Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes LXXXI à XC

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Discours sur les psaumes : Psaumes LXXXI à XC
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

DISCOURS SUR LE PSAUME 81[modifier]

JUGEMENT DE DIEU CONTRE LA SYNAGOGUE.[modifier]

Dans ce psaume Asaph signifie la synagogue, dont les fils étaient les fils adoptifs de Dieu. C’est au milieu d’eux que Dieu a pris séance. Ce Dieu est le Fils envoyé aux brebis d’Israël, issu des patriarches comme ceux qu’il vient juger. Il a fait le discernement en permettant qu’une partie d’Israël tombât dans l’aveuglement, jusqu’après l’entrée des nations Dieu reproche aux uns d’avoir tué l’héritier de la vigile, aux autres, qui étaient en grand nombre, de ne l’avoir point défendu. Toutefois ni les uns, ni les autres n’ont vu en lui le Christ. De sa mort vient cet ébranlement de la terre à la parole des Apôtres, et qui fit mépriser la terre mur le ciel. Le Christ est venu combattre l’orgueil par ’humilité, et si nous n’embrassons cette humilité nous mourrons comme des hommes terrestres, nous tomberons comme les princes du monde. Levez-vous donc, Seigneur, et jugez la terre, afin d’en prendre possession.


1. « Psaume pour Asaph ». Ce titre que nous trouvons aussi, dans plusieurs autres psaumes, désigne ou bien le nom de celui qui l’a composé, ou du moins ce que figure ce même nom, en sorte que nous pouvons le rapporter à la synagogue, ainsi qu’on interprète le nom d’Asaph, d’autant plus que tel est le sens indiqué par le premier verset. C’est ainsi qu’il commence : « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux[1] ». Et par ces dieux n’allons pas comprendre les dieux des nations, comme les idoles, ou toute autre créature céleste ou terrestre qui ne serait point l’homme ; puisque peu après ce verset, le même psaume nous désigne plus clairement ceux que nous devons entendre par ces dieux dans l’assemblée desquels le Seigneur a pris séance : « Je l’ai dit », s’écrie le Prophète, « vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut, et néanmoins vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes[2] ». C’est donc dans la synagogue de ces fils du Très-Haut, dont le Très-Haut lui-même disait par la bouche du prophète Isaïe : « J’ai nourri des enfants, je les ai élevés, puis ils m’ont méprisé[3] », c’est là que Dieu s’est assis. Par « la synagogue » nous entendons le peuple juif, car c’est à eux qu’appartient ce nom de synagogue, bien qu’on le donne parfois à l’Église. Toutefois les Apôtres n’ont jamais donné le nom de synagogue, mais bien celui d’Église à notre assemblée ; soit qu’ils aient voulu distinguer l’une de l’autre, soit qu’il y ait réellement cette différence entre le rassemblement qu’on nomme synagogue et la convocation qui prend le nom d’Église, que l’on rassemble les animaux, d’où leur est venu ce nom de troupeau qui leur est propre, tandis que l’on convoque principalement des êtres doués de raison tels que les hommes. C’est pourquoi il est dit d’Asaph lui-même, dans un autre psaume : « Je suis devenu devant vous comme l’animal stupide, et je suis toujours avec vous[4] ». Et en effet, quoique soumis en apparence au seul Dieu véritable, il donnait néanmoins la préférence aux biens charnels, terrestres et temporels qu’il lui demandait comme les principales richesses. Nous voyons aussi que l’Écriture leur donne souvent le nom de fils, non plus dans le sens de cette grâce qui appartient au Nouveau Testament, mais bien dans la faveur de l’Ancien. C’était aussi une faveur de Dieu qui lui faisait choisir Abraham, pour le rendre père d’une si nombreuse postérité ; aimer Jacob, et haïr Esaü, avant qu’ils fussent nés ; délivrer son peuple de l’Égypte, pour l’introduire dans cette terre promise d’où il avait chassé les Gentils. S’il n’y avait point là une grâce, quand il s’agit de nous qui avons reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu[5], non pour acquérir un royaume temporel, mais le royaume des cieux, le même Évangile ne dirait pas un peu après, que nous avons reçu grâce pour grâce[6], c’est-à-dire les promesses du Nouveau Testament, au lieu des promesses de l’Ancien. Nous voyons évidemment, je pense, dans quelle synagogue a pris séance le Dieu des dieux.
2. Cherchons maintenant si c’est le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit, ou la sainte Trinité elle-même, qui s’est assis « dans la synagogue des dieux, qui a pris place pour les juger ». Chaque personne est Dieu en effet, et la Trinité n’est qu’un seul Dieu. C’est un point qu’il n’est pas facile d’éclaircir ; car, on ne peut le nier, ce n’est point d’une manière corporelle que Dieu est présent dans les créatures, mais d’une manière spirituelle qui convient à sa substance, manière tout à fait admirable, et que comprennent à peine quelques intelligences. C’est en ce sens que le même Prophète a dit ailleurs : « Si je monte aux cieux, vous y êtes ; si je descends aux enfers, vous voilà[7] ». Dieu donc se trouve dans l’assemblée des hommes d’une manière invisible, comme il remplit le ciel et la terre, ainsi qu’il le dit lui-même par son Prophète[8]. Cela est non seulement évident, mais l’esprit humain, nonobstant sa faiblesse, comprend que Dieu se trouve dans tout ce qu’il a créé, pourvu que l’homme se tienne ferme, et qu’il l’écoule, et qu’il tressaille de joie à sa voix intérieure[9]. Ce psaume toutefois, autant que j’en puis juger, semble préciser un fait qui, depuis un certain temps, a motivé la présence de Dieu dans la synagogue des dieux. Car cette présence dans le ciel et sur la terre, n’est point particulière à la synagogue, et ne change point avec le temps. Donc ce « Dieu qui s’est assis dans la synagogue des dieux », est bien celui qui a dit de lui-même « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui sont perdues[10] ». Le Prophète nous en dit la raison : c’est « pour juger les dieux, au milieu d’eux ». Je le reconnais donc ; Dieu s’est assis dans la synagogue des dieux, « issus des patriarches, et dont le Christ est né selon la chair ». Car il n’a pris parmi eux une naissance charnelle, qu’afin que Dieu se trouvât dans la synagogue des dieux. Mais quel est ce Dieu ? Car il n’est pas semblable aux dieux parmi lesquels il s’assied : aussi, comme l’a dit saint Paul, ce Dieu est-il « par-dessus toutes choses béni dans tous les siècles[11] ». Je reconnais, dis-je, que Dieu s’est assis, je reconnais au milieu, ce Dieu qui est l’Époux, et dont l’ami a dit : « Il en est un au milieu de vous, que vous ne connaissez point[12] ». Car « ils ne l’ont point connu », dit peu après notre psaume : « Ils ne l’ont point su, ils n’ont point l’intelligence, ils marchent dans les ténèbres ». À son tour l’Apôtre nous dit qu’« une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât[13] ». Ils le voyaient donc présent au milieu d’eux, mais ils ne voyaient pas en lui un Dieu tel qu’il voulait paraître, et qui disait : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père[14] ». Le discernement qu’il fait des dieux n’a point pour base leurs mérites, mais sa grâce ; car de la même masse d’argile il tire des vases destinés à la gloire, d’autres destinés à l’opprobre[15]. Quel est en effet celui qui te discerne ? Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu ? Si donc tu as reçu, pourquoi te glorifier, comme si tu n’avais point reçu[16] ?
3. Écoute encore la voix de ce Dieu qui fait le discernement, écoute la voix du Seigneur, qui divise la flamme du feu[17] : « Jusques à quand jugerez-vous injustement, et accueillerez-vous le visage des méchants[18] ? » C’est ainsi que le Prophète a dit ailleurs : « Jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis[19] ? » Jusqu’à l’avènement de Celui qui est la lumière du cœur. Je vous ai donné une loi, vous y avez opposé une obstination inflexible ; je vous ai envoyé des Prophètes, et vous les avez accablés d’outrages, ou mis à mort, ou applaudi à ceux qui le faisaient. Mais si des hommes qui ont fait mourir les envoyés de Dieu ne méritent pas qu’on leur adresse la parole, vous qui avez gardé le silence pendant ces cruautés, c’est-à-dire, vous qui avez voulu imiter, comme s’ils eussent été innocents, ceux qui se taisaient alors : « Jusques à quand jugerez-vous injustement, et prendrez-vous le visage des pécheurs ? » Voulez-vous aujourd’hui encore tuer l’héritier qui vient ? N’est ce point lui qui a voulu pour vous être sans père comme un orphelin ? N’est-ce point pour vous qu’il a enduré la faim et la soif comme un pauvre ? N’est-ce point lui qui vous a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[20] ? » N’est-ce point lui qui, étant riche, s’est fait pauvre pour l’amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté[21] ? « Rendez donc justice à l’orphelin et à l’indigent, prenez en main la cause de l’homme faible et du pauvre[22] ». Proclamez la justice, non point de ceux qui sont riches et orgueilleux pour eux-mêmes, mais de celui qui a daigné se faire humble et pauvre pour l’amour de vous.
4. Mais, hélas ! ils lui porteront envie, et loin de l’épargner, ils diront : « Voici l’héritier, tuons-le, et l’héritage sera pour nous[23] ». « Arrachez donc le pauvre à l’oppression, et délivrez l’indigent de la main du pécheur[24] ». Ainsi dit le Prophète, afin que dans ce peuple où est né le Christ et où il est mort, on sache qu’ils n’ont pas été innocents d’un si grand crime, ceux dont le nombre allait, selon le langage de l’Évangile, jusqu’à inspirer aux Juifs la crainte de n’oser mettre la main sur le Christ[25], et qui en vinrent ensuite à une telle connivence, qu’ils l’abandonnèrent à la criminelle jalousie des princes des Juifs, quand ils pouvaient, s’ils l’eussent voulu, se faire redouter et empêcher que l’on mit la main sur lui. C’est d’eux qu’il est dit ailleurs : « Ces chiens muets n’ont su aboyer[26] ». Et cette autre parole : « Ainsi périt le juste, et nul n’y fait attention[27] ». Il a péri, en effet, autant qu’il était au pouvoir de ceux qui voulaient sa perte comment eût-il pu périr en mourant, celui qui recherchait ainsi ce qui avait péri ? Or, si le Prophète adresse un reproche si sévère et si juste à ceux dont le silence a permis de commettre un tel crime : quels reproches, ou plutôt quels châtiments ne mériteront point ceux qui l’ont accompli par malice et de propos délibéré ?
5. Toutefois le verset suivant leur convient admirablement à tous : « Ils n’ont point su, ils n’ont point compris, ils marchent dans les ténèbres[28] ». Car si les uns l’eussent connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire[29], et si les autres l’eussent connu, ils n’auraient jamais consenti à demander la délivrance de Barabbas, et la mort du Christ. Mais comme nous l’avons dit, « une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât[30] ». C’est par l’aveuglement de ce peuple, qu’après la mort du Christ, « tous les fondements de la terre ont été ébranlés ». Ils ont donc été ébranlés et le seront encore, jusqu’à ce que soit entrée cette plénitude des nations, marquée dans la prédestination de Dieu. Car à la mort du Christ, la terre trembla, les pierres se fendirent[31]. Et si nous entendons par les fondements de la terre ceux qui jouissent ici-bas de grands biens, c’est avec raison que le Prophète prédit ici leur trouble, car ils ne verront qu’avec étonnement les hommes aimer et embrasser l’humilité, la pauvreté, la mort, qui leur paraissent une affreuse misère dans le Christ ; ou bien eux-mêmes, à leur tour, mépriseront les vaines félicités d’ici-bas, pour aimer et embrasser ce genre de vie, Ainsi s’ébranlent les fondements de la terre, quand les uns admirent ces changements, et que les autres les éprouvent en eux-mêmes. C’est ainsi que nous appelons avec quelque raison, fondements du ciel, les saints et les fidèles, qui entrent dans l’édifice du royaume des cieux, et que l’Écriture en nomme les pierres vivantes[32], et dont la base primitive est le Christ né d’une vierge, et dont l’Apôtre a dit : « Nul ne peut poser un autre fondement s que celui qui a été posé, et ce fondement c’est Jésus-Christ[33] ». Viennent ensuite les Apôtres, les Prophètes, dont l’autorité affermit le céleste édifice, afin qu’en marchant à leur suite, nous entrions dans cette même construction. Aussi l’Apôtre dit-il aux Ephésiens : « Déjà vous n’êtes plus des étrangers et des hôtes, mais vous êtes de la cité des saints, et de la maison de Dieu ; établis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, et dont Jésus-Christ lui-même est la principale pierre de l’angle. C’est sur lui que tout l’édifice construit s’élève en un temple consacré au Seigneur[34] ». C’est en ce sens que nous pouvons appeler fondements de la terre ceux dont les hommes envient sur la terre la puissance et le bonheur, et dont l’autorité les porte à désirer ces mêmes biens terrestres, et en les acquérant ils paraissent élever terre sur terre, comme l’édifice supérieur est ciel sur ciel. Aussi est-il dit au pécheur : « Tu es terre, et tu retourneras en terre[35] » ; et encore : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, quand leur voix se fait entendre dans tout le monde, et que leurs paroles gagnent les confins de la terre[36] ».
6. Or, le règne de la félicité ici-bas n’est qu’orgueil ; cet orgueil qu’est venu combattre l’humilité du Christ, en faisant ces reproches à ceux qu’il veut rendre par l’humilité enfants du Très-Haut : « J’ai dit : Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut. Et toutefois vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes[37] ». Soit qu’en disant : « Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut » ; il s’adresse à ceux qu’il a prédestinés à la vie éternelle ; et qu’il dise aux autres : « Pour vous, vous mourrez comme u des hommes, vous tomberez comme un des princes », faisant ainsi un discernement entre les dieux eux-mêmes ; soit qu’il leur adresse à tous un même reproche, afin de discerner ensuite ceux qui se corrigeront par l’obéissance ; « Pour moi », dirait-il, « je l’ai dit : Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut » : c’est-à-dire, je vous ai promis à tous le bonheur céleste : « Mais vous , à cause de la faiblesse de la chair », vous mourrez comme des hommes », et l’orgueil de votre cœur « vous fera non plus vous élever, mais bien tomber comme un des princes », c’est-à-dire comme le démon. Comme s’il disait : Telle est la brièveté de votre vie, que vous mourez avec la même rapidité que les autres hommes, et pourtant cela ne vous corrige point mais comme le diable, dont les jours sont nombreux en ce siècle, puisqu’il n’est point revêtu d’une chair mortelle, vous vous élevez de manière à tomber. C’est par l’orgueil du démon que les princes des Juifs se sont aveuglés jusqu’à être perfidement jaloux de la gloire du Christ ; tel est le vice qui a porté et qui porte encore à mépriser un Christ qui s’abaisse jusqu’à la mort de la croix, des hommes qui aiment l’éclat du monde.
7. C’est donc pour guérir cette plaie que le Prophète a dit en son propre nom : « Levez-vous, ô Dieu, et jugez la terre[38] ». La terre s’est enflée d’orgueil quand on vous a crucifié : levez-vous d’entre les morts, et jugez la terre. « Car vous exterminerez dans toutes les nations » ; et que devez-vous exterminer, sinon la terre ? c’est-à-dire ceux qui ont des goûts terrestres, soit que vous détruisiez, dans les fidèles, tout orgueil et toute affection pour la terre, soit que vous sépariez d’eux les fidèles, comme une terre qu’il faut oublier et fouler aux pieds. C’est ainsi que Dieu juge la terre, et la détruit parmi les peuples, au moyen de ses membres dont la conversation est dans le ciel. N’oublions pas de le remarquer, dans plusieurs exemplaires : « Parce que toutes les nations seront votre héritage », ce qui peut très bien s’adapter avec notre sens, et rien n’empêche d’accepter l’un et l’autre. Car on entre dans son héritage par la charité que Dieu cultive, dans sa miséricorde, par sa grâce et ses préceptes, afin de détruire toute affection mondaine.

DISCOURS SUR LE PSAUME 82[modifier]

CHANT DE L’ ÉGLISE POUR LE JUGEMENT.[modifier]

Asaph signifie synagogue : alors le peuple de Dieu qui chante sa victoire sur ses ennemis, serait l’allégorie du peuple chrétien qui triomphera au dernier jugement, et qui dit au Christ Qui sera semblable à vous, vous que les hommes ont méconnu au point de vous juger, lorsque vous viendrez les juger dans votre gloire ? Les ennemis de Dieu seront tumultueux et auront pour chef le démon, que le Christ tuera du souffle de sa bouche ; ainsi s’évanouiront leurs complots, leur désir de détruire le peuple de Dieu. En vain sera-t-il leur chef, ils périront comme les princes de Chanaan. Loin d’assujettir le peuple du Seigneur, il leur faudra se soumettre à la vérité, et devenir comme la paille que le vent emporte, comme une forêt incendiée, use montagne embrasée. Et toutefois leur confusion deviendra salutaire, car plusieurs se convertiront.


1. Voici le titre du psaume : « Chant du psaume pour Asaph[39] ». Or, nous l’avons dit souvent, Asaph signifie assemblée. Donc cet homme qui portait le nom d’Asaph était dans le titre de plusieurs psaumes la figure du peuple de Dieu. Mais en grec, une assemblée s’appelle synagogue, nom qu’a retenu d’une manière particulière le peuple juif, au point de s’appeler la synagogue, comme le peuple chrétien s’appelle plus communément l’Église, qui est aussi une assemblée.
2.. C’est donc le peuple de Dieu, qui s’écrie dans ce psaume : « O Dieu, qui sera semblable à vous[40] ? » Parole que l’on ne peut mieux entendre selon moi que du Christ, car s’étant rendu semblable aux autres hommes, il a été regardé comme nu homme ordinaire par ceux qui l’ont méprisé[41]. Mais alors il venait pour être mis en jugement ; au contraire, quand il viendra pour juger, alors s’accomplira cette parole : « O Dieu, qui est semblable à vous ? » Si le langage des psaumes ne s’adressait pas souvent au Christ Notre-Seigneur, nous n’y trouverions pas cette parole, que nul fidèle n’a hésite à lui appliquer : « Votre trône, ô Dieu, est dans les siècles des siècles, le sceptre de l’équité est le sceptre de votre empire : vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; aussi votre Dieu vous a-t-il oint, ô Dieu, d’une huile de joie, plus que tous ceux qui doivent la partager[42] ». C’est à ce même Christ qu’il est dit maintenant : « O Dieu, qui sera semblable à vous ? » Vous avez voulu, dans votre humilité, devenir semblable à beaucoup d’autres, et même aux voleurs crucifiés avec vous[43] ; mais quand vous viendrez dans votre splendeur, « qui sera semblable à vous ? » Qu’y aurait-il d’extraordinaire à dire à Dieu : « Qui sera semblable à vous ? » si cette parole ne s’adressait à ce Dieu qui a voulu devenir semblable aux hommes, qui a pris la forme de l’esclave, s’est rendu semblable aux autres hommes, et a été reconnu pour un homme dans ce qui a paru de lui[44]. Aussi le Prophète ne dit-il point : Qui est semblable à vous ? comme il devrait le dire si son langage s’adressait à la divinité. Mais comme ce langage s’adresse à la forme de l’esclave, ce Christ n’apparaîtra différent des autres hommes que quand il viendra dans sa gloire. C’est pourquoi le Prophète ajoute : « Ne vous taisez point, ne demeurez point dans l’inaction ». D’abord il s’est tu quand il a été jugé ; quand, semblable à l’agneau devant celui qui le tond, il a été sans voix, il n’a pas ouvert la bouche[45], et a fait taire sa puissance. Et pour montrer qu’il faisait taire cette puissance, avec ce seul mot : « C’est moi[46] », il fit reculer et tomber à terre ceux qui le cherchaient pour le saisir. Comment donc pourrait-on le saisir et le mettre à mort, s’il ne se comprimait, et pour ainsi dire, ne s’adoucissait lui-même ? Quelques-uns, en effet, ont traduit cette parole : « Ne restez point dans l’inaction », comme s’il y avait : « Ne vous adoucissez point, ô Dieu ! » Lui-même dit ailleurs : « Je me suis tu, me tairai-je toujours ?[47] » Et le Prophète qui lui dit : « Ne gardez point le silence », dit ailleurs, en parlant de lui : « Dieu, notre Dieu, viendra dans sa gloire, et ne se taira point[48] ». Il est dit ici : « Ne gardez point le silence ». Car il l’a gardé quand il est venu sans être connu, et pour être jugé ; mais il ne le gardera point quand il viendra dans sa gloire pour juger le monde.
3. « Car voici que vos ennemis s’assembleront en tumulte, et ceux qui vous haïssent ont levé la tête[49] ». Le Prophète me paraît faire ici allusion aux derniers temps, alors que s’échappera librement ce que la crainte retient dans les cœurs, et s’échappera dans une telle confusion que ce sera plutôt un bruit qu’une parole ou un discours. Ce ne sera point alors qu’ils commenceront à haïr, mais après vous avoir haï, ils lèveront la tête. Non point leurs têtes, mais « la tête », parce qu’ils en viendront à n’avoir d’autre chef que celui qui s’élève contre tout ce que l’on appelle Dieu, ce que l’on adore comme Dieu ; en sorte que s’accomplit principalement en lui cette parole : « Quiconque s’élève sera humilié[50] », alors que ce Dieu « qui ne doit ni se taire ni s’adoucir » le tuera du souffle de sa bouche, et le détruira par l’éclat de sa présence[51].
4. « Ils ont formé des desseins méchants », ou, comme portent certains exemplaires, « des complots pleins d’artifice contre votre peuple, et ont conspiré contre vos saints[52] ». Ceci est une ironie ; comment pourrait-on nuire au peuple de Dieu, à sa famille, à des saints qui savent dire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous[53] ? »
5. « Ils ont dit : Venez, exterminons-les du milieu du peuple[54] ». Le singulier est mis ici pour le pluriel ; comme on dit : À qui est ce bétail, même en parlant d’un troupeau, et l’on comprend par là tous les bestiaux. Dans quelques exemplaires, il y a « des nations », parce que les traducteurs ont plutôt suivi le sens que l’expression. « Venez, exterminons-les du milieu du peuple ». C’est là le son dont parlait le Prophète, et qui est plutôt un bruit confus qu’une parole ; vain bruit, vaines imprécations ! « Et qu’à l’avenir « on ne se rappelle plus le nom d’Israël ». D’autres ont dit plus clairement : « Qu’il ne soit plus fait mention d’Israël à l’avenir ». Car, memoretur nominis, se rappeler du nom, est une locution vicieuse et inusitée ; il est mieux de dire, se rappeler le nom, mais le sens est le même. Celui qui a traduit : Memoretur nominis, a suivi l’expression grecque. « Israël » s’entend ici de toute la race d’Abraham, à qui l’Apôtre a dit : « Vous êtes la postérité d’Abraham, les héritiers selon la promesse[55] ». Ce n’est donc point l’Israélite charnel, dont le même Apôtre a dit : « Voyez Israël selon la chair[56] ».
6. « Ils ont formé une ligue, ils ont fait contre vous un testament[57] », comme s’ils pouvaient l’emporter. Par testament, l’Écriture n’entend pas seulement cet acte qui n’a de valeur qu’à la mort du testateur ; mais elle donne ce nom à toute convention, à tout accord. Laban et Jacob avaient fait un testament[58], et pourtant cette convention ne devait durer que pendant leur vie ; on trouve une infinité de ces expressions dans les pages révélées.
7. Le Prophète marque ensuite les ennemis du Christ sous quelques noms des Gentils ; et le sens de ces noms nous marque assez ce qu’il veut nous faire entendre, car ces noms s’appliquent parfaitement aux ennemis de la vérité. Les Iduméens signifient des hommes sanguinaires ou terrestres ; les Ismaélites obéissent à eux-mêmes, non pas à Dieu, mais à eux. Moab, ou de sou père, ce que nous ne pouvons mieux comprendre qu’en nous rappelant l’histoire de cette fille de Loth, qui usa criminellement de son père, et en conçut un fils, que cette union incestueuse fit appeler Moab[59]. Un père est bon, mais comme la loi, si l’on en use d’une manière légitime, et non d’une manière criminelle et incestueuse[60]. Les Agaréniens signifient les prosélytes, ou les étrangers ; entre les ennemis du peuple de Dieu, ce nom s’appliquerait, non plus à ceux qui en deviennent les citoyens, mais bien à ceux qui conservent chez lui un sentiment étranger et venu d’ailleurs, et qui se montrent dès qu’ils trouvent l’occasion de nuire. Gebal signifie une vallée vaine, une fausse humilité. Ammon, un peuple troublé, un peuple d’affliction. Amalech un peuple qui lèche, de là vient cette expression : « Ses ennemis lécheront la terre[61] ». Les étrangers, bien que ce nom seul indique un peuple hétérogène et par conséquent ennemi, se disent en hébreu des Philistins, et signifient des hommes qui tombent de boisson, comme ceux qu’enivrent les plaisirs du monde. Tyr s’appelle Sor en hébreu, ce qui signifie angoisse ou tribulation, ce qu’il faut entendre dans le sens dont l’Apôtre a dit des ennemis de Dieu : « Angoisse et tribulation contre tout homme qui fait le mal[62] ». Tous les ennemis sont donc marqués dans ce verset du psaume : « Les Iduméens sous leurs tentes et les Israélites, Moab et les Agaréniens, Gésbol, Ammon et Amalech, et les étrangers et les habitants de Tyr[63] ».
8. Et comme pour nous expliquer ce qui rend ces peuples ennemis du peuple de Dieu, le Prophète ajoute : « Car Assur est venu avec eux[64] ». Or, Assur peut s’entendre au figuré du diable qui agit sur les enfants de la rébellion[65], comme sur ses instruments, afin d’attaquer le peuple de Dieu. « Ils sont venus au secours des enfants de Loth », dit le Prophète, parce que tous ces ennemis, excités par le démon, qui est leur prince, « ont prêté leur secours aux fils de Loth », qui signifie celui qui se détourne. Or, les anges apostats peuvent bien se nommer les fils de celui qui se détourne, puisqu’ils se sont détournés de la vérité pour devenir les satellites du démon. C’est d’eux que l’Apôtre a dit : « Nous avons combattre, non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs[66] ». C’est à ces esprits invisibles que viennent en aide les hommes infidèles, dont ils se servent pour combattre lu peuple de Dieu.
9. Voyons maintenant les imprécations du Prophète, qui sont des prédilections plutôt que des malédictions. « Traitez-les », dit-il « comme Madian et Sisara, comme Jabin au torrent de Cison[67]. Ils ont péri à Endor, ils sont devenus comme le fumier de la terre. L’histoire en est témoin, le peuple d’Israël, qui était alors le peuple de Dieu, vainquit et réduisit tous ces peuples[68], et ceux que le Prophète énumère ensuite : « Traitez leurs princes comme Oreb et Zeb, et Zébée et Salmana[69] ». Or, voici l’interprétation de ces noms. Madian signifie, qui décline le jugement ; Sisara, l’exclusion de la joie ; Jabin, Sage. Mais parmi ces ennemis que dompta le peuple de Dieu, ou doit entendre par sage, celui dont l’Apôtre a dit : « Où est le sage, où est le scribe, où est le savant du siècle[70] ? » Oreb, la sécheresse, Zeb, le loup ; Zébée, la victime, mais du loup, car il a aussi ses victimes Salmana, l’ombre de la commotion. Tous ces noms conviennent admirablement aux méchants, que le peuple de Dieu doit vaincre par le bien. Cison est le torrent qui vit leur défaite, et qui désigne leur dureté ; Endor, où ils périrent, est la fontaine de la génération, mais de cette génération charnelle, à laquelle ils s’adonnaient pour leur perte, tandis qu’ils négligeaient la régénération qui conduit à cette vie dans laquelle on ne connaît ni Époux ni Épouse, car on n’est plus assujetti à la mort[71]. C’est donc avec raison que le Psalmiste a dit de ces hommes, qu’« ils sont devenus commue le fumier de la terre », puisqu’ils n’ont pu produire qu’une fécondité terrestre. Ces peuples donc vaincus par le peuple de Dieu, figuraient ces ennemis dont le Prophète invoque la soumission à la vérité.
10. Tous ces princes ont dit : Le sanctuaire « de Dieu deviendra notre héritage[72] ». Vaines clameurs, qu’ils « ont fait retentir vos ennemis », comme l’a dit le Prophète ; mais que faut-il entendre par ce sanctuaire de Dieu, sinon ce même temple, dont l’Apôtre a dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[73] ? » Que veulent en effet les ennemis de Dieu, sinon assujettir son peuple, le subjuguer, l’assouplir à leurs volontés impies ?
11. Que dit ensuite le Prophète ? « Mon Dieu, faites qu’ils soient comme une roue[74] » ; ce que l’on peut très bien entendre ainsi : qu’ils ne soient point stables dans leurs desseins toutefois, il me semble que ces paroles : « Faites qu’ils soient comme une roue », peuvent avoir ce sens, qu’une roue élève sa partie postérieure, et abaisse sa partie antérieure. Tel est le sort des ennemis du peuple de Dieu. Le Psalmiste ne fait pas un souhait, mais une prophétie. Il ajoute même : « Comme la paille en face du vent ». Il entend par la face, la présence. Quelle face peut avoir le vent, qui n’a aucune trace corporelle, et qui n’est qu’un mouvement, ou une secousse de l’air ? Il s’entend ici de la tentation qui emporte les cœurs vains et légers.
12. Or, cette légèreté qui nous porte à consentir au mal, est suivie d’un effroyable tourment ; de là cette parole : « Comme le feu qui embrase une vaste forêt, comme la flamme qui dévore les montagnes, vous les poursuivrez dans votre colère tempétueuse, vous les dissiperez dans votre fureur[75] ». La forêt marque ici la stérilité, les montagnes l’orgueil : déplorable image des ennemis de Dieu, stériles en justice, riches en orgueil. Ces mots de feu et de flamme sont une répétition l’un de l’autre, et désignent en Dieu le jugement et le châtiment. Dans cette expression « votre fureur » est une répétition de « votre colère tempétueuse », et « vous les dissiperez » une répétition de « vous les poursuivrez ». Souvenons-nous toutefois que la colère de Dieu est sans aucune espèce de trouble. On appelle colère en lui, ses justes motifs de vengeance : de même que l’on pourrait appeler colère de la loi la vengeance qu’elle impose à ses ministres contre les coupables.
13. « Couvrez leur face d’ignominie, Seigneur, et ils rechercheront votre nom[76] ». C’est là le bien le plus désirable qui leur est annoncé : et le Prophète ne l’annoncerait point, s’il n’y avait parmi les ennemis du peuple de Dieu des hommes auxquels ce bonheur dût être accordé avant le jugement dernier ; car ils sont ses ennemis, et les ennemis de Dieu ne sont associés que par leur jalousie contre te peuple de Dieu. Et aujourd’hui, ils lèvent la tête et font du bruit partout où ils peuvent ; mais en quelques endroits seulement, et non d’une manière universelle, comme à la fin des siècles aux approches du jugement. Toutefois ils forment un même corps, et avec ceux qui doivent croire et les quitter pour passer au corps de l’Église, « heureusement pour ceux-ci que leur visage aura été couvert d’ignominie, puisqu’ils chercheront le nom du Seigneur) ; et avec ceux qui doivent persévérer dans leur malice, qui seront comme la paille au souffle du vent, ou comme des forêts et comme ces montagnes stériles qui deviendront la proie des flammes. C’est à eux qu’il revient une seconde fois, en disant : « Qu’ils soient dans la confusion et dans le trouble jusqu’à la fin des siècles[77] ». Car ceux qui cherchent le nom du Seigneur ne seront point troublés durant les siècles des siècles : mais envisageant l’ignominie de leurs péchés, ils en seront troublés au point de chercher le nom du Seigneur, qui les tirera du trouble.
14. Le Prophète revient à ces hommes qui font partie de la société des méchants, et qui doivent passer par la confusion afin de n’être point confondus éternellement ; qui seront détruits comme méchants, afin d’être trouvés bons dans l’éternité ; Car après avoir dit de ces hommes : « Qu’ils soient confondus, et qu’ils périssent » ; le Prophète ajoute « Et qu’ils sachent enfin que votre nom est le Seigneur, que vous seul êtes le Très-Haut dans toute la terre[78] ». Qu’ils le sachent, et qu’ils soient couverts de confusion, de manière à vous être agréables : qu’ils périssent de manière à subsister encore. « Qu’ils sachent que le Seigneur est votre nom » ; comme si tous les autres qui portent le nom de Seigneur, usurpaient un nom qui ne leur appartient point, parce qu’ils dominent en esclaves, et que auprès du véritable Seigneur, ils ne sont réellement point des seigneurs, dans le sens qu’il est dit : « Je suis celui qui suis[79] » ; comme si tout ce qui est créé n’était rien, si on le compare au Créateur. Et si le Prophète ajoute : « Vous êtes le seul Très-Haut dans toute la terre », ou, comme d’autres ont traduit, « sur toute la terre » : assurément Dieu l’est encore dans le ciel, ou sur tous les cieux, mais il a mieux aimé parler de la terre, afin d’abaisser notre orgueil : Car la terre, ou plutôt l’homme n’a plus d’orgueil, quand on lui dit : « Tu es terre[80] », et : « Pourquoi t’élever, terre et cendre[81] ? » et qu’il connaît que le Seigneur est le Très-Haut dans toute la terre, c’est-à-dire que les pensées d’aucun homme ne peuvent prévaloir contre ceux qui sont appelés par le décret de Dieu, et dont il est dit : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous[82] ? »

