ces chaînes sont bien l’infirmité, la corruption des corps qui appesantissent l’âme. Car le persécuteur profitait de cette faiblesse, comme d’une douleur et d’une peine, pour perdre l’âme en la poussant à l’impiété. Voilà les chaînes dont l’Apôtre voulait être délivré pour être avec le Christ ; mais il lui fallait prolonger son séjour en cette vie, à cause des fidèles qu’il formait à l’Évangile[724]. Jusqu’à ce qu’enfin ce corps corruptible ait revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité[725], la chair qui est infirme retient dans des chaînes l’esprit qui est prompt. Mais ces liens ne sont lourds que pour ceux qui gémissent sous le poids qu’ils en ressentent[726], et qui soupirent après le ciel qu’ils doivent revêtir ; parce qu’ils ont horreur de la mort et s’ennuient dans cette vie mortelle. Tels sont les gémissements que redit le Prophète, afin que ces gémissements s’élèvent jusqu’à la présence de Dieu. Ces captifs enchaînés peuvent s’entendre encore de ceux qui sont liés par les préceptes de la sagesse ; et ces chaînes portées avec patience deviennent une gloire : de là cette parole : « Mets tes pieds dans ses liens[727] ». « Dans la force de votre bras », poursuit le Prophète, « adoptez les fils de la mort » ; ou comme on lit en d’autres exemplaires, « les fils de ceux que l’on a punis de mort ».L’Écriture nous montre aussi clairement quel était ce gémissement des captifs qui endurèrent pour le nom de Jésus-Christ les effroyables persécutions, prophétisées dans notre psaume. Au milieu de tourments si divers, ils priaient pour l’Église, afin que leur sang ne demeurât point stérile, et que ces moyens par lesquels ses ennemis espéraient détruire la famille du Seigneur, la rendissent plus féconde, « Les fils de ceux qui ont été tués », dit le Prophète, et qui, loin de s’effrayer à la vue des souffrances des martyrs qui les avaient précédés, sont venus en foule embrasser la foi de Celui pour l’honneur duquel ils les voyaient donner leur vie, excités qu’ils étaient par leur gloire à les imiter. Aussi dit-il : « Selon la force de votre bras ». Car tel est l’effet qui en est résulté chez les peuples chrétiens, que les persécuteurs qui croyaient prévaloir, ne l’eussent jamais prévu.
16. « Rejetez », dit le Prophète, « rejetez dans le sein de nos voisins, sept fois autant[728] ». Non qu’il souhaite un mal : c’est une sentence qu’il annonce, l’avenir qu’il prophétise. Le nombre sept, ou sept fois autant, désigne une vengeance parfaite, car ce nombre est ordinairement celui de la perfection. De là vient que l’on entend dans le sens favorable cette parole : « Il en recevra dans l’éternité sept fois autant[729] » ; ce qui comprend la totalité. « Comme n’ayant rien et possédant tout[730] ». Il donne à ces hommes le nom de voisins, parce que l’Église habite au milieu d’eux jusqu’au jour de la séparation, puisque maintenant pour les chrétiens la séparation n’est point visible. « Rejetez dans leur sein », dit le Prophète, c’est-à-dire d’une manière cachée, afin que la vengeance qui est secrète aujourd’hui, « soit visible un jour sous nos yeux en face des nations ». Lorsque Dieu en effet livre un homme au sens réprouvé, cet homme reçoit dans son sein ce qui lui vaudra un supplice éternel. « Rendez-leur l’injure qu’ils vous ont faite, ô mon Dieu ». Voilà ce qu’il faut leur rendre sept fois, c’est-à-dire, à cause des outrages qu’ils vous ont faits, réprouvez-les complètement dans le secret de leurs âmes ; car c’est là qu’ils ont outragé votre nom, en croyant vous effacer de la terre par la mort de vos persécuteurs.
17. « Pour nous, nous sommes votre peuple[731] » : ce qui doit s’entendre de tous les chrétiens vrais et pieux. « Nous », que ces persécuteurs pensaient anéantir, « sommes votre peuple, et les brebis de votre troupeau », afin que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur[732], « nous vous confesserons dans le siècle ». D’autres manuscrits portent « Nous vous confesserons éternellement ». L’ambiguïté du grec a produit cette différence. L’expression du grec eis ton aiona, peut se traduire « dans l’éternité », ou « dans le siècle ». Le verset suivant, selon l’ordinaire des saintes Écritures et surtout des psaumes, est la répétition du précédent, en sens inverse ; il met en premier lieu ce que le précédent mettait en second lieu, et en second lieu ce qu’il avait mis en premier lieu. « Nous vous confesserons » est répété dans « nous annoncerons votre louange », et au lieu de dire « dans le siècle », la répétition porte « de génération en génération ». Répéter ainsi la génération désigne une durée sans fin, soit, comme plusieurs l’ont entendu, que l’on entende par là les deux générations, l’ancienne et la nouvelle, qui toutes deux néanmoins se forment en cette vie ; car celui qui ne renaîtra point de l’eau et du Saint-Esprit n’entrera point dans le royaume des cieux[733] ; ensuite ce n’est qu’en ce monde que l’on annonce la gloire de Dieu, puisque dans le siècle à venir nous le verrons tel qu’il est[734], on ne l’annoncera plus à personne. « Nous sommes votre « peuple, et les brebis de votre bercail », qu’ils ont prétendu détruire par la persécution « Nous vous confesserons dans le siècle », car cette Église, qu’ils ont voulu anéantir, doit durer jusqu’a la fin du monde : « De génération en génération nous chanterons votre louange », que ces impies voulaient faire cesser, en nous exterminant. En beaucoup d’endroits de l’Écriture, nous vous t’avons dit, le mot de confession est employé pour la louange, comme il paraît ici. « Vous direz ceci dans votre confession : Toutes les œuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes[735] » et surtout dans cet endroit où Jésus-Christ, qui n’avait nulle faute à regretter et à confesser à son Père, lui dit : « Je vous confesse, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits[736] ». Je vous cite ces passages pour vous faire comprendre que ces paroles : « Nous chanterons vos louanges », ne sont qu’une répétition de « nous vous confesserons ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 79[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LA VIGNE DU SEIGNEUR.[modifier]

Ce psaume est pour ceux de la synagogue qui doivent se convertir au Christ. Joseph, dont il est ici question, fut déshonoré chez les siens, mis en honneur chez les étrangers ; il est l’image du Christ, et c’est de son bercail que nous devons faire partie. Le Dieu qui s’assied sur les Chérubins viendra s’asseoir en nous, si nous avons la charité. Qu’il se montre en face du peuple Juif qui a boité comme autrefois Jacob, d’une part méconnaissant le Christ à la croix, d’autre part lui donnant les Apôtres, puis après sa résurrection et son ascension les Églises primitives. Dieu n’a donc point rejeté la prière de son serviteur. Les nations ont insulté ces serviteurs dans la personne des martyrs, puis les insulteurs se sont ou convertis ou cachés. Ainsi la vigne du Seigneur est sortie de la servitude, pour être plantés chez les nations vaincues Cette vigne qui fut d’abord le peuple juif, est aujourd’hui l’Église qui domine toutes les grandeurs. La première vigne ayant mis à mort et rejeté l’héritier, celui-ci en a brisé la clôture pour y faire entrer les nations qui ont détruit le royaume des Juifs. Toutefois cette Vigne est de la race d’Abraham, affermissez-la dans l’homme de votre droite, qui détruira en nous le péché de la crainte et le péché de la convoitise, nous fera tourner cette créature et cet amour du côté de Dieu, afin que nous méprisions toute créature pour nous attacher au Créateur.


1. Nous ne trouvons dans ce psaume que peu d’endroits qui puissent arrêter le discours, et que les auditeurs aient de la peine à comprendre. Aussi àvec le secours de Dieu, et ce désir que vous avez d’entendre et de voir ce qui a été prédit et prophétisé autrefois, nous passerons légèrement sur les endroits qui sont clairs, puisque vous êtes instruits à l’école du Christ ; en sorte que si nous rencontrons quelques obscurités qui m’obligent à vous les expliquer, les passages évidents ne demandent qu’à être lus. C’est le chant de l’avènement de Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, et de sa vigne. Mais c’est Asaph qui chante, Asaph, autant que j’en puis juger, éclairé, converti, et dont le nom signifie synagogue, vous le savez. Le psaume a pour titre : « Pour la fin, pour ceux qui doivent être changés[737] » : en mieux assurément ; car le Christ, qui est la fin de ta loi[738], est venu pour tout améliorer. Le titre porte encore : « Témoignage à Asaph lui-même ». Bon témoignage de la vérité ; car ce témoignage confesse le Christ et sa vigne, le chef et les membres, le roi et le peuple, en un mot le mystère des saintes Écritures, le Christ et l’Église. Ce titre finit par ces mots « pour les Assyriens » ; et ce mot Assyriens signifie ceux qui se redressent, Que cette race ne soit plus sans redresser son cœur[739], qu’elle devienne une race au cœur droit. Écoutons donc ce que dit ce témoignage. « Écoutez-nous, vous qui paissez Israël ». Qu’est-ce à dire, « vous qui paissez Israël, qui conduisez Joseph comme un troupeau[740] ? » On invoque le Seigneur afin qu’il vienne, on attend qu’il vienne, on désire qu’il vienne. Puissiez-vous trouver des cœurs droits, « vous qui conduisez Joseph comme un troupeau » ; ce même Joseph, à la manière d’un troupeau. Joseph est tout à la fois une brebis et un troupeau de brebis, et à ce nom de Joseph, qui a un grand sens dans l’hébreu, puisqu’il signifie augmentation, on se rappelle naturellement celui qui doit venir pour faire germer au centuple le grain de froment mort dans la terre[741] ; ou pour multiplier le peuple de Dieu. Toutefois, puisque vous connaissez l’histoire de Joseph, souvenez-vous qu’il fut vendu par ses frères, déshonoré chez les siens, élevé en gloire chez les étrangers[742], et vous comprendrez de quel troupeau nous devons faire partie, avec tous ceux qui ont le cœur droit, afin que la pierre qu’ont rejetée les architectes, devienne la pierre angulaire[743], unissant les deux murs qui viennent de deux directions différentes, et s’unissent à l’angle dans un parfait accord. « Vous qui êtes assis sur des chérubins ». Le chérubin est le siège de la gloire de Dieu, et signifie la plénitude de la science. C’est donc dans cette plénitude de la science que Dieu établit son trône ; et quoique nous entendions par les chérubins les puissances et les sublimes vertus des cieux, tu peux néanmoins être chérubin si tu le veux. Car si le chérubin est le trône de Dieu, écoute ce que dit l’Écriture : « L’âme du juste est le trône de la sagesse[744] ». Comment, diras-tu, serai-je la plénitude de la science ? Qui me donnera cette plénitude ? Tu peux l’avoir : « La plénitude de la loi, c’est la charité[745] ». Ne t’égare pas, ne te répands pas en tant de sentiers. L’étendue des branches t’effraie, tiens-toi à la racine, sans t’inquiéter des vastes proportions de l’arbre. Que la charité demeure en toi, et tu auras nécessairement la plénitude de la science. Que peut ignorer celui qui fait la charité, puisqu’il est écrit : « Dieu est charité[746] ? »
3. « Vous qui êtes assis sur les chérubins, apparaissez ». Nous nous sommes égarés précisément parce que vous ne paraissiez point. « En présence d’Ephraïm, de Benjamin et de Manassé[747] ». Montrez-vous, dis-je, en face de la nation des Juifs, en face de votre peuple d’Israël. C’est là qu’est Ephraïm, là Manassé, là Benjamin. Mais voyons ce que ces noms signifient : Ephraïm veut dire multiplication, Benjamin fils de la droite, Manassé l’oubli. Paraissez donc en face du peuple qui a fructifié, en face du fils de la droite, en face de l’homme qui a oublié, afin qu’il n’oublie rien à l’avenir, et qu’il se souvienne que vous êtes son libérateur. Car si toutes les nations doivent se souvenir, si tous les confins de la terre doivent se convertir au Seigneur[748], le peuple issu d’Abraham n’aura-t-il pas aussi sa muraille qui s’appuiera sur l’angle, alors qu’il est écrit : « Les restes seront sauvés[749] ? Excitez votre puissance ». Vous étiez infirme, Seigneur, quand on criait : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix[750] ». Vous paraissiez sans force. Vos persécuteurs l’emportaient sur vous, et vous l’aviez prophétisé d’avance, quand Jacob l’emporta dans la lutte, et que l’homme fut vainqueur de l’ange. Comment cela, si l’ange ne l’eût bien voulu ? L’homme prévalut donc, l’ange fut vaincu ; et l’homme vainqueur retint l’ange et lui dit : « Je ne vous laisserai point aller que vous ne m’ayez bénis ». C’est là un grand mystère. Le vaincu attendit et bénit le vainqueur. Vaincu, parce qu’il l’a voulu, faible dans sa chair, puissant dans sa majesté. Il le bénit et lui dit : « Tu t’appelleras Israël[751] ». Toutefois il lui frappa la cuisse qui se dessécha, et rendit ainsi boiteux cet homme qu’il bénissait[752]. Tu vois donc le peuple juif devenu boiteux : et en même temps vois la race bénie des Apôtres qui sort de ce peuple. « Excitez votre puissance ». Jusques à quand paraîtrez-vous dans la faiblesse ? O crucifié dans l’infirmité de la chair, « ressuscitez par la puissance de Dieu[753]. Eveillez votre puissance et venez nous sauver ».
4. « Seigneur, hâtez notre retour ». Nous sommes loin de vous, et nous ne retournerons point à vous, si vous ne hâtez notre retour. « Eclairez votre visage, et nous serons sauvés[754] ». La face de Dieu est-elle donc obscure ? Cette face n’est pas obscurcie sans doute, mais Dieu l’a cachée sous un voile charnel, sous le voile de l’infirmité, et l’on n’a point connu sur la croix Celui qu’on devait reconnaître à la droite de son Père. C’est en effet ce qui est arrivé. Asaph n’a point connu le Christ qui faisait des miracles sur la terre ; et toutefois, quand après sa mort il est ressuscité, puis monté aux cieux, Asaph a chanté ce témoignage que nous lisons aujourd’hui dans ce psaume : « Donnez la lumière à votre face, et nous serons sauvés ». Vous avez caché votre face, et nous avons langui ; découvrez-la et nous serons sauvés.