DISCOURS SUR LE PSAUME 83[modifier]

ENCORE LES PRESSOIRS DE L’ÉGLISE.[modifier]

Ces pressoirs désignent la vie d’affliction. L’olive et le raisin sont en paix sur l’arbre ; ainsi l’homme avant d’entrer au service de Dieu. Mais dès que nous y entrons, il faut nous dépouiller du vieil homme, comme le raisin du marc. Les fils de Coré sont les fils du Calvaire ou les chrétiens. Dieu donc nous met sous le pressoir afin de nous forcer k porter nos désirs au ciel. Se détacher des richesses de cette vie, c’est être pauvre ; on est, riche et condamnable quand on les désire, même sans les posséder. Au désir du vrai pauvre Dieu se donnera lui-même. Mais alors au lieu de regarder en arrière, jetons-nous en avant : nous serions plus coupables de chercher notre joie dans cette vie passée ; dans le vieil homme dont nous avons dû nous dépouiller. C’est donc l’Église qui aspire aux demeures célestes, qui n’a ici-bas d’autre joie que dans l’espérance. Son cœur et sa chair tressaillent, celui-là par de saints désirs, celle-ci par les œuvres extérieures. C’est la tourterelle qui cherche un nid, et ce nid est l’Église qui a la vraie foi, et qui nous sauve par nos œuvres. Le Prophète nous porte par les aspirations dans la maison du Seigneur, où nous posséderons Dieu lui-même, ne faisant rien par contrainte, mais bénissant Dieu par amour. C’est là que doit nous conduire la grâce, et plus vif sera notre désir, plus haute sera notre ascension, dont les degrés sont dans notre cœur. La loi montrait le péché sans le guérir, l’eau de la piscine ne guérissait qu’un seul malade quand elle se troublait ; ce trouble est l’image de la passion qui nous a guéris par la grâce, et le grâce nous conduira des vertus de cette vie à la vérité unique ou à Dieu, que nous verrons et vers qui nous élèvera l’humilité.


1. Le titre du psaume est « Pour les pressoirs[83] ». Et néanmoins, autant que votre charité a pu le remarquer avec nous, car je vous voyais écouter avec la plus vive attention, il n’est question dans le texte, ni de presse, ni de corbeille, ni de cuve, ni des instruments, ni même de la construction d’un pressoir ; nous n’y avons rien vu de tout cela. Aussi n’est-il point aisé de voir ce que signifie ce titre : « Pour les pressoirs ». Mais assurément, si après un titre semblable, il était question de tout ce que nous venons d’énumérer, les hommes charnels s’imagineraient qu’il s’agit de pressoirs visibles : or, comme après ce titre : « Pour les pressoirs », il n’est plus question dans aucun verset de tout ce que nos yeux découvrent dans un pressoir, il n’est plus douteux que l’Esprit de Dieu ne nous invite à chercher et à comprendre d’autres pressoirs. Rappelons donc à notre mémoire ce qui se fait visiblement dans les pressoirs, afin d’en voir la réalisation dans l’Église d’une manière spirituelle. La grappe de raisin pend à la vigne, et l’olive à l’olivier, car c’est à ces deux fruits qu’est réservé le pressoir et pendant que ces fruits sont à l’arbre, ils jouissent d’un certain air libre ; et avant le pressoir le raisin n’est pas du vin, l’olive n’est pas de l’huile. Ainsi en est-il des hommes, que Dieu avant tous les siècles a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils unique[84], de cette grappe d’une admirable beauté foulée sous le pressoir de la passion. Ces hommes donc, avant d’entrer au service de Dieu, jouissent en cette vie comme d’une délicieuse liberté, ainsi que les raisins ou les olives suspendus aux branches. Mais comme il est dit. « Mon fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte ; et préparez votre âme à la tentation[85] » : tout homme qui se consacre au service de Dieu doit savoir qu’il arrive au dressoir ; il sera foulé, pressé, broyé ; non pour périr en cette vie, mais pour couler dans les urnes du Seigneur. Il est dépouillé de ces enveloppes des charnelles convoitises, comme le vin est séparé du marc : alors s’accomplit en lui à l’égard des terrestres désirs cette recommandation de l’Apôtre : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau[86] ». Mais cela ne s’accomplit totalement que dans le pressoir. Aussi donne-t-on le nom de pressoir à l’Église de Dieu sur la terre.
2. Mais qui sommes-nous dans ces pressoirs ? Les fils de Coré. Car le Prophète ajoute : « Pour les pressoirs, aux fils de Coré ». Les fils de Coré se traduisent par les fils du chauve, autant que peuvent nous le dire ceux qui sont habiles dans cette langue, et qui ont voulu consacrer à Dieu leur ministère qui d’ailleurs lui était dû : et je ne veux point échapper à la tâche de chercher avec vous et, avec le secours de Dieu, de trouver ici un grand mystère. Gardons-nous de railler tout homme chauve, avec les fils de pestilence ; de peur qu’en raillant un certain chauve offert à notre respect, nous ne devenions la proie du démon. Elisée voyageait, et des enfants imprudents crièrent derrière lui : « Chauve, chauve » : et lui, pour nous donner un symbole de l’avenir, se tourna vers le Seigneur, et demanda que des ours sortissent de la forêt voisine pour les dévorer[87]. Tout jeunes qu’ils étaient, ils perdirent la vie du temps ; ils moururent dans l’enfance, eux qui seraient morts dans la vieillesse ; et leur trépas devint pour les hommes un symbole effrayant. Car alors Elisée figurait celui dont nous sommes les enfants, nous, fils de Coré, ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Votre charité doit voir dans l’Évangile pourquoi un homme chauve figurait le Christ, et se rappeler qu’il fut crucifié au Calvaire[88]. Soit donc que cette expression « aux fils de Coré », ait cette signification que nous lui avons donnée d’après les anciens ; soit qu’elle en ait une autre qui nous échappe : voyez au moins dans ce qui se présente maintenant un rapport plein de mystères. Les fils de Coré sont les fils du Christ. Car l’Époux nous appelle ses enfants, quand il dit : « Les fils de l’Époux ne peuvent jeûner, quand l’Époux est avec eux[89] ». Ces pressoirs donc, sont les pressoirs des chrétiens.
3. Or, Dieu nous met sous le pressoir et nous foule, afin que cet amour qui nous porte vers les biens du monde, biens terrestres, fugitifs et périssables, ait à souffrir dans ces mêmes biens, au milieu des misères qui nous accablent et des tribulations sans nombre, et afin que nous commencions à chercher ce repos, qui n’est ni en cette vie, ni en cette terre. Alors, comme il est écrit, le Seigneur devient le refuge du pauvre[90] ». Qu’est-ce à dire « le pauvre ? » Celui qui est dénué de tout secours, sans appui, sans-assistance, sans rien qui soutienne ses présomptions. C’est à ces pauvres que Dieu vient en aide. Quelles que soient en effet leurs richesses ici-bas, ces hommes s’inclinent devant cette parole de l’Apôtre : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être « point orgueilleux, et de ne pas mettre leur confiance en des biens sans consistance[91] ». Puis considérant combien est incertain ce qui leur causait de la joie, avant qu’ils entrassent au service de Dieu, c’est-à-dire avant qu’ils fussent sous les pressoirs, ils comprennent ou que ces richesses leur sont une cause de tourments, pour les gouverner avec prudence, pour les garder avec sûreté, ou s’ils ont eu pour elles quelque inclination, ils y ont trouvé plus de crainte que de vraie joie. Quoi de plus incertain qu’un bien avec cette inconstance ? Ce n’est point sans raison que l’on a donné à la monnaie une forme arrondie, parce qu’elle n’est point stable. Ces hommes, quels que soient leurs biens, sont néanmoins pauvres. Ceux qui ne possèdent rien, mais qui désirent posséder, sont au nombre des riches que Dieu doit condamner. Car Dieu n’envisage point la possession, mais la volonté. Que ces pauvres donc, privés de tout bien terrestre, et qui en comprendraient l’instabilité, s’ils les possédaient, qui gémissent devant Dieu, qui n’ont rien ici-bas qui leur plaise et les attache, qui sont dans les peines et dans les épreuves comme sous un pressoir, qu’ils fassent couler une huile pure, un vin généreux. Quel est ce vin et cette huile, sinon les saints désirs ? Dans leur détachement de la terre, ils n’ont plus rien à désirer que Dieu. Car ils aiment celui qui a fait le ciel et la terre. Ils l’aiment sans être encore avec lui. Dieu se refuse à leur désir, afin de l’accroître ; et il s’accroît afin de pouvoir enfin posséder Dieu. Ce qui doit combler ce désir n’est pas un bien médiocre, et on doit être exercé pour s’élever à la hauteur d’un si grand bien. Ce que Dieu doit donner, n’est point une de ses créatures, mais lui-même qui a tout créé. Exerce-toi, ô chrétien, à posséder Dieu ; désire longtemps ce que tu dois avoir toujours. Dieu condamna ceux des Israélites qui se hâtaient trop : partout l’Écriture condamne la précipitation de ceux qui ne savent attendre. Quels sont, en effet, ces impatients ? Ceux qui s’étant tournés vers Dieu, parce qu’ils ne trouvaient ici-bas ni le repos qu’ils cherchaient, ni les joies qu’ils se promettaient, manquent de courage au milieu du chemin, regardent comme trop long ce qu’il leur reste à vivre ici-bas, et cherchent en cette vie un repos trompeur même quand on l’obtient. Ils tournent la tête en arrière, ils quittent leurs résolutions sans considérer cette parole effrayante : « Souvenez-vous de l’Épouse de Loth[92] ». Pourquoi est-elle devenue une statue de sel[93], sinon afin d’être le condiment des hommes, et de les amener à la sagesse ? Son exemple pernicieux te deviendra salutaire, si tu évites sa faute. Souvenez-vous, est-il dit, de la femme de Loth. Elle regarda en arrière cette Sodome dont elle était délivrée, elle demeura à l’endroit où elle avait tourné la tête ; elle doit y demeurer afin de servir de leçon à tous ceux qui passeront en ces lieux. Donc une fois délivrée de cette Sodome, de notre vie passée, ne regardons plus en arrière. Car, se hâter, c’est ne point regarder les promesses de Dieu qui nous paraissent éloignées, c’est envisager ce qui est proche, et dont nous avons été délivrés. Qu’a dit saint Pierre à propos de ces hommes ? « Il leur est arrivé ce qu’a dit un proverbe très véritable : Le chien retourne à son vomissement[94] ». Ta conscience était sous le poids de ses crimes, le pardon te les a en quelque sorte fait vomir, et a ainsi soulagé ta poitrine ; une mauvaise conscience est devenue une bonne conscience ; pourquoi retourner à ton vomissement ? Si tu as en horreur le chien qui agit de la sorte, que seras-tu devant Dieu ?
4. Chacun de nous retourne en arrière, mes frères bien-aimés, retourne en arrière, quand il abandonne l’endroit de la route où il s’était avancé, selon sa promesse au Seigneur. Tel, par exemple, a fait vœu de garder la chasteté conjugale, car tel est le premier pas de la vie pieuse ; il a renoncé à la fornication et aux criminelles impuretés ; mais pour lui, retourner à la fornication, c’est regarder en arrière. Un autre, inspiré par Dieu, a fait un vœu plus généreux encore, il a renoncé au mariage ; il pouvait se marier sans se perdre, mais il se perd s’il se marie contre son vœu ; il fait ce que font d’autres qui n’ont émis aucun vœu, et cependant il se damne, tandis que les autres ne se damnent point. Pourquoi, sinon parce qu’il a regardé en arrière ? Il était en avant de beaucoup, et les autres étaient loin de l’atteindre. Ainsi une vierge, qui eût pu se marier sans péché[95], devient adultère du Christ, si elle se marie après lui avoir été consacrée. Car du lieu où cite était parvenue, elle a regardé en arrière. Il en est ainsi de tous ceux qui ont voulu renoncer à toute espérance du siècle, à toute action terrestre, pour entrer dans la compagnie des saints, y vivre en commun, de manière à n’avoir plus rien en propre, où tous les biens sont communs à tous, où tous n’ont plus en Dieu qu’un seul cœur et qu’une seule âme[96] ; quiconque renonce à cette vie, n’est pas au niveau de celui qui ne l’avait pas embrassée. Celui-ci n’y était pas entré, celui-là regarde en arrière. Donc, mes frères, autant qu’il vous est possible, faites des vœux au Seigneur, et accomplissez-les, chacun selon votre pouvoir[97] ; que nul ne regarde en arrière, ne trouve sa joie dans sa vie passée, ne se détourne de ce qui est en avant, pour retourner à ce qu’il a quitté. Qu’il hâte sa course jusqu’à ce qu’il soit arrivé ; ce ne sont point nos pieds qui se hâtent, mais l’ardeur de nos désirs. Que nul, tant qu’il est en cette vie, ne dise qu’il est arrivé. Qui peut se flatter d’être aussi parfait que saint Paul ? Et pourtant il a dit « Mes frères, je ne pense pas encore être arrivé au but ; tout ce que je sais, c’est que, oubliant tout ce qui est derrière moi, je m’avance vers ce qui est avant moi, pour atteindre le but et la palme à laquelle Dieu m’a appelé d’en haut, en Jésus-Christ[98] ». Voilà Paul qui court encore, et toi, tu te croirais arrivé ?
5. Si donc au sein même de ta félicité, tu ressens les afflictions de cette vie, tu comprends que tu es sous les pressoirs. Pensez-vous en effet, mes frères, n’avoir à craindre que le malheur en ce monde, et non point la félicité ? Au contraire, le malheur ne peut abattre celui que la félicité n’a pu corrompre. Comment donc éviter et craindre suffisamment cette prospérité corruptrice, pour te dérober aux séductions de ses attraits ? C’est en ne t’appuyant pas sur ce bâton qui n’est qu’un roseau ; car l’Écriture nous dit que plusieurs prennent un roseau pour appui. N’y mets point ta confiance[99], cet appui est fragile, il se brise et te donne la mort. Si donc le monde a pour toi des félicités souriantes, songe que tu es sous le pressoir, et dis : « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom du Seigneur[100] ». Le Prophète ne dit point : « J’ai rencontré la tribulation », sans avoir éprouvé quelque malheur secret. Car il est en cette vie une certaine tribulation qui atteint ceux qui se croient heureux, alors qu’ils sont loin de Dieu. « Tant que nous sommes en ce corps, nous habitons hors du Seigneur[101] », dit saint Paul. Tu serais malheureux d’être séparé de ton père, et il n’est qu’un homme ; et loin de Dieu tu peux être heureux ? Il en est donc qui se croient heureux ici-bas. Mais ceux qui comprennent que, même au sein des voluptés et des richesses, quelque grandes qu’elles soient, bien que tout réponde à nos désirs, bien qu’on ne rencontre rien de fâcheux, qu’on n’ait rien d’affligeant à redouter, on n’en est pas moins dans la misère, dès qu’on est loin de Dieu, ont l’œil assez clairvoyant pour découvrir la douleur et la tribulation, et pour en appeler au nom du Seigneur. Tel est celui qui chante dans notre psaume. Quel est-il ? C’est le corps du Christ. Quel est cet homme ? Vous, si vous le voulez ; nous tous, si nous le voulons ; nous, les fils de Coré, qui ne formons qu’un seul homme, puisqu’il n’y a qu’un seul corps du Christ. Comment ne serait-il point un seul homme, celui qui n’a qu’une seule tête ? Or, Jésus-Christ est notre chef à tous, et nous formons tons le corps de ce chef divin ; et tous en cette vie nous sommes sous les pressoirs. Oui, nous y sommes, à juger sainement des choses. Donc sous le pressoir de la tentation, élevons nos voix avec le Prophète, portons nos désirs jusqu’au ciel. « Que vos tabernacles sont aimables, Seigneur Dieu des armées[102]. » Le Psalmiste était alors dans un certain tabernacle, ou sous le pressoir, mais il soupirait après ces autres tabernacles, d’où toute pression est bannie. Des tabernacles de la terre, il soupirait après ceux du ciel, et voulait en quelque sorte y arriver par le canal de ses désirs.
6. Que dit ensuite le Prophète ? « Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli de désir[103] ». C’est peu des langueurs de son âme, peu de ses défaillances ; où vient-elle à défaillir ? « Dans les parvis du Seigneur ». Le raisin disparaît quand on le presse ; mais, où a-t-il disparu ? C’est un vin qui a coulé dans la cuve, dans le repos du cellier, pour être gardé dans une paix profonde. Ici le désir, au ciel la jouissance ; ici les aspirations, au ciel la joie ; ici la prière, au ciel la louange ; ici les gémissements, au ciel l’allégresse. Que nul ne regarde mes paroles comme trop dures, que nul ne refuse de souffrir. Craignons que le raisin qui redoute le pressoir ne devienne la proie des bêtes ou des oiseaux. Une grande tristesse apparaît dans ces paroles du Prophète : « Mon âme aspire aux parvis du Seigneur, elle a défailli de désir » ; car il n’a point ce qu’il désire si vivement. Mais est-il donc sans aucune joie ? Quelle joie ? cette joie dont l’Apôtre a dit : « Réjouissons-nous dans l’espérance ». Ici-bas c’est l’espérance, dans le ciel ce sera la joie de la réalité. Mais comme ceux qui ont la joie de l’espérance sont assurés de la réalité, ils endurent dans le pressoir tous les tourments. Aussi l’Apôtre, après avoir dit : « Réjouissez-vous dans l’espérance », a-t-il ajouté aussitôt : « Soyez patients dans la tribulation » ; et après la patience dans la tribulation, que dit-il encore ? « Persévérez dans la prière[104] ». Pourquoi « persévérer ? » Parce que vous souffrez du retard. Vous priez, et Dieu tarde à vous exaucer, souffrez ces retards. Trouvons bon que Dieu diffère, car une fois que nous aurons notre récompense, nul ne nous l’ôtera.
7. Tu l’as entendu gémir sur le pressoir : « Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli » : vois, maintenant, cette joie de l’espérance qui le soutient : « Mon cœur et ma chair ont tressailli vers le Dieu vivant ». Ici-bas ils ont tressailli pour le ciel. D’où vient cette allégresse, sinon de l’espérance ? Pour qui tressaillir ? « Pour le Dieu vivant ». Qu’est-ce qui tressaille en vous, ô Prophète ? « Mon cœur et ma chair ». Pourquoi ce tressaillement ? c’est que « le passereau a trouvé « une demeure pour lui, comme la tourterelle « un nid, où elle placera ses petits[105] ». Qu’est-ce à dire ? Deux objets tressaillent, selon lui, et dans la comparaison il montre encore deux oiseaux ; c’est son cœur qui tressaille ainsi que sa chair, double objet qu’il nous ramène dans le passereau et dans la tourterelle ; le passereau serait l’image de son cœur, et la tourterelle de sa chair. Le passereau a trouvé une demeure pour lui, mon cœur a trouvé un abri. Il exerce ici-bas ses ailes, dans les vertus de cette vie, dans la foi, dans l’espérance et dans la charité, pour s’élever ensuite dans sa maison ; et quand il y sera arrivé, il y demeurera, et alors il n’aura plus cette voix plaintive qu’il a sur la terre. Car il se plaint, ce passereau dont le Prophète a dit ailleurs : « Comme le passereau solitaire sur un toit[106] ». Du toit il vole vers son asile ; qu’il soit sur le toit, qu’il foule aux pieds cette maison charnelle, il aura dans le ciel une maison pour l’éternité ; et alors finiront ses plaintes. La tourterelle, selon le Prophète, a des petits, c’est-à-dire une chair. « La tourterelle a trouvé un nid pour y mettre ses petits ». Au passereau une demeure, à la tourterelle un nid, et un nid où elle déposera ses petits. Dans une maison on demeure toujours ; dans un nid, pendant un temps. Notre cœur s’élève à Dieu par la pensée, comme le passereau qui vole vers sa demeure de notre chair viennent les bonnes œuvres. Voyez, en effet, pour quelle part entre la chair dans les bonnes œuvres des saints. C’est par elle que nous accomplissons les œuvres qui nous sont prescrites, et soulagent en cette vie : « Partage ton pain avec celui qui a faim, reçois sous ton toit le pauvre sans asile, et si tu vois un homme nu, couvre-le[107] » : ainsi des autres préceptes que nous n’accomplissons qu’au moyen du corps. Ce passereau, dès lors, qui songe à sa demeure, se tient uni à la tourterelle qui se cherche un nid où elle placera ses petits ; car elle ne les place pas d’une manière indifférente, mais elle cherche un nid pour les placer. Mes frères, vous comprenez mes paroles : combien en est-il hors de l’Église qui paraissent faire de bonnes œuvres : combien parmi les païens nourrissent l’affamé, revêtent celui qui est nu, reçoivent l’étranger, visitent le malade, consolent le prisonnier ? Combien font toutes ces œuvres ? C’est la tourterelle qui devient mère, mais qui ne trouve point de nid pour ses petits. Combien d’hérétiques qui font de bonnes œuvres en dehors de l’Église, n’ont point de nid pour leur couvée ? Ils seront écrasés, foulés aux pieds ; on n’en prendra aucun soin, ils périront. C’est de cette chair qui produit, que saint Paul a dit en figure : « Adam ne fut point séduit, mais la femme fut séduite[108] ». Adam accéda aux désirs de la femme qu’avait séduite le serpent[109]. Et maintenant une pensée déréglée ne saurait tout d’abord que stimuler vos désirs ; que votre âme y consente, et le passereau tombe : mais si vous surmontez les désirs de la chair, vos membres sont astreints aux bonnes œuvres, et la concupiscence est désarmée ; et la tourterelle voit éclore ses petits. Aussi que dit l’Apôtre au même endroit ? « Elle sera sauvée par les enfants qu’elle mettra au monde[110] ». Une veuve sans enfants ne serait-elle point plus heureuse de persévérer dans cet état[111] ? ne serait-elle pas sauvée parce qu’elle n’aurait point eu d’enfants ? Une vierge, consacrée à Dieu, n’est-elle point plus parfaite ? ne sera-t-elle point sauvée parce qu’elle n’aura point eu d’enfants ? n’est-elle point le partage du Seigneur ? Ainsi donc une femme, qui est ici la figure de la chair, sera sauvée par les enfants qu’elle mettra au monde, c’est-à-dire par ses bonnes œuvres. Mais que la tourterelle ne choisisse pas indifféremment le nid où elle déposera ses petits ; qu’elle n’enfante ses bonnes œuvres que dans la véritable foi, que dans la foi catholique, dans la société, dans l’unité de l’Église. Aussi l’Apôtre, après avoir dit : « Elle sera sauvée par les fils qu’elle mettra au monde », a-t-il ajouté : « Si elle demeure dans la foi, dans la charité, dans la sainteté, et dans une vie de tempérance[112]3 ». Si donc tu demeures dans la foi, cette foi sera le nid où reposeront tes petits. Dieu même, pour s’accommoder à la faiblesse des petits de votre tourterelle, a daigné vous préparer un endroit pour votre nid : il s’est revêtu de votre chair, qui est une herbe, afin de venir à vous. C’est dans cette croyance qu’il faut mettre vos petits, dans ce nid qu’il faut faire vos bonnes œuvres. Quels sont ces, nids, ou plutôt quel est ce nid ? Le Prophète répond : « Vos autels, ô Dieu des vertus ». Et après avoir dit : « La tourterelle a trouvé un nid où elle déposera ses petits » ; comme si tu demandais : Quel nid ? « Vos autels », dit le Prophète, « vos autels, ô Dieu des vertus, ô mon Dieu, ô mon Roi ». Qu’est-ce à dire, « ô mon Roi, ô mon Dieu ? » Vous qui me gouvernez, qui m’avez créé.
8. Mais c’est ici-bas qu’est le nid, ici-bas le pèlerinage, ici-bas les soupirs, ici-bas l’accablement, ici-bas l’affliction, parce que ici-bas c’est le pressoir. Que veut donc la tourterelle ? Où tendent ses affections ? Où veut-elle porter nos désirs ? élever nos vœux ? Voilà ce que médite ici-bas le Prophète, au milieu des tentations, au milieu des maux qui l’accablent ; et se trouvant comme sous le pressoir, il soupire après les promesses éternelles, il médite les joies du ciel, et s’entretient de ce qu’il y fera un jour. « Bienheureux », dit-il, « ceux qui habitent dans votre maison[113] ». D’où leur viendra ce bonheur ? que feront-ils ? que posséderont-ils ? Tous ceux que l’on appelle heureux sur la terre font quelque chose, possèdent quelque chose. Bienheureux cet homme qui a tant de domaines, tant de serviteurs, tant d’or et tant d’argent ; on l’appelle heureux à cause de ses possessions. Cet autre est heureux aussi, il a obtenu tels honneurs, il est proconsul, préfet ; on le dit heureux à cause de ses emplois. C’est donc l’emploi, c’est la richesse qui nous fait paraître heureux. Mais dans le ciel, d’où viendra notre bonheur ? Que posséderons-nous ? Que ferons-nous ? Ce que nous posséderons, je l’ai dit, tout à l’heure : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison ». Tu n’es point riche, si tu n’as que ta maison, mais c’est être riche que posséder la maison de Dieu. Dans ta maison, lite faut craindre les voleurs, le mur de la maison de Dieu, est Dieu lui-même. « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Ils possèdent la Jérusalem céleste sans angoisse, sans chagrin, sans division et sans partage tous la possèdent et chacun la possède en totalité. Immenses richesses que celles du ciel ! Le frère n’y resserre point son frère, nul n’y souffre l’indigence. Que ferons-nous donc dans ce palais ? Car c’est la nécessité qui est la mère de toutes nos actions. Je vous l’ai déjà dit en un mot, mes frères : examinez toutes nos actions et voyez si ce n’est la nécessité qui en est le principe. Voyez ces arts si nobles qui sont pour nous d’un grand secours, l’éloquence du barreau, la science de la médecine, ils s’exercent ici-bas par des actes excellents ; mais qu’il n’y ait plus de procès, et de quoi serviront les avocats ? qu’il n’y ait ni blessure, ni maladie, à quoi bon le médecin ? Tous les actes qui sont nécessaires, et qui se font dans la vie quotidienne, ont aussi pour principe la nécessité. Labourer, semer, défricher, naviguer, quelle est la cause de ces travaux, sinon la nécessité ? Que l’homme n’ait plus faim, n’ait plus soif, ne soit pas nu, à quoi bon tout cela ? Cette vérité s’étend même aux actions de charité que l’on nous commande ; car jusqu’ici je n’ai parlé que des occupations honnêtes, communes à tous les hommes, et non de ces œuvres criminelles, œuvres détestables, comme les homicides, les adultères, les larcins et ces crimes énormes que je ne comprends point dans les actions des hommes : je me borne donc aux actes honnêtes, qui n’ont de principe que la nécessité, cette nécessité qui nous vient de la faiblesse de la chair. Ces œuvres même de charité qui nous sont commandées, supposent la nécessité : « Donne du pain à celui qui a faim » ; à qui en donneras-tu, si nul n’a besoin ? « Reçois dans ta maison celui qui est sans asile[114] » ; quel étranger recevras-tu, si tous sont heureux dans leur patrie ? Quel malade pourras-tu visiter, si chacun jouit d’une santé inaltérable ? Quelle querelle devras-tu apaiser dans une paix profonde ? Quel mort à ensevelir quand la vie est sans fin ? Tu n’auras donc plus à faire dans le ciel, ni ces œuvres honnêtes communes à tous les hommes, ni ces œuvres de charité : les petits de la tourterelle auront déjà volé hors de leur nid. Que feras-tu donc ? Tu nous a déjà fait voir ce que nous posséderons : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Dis-nous donc, ô Prophète, nos occupations, car il n’y a dans le ciel aucune nécessité pour nous faire agir. Maintenant même, c’est la nécessité qui me force à parler, à instruire. Faudra-t-il encore dans le ciel cette instruction qui instruise les ignorants, ou qui stimule les mémoires oublieuses ? Lira-t-on l’Évangile dans cette patrie où nous contemplerons le Verbe de Dieu ? Après nous avoir dit par ses soupirs et ses gémissements en notre nom, ce que nous posséderons dans cette patrie après laquelle nous soupirons : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison » ; que le Prophète nous dise aussi ce que nous devons y faire. Ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Telle sera donc notre occupation, un alléluia sans fin. Gardez-vous de croire, mes frères, qu’il y aura là quelque dégoût pour vous : maintenant ce chant de joie vous fatigue, pour peu que vous le prolongiez, et la nécessité vous force de l’interrompre. Et comme ce que l’on ne voit pas est moins touchant, si néanmoins, sous le pressoir, et dans la fragilité de la chair, nous bénissons avec tant d’allégresse ce que nous montre la foi, que sera-ce quand nous verrons à découvert ? Quand la mort sera absorbée dans sa victoire, quand notre corps mortel sera revêtu d’immortalité, et ce qui est corruptible devenu incorruptible[115], nul ne dira : J’ai été debout longtemps, non plus que : J’ai jeûné longtemps, veillé longtemps. C’est là que règne la stabilité parfaite, et que notre corps, devenu immortel, sera absorbé dans la contemplation de Dieu. Et si pour nous écouter, cette chair si fragile se tient debout si longtemps, quels effets ne produira point sur nous la joie du ciel ? Quel changement n’opérera-t-elle pas ? Nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu’il est[116]. Une fois semblables à Dieu, pourrions-nous éprouver la défaillance, ou nous détourner de lui ? Soyons sans crainte, mes frères, nous n’éprouverons aucune lassitude à louer Dieu, à aimer Dieu. Nous cesserions de le louer, si nous cessions de l’aimer ; mais si l’amour doit être éternel en nous, puisqu’on ne pourra se rassasier de contempler cette beauté, ne crains point alors de ne pouvoir toujours bénir celui que tu pourras toujours aimer. « Bienheureux donc ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Puissions-nous soupirer après cette vie !
9. Mais comment y arriver ? « Bienheureux l’homme dont vous prenez la tutelle, ô mon Dieu[117] ! » Le Prophète a compris qu’en cette vie la fragilité de notre chair nous empêche de voler au séjour du bonheur ; il a considéré ce qui nous pèse ; car « le corps qui est corruptible appesantit l’âme », est-il dit ailleurs, « et cette demeure terrestre ralentit l’esprit malgré la vivacité de ses pensées[118] ». L’esprit tend à s’élever, et la chair, à cause de son poids, à s’abaisser : ces deux mouvements établissent une lutte ; et ce combat est une peine du pressoir. Écoute l’Apôtre nous peindre cette pression qui vient de la lutte ; car, lui aussi, en sentait le poids, en sentait l’oppression : « Selon l’homme intérieur, je trouve des charmes dans la loi de Dieu ; mais je sens dans mes membres une autre loi, qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché, qui est dans mes membres ». Combat douloureux, mes frères, et quelle espérance d’en sortir, sans le secours dont il nous parle ensuite : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu, par Notre-Seigneur Jésus-Christ[119] ». Voici donc les joies qu’a vues notre interlocuteur, qu’il a méditées dans son esprit : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Mais qui pourra s’y élever ? que deviendra ce poids de la chair ? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles. En moi l’homme intérieur trouve des charmes dans la loi de Dieu ». Mais que faire ? Comment prendre mon vol ? Comment parvenir à ces hauteurs ? « Je sens dans mes membres une loi qui est contraire à celle de l’esprit ». Il déplore son malheur, et il s’écrie : « Qui me délivrera du corps de cette mort », afin que j’habite la maison du Seigneur, pour le bénir dans les siècles des siècles ? « Qui me délivrera ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Ainsi d’une part, l’Apôtre ne trouve de remède à cet embarras, à cette lutte en quelque sorte inextricable que dans « la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur » ; d’autre part, le Prophète, soupirant après la maison de Dieu dans l’ardeur de ses désirs, mais considérant et le poids de sa chair, et l’embarras du corps, semble se laisser abattre, puis reprenant l’espérance, il s’écrie : « Bienheureux l’homme dont vous prenez la tutelle, ô mon Dieu ».
10. Mais quelle est l’action de Dieu dans celui qu’il entreprend de sauver par cette grâce ? Le Prophète nous l’explique en disant : « L’ascension est dans son cœur », Dieu lui fait des degrés pour monter, Où lui fait-il ces degrés ? Dans le cœur. Donc, plus vif sera votre amour, plus haute sera votre ascension. « C’est dans le cœur », dit-il, « que l’ascension est disposée ». Par qui ? Par celui qui le prend sous sa tutelle. « Bienheureux, Seigneur, celui dont vous êtes le protecteur ». Il ne peut rien de lui-même, il a besoin du secours de votre grâce. Et que lui fait cette grâce ? Elle dispose des degrés dans son cœur. Où prépare-t-elle ces degrés ? « Dans son cœur, dans la vallée des larmes ». Notre pressoir est donc la vallée des larmes ; et les pieuses larmes de l’affliction sont le vin nouveau de ceux qui aiment Dieu. « Il a disposé des degrés dans son cœur[120] ». Où les a-t-il disposés ? « Dans la vallée des larmes ». Oui, c’est dans cette vallée des larmes que sont les degrés de l’ascension. Car pleurer, c’est semer. « Ils allaient », dit le Prophète, « et pleuraient en répandant leur semence sur la terre[121] ». Que Dieu, par sa grâce, dispose des degrés dans ton cœur. Elève-toi par l’amour ; de là ce cantique des degrés. Où Dieu a-t-il disposé pour toi ces degrés ? « Dans ton cœur, dans la vallée des larmes ». Ainsi donc, selon le Prophète, où Dieu a-t-il disposé ? pour quel endroit ? Qu’a-t-il disposé ? « Des degrés ». Où ? Intérieurement « dans le cœur ». Dans quelle contrée, dans quelle demeure ? « Dans la vallée des larmes ». Pour s’élever où ? « Au lieu que Dieu a marqué . » Qu’est-ce à dire, mes frères, « le lieu que Dieu a marqué ? » Quel nom aurait donné le Prophète, s’il eût pu donner un nom ? « Des degrés », vous est-il dit, « sont disposés dans votre cœur, dans la vallée des larmes ». Pour m’élever où ? me direz-vous. Que va répondre le Prophète ? « Que l’œil ne l’a point vu, que l’oreille ne l’a point entendu, que le désir en s’en est pas élevé au cœur de l’homme[122] ». C’est une colline, une montagne, une terre, un pré ; car ce lieu a reçu tous ces noms. Mais ce qu’il est en lui-même, et non en comparaison, qui nous le dira ? car nous ne voyons maintenant qu’en énigme, et comme par un miroir, ce qu’est ce lieu, mais alors nous le verrons face à face[123]. Cessez donc de me demander où est ce « lieu qu’il a désigné ». Il sait où il veut te conduire, celui qui a disposé des degrés dans ton cœur. Pourquoi ne monter qu’avec la crainte d’être égaré par ton guide ? Le voilà qui a, disposé, dans la vallée des pleurs, des degrés pour arriver « au lieu qu’il nous destine ». Nous pleurons aujourd’hui. En quel endroit ? En cet endroit où sont les degrés de notre ascension. Quel est le sujet de nos pleurs, sinon celui qui faisait gémir l’Apôtre, parce qu’il sentait dans ses membres une loi contraire à la loi de l’esprit[124] ? D’où cette contradiction ? C’est le châtiment du péché. Avant d’avoir reçu la loi, nous nous imaginions qu’il nous serait facile d’être justes par nos propres forces ; mais quand la loi est survenue, le pêche a repris sa vigueur, et moi je suis mort, ainsi dit l’Apôtre. La loi a été donnée aux hommes, non plus pour les sauver, mais seulement pour leur faire comprendre combien grave était leur maladie. Écoute une seconde fois l’Apôtre : « Si Dieu nous eût donné une loi qui pût nous donner la vie, la justice nous viendrait de cette loi ; mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que pour ceux qui croiront, la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ[125] » ; et qu’après la loi vînt la grâce qui trouvât l’homme non seulement abattu, mais avouant sa misère en s’écriant : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » et que le médecin descendît à propos dans cette vallée des pleurs, et pût dire à son malade Tu connais enfin ta chute, écoute-moi, afin de te relever, ô toi qui n’es tombé qu’à cause de ton mépris pour moi. La loi donc a été donnée afin de convaincre de maladie ce malade qui se croyait en santé ; afin de mettre le péché en évidence, et non afin de l’effacer. Mais le péché étant mis en évidence par la loi écrite, a été ainsi augmenté ; parce qu’il était péché, et parce qu’il était contre la loi. « Or, à l’occasion du commandement, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises[126] ». Qu’est-ce à dire que le péché a saisi « l’occasion du commandement ? » Que les hommes ont essayé d’accomplir ce commandement par leurs propres forces ; qu’ils ont été vaincus par leurs convoitises, et qu’ils sont devenus coupables de la violation de cette loi. Mais que dit encore l’Apôtre : « Où le péché a abondé, a surabondé la grâce[127] », c’est-à-dire que la maladie s’est accrue et a fait ressortir l’efficacité du remède. Aussi, mes frères, ces cinq galeries de Salomon, au milieu desquelles se trouvait une piscine, pouvaient-elles guérir les malades ? Et pourtant nous lisons dans l’Évangile que « deux malades gisaient sous ces cinq portiques[128] ». Or, ces galeries figuraient la loi de Moïse en cinq livres. Les malades ne sortaient de leurs maisons que pour être étendus sous ces galeries. Donc la loi montrait la maladie, mais sans la guérir ; la bénédiction de Dieu troublait l’eau comme un ange descendant du ciel. À la vue de l’eau qui se troublait, le premier qui y descendait était seul guéri. Or, cette eau, environnée de cinq galeries, était le peuple Juif enfermé dans la loi. Dieu le troubla par sa présence afin d’être mis à mort. Le Seigneur eût-il été crucifié, s’il n’eût de sa présence, troublé le peuple Juif ? Cette eau troublée était donc la figure de la passion du Seigneur qu’amena le trouble de la nation juive. C’est en cette passion que le malade a mis sa foi, et il trouve sa guérison en se plongeant dans les eaux troublées. La loi ou les galeries ne le guérissaient point, il est guéri par la grâce, par la foi en la passion de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Un seul étau guéri, parce qu’il n’y a qu’une Église. Que dit donc le Prophète ? « Il a préparé des degrés dans son cœur, dans la vallée, des larmes, au lieu qu’il a destiné ». C’est là que nous goûterons notre joie.
11. Pourquoi, « dans la vallée des larmes ? » Et de quelle vallée des larmes irons-nous à ce séjour de la joie ? « Car celui qui a donné la loi, donnera aussi la bénédiction[129] », dit le Prophète. Dieu nous a donné la loi, nous a humiliés par la loi, il nous a montré le pressoir ; nous avons passé par l’affliction, subi la tribulation de notre chair, gémi sous l’aiguillon du péché qui se révoltait contre l’esprit, et nous avons crié : « Malheureux homme que je suis[130] ! » Nous avons donc gémi sous la loi : que reste-t-il, sinon que nous recevions aussi la grâce de Celui qui nous a donné la loi ? La grâce viendra donc après la loi, telle est la bénédiction. Et quel bien nous a procuré cette grâce, cette bénédiction ? « Ils iront de vertus en vertus ». Car Dieu par la grâce fait éclore les vertus. « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse ; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ; un autre le don de la foi ; un autre le don de guérir ; un autre le don de parler diverses langues ; un autre le don de les interpréter ; un autre le don de prophétie[131] ». Combien de vertus, mais nécessaires ici-bas, et vertus qui nous conduisent à la vertu ! À quelle vertu ? Au Christ, qui est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu[132]. Dieu nous donne ici-bas plusieurs vertus, mais un jour, au lieu de ces vertus qui sont nécessaires dans la vallée des larmes, il nous donnera une seule vertu qui est lui-même. On met en effet au nombre de quatre les vertus nécessaires en cette vie, et nous les retrouvons dans l’Écriture : la prudence, qui nous fait discerner le bien du mal ; la justice qui rend à chacun ce qui lui appartient, ne doit rien à personne et a pour tous la charité[133] ; la tempérance qui nous fait réprimer nos convoitises ; le courage à supporter les afflictions. Telles sont les vertus que nous donne la grâce de Dieu dans cette vallée des pleurs, et qui nous font arriver à une autre vertu. Or, quelle sera cette autre vertu, sinon la contemplation de Dieu ? Alors il n’y aura plus besoin de prudence, où il n’y aura plus aucun mal à éviter. Mais quelle pensée nous vient, mes frères ? Il n’y aura plus besoin de cette justice, parce qu’il n’y aura plus aucune indigence qu’il nous faille secourir ; il n’y aura plus de cette tempérance, puisqu’il n’y aura aucune passion à refréner ; il n’y aura plus de cette patience, parce qu’il n’y aura point d’affliction à supporter. De ces vertus qui règlent toute action de la vie, nous nous élèverons à cette vertu de contemplation qui nous mettra en face de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Je me tiendrai devant vous au matin, et je vous contemplerai[134] ». Et pour te montrer que les vertus de cette vie active nous conduiront à la contemplation, le Prophète ajoute : « Ils iront de vertus en vertu ». À quelle vertu ? À la vertu de contemplation. Qu’est-ce que contempler ? « Le Dieu des g dieux se montrera en Sion ». Le Christ des chrétiens. Comment « le Dieu des dieux » est-il le Christ des chrétiens ? « J’ai dit : vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut[135] ». Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[136], ce Dieu en qui nous croyons, cet Époux incomparable qui a voulu apparaître sans beauté, à cause de nos laideurs. « Car nous l’avons vu », dit le Prophète, « et il n’avait ni grâce ni beauté[137] ». Or, quand la nature mortelle n’y mettra plus obstacle, il apparaîtra aux cœurs purs, tel qu’il est en Dieu, Verbe en son Père, et Verbe par qui tout a été fait. Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[138]. « Le Dieu des dieux se montrera en Sion ».
12. De la pensée de ces joies, le Prophète revient à ses soupirs. Il considère ce qu’il entrevoit dans son espérance, et où il est en réalité. « le Dieu des dieux apparaîtra en Sion ». Le bénir dans les siècles des siècles, voilà ce qui comblera notre joie. Mais ici-bas nous sommes encore dans le temps des gémissements et des soupirs, et s’il y a quelque joie, ce n’est qu’en espérance, car nous sommes en exil et dans la vallée des larmes. Le Prophète revient donc en ce lieu des gémissements, et s’écrie : « Seigneur, Dieu des vertus, écoutez ma prière ; prêtez l’oreille, ô Dieu de Jacob[139] ». C’est vous qui avez changé Jacob en Israël. Il s’appela Israël, ou qui voit Dieu[140], quand le Seigneur lui eut apparu. Écoutez-moi donc, ô Dieu de Jacob, et changez-moi en Israël[141]. Quand serai-je Israël ? Quand le Dieu des dieux apparaîtra en Sion.
13. « O Dieu, notre protecteur, jetez les yeux sur nous ». Ils doivent espérer à l’ombre de vos ailes[142], « car vous êtes notre protecteur, et regardez la face de votre Christ ». Quand est-ce que Dieu ne regarde point la face de son Christ ? Qu’est-ce à dire : « Voyez la face de votre Christ ? » C’est par la face que l’on nous reconnaît, et dès lors : « Regardez la face de votre Christ », faites-nous connaître la face de votre Christ. « Regardez la face de votre Christ » ; que nous connaissions tous votre Christ, afin que nous puissions aller de vertus en vertu, et que la grâce vienne à surabonder, parce que le péché a abondé[143].
14. « Un jour passé dans vos parvis vaut e mieux que mille autres jours[144] ». C’est vers ces parvis qu’il soupirait, pour eux que son cœur était en défaillance. Mon âme soupire après vos demeures, ô mon Dieu, elle en a défailli. Mieux vaut un jour dans vos demeures que mille autres jours. Les hommes veulent des jours par milliers, ils veulent vivre longtemps ici-bas ; qu’ils méprisent des jours nombreux pour n’aspirer qu’au jour unique, sans lever et sans coucher ; ce jour unique, jour éternel, qui ne remplace point le jour d’hier, et ne cédera pas au lendemain. Désirons ce jour unique. Qu’avons-nous besoin de jours par milliers ? De ces milliers de jours passons au jour unique, comme des vertus à l’unique vertu.
15. « Mieux vaut être le dernier dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter les tabernacles des pécheurs[145] ». Le Prophète a trouvé la vallée des larmes, il a trouvé l’humilité pour s’élever ; il sait qu’il tombera, s’il prétend s’élever lui-même ; que s’il s’humilie, il sera relevé ; et il choisit l’abjection afin que Dieu le relève. Combien en est-il qui veulent s’élever en dehors des tentes et des pressoirs du Seigneur, c’est-à-dire de l’Église catholique ? combien qui aiment les honneurs, et ne veulent point connaître la vérité ? S’ils avaient dans le cœur ce verset du Prophète : « J’ai préféré le dernier rang dans la maison de Dieu, plutôt que d’habiter les tentes des méchants » : ne renonceraient-ils point à ces honneurs, pour courir à la vallée des larmes, et y trouver dans leurs cœurs ces degrés qui les feraient monter de vertus en vertu, et mettre leur espérance dans le Christ, plutôt que dans tel ou tel homme ? Parole sainte, parole pleine de joie, parole qui doit être toujours la nôtre que celle-ci : « J’ai préféré le dernier rang dans la maison de Dieu, plutôt que d’habiter les tabernacles des pécheurs ». C’est lui qui a choisi le dernier rang dans la maison du Seigneur : mais celui qui l’a invité au festin, lui voyant choisir la dernière place, l’appellera à la première, et lui dira : « Montez plus haut[146] ». Pour lui il ne se porte par son propre choix que dans la maison du Seigneur, quelque place qu’il occupe, pourvu qu’il ne soit point en dehors.
16. Pourquoi préférer le dernier rang dans la maison du Seigneur plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs ? « Parce que Dieu aime la miséricorde et la vérité[147] ». Le Seigneur aime la miséricorde, dont il m’a prévenu tout d’abord : il aime la vérité de manière à accomplir sa promesse envers celui qui croit. Écoute cette miséricorde et cette vérité dans l’apôtre saint Paul, d’abord Saul et persécuteur. Il avait besoin de miséricorde, et il proclame que Dieu en a usé envers lui : « Qui fut d’abord un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi, mais qui obtint miséricorde, afin que Jésus-Christ fît éclater en lui sa patience envers ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle[148] » ; afin que nul ne pût douter que tous ses péchés lui seraient remis, quand Paul obtenait la rémission de si grandes fautes. Telle est la miséricorde ; mais Dieu ne voulut point manifester sa vérité dans le châtiment du pécheur. Punir le pécheur, ne serait-ce point exercer la vérité ? Oserait-il bien dire : Je ne mérite aucun châtiment, lui qui ne saurait dire : Je n’ai point péché ? Et s’il disait : Je n’ai point péché ; à qui le dirait-il ? Qui pourrait-il tromper ? Le Seigneur a donc tout d’abord usé de miséricorde envers lui, et à la miséricorde a succédé la vérité. Écoute maintenant comme il réclame cette vérité : « Tout d’abord », dit-il, « j’ai obtenu miséricorde, moi qui fus d’abord un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi ; mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis[149] ». Puis, quand il touchait à son martyre : « J’ai combattu un bon combat, j’ai terminé ma course, j’ai gardé la foi ; il me reste à attendre la couronne de justice ». Celui qui m’a fait miséricorde me réserve la vérité. Comment réserve-t-il cette vérité ? « C’est que le Seigneur, qui juge avec justice, me rendra cette couronne en ce jour[150] ». Il m’a accordé le pardon, il me donnera la justice ; il m’a accordé le pardon, il me doit la couronne. Comment la doit-il ? Qu’a-t-il reçu ? De qui Dieu est-il débiteur ? Nous le voyons, Paul regarde Dieu comme un débiteur ; il a obtenu le pardon, il exige la vérité : « Le Seigneur », dit-il, « me rendra en ce jour ». Que peut-il te rendre, sinon ce qu’il te doit ? D’où vient celte dette ? Que lui as-tu donné ? De qui a-t-il reçu quelque chose, qu’il doive rendre ensuite[151] ? Dieu s’est fait lui-même débiteur, non qu’il ait reçu, mais parce qu’il a promis. On ne lui dit point : Rendez ce que vous avez reçu ; mais : Donnez ce que vous avez promis. Il m’a, dit-il, accordé miséricorde, afin de me rendre innocent, car tout d’abord j’ai été blasphémateur, ennemi acharné ; mais je suis devenu innocent par sa grâce. Or, celui qui m’a fait miséricorde, pourrait-il me refuser ce qu’il me doit ? Dieu aime la miséricorde et la vérité. Il « donnera la grâce et la gloire ». Quelle grâce, sinon la grâce dont l’Apôtre vient de dire : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ? » Quelle gloire, sinon cette gloire dont il a dit : « Il me reste à recevoir la couronne de justice ? »
17. « Aussi », continue le Prophète, « Dieu ne privera pas de ses biens ceux qui marchent dans l’innocence[152] ». Pourquoi voulez-vous porter atteinte à l’innocence des hommes, sinon afin de vous procurer des biens ? Tel aime mieux perdre l’innocence que rendre ce qu’on lui a confié : il convoite cet or et perd l’innocence. Que gagne-t-il, et que perd-il ? li gagne un peu d’or, et l’innocence lui fait défaut. Or, quoi de plus précieux que cette innocence ? Mais, dit-il, si je la garde, je vais demeurer pauvre. Est-ce donc un si mince trésor que cette innocence ? Avec un coffre plein d’or, seras-tu riche, et pauvre avec un cœur plein d’innocence ? En désirant donc les biens du Seigneur, demeure dans l’innocence, maintenant que tu es dans la pauvreté, dans la tribulation, dans la vallée des larmes, dans l’angoisse, dans la tentation, Tu recevras plus tard les biens que tu désires, le repos, l’éternité, l’immortalité, l’impassibilité : tels sont les biens que Dieu réserve à ses justes. Quant à ces biens qui stimulent ici-bas tes désirs, jusqu’à sacrifier ton innocence contre le péché, considère ceux qui les possèdent, qui en regorgent. Tu vois ces biens chez des voleurs, chez des impies, chiez des scélérats, chez des infâmes, chez les hommes les plus corrompus et les plus criminels : Dieu leur donne ces grands biens, à cause de la société qu’ils ont avec le genre humain, à cause de sa grande bonté, lui qui fait luire son soleil sur les bons, et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[153]. Donnera-t-il de si grands biens aux méchants, sans te rien réserver ? La promesse qu’il t’a faite serait-elle mensongère ? Sois sans crainte, il en tient en réserve pour toi. Lui qui t’a pris en pitié, quand tu étais impie, t’abandonnera-t-il, maintenant que tu es pieux ? Lui qui a donné au pécheur la mort de son Fils, que n’aura-t-il pas pour celui qu’a sauvé son Fils expirant ? Sois donc en Toute sûreté ; et regarde comme ton débiteur celui dont tu as reçu la promesse. « Le Seigneur ne privera point de ses biens ceux « qui marchent dans l’innocence ». Qu’avons-nous donc à faire sous ce pressoir, dans l’affliction, dans les extrémités de cette vie si pleine de périls ? Que nous reste-t-il pour arriver au ciel ? « Seigneur, Dieu des vertus, bienheureux l’homme qui espère en vous ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 84[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LA VRAIE PIÉTÉ.[modifier]