5. « Seigneur, Dieu des vertus, jusques à quand serez-vous irrité contre la prière de votre serviteur ? » Il est aujourd’hui « votre serviteur[755] ». Vous rejetiez ma prière quand j’étais votre ennemi, maintenant que je suis votre serviteur, la rejetteriez – vous ? Vous nous avez convertis, nous vous reconnaissons, rejetterez-vous la prière d’un serviteur ? Votre colère était celle d’un père qui corrige, non celle d’un juge qui condamne. Vous entrez en colère, parce qu’il est écrit : « Mon fils, en entrant au service de Dieu, demeure ferme dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à la tentation[756] ». Ne croyez point que votre conversion ait fait disparaître la colère de Dieu ; elle est passée, puisqu’il ne vous damne point. Toutefois il frappe de verges, et ne vous épargne point : parce qu’il frappe tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants[757]. Si tu ne veux point être châtié, pourquoi solliciter l’adoption ? Il flagelle tout enfant qu’il adopte. Il frappe, lui qui n’a pas épargné son Fils unique. Et néanmoins, « jusques à quand, Seigneur, rejetterez-vous la prière de votre serviteur ? » Non point de votre ennemi, mais « de votre serviteur » ; combien de temps encore ?
6. Le Prophète continue : « Jusques à quand serons-nous nourris du pain des larmes, et nous abreuverez-vous avec mesure au calice des pleurs[758] ? » Qu’est-ce à dire « avec mesure ? » Écoute l’Apôtre : « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tenté au-dessus de vos forces[759] ». Telle est donc la mesure, vos forces. C’est la mesure, car Dieu veut vous corriger, non vous accabler.
7. « Vous nous avez exposés à la contradiction de nos voisins[760] ». C’est ce qui est accompli, car Dieu a choisi, du milieu d’Asaph, des prédicateurs qui sont allés au milieu des Gentils, pour y annoncer le Christ, et auxquels on a dit : « Que veut celui-ci qui annonce de nouveaux dieux[761] ? Vous nous avez exposés à« la contradiction de nos voisins ». Car ils prêchaient celui qui est en butte aux contradictions. Qui prêchaient-ils ? Un Christ mort et ressuscité ! Qui peut l’entendre ? qui le comprendra ? C’est une nouveauté. Toutefois des miracles s’opéraient, et ces miracles rendaient croyable ce qui était incroyable. Les hommes contredisaient ; mais bientôt le contradicteur était vaincu, et de contradicteur devenait croyant. On employait cependant le fer et la flamme, les martyrs étaient nourris du pain de la douleur, abreuvés au calice des larmes, mais avec mesure, et non au-dessus de leurs forces, afin qu’à la mesure des larmes succédât la couronne de la joie. « Et nos ennemis nous ont insultés ». Où sont maintenant ces insulteurs ? Longtemps on a dit : Quels sont ces hommes qui adorent un homme mort, qui adorent un crucifié ? Longtemps on l’a dit : où est maintenant l’orgueil de nos persifleurs ? Ceux qui osent nous blâmer, ne vont-ils pas se réfugier dans les cavernes, de peur d’être en évidence ? « Et nos ennemis nous ont insultés ».
8. Mais écoutez ce qui suit : « Seigneur, Dieu des vertus, tournez-nous vers vous, montrez-nous votre visage, et nous serons sauvés. Vous avez transporté votre vigne de l’Égypte ; vous avez dissipé les nations et vous l’avez plantée[762] ». Nous le voyons, tout cela s’est accompli. Combien de peuples ont été chassés ? Les Amorrhéens, les Céthéens, les Jébuséens, les Gergéséens et les Evéens : il fallut les dissiper et les vaincre pour établir dans la terre promise Israël délivré de l’Égypte. Nous avons entendu d’où cette vigne a été tirée et où elle a été plantée. Voyons ce qu’elle est devenue ensuite, comment elle a embrassé la foi, quel a été son accroissement, son étendue. « Vous avez transporté votre vigne de l’Égypte, vous avez dissipé les nations, et vous l’avez plantée ».
9. « Vous lui avez ouvert la voie, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre[763] ». Aurait-elle pu remplir la terre, si Dieu ne lui eût ouvert la voie ? Quelle est cette voie ouverte en sa présence ? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité, la vie[764] ». C’est donc avec raison qu’elle a rempli la terre. Ce qui est prédit de cette vigne, est accompli pour jamais. Mais qu’est-ce qui précède ? « Son ombre a couvert les montagnes, et ses branches les cèdres les plus élevés. Elle a étendu ses pampres jusqu’à la mer, et ses rameaux jusqu’au fleuve[765] ». Il faut ici une explication, il ne suffit pas de lire et d’applaudir : aidez-moi de votre attention. Cette vigne, en effet, dont il est question dans notre psaume, embarrasse bien souvent les hommes peu attentifs. Nous avons déjà parlé de l’étendue de cette vigne, nous en avons dit l’origine et les causes de son accroissement. « Vous avez ouvert la voie en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Ceci est la prophétie de son extension. Toutefois cette vigne est le premier peuple Juif. Or, cette nation juive a régné depuis la mer jusqu’au fleuve. Depuis la mer, car nous voyons dans l’Écriture qu’elle avoisine la mer[766], et jusqu’au fleuve du Jourdain. Car au-delà du Jourdain, il y avait quelque partie de ce peuple, mais en deçà de ce fleuve était toute la nation. Le royaume des Juifs, le royaume d’Israël s’étendait donc « jusqu’à la mer, et jusqu’au fleuve » ; et non, « depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux confins de la terre ». C’est le prolongement de cette vigne, dont le Prophète a dit : « Vous avez ouvert un chemin en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Alors après vous avoir prédit l’extension de cette vigne, le Prophète revient à ses commencements, d’où elle s’est si fort agrandie. Veux-tu entendre le commencement ? « Depuis la mer jusqu’au fleuve ». Et la fin ? « Elle domine depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux confins de la terre[767] ». C’est dire : « Elle a rempli la terre ». Voyons donc le témoignage d’Asaph, ce qui est arrivé à la première vigne, et ce qui doit arriver à la seconde vigne, ou plutôt à la même vigne. Car c’est bien la même, et pas une autre. C’est de là qu’est venu le Christ : le salut vient des Juifs[768] ; de là les Apôtres, de là ces premiers fidèles qui apportaient aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens[769] ; c’est d’elle qu’est venu tout cela. Et si quelques rameaux « ont été brisés à cause de leur incrédulité : toi », peuple des Gentils, « tiens ferme dans la foi, ne cherche pas à t’élever, mais crains. Car si Dieu n’a point épargné les rameaux, il ne t’épargnera point. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine te porte[770] ». Cette vigne, en présence de laquelle Dieu ouvrit la voie, afin qu’elle remplît la terre, où fut-elle d’abord ? « Son ombre a couvert les montagnes ». Quelles sont ces montagnes ? Les Prophètes. Pourquoi son ombre les a-t-elle couvertes ? Parce qu’ils étaient obscurs dans la prédiction de l’avenir. Tu entends dire aux Prophètes : Observe le sabbat ; que l’enfant soit circoncis le huitième jour ; offre en sacrifice le bélier, le veau et le bouc. Ne t’étonne point, ce sont là des ombres qui couvrent la montagne de Dieu ; après l’ombre viendra la lumière. « Et ses branches, les cèdres de Dieu », c’est-à-dire couvrent les cèdres de Dieu les plus hauts, mais de Dieu. Car il y a des cèdres qui sont le symbole des orgueilleux que Dieu doit détruire. Donc cette vigne, dans ses accroissements, a couvert les cèdres du Liban, les grandeurs du monde, les montagnes de Dieu, tous les saints Prophètes, les patriarches.
10. Mais jusqu’où « a-t-elle étendu ses rameaux ? Jusqu’à la mer, et ses pampres jusqu’au fleuve[771] ». Qu’en est-il arrivé ? « Pourquoi avez-vous détruit sa clôture ? Déjà vous pouvez voir la ruine du royaume des Juifs ; déjà dans un autre psaume vous avez pu entendre : « Ils l’ont abattu avec la hache et la cognée[772] ». Comment cela pourrait-il se faire, si la clôture n’était renversée ? Quelle est cette clôture ? ses forteresses. Car elle s’est élevée avec orgueil contre celui qui l’avait plantée. Les serviteurs qu’il envoyait pour recueillir sa redevance, les locataires les ont flagellés, meurtris, mis à mort. Le fils unique est venu lui-même, et ils ont dit : « Celui-ci est l’héritier ; venez, tuons-le, et nous posséderons son héritage ; et l’ayant tué, ils l’ont jeté hors de la vigne[773] ». Jeté hors de cette vigne, il la possède davantage. Aussi leur fait-il cette menace par Isaïe : « Je détruirai sa clôture ». Pourquoi ? « J’ai attendu qu’elle produisît du raisin, elle n’a produit que des épines ». J’ai attendu des fruits de vertu, et n’ai trouvé que le péché. À quoi tend donc cette plainte à Asaph « Pourquoi avez-vous renversé la clôture ? » Ignorez-vous donc pourquoi ? « J’ai attendu qu’Israël fît la justice, il a fait l’iniquité[774] ». Ne fallait-il donc point renverser la clôture ? Alors sont venues les nations, et sur les ruines de la clôture ont envahi la vigne et détruit le royaume des Juifs. C’est ce que déplore Asaph, mais non sans quelque espérance. Car il parle maintenant pour le redressement du cœur, et ce psaume est pour les Assyriens, ou ceux qui se redressent. « Pourquoi avez-vous renversé sa clôture ? et voilà qu’elle est au pillage de tous ceux qui passent par le chemin ». Qu’est-ce à dire : « Ceux qui passent par le chemin ? » Ceux qui ont une domination temporelle.
11. « Le sanglier de la forêt l’a dévastée[775] ». Que faut-il entendre par ce sanglier de la forêt ? Le pourceau était en horreur chez les Juifs, parce qu’il était pour eux l’image de l’impureté des Gentils. Or, ces Gentils ont détruit le royaume des Juifs ; mais le roi qui l’a détruit n’était pas seulement un pourceau à leurs yeux, c’était un sanglier. Qu’est-ce qu’un sanglier, sinon un porc sauvage, un porc orgueilleux ? « Le sanglier de la forêt l’a ravagée ». « De la forêt », ou de la gentilité. Car la Judée était une vigne, les Gentils une forêt. Mais qu’a dit le Prophète, à propos de ces Gentils qui avaient embrassé la foi ? « Alors bondiront tous les arbres des forêts[776]. Le sanglier de la forêt l’a dévastée ; la bête solitaire en a fait sa proie ». Qu’est-ce que « la bête solitaire ? » Ce même sanglier, qui est une bête solitaire, vit à part à cause de sou orgueil. Tel est en effet le langage de tout homme superbe : C’est moi, c’est moi, il n’y a que moi.
12. Mais quel est le fruit de tout cela ? « Dieu des vertus, revenez enfin vers nous ». Nonobstant toutes ces catastrophes, « revenez enfin, regardez du haut des cieux, et voyez, visitez cette vigne. Amenez à la perfection celle que votre droite a plantée[777] ». Perfectionnez-la sans en planter une autre. Car elle est la postérité d’Abraham, cette race en qui toutes les nations de la terre doivent être bénies[778]. Là est la racine qui porte l’olivier sauvage, greffé depuis. « Rendez parfaite cette vigne que votre droite a plantée ». Mais comment la perfectionner ? « Affermissez-la dans ce fils de l’homme en qui vous avez consolidé votre gloire ». Quoi de plus clair ? Attendez-vous, mes frères, que je vous explique ces paroles ? Ne vaut-il pas mieux répéter dans notre admiration : « Perfectionnez cette vigne, que votre droite a plantée, et perfectionnez-la dans le fils de l’homme ? » Quel fils de l’homme ? « Celui en qui vous avez consolidé votre gloire ». O fondement inébranlable ! bâtissez tant que vous pourrez. « Nul en effet ne peut en poser d’autre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus[779] ».
13. « Tout ce que le feu a brûlé, tout ce qui est creusé périra par la menace de votre colère[780] ». Quels sont ces lieux brûlés et creusés par le feu, qui doivent périr devant la menace de son visage ? Voyons et comprenons ce que le feu peut brûler et creuser. Qu’est-ce que le Christ a menacé ? les péchés : les péchés ont donc été détruits par les menaces de son visage. Tous les péchés n’ont chez l’homme que deux racines : la cupidité et la crainte. Examinez, sondez vos cœurs, interrogez-les, approfondissez vos consciences, et voyez si les péchés peuvent venir d’autre part que de la crainte ou de la cupidité. On te propose un appât pour commettre le mal ; cet appât te plaît, et tu pèches parce que tu le désires. Mais si cet appât ne saurait te persuader, on t’effraie par des menaces, et tu agis sous l’empire de la crainte. Un homme veut te corrompre et t’amener au faux témoignage. Il y a mille rencontres semblables, mais je propose la plus claire, et qui laisse à juger des autres. Tu penses donc à Dieu, tu dis en toi-même : « Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme[781] ? » Jamais le gain ne me dominera, jamais je ne perdrai mon âme pour un peu d’argent. Alors le tentateur a recours à la crainte ; il n’a pu corrompre par l’appât, il a recours aux menaces ; la perte des biens, le bannissement, la violence et peut-être la mort, voilà ses ressources. Les promesses ont échoué, les menaces auront peut-être plus d’efficacité sur vous. Mais s’il ne vous a fallu, pour résister à l’appât du gain, que cette parole de l’Écriture : « Que sert à l’homme de gagner l’univers entier, s’il vient à perdre son âme » ; souvenez-vous de cette autre contre la crainte : « Ne redoutez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l’âme[782] ». Quel que soit l’homme qui en veut à votre vie, il n’a de pouvoir que sur le corps, il ne peut rien sur l’âme. Ton âme ne peut mourir, à moins que tu ne la veuilles tuer toi-même. Que l’injustice des autres tue ta chair, mais que la vérité garde ton âme. Mais si tu t’éloignes de la vérité, comment ton ennemi pourrait-il te dépasser dans le mal que tu te fais à toi-même ? Dans sa fureur, ton ennemi peut meurtrir ta chair, et toi, par le faux témoignage, tu donnes la mort à ton âme. Écoute l’Écriture : « La bouche qui ment tue l’âme[783] ». Ainsi donc, mes frères, c’est l’amour ou la crainte qui nous conduit à tout bien, comme c’est l’amour ou la crainte qui nous conduit à tout suai. Pour faire le bien, tu aimes Dieu, tu crains Dieu ; pour faire le mal, tu aimes le monde ou tu crains le monde. Tourne vers le bien ces deux passions. Tu aimais la terre, aime la vie éternelle ; tu craignais la mort, crains l’enfer. De quelque bien que le monde ait promis de payer ton iniquité, peut-il te donner aussi largement que Dieu donne au juste ? Quelles que soient les menaces du monde contre le juste, le peut-il châtier comme Dieu châtie le pécheur ? Veux-tu voir la récompense en Dieu, si tu vis dans la justice ? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Veux-tu voir ce qu’il réserve aux impies ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[784] ». C’est bien pour toi de ne vouloir que le bonheur : car aimer, pour toi, c’est chercher le bonheur, et craindre, c’est écarter de toi le malheur. Mais tu ne cherches pas le bonheur où tu devrais le chercher. Tu te hâtes, parce que tu ne veux souffrir ici-bas ni indigence, ni aucune peine. Ton désir est bon ; mais souffre ce que tu ne désires point, afin d’acquérir ce que tu cherches. Que fera donc le Seigneur, dont la face détruit le péché ? Quels sont les péchés que le feu dissipe et embrase ? Qu’a produit ton amour mauvais ? Il t’avait embrasé comme une fournaise. Qu’a produit ta crainte déréglée ? Elle t’a creusé comme une fosse. Car l’amour embrase, la crainte abaisse. Les péchés qui naissent de l’amour déréglé sont donc comme des embrasements ; ceux d’une crainte servile, comme des fosses profondes. Il est vrai qu’une crainte juste humilie aussi notre âme, qu’un amour légitime l’embrase aussi, mais d’une manière bien différente. Car le vigneron supplie pour que l’arbre qui ne porte pas de bons fruits soit épargné, et s’écrie : « Je creuserai à l’entour et y mettrai du fumier[785] ». Cette fosse marque la pieuse humilité d’une âme pénétrée de crainte ; et ce fumier les utiles négligences d’un pénitent. Quant au feu des bonnes œuvres, le Seigneur a dit : « Je suis venu apporter le feu dans le monde[786] ». Tel est le feu qui embrase les âmes ferventes, et ceux qui brûlent de l’amour de Dieu et du prochain. Et alors de même qu’une crainte pieuse, et qu’un saint amour sont la source des bonnes œuvres ; de même un amour dépravé, une crainte mauvaise, produisent tous les péchés. Donc, « tout ce que le feu a brûlé, tout ce qu’il a creusé », c’est-à-dire tous les péchés, « périront par la menace de votre visage ».