Dieu nous guérit par sa miséricorde, il nous ouvre les yeux afin de se montrer à nous, lui qui est la lumière. Le psaume est pour les fils de Coré ou du Calvaire, il prédit l’avenir avec des termes du passé, parce que le Prophète voit sa prophétie accomplie en Dieu. Bénir la terre, en détourner l’esclavage, c’est nous délivrer du péché, comme il délivrait jadis Israël du joug que ses ennemis appesantissaient sur lui en punition de ses infidélités. Or, nous sommes par la foi enfants d’Israël en d’Abraham. Dieu donc nous délivre du joug de Satan par la rémission du péché. Sa colère ne sera donc pas éternelle, puisqu’il nous renouvellera cl nous donnera l’immortalité. Ainsi mettons notre joie en Dieu, et alors seulement elle sera durable, et par un effet de sa divine miséricorde nous comprendrons que tout bien vient de Dieu, et nul ne troublera nos délices. Quand nous jouiront de l’adoption, alors sous goûterons ces délices que nous n’avons aujourd’hui qu’en espérance ; nous verrons Dieu face à face et dans cette beauté dont rien ne peut ici-bas nous donner une image. Nous aurons alors la paix qui est impossible en cette vie, puisqu’il nous faut lutter contre nos passions, et contre nos besoins. Et puis ce qui nous récrée ne peut se prolonger sans nous nuir, et même sans nous tuer, tandis que Dieu nous donnera une paix parfaite. Aimons-le donc alu de nous rapprocher de lui. La vérité chez les Juifs, la miséricorde chez les Gentils se sont rencontrées dans le peuple chrétien, de même que la justice et la paix. Si nous voulons la seconde, pratiquons la première, et la paix viendra l’embrasser. La vérité qui naît de la terre, c’est le Christ né d’une femme, afin de nous racheter par sa mort ; ou bien encore la confession des péchés, et alors la justice a regardé cette vérité dans le publicain. Ainsi le Seigneur nous fera goûter les douceurs de la piété, et dans les actes de justice une douceur bien supérieure à celle du péché. Faisons marcher devant nous la justice ou l’aveu, et Dieu viendra en nous.

1. Nous venons de prier le Seigneur notre Dieu, de nous montrer sa miséricorde, et de nous donner son Sauveur. Ces paroles étaient une prophétie quand le psaume fut composé et chanté ; mais aujourd’hui déjà le Seigneur a manifesté sa miséricorde aux Gentils, et leur a donné le salut. Il l’a manifestée sans doute, mais un grand nombré ne veulent pas être guéris, ni voir ce qu’il leur a montré. Or, comme c’est lui qui guérit les yeux du cœur, afin que nous puissions le voir, le Prophète, après avoir dit : « Montrez-nous votre miséricorde », ajoute : « Et donnez-nous votre Sauveur », comme s’il prévoyait que beaucoup d’aveugles diraient : Comment pourrons-nous voir ce qui commence à poindre ? Nous donner le salut, c’est en effet nous guérir, afin que nous puissions voir ce qu’il nous a montré : Dieu n’agit point comme le médecin qui guérit pour montrer cette lumière à ceux qu’il a guéris : autre est la lumière qu’il fera voir, et autre le médecin qui guérit pour montrer la lumière, sans être cette lumière lui-même. Il n’en est pas ainsi de notre Dieu ; il est le médecin qui nous guérit, afin de nous montrer la lumière, et cette lumière que nous pourrons voir, c’est lui-même. Parcourons maintenant le psaume, autant que nous le pouvons, autant que Dieu nous le permettra dans sa grâce, et aussi brièvement que l’exige le peu de temps qui nous est donné.
2. Il a pour titre : « Pour la fin, aux enfants de Coré, Psaume[154] ». N’entendons par cette fin que celle dont l’Apôtre a dit : « Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront[155] ». Ainsi donner au psaume ce titre : « Pour la fin », c’était de la part du Prophète élever nos cœurs à Jésus-Christ. Nous ne pouvons errer en fixant les yeux sur lui, il est la vérité où nous nous hâtons d’arriver, et la voie par laquelle nous y courons[156]. Qu’est-ce à dire : « Aux fils de Coré ? » Ce nom de Coré, en hébreu, se traduit par chauve ; donc « aux fils de Coré », signifie aux fils du chauve. Quel est ce chauve ? non plus pour le tourner en dérision, mais pour pleurer à ses pieds. D’autres se sont moqués de lui, et sont devenus la proie du démon : ainsi qu’il est dit au Livre des Rois à propos d’Elisée, que des enfants insultèrent en criant derrière lui : « Chauve, chauve », et voilà que deux ours sortirent des forêts, dévorèrent ces insolents[157], et plongèrent leurs pères dans le deuil. Cet événement était une prophétie qui marquait par avance Jésus-Christ Notre-Seigneur, il fut tourné en dérision, comme s’il eût été chauve, par ces mêmes Juifs qui le crucifièrent au lieu du Calvaire[158]. Mais nous, si nous croyons en lui, nous sommes ses enfants. C’est donc pour nous que ce psaume est chanté, puisqu’il a pour titre : « Aux fils de Coré » : nous sommes les fils de l’Époux[159]. Pour lui, il est bien l’Époux, puisqu’il donne pour arrhes à son Épouse, son sang et son Esprit-Saint, dont il nous a enrichis dans cette terre étrangère, nous réservant des richesses invisibles. S’il nous donne un tel gage, que ne nous réserve-t-il point ?
3. Aussi le Prophète use-t-il de termes qui semblent appartenir au passé, bien qu’il chante l’avenir ; il parle de l’avenir comme au passé, car en Dieu ce qui doit arriver est déjà fait. Là donc le Prophète voyait notre avenir, il le voyait comme un fait accompli dans les desseins de sa providence et dans son infaillible prédestination. C’est ainsi que dans ce psaume où chacun reconnaît le Christ, et qu’on lit comme si l’on récitait l’Évangile, le Prophète a dit : « Ils ont percé mes mains et mes pieds. Ils ont compté tous mes os : ils m’ont regardé, ils m’ont considéré avec curiosité, ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort[160] ». Qui pourrait lire ce psaume sans reconnaître l’Évangile ? Et pourtant, quand le Prophète parlait dans le psaume, il ne disait point : Ils perceront mes mains et mes pieds ; mais bien : « ils ont percé mes mains et mes pieds » ; ni : Ils compteront mes os ; mais : « Ils ont compté mes os ». Ni : Ils se partageront mes vêtements ; mais : « Ils se sont partagé mes vêtements ». Le Prophète lisait dans l’avenir, et parlait au passé. Ainsi encore il dit ici : « Seigneur, vous avez béni votre terre », comme si Dieu l’avait déjà fait alors.
4. « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob[161] ». Jacob était jadis le peuple de Dieu, le peuple d’Israël, né de la race d’Abraham, et qui devait un jour hériter des promesses de Dieu. Tel est donc le peuple avec qui Dieu conclut l’Ancien Testament ; mais cet ancien Testament était la figure du Nouveau. L’un était la figure, l’autre, était la réalité. Dieu, pour tracer une figure de l’avenir, donne à ce peuple une terre qu’il lui avait promise, dans un pays qu’habita la nation juive, et dans lequel était cette Jérusalem que nous connaissons tous. Ce peuple donc, mis en possession de cette terre, avait beaucoup à souffrir de la part des peuples qui l’environnaient ; et quand il péchait contre son Dieu, il tombait dans l’esclavage ; Dieu voulant, non point le détruire, mais le redresser, comme un père qui châtie, mais sans maudire. Après la captivité venait la délivrance ; souvent esclave, souvent délivrée, cette nation est enfin tombée dans l’esclavage, à cause du crime énorme qu’elle a commis en crucifiant son Seigneur. Que signifie donc, à l’égard du peuple juif, cette parole du Prophète : « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob ? » Nous faut-il entendre ici une autre captivité dont nous voulons tous être délivrés ? Car nous appartenons tous à Jacob, si nous appartenons à la race d’Abraham. L’Apôtre a dit en effet : « C’est Isaac qui sera nominé votre fils, c’est-à-dire que les enfants selon la chair ne sont point pour cela enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés enfants d’Abraham[162] ». Si donc les enfants de la promesse sont réputés enfants d’Abraham, les Juifs en sont déchus par leurs péchés contre Dieu ; et nous, en méritant bien de Dieu, nous sommes devenus fils d’Abraham, non plus selon la chair, mais selon la foi. En imitant la foi d’Abraham, nous sommes devenus ses enfants, et eux, en dégénérant de sa foi, ont perdu l’héritage. Et pour que vous sachiez qu’ils ont perdu la gloire d’être nés d’Abraham, le Sauveur Jésus-Christ les entendant se vanter avec orgueil de la noblesse de leur sang, plutôt que d’une sainte vie, alors qu’ils lui disaient : « Nous avons Abraham pour père » ; le Seigneur leur répondit comme à des enfants dégénérés : « Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham[163] » Si donc ils n’étaient plus les fils d’Abraham, par cela même qu’ils n’en faisaient pas les œuvres ; nous qui faisons les œuvres d’Abraham, nous en serons les enfants. Or, quelles sont ces œuvres d’Abraham que nous faisons ? Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice[164]. Nous sommes donc tous fils de Jacob, si nous imitons la foi d’Abraham, qui crut à Dieu, et qui trouva la justice dans cette foi. Or, quel est cet esclavage dont nous voulons être délivrés ? Car je ne connais personne d’entre nous, captif chez les barbares, et nul peuple armé n’est venu nous envahir, et nous réduire à la captivité. Et néanmoins je vais vous montrer que nous gémissons dans un certain esclavage, dont nous souhaitons la délivrance. Que l’apôtre saint Paul nous le dise plutôt lui-même ; qu’il soit notre miroir, qu’il nous parle, et nous, considérons ses paroles. Il n’est personne qui ne se reconnaisse ici. Voici donc ce que dit le saint Apôtre : « En moi l’homme intérieur trouve des charmes dans la loi de Dieu ». Cette loi me cause une joie dans mon cœur. « Mais je vois une autre loi dans mes membres, et qui répugne à la loi de l’esprit ». Tu vois la loi, tu comprends la lutte, mais tu n’as pas encore entendu l’esclavage ; écoute alors ce qui suit : « Cette loi répugne à la loi de l’esprit, et me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres[165] ». Telle est donc la captivité, et qui de nous, mes frères, n’en voudrait être délivré ? D’où viendra la délivrance ? Car c’est pour l’avenir que le psaume a chanté : « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob ». À qui parle-t-il ainsi ? Au Christ qui est notre fin, à Coré dont nous sommes les enfants : c’est lui qui a détourné de Jacob la captivité. Écoute encore saint Paul qui le proclame. Quand il dit qu’il est traîné en captivité par la loi des membres, qui répugne à la loi de l’esprit, il s’écrie dans cette captivité : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Qui me délivrera ? dit-il ; et il répond : « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur[166] ». C’est d’elle que le Prophète a dit à ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur : « Vous avez détourné la captivité de Jacob ». Comprenez bien la captivité de Jacob, et comprenez que Dieu nous en délivre, non plus en nous délivrant des barbares qui n’ont pas fait main basse sur nous, mais en nous délivrant de nos péchés, de nos œuvres mauvaises, qui nous assujettissaient à l’empire de Satan. Car être délivré de ses péchés, c’est échapper à l’empire du prince des péchés.
5. Comment donc le Seigneur détourne-t-il de Jacob cette captivité ? Voyez qu’il s’agit ici d’une délivrance spirituelle, voyez que tout se passe à l’intérieur. « Vous avez remis », dit le Prophète, « l’iniquité de votre peuple, vous avez couvert ses péchés[167] ». C’est donc par la rémission des fautes que Dieu détourne la captivité. Lé péché te retenait captif ; la liberté vient avec la rémission. Confesse donc ta captivité afin de mériter ta délivrance. Comment invoquer un libérateur, quand on ne connaît point son ennemi ? « Vous avez couvert tous ses péchés[168] ». Qu’est-ce à dire, « vous avez couvert ? » De manière à ne plus les voir. Qu’est-ce à dire, ne plus les voir ? N’en point tirer vengeance. Vous n’avez point voulu voir nos péchés, et ne voulant point les voir, vous ne les avez point vus. « Vous avez couvert tous nos péchés ; vous avez apaisé votre colère, vous avez fait cesser la fureur de votre indignation[169] ».
6. Et comme le Prophète parle de l’avenir, bien qu’il se serve du passé, il ajoute : « O Dieu de notre salut, ramenez-nous ». Comment demander l’accomplissement de ce qu’il raconte comme un fait accompli, sinon parce qu’il veut nous montrer qu’il s’est servi du passé pour annoncer l’avenir ? Mais ce qu’il nous donnait comme accompli ne l’est pas encore ; nous le voyons, puisqu’il en demande l’accomplissement. « O Dieu de notre salut, ramenez-nous, détournez de nous votre colère[170] ». Tout à l’heure, ô Prophète, ne disais-tu point : « Vous avez détourné la captivité loin de Jacob, vous avez couvert toutes ses fautes, apaisé votre colère, et ex fait cesser la fureur de votre indignation ? » Comment dire maintenant : « Détournez de nous votre colère ? » Le Prophète nous répond : J’ai parlé comme d’un fait accompli, parce que je le vois dans l’avenir ; mais comme il n’est point accompli, j’appelle de mes vœux la réalisation de ce que j’ai vu. « Détournez de nous votre colère ».
7. « Votre colère contre nous ne sera point éternelle ». C’est par la colère de Dieu que nous devons mourir, par la colère de Dieu, que sur cette terre, dans l’indigence et dans la pauvreté, nous mangeons notre pain à la sueur de notre front. C’est la sentence qu’entendit Adam après le péché[171]. Or, nous étions tous ce même Adam, puisque nous mourons tous en lui ; la sentence qui le frappa, a frappé toute sa race. Nous n’étions pas tels que nous sommes, nous étions en Adam. Tout ce qui lui est arrivé, nous est arrivé aussi, et nous devons mourir parce que nous étions, en lui. Les péchés que commettent les parents, après la naissance des enfants, ne regardent point les enfants ; car ces enfants, une fois nés, sont alors à eux-mêmes, comme les parents sont à eux-mêmes. Mais que ces enfants une fois nés suivent les égarements des parents, ils doivent partager leur sort : si, au contraire, loin d’imiter leurs parents coupables, ils suivent une voie meilleure, ils se font des mérites propres, qui ne sont plus les mérites des parents. Il est tellement vrai que les péchés de tes pères ne te nuiront point, si tu te convertis, qu’ils ne nuiraient même pas à ces mêmes parents, s’ils se convertissaient. Mais c’est d’Adam que nous tirons cette racine qui nous assujettit à la mort. Que nous vient-il de lui ? Cette fragilité de la chair, ce foyer de douleur, cette maison de pauvreté, cette chaîne de la mort, ces pièges de la tentation. Nous portons tous ces maux dans notre chair ; c’est l’effet de la colère de Dieu, parce que telle est sa vengeance. Mais comme nous devions être régénérés, reprendre par la foi une vie nouvelle, en sorte que la résurrection fît disparaître en nous toute nature mortelle, et que tout l’homme fût renouvelé : car de même que tous meurent en Adam, tous vivront dans le Christ[172] ; c’est ce qu’a vu le Prophète, qui s’écrie : « Que votre colère ne soit pas éternelle, et qu’elle ne s’étende pas de génération en génération ». La race première est devenue mortelle par un effet de votre colère, que votre miséricorde donne à l’autre race l’immortalité.
8. Où est donc, ô homme, où est ta part de mérite ? Est-ce dans cette conversion qui t’a fait trouver la divine miséricorde, quand ceux qui ne se sont point convertis ont rencontré la colère ? Aurais-tu pu te convertir sans l’appel de Dieu ? Dieu, en te rappelant dans tes égarements, ne t’a-t-il point donné de te convertir ? N’attribue donc pas à toi-même ta conversion ; car si Dieu ne t’eût rappelé de ta fuite, tu n’aurais pu te convertir, Aussi le Prophète, attribuant à Dieu le bienfait de notre conversion, le supplie en disant : « C’est vous, ô Dieu, qui en nous convertissant, nous donnerez la vie ». Ce n’est point nous qui, sans votre miséricorde et spontanément nous convertirons à vous, pour recevoir de vous la vie ; mais « c’est vous qui nous convertirez pour nous donner la vie » ; en sorte que nous tiendrons de vous, non seulement la vie, mais aussi la conversion qui aboutit à la vie. « O Dieu, en nous convertissant, vous nous donnerez la vie, et votre peuple se réjouira en vous[173] ». Pour son malheur, il prenait sa joie en lui-même ; pour son bonheur, il la prendra en vous. Quand il a voulu trouver en lui la joie, il n’a trouvé que des sujets de larmes. Maintenant que Dieu est toute noire joie, que celui qui veut se réjouir en toute sécurité, se réjouisse en Celui qui ne peut périr. À quoi bon, mes frères, mettre votre joie dans l’argent ? Cet argent périra, ou toi-même ; et nul ne sait qui des deux périra le premier ; ce qui est certain, c’est que l’un et l’autre périront, l’incertitude ne plane que sur le premier. Car l’homme ne peut demeurer toujours ici-bas, non plus que son argent ; il en est de même de l’or, des vêtements, d’un palais, des richesses, des grands domaines et enfin de cette lumière elle-même. Loin de toi donc d’y mettre ta joie ; mais réjouis-toi de cette lumière qui n’a point de couchant, réjouis-toi dans ce jour qui n’a ni hier, ni lendemain, Quelle est cette lumière ? « Je suis », dit le Sauveur, « la lumière du monde[174] ». Celui qui te dit : « Je suis la lumière du monde », est celui-là même qui t’appelle à lui. Pour lui, t’appeler c’est te convertir, te convertir c’est te guérir, te guérir c’est te faire voir celui qui t’a converti et à qui il est dit : « Ton peuple se réjouira en toi ».
9. « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde ». Voilà ce que nous avons chanté, et déjà nous avons dit : « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre salut[175] » : « Votre salut », ou votre Christ. Bienheureux celui à qui Dieu a montré sa miséricorde. Car il ne peut plus s’enorgueillir, celui qui a vu la miséricorde du Seigneur. Lui montrer en effet cette miséricorde, c’était lui persuader que tout le bien qui est en l’homme, n’y est que par celui qui est tout notre bien. Or, quand l’homme comprend que tout le bien qui est en lui, vient de Dieu, et non de lui-même, il voit facilement que tout ce qu’il a de louable, vient de la divine miséricorde, et non de son propre mérite. À cette vue, il est loin de s’enorgueillir : sans orgueil, il ne s’élève point ; sans élévation, il ne tombe point ; s’il ne tombe point, il se tient debout ; en se tenant debout, il s’attache à Dieu ; s’attachant à Dieu, il demeure en lui ; et demeurant en Dieu, il en jouit, il tressaille dans le Seigneur son Dieu. Celui qui l’a créé devient ses délices ; et ces délices, nul ne peut les corrompre, les troubler, les lui ôter. Quelle puissance pourrait le menacer de les lui ôter ? Quel voisin jaloux, quel voleur, quel homme rusé pourrait t’enlever ton Dieu ? Ce que tu as d’extérieur, on peut te l’enlever totalement ; mais ce que tu as dans le cœur, nul ne peut te l’enlever. Telle est cette miséricorde, que Dieu veuille bien nous la montrer. « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre salut ». Donnez-nous votre Christ, c’est en lui qu’est votre miséricorde. Disons-lui, nous aussi : Donnez-nous votre Christ. Il nous l’a déjà donné, il est vrai ; disons-lui néanmoins : Donnez-nous votre Christ, puisque nous lui disons : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien[176] ». Et quel est notre pain, sinon celui qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[177] ? » Disons-lui donc : Donnez-nous votre Christ. Déjà il nous l’a donné, mais dans soin humanité ; or, celui qu’il nous a donné comme homme, il nous le donnera comme Dieu. Aux hommes il a donné un homme, car il le leur a donné à la manière dont ils pouvaient le recevoir, et nul homme ne pouvait recevoir un Christ en sa gloire divine. Il s’est donc fait homme pour les hommes, tout en réservant aux dieux sa divinité. Ma parole n’est-elle point trop hardie ? Elle serait hardie, en effet, si lui-même n’avait dit : « Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut[178] ». C’est pour cette adoption que nous sommes renouvelés, c’est pour devenir les enfants de Dieu. Nous le sommes déjà, mais par la foi : nous le sommes en effet, mais en espérance et non en réalité. Car l’Apôtre nous l’a dit : « Nous sommes sauvés par l’espérance ; et l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience[179] ». Qu’est-ce que « nous attendons par la patience », sinon de voir ce que nous croyons ? Maintenant nous croyons ce que nous ne voyons pas : mais en demeurant fermes dans ce que nous croyons sans le voir, nous mériterons de voir ce que nous croyons. Aussi que nous dit saint Jean dans son épître ? « Mes bien-aimés, nous sommes les fils de Dieu, et ce que nous devons être un jour n’apparaît pas encore[180] ». Quel homme ne bondirait de joie, s’il se trouvait dans une terre étrangère, sans connaître sa parenté, en proie à l’indigence, à la misère, à la fatigue, et qu’on vint tout à coup lui dire : Tu es le fils de tel sénateur ; ton père est puissamment riche, et jouit en paix de ses biens, je viens te conduire près de ton père ? quelle ne serait point sa joie, si ce langage n’était point trompeur ? Voilà que l’Apôtre du Christ, qui ne peut nous tromper, vient vous dire : Pourquoi ce désespoir en vous ? Pourquoi cette affliction, ce chagrin qui vous accable ? Pourquoi suivre ainsi vos convoitises, et voulez-vous souffrir la disette parmi ces faux plaisirs ? Vous avez un père, vous avez une patrie ; vous avez un patrimoine. Quel est ce père ? « Mes bien-aimés, nous sommes enfants de Dieu ». Pourquoi ne voyons-nous pas encore notre Père ? « Ce que nous devons être un jour n’apparaît pas encore ». Nous le sommes dès à présent, mais en espérance : car « ce que nous devons être n’est pas visible ». Que serons-nous ? « Nous savons », poursuit l’Apôtre, « que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est[181] ». Mais c’est du Père qu’il parle ainsi : n’a-t-il donc rien dit du Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Serons-nous heureux en voyant le Père, sans voir le Fils ? Écoute le Christ lui-même : « Quiconque me voit, voit mon Père[182] ». Voir un seul Dieu, c’est voir la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et pour comprendre plus expressément encore que la vue du Fils constituera notre bonheur, et qu’il n’y a nulle différence entre voir le Père et voir le Fils : écoute cette parole du Fils dans l’Évangile : « Celui qui m’aime garde mes commandements, et moi je l’aimerai, et je me montrerai à lui[183] ». Il parlait à ses disciples, et néanmoins il disait : « Je me montrerai à lui[184] ». Pourquoi ? N’était-ce point lui-même qui parlait ? Mais c’était la chair qui voyait la chair, et le cœur ne voyait point la divinité. Or, la chair a vu la chair, afin que le cœur fût purifié par la foi et pût voir Dieu. Car il est dit de Dieu qu’« il purifie nos cœurs par la foi[185] ». Et le Seigneur a dit : « Bienheureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu[186] ». Il a donc promis de se montrer à nous. Or, considérez, mes frères, quelle est sa beauté. Toutes ces beautés qui vous plaisent et qui flattent votre vue, c’est lui qui les a créées. Si telle est la splendeur de ses œuvres, lui-même que sera-t-il ? Si telle est leur magnificence, quelle sera sa grandeur ? Donc tout ce que nous aimons ici-bas, doit nous porter à le désirer, à mépriser toutes ces créatures, pour n’aimer que lui, et par cet amour purifier nos cœurs dans la foi, afin qu’à son apparition il trouve en nous un cœur pur. Cette splendeur qui nous apparaîtra doit nous trouver guéris ; telle est aujourd’hui l’œuvre de la foi. Aussi disons-nous ici-bas : « Donnez-nous votre salut » ; donnez-nous votre Christ ; puissions-nous connaître ce Christ et le voir, non point comme l’ont vu les Juifs qui l’ont crucifié, mais comme le voient les anges dont il fait la joie.
10. « J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu[187] » Ainsi dit le Prophète ; Dieu lui parlait intérieurement, tandis que le bruit du monde éclatait au-dehors. Il se sépare alors de ce monde tumultueux, il se retire en lui-même, pour passer de lui-même à celui dont il entend la voix. Il se bouche en quelque sorte l’oreille pour ne rien entendre du bruit tumultueux de cette vie, ni du trouble d’unie âme appesantie par le poids du corps[188], ni de ces pensées nombreuses de l’esprit qu’étouffe une habitation terrestre : « J’écouterai », dit-il, « ce que dira en moi le Seigneur Dieu ». Il a entendu, quoi ? « que le Seigneur donnera des paroles de paix à son peuple ». Donc la voix du Christ, la voix de Dieu, c’est la paix, qui nous convie à la paix. Courage ! nous dit-elle, aimez la paix, vous tous qui n’êtes pas encore établis dans la paix. Que pourriez-vous désirer de moi, qui soit meilleur que la paix ? Qu’est-ce que la paix ? l’absence de toute guerre. Quand n’y a-t-il plus de guerre ? quand il n’y a ni contradiction, ni résistance, ni antagonisme. Jugez par là si nous sommes en paix, voyez si nous n’avons point de lutte contre le diable, si les fidèles et tous les saints ne sont point en guerre avec le prince des démons. Et comment lutter avec celui qui est invisible ? Ils combattent contre leurs convoitises dont il se sert pour suggérer le péché ; or, c’est combattre que refuser de consentir à ces suggestions, et ne point succomber. La paix n’est donc point avec la lutte. Montrez-moi un homme qui ne ressente aucun aiguillon dans sa chair, et qui puisse me dire qu’il est en paix. Peut-être n’est-il plus ébranlé par ces coupables voluptés, mais il en ressent du moins les suggestions : ou le démon lui suggère ce qu’il méprise, ou il trouve quelque charme dans la continence. Et s’il ne trouve aucun charme dans ce qui est criminel, il a du moins à combattre chaque jour la faim et la soif. Quel homme juste en est exempt ? Nous sommes donc en lutte avec la faim, avec la soif, en lutte avec la fatigue du corps, en lutte avec le plaisir du sommeil, en lutte avec l’accablement. Nous voulons veiller, nous sommeillons ; nous voulons jeûner, nous souffrons de la faim et de la soif ; nous voulons demeurer debout, la fatigue nous abat. Nous voulons nous asseoir, et le faire trop longtemps est encore une lassitude. Tout ce que nous recherchons comme un soulagement, nous devient ensuite une peine. Tu as faim, dira quelqu’un ; oui, réponds-tu. Et il te sert à manger. Il le fait pour rétablir tes forces ; prends longtemps de ces nourritures ; tu veux te restaurer, continue alors ; et par là, ce qui devait réparer tes forces le causera une lassitude. Las d’être assis, tu te lèves, tu marches pour te délasser ; mais continue ce délassement, et bientôt une longue marche te fatiguera ; et tu chercheras encore un siège. Trouve-moi un délassement qui, en se prolongeant, n’arrive à te fatiguer. Quelle est donc cette paix que peuvent goûter les hommes, au milieu de tant d’obstacles, de tant de désirs, de tant de misères, de lassitudes ? Ce n’est point là une véritable paix, une paix parfaite. Que sera donc la paix dans sa perfection ? « Ce corps corruptible doit se revêtir d’incorruption, cette chair mortelle d’immortalité : et alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon ? ô mort, où est ta prétention[189] ? » Comment la paix serait-elle parfaite avec la mort ? c’est de la mort que viennent ces lassitudes, jusque dans nos délassements. Tout cela vient de la mort, puisque nous portons un corps mortel ; et qui est mort, selon l’Apôtre, même avant que l’âme en soit séparée : « Le corps », dit-il, « est mort à cause du péché[190] ». Prolonge en effet longtemps ce qui te soutient, il deviendra mortel ; prolonge trop un festin, tu en mourras ; prolonge trop, un jeûne, tu en mourras ; demeure toujours assis, sans te lever jamais, tu en mourras ; marche toujours sans prendre aucun repos, tu en mourras prolonge tes veilles sans vouloir du sommeil, tu en mourras ; dors toujours, sans vouloir t’éveiller, tu en mourras. Mais quand la mort sera absorbée dans sa victoire, ces maux ne seront plus, ils feront place à une paix complète et satis fin. Nous habiterons une certaine ville, mes frères, et quand j’en parle je ne voudrais jamais finir, surtout quand je vois se multiplier les scandales. Qui ne soupirerait après cette cité bienheureuse, d’où nul ami ne sort, où n’entre nul ennemi, où il n’y a ni tentation, ni sédition, ni schisme dans le peuple de, Dieu, nul instrument du diable pour affliger l’Église, puisque le prince des démons est jeté dans les flammes éternelles, et avec lui tous ses suppôts, qui n’ont point voulu se séparer de lui ? Une paix parfaite régnera donc parmi les enfants de Dieu, qui s’aimeront, se verront pleins de Dieu, car Dieu sera tout en tous[191]. C’est donc Dieu que nous verrons tous, Dieu que nous posséderons tous, Dieu qui sera notre paix à tous. Quels que soient ses dons ici-bas, lui seul alors nous tiendra lieu de tout don : il sera pour nous la paix entière et parfaite. Telle est la paix qu’il annonce à son peuple, et la paix que voulait entendre celui qui dit ici : « J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu ses paroles de paix sur son peuple et sur ses saints, et sur tous ceux qui tournent vers lui leur cœur[192] ». Courage, mes frères ! Voulez-vous avoir cette paix que vous annonce le Seigneur ? Tournez votre cœur vers lui, non point à moi, non point à cet autre, non point à un homme, quel qu’il soit. Tout homme en effet qui voudra s’attirer les cœurs des hommes, doit périr avec eux. Or, quel est le parti le plus avantageux, ou de tomber avec l’homme vers qui vous tournez vos pensées, ou de vous tenir debout avec l’émule de votre conversion ? Ce n’est qu’en Dieu que nous trouvons notre joie, notre paix, notre repos, la fin de nos chagrins. « Bienheureux ceux u qui tournent leurs cœurs vers vous ».
11. « Toutefois sa grâce qui sauve est près de ceux qui le craignent[193] ». Plusieurs le craignaient jadis dans le peuple juif. Sur toute la terre on adorait des idoles ; on craignait les démons, et non le Seigneur ; les Juifs seuls craignaient Dieu. Mais d’où venait cette crainte ? Dans l’Ancien Testament, on craignait que Dieu ne soumît à la domination des ennemis, qu’il n’enlevât les terres, qu’il ne ravageât les vignes par la grêle, qu’il ne frappât les Épouses de stérilité, qu’il n’enlevât les enfants. Ces promesses charnelles enchaînaient des âmes faibles, et les retenaient dans la crainte de Dieu ; mais lui-même était proche de ceux qui le craignaient pour ces biens. Le païen demandait quelque terre au démon, le juif demandait quelque terre à Dieu ; la demande était la même, et non celui à qui on l’adressait. Le juif demandait ce que le païen demandait, et toutefois il différait du païen, en ce qu’il invoquait celui qui avait tout fait. Et Dieu était proche des Juifs, loin des idolâtres : et néanmoins il jeta les yeux sur ceux qui étaient éloignés, comme sur ceux qui étaient proches, selon ces paroles de l’Apôtre : « Il est venu prêcher la paix à vous qui étiez éloignés, et la paix à ceux qui étaient proches[194] ». Quels sont les proches, selon lui ? Les Juifs, parce qu’ils adoraient un seul Dieu. Selon lui encore, quels étaient les peuples éloignés ? Les Gentils, parce qu’ils avaient abandonné le Créateur pour adorer leurs propres œuvres. Car ce n’est point par les lieux, mais par les affections que l’on s’éloigne de Dieu. Aimes-tu Dieu ? tu es près de lui. Le hais-tu ? tu es éloigné. Dans un même lieu, lu peux être auprès de Dieu, ou loin de lui. Voilà donc, mes frères, ce qu’a vu le Prophète ; bien qu’il ait vu la miséricorde de Dieu s’étendre en général sur tous les hommes, il a compris que Dieu avait pour les Juifs une affection toute particulière, et il s’écrie : « Toutefois, j’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu, parce qu’il annoncera la paix à son peuple ». Et son peuple ne sera pas seulement formé du peuple juif, il sera recruté parmi les nations. « Car le Seigneur fera entendre des paroles de paix sur ses fidèles, sur ceux dont le cœur se tourne vers lui », et sur tous ceux qui dans tous les lieux de la terre doivent se convertir à lui de tout leur cœur. « Toutefois son salut est proche de ceux qui le craignent, et sa gloire habitera notre terre » ; c’est-à-dire que ta principale gloire habitera dans la terre natale du Prophète ; parce que c’est là que commencera la prédication du Christ. De là vinrent les Apôtres envoyés tout d’abord ; de là les Prophètes, là fut le temple de Dieu, où l’on sacrifiait au vrai Dieu ; là les Patriarches, là encore celui qui est né de la race d’Abraham, le Christ s’est manifesté, là il est apparu ; de là est la vierge Marie qui a enfanté le Christ. C’est la terre que ses pieds ont parcourue, qu’il a illustrée de ses miracles. Enfin il a fait à ce peuple cet honneur de répondre à la chananéenne qui lui demandait le salut de sa fille : « Je ne suis envoyé que vers les brebis d’Israël, qui se sont égarées[195] ». Voilà ce qu’envisage le Prophète, quand il s’écrie : « Toutefois son salut est près de ceux qui le craignent, et sa gloire habitera notre terre ».

12. « La miséricorde et la vérité se sont rencontrées[196] ». La vérité s’est trouvée en notre terre dans la personne des Juifs, et la miséricorde en la terre des Gentils. Où était en effet la vérité ? Dans les oracles de Dieu. Où était la miséricorde ? En ceux qui avaient abandonné leur Dieu pour se tourner vers les démons. Mais Dieu les a-t-il méprisés ? Il a dit au contraire : Appelez ces hommes qui fuient au loin, et qui se séparent de moi par de longs espaces ; qu’on les appelle, qu’ils me trouvent, alors que je les cherche, puisqu’ils ne veulent point me chercher. Donc « la miséricorde et la vérité se sont rencontrées ; la justice et la paix se sont embrassées ». Fais la justice, et tu auras la paix ; afin que la justice et la paix s’embrassent en toi. Sans l’amour de la justice, tu n’auras aucune paix. La justice et la paix se tiennent et s’embrassent, et faire la justice, c’est rencontrer la paix qui l’embrasse. Ce sont deux amies, et toi, sans faire l’une, tu voudrais peut-être posséder l’autre. Il n’est personne pour ne point désirer la paix, mais tous ne veulent point faire la justice. Demandez à tous les hommes : Voulez-vous la paix ? Le genre humain tout entier n’aura que cette réponse : Je la veux, je la désire, je la souhaite, je l’aime. Aime encore la justice, parce que la justice et la paix sont deux amies qui se tiennent embrassées. Si tu n’aimes point l’amie de la paix, cette paix ne t’aimera point, et ne viendra pas en toi. Qu’y a-t-il de grand à désirer la paix ? Tout méchant aime la paix, car la paix est un bien. Mais fais la justice, parce que la justice et la paix s’embrassent et ne sont point en désaccord, À quoi bon être en guerre, avec la justice ? La justice te dit : Ne vole point, et tu n’entends pas ; Ne commets point l’adultère, et tu ne veux pas entendre ; Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux point qu’on te fasse ; ne dis pas à autrui ce que tu ne veux pas que l’on te dise. Tu es l’ennemi de mon amie intime, te répond la paix, à quoi bon me chercher ? Je suis l’amie de la justice, et je fuis quiconque est l’ennemi de cette amie. Veux-tu donc arriver à la paix ? Fais les œuvres de la justice. De là vient cette parole d’un autre psaume : « Détourne-toi du mal, et fais le bien » (c’est là aimer la justice) ; et quand tu auras évité le mal et fait le bien, « cherche la paix, et puis suis-la[197] ». Car alors tu ne la chercheras pas longtemps, mais elle se présentera d’elle-même à toi, afin d’embrasser la justice.

13. « La vérité est née de la terre, et la justice a regardé du ciel[198] ». « La vérité est née de la terre », c’est le Christ qui est né d’une femme. « La vérité est née de la terre », c’est le Fils de Dieu issu de la chair. Qu’est-ce que la vérité ? Le Fils de Dieu. Qu’est-ce que la terre ? La chair. Cherche d’où est le Christ, et tu verras que « la vérité est née de la terre ». Mais cette vérité née de la terre était avant la terre, et c’est par elle que le ciel et la terre ont été faits. Mais afin que la justice regardât du ciel, c’est-à-dire, afin que les hommes fussent justifiés par la grâce divine, la vérité est née de la vierge Marie, afin de pouvoir offrir pour tous ceux qui devront être sanctifiés le sacrifice auguste, le sacrifice de sa passion, le sacrifice de la croix. Or, comment offrir un sacrifice pour nos péchés sans mourir ? Et comment mourir, s’il n’a reçu un corps mortel ? C’est-à-dire que le Christ n’eût pu mourir, s’il n’eût pris une chair sujette à la mort. Le Verbe ne meurt point, la divinité ne meurt point, la vertu, la sagesse de Dieu ne meurt point. Comment sans mourir eût-il offert une victime expiatoire ? Comment mourir, s’il n’eût eu une chair ? Comment se revêtir d’une chair, si la vérité ne germe de la terre ? « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé du haut des cieux. » 14. Un autre sens que l’on pourrait donner à ces paroles : « La vérité a germé de la terre » ; c’est la confession qui est née de l’homme. O homme, tu étais pécheur. O terre, qui as entendu quand tu as péché : « Tu es terre, et tu retourneras en terre[199] » ; que la vérité naisse de toi, afin que la justice regarde du ciel. Comment la vérité naîtra-t-elle de toi, pécheur, de toi, injuste ? Confesse tes péchés, et la vérité germera de toi. Mais si dans ton injustice tu prétends être juste, comment la vérité peut-elle venir de toi ? Au contraire, si dans ton injustice tu avoues que tu es injuste, « La vérité a germé de la terre ». Écoute ce publicain qui prie dans le temple, bien loin du pharisien, et qui n’ose lever les yeux au ciel, mais qui se frappe la poitrine en disant : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi pécheur » ; c’est « la vérité qui germe de la terre » ; puisqu’un homme a confessé ses fautes. Voyez ensuite : « Je vous déclare », dit le Sauveur, « que ce publicain retourna chez lui beaucoup plus juste que le pharisien ; car tout homme qui s’élève sera humilié, et tout homme qui s’humilie sera élevé[200]. La vérité germe de la terre » par l’aveu des fautes ; « et la justice a regardé du ciel » ; de sorte que le publicain sortit plus juste que le pharisien. Et pour vous faire comprendre que la vérité consiste principalement dans l’aveu des fautes, l’Évangéliste saint Jean a dit : « Si nous disons que nous n’avons aucun péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ». Écoutez-le nous dire ensuite comment la vérité germe de la terre, afin que la justice regarde du haut du ciel : « Si nous confessons nos péchés, Dieu est juste et fidèle, pour nous les remettre et nous purifier de nos crimes[201] ». La vérité a « donc germé de la terre, et la justice a regardé du haut du ciel ». Quelle justice a regardé d’en haut, sinon celle de Dieu qui disait : Pardonnons à cet homme qui ne se pardonne pas à lui-même ? Oublions ses fautes, puisqu’il ne les oublie point. Il s’applique à s’en châtier, appliquons-nous à l’en délivrer. « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé d’en haut ».
15. « Car le Seigneur répandra la douceur, et notre terre donnera son fruit[202] ». Nous n’avons plus qu’un verset, écoutez sans ennui ce que je vais dire. Écoutez, mes frères, écoutez, je vous en supplie, une importante vérité ; soyez attentifs à cette vérité que vous devez savoir, emportez-la avec vous, et que la parole de Dieu ne soit point dans vos cœurs une semence inutile. « La vérité a germé de la terre », dit le Prophète, ou la confession est sortie de l’homme pécheur ; « et la justice a regardé d’en haut ». C’est-à-dire que le Seigneur Dieu a donné la justification à celui qui avouait ses fautes, afin que l’impie sache bien qu’il ne peut devenir juste que par la grâce de celui à qui il avoue ses fautes, et par sa foi en celui qui justifie l’impie[203]. Tu peux donc avoir des péchés ; mais un bon fruit, tu le tiendras de celui-là seul à qui tu confesses tes fautes. Aussi après avoir dit : « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé d’en haut » ; le Prophète ajoute : « Le Seigneur répandra la douceur, et la terre donnera son fruit », comme si nous lui demandions : Que veut-il dire par ces paroles : « La justice a regardé d’en haut ? » Regardons-nous donc nous-mêmes, et si nous ne trouvons en nous que des péchés, détestons nos péchés, et désirons la justice, Dès que nous commencerons à détester nos péchés, cette haine du péché nous rendra semblables à Dieu ; car nous haïrons ce qu’il hait lui-même. Mais dès que tu auras commencé à haïr tes fautes et à les confesser, et que les plaisirs coupables te solliciteront et t’emporteront aux choses frivoles, gémis devant Dieu ; confesse-lui tes fautes, et tu mériteras qu’il t’écoute et te fasse trouver le plaisir dans le bien, tes délices à faire des œuvres de justice, bonheur plus suave que tu n’en trouvais d’abord dans le péché. Ainsi ta joie était dans les excès de la table, elle sera dans la sobriété ; tu éprouvais un bonheur à voler, à prendre aux autres ce que tu n’avais pas, tu le trouveras à donner ton bien à celui qui n’a rien ; le ravisseur aimera à donner, l’amateur des théâtres deviendra amateur de la prière ; au lieu de fredonner les chansons badines, les refrains adultères, tu aimeras de chanter les hymnes de Dieu, de courir à l’église comme tu courais au théâtre. D’où vient ce plaisir si pur, sinon de Dieu qui a répandu sa douceur, et notre terre a donné son fruit ? » Comprenez en effet cette pensée : voici que je vous ai annoncé la parole de Dieu ; j’ai répandu cette semence dans des cœurs bien préparés, des cœurs ouverts et sillonnés en quelque sorte par le soc de la confession ; vous avez reçu cette semence avec piété, avec attention ; repassez en vous-mêmes cette parole, brisez la glèbe afin de couvrir la semence ; que les oiseaux ne l’enlèvent point, qu’elle germe dans vos cœurs. Mais si Dieu ne répand sa pluie, à quoi bon tout ce qui est semé ? Tel est le sens de cette parole : « Le Seigneur répandra la douceur, et notre terre donnera son fruit ». Que le Seigneur vous visite, et dans le repos, et dans le négoce, et dans votre demeure, et dans votre lit, et dans vos repas, et dans vos entretiens, et dans vos promenades, qu’il visite vos cœurs, quand nous ne sommes point avec vous. Que la rosée du Seigneur descende eu vous et vivifie ce qui a été semé ; et quand nous ne sommes point avec vous, soit que nous nous reposions en toute sécurité, soit que nous fassions autre chose, que Dieu veuille donner de l’accroissement à ce grain que nous avons répandu, afin que, en voyant plus tard la sainteté de votre vie, nous nous réjouissions de ce fruit de salut. « Le Seigneur a répandu la douceur, et notre terre a donné son fruit ».
16. « La justice marchera devant lui, il marquera ses pas dans la voie[204] ». Cette justice est celle qui résulte de l’aveu des péchés ; et qui est aussi vérité. Car tu dois être juste envers toi-même, afin de te punir. Telle est la première justice de l’homme, de châtier le mal en toi, afin que Dieu te rende bon. Et comme c’est là le premier degré de la justice chez l’homme, c’est ce qui prépare à Dieu le chemin pour venir en toi, et tu lui ouvres cette voie, par la confession des péchés. De là vient que Jean, lorsqu’il baptisait dans l’eau, et qu’il voulait attirer à lui ceux qui se repentaient de leur vie passée, leur disait : « Préparez la voie au Seigneur, et rendez droits ses sentiers[205] ». Tu te plaisais dans ton péché, ô homme ; que ton passé te déplaise, afin de pouvoir devenir ce que tu n’étais pas. « Préparez la voie au Seigneur » ; que la justice marche devant toi, par l’aveu de tes fautes. Alors il viendra et te visitera, « parce qu’il marquera ses pas dans la voie ». Il trouvera en toi où poser ses pas, et y venir. Mais avant de confesser tes péchés, tu avais fermé en toi toute voie de Dieu, il n’y en avait aucune par où il pût venir. Confesser ta vie, c’est ouvrir la voie ; et le Christ viendra, « et il marquera ses pas dans la voie », pour t’apprendre à marcher sur ses traces.