14. « Que votre main s’étende sur l’homme de votre droite, sur le fils de l’homme que vous avez établi dans votre force, et nous ne vous quitterons plus[787] ». Jusques à quand subsistera cette race corrompue et rebelle, qui ne redresse point sors cœur[788] ? Qu’Asaph dise à Dieu : Montrez votre miséricorde, faites-en sentir les effets à votre vigne, et rendez-la parfaite : « Car l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Église, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé[789] ». Quand la lumière de votre face se reflétera « sur l’homme de votre droite, que vous avez affermi dans votre force, nous ne nous éloignerons plus de vous ». Jusques à quand dureront vos menaces ? Combien encore vos accusations ? Accordez-nous cette grâce, « et nous ne vous quitterons plus. Vous nous rendrez la vie, et nous invoquerons votre nom ». Vous nous comblerez de vos faveurs, « vous nous rendrez la vie ». Autrefois nous aimions la terre, et non point vous. Mais vous avez fait mourir en nous les membres de l’homme terrestre[790]. Car cet Ancien Testament, qui a des promesses terrestres, semble porter les hommes à n’aimer point Dieu gratuitement, mais à l’aimer pour les biens qu’il nous donne ici-bas. Dis-moi : que peux-tu aimer, et préférer à Dieu ? Aime, si tu le peux, quelque créature qu’il n’ait point faite. Jette les yeux sur toutes les créatures, vois si l’amorce de la convoitise n’attache point ton cœur quelque part, le détournant ainsi de l’amour de Dieu, et si tu ne négliges point le Créateur pour t’éprendre de ses œuvres. Pourquoi les aimer, sinon à cause de leur beauté ? Mais peuvent-elles égaler en beauté celui qui les a faites ? Tu admires ces beautés parce que tu ne vois point celles de Dieu ; mais sers-toi de ces beautés que tu admires, pour aimer – Dieu que tu ne vois pas. Interroge la créature ; si elle subsiste par elle-même, demeure en elle ; mais si elle vient de Dieu, ce qui la rend nuisible à celui qui s’y attache, c’est la préférence qu’on lui accorde sur le Créateur. Pourquoi vous tenir ce langage ? C’est, mes frères, à cause du verset que nous expliquons. Ils étaient donc morts, ceux qui n’avaient pour honorer Dieu, d’autre motif que d’obtenir de lui les biens charnels : or, l’amour des choses de la chair, c’est la mort[791] ; et ils sont véritablement morts ceux qui ne servent point Dieu gratuitement, c’est-à-dire parce qu’il est bon, et non parce qu’il donne de ces biens dont il ne prive pas les méchants. Tu demandes à Dieu des richesses ? Les voleurs en ont. Une Épouse, une famille nombreuse, la santé du corps, les dignités du siècle ? Vois combien de méchants possèdent ces biens. C’est pour cela seulement que tu sers Dieu ? Alors tes pieds seront ébranlés, et tu penseras que tu sers Dieu en vain, quand tu verras jouir de ces biens ceux qui ne le servent point[792]. Donc ces biens, il les donne aux méchants, et se réserve lui-même aux bons. « Vous nous donnerez la vie » ; car nous étions morts, quand nous nous attachions aux biens de la terre nous étions morts quand nous portions l’image de l’homme terrestre. « Vous nous donnerez la vie ; vous nous changerez en nous donnant la vie de l’homme intérieur, et nous invoquerons votre nom » ; c’est-à-dire nous vous aimerons. Dans votre douceur, vous nous remettrez nos péchés, vous nous justifierez, et serez notre unique récompense. « Seigneur, Dieu des vertus, revenez à nous, montrez-nous votre face, et nous serons sauvés[793] »

DISCOURS SUR LE PSAUME 80[modifier]

SERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.[modifier]

LES PRESSOIRS DANS L’ÉGLISE.[modifier]

On foule un pressoir et il en sort d’une part une huile que l’on conserve, d’autre part un marc que l’on rejette. En cette vie l’olive pend à l’arbre qui porte ainsi le marc et l’huile, la séparation aura lieu au jugement, l’injustice est le marc, la charité l’huile, et il y a aujourd’hui injustice et charité. Le psaume est au cinquième jour de la semaine, au jour où Dieu tira des eaux les créatures, comme il tire les chrétiens des eaux du baptême, alors l’affliction et le baptême préparent le discernement dès ici-bas. Recevez donc les biens d’en haut et donnez ceux d’en bas, à la prédication joignez l’œuvre temporelle ; prêchez fortement à chaque nouvelle lune ou nouvelle vie. Tel est le précepte pour Jacob et pour Joseph. Or, Joseph, qui signifie accroissement, s’accrut en effet après le passage de la mer Rouge, fleuve du baptême, et par le baptême le Christ prit son accroissement chez les Gentils, en leur parlant une langue inconnue pour eux. Israël fut délivré d’une dure servitude, comme les Gentils du péché. Toutefois nous sommes éprouvés aux eaux de la contradiction, et ces eaux sont les peuples qui barrèrent le passage à Samson ou au Christ, et dont la fureur fut brisée, voilà pour l’huile Voyons le marc. Il y a des dieux récents chez les païens, chez les hérétiques ariens et manichéens qui, divisés en apparence sont d’accord à défigurer Dieu. Ce sont des renards se ménageant toujours une issue. Jésus tendit aux Pharisiens leurs pères un piège sur chacune des issues. Oui peut prendre au même piège les Manichéens, et attacher ces renards par la queue, ou par une doctrine postérieure, et y mettre le feu pour les incendier. Alors il n’y aura plus d’autre Dieu que celui qui est. Israël ingrat a été livré aux désirs du cœur, de là tout ce qui est honteux, la servitude, la foi mentie, et le châtiment éternel. En vain on se rassure parce que l’on appartient au Christ ; les crimes n’entreront point dans le ciel. Le Christ fera donc le discernement, Ceux qui auront pris le Christ pour base, et bâti avec le crime seront exclus ; ceux qui bâtissent avec l’or, l’argent, sont les élus ; ceux qui bâtissent avec le bois, la paille, ou avec des affections terrestres mais en demeurant attachés au Christ, seront sauvés. Avec le froment et le miel de la sagesse, les ennemis du Seigneur sont demeurés en arrière.


1. Nous avons entrepris, mes frères, de vous exposer ce psaume ; puisse votre calme aider notre voix qui est quelque peu sourde : mais l’attention des auditeurs me donnera des forces, avec le secours de Celui qui m’ordonne de parler. Ce psaume à pour titre : « Jusqu’à la fin, pour les pressoirs, au cinquième jour de la semaine, psaume pour Asaph lui-même ». Combien de mystères accumulés dans un seul titre ! de manière à nous montrer dès l’abord, l’intérieur du psaume. En parlant du pressoir, n’attendez pas que nous vous disions rien des cuves, des presses, des corbeilles : le psaume n’en dit mot, ce qui nous indique tout particulièrement un mystère. En effet, si le psaume en parlait, il se trouverait des hommes pour croire qu’on doit entendre ces pressoirs dans le sens littéral, qu’il n’y faut rien voir de plus, qu’il n’y a là rien de figuratif, rien qui dessine quelque mystère ; ce psaume, pourrait-on dire, parle simplement des pressoirs, et vous allez imaginer je ne sais quelle allégorie. La lecture ne vous a rien laissé entendre de tout cela. Voyez donc dans ces pressoirs le mystère de l’Église, aujourd’hui sur la terre. Dans un pressoir, trois objets arrêtent nos regards : une presse, et de cette presse il sort, d’une part ce qu’il faut garder, d’autre part ce qu’il faut rejeter. On presse donc, on foule, on écrase sous le pressoir ; et de là sort invisiblement une huile qui se clarifie dans le vase, tandis qu’on voit le marc couler dans les rues. Fixez votre attention sur ce spectacle grandiose. Car Dieu ne cesse de nous donner de quoi contempler dans noire joie, et les folies du cirque n’ont rien de comparable avec ces spectacles, qui sont l’huile pour nous, tandis que le cirque est un marc impur. Vous entendez ces obstinés coasser leurs blasphèmes, et nous dire que les désastres sont plus fréquents depuis le christianisme ; c’est là, vous le savez, leur refrain layon. De là encore cet adage ancien déjà, qui date du christianisme : Dieu ne fait point pleuvoir, prenez-vous-en aux Chrétiens. Ainsi disaient les anciens, aujourd’hui on dit : Il pleut trop, prenez-vous-en aux chrétiens. Il ne pleut pas, nous ne semons point ; il pleut, nous ne battons point. Esprits aveugles qui s’enorgueillissent de ce qui devrait les humilier, qui préfèrent le blasphème à la prière. Quand donc ils se livrent à ces discours, à ces bravades, à ces insolences, à ces obstinations, et qu’ils le font sans crainte, et hardiment, qu’ils ne vous troublent point. Songez que les pressoirs abondent, et tâchez d’être l’huile. Que ce marc tout noirci d’ignorance nous maudisse à son gré, qu’il nous insulte sur les places publiques où il est jeté ; mais toi, dans le secret de ton cœur, où pénètre l’œil de ton Père[794], sois une huile clarifiée dans la cuve. Tant que l’olive pend à l’arbre, elle est parfois agitée par la tempête, mais elle n’est point écrasée sous le pressoir ; l’arbre porte à la fois, et ce qu’il faut rejeter, et ce qu’il faut conserver : mais quand elle est écrasée sous le pressoir, alors se fait la séparation, le discernement ; on garde l’un, on jette l’autre. Voulez-vous connaître la force de ces pressoirs ? Pour ne vous donner qu’un exemple des maux dont ils se rendent coupables ceux-là même qui en murmurent : Combien de vols de nos jours, disent-ils, combien d’innocents opprimés, combien de pillages du bien d’autrui ! Dans ce pillage du bien d’autrui, vous ne voyez que le marc ; et vous ne remarquez point l’huile ou la charité qui donne aux pauvres de son propre bien. Il n’y avait pas jadis tant de pillards des biens étrangers ; mais il n’y avait pas non plus tant de donateurs de leur propre bien. Sois donc une bonne fois plus attentif à ce pressoir, et ne t’arrête pas à ce qui coule au-dehors, tu trouveras mieux en cherchant. Examine, écoute, et vois faire à beaucoup ce qui attrista et fit retourner ce jeune homme riche, quand le Seigneur lui parla. Un grand nombre comprennent ce mot de l’Évangile : « Allez, vendez ce que vous possédez, donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi[795] ». Combien n’en vois-tu point pour agir de la sorte ? Il en est peu, dis-tu. Ceux-là néanmoins sont l’huile, et ceux qui usent bien de ce qu’ils possèdent, sont l’huile aussi : réunis-les ensemble, et tu verras se remplir les greniers du père de famille. Tu vois un voleur tel que tu n’en as jamais vu ; vois aussi des prodigues tels que tu n’en as jamais vus de semblables. Bénis donc les pressoirs ; voilà que s’accomplit la prophétie de l’Apocalypse : « Que le juste devienne plus juste encore, et que celui qui est souillé, se souille encore[796] ». Les pressoirs sont dans ces mots : « Que le juste devienne plus juste, et que celui qui est souillé, se souille encore ».