DISCOURS SUR LE PSAUME 85[modifier]

SERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.[modifier]

LES ESPÉRANCES DE L’ÉGLISE.[modifier]

C’est Jésus-Christ uni à son corps ou l’Église qui parle dans ce psaume. Ne craignons pas d’y trouver des paroles qui conviennent à Dieu, et d’autres à l’homme seulement. C’est le même que l’on invoque comme un Dieu, et qui prie en nous comme un homme. Dieu s’est incliné vers nous qui l’avions offensé ; telle est sa miséricorde, et il garde sa vie pour les justes. Il prête l’oreille à celui qui est humble, qui sent le besoin de miséricorde, qui n’espère point dans les richesses. Abraham était riche et fut glorifié aussi bien que Lazare. Car Dieu pèse l’intérieur, et c’est par l’âme que nous sommes riches ou pauvres. En son humanité le Christ dit : Gardez mon âme, et il était alors une chair, une âme et le Verbe. Le chrétien peut se dire saint ; mais sanctifié par son chef, et non se sanctifiant lui-même ; il gémit tout le jour dans la succession des siècles. Elevons donc nos âmes vers Dieu, afin qu’il répande en elles quelque joie, et que nous les garantissions de la corruption ; élevons-les en changeant de volonté. Fatiguée de la terre où elle rencontre soit les méchants scandaleux, soit les justes dont elle craint la perte, l’âme du Prophète s’élève à Dieu et déplore les difficultés qu’elle éprouve à demeurer en lui ; mais elle s’applaudit de ce que Dieu oublie nos dissipations pour nous écouter favorablement. Car il est miséricordieux pour ceux qui lui demandent ce qui aboutit au salut. Il exauce Satan qui veut éprouver Job, il n’exauce pas saint Paul qui veut être délivré de l’épreuve. Ne lui demandons pas ce qu’il ne veut point. S’il donne aux impies les biens de la terre, que ne réserve-t-il pas à ceux qui le servent ? C’est le ciel. Or, un malade qui vent guérir, endure tout de la part du médecin qui est faillible, et la santé qu’il rend n’est pas inaltérable. Quelle ne doit pas être notre espérance pour le ciel ? Dieu nous exauce quand nous crions vers lui, dans l’affliction ; or, c’est pour un chrétien une affliction que n’habiter pas le ciel. Ce n’est point assez pour nous des richesses d’ici-bas, quand nous serions assurés de les posséder éternellement, il nous faut Dieu, et nul n’est semblable à Dieu les autres ne sont que des démons. Toutes les nations se prosterneront devant lui, car l’Église est composée de tous les peuples, et non de l’Afrique seulement, comme le prétend Donat. Tous ne forment qu’une seule Église comme il n’y a qu’une seule patrie céleste. C’est là que le Seigneur nous conduira par sa voie qui est le Christ, en nous donnant sa main qui est le Christ pour arriver à la vérité, qui est le Christ, et à la vie, encore le Christ. C’est ce Christ qui nous a tirés de l’enfer inférieur, c’est-à-dire ou bien de la région des morts, ou de la région qu’habite le mauvais riche, en nous remettant nos péchés. Les violateurs de la loi se sont élevés contre le Christ, en l’accusant de la violer ; ils n’ont pas compris qu’il fût Dieu ; de même les impies, au jugement, ne verront que l’homme qu’ils ont crucifié. Il sauvera le fils de la servante, ou le chrétien fils de l’Église. Ses ennemis ne le verront point sans confusion : qu’ils saisissent ici-bas l’occasion d’une confusion salutaire, et les misères de cette vie se changeront en une véritable joie, une joie sans fatigue.


1. Dieu ne pouvait faire aux hommes un don plus excellent que de leur accorder pour chef son Verbe, par lequel il a créé toutes choses, et de les unir à lui comme ses membres, afin qu’il fût tout à la fois fils de Dieu et fils de l’homme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme avec les hommes ; afin qu’en adressant nos prières à Dieu, nous n’en séparions pas le Fils, et que le corps du Fils, offrant ses prières, ne soit point séparé de son chef. Ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, unique Sauveur de son corps mystique, prie tour nous, prie en nous, et reçoit nos prières. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il reçoit nos prières comme notre Dieu. Reconnaissons donc, et que nous parlons en lui, et qu’il parle en nous. Et quand il est question de Jésus-Christ Notre-Seigneur, surtout dans les prophéties, surtout quand il en est question d’une manière qui paraît indigne de Dieu, ne craignons pas de l’y retrouver, pas plus qu’il n’a craint de s’unir à nous. Toute créature lui est assujettie, puisque c’est par lui que toute créature a été faite. Aussi quand nous envisageons sa divinité, quand nous entendons : « Au commencement était le Verbe, elle Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était au commencement en Dieu ; tout a été fait par lui, et rien sans lui[206] » ; lorsque nous considérons cette divinité suréminente du Fils de Dieu qui plane au-dessus de ce qu’il y a de plus sublime parmi les créatures, et que nous l’entendons aussi gémir en quelques endroits de l’Écriture, et prier, et confessant ses fautes ; nous hésitons alors à lui attribuer ces paroles, parce que notre esprit ne quitte point facilement ces hauteurs d’où il contemplait sa divinité pour descendre à une humilité si profonde. Il craint de lui faire injure, en retrouvant chez un homme les paroles de celui qu’il invoquait lui-même comme un Dieu ; il hésite,-il voudrait changer le sens ; et il ne trouve dans la sainte Écriture d’autre moyen que d’appliquer ces paroles au Christ, et de ne s’en point détourner. Qu’il réveille donc et qu’il ravive sa foi ; qu’il comprenne que celui dont il contemplait naguère la divinité a néanmoins pris la forme de l’esclave, est devenu semblable aux autres hommes, et reconnu pour un homme, par ce que l’on voyait de lui, qu’il s’est humilié en obéissant jusqu’à la mort[207], qu’il s’est approprié les paroles du Psalmiste, quand, sur la croix, il s’est écrié « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[208] ? » C’est donc lui que l’on prie comme un Dieu, c’est lui qui prie comme un homme ; ici il est Créateur, là créature t sans subir de changement, il a pris une nature changeante, et ne fait de nous avec lui qu’un seul homme, la tête et le corps. C’est donc lui que nous prions, c’est par lui, c’est avec lui. C’est en lui que nous disons, c’est en nous que lui-même fait cette prière du psaume qui a pour titre : « Prière de David[209] ». Car Jésus-Christ est fils de David selon la chair ; mais comme Dieu il est Seigneur de David, créateur de David, et non seulement avant David, mais avant Abraham dont David est issu ; mais avant Adam père de tous les hommes ; mais avant le ciel et la terre qui renferment les autres créatures. Que personne donc, en entendant ces paroles, ne dise : Le Christ ne parle point ici ; qu’il ne dise pas non plus : Ce n’est point moi qui parle ; mais s’il croit être dans le corps du Christ, qu’il dise tout à la fois : C’est le Christ qui parle, c’est moi qui parle. Ne parle jamais sans lui, et il ne dira rien sans toi. N’est-ce point là une leçon de l’Évangile ? Nous y lisons certainement : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui » ; et pourtant nous y lisons encore : Et Jésus fut contristé[210], Jésus fut fatigué[211], Jésus dormit[212], il eut faim[213], il eut soif[214], il pria et passa la nuit en prières : « Jésus », est-il dit, « persistait dans sa prière et il y passait la nuit[215], et des gouttes de sang coulaient de son corps[216] ». Que nous enseignait-il quand ces gouttes de sang coulaient sur son corps, pendant sa prière, sinon que le sang des martyrs devrait couler de son corps mystique ou de l’Église ?
2. « Seigneur, inclinez votre oreille, et exaucez-moi[217] ». Ainsi dit le Christ dans la forme de l’esclave ; toi, esclave, parle dans la forme de ton Seigneur : « Inclinez votre oreille, ô Dieu, et exaucez-moi ». Il incline son oreille, si tu n’élèves point trop la tête. Car il s’approche de celui qui s’humilie ; il s’éloigne de celui qui s’élève, à moins que lui-même ne l’ait relevé de son humilité. Dieu donc a incliné son oreille vers nous, lui si haut, et nous si bas ; lui, dans la splendeur de la gloire, nous, dans la dernière abjection, mais pas sans remède néanmoins. « Il a montré son amour pour nous, et lorsque nous étions impies, il est mort pour nous. C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un homme juste ; même pour un bienfaiteur quelqu’un se présenterait-il ? « Mais Notre-Seigneur est mort pour les impies[218] ». Aucun mérite ne nous avait précédés pour que le Fils de Dieu mourût pour nous, et cette absence de mérites a fait ressortir sa miséricorde. Combien est donc sûre, combien est infaillible cette promesse de garder sa vie pour les justes, qu’a faite celui qui a donné sa vie pour les hommes injustes ! « Inclinez, Seigneur, votre oreille, et écoutez-moi, car je suis pauvre et indigent ». Dieu donc n’incline point l’oreille vers celui qui est riche, il l’incline au contraire vers celui qui est pauvre et indigent, ou plutôt qui est humble, qui avoue ses fautes, qui a besoin de miséricorde, non point vers l’homme rassasié qui s’élève, qui se glorifie, comme s’il ne manquait de rien, et qui dit « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme ce publicain[219] ». Le Pharisien était riche, puisqu’il vantait ses mérites, le publicain était pauvre et confessait ses péchés.
3. Et quand je vous dis, mes frères, que Dieu n’incline point son oreille vers le riche, n’allez pas comprendre qu’il n’exauce point ceux qui ont de l’or ou de l’argent, des domestiques, des domaines, dès lors qu’ils y sont astreints par leur naissance, ou par le rang qu’ils tiennent dans le monde ; qu’ils se souviennent seulement de ce qu’a dit l’Apôtre : « Ordonnez aux riches de ce monde de ne point s’enorgueillir[220] ». Quiconque ne s’enorgueillit point est pauvre en Dieu, et Dieu incline son oreille vers les pauvres, vers les indigents, vers les dénués du monde. Ils savent bien qu’ils ne doivent mettre leur espérance ni dans l’or, ni dans l’argent, ni dans tous ces biens qui semblent s’écouler avec le temps. Il leur suffit de ne point se perdre au moyen de ces richesses : c’est beaucoup qu’elles ne leur nuisent pas, car elles ne peuvent leur servir. Les œuvres de charité sont utiles sans doute et chez le riche et chez le pauvre ; chez le riche par l’œuvre et par la volonté, chez le pauvre par la volonté seulement. Si donc un riche méprise en lui-même tout ce qui est occasion d’orgueil, il est un pauvre selon Dieu ; et Dieu incline son oreille vers lui, parce qu’il fait que son cœur est contrit. Vous le savez, mes frères, ce pauvre couvert d’ulcères, et couché devant la porte du riche, fut porté par les anges au sein d’Abraham : voilà ce que nous lisons, ce que nous croyons. Quant à ce riche, qui était revêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, il fut jeté dans les flammes de l’enfer[221]. Est-ce bien par le seul mérite de sa pauvreté que l’un fut reçu par les anges, et pour le crime d’être riche que l’autre fut jeté dans les tourments ? Dans ce pauvre, c’est l’humilité qui est glorifiée, et dans ce riche l’orgueil qui est châtié. Et je prouve en un mot que ce n’est point la richesse, mais bien l’orgueil que Dieu a condamné dans ce riche. Assurément ce pauvre fut porté au sein d’Abraham ; mais cet Abraham, au dire de l’Écriture, était un riche de la terre, il avait de l’or, de l’argent[222]. Si le riche est jeté dans les tourments, comment Abraham était-il plus élevé en gloire que le pauvre qu’il recevait dans son sein ? Mais Abraham était humble au milieu de ses richesses ; il tremblait devant les préceptes de Dieu, il s’y soumettait. Il estimait si peu les richesses selon le monde, que sur l’ordre de Dieu il allait immoler son fils[223], l’héritier de ces grands biens. Apprenez donc à être pauvres, à être indigents, soit que vous possédiez des biens ici-bas, soit que vous n’en possédiez point. Vous trouvez en effet des gens orgueilleux dans leur pauvreté, et des hommes riches qui confessent leurs péchés. Or, Dieu résiste aux superbes, aux hommes vêtus de soie et de pourpre ; il donne sa faveur aux humbles[224], qu’ils aient ou non des biens sur la terre. Dieu regarde l’intérieur ; voilà ce qu’il pèse et ce qu’il juge. Tu ne vois point la balance de Dieu, et néanmoins elle pèse tes pensées. Voyez-le bien, notre interlocuteur ne fonde son espérance d’être exaucé qu’en ce qu’il dit : « Je suis pauvre et indigent ». Garde-toi de n’être point pauvre et indigent ; si tu ne l’es point, tu ne seras pas exaucé ; rejette bien loin tout ce qui est autour de toi ou en toi, et qui pourrait te donner de la présomption ; que Dieu soit ton unique appui : sois pauvre de lui, afin qu’il t’enrichisse de lui-même. Tout ce que tu posséderas sans lui ne fera qu’augmenter ton indigence.
4. « Conservez mon âme, parce que je suis saint[225] ». Ce langage, « parce que je suis saint », je ne sais qui peut le tenir, sinon celui qui était sans péché en cette vie ; qui n’avait commis aucun péché, qui les a tous effacés. C’est sa voix que nous reconnaissons ici : « Parce que je suis saint, gardez mon âme » : nous le reconnaissons en cette forme d’esclave dont il s’était revêtu. Cette nature avait une chair et une âme. Non point, comme l’ont dit quelques-uns[226], une chair seulement unie au Verbe ; mais une chair, une âme et le Verbe : et tout cela constituait un seul Fils de Dieu, un seul Christ, un seul Sauveur, égal au Père dans sa forme divine, chef de l’Église dans sa forme d’esclave. Donc à cette parole : « Parce que je suis saint », faut-il n’entendre que sa voix et la séparer de la mienne ? Assurément, en parlant ainsi, il parle dans son union inséparable avec son corps. Et moi, oserai-je bien dire : « Parce que je suis saint ? Saint et me sanctifiant, sans avoir besoin qu’un autre me sanctifie, c’est là de l’orgueil, du mensonge : saint mais sanctifié, ainsi qu’il est dit : Soyez saints, parce je suis saint[227] » ; que tout le corps de Jésus-Christ, que cet homme qui crie vers Dieu des extrémités de la terre[228], ose bien dire avec son chef et sans son chef : « Parce que je suis saint », car il a reçu la grâce de la sainteté, la grâce du baptême et de la rémission des fautes. « Voilà ce que vous avez été », nous dit l’Apôtre, énumérant des péchés, graves et légers, ordinaires et horribles : « Voilà ce que vous avez été, mais vous vous êtes lavés, mais vous vous êtes sanctifiés[229] ». Si donc nous sommes sanctifiés, selon l’Apôtre, que chacun des fidèles dise : « Je suis saint ». Ce n’est point là une parole d’orgueil, mais un témoignage de reconnaissance. Dire que tu es saint par toi-même, c’est de l’orgueil ; mais fidèle à Jésus-Christ, membre de Jésus-Christ, dire que tu n’es pas saint, c’est de l’ingratitude. Pour confondre ton orgueil, l’Apôtre ne dit point : Tu n’as rien ; mais bien : « Qu’as-tu, que tu n’aies pas reçu[230] ? » Il ne t’accuse pas de dire que tu as ce que tu n’as pas, mais de vouloir t’attribuer ce que tu as ; reconnais même que tu as quelque chose, mais rien de toi, afin de n’être ni orgueilleux ni ingrat. Dis à ton Dieu : Je suis saint, parce que vous m’avez sanctifié : parce que j’ai reçu la sainteté, non parce que je l’avais : parce que vous me l’avez donnée, non parce que je l’ai méritée. Autrement tu t’exposerais à faire injure à Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Car si tous les chrétiens, tous les fidèles, parce qu’ils sont baptisés en Jésus-Christ, ont revêtu Jésus-Christ, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Vous qui êtes baptisés dans le Christ, vous êtes revêtus du Christ[231] » ; si, devenus membres de son corps, ils disent qu’ils ne sont pas saints, ils font injure à la tête, dont les membres alors ne seraient plus saints. Vois donc où tu es, et que la gloire de ton chef rejaillisse en toi. Toi autrefois dans les ténèbres, « maintenant lumière en Jésus-Christ. Car vous étiez ténèbres », nous dit l’Apôtre[232]. Mais êtes-vous donc demeurés ténèbres ? Est-ce pour vous laisser dans ces ténèbres, ou pour vous jeter dans la lumière, qu’est venu ce divin illuminateur ? Que tout chrétien, ou plutôt que tout le corps du Christ, en butte à la tribulation, éprouvé par des secousses et des scandales sans nombre, crie au Seigneur : « Gardez mon âme, parce que je suis saint. Sauvez, ô mon Dieu, votre serviteur qui espère en vous ». C’est là un saint sans orgueil, puisqu’il espère en Dieu.
5. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que j’ai crié vers vous pendant tout le jour[233] ». Non point un seul jour, mais « tout le jour », ou en tout temps. Depuis que le corps du Christ gémit dans les angoisses, jusqu’à la fin des siècles qui mettra fin à ces angoisses, cet homme pousse vers Dieu des cris et des gémissements ; et chacun de nous a sa part dans les gémissements du corps entier. Tu as crié dans les jours de ta vie, et ta vie est passée un autre t’a succédé, et a crié pendant sa vie ; toi ici, un autre là, un troisième ailleurs c’est ainsi que dans la succession de ses membres, le Christ a crié pendant tout le jour. Il se porte comme un seul homme jusqu’à la tin des siècles. Les mêmes membres du Christ gémissent, et quelques-uns de ces membres déjà reposent en lui, quelques-uns crient maintenant sur la terre, d’autres gémiront quand nous serons dans le repos, et après eux d’autres encore. C’est donc le gémissement du corps entier que marque ici le Prophète, quand il dit : « J’ai crié vers vous pendant tout le jour ». Quant à notre chef, il intercède pour nous[234], à la droite de son Père. Il reçoit quelques-uns de ses membres, il en châtie d’autres, purifie celui-ci, console celui-là, crée l’un, appelle l’autre, rappelle une seconde fois, corrige ceux-ci,- réintègre ceux-là.
6. « Répandez la joie sur l’âme de votre serviteur, ô mon Dieu, car j’ai levé mon âme vers vous[235] ». Donnez-lui la joie, parce que je l’ai élevée vers vous. Elle était sur la terre, et en ressentait les amertumes : afin qu’elle ne dessèche point dans l’amertume, et qu’elle ne perde point le parfum de votre grâce, je l’ai élevée à vous : faites-lui goûter quelque joie. Car vous seul êtes la joie, et le monde est plein d’amertume. Le chef a donc bien raison d’avertir les membres d’élever leurs cœurs au ciel. Qu’ils l’écoutent, qu’ils lui obéissent : qu’ils élèvent au ciel ce qui est mal à l’aise sur la terre. Le moyen de tenir le cœur intact, c’est de l’élever à Dieu. Si tu avais du blé dans un endroit humide, tu le transporterais en haut, de peur qu’il ne se gâtât. Tu élèverais ton blé en haut, et tu laisses ton cœur se corrompre sur la terre ? Élevé le vers le ciel, comme tu ferais de ton blé. Comment faire, me diras-tu ? Quels câbles, quelles machines, quelles échelles ai-je sous la main ? Ces échelles sont tes affections : la route à suivre est ta volonté. Tu montes par l’amour, tu descends par l’insouciance. Quoique sur la terre, tu es dans le ciel, si tu aimes Dieu. Car le cœur ne s’élève pas à la façon d’un corps. Un corps ne s’élève qu’en changeant de place ; le cœur s’élève en changeant de volonté. « Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous ».
7. « Car vous êtes doux, Seigneur, facile à fléchir[236] ». Donnez-moi donc quelque joie. Fatigué de trouver l’amertume sur la terre, il a désiré quelque douceur, et il en cherche la source, mais ne la trouve point sur la terre. Quelque part qu’il se trouve, il ne rencontre que des scandales, des craintes, des tribulations, des épreuves. En quel homme trouver la sécurité ? Qui lui donnera la vraie joie ? pas même lui assurément, combien moins encore un autre ! Ou bien les hommes sont méchants, et il faut les souffrir, espérer qu’ils se pourront convertir ; ou ils sont hommes de bien, et alors il faut les aimer, non sans crainte qu’ils ne deviennent méchants, car ils peuvent toujours changer. Ici donc l’âme du Prophète est pleine d’amertume, par la malice des uns, et là elle est tourmentée par la crainte que l’homme de bien ne vienne à déchoir. Quelque part qu’il jette les yeux, il ne trouve qu’amertume sur la terre il ne peut l’adoucir qu’en s’élevant à Dieu : « Vous êtes doux, Seigneur, facile à fléchir ». Qu’est-ce à dire « doux ? » Vous me supportez jusqu’à ce que vous me perfectionniez. Car, mes frères, je dois vous parler comme un homme au milieu d’autres hommes, et d’après l’expérience des hommes : que chacun rentre en son cœur, qu’il s’examine et se considère sans flatterie. Car s’examiner pour se tromper, serait le comble de la folie. Que chacun donc examine et voie ce qui se passe dans le cœur humain, comment nos prières sont pour la plupart entravées par nos futiles pensées, de sorte que son cœur peut à peine se tenir devant Dieu ; et lui-même, qui voudrait s’y tenir, échappe en quelque sorte à ses propres efforts ; il ne trouve ni barrière pour s’enfermer, ni digue pour contenir ses divagations, ses mouvements désordonnés, afin de se tenir devant Dieu et y goûter la joie. À peine dans toutes ces prières, trouvons-nous une prière digne de ce nom. Nous croirions peut-être que d’autres n’éprouvent pas ce que nous éprouvons, si nous ne lisions dans l’Écriture cette parole du roi David au milieu de sa prière « J’ai trouvé mon cœur, ô mon Dieu, pour vous invoquer[237] ». Il a trouvé son cœur, dit-il, comme si ce cœur lui échappait d’ordinaire, comme s’il le poursuivait dans sa fuite, et que dans l’impossibilité de le saisir, il criât vers Dieu : « Mon cœur m’a échappé[238] ». Donc, mes frères, en examinant ces paroles du Prophète : « Vous êtes doux et facile à fléchir » ; il me semble que quand il dit « Vous êtes doux ; versez la douceur dans l’âme de votre serviteur, parce que vous êtes suave et doux » ; il me semble, dis-je, qu’il attribue à Dieu la douceur, parce que Dieu souffre nos faiblesses et attend pour nous perfectionner la prière de notre cœur. Et quand nous la lui avons donnée, il la reçoit favorablement et nous exauce ; il oublie tant d’autres prières faites avec dissipation, et il accepte celle que nous avons à peine trouvée. Où est, mes frères, où est l’homme qui souffrirait que son ami, après avoir commencé à s’entretenir avec lui, au lieu d’écouter sa réponse, lui tournât le dos et parlât avec un autre ? Quel juge pourrait vous souffrir si, après en avoir appelé à son tribunal, tout en lui parlant, vous le quittiez tout à coup pour aller deviser avec votre ami ? Et cependant Dieu souffre ces égarements du cœur, et dans ceux qui le prient, ces pensées que je n’appelle point dangereuses, que je n’appelle point coupables et ennemies de Dieu ; mais vous occuper des pensées frivoles, c’est outrager votre interlocuteur. Or, cette prière est une conversation avec Dieu. Dans une lecture, c’est Dieu qui vous parle ; dans une prière, c’est vous qui parlez à Dieu. Mais quoi ? Faut-il désespérer du genre humain, et dire que tout homme sera damné, dès qu’une distraction se glissera dans sa prière et viendra l’interrompre ? Si cela était, mes frères, je ne vois pas quelle espérance il nous resterait. Mais puisque nous espérons en Dieu, puisque sa miséricorde est grande, disons-lui : « Répandez la joie dans l’âme de votre serviteur, ô mon Dieu, parce que j’ai élevé mon âme vers vous ». Et comment l’ai-je élevée ? Comment l’ai-je pu faire ? Autant que vous m’en avez donné les forces, autant que j’ai pu la retenir dans sa fuite. Mais as-tu oublié, te répond le Seigneur, combien de fois tu t’es présenté devant moi, pour t’occuper de tant de frivolités, qu’à peine tu pouvais faire une prière fixe et arrêtée ? « Vous êtes suave et doux, ô mon Dieu », doux pour me tolérer. Je suis malade et m’écoule comme l’eau ; guérissez-moi, et je serai stable ; affermissez-moi, et je serai ferme ; jusque-là vous me tolérez, parce que vous êtes suave et doux, ô mon Dieu !
8. « Et plein de miséricorde ». Non seulement miséricordieux, mais « plein de miséricorde ». Nos péchés abondent, votre miséricorde abonde en proportion. « Et vous êtes plein de miséricorde pour tous ceux qui vous invoquent ». Pourquoi l’Écriture dit-elle en beaucoup d’endroits : « Qu’ils m’invoqueront, et que je ne les exaucerai pas[239] » ; et néanmoins « Dieu est plein de miséricorde pour ceux qui l’invoquent » ; sinon parce que beaucoup l’invoquent, mais sans l’invoquer ? C’est d’eux qu’il est dit : « Ils n’ont pas invoqué Dieu[240] ». lis invoquent, mais non pas Dieu. Tu invoques ce que tu aimes ; tu invoques ce que tu appelles en toi, tu invoques ce que tu veux avoir en toi. Or, si tu invoques le Seigneur, afin qu’il t’arrive de l’argent, un héritage, une dignité du monde, tu appelles des biens que tu désires posséder, tu te fais un Dieu complice de tes convoitises, non un Dieu qui écoute les prières. Dieu est bon s’il t’accorde ta demande. Mais si ta demande est mauvaise, n’y a-t-il pas plus de miséricorde à ne point l’accorder ? Mais qu’il ne t’accorde rien, et il n’est rien pour toi, et tu dis alors : Que n’ai-je point demandé, et combien de fois, et je n’ai pas été exaucé ? Or, que demandais-tu ? La mort de ton ennemi peut-être. Et si cet ennemi demandait la tienne ? C’est le même Dieu qui t’a créé, et qui l’a créé : il est un homme, de même que tu es un homme ; or, Dieu qui est juste, entend l’un et l’autre et n’écoute ni l’un ni l’autre. Tu es triste, parce que tu as échoué contre lui ; réjouis-toi de ce qu’il ait échoué contre toi. Mais, diras-tu, ce n’est point là ce que je demandais, je ne demandais point la mort de mon ennemi, mais bien la vie de mon fils. Quel mal y avait-il ? À ton sens tu ne demandais rien de mauvais. Mais que diras-tu si ce fils ne t’a été enlevé que pour empêcher que la malice corrompît son esprit[241] ? Mais il était pécheur, me répondras-tu, et je souhaitais qu’il vécût afin qu’il se convertît. Tu demandais qu’il vécût afin qu’il devînt meilleur. Mais si Dieu savait qu’une longue vie le rendrait pire encore ? Comment savais-tu ce qui lui était le plus avantageux, de vivre ou de mourir ? Si tu ne le savais pas, rentre donc en toi-même, et laisse agir Dieu dans sa sagesse. Que faire alors, me diras-tu ? Que demanderai-je ? Que demanderais-tu ? Ce que Jésus-Christ, ce que le divin Maître t’a enseigné à demander. Invoque Dieu comme Dieu ; aime Dieu comme Dieu. Il n’est rien de meilleur que lui ; c’est lui qu’il faut souhaiter, désirer, Écoute une prière adressée à Dieu dans un autre psaume : « Je n’ai demandé à Dieu qu’une seule chose, et je la demanderai encore ». Et quelle est cette demande ? « D’habiter dans la maison « du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Pourquoi ? « Afin d’y contempler les délices du Seigneur[242] ». Si donc tu veux aimer Dieu, que ton amour pénètre tes os dans sa sincérité ; aime-le par de chastes soupirs, que ton amour soit une flamme ardente, aspire vers lui ; nul amour n’est plus doux, n’est plus suave, n’est plus délicieux, n’est plus durable. Quoi de plus durable qu’un amour sans fin ? Ne crains pas qu’il ne meure pour toi, celui qui fait que tu ne meurs point. Si donc tu invoques Dieu comme Dieu, sois en sûreté, il t’exaucera ; tu es dans le sens de ce verset : « Il est plein de miséricorde pour ceux qui l’invoquent ».
9. Ne dis donc point : Dieu ne m’a point fait cette grâce. Rentre dans ta conscience, pèse, interroge, n’épargne rien, Si tu as réellement invoqué le Seigneur, sois certain qu’il ne t’a point accordé le bien temporel que tu lui demandais, par cela seul qu’il ne t’eût servi de rien. C’est, mes frères, dans cette vérité qu’il faut affermir votre cœur, un cœur chrétien, un cœur fidèle ; ne vous attristez point, comme si Dieu s’était refusé à vos désirs, ne vous emportez point contre lui. Car il n’est pas bon de regimber contre l’aiguillon[243]. Voyez l’Écriture : le diable est exaucé, l’Apôtre ne l’est point. Que vous en semble ? Comment Dieu peut-il exaucer les démons ? Ils demandèrent d’entrer dans les pourceaux, et cela leur fut accordé[244]. Comment le diable a-t-il été exaucé ? Il demanda de tenter Job, et l’obtint[245]. Comment l’Apôtre n’a-t-il pas été exaucé ? « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l’orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan pour me donner des soufflets ; c’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi. Il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse[246] ». Dieu donc a exaucé celui qu’il se préparait à condamner, et n’a point exaucé celui qu’il voulait guérir. Souvent un malade demande à un médecin bien des choses que celui-ci n’accorde pas ; il résiste à sa volonté pour mieux veiller à sa santé. Prends donc le Seigneur pour ton médecin ; demande-lui le salut, et il sera lui-même ton salut, non qu’il te sauvera d’une manière extérieure, mais lui-même sera ton salut : ne cherche donc point d’autre salut que lui-même, ainsi qu’il est dit dans le psaume : « Dites à mon âme : Je suis ton salut[247] ». Que peut-il te faire et te dire, que se donner à toi ? Veux-tu qu’il se donne réellement ? Mais comment se donner à toi, si tu veux ce qu’il ne veut point ? Il écarte les obstacles, afin d’entrer en toi. Considérez, mes frères, les biens que Dieu donne aux pécheurs, et jugez par là de ce qu’il réserve à ses serviteurs. À des impies qui blasphèment contre lui, il donne chaque jour le ciel, la terre, les fontaines, les fruits, la santé, des enfants, les richesses et l’abondance. Nul autre que Dieu ne donne ces biens. Si telle est sa munificence envers les méchants, que penses-tu qu’il réserve à ses serviteurs fidèles ? Nous faudra-t-il penser qu’il n’a rien pour les bons, celui qui est si généreux envers les méchants ? Il leur réserve au contraire, non la terre, mais le ciel. Et je dis trop peu en disant le ciel ; il leur réserve lui-même qui a fait le ciel. Le ciel est beau sans doute, mais celui qui a fait le ciel est beaucoup plus beau. Pourtant je vois le ciel, et lui, je ne le vois pas ; aussi as-tu des yeux pour voir le ciel, mais tu n’as pas encore un cœur apte à contempler le créateur du ciel. Mais il est venu du ciel ici-bas pour purifier ton cœur, et te montrer le créateur du ciel et de la terre. Attends donc avec patience ton salut. Il sait par quels remèdes il pourra te guérir, quelles incisions, quelles brûlures il doit te faire. C’est par le péché que tu as contracté ta maladie : il est venu non seulement pour adoucir, mais pour trancher et brûler. Ne vois-tu pas ce qu’endurent les hommes entre les mains du médecin ; et il n’est qu’un homme ne donnant qu’une espérance incertaine ? Vous guérirez, dit le médecin, vous guérirez si je pratique cette incision. C’est un homme qui parle ainsi, et à un autre homme ; et celui qui fait la promesse n’est pas plus certain que celui qui l’entend ; puisqu’elle est faite par un homme qui n’a pas fait l’homme, et qui ne sait qu’imparfaitement ce qui se passe dans le corps de l’homme : et néanmoins à la parole d’un homme qui ignore encore plus qu’il ne connaît ce qui se passe dans le corps humain, voilà un homme qui a confiance, qui abandonne son corps, qui se laisse garrotter, ou même souvent sans être lié endure le fer et le feu. Il recouvre la santé pour quelques jours, mais il ne sait quand il mourra, et parfois même il meurt pendant l’opération, on ne peut cicatriser ses plaies. Mais à qui Dieu a-t-il fait une promesse qu’il n’ait point tenue ?
10. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille[248] ». C’est l’élan d’un cœur qui supplie. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille » ; c’est-à-dire, que ma prière n’échappe point à votre oreille, mais, daignez l’y fixer. De quelle manière obtenir que sa prière soit fixée dans l’oreille de Dieu ? Que Dieu nous réponde lui-même, et nous dise : Veux-tu que ta prière soit fixée dans mon oreille ? toi-même fixe ma loi dans ton cœur. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille, et soyez attentif à mes supplications ».
11. « J’ai crié vers vous, au jour de mon affliction, et alors vous m’avez exaucé[249]. » Ce qui vous a porté à m’exaucer, c’est que j’ai crié vers vous au jour de mon affliction. Tout à l’heure le Prophète nous disait : « Pendant tout le jour j’ai crié » ; tout le jour j’ai été dans l’affliction. Qu’un chrétien ne dise donc point qu’il est un jour exempt de peine. Tout le jour signifie pendant tout le temps Tout le jour il est dans l’angoisse. Eh quoi donc ! y a-t-il tribulation quand tout est bien pour nous ? Oui, tribulation. D’où vient-elle ? Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes loin du Seigneur[250]. Quelles que soient ici-bas nos réjouissances, nous ne sommes point dans cette patrie, où nous nous hâtons d’arriver. Celui-là n’aime point la patrie qui se plaît dans l’exil : pour qui la patrie est douce, l’exil est amer ; si l’exil est amer, il y a tribulation pendant tout le jour. Quand n’y a-t-il pas tribulation ? Quand la patrie a pour nous des charmes. « A votre droite sont les douceurs sans fin. Votre face me comblera de joie[251] », dit le Prophète, « je contemplerai les beautés de mon Dieu[252] ». C’est là qu’il n’y aura plus ni labeur, ni gémissements : là, plus de supplications, mais uni louange sans fin ; là, nous chanterons avec les anges un alléluia sans fin, un amen éternel ; là une vision sans lassitude, un amour sans ennui. Vous le voyez donc, il n’y a point de bonheur pour nous, tant que nous n’habiterons point ces demeures. Mais n’avons-nous pas tout en abondance ? Quand même tu aurais tout en abondance, vois si tu es assuré de ne point perdre tout. Mais n’ai-je point aujourd’hui ce qui me manquait ? Ne m’est-il point venu de l’argent que je n’avais pas ? Tu as sans doute aussi la crainte que tu n’avais pas ; et alors ta sécurité égalait ta pauvreté. Mais je t’accorde les richesses, les biens de ce monde, l’assurance de n’en rien perdre. Que Dieu te dise encore : Tu auras toujours ces biens, tu les posséderas éternellement, mais tu ne verras point ma face. Ne consultez pas la chair, mais consultez l’esprit ; laissez répondre votre cœur, répondre cette foi, cette espérance, cette charité qui commence à naître en vous. Si donc nous avions la certitude que nous serons toujours dans l’abondance, et que Dieu nous dit : Vous ne verrez point ma face, goûterions-nous quelque bonheur dans ces biens ? Quelqu’un peut-être choisirait les joies d’ici-bas, et dirait : Je suis riche, c’est bien, je ne veux rien de plus. Cet homme n’a pas encore commencé à aimer Dieu ; il n’a point encore soupiré dans son exil. Non, non. Arrière toutes ces séductions ! Arrière ces charmes mensongers ! Arrière tout ce qui nous dit chaque jour : Où es ton Dieu ? Répandons notre âme sur nous-mêmes, confessons nos fautes avec larmes ; gémissons dans ces aveux, soupirons dans nos misères[253]. Rien n’est doux pour nous en dehors de Dieu. Nous ne voulons rien de ce qu’il nous donne, s’il ne se donne lui-même celui qui nous a tout donné. « Fixez ma prière dans votre oreille, ô mon Dieu, écoutez le cri de mes supplications. Au jour de mes tribulations, j’ai crié vers vous et vous m’avez exaucé ».
12. « Nul d’entre les dieux n’est semblable à vous, Seigneur[254] ». Quelle est cette parole ? « Nul d’entre les dieux n’est semblable à vous, Seigneur ». Que les païens se fassent des dieux selon leurs caprices ; que les ouvriers en argent, en or, les ciseleurs, les sculpteurs, leur fabriquent des dieux. Quels dieux ? Des dieux qui ont des yeux pour ne point voir[255], et tous ces défauts que le Psalmiste leurs a reprochés. Mais, me dit un païen, ce n’est point là ce que j’adore, ils ne sont que des signes, je ne les adore point. Qu’adorez-vous donc ? Quelque chose de pire : « Car les dieux des nations sont les démons[256] ». Qu’est-ce donc ? Ni les démons non plus, nous ne les adorons pas. Et pourtant vous n’avez que le démon dans vos temples, et il n’y a que lui qui inspire vos devins. Mais que nous alléguez-vous ? Nous adorons les anges, les anges sont, nos dieux. Vous ne connaissez nullement les anges, car les anges adorent un seul Dieu, et n’accordent aucune faveur aux hommes qui veulent adorer les anges, et non Dieu. Des anges que l’on voulait honorer, ont défendu aux hommes de leur rendre un culte[257] ; il le faut au vrai Dieu. Mais qu’on les appelle des anges ou des hommes, bien qu’il soit écrit : « Je l’ai dit : vous « êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut[258] ; nul parmi les dieux n’est semblable à vous, ô mon Dieu ». Quelles que soient les pensées des hommes, la créature ne sera point semblable au Créateur. Or, à l’exception de Dieu, tout ce qui est dans la nature est l’œuvre de Dieu. Qui pourra mesurer la distance entre l’œuvre et l’ouvrier ? Le Prophète s’écrie donc : « Nul parmi les dieux n’est semblable à vous, ô mon Dieu ». Mais il n’a point précisé la différence avec Dieu, parce que cette précision est impossible. Que votre charité le veuille bien comprendre, Dieu est ineffable ; il est plus facile de dire ce qu’il n’est pas, que de dire ce qu’il est. Ta pensée s’arrête sur la terre, ce n’est pas Dieu ; sur la mer, ce n’est pas Dieu ; sur tout ce qui est sur la terre, ce sont des hommes et des animaux, ce n’est pas Dieu ; sur tout ce qui est sur la mer, sur tout ce qui vole dans les airs, ce n’est pas Dieu ; sur tout ce qui brille dans les cieux, ce sont les étoiles, le soleil et la lune, ce n’est pas Dieu ; sur le ciel, ce n’est pas Dieu. Élevé ta pensée jusqu’aux Anges, aux Vertus, aux Puissances, aux Archanges, aux Trônes, aux Sièges, aux Dominations, tout cela n’est pas Dieu. Qu’est-il donc ? J’ai seulement pu te dire ce qu’il n’est pas. Tu me demandes ce qu’il est ? Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme[259]. Comment pourrait arriver à ma langue ce qui n’est pas arrivé jusqu’à mon cœur ? « Nul n’est semblable à vous parmi les dieux, ô mon Dieu ; nul ne peut vous être comparé dans vos œuvres ».