12. Que signifie ce « cinquième du sabbat ? » Quel en est le sens ? Ayons recours aux premières œuvres de Dieu, nous y trouverons peut-être de quoi élucider ce mystère. Le sabbat est le septième jour, alors que Dieu se reposa de tous ses ouvrages[797]1. Le jour qui suit le sabbat se nomme le premier jour, que nous appelons encore dimanche. Le second du sabbat est le second jour ; le troisième tin sabbat est le troisième jour ; le quatrième du sabbat est le quatrième jour ; le cinquième du sabbat est le cinquième jour, depuis le dimanche ; après vient le sixième du sabbat, ou sixième jour, et le sabbat lui-même est le septième jour. Voyez donc à qui s’adresse le psaume. Il me semble qu’il s’adresse à ceux qui ont reçu le baptême. Or, le cinquième jour Dieu tira les créatures de la substance des eaux ; le cinquième jour donc, ou le cinquième du sabbat, Dieu dit : « Que les eaux produisent des créatures qui aient une âme vivante[798] ». Voyez donc en vous-mêmes, vous en qui les eaux ont produit des âmes vivantes. C’est vous qui appartenez aux pressoirs, et chez vous qui êtes le produit des eaux, il y a aussi de quoi garder, et de quoi rejeter. Car il en est beaucoup dont la vie ne répond point à la sainteté du baptême qu’ils ont reçu. Combien en est-il qui ont préféré aujourd’hui le cirque au théâtre ? Combien qui ont reçu le baptême et qui occupent des loges sur le théâtre, ou se plaignent qu’on ne leur en fasse point ? Ce psaume est « pour les pressoirs, ou cinquième jour du sabbat », c’est-à-dire qu’on le chante « pour Asaph », à ceux qui sont sous le pressoir de l’affliction, et au sacrement du baptême. Or, il y eut un homme du nom d’Asaph, comme un Idithun, un Coré, comme d’autres noms que nous trouvons dans les titres des psaumes. Toutefois la signification de ces noms indique souvent un mystère caché. Asaph signifie en latin assemblée. Donc, « c’est pour les pressoirs, au cinquième du sabbat », que l’on chante ce psaume « à Asaph », c’est-à-dire, c’est pour l’affliction, qui établit le discernement, pour ceux qui ont reçu dans l’eau une naissance nouvelle, que l’on chante notre psaume à l’assemblée du Seigneur. Le premier mot du titre nous montre ce qu’il faut entendre par ces pressoirs : entrons maintenant, si cela vous est agréable, dans la maison où l’on travaille, c’est-à-dire, pénétrons dans l’intérieur du pressoir. Entrons, examinons, soyons dans la joie, dans la crainte ; désirons et fuyons. Car ce sont là les sentiments qui vous vont assaillir dans l’intérieur de cette maison, ou dans le texte du psaume, quand nous commencerons à vous le lire, et à vous dire avec le secours de Dieu, ce qu’il lui plaira de nous inspirer.
3. Vous donc, ô Asaph, ô sainte Église dc Dieu, « Tressaillez dans le Seigneur qui est notre soutien2 ». Vous qui êtes ici assemblés aujourd’hui, vous, l’Asaph du Seigneur, puisque c’est pour Asaph ou pour vous que l’on chante ce psaume, « tressaillez en Dieu qui est notre appui ». Que d’autres s’épanouissent au cirque, vous, tressaillez en Dieu ; que d’autres tressaillent dans celui qui les trompe, vous, tressaillez dans celui qui vous soutient ; que d’autres tressaillent dans leur Dieu, qui est leur ventre, vous, tressaillez dans le Dieu qui vous soutient. « Poussez des cris devant le Dieu de Jacob ». Vous aussi, vous appartenez à Jacob, vous êtes même Jacob, le plus jeune peuple que sert le peuple aîné[799]. « Poussez des cris devant le Dieu de Jacob ». N’avez-vous point de paroles pour vous exprimer, ne cessez pas de tressaillir ; avez-vous des paroles, chantez ; n’en avez-vous point, tressaillez. L’excès de la joie, quand on ne trouve pas d’expressions suffisantes, se répand en tressaillements : « Tressaillez devant le Dieu de Jacob ».
4. « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour[800] », « Recevez » et « donnez ». Qu’est-ce à dire « recevez ? » Qu’est-ce à dire « donnez ? » « Recevez le psaltérion et donnez du tambour ». Saint Paul nous le dit quelque part dans ses épîtres, en se plaignant avec douleur, que nul ne lui avait fait aucune part « à raison du don fait et reçu[801] ». Quel est ce « don fait et reçu », sinon ce qu’il nous dit ailleurs : « Si donc nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose, que nous recevions quelque peu de vos biens temporels[802] ? » Or, on fait le tambour avec un cuir, ce qui tient à la chair. Le psaume désigne donc les biens spirituels, et le tambour les biens du temps. Donc, ô peuple de Dieu, ô Église de Dieu, « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour » ; recevez les biens de l’esprit, donnez ceux du temps. C’est là l’exhortation que nous vous faisions à la solennité de votre saint martyr, de recevoir les biens de l’âme, et de donner les biens temporels. Ces édifices, en effet, que l’on élève pour un temps, afin d’y recevoir les vivants ou les morts, sont nécessaires, mais dans cette vie qui s’écoule. Car après le jugement, pourrons-nous emporter ces constructions au ciel ? Et sans elles, pourtant, nous ne pouvons faire ici-bas ce qu’il faut faire pour gagner le ciel. Si donc vous désirez recevoir les dons de l’esprit, soyez empressés à donner les biens temporels. « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour » ; recevez nos instructions, et donnez vos œuvres.
5. « Le psaltérion est harmonieux avec la harpe ». Il me souvient d’avoir exposé à votre charité la différence entre le psaltérion et la harpe : ceux qui ont pris soin de la retenir, Pourront la reconnaître ; ceux qui ne l’ont point entendue, ou retenue, pourront l’apprendre. Ces deux instruments de musique, le psaltérion et la harpe, ont cette différence, que le psaltérion a dans sa partie supérieure cette concavité qui rend les cordes sonores : on touche en bas les cordes qui résonnent en haut. Dans la harpe, au contraire, ce bois concave est en bas. L’un donc paraît descendre du ciel, et l’autre s’élever de la terre. Or, du ciel vient la prédication de la parole de Dieu. Mais si nous convoitons les biens du ciel, ne demeurons pas en arrière des œuvres terrestres ; car « le psaltérion est, harmonieux, mais d’accord avec la harpe ». C’est la répétition de ce qui est dit plus haut : « Recevez le psaume, et frappez du tambour ». Ici le psaltérion est mis pour le psaume, et la harpe au lieu du tambour. Toutefois, c’est là pour nous un avertissement de répondre par des œuvres temporelles à la prédication de la parole de Dieu.
6. « Sonnez de la trompette[803] ». C’est-à-dire, prêchez plus clairement et avec plus de confiance, et ne craignez point, comme le dit quelque part un prophète : « Crie, et fais retentir ta voix, comme l’éclat de la trompette. Sonnez de la trompette au commencement du mois de la trompette[804] ». Il était ordonné de sonner de la trompette au commencement de chaque mois. Les Juifs le font encore aujourd’hui, sans en comprendre le sens mystique. Tout commencement de mois est une nouvelle lune, mais toute nouvelle lune est une vie nouvelle. Qu’est-ce qu’une nouvelle lune ? « Donc si quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature[805] ». Qu’est-ce à dire : « Sonnez de la trompette au commencement du mois de la trompette[806] ? » Prêchez en toute confiance une vie nouvelle, ne craignez point le bruit de l’ancienne vie.
7. « Parce que c’est la loi en Israël, c’est un décret établi par Dieu pour Jacob[807] ». La loi suppose un jugement. Car ceux qui ont péché contre la loi, seront jugés par la loi[808]. Celui-là même qui a établi la loi, le Christ Notre-Seigneur, Verbe fait chair, « est venu », dit-il, « en ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles[809] ». Qu’est-ce à dire, « afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles » ; sinon afin que les humbles soient élevés, et les orgueilleux abaissés ? Car ceux qui voient réellement ne seront point aveuglés, mais ceux qui croient voir seront convaincus d’aveuglement. Tel est l’effet mystérieux du pressoir, que « ceux qui ne voyaient point voient, et e que ceux qui voyaient deviennent aveugles. »
8. « C’est un monument établi par le Seigneur dans la maison de Joseph[810] ». Courage, mes frères ! Qu’est-ce que cria signifie ? Joseph, en hébreu, signifie accroissement. Il vous en souvient, mes frères, vous savez que Joseph fut vendu en Égypte : c’est le Christ qui passe chez les nations. Ce fut là que Joseph après tant d’humiliations fut élevé en gloire[811] ; comme le Christ après les douleurs des martyrs fut en honneur dans le monde. Donc Joseph désigne ici les nations ; et il est appelé accroissement, parce que l’Épouse stérile a plus d’enfants que celle qui a un Époux[812]. « C’est un monument établi par le Seigneur dans la maison de Joseph, lorsqu’il sortit de la terre d’Égypte ». Voyez ici, mes frères, le cinquième jour du sabbat. Quand Joseph sortit de la terre d’Égypte, c’est-à-dire quand ce peuple que Joseph avait multi plié, traversa la mer Rouge[813]. Car alors les eaux produisirent des âmes vivantes[814]. Car alors le passage du peuple à travers la mer Rouge ne figurait que le passage des fidèles à travers les eaux du baptême ; nous en avons ce témoignage de l’Apôtre : « Je ne veux pas, mes frères, vous laisser ignorer ce que nos pères furent tous sous la nuée, que tous passèrent la mer, que tous furent baptisés, sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer[815] ». Donc le passage de la mer Rouge n’avait d’autre signification que le sacrement du baptême ; et les Égyptiens qui poursuivaient les Israélites figuraient la foule de nos péchés passés. Vous voyez là des symboles transparents. Les Égyptiens passent, ils poursuivent : nos péchés nous suivent, mais jusqu’à l’eau seulement. Pourquoi donc, ô toi, qui es en retard, pourquoi redouter de venir au baptême du Christ, de traverser la mer Rouge ? Pourquoi rouge ? Consacrée par le sang du Seigneur. Pourquoi n’oser venir ? Ta conscience serait-elle déchirée par le souvenir de quelque faute grave, en proie aux remords, et te dirait-elle que ta faute est trop grave pour en espérer le pardon ? Crains sans doute qu’il ne demeure en toi quelque faute, qu’un seul Égyptien ne survive. Quand tu auras traversé la mer Rouge[816], et que tu seras délivré de tes péchés par une main forte et puissante, tu auras part aux mystères que tu ne connaissais point, ainsi qu’il en fut de Joseph, qui « au sortir de l’Égypte cri tendit une langue à lui inconnue ». Tu entendras donc un langage que tu ne connaissais point, que savent et entendent ceux qui aujourd’hui témoignent qu’ils comprennent et qu’ils connaissent. Tu apprendras où tu dois élever ton cœur : et tout à l’heure quand j’en parlais, plusieurs d’entre vous ont témoigné par leurs acclamations qu’ils comprenaient ; les autres sont demeurés muets, parce qu’ils entendaient une langue pour eux inconnue. Courage donc ! qu’ils se hâtent, qu’ils passent la mer, qu’ils apprennent. « Il entendit une langue inconnue pour lui ».
9. « Il a délivré ses épaules des fardeaux[817] ». Qui « a délivré les épaules du fardeau », sinon celui qui a dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes accablés par le travail et les fardeaux[818] ? » C’est le même sous une autre figure. Ce que faisait d’une part la persécution des Égyptiens, le fardeau des péchés le fait d’autre part. « Il a délivré ses épaules du fardeau ». Et comme si l’on disait : De quel fardeau ? « Ses mains », répond le Prophète, « servaient à la corbeille ». Par corbeille il entend ici l’œuvre des esclaves ; ainsi nettoyer, porter le fumier ou la terre, sont des œuvres que font des esclaves au moyen d’une corbeille : or, tout homme qui commet le péché, devient esclave du péché ; et si le Fils de Dieu vient vous délivrer, vous serez vraiment libres[819]. Les emplois abjects du monde sont bien désignés par des corbeilles ; mais ces corbeilles, Dieu les remplit de morceaux de pain[820] : il remplit de morceaux de pain douze corbeilles, parce qu’il a choisi ce qu’il y a de plus vil selon le monde, pour confondre ce qu’il y a de plus élevé[821]. Mais quand Joseph servait à la corbeille, il y portait la terre, parce qu’il faisait des briques. « Ses mains ont servi à la corbeille ».
10. « Dans la tribulation, tu m’as invoqué, et je t’ai délivré[822] ». Toute conscience chrétienne doit se reconnaître ici ; et si elle a saintement traversé la mer Rouge[823], si dans sa fidélité à croire et à pratiquer, elle a compris une langue jusqu’alors inconnue, qu’elle sache que Dieu l’a exaucée dans la tribulation. Car c’est une grande tribulation que d’être accablée sous le fardeau du péché. Quelle joie pour une conscience qui en est délivrée ! Te voilà baptisé, ta conscience, accablée hier, est soulagée aujourd’hui. Dieu t’a exaucé au jour de la tribulation, mais n’oublie pas la tribulation qui t’accablait. Avant d’approcher des eaux sacrées, quelles n’étaient point tes inquiétudes ? Quels n’étaient point tes jeûnes ? Et dans ton cœur, quelle amertume ! combien de prières saintes et ferventes ? Tes ennemis sont tués, tes péchés détruits. « Tu m’as invoqué dans la tribulation, et je t’ai délivré ».
11. « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête », non de l’ouragan des mers, mais de la tempête du cœur. « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête ; je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction[824] ». C’est là une vérité, mes frères : celui qui a été exaucé dans le secret de la tempête, doit être éprouvé aux eaux de la contradiction. Lorsqu’il a embrassé la foi, qu’il a été baptisé, qu’il est entré dans les voies de Dieu, qu’il a fait couler comme une huile pure dans le vase préparé, et qu’il s’est séparé de cette lie qui coule vulgairement dans les rues, il trouve beaucoup de persécuteurs, beaucoup d’insolents qui le méprisent, le dissuadent, le menacent dès qu’ils le peuvent, qui t’effraient, et vont jusqu’à l’abattre. C’est là l’eau de la contradiction. Je ne doute pas qu’il n’y ait ici de ces menées, je me persuade qu’il est ici des fidèles, que leurs amis voulaient entraîner au cirque, à je ne sais quelle niaiserie dans cette solennité que nous célébrons ceux-ci peut-être les ont au contraire amenés à l’Église. Mais soit qu’ils les aient amenés ici, soit qu’ils aient refusé de les suivre au cirque, ils ont été mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction. Ne rougis point d’annoncer ce que tu sais, et de défendre la foi contre les blasphémateurs. Si en effet Dieu t’exauce dans le secret de là tempête, c’est que le cœur croit pour arriver à la justice ; si tu es éprouvé aux eaux de la contradiction, c’est qu’il faut confesser de bouche pour arriver au salut[825]. À quoi est maintenant réduite cette eau de la contradiction ? Elle est presque desséchée. Nos pères en ont ressenti la violence quand les nations se soulevaient contre la parole de Dieu, contre les mystères du Christ. L’eau se troublait alors, car l’Apocalypse nous montre que par les eaux il faut souvent entendre les peuples, quant à la vue des grandes eaux, et à cette question : Qu’est-ce que cela ? on répond : « Ce sont les peuples[826] ». Nos pères ont donc passé par les eaux de la contradiction quand les nations frémirent, quand les peuples formèrent de vains complots, quand les rois de la terre se levèrent, et que les princes se liguèrent contre le Seigneur et contre son Christ[827]. Ce frémissement des peuples, c’était le lion rugissant, barrant le passage à Samson qui allait chercher une Épouse chez les étrangers, c’est-à-dire au Christ qui descendait chez les Gentils pour s’unir à l’Église, Mais que fit le Seigneur ? Il saisit ce lion redoutable, puis le broya, le mit en pièces : ce ne fut dans ses mains qu’un jeune chevreau. Qu’était-ce que toute la rage de ce peuple, sinon la langueur du péché ? Détruisez cette cruauté, et les rois ne frémissent plus contre le Christ, les gentils ne l’attaquent plus avec cette colère : nous trouvons au contraire chez les nations des lois favorables à l’Église, c’est le rayon de miel dans la gueule du lion[828]. Pourquoi craindrais-je cette eau de la contradiction qui est presque desséchée ? Elle se tairait presque, si le marc ne soulevait la contradiction. Quelle que soit la fureur des étrangers, si du moins les méchants d’entre nous ne les secondaient point ! « Je t’ai entendu dans le secret de la tempête, je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction ». Vous vous souvenez de ce qui est dit du Christ, qu’il est né pour la ruine de plusieurs, comme pour la résurrection de plusieurs, et pour être un signe de contradiction[829]. Nous le savons, et nous le voyons. La croix se dresse comme un signe, et on la contredit. On contredit à la gloire de la croix ; mais la croix était surmontée d’un titre que l’on ne pouvait altérer. Car il est dit dans un psaume : « Pour l’inscription du titre, ne l’altérez point[830] ». C’était là un signe de contradiction, et les Juifs dirent à Pilate : « N’écrivez point roi des Juifs, mais écrivez qu’il s’est dit roi des Juifs[831] ». Alors la contradiction fut vaincue, et Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ». « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête, je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction ».
12. Toutes les paroles du psaume, depuis le commencement jusqu’à ce verset, nous les avons entendues de l’huile du pressoir. Le reste est plus à déplorer et plus à craindre, car jusqu’à la fin il est question du marc du pressoir ; et ce n’est peut-être point sans raison que l’on a placé ici une pause. Mais il est utile d’entendre ces paroles, afin que celui qui se trouve avec l’huile s’en réjouisse, et que celui qui est en danger de s’écouler comme le marc du pressoir, soi t sur ses gardes. Écoutez ces deux hommes : aimez l’un, craignez d’être comme l’autre. « Ecoute, ô mon peuple, je te parlerai, et te convaincrai[832] ». Ce n’est point à un peuple étranger, ce n’est point à un peuple qui n’appartienne pas aux pressoirs, que le Seigneur a dit : « Jugez entre ma vigne et moi[833]. Ecoute, ô mon peuple, je te parlerai et te convaincrai ».
13. « Israël, si tu écoutais ma voix, il n’y aurait point chez toi un Dieu nouveau[834] ». Un Dieu récent est un Dieu de fraîche date or, notre Dieu n’est pas récent, il est de toute éternité, et sera dans l’éternité. Et si notre Christ est un homme récent, il est un Dieu éternel. Qu’y avait-il avant le commencement ? Or, au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Et le Verbe notre Dieu s’est fait chair, afin d’habiter parmi nous[835]. A Dieu ne plaise qu’il y ait en quelqu’un de nous un Dieu récent. Un Dieu récent est une pierre ou un fantôme. Ce n’est point une pierre, diras-tu, c’est un Dieu d’or ou d’argent. C’est bien avec raison que le Prophète a dit de ces divinités précieuses : « Les idoles des nations sont l’argent et l’or », Elles sont précieuses, puisqu’elles sont d’or et d’argent ; elles sont précieuses et brillantes, et pourtant elles ont des yeux pour ne point voir[836]. Voilà des dieux récents. Quoi de plus récent qu’un dieu sorti d’une boutique ? Bien que depuis plusieurs années ils soient couverts de toiles d’araignées : tout ce qui n’est pas éternel est récent. Ceci soit dit aux païens. Un autre prenant en vain le nom du Seigneur son Dieu, s’est fait du Christ une créature, un Christ inférieur et inégal au Père qui l’a engendré, un Christ qu’il appelle d’une part Fils de Dieu, quand d’autre part il nie qu’il soit Fils de Dieu. S’il est en effet le Fils unique du Père, il est tout ce qu’est le Père, et de toute éternité. Mais toi qui as imaginé dans ton cœur une autre doctrine, tu as fait un Dieu récent. Un autre encore s’est fait un Dieu qui combat contre les puissances des ténèbres, qui craint l’envahissement, qui se défend contre la corruption ; qui est corrompu en partie, et veut arriver à l’intégrité, sans pouvoir l’acquérir, puisqu’il tient à ta corruption. Voilà ce que disent les Manichéens, qui se font aussi dans leurs cœurs un Dieu récent. Tel n’est point notre Dieu, tel n’est point ton partage, ô Jacob. Ton Dieu est le Dieu qui a fait le ciel et la terre, qui n’a pas besoin de tes biens, qui ne redoute pas les maux.
14. Beaucoup d’hérétiques, à l’instar des païens, se sont fait eux-mêmes des dieux de toutes sortes, se sont formé des idoles étrangères ; et s’ils ne les ont point placées dans leurs temples, ils ont fait pire en les élevant dans leurs cœurs, et en se faisant eux-mêmes les temples de divinités ridicules et mensongères, C’est une œuvre importante que briser ces idoles, et préparer en nous-mêmes un sanctuaire au Dieu vivant, et non de fraîche date. Tous ces hérétiques, différents d’opinions, se font aussi des divinités différentes ; ils déchirent par l’erreur le symbole de la foi, et semblent se combattre, tandis qu’ils ne s’écartent point des pensées terrestres, et que dans ces pensées terrestres ils sont tous d’accord. L’opinion varie, la vanité est la même. C’est d’eux qu’il est dit dans un autre psaume : « Ils se sont liés par la vanité[837] ». Divisés par la diversité de leurs erreurs, ils s’accordent néanmoins dans une même vanité. Or, vous le savez, la vanité doit être en arrière, dans l’oubli. Aussi l’Apôtre, oubliant ce qui est en arrière, c’est-à-dire la vanité, pour s’avancer vers ce qui est devant lui, ou la vérité, s’efforce de remporter la palme à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut par Notre-Seigneur Jésus-Christ[838]. Quoique ces hommes soient donc divisés en apparence, ils sont trop d’accord pour leur malheur. C’est dans ce sens que Samson attacha les renards par la queue[839]. Le renard avec ses artifices est le symbole des hérétiques, pleins de ruse et de fourberie, se cachant, pour mieux tromper, dans des tanières aux mille détours, et qui suffoquent par heur puanteur. C’est contre cette puanteur que saint Paul a dit : « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur de Jésus-Christ[840] ». C’est encore de ces renards qu’il est dit dans les cantiques : « Prenez-nous ces petits renards qui ravagent les vignes, et qui se dérobent dans des cavernes tortueuses[841] ». « Prenez-les pour nous », donnez-leur notre conviction ; car c’est prendre un homme que le convaincre d’erreur. Des renardeaux contredisaient un jour le Sauveur, et lui disaient : « Par quel pouvoir faites-vous ces miracles ; et vous », leur dit-il, « répondez-moi un seul mot : d’où vient le baptême de Jean ? Du ciel ou des hommes ? » Dans les tanières des renards il y a ordinairement une entrée et une sortie : or, voilà que le chasseur a placé ses pièges sur chacune de ces issues. « Dites-moi : vient-il du ciel ou des hommes ? » Ils comprennent que le piège est tendu de part et d’autre ; et ils se disent en eux-mêmes : « Si nous répondons qu’il vient du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous point cru en lui ? » Car Jean a rendu témoignage au Christ. « Si nous disons qu’il vient de la terre, le peuple nous lapidera, car on le regarde comme un Prophète ». Flairant donc le piège qui les menaçait de part et d’autre, ils répondirent : « Nous n’en savons rien ». Et le Seigneur : « Ni moi non plus, je ne vous dis point par quel pouvoir j’opère ces merveilles[842] ». Vous alléguez l’ignorance quand vous savez, et moi je ne vous enseigne point ce que vous cherchez. Vous n’avez osé sortir dans aucune direction, et vous êtes demeurés dans vos ténèbres. Obéissons donc, nous aussi, à cette injonction du Verbe de Dieu : « Prenez ces renardeaux qui ravagent nos vignes ». Voyons si nous pourrons en prendre quelques-uns : plaçons nos pièges sur chaque entrée du terrier, afin que le renard soit pris, quelque route qu’il suive. Ainsi le Manichéen se fait un dieu nouveau ; il adore dans son cœur ce qui ne fut jamais ; posons-lui cette question : La substance divine est-elle corruptible ou incorruptible ? Prenez le parti que vous voudrez, l’issue qui vous plaira ; mais vous n’échapperez point : si vous dites qu’elle est corruptible, vous serez lapidés, non par le peuple, mais bien par vous-mêmes. Si vous dites que Dieu est incorruptible, comment l’incorruptible peut-il redouter le peuple des ténèbres ? Que peut faire une race corruptible à celui qui ne l’est pas ? Que pouvez-vous répondre, sinon : « Nous ne savons ? » Or, si vous répondez ainsi, non par fourberie, mais bien par ignorance, ne demeurez point dans les ténèbres ; que le renard se change en brebis, qu’il croie au Dieu invisible, incorruptible, au Dieu qui n’est point nouveau ; au Dieu seul, et non au Dieu soleil, car n’allons pas ouvrir un autre terrier au renard qui s’enfuit. Et toutefois nous ne redoutons point le nom de soleil, car il est dit dans nos saintes Écritures, qu’il est « un soleil de justice, et que la santé est sous ses ailes[843] ». On cherche dans l’ombre un abri contre l’ardeur de ce soleil, on se retire sous ses ailes pour se défendre de ses feux : la santé est sous ses ailes. Tel est le soleil qui fera dire aux méchants : « Nous nous sommes donc égarés du sentier de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous ». Ces adorateurs du soleil diront : « Le soleil ne s’est point levé pour nous[844] » : puisqu’en adorant ce soleil que Dieu fait lever sur les bons et sur les méchants[845], ils n’ont point fait lever sur eux ce soleil qui éclaire les bons. Chacun d’eux se fait donc, à sa fantaisie, un Dieu récent. Qui empêchera un cœur erroné de se faire des fantômes à sa guise ? Ils sont donc tous des renards liés par la queue[846], c’est-à-dire qu’ils s’accordent dans une même vanité. De là vient que notre Samson, qui en hébreu signifie leur soleil, ou le soleil de ceux qu’il éclaire, et non de tous, commue celui qui se lève sur les bons et sur les méchants, mais le soleil de quelques-uns, le soleil de justice, car il figurait le Christ, attacha les renards par la queue, comme je commençais à vous le dire, et y mit une torche enflammée : ce feu devait porter l’incendie, mais dans les moissons des étrangers. Donc les hérétiques, d’accord dans des enseignements postérieurs et comme liés par la queue, traînent après eux une torche incendiaire, mais sans force pour nos moissons. « Le Seigneur, en effet, connaît ceux qui sont à lui, et tout homme qui invoque le nom du Seigneur, doit se retirer de l’iniquité. Or, dans un grand palais, il y a non seulement des vases d’argent et d’or, mais aussi des vases de bois et d’argile ; les uns sont en honneur, les autres méprisés. Si donc un homme se préserve de toute impureté, il sera un vase d’honneur, utile au Seigneur, et préparé pour toutes sortes de bonnes œuvres[847] » ; et dès lors il ne craindra ni la queue des renards, ni leurs torches enflammées. Mais revenons à notre psaume. « Si tu m’écoutes », dit le Prophète, « il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau[848] ». Ce qui m’étonne, c’est que le Prophète ait dit : « En toi », in te, et non pas, a te, de ta façon, comme si l’idole était quelque chose d’extérieur à l’homme : mais « en toi » dans ton cœur, dans le travail de ton imagination, dans l’erreur qui t’égare, tu porteras avec toi ton Dieu nouveau, en demeurant dans le vieil homme. « Si donc tu veux m’écouter, moi », dit le Prophète, « parce que je suis celui qui suis, il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau ; et tu n’adoreras point un Dieu étranger ». Si ce Dieu étranger n’est point en toi, « tu ne l’adoreras point ». Si quelque faux dieu n’aborde point ta pensée, tu n’adoreras point un Dieu forgé par les hommes : « Il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau ».
15. « C’est moi qui suis en effet ». Pourquoi veux-tu adorer ce qui n’est pas ? « Je suis le Seigneur ton Dieu[849] » : parce que je suis celui qui suis. C’est moi, dit le Seigneur, qui suis d’abord au-dessus de toute créature ; et de plus que n’ai-je point fait pour toi dans le temps ? « C’est moi qui t’ai tiré de l’Égypte ». Cette parole ne s’adresse point à Israël seulement, car nous sommes tous tirés de la terre d’Égypte, tous nous avons traversé la mer Rouge, et les ennemis qui nous poursuivaient ont péri dans les eaux. Ne soyons point ingrats envers Dieu, n’allons point oublier le Dieu qui subsiste, pour nous faire des dieux nouveaux. « C’est moi qui t’ai tiré de la terre d’Égypte », dit le Seigneur, « ouvre la bouche et je la remplirai ». Tu es à l’étroit en toi-même, à cause du dieu nouveau qui a envahi ton cœur : brise un vain simulacre et bannis de ta conscience un Dieu fictif : « Ouvre ta bouche » par la confession et par l’amour ; « et je la remplirai », car c’est en moi qu’est la source de vie[850].
16. Voilà ce que dit en effet le Seigneur ; mais qu’est-il dit ensuite ? « Et mon peuple n’a pas entendu ma voix[851] ». Dieu ne parlerait point de la sorte à tout autre qu’à son peuple. Car tout ce que dit la loi, nous savons qu’elle le dit à ceux qui sont sous la loi[852]. « Et mon peuple n’a pas entendu ma voix ; Israël n’a pas fait attention à moi ». Qui a manqué d’attention ? pour qui ? « Israël, pour moi ». O âme ingrate, âme qui existe par moi, âme que j’ai appelée, âme que j’ai amenée à l’espérance, âme que j’ai purifiée de l’iniquité ! « Israël n’a pas fait attention à moi ». Ils sont baptisés, ils traversent la mer Rouge, mais ils murmurent pendant la route, ils contredisent, ils se plaignent, ils se laissent troubler par les séditions, ils n’ont qu’ingratitude pour celui qui les a délivrés des poursuites de leurs ennemis, qui les a conduits à pied sec, à travers les eaux, par le désert, leur donnant la lumière pendant la nuit, l’ombre de la nuée pendant le jour : « Et Israël n’a point fait attention à moi ».
17. « Et je les ai livrés aux désirs de leurs cœurs[853] ». Voici le pressoir. Les issues sont ouvertes, le marc va couler. « Et je les ai livrés », non point à la pratique de mes préceptes ; mais « c’est aux désirs de leurs cœurs » que je les ai livrés. C’est la plaie dont parle saint Paul : « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs[854]. Je les ai livrés aux convoitises de leurs cœurs, ils suivront leurs « désirs corrompus e. De là vient tout ce qui vous fait horreur, si toutefois vous êtes l’huile pure qui coule dans les vases mystérieux du Seigneur ; si toutefois vous aimez ces vases, de là vient tout ce qui vous fait horreur, Les uns se font les champions du cirque, d’autres de l’amphithéâtre, celui-ci vante une loge sur la place publique, celui-là le théâtre, l’un est dans un sens, l’autre dans un autre sens, un troisième défend ses dieux nouveaux : « Ils suivent la corruption de leurs pensées ».
18. « Si mon peuple m’avait écouté, si Israël avait marché dans mes voies[855] » Peut-être cet Israël se dit en lui-même : De toute évidence, me voilà prévaricateur, voilà que mon cœur m’entraîne dans ses convoitises ; mais que faire ? c’est là l’œuvre du diable, c’est l’œuvre des démons. Qu’est-ce que le diable, et que sont les démons ? Tes ennemis assurément. « Si Israël eût marché dans mes voies, j’aurais anéanti tous ses ennemis[856] ». « Si mon peuple m’eût écouté », dit le Seigneur ; comment peut-il être mon peuple s’il ne m’écoute point ? « Si mon peuple m’eût écouté ». Qu’est-ce que « mon peuple ? » « Israël ». Qu’est-ce à dire « s’il m’eût écouté ? » « S’il eût marché dans mes voies ». Il se plaint, il gémit sous l’oppression de ses ennemis ; et « j’aurais réduit ses ennemis au néant, j’aurais étendu ma main sur ses persécuteurs ».
19. Et maintenant quelle plainte peuvent-ils faire de leurs ennemis ? Leurs plus grands ennemis sont eux-mêmes. Comment cela ? Que dit ensuite le Prophète ? Vous vous plaignez de vos ennemis, et vous-mêmes, qu’êtes-vous ? « Les ennemis du Seigneur ont menti à la foi qu’ils lui avaient donnée[857] ». Renonces-tu au démon ? J’y renonce. Et ils reviennent à ce qu’ils ont abjuré. Et pourtant à quoi donc as-tu renoncé, sinon aux actes mauvais, aux actes diaboliques, aux actes que Dieu condamne, aux vols, aux rapines, aux parjures, aux homicides, aux adultères, aux sacrilèges, aux sacrifices abominables, aux vaines curiosités ? C’est à tout cela que tu as renoncé, et tout cela néanmoins te courbe et te domine. Ton nouvel état devient pire que ton premier. Le chien retourne à son vomissement, et le pourceau lavé à son bourbier[858]. « Les ennemis du Seigneur lui ont manqué de parole ». Admirable patience du Seigneur 1 Pourquoi ne sont-ils point renversés ? pourquoi le glaive n’en fait-il point justice ? pourquoi la terre ne s’ouvre-t-elle point pour les engloutir ? pourquoi ne sont-ils pas consumés par le feu du ciel ? c’est que la patience du Seigneur est grande. Seront-ils néanmoins impunis ? Loin de là. Qu’ils ne se prévalent point sur la miséricorde du Seigneur, jusqu’à se promettre qu’il sera injuste en leur faveur. Ignores-tu que cette longanimité de Dieu est un moyen de t’amener à la pénitence ? Et toutefois, par la dureté, par l’impénitence de ton cœur, tu amasses un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[859]. Il ne rend pas toujours ici-bas justice, il la rendra alors. Le châtiment qu’il inflige ici-bas n’est que pour un temps : ce qu’il doit infliger alors, à l’incorrigible et à l’impénitent, sera éternel. Et pour comprendre qu’ils ne seront point impunis, écoute ce qui suit : « Les ennemis du Seigneur lui ont manqué de parole ». Mais, diras-tu, que leur a-t-il fait ? N’ont-ils pas la vie ? ne peuvent-ils respirer, ni jouir de la lumière ? ne boivent-ils pas aux sources d’eau ? ne mangent-ils point des fruits de la terre ? « Leur châtiment sera dans l’éternité ».
20. Que personne donc ne se flatte d’appartenir au pressoir ; son avantage est d’être l’huile du pressoir. Avec des actions criminelles qui ne peuvent entrer dans le royaume des cieux, n’allons pas nous le promettre, en disant : J’ai le signe du Christ, les sacrements du Christ, je ne serai point effacé pour l’éternité ; et si je dois être purifié, je serai sauvé par le feu. Que dit en effet l’Apôtre à propos de ceux qui sont sur la base ? « Nul ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, et ce fondement, c’est Jésus-Christ ». Mais, ajoutent-ils, que dit ensuite l’Apôtre ? « Que chacun prenne garde à ce qu’il bâtit sur ce fondement. L’un bâtit en or, en argent, en pierres précieuses ; un autre en bois, en foin, en chaume : le feu doit éprouver l’ouvrage de chacun, car le jour du Seigneur le fera connaître, et il sera révélé par le feu. Celui qui aura bâti un ouvrage qui subsistera, en recevra la récompense » ; c’est-à-dire celui qui aura élevé sur ce fondement un édifice avec des œuvres de justice comme « l’or, l’argent, les pierres précieuses ». Mais celui qui aura bâti avec le péché, comme, « le bois, le foin et la paille », à cause du fondement, il ne laissera pas « d’être sauvé, quoiqu’en passant par le feu[860] ». Je préfère l’excès de crainte, mes frères, et ne veux point vous donner une sécurité trompeuse. Je ne vous donnerai pas ce que je n’ai point, je vous effraie, parce que je suis effrayé ; je vous donnerais plus de sécurité, si j’en avais moi-même : je crains le feu éternel, « Et leur châtiment sera dans l’éternité », dit le Prophète ; ce que je ne comprends que du feu éternel, dont l’Écriture nous dit ailleurs : « Leur feu ne s’éteindra pas, et le ver qui les ronge ne mourra point[861] ». Mais c’est des impies qu’il est parlé, et non de moi, me dira quelqu’un ; quelque pécheur, quelque adultère, quelque trompeur, quelque voleur, quelque parjure que je sois, j’ai pour base le Christ, je suis chrétien, je sais baptisé ; je passerai par le feu des expiations, mais je ne périrai point, à cause du fondement. Encore une fois, qui es-tu ? Chrétien. Continue encore, que disais-tu ? Coupable de vol, d’adultère et de tous ces crimes dont l’Apôtre a dit, que « ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume des cieux[862] ». Assurément, sans être corrigé de ces crimes, sans en avoir fait pénitence, peux-tu bien te promettre le royaume des cieux ? Je ne le pense point. « Car ceux qui commettent ces crimes n’entreront point dans le royaume des cieux ». Ignores-tu donc que la patience de Dieu t’amène a la pénitence[863] ? En te flattant d’illusoires espérances, par ta dureté, par l’impénitence de ton cœur, tu te fais une provision de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres. Considère donc le juge qui doit venir. Il a bien fait, et je lui en sais gré, de ne point nous avoir dérobé la sentence définitive ; il na point expulsé les coupables pour tirer le voile ensuite. Il a voulu nous dire, par avance, ce qu’il voulait faire. « Toutes les nations seront rassemblées devant lui ». Et qu’en fera-t-il ? « Il les séparera ; il placera les uns à droite, les autres à gauche[864] ». Y a-t-il donc une place réservée au milieu ? Que dira-t-il à ceux de droite ? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume[865] ». Et à ceux de gauche ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges[866] ». Si le feu ne t’effraie point, que la compagnie t’effraie. Si donc ces œuvres ne doivent point posséder le royaume des cieux, ou plutôt, non point les œuvres, mais ceux qui les commettent, car dans le feu il n’y aura pas d’œuvres semblables[867] ; et ceux qui seront dévorés dans les flammes ne commettront plus ni vol, ni adultère, mais « ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu » ; ces coupables ne seront donc point à la droite, en compagnie de ceux auxquels on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume, puisque ceux qui commettent ces crimes ne posséderont point le royaume de Dieu ». Mais s’ils ne sont point à la droite, il ne leur reste de place qu’à la gauche. Et que dira le juge à ceux de gauche ? « Allez au feu éternel ; – car leur châtiment sera dans l’éternité ».
21. Expliquez nous, me diras-tu, comment ceux qui bâtissent sur ce fondement, avec le bois, le foin, la paille, ne doivent point périr, mais seront sauvés, et cependant comme par le feu. C’est là un passage difficile, et néanmoins j’en dirai brièvement ma pensée. Mes frères, il y a des hommes qui ont pour le monde un souverain mépris, qui n’ont aucun goût pour les choses qui passent avec le temps, qui ne s’attachent par aucune affection aux œuvres terrestres, qui vivent dans la sainteté, la chasteté, la continence, la justice, qui ont peut-être vendu tous leurs biens pour en donner le prix aux pauvres, ou bien qui possèdent comme s’ils ne possédaient pas, qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas[868]. Mais il en est d’autres qui ont quelque attache d’affection pour les biens que Dieu accorde à notre faiblesse. Tel qui ne prend point le bien d’autrui, s’attache au sien, de manière à se troubler de la moindre perte. Il ne convoite point l’Épouse d’un autre, mais dans son affection pour la sienne, dans ses rapports avec elle, il ne garde plus cette prescription divine qui est la génération des enfants. Il ne s’empare point du bien des autres, mais en exigeant ce qui est à lui, il en vient avec ses frères à un procès. C’est à ces gens que s’adresse le reproche de l’Apôtre « C’est déjà une faute bien grave que vous ayez des procès entre vous[869] » Il ordonne toutefois que ces différends soient décidés dans l’Église, et non portés aux tribunaux ; et il les condamne comme des fautes. Car alors un chrétien dispute pour des biens terrestres, beaucoup plus qu’il ne convient à un homme à qui le ciel est promis, Ce n’est pas tout son cœur qu’il élève à Dieu, mais il en traîne une partie sur la terre. Enfin, s’il se présente une occasion d’aller au martyre, ceux qui ont le Christ pour fondement et qui bâtissent avec l’or, l’argent, ou les pierres précieuses[870], que disent-ils alors ? Il m’est bon de mourir et d’être avec le Christ[871]. Ils courent avec allégresse, et ne ressentent rien ou que très peu de la faiblesse de la chair. Ceux au contraire qui aiment leurs biens, leurs palais, sont dans un trouble étrange ; le foin, la paille et le bois sont en feu. Ils ont donc sur le fondement, du loin, de la paille et du bois ; mais dans ce qui est permis, non dans ce qui est criminel. Je dis donc, mes frères, as-tu le fondement ? Attache-toi au ciel, et foule aux pieds la terre. En agissant ainsi tu ne bâtis qu’en or, en argent, en pierres précieuses. Mais si tu viens dire : J’aime cette terre, je crains de la perdre ; si cette perte qui te menace te cause de la tristesse, à la vérité tu ne préfères pas cette terre au Christ : car tel est ton attachement pour elle, que si l’on te disait : Que préfères-tu, de la terre ou du Christ ? malgré ton chagrin de la perdre, néanmoins tu préférerais le Christ que tu as choisi pour fondement : alors tu seras sauvé, mais par le feu. Écoute encore : Tu ne peux conserver ton bien que par un faux témoignage. L’éviter, c’est avoir le Christ pour fondement, puisque la vérité l’a dit « La bouche qui ment, tue l’âme[872] ». Donc ton amour pour la terre ne saurait te porter au larcin, ni au faux témoignage, ni à l’homicide, ni au parjure, ni à renoncer au Christ ; si donc tu abjures tout cela par amour du Christ, c’est lui que tu as pour base. Et toutefois ton attachement pour tes biens, ta douleur de les perdre, t’ont fait bâtir sur ce fondement, non plus avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses ; mais avec du bois, du foin, de la paille. Tu seras donc sauvé, lorsque ton édifice commencera à brûler, et dès lors comme par le feu. Que nul ne se persuade qu’en élevant sur ce fondement des adultères, des blasphèmes, des sacrilèges, des idolâtries, des parjures, il pourra se sauver par le feu, comme si c’était là du bois, du foin et de la paille mais celui-là seulement qui bâtit avec l’amour des choses temporelles, sur le fondement du royaume des cieux, ou plutôt sur le Christ, cet amour des biens de la terre brûlera, et lui sera sauvé, à cause de la solidité du fondement.
22. « Les ennemis du Seigneur lui ont menti », en disant : Je vais à votre vigne, sans toutefois y aller[873] : « et leur châtiment sera » non plus dans le temps, mais « dans l’éternité ». Quels sont ces ennemis ? « Ceux qu’il a nourris du froment le plus pur[874] ». Vous savez quelle est cette fleur du froment dont se nourrissent plusieurs de ses ennemis, qui trahissent leur foi envers lui. « Il les a nourris de la fleur du froment ». Il leur a donné ses sacrements. Judas même fut nourri de ce pur froment, quand il reçut le morceau de pain[875]. Cet ennemi du Seigneur a trahi sa foi, et son châtiment sera dans l’éternité. « Il les a nourris de la fleur du froment, et les a tu rassasiés du miel de la pierre ». Les ingrats ! « Et Dieu les a nourris de la fleur du froment, et rassasiés du miel de la pierre ». Au désert, cependant, ce fut de l’eau, et non du miel, que Dieu fit jaillir du rocher[876]. Le miel est la sagesse qui pour le cœur est la plus douce de toutes les nourritures. Combien donc parmi les ennemis du Seigneur trahissent sa foi, après avoir été nourris non seulement de la fleur du froment, mais aussi du miel de la pierre, ou de la sagesse du Christ ? Combien trouvent leurs délices à goûter sa parole, à connaître ses sacrements, à pénétrer ses paraboles ! Combien sont ravis de ce miel qui n’est pas d’un homme en effet, mais de la pierre. Or, la pierre était le Christ[877]. Combien sont rassasiés de ce miel, et s’écrient : Quelle douceur ! Y a-t-il rien de comparable ? Peut-on rien dire ou rien comprendre de plus doux ? Et pourtant, les ennemis du Seigneur lui ont menti. Je ne veux point m’arrêter davantage sur un sujet si affligeant ; et quoique le psaume se termine d’une manière si effrayante, remontons de la fin au commencement, et retournons à Dieu : « Tressaillez dans ce Dieu qui est votre soutien ». Exhortation à venir l’entendre le lendemain, et à mépriser les jeux séculaires.
23. Les spectacles des choses divines que vous admirez au nom du Christ, vous ont tenus sous la puissance de leur charme, et vous ont disposés non seulement à désirer, mais à fuir. Ce sont là des spectacles utiles, salutaires, qui édifient sans détruire ; ou mieux, qui détruisent et qui édifient ; qui détruisent les dieux nouveaux, pour édifier notre toi, dans le Dieu qui est véritable, éternel. Nous supplions donc votre charité de venir demain encore. D’autres, nous dit-on, auront la mer dans le théâtre, et nous, en Jésus-Christ, le port du salut. Et comme après-demain, ou quatrième jour de la semaine. Il nous sera impossible de nous assembler dans l’église de Saint-Cyprien, à cause de la fête des saints martyrs, nous y reviendrons demain.

  1. Tiré de l’épître CLXIX à Evode, n. I
  2. Rom. 5,10
  3. Eph. 2,14-17
  4. Jn. 14,27
  5. Isa. 57,19
  6. selon les LXX
  7. Id. 26,12
  8. selon les LXX
  9. 1 Cor. 15,26
  10. Id. 22
  11. Ps. 66,2
  12. Jn. 5,22
  13. Mt. 22,2
  14. Ps. 2,4
  15. Id. 18,2
  16. Id. 71,2
  17. Prov. 1,1
  18. Mt. 5,3
  19. 1 Cor. 4,7
  20. Id. 13,5
  21. Id. 4
  22. Rom. 5,5
  23. 1 Cor. 2,12
  24. Jn. 1,14
  25. Rom. 10,3
  26. Ps. 42,1
  27. Jn. 7,24
  28. Mt. 23,23
  29. Jer. 17,11
  30. Ps. 71,3
  31. Id. 113,1.4-13
  32. 2 Tim. 2,2
  33. 1 Cor. 11,1
  34. Gal. 1,8
  35. 1 Cor. 1,13
  36. Id. 1
  37. Ps. 120,1-2
  38. 2 Cor. 5,17-20
  39. Rom. 5,19
  40. Ps. 84,11
  41. Id. 71,4
  42. 1 Pi. 1,5
  43. Ps. 25,9
  44. Id. 13,1
  45. Mt. 25,32
  46. Plus haut, n. 3
  47. Job. 1,9
  48. Ps. 36,4
  49. Jn. 14,30
  50. Eph. 2,2
  51. Rom. 5,17
  52. Psa. 71,5
  53. Jn. 1,3
  54. Héb. 1,3
  55. Mc. 16,19
  56. Rom. 6,9
  57. Ps. 71,6
  58. Jug. 6,36 ss
  59. Mt. 15,21
  60. Id. 10,5-6
  61. Jn. 10,16
  62. Rom. 15,8-9
  63. Ps. 17,45
  64. Ps. 71,7
  65. Sir. 32,6
  66. Ps. 133,2
  67. 1 Cor. 15,26
  68. Mc. 16,19
  69. Ps. 71,8
  70. Mt. 3,17
  71. Ps. 71,9
  72. Ps. 107,6
  73. Gen. 3,19
  74. Ps. 71,10-11
  75. Ps. 71,12
  76. Mt. 12,29
  77. Ps. 71,13
  78. Rom. 5,5
  79. Ps. 71,14
  80. Mt. 6,12
  81. Id. 25,27
  82. Ps. 15,4
  83. Id. 71,15
  84. Rom. 6,9
  85. Isa. 53,8 ; Act. 8,33
  86. Prov. 8,10-11
  87. Mt. 6,10
  88. Eph. 5,31-32
  89. Ps. 62,16
  90. 2 Cor. 1,20
  91. Lc. 24,44
  92. Isa. 2,2
  93. Ps. 103,16
  94. 1 Cor. 12,31
  95. Gal. 5,22
  96. Gen. 2,11
  97. Isa. 40,6
  98. Gen. 4,17
  99. Ps. 11,6-8
  100. Ps. 71,17
  101. Gal. 3,16
  102. Gen. 22,18
  103. Rom. 9,8
  104. Mt. 6,9
  105. Ps. 71,18
  106. Isa. 54,5
  107. Ps. 71,19
  108. Ce sermon prêché au peuple, probablement en 411, la veille de la fête de saint Cyprien. Voir Lettre 140 à Honor
  109. Ps. 39,5
  110. Id. 72,1
  111. 1 Sa. 16,18
  112. Isa. 11,1
  113. Gen. 24,2
  114. Id. 22,18
  115. Rom. 11,17-24
  116. Ps. 72,1
  117. Id. 28,1
  118. 1 Tim. 1,13
  119. 1 Cor. 15,9-10
  120. Rom. 11,1-2
  121. 1 Cor. 10,6
  122. Exod. 1,10
  123. Exod. 14,22-23
  124. Phil. 3,13-14
  125. Ps. 17,26-27
  126. Ps. 72,2
  127. Id. 3
  128. Id. 4,5
  129. Ps. 72,6
  130. Prov. 7,22
  131. Ps. 72,7
  132. Héb. 13,6
  133. Lc. 16,19-31
  134. Ps. 72,8
  135. Id. 9
  136. Id. 114,4
  137. Ps. 72,10
  138. Gal. 4,4
  139. Ps. 72,11
  140. Ps. 72,12
  141. Id. 13
  142. Id. 14
  143. Ps. 72,15
  144. Ps. 72,16
  145. Id. 17,30
  146. Ps. 72,17
  147. Id. 18
  148. Mt. 16,26
  149. Ps. 72,19
  150. Id. 20
  151. 1 Tim. 6,17-19
  152. Ps. 72,21
  153. Id. 22
  154. Id. 23
  155. Id. 24
  156. Job. 1,11
  157. Prov. 18,21
  158. Mt. 12,37
  159. Jn. 1,12
  160. 1 Tim. 1,13
  161. 1 Cor. 15,10
  162. Ps. 72,25
  163. 1 Cor. 2,9
  164. Ps. 72,26
  165. Ps. 72,27
  166. Jn. 1,3
  167. Ps. 72,28
  168. 1 Cor. 13,12
  169. Ps. 73,1
  170. Id. 47,13
  171. Mt. 3,12
  172. Rom. 11,17
  173. Id. 9,6-8
  174. Jn. 1,47
  175. Gal. 3,29
  176. Rom. 11,1
  177. Id. 9,27
  178. Ps. 72,1-3.12-13
  179. Jn. 1,17
  180. Exod. 20,12-17
  181. Ps. 14,1
  182. Id. 23,4
  183. Exod. 3,8
  184. 1 Cor. 15,46-49
  185. Jn. 1,17
  186. Exod. 14,22-28
  187. Jn. 11,18
  188. Ps. 73,1
  189. Rom. 10,4
  190. Ps. 63,2
  191. Exod. 4,1-4
  192. Gen. 3,4-5
  193. Nb. 21,8 ; Jn. 3,14
  194. Exod. 4,3
  195. Lc. 24,21
  196. Exod. 4,4
  197. Id. 33,23
  198. Act. 2,4
  199. Id. 4,34
  200. Ps. 73,3
  201. Rom. 10,4
  202. Ps. 71,11
  203. Id. 73,1
  204. Id. 5
  205. Jn. 19,11
  206. Nb. 21,8
  207. Dan. 9,23
  208. Jn. 19,10-11
  209. Ps. 73,6
  210. Id. 7
  211. Id. 8
  212. Id. 9
  213. Isa. 8,14-15 ; Lc. 20,18
  214. Ps. 73,10
  215. Isa. 52,15 ; Rom. 15,21
  216. Ps. 73,11
  217. Lev. 13,25
  218. Exod. 4,6-7
  219. Rom. 11,25
  220. Jn. 12,25
  221. Nb. 21,9
  222. Ps. 73,12
  223. Id. 9
  224. Ps. 73,13
  225. Ps. 73,14
  226. Gen. 3,15
  227. Sir. 10,15
  228. Eph. 5,8
  229. Cant. 8,5
  230. selon les LXX
  231. Id. 1,4
  232. Exod. 32,1-20
  233. 1 Cor. 12,27
  234. Act. 10,13
  235. Exod. 7,12
  236. Gal. 5,15
  237. Ps. 73,15
  238. Jn. 4,14
  239. Ps. 35,9
  240. Mt. 12,29
  241. Isa. 14,13
  242. Gen. 3,22
  243. Rom. 10,3
  244. Lc. 18,13
  245. Psa. 73,16
  246. Jn. 1,3
  247. 1Co. 2,6
  248. Id. 3,1
  249. Ps. 18,3
  250. Jn. 1,1
  251. Ps. 10,3
  252. Jn. 1,14
  253. Sir. 27,12
  254. Rom. 1,14
  255. Ps. 73,17
  256. Eph. 2,8-10
  257. Ps. 73,18
  258. Jn. 9,24-29 ; 8,48
  259. Ps. 72,23-24
  260. Rom. 11,17
  261. Mt. 27,40
  262. Ps. 73,19
  263. Id. 31,5
  264. Act. 2,37-38
  265. Ps. 31,4
  266. Lc. 18,13
  267. Ps. 72,20
  268. Jer. 31,31-32
  269. Mt. 5,8
  270. Rom. 2,27
  271. Ps. 1,4
  272. Id. 68,24
  273. Jn. 5,8
  274. Ps. 73,21
  275. Mt. 5,3
  276. Isa. 66,2
  277. Ps. 76,3
  278. Id. 72,22
  279. Id. 41,4
  280. Mt. 5,8
  281. Ps. 13,1
  282. Gen. 2,17 ; 3,4-6.19
  283. Ps. 41,11
  284. Id. 73,23
  285. Job. 7,1
  286. Ps. 36,4
  287. Sag. 5,3.8-9
  288. Ps. 74,2
  289. Id. 33,19
  290. Id. 137,6
  291. Ps. 50,11
  292. Id. 26,9
  293. Id. 105,1 ; 105,1
  294. Jn. 1,51
  295. Ps. 71,19 ; 88,53
  296. Gen. 41,1-32
  297. Ps. 56,8
  298. Id. 36,14
  299. Eph. 3,17
  300. Ps. 74,2
  301. Gen. 2,24 ; Ephés. 5,31-32
  302. Mt. 19,6
  303. Isa. 61,10
  304. Ps. 74,3
  305. Id. 100,1
  306. Phil. 2,6-7
  307. Jn. 5,27
  308. Mt. 19,28
  309. Ps. 74,4
  310. Gal. 2,9
  311. 2 Cor. 13,3
  312. Ps. 74,5
  313. Act. 2,37-38
  314. Mt. 9,12-13
  315. Ps. 74,6
  316. Psa. 49,21
  317. Ps. 51, Ps. 13,1
  318. Ps. 74,7-8
  319. Sag. 1,7-8
  320. Psa. 35,5
  321. Psa. 4,6.5
  322. Id. 94,2
  323. Luc. 18,10-14
  324. Psa. 74,9
  325. Mat. 7,7
  326. Rom. 3,4
  327. Exod. 20,7-17 ; Deut, 5,6-21
  328. Ps. 22,5
  329. Ps. 74,10
  330. Id. 11
  331. Ps. 75,2
  332. Rom. 2,29
  333. Nb. 18,20
  334. Gen. 48,5-6
  335. 1 Sa. 9,1
  336. Id. 16,12
  337. Gen. 49,10
  338. 2 Tim. 2
  339. Jn. 8,58
  340. Id. 1,13
  341. Lc. 3,1
  342. Jn. 19,15
  343. 2 Tim. 2,8
  344. Rom. 9,5
  345. 2 Cor. 5,19
  346. Ps. 33,8
  347. Jn. 1,47
  348. Ps. 75,3
  349. Id. 146,7
  350. Eph. 6,12
  351. Rom. 7,25
  352. Sag. 9,15
  353. Rom. 7,25
  354. Rom. 6,12
  355. 1 Cor. 15,26
  356. Rom. 7,25
  357. Id. 8,10-11
  358. 1 Cor. 13,12
  359. Ps. 75,4
  360. Id. 5
  361. Mt. 25,26-27
  362. Ps. 120,1-2
  363. 1 Cor. 1,12-13
  364. Id. 3,6-7
  365. Lc. 14,11
  366. Ps. 65,7
  367. Id. 75,6
  368. Act. 17,18-32
  369. 1 Cor. 2,9
  370. Lc. 19,1
  371. Lc. 19,9
  372. Mt. 25,35-40
  373. Ps. 75,7
  374. Exod. 14,8
  375. Eph. 5,14
  376. Ps. 75,8
  377. Id. 93,3
  378. Sag. 5,3-6.8-9
  379. Ps. 75,9
  380. Ps. 75,10
  381. Id. 11
  382. Act. 9,4
  383. Id. 5
  384. 2 Tim. 2,8
  385. 1 Tim. 1,13
  386. Rom. 12,12
  387. 2 Sa. 12,13
  388. Ps. 50,5
  389. Id. 75,12
  390. 1 Tim. 5,14
  391. 1 Cor. 7,40
  392. 1 Tim. 5,12
  393. Lc. 17,32
  394. Gen. 19,26
  395. Sag. 7,24
  396. Ps. 2,11
  397. Id. 75,13
  398. Id. 103,29-30
  399. Id. 102,14
  400. 1 Cor. 9,26-27
  401. Ps. 76,1
  402. Rom. 10,4
  403. Jn. 10,30
  404. Jn. 4,8-9
  405. Ps. 76,2
  406. Ps. 76,2
  407. Id. 53,8
  408. Ps. 17,42
  409. Id. 13,5
  410. Id.
  411. Job. 1,21
  412. Ps. 76,3
  413. Job. 7,1
  414. Jn. 20,27-29
  415. 2 Pi. 1,19
  416. Id. 5,19
  417. Rom. 13,12
  418. Job. 7,1
  419. Mt. 22,30
  420. Id. 6,1-2.4
  421. Ps. 76,3
  422. Id. 118,53
  423. Ps. 68,21
  424. Ps. 76,5
  425. Eph. 6,12
  426. Jn. 1,10
  427. Ps. 76,6
  428. Ps. 101,28
  429. Id. 76,7
  430. Ps. 76,8
  431. Isa. 57,16-17
  432. Ps. 76,9-10
  433. Isa. 57,18
  434. Ps. 76,11
  435. Ps. 77,12
  436. Id. 13
  437. Id. 14
  438. Jn. 14,16
  439. Isa. 46,8
  440. Ps. 4,3-4
  441. Id. 113,5-7
  442. Id. 95,5
  443. Id. 76,15
  444. 1 Cor. 1,23-24
  445. Ps. 76,16
  446. Id. 53,1
  447. Gen. 37,28
  448. Ps. 71,11
  449. Eph. 2,14
  450. Id. 72,11
  451. Apoc. 17,15
  452. Ps. 76,18
  453. Isa. 5,6
  454. Ps. 76,19
  455. Ps. 18,5
  456. Ps. 76,20
  457. Mt. 14,25
  458. Ps. 66,2-3
  459. Ps. 76,21
  460. Gen. 32,31
  461. Ps. 77,8
  462. Id. I
  463. Ps. 77,2
  464. Id. 1
  465. Isa. 1,3
  466. 1 Cor. 10,1-5
  467. Mt. 28,19
  468. Prov. 22,17
  469. Ps. 105,47
  470. Jn. 10,16
  471. Mt. 15,21
  472. Id. 25,92
  473. 1 Cor. 10,5-11
  474. Ps. 77,2
  475. Gen. 3,19
  476. Ps. 77,1
  477. 2 Cor. 13,3
  478. Lc. 7,8
  479. Ps. 44,11
  480. Id. 77,4
  481. Id. 5
  482. Id. 110,10
  483. Rom. 10,4
  484. Id. 5,5
  485. Jn. 4,18
  486. Rom. 3,21
  487. Exod. 40,2
  488. 2 Cor. 3,13-16
  489. Id. 1,20
  490. Gen. 25,25 ; 32,38
  491. Rom. 7,8-9.33
  492. 1 Tim. 1,9
  493. Ps. 117,22
  494. Rom. 10,3
  495. Ps. 77,5-8
  496. Col. 3,1
  497. Ps. 36,5
  498. Phil. 2,13
  499. Rom. 4,5
  500. Jn. 15,5
  501. 1 Cor. 6,17
  502. Ps. 77,9
  503. Rom. 9,31
  504. Id. 1,17
  505. Gal. 5,6
  506. Phil. 2,13
  507. Gen. 48,14
  508. Mt. 20,16
  509. Jn. 1,27
  510. Gen. 4,4-5
  511. Id. 21,12
  512. Id. 25,23
  513. Id. 28,27-29
  514. 1 Sa. 15,12
  515. Gen. 4,8
  516. Ps. 77,10
  517. Exod. 19,8
  518. 1 Cor. 10,13
  519. Id. 1,31
  520. Sir. 2,15
  521. Héb. 4,2
  522. Act. 8,21
  523. Rom. 5,5
  524. Eph. 2,8-10
  525. Ps. 77,11-12
  526. Lc. 20,38
  527. Nb. 11,16-17
  528. 1 Cor. 4,14
  529. Mt. 23,9
  530. Ps. 77,13
  531. Id. 14
  532. Id. 118,133
  533. Id. 118,133
  534. Ps. 77,15-16
  535. 1 Cor. 10,4
  536. Jn. 7,37-39
  537. Ps. 77,17
  538. Jn. 16,9
  539. Ps. 16,2
  540. Ps. 77, 18-20
  541. Jac. 1,5-6
  542. Ps. 77,21
  543. Le verset 25 est expliqué dans le discours sur le Ps. 33, serm. 1, n. 6
  544. Ps. 77,23-31
  545. Jn. 1,14
  546. Jn. 3,12
  547. 1 Cor. 3,1
  548. 2 Cor. 12,4
  549. Soph. 2,11
  550. Ps. 72,7
  551. Psa. 77,32-33
  552. Id. 101,28
  553. Id. 77, 34-35
  554. Id. 36,37
  555. Psa. 26,4
  556. Exo. 16,3
  557. Psa. 16,15
  558. Mat. 20,16
  559. Psa. 77,38-39
  560. Mt. 5,4
  561. Exod. 32,10
  562. Gen. 4,15
  563. Ps. 100,1
  564. Ps. 77,51-54
  565. Rom. 11,5,1 ; Phil. 3,5
  566. Phil. 15,4-5
  567. Lc. 15,5
  568. Id. 29,10
  569. Id. 15,18-21
  570. Prov. 2,19
  571. Ps. 77,40-41
  572. Ps. 77,45-51
  573. Ps. 71,8
  574. Exod. 9,25
  575. Id. 10,1-15
  576. Gal. 6,3
  577. Sermon sur les dix plaies et les dix préceptes, tome V
  578. Exod. 8,17 ; 9,10 ; 10,22
  579. 1 R. 12,22
  580. Job. 1,16-21
  581. Eph. 2,2
  582. Exod. 7,10-22 ; 8,6-7.17-18
  583. Gen. 18 et 19
  584. Exod. 4,21
  585. Eph. 2,2
  586. Isa. 64,5-6
  587. Ps. 104,25
  588. Rom. 1,24
  589. 2 Cor. 2,16
  590. Col. 1,13
  591. Ps. 77,52-53
  592. Col. 3,3
  593. Rom. 8,24-31
  594. Ps. 77,54
  595. Isa. 53,1­
  596. 1 Cor. 12,11
  597. Ps. 77,55
  598. Id. 56,57
  599. Exod. 19,8
  600. Ps. 77,58
  601. Exod. 20,3
  602. Ps. 77,59
  603. 1 Sa. 4,10-11
  604. Ps. 77,60
  605. Id. 61
  606. Jer. 7,12
  607. Ps. 77,62-63
  608. Id. 64
  609. 1 Sa. 4,19-20
  610. Ps. 41,11
  611. Id. 77,65
  612. Id. 8
  613. 1 Sa. 5,6
  614. Phil. 3,8
  615. Isa. 40,6-7
  616. Ps. 77,67-68
  617. Gen. 49,1-7
  618. Exod. 2,1
  619. 1 Sa. 9,1-2
  620. Id. 16,1-13
  621. Gen. 41,40
  622. Id. 48,19
  623. Ps. 77,69
  624. Id. 26,4
  625. 1 Pi. 2,9
  626. Ps. 77,70
  627. Mt. 20,30-34
  628. 2 Tim. 2,8-9
  629. Ps. 77,71
  630. Gal. 1,22-24
  631. Cant. 4,2
  632. Act. 2,45 ; 4,34
  633. Id. 2,38
  634. Gen. 21,12
  635. Rom. 9,8
  636. Gal. 3,29
  637. Gen. 32,28
  638. Ps. 77,72
  639. Ps. 118,34
  640. Ps. 78,1
  641. Id. 68,22
  642. Ps. 78,1-3
  643. Mt. 15,24
  644. Rom. 9,8
  645. Mt. 2,16
  646. Lc. 1,5
  647. Id. 2,25-36
  648. Jn. 1,47
  649. Id. 19,38 ; Lc. 22,51
  650. Mt. 21,9
  651. Ps. 8,3
  652. Act. 2,41 ; 4,4
  653. Id. 4,32
  654. Id. 7,58
  655. Gal. 1,22
  656. Gen. 49,27
  657. 1 Cor. 15,9
  658. Rom. 11,1-2
  659. Ps. 93,14
  660. Rom. 10,21 ; Isa. 65,2
  661. Rom. 11,1-7
  662. 2 R. 24,14
  663. 2 Mac. 7
  664. Discours sur le Ps. 77, n. 3
  665. Id. 117,22
  666. Eph. 2,11-16
  667. Rom. 8,15 ; Gal. 4,6
  668. Mt. 15,24
  669. Jn. 10,16
  670. Rom. 10,15
  671. Ps. 18,5
  672. Rom. 15,8-10
  673. Ps. 115,6
  674. Isa. 26,13
  675. selon les LXX
  676. 1 Pi. 2,5
  677. 1 Cor. 3,17
  678. Ps. 50,4-12
  679. Gal. 4,26 ; Isa. 54,1
  680. Ps. 78,2
  681. Mt. 10,30
  682. Ps. 78,3
  683. Isa. 54,1
  684. Id. 5
  685. Ps. 78,4
  686. Id. 115,15
  687. Ps. 78,5
  688. Id. 79,6
  689. Les Manichéens
  690. Sag. 12,18
  691. 2 Mac. 7,1 ss
  692. Dan. 3,21
  693. Ps. 117,18
  694. Héb. 12,6-7
  695. Ps. 78,6
  696. Id. 44,4-5
  697. Luc. 12,48.47
  698. Ps. 78,12
  699. Id. 7
  700. Gen. 25,23
  701. Ps. 77,45
  702. Id. 78,8
  703. Jac. 2,13
  704. Ps. 78,9
  705. 1 Cor. 1,31
  706. Ps. 113,2
  707. Jn. 3,4
  708. Ps. 129,3
  709. Id. 78,10
  710. Id. 44,4
  711. Id. 111,10
  712. Apoc. 6,9-10
  713. Ps. 57,11
  714. Rom. 12,19 ; Deut. 32,35
  715. Lc. 18,3-5
  716. Apoc. 6,9
  717. Mt. 5,44
  718. 1 Pi. 3,9
  719. Rom. 12,17
  720. Mt. 5,45
  721. Rom. 12,20
  722. Rom. 12,21
  723. Ps. 78,11
  724. Phil. 1,23
  725. 1 Cor. 15,53
  726. 2 Cor. 5,4
  727. Eccl. 6,25
  728. Ps. 78,12
  729. Mc. 10,30
  730. 2 Cor. 6,10
  731. Ps. 78,13
  732. 1 Cor. 1,31
  733. Jn. 3,5
  734. Jn. 3,2
  735. Sir. 39,39
  736. Mt. 11,25
  737. Ps. 79,1
  738. Rom. 10,4
  739. Ps. 77,8
  740. Ps. 79,2
  741. Jn. 12,25
  742. Gen. 32,28 ; 41,40
  743. Mt. 21,40 ; Ps. 117,22
  744. Sag. 7
  745. Rom. 13,10
  746. Jn. 4,8
  747. Ps. 79,3
  748. Ps. 21,28
  749. Rom. 9,27
  750. Mt. 27,10
  751. Gen. 32,29
  752. Id. 25
  753. 2 Cor. 13,4
  754. Ps. 79,4
  755. Ps. 79,5
  756. Sir. 2,1
  757. Héb. 12,6
  758. Ps. 79,6
  759. 1 Cor. 10,13
  760. Ps. 79,7
  761. Act. 17,18
  762. Ps. 79,8-9
  763. Id. 10
  764. Jn. 14,6
  765. Ps. 79,11-12
  766. Nb. 34,5
  767. Ps. 61,8
  768. Jn. 4,22
  769. Act. 2,45 ; 15,35
  770. Rom. 11,18-21
  771. Ps. 79,13
  772. Id. 73,6
  773. Mt. 21,34-39
  774. Isa. 5,2.5-7
  775. Ps. 79,14
  776. Id. 95,12
  777. Id. 89,15-16
  778. Gen. 22,18
  779. 1 Cor. 3,11
  780. Ps. 79,17
  781. Mt. 16,26
  782. Mt. 10,28
  783. Sag. 10,11
  784. Mt. 25,34-41
  785. Lc. 13,8
  786. Id. 12,49
  787. Ps. 79,18-19
  788. Id. 72,8-9
  789. Rom. 11,25-26
  790. Col. 3,5
  791. Rom. 8,6
  792. Ps. 72,2
  793. Id. 79,20
  794. Mt. 6,6
  795. Id. 19,21
  796. Apoc. 22,11
  797. Gen. 2,2
  798. Id. 1,20
  799. Gen. 25,23
  800. Ps. 80,1
  801. Phil. 4,15
  802. 1 Cor. 9,11
  803. Ps. 80,4
  804. Isa. 58,1
  805. 2 Cor. 5,17
  806. Saint Augustin n’explique pas cette page du verset : « Au jour de vos grandes solennités ».
  807. Ps. 80,5
  808. Rom. 3,12
  809. Jn. 9,39
  810. Ps. 80,6
  811. Gen. 37,28 ; 41,37
  812. Isa. 54,1
  813. Exod. 14,22-31
  814. Gen. 1,20
  815. 1 Cor. 10,1-2
  816. Ps. 135,12
  817. Id. 130,7
  818. Mt. 11,28
  819. Jn. 8,34-36
  820. Mt. 14,20
  821. 1 Cor. 1,27
  822. Ps. 62,8
  823. Id.
  824. Exod. 14,22
  825. Rom. 10,10
  826. Apoc. 17,15
  827. Ps. 2,1-2
  828. Jug. 14,5-8
  829. Lc. 2,34
  830. Ps. 59,1
  831. Jn. 12,18-22
  832. Ps. 80,9
  833. Isa. 5,5
  834. Ps. 80,10
  835. Jn. 1,1-51
  836. Ps. 113,4-5
  837. Ps. 61,10
  838. Phil. 3,13-14
  839. Jug. 15,4
  840. 2 Cor. 2,15
  841. Cant. 2,15
  842. Mt. 21,23-27 ; Lc. 10,2 ss
  843. Mal. 4,2
  844. Sag. 5,6
  845. Mt. 5,45
  846. Jug. 15,4
  847. 2 Tim. 2,19-21
  848. Exod. 3,14
  849. Ps. 80,11
  850. Ps. 35,10
  851. Id. 80,12
  852. Rom. 3,19
  853. Ps. 71,13
  854. Rom. 1,24
  855. Ps. 80,14
  856. Id. 15
  857. Id. 16
  858. 2 Pi. 2,20-22
  859. Rom. 2,4-6
  860. 1 Cor. 3,10-15
  861. Isa. 66,24
  862. Gal. 5,21
  863. Rom. 1,4
  864. Mt. 25,32
  865. Mt. 25,34
  866. Id. 41
  867. Gal. 5,21
  868. 1 Cor. 7,30-31
  869. 1 Cor. 6,7
  870. Id. 3,11
  871. Phil. 1,23
  872. Sag. 1,11
  873. Mt. 21,30
  874. Ps. 80,17
  875. Jn. 13,26
  876. Exod. 17,6
  877. 1 Cor. 10,4