13. « Toutes les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu[260] ». Il prophétise l’Église dans ces paroles : « Toutes les nations que vous avez faites ». S’il est une nation que Dieu n’ait point faite, elle ne l’adorera point ; mais il n’est aucun peuple que Dieu n’ait fait, puisque Adam et Eve, qui sont la source de toutes les nations, c’est Dieu qui les a créés, et que de là tous les peuples tirent leur origine : Dieu donc a fait tous les peuples. « Toutes les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu ». Quand le Prophète parlait-il ainsi ? Quand il n’y avait pour se prosterner devant Dieu que quelques saints chez le seul peuple des Hébreux, ainsi parlait le Prophète, et aujourd’hui, selon cette prophétie, nous voyons « toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, se prosterner devant vous ». Quand le Prophète parlait ainsi, nul ne voyait que par la foi ; aujourd’hui qu’on le voit, pourquoi nier que « toutes les nations que vous avez faites, Seigneur, viennent se prosterner devant vous, et glorifier votre nom ? »
14. « Parce que vous êtes grand, que vous opérez des merveilles, et que seul vous êtes un grand Dieu ». Que nul ne se dise grand. On devait voir des hommes se nommer grands : c’est contre cette prétention que le Prophète s’écrie : « Vous seul êtes grand Dieu[261] ». Autrement à quoi bon dire à Dieu, que lui seul est grand et Dieu ? Qui peut ignorer qu’il est Dieu et grand ? Mais comme on devait voir des hommes qui se diraient grands, tout en rapetissant Dieu, le Prophète rabat leur prétention, en disant : « Vous seul êtes Dieu et grand ». Car ce que vous dites s’accomplit, et non ce que disent ceux qui prônent leur grandeur. Qu’a dit le Seigneur par l’Esprit-Saint ? « Toutes les nations que vous avez faites viendront, et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu ». Que vient nous dire je ne sais quel homme se disant grand ? Point du tout ; Dieu n’est pas adoré parmi toutes les nations : toutes les nations ont péri, il n’y a plus que l’Afrique. Voilà ton langage, ô toi qui te dis grand : mais il tient un autre langage, ce Dieu qui seul est grand. Que dit-il donc ce seul grand Dieu ? « Toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, viendront se prosterner devant vous ». Je vois ce qu’a dit le seul Dieu qui est grand : que l’homme se taise dans sa fausse grandeur ; oui, fausse grandeur par cela seul qu’il dédaigne de se faire petit. Qui daigne d’être petit ? Celui qui parle ainsi : « Quiconque, parmi vous, prétendra être grand », a dit le Seigneur, « sera votre serviteur[262] ». Si cet homme voulait être le serviteur de ses frères, il ne les séparerait point de leur mère. Mais comme il vise à la grandeur, et ne veut pas être petit pour le bien des autres : Dieu, qui résiste aux superbes, mais accorde aux humbles ses faveurs[263], parce que seul il est grand, accomplit ce qu’il a prédit, et confond ceux qui maudissent le Christ. Or, c’est maudire le Christ que dire qu’il n’y a plus d’Église dans l’univers entier, muais seulement en Afrique. Dis-lui : Tu perdras tes villas, peut-être ne t’épargnera-t-il pas les soufflets ; et le voilà qui prêche que le Christ a perdu cet héritage racheté de son sang. Jugez, mes frères, de la violence de l’outrage. L’Écriture l’a dit : « Une grande nation est la gloire d’un roi, mais un peuple décroissant est la confusion du prince[264] ». Tu vas donc jusqu’à faire cette injure au Christ, de prétendre que son peuple en est réduit à ce coin de terre ? Tu es donc né, tu fais donc profession d’être chrétien pour envier au Christ sa gloire, et tu prétends en porter le signe sur ton front, quand il n’est plus dans ton cœur, « Une grande nation est la gloire d’un prince ». Reconnais donc ton roi, fais-lui cet honneur de lui accorder une grande nation. Quelle grande nation lui donner, me diras-tu ? Ne lui accorde rien selon ton cœur, et tu feras bien. D’où lui donner alors ? Donne-lui d’après ces textes : « Toutes les nations que vous avez faites viendront se prosterner devant vous, ô mon Dieu ». Parle ainsi, proclame cette vérité et tu lui donneras une grande nation ; parce que toutes les nations mie sont en lui seul qu’une seule nation, c’est là l’unité. De même qu’on dit l’Église, on dit les Églises, et que ces Églises ne forment qu’une Église ainsi cette grande nation sera toutes les na lions. Tout à l’heure c’étaient des nations des nations nombreuses, comment n’y a-t-il plus qu’une nation ? Parce qu’il n’y a qu’une seule foi, qu’une seule espérance, qu’une seule charité, qu’un seul avenir. Et enfin pourquoi n’y aurait-il pas une seule, nation, quand il n’y a qu’une seule patrie ? Cette patrie, c’est le ciel ; cette patrie, c’est Jérusalem : quiconque n’en est pas citoyen ici-bas, n’appartient pas i cette nation, et quiconque en est citoyen ici-bas, est de l’unique nation de Dieu. Et cette nation s’étend de l’Orient à l’Occident, du Nord et de l’Océan dans toutes les quatre parties de l’univers entier. Voilà ce que dit le Seigneur. De l’Orient et de l’Occident, comme du Nord et de la mer, glorifiez votre Dieu. Voilà ce qu’il a prédit, ce qu’il a accompli, parce que seul il est grand. Qu’il cesse donc de parler ainsi contre le Dieu qui seul est grand, celui qui n’a pas voulu être petit ; parce que Dieu et Donat ne peuvent être grands tous deux.
15. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité[265]. » Votre voie, votre vérité, votre vie, c’est le Christ. Le corps est donc pour lui, et le corps vient de lui. « Je suis la voie, la vérité, et la vie[266] ». « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie », Dans quelle voie ? « Et je marcherai « dans votre vérité ». Autre est nous conduire vers le chemin, et autre nous conduire dans le chemin. Voyez l’homme toujours pauvre, toujours ayant besoin de secours. Ceux qui sont en dehors du chemin ne sont pas chrétiens, ou ne sont pas encore catholiques ; il faut les conduire vers le chemin. Mais quand ils arriveront au chemin, et qu’ils seront devenus catholiques dans le Christ, qu’ils se laissent conduire par lui-même dans ce chemin, afin de ne point tomber. C’est alors qu’ils marchent dans la voie, avec certitude. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie ». le suis dans cette voie, daignez me conduire vous-même. « Et je marcherai dans votre vérité » : sous votre direction, je ne puis errer ; si vous m’abandonnez, je suis dans l’erreur. Prie donc le Seigneur de ne t’abandonner jamais, de te diriger jusqu’à la fin. Comment conduit-il ? par ses conseils, et en te donnant la main. Et qui a connu le bras du Seigneur[267] ? Donner son Christ, c’est donner sa main, et donner sa main, c’est donner son Christ. Te conduire à la voie, c’est te conduire au Christ ; et te conduire dans la voie, c’est te conduire dans le Christ. Or, le Christ est la vérité. « Conduisez-moi, Seigneur ; dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité » ; dans celui-là même qui a dit : « Je suis la voie, la vérité, et la vie ». Pourquoi en effet conduire dans la voie et dans la vérité, sinon pour arriver à la vie ? C’est donc en lui, Seigneur, que vous nous conduisez vers lui. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité ».
16. « Que mon cœur soit dans la joie, afin de craindre votre nom ». Dans cette joie donc il y a de la crainte. Mais avec la crainte où peut être la joie ? n’y a-t-il point ordinairement de l’amertume dans la crainte ? Un jour nous aurons une joie sans crainte ; ici-bas la crainte est dans la joie. Nous n’avons ni une sécurité entière, ni une joie pleine. Sans aucune joie nous succombons, avec une entière sécurité notre allégresse est vicieuse. Que Dieu donc laisse tomber sur nous quelque joie, qu’il nous inspire de la crainte, et des douceurs de la joie nous conduise au repos de la sécurité. Qu’il nous inspire de la crainte, afin qu’une trompeuse allégresse ne nous jette point hors de la voie. Aussi le Psalmiste a-t-il dit : « Servez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement[268] ». Et l’apôtre saint Paul a dit aussi : « Opérez votre salut avec crainte « et avec tremblement, car c’est Dieu qui l’opère en vous[269] ». Quel que soit donc le bonheur qui nous arrive, mes frères, craignez davantage ; car ce que vous prenez pour une félicité, est plutôt une épreuve. Il vous vient un héritage, une grande fortune, je ne sais quel comble de prospérité ; ce sont autant d’épreuves, prenez garde à la corruption. Il y a même des prospérités dans le Christ, et dans la charité du Christ : ainsi tu as peut-être gagné une Épouse qui avait suivi le parti de Donat ; tu as amené à la foi tes fils qui étaient païens ; tu as conquis au Christ un ami qui voulait t’entraîner dans les théâtres, et tu l’as ramené dans l’Église ; tu avais peut-être un ennemi acharné à te contredire, et déposant sa rage, il est devenu doux, a connu le Seigneur, et loin d’aboyer contre toi il proteste avec toi contre les méchants ; voilà tout autant de joies. Qu’est-ce en effet qui nous réjouira, si tout cela ne nous réjouit point ? Ou quelles autres joies plus pures que celles-là pourrons-nous avoir ? Mais comme il y a en cette vie des tribulations, des épreuves, des dissensions et des schismes, et tous ces maux dont le siècle ne saurait être exempt jusqu’à ce que l’iniquité disparaisse ; que notre joie ne nous endorme point dans notre sécurité, que notre cœur se réjouisse, mais dans la crainte du Seigneur ; qu’il ne trouve ailleurs ni joie, ni repos. N’attendez pas de sécurité dans l’exil ; quand nous la voudrons goûter ici-bas, ce sera plutôt une glu pour le corps, qu’une sécurité pour l’homme. « Que mon cœur soit dans la joie, de manière à craindre votre nom ».
17. « Je vous confesserai, Seigneur mon Dieu, de tout mon cœur, et je glorifierai votre nom dans l’éternité ; parce que votre miséricorde est grande envers moi, et que vous avez arraché mon âme de l’enfer inférieur[270] ». Ne m’en veuillez point, mes frères, si je ne vous donne point sur ce verset une interprétation certaine. Je suis homme, et je n’ose parler que d’après les saintes Écritures, jamais de moi-même. Je n’ai point éprouvé l’enfer, vous non plus : peut-être prendrons-nous un autre chemin qui ne sera point celui de l’enfer. Tout cela est incertain. Mais comme on ne saurait contredire l’Écriture qui nous dit : « Vous avez arraché mon âme à l’abîme inférieur » ; nous comprenons qu’il y a comme deux enfers, l’un supérieur, l’autre inférieur. Pourquoi, en effet, un enfer inférieur, s’il n’en est un supérieur ? Ce n’est qu’à raison de cette partie supérieure de l’enfer que l’on peut parler d’une autre. Il me semble donc, mes frères, qu’il est pour les anges une habitation céleste, séjour des joies ineffables, séjour d’immortalité et d’incorruption, séjour où tout est en permanence, selon le don et la grâce de Dieu. C’est la partie supérieure du monde. Si telle est la partie supérieure, ce séjour terrestre, séjour de la chair et du sang, séjour de la corruption, où l’on naît pour mourir, où il y a disparition et succession, mutabilité et inconstance, où l’on ne rencontre que les craintes, les convoitises, les horreurs, les joies incertaines, une espérance fragile, une substance périssable, ce séjour, dis-je, ne peut être comparé au ciel dont nous venons de parler ; si donc on ne saurait le comparer au ciel, le ciel est la région supérieure, et celle-ci sera la région inférieure, d’où vient le nom d’enfer. Mais après la mort, où irons-nous, s’il n’y a une région encore au-dessous de cette région inférieure que nous habitons avec notre chair et notre mortalité ? Car l’Apôtre l’a dit, « le corps est mort à cause du péché[271] ». Nous sommes donc morts dès ici-bas, et rien d’étonnant, dès lors, que ce séjour soit appelé enfer, s’il y a tant de morts. L’Apôtre ne dit point que le corps mourra, mais bien : « Le corps est mort ». Il est vrai que ce corps possède encore une vie ; mais il est véritablement mort, bien qu’il soit uni à l’âme, si nous le comparons à ce corps que nous devons avoir, et qui ressemblera au corps des anges. Mais au-dessous de cet enfer, c’est-à-dire au-dessous de cette partie inférieure, il est un autre enfer où vont les morts, dont Dieu a voulu tirer nos âmes en y envoyant son Fils. Car, mes fières, c’est dans ces deux régions inférieures, que Dieu a envoyé son Fils, pour nous délivrer dans l’une comme dans l’autre. Il est venu dans l’une en naissant, dans l’autre en mourant. Aussi, d’après l’exposition de l’apôtre saint Pierre, et non plus d’après les conjectures humaines, est-ce bien lui qui a dit dans un psaume : « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer[272] ». Donc aussi cette parole : « Vous avez arraché mon âme à l’enfer inférieur », est sa parole, ou bien notre parole par Jésus-Christ Notre. Seigneur ; car s’il est venu dans l’enfer, c’est afin que nous ne restions point dans l’enfer.
18. J’exposerai aussi une autre opinion. Il y a peut-être dans les enfers une région plus profonde, où sont précipités les impies chargés d’iniquités. Car il ne nous est guère possible de définir qu’Abraham n’avait pas une place, quelque part dans les enfers. Le Seigneur en effet n’était pas encore descendu dans les enfers, pour en délivrer les âmes des saints qui l’avaient précédé, et pourtant Abraham était dans le repos. Et ce riche, tourmenté dans les enfers, leva les yeux pour voir Abraham. Or, il ne pouvait le voir en levant les yeux, si Abraham n’eût été en haut et lui en bas. Et quand il s’écrie : « Abraham, ô mon père, envoyez Lazare, afin qu’il trempe son doigt dans l’eau, et en laisse tomber une goutte sur ma langue, car je suis dévoré dans ces flammes » : que lui répond Abraham ? « Mon fils, souviens-toi que tu as reçu de grands biens pendant ta vie, et Lazare des maux : maintenant il est dans le repos, et toi dans les tourments. Au surplus un grand chaos est consolidé entre vous et nous, de sorte que nous ne pouvons aller à vous, ni vous venir, à nous[273] ». Ce serait donc à la vue de ces deux enfers peut-être, dont l’un est pour les justes un lieu de repos, dont l’autre est pour les impies un lieu de tourments, que le Prophète, dans sa prière, déjà incorporé à Jésus-Christ, et priant par la voix de Jésus-Christ, dit que Dieu a délivré son âme de l’enfer inférieur, parce qu’il l’a délivré des péchés qui pouvaient le conduire aux tourments de cet enfer inférieur. Il en est de même d’un médecin qui, te voyant près de tomber malade par excès de fatigue, te dirait : Ménage-toi, traite-toi de telle façon, repose-toi, prends telle nourriture ; autrement tu tomberas malade ; mais, au contraire, ce moyen te sauvera ; tu as raison de dire alors au médecin : Vous m’avez délivré de maladie, non que tu aies été malade, mais parce que tu devais l’être. Voilà un homme qui avait une affaire embarrassante, et il devait subir l’emprisonnement ; un autre vient et défend sa cause. Que lui dit-il, pour le remercier ? Vous m’avez sauvé de la prison. Un débiteur allait être pendu, on paie sa dette ; on dit qu’il est délivré de la potence. Ni l’un ni l’autre n’y étaient encore ; mais parce que leurs méfaits devaient les y conduire, et qu’ils y fussent arrivés si l’on ne fût venu à leur secours, on dit avec raison qu’ils ont été délivrés de cette peine à laquelle des libérateurs ne les ont pas laissé conduire. Que vous embrassiez donc, mes frères, l’une ou l’autre partie, j’étudie avec vous la parole de Dieu, sans rien affirmer avec témérité, « Vous avez délivré mon âme de l’enfer inférieur ».
19. « O Dieu, ceux qui violent votre loi, se sont élevés contre moi[274] ». Quels sont ces violateurs de la loi ? Il n’appelle point ainsi les païens qui n’ont point reçu la lui ; et nul ne peut violer un précepte qui n’est pas imposé. L’Apôtre dit d’une manière absolue « Sans loi, il n’y a point de prévarication » ; donnant ainsi le nom de prévaricateurs à l’égard de la loi, ceux qui violent cette même loi. Si nous mettons cette parole dans la bouche du Seigneur, les violateurs de la loi seront les Juifs. « Ces violateurs se sont élevés contre moi » ; n’observant point la loi, ils ont accusé le Christ de la violer. « Ces contempteurs de la loi se sont élevés contre moi ». De là cette passion du Sauveur que nous connaissons. Or, penses-tu que son corps ne souffre plus rien de semblable ? Est-ce possible ? « S’ils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison ses domestiques ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur[275] ». Son corps souffre donc de la part des prévaricateurs ; ils s’élèvent contre le corps du Christ. Quels sont donc ces violateurs de la loi ? Les Juifs oseraient–ils bien s’élever contre le Christ ? Non : et ils ne nous font pas subir grande tribulation, car ils n’ont pas encore embrassé la foi, ni connu le salut. Ceux qui s’élèvent contre le Christ, ce sont les mauvais chrétiens, qui font subir l’affliction chaque jour au corps du Christ. Les auteurs de tout schisme, de toute hérésie, tous ceux qui dans l’Église vivent dans le désordre, et qui imposent leur désordre aux âmes pieuses, qui les attirent, qui corrompent les mœurs pures par leurs conversations dépravées[276], voilà « les contempteurs de la loi qui s’élèvent contre moi ». Ainsi doit parler toute âme pieuse, toute âme chrétienne, mais non toute âme qui n’en souffre point. Or, toute âme qui est chrétienne sait les maux qu’elle endure : si elle connaît ce qu’elle endure, qu’elle reconnaisse ici ses plaintes ; et si elle est au-dessus de la douleur, qu’elle soit encore au-dessus de la plainte ; mais si elle ne veut pas demeurer étrangère à la douleur, qu’elle marche dans la voie étroite[277]. Qu’elle commence à vivre pieusement dans le Christ, alors il devient nécessaire qu’elle endure la persécution. « Tous ceux », dit l’Apôtre, « qui veulent vivre pieusement dans le Christ, souffriront persécution[278]. Seigneur, les contempteurs de votre loi se sont élevés contre moi ; la synagogue des puissants a recherché « mon âme ». Cette synagogue des puissants, c’est l’assemblée des orgueilleux ; or, la synagogue des puissants s’est élevée contre notre chef, ou contre Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et ils ont dit, ils ont crié d’une voix unanime : « Crucifiez-le ! crucifiez[279] ! » C’est d’eux qu’il est écrit : « Pour ces enfants des hommes, les dents sont des armes et des flèches, et leur langue est un glaive effilé[280] ». Ils ne l’ont point frappé ; mais crier, c’était le frapper ; crier, c’était le crucifier. Crucifier le Seigneur, c’était obéir à leurs cris, obéir à leur volonté. « La synagogue des puissants a recherché mon âme ; ils n’ont point arrêté leurs regards sur vous ». Comment n’ont-ils point arrêté leurs regards ? Ils n’ont point compris qu’il était Dieu. Ils eussent épargné l’homme, ils eussent marché selon leur vue. Mais parce qu’il n’était pas un Dieu, qu’il était un homme, fallait-il donc le mettre à mort ? Épargne l’homme, et reconnais un Dieu.
20. « Et vous, Seigneur, Dieu de miséricorde et de clémence, vous êtes plein de patience, de compassion et de vérité[281] ». Pourquoi « plein de longanimité, de compassion, de miséricorde ? » Parce que sur la croix, il s’écrie : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font[282] ». À qui adresse-t-il cette prière ? Pour qui ? Qui est-ce qui prie ? En quel endroit ? C’est le Fils qui invoque son Père, le crucifié en faveur des impies, quand on l’injurie, non plus en paroles, mais jusqu’à lui donner la mort, quand il est cloué à la croix ; on dirait que ses mains ne sont ainsi étendues qu’afin de prier pour eux, qu’afin que sa prière s’élevât comme un parfum en présence de son Père, et que ces mains élevées fussent comme un sacrifice du soir[283]. « Vous êtes plein de patience, de miséricorde et de vérité ».
21. Si donc vous êtes la vérité, « Jetez les yeux sur moi, prenez-moi en pitié, et donnez la puissance à votre serviteur[284] ». Parce que vous êtes la vérité, « donnez la puissance à votre serviteur ». Que les jours d’épreuve s’écoulent, et que vienne enfin le temps de juger. Qu’est-ce à dire : « Donnez la puissance à votre serviteur ? » « Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils toute puissance de juger[285] ». C’est lui qui ressuscite, et qui doit venir sur la terre pour juger : il apparaîtra terrible, lui qui a paru méprisable. Il montrera sa puissance, lui qui n’a montré que patience. À la croix, c’était la puissance, au jugement, ce sera la puissance. Au jugement il paraîtra dans son humanité, mais aussi dans sa gloire : « Car il doit venir », ont dit les Anges, « tel que vous l’avez vu s’élever[286] ». C’est dans la forme de l’homme qu’il viendra pour le jugement, aussi sera-t-il vu des impies qui ne pourront voir la forme divine. Car « bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[287] ». C’est sous la forme de l’homme qu’il apparaîtra pour dire « Allez au feu éternel[288] » ; afin que cet oracle d’Isaïe soit accompli : « Enlevez l’impie, afin qu’il ne voie point la clarté du Seigneur[289][290] ». Qu’il disparaisse afin qu’il ne voie point la forme de Dieu. Ils verront donc la forme de l’homme, mais ils ne verront point « cette forme divine qui le rend égal à Dieu[291] ». « Ce Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu[292] » : voilà ce que les impies ne verront point. Car si le Verbe est Dieu, et si « bienheureux les cœurs purs parce qu’ils verront Dieu[293] », comme les impies ont le cœur souillé, assurément ils ne verront pas Dieu. Comment donc « verront-ils Celui qu’ils ont percé[294] », sinon qu’il apparaîtra visiblement sous la forme humaine pour ceux qui seront jugés, et sous la forme d’un Dieu pour ceux-là seulement qui seront séparés à sa droite ? Quand en effet ils seront placés à droite, il leur sera dit : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Et que sera-t-il dit aux impies de la gauche ? « Allez dans le feu éternel, que mon Père a préparé au diable et à ses anges ». Or, après le jugement, quelle est la conclusion de l’Évangile ? « Ainsi », dit-il, « les impies iront au brasier sans fin, et les justes à la vie éternelle[295] ». Ils passeront, ainsi, de la vision de la forme de l’homme, à la vue de la forme divine. « Or », est-il dit, « c’est en ceci que consiste la vie éternelle ; à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé[296] » ; c’est-à-dire que lui aussi est le seul vrai Dieu. Car le Père et le Fils sont un seul vrai Dieu : et alors le sens serait, afin qu’ils reconnaissent pour vrai Dieu et vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé. Car les bienheureux ne passeront point à la vision du Père, sans voir aussi le Fils. Si l’on ne voyait en effet le Fils dans le Père, ce même Fils ne dirait point à ses disciples, que le Fils est dans le Père, comme le Père est dans le Fils. Voilà que ses disciples lui disent : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Il répond : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne me connaissez point ? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père ». Remarquez : voir le Père, c’est voir aussi le Fils, comme voir le Fils, c’est voir aussi le Père. Aussi le Sauveur a-t-il ajouté : « Ne savez-vous donc pas que je suis en mon Père, et que mon Père est en moi ? » C’est-à-dire, en me voyant on voit mon Père, et en voyant le Père on voit le Fils ; on ne peut les séparer dans la vision bienheureuse, comme on ne peut les séparer dans leur nature et dans leur substance. Et pour vous montrer que le cœur doit se préparer à voir la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que nous croyons sans la voir encore, en purifiant néanmoins notre cœur par cette croyance, afin que nous puissions lavoir un jour, le Seigneur a dit à un autre endroit : « Celui qui écoute mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime : or, celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui[297] ». Ceux à qui il parlait, ne le voyaient-ils donc point ? Ils le voyaient, et ne le voyaient point ; ils voyaient dans un sens, et croyaient dans un autre sens ; ils voyaient un homme, ils croyaient in Dieu. Or, au jugement ils verront avec les impies le même Jésus Notre-Seigneur ; après le jugement ils verront Dieu à l’exclusion des impies. « Donnez la puissance à votre serviteur ».
22. « Et sauvez le fils de votre servante[298] ». Ce fils de la servante est Notre-Seigneur. De quelle servante ? de celle qui répondit, quand on lui annonça Celui qui devait naître : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole[299] ». Sauver le Fils de la servante, c’était donc sauver son Fils : son Fils dans la forme de Dieu, le fils de la servante sous la forme de l’esclave[300]. C’est donc de la servante du Seigneur qu’est né Notre-Seigneur, sous la forme de l’esclave, lui qui dit : « Sauvez le fils de votre servante ». Il a été sauvé de la mort, comme vous le savez, et sa chair qui était morte a repris la vie. Mais afin que vous sachiez qu’il est Dieu, et qu’il n’est point ressuscité par son Père, tellement que lui-même ne fût rien dans la résurrection, puisque lui-même aussi a ressuscité sa chair, vous lisez dans l’Évangile cette parole : « Détruisez le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours[301] ». Et pour nous interdire tout autre sens, l’Évangéliste ajoute : « Il parlait ainsi du temple de son « corps[302] ». Donc le fils de la servante a été sauvé. Que tout chrétien incorporé au Christ, s’écrie aussi : « Sauvez le fils de votre servante ». Peut-être ne peut-il point dire : « Donnez la puissance à votre Fils », puisque ce Fils a réellement reçu la puissance. Mais pourquoi ne pas le dire également ? N’est-ce pas à des serviteurs qu’il est dit : « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël[303] ? » Des serviteurs ne disent-ils pas : « Ignorez-vous que nous jugerons les anges[304] ? » Chacun des saints reçoit donc ce pouvoir, et chacun des saints est le fils de la servante. Mais, s’il est né d’une païenne pour devenir ensuite chrétien : comment le fils d’une païenne peut-il être le fils de la servante ? Il est alors fils d’une païenne selon la chair, mais fils de l’Église selon l’esprit. « Sauvez le fils de votre servante ».
23. « Donnez-moi un signe de votre faveur[305] ». Quel signe, sinon celui de la résurrection ? Le Seigneur a dit : « Cette génération dépravée et rebelle demande un signe, et il ne lui sera donné aucun anti-signe que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre de la baleine trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’Homme sera trois jours dans le sein de la terre[306] ». Donc ce signe de faveur s’est accompli dans notre chef ; mais que chacun de nous s’écrie : « Donnez-moi un signe de votre faveur » ; car nous devons, nous aussi, être changés, quand au son de la dernière trompette, à l’avènement du Seigneur, les morts ressusciteront pour être incorruptibles[307]. Tel sera le signe de la faveur divine. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et en soient confondus ». Au jugement ils éprouveront une confusion funeste, ceux qui n’ont pas voulu d’une confusion salutaire. Qu’ils soient donc confondus dès cette vie, qu’ils répudient leurs voies coupables pour marcher dans la voie de la sainteté : car nul d’entre nous ne peut vivre sans confusion, à moins qu’une première confusion ne le fasse renaître. Dieu leur offre maintenant l’occasion d’une confusion salutaire, s’ils ne dédaignent point le remède de l’aveu. Mais s’ils répudient la confusion aujourd’hui, ils n’échapperont point à la confusion, quand leurs crimes s’élèveront pour les accuser[308]. Comment seront-ils confondus ? ils diront alors : « Voilà donc ceux que nous avons u tournés en dérision, qui essuyaient nos outrages. Insensés, nous regardions leur vie comme une folie, comment sont-ils rangés parmi les enfants de Dieu ? À quoi nous revient notre orgueil[309] ? » Voilà ce qu’ils diront ; que ne disent-ils maintenant ce qu’ils diraient avec fruit ? Que chacun se retourne vers Dieu avec humilité, et dise maintenant : De quoi nous sert notre orgueil ? Qu’il exécute cette parole de l’Apôtre : « Quelle gloire vous revient-il de ces œuvres qui vous font rougir maintenant[310] ? » Vous le voyez donc : ici-bas, une confusion salutaire nous tient lieu de pénitence, mais alors, elle sera tardive, inutile et sans fruit. « De quoi nous sert notre orgueil ? Que nous a valu l’étalage de nos richesses ? Tout a passé comme l’ombre[311] ». Eh ! quoi donc ? Pendant ta vie sur la terre, tu ne voyais donc point tout cela passer comme une ombre ? Tu eusses quitté l’ombre pour être dans la lumière ; et tu ne dirais point : « Tout s’est évanoui comme une ombre », alors que tu vas passer de l’ombre aux ténèbres. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et soient dans la confusion ».
24. « Car vous, Seigneur, m’avez aidé et m’avez consolé[312] ». « Vous m’avez aidé » dans le combat, « et vous m’avez consolé » dans ma tristesse. Nul ne recherche la consolation, s’il n’est dans la misère. Refusez-vous la consolation ? Dites que vous êtes heureux. Mais vous entendez cette parole : « Mon peuple », (déjà vous me répondez, et votre murmure que j’entends, me prouve que vous connaissez les saintes Écritures. Que ce même Dieu qui l’a gravée dans vos cœurs, la fasse paraître dans vos actions. Vous le voyez donc, c’est vous tromper que vous appeler heureux) « Mon peuple, ils vous appellent heureux, et ils vous jettent dans l’erreur, ils ruinent le sentier où vous marchez[313] ». Tel est encore l’avis de saint Jacques, dans son épître : « Soyez dans l’affliction et dans les larmes, que vos ris se changent en deuil[314] ». Vous voyez comment vous parle cet apôtre : comment nous tiendrait-il ce langage dans la sécurité ? Ce monde est une terre de scandales, d’afflictions et de grands maux : c’est ici que nous devons gémir afin de nous réjouir dans le ciel ; ici l’épreuve, là-haut la consolation, alors que nous dirons : « Parce que vous avez épargné les larmes à nos yeux, et la chute à nos pieds, voilà que je mettrai mes délices dans le Seigneur, en la terre des vivants[315] ». Or, la terre est le séjour des morts, ce séjour des morts passera, et alors viendra la région des vivants. Dans ce séjour des morts, il n’y a que travail, que douleur, que crainte, que tribulation, qu’épreuve, que gémissements, que soupirs. Il n’y a que fausse félicité, que véritable misère, car une félicité trompeuse, est une misère véritable. Mais quiconque reconnaît qu’il est ici dans une misère véritable, sera dans la vraie félicité. Et néanmoins parce que tu es dans l’affliction, écoute la parole du Seigneur : « Bienheureux ceux qui pleurent[316] », Eh quoi ! « Bienheureux ceux qui pleurent ! » Rien n’est plus près de la misère que les larmes ; rien n’en est plus éloigné que le bonheur ; et vous dites qu’ils pleurent, et vous les appelez bienheureux ! Comprenez bien mes paroles, nous dit-il, j’appelle bien heureux ceux qui pleurent. Comment bienheureux ? En espérance. Comment pleurent-ils ? En réalité. Ils pleurent dans cette vie mortelle, dans ces tribulations, dans cet exil ; et comme ils reconnaissent qu’ils sont dans ces misères, ils en gémissent, et ils sont bienheureux. Pourquoi pleurer dès lors ? Le bienheureux Cyprien fut contristé dans sa passion, aujourd’hui il a les consolations et une couronne de gloire. Et toutefois, dans ces consolations, il ressent de la tristesse : car Notre-Seigneur Jésus-Christ prie encore pour nous[317] : or, tous les martyrs qui sont avec lui, interviennent en notre faveur. Leurs prières ne doivent cesser, que quand cesseront nos gémissements. Or, quand cesseront nos gémissements, nous recevrons tous une même consolation, ne formant plus qu’une même voix, qu’un même peuple, dans une même patrie. Des milliers de millions uniront leurs cantiques aux cantiques des anges, et ne formeront qu’un même chœur avec les Puissances dans l’unique cité des vivants. Où seront les gémissements dans cette cité ? Où les soupirs ; la fatigue et l’indigence ? Où la mort ? Qui y fera des œuvres de miséricorde, y donnera du pain au pauvre, alors que tous y seront rassasiés du pain de la justice ? Nul alors ne te dira : Recevez un étranger ; il n’y aura là nul étranger, tous y vivent dans leur patrie. Nul ne viendra te dire : Réconcilie tes amis qui sont en querelle ; tous jouiront en paix de la présence de Dieu. Nul ne te dira Visite ce malade ; la santé et l’immortalité régneront donc éternellement. Nul ne te dira : Ensevelis ce mort tous auront la vie éternelle, Il n’y aura plus d’œuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère. Et quelle sera donc l’occupation au ciel ? Le sommeil peut-être ? Si nous combattons contre nous-mêmes, en cette vie, bien que nous demeurions dans la maison du sommeil, ou dans une chair pesante, si nous nous éveillons devant ces flambeaux, si cette solennité nous ôte l’envie de sommeiller, combien ce grand jour devra nous porter à la veille ? Arrière donc tout sommeil, nous veillerons au ciel. Que ferons-nous alors ? Il n’y aura plus d’œuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère. N’y aura-t-il plus alors ces nécessités que l’on subit aujourd’hui, de semer, de labourer, de tisser, de moudre le blé, de le cuire ? Rien de tout cela, parce qu’il n’y aura plus de nécessité. De même qu’il n’y aura plus d’œuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère de même avec la nécessité et la misère, disparaîtront les œuvres de miséricorde et de nécessité. Qu’y aura-t-il donc ? Quelle sera notre occupation ? Notre action ? N’y aura-t-il aucune action, parce que nous serons en repos ? Nous serons donc assis dans l’inaction et l’indolence ? Si notre amour peut se refroidir, nous pourrons cesser d’agir. Ainsi donc, cet amour qui doit se reposer dans la face de Dieu, qui tend à Dieu, qui espère en lui, quelle n’en sera point l’ardeur, quand nous arriverons à lui ? Si maintenant, sans le voir, nous soupirons vers lui avec une ardeur si vive, de quelles clartés ne doit-il point nous illuminer, quand nous le verrons ? Quel changement fera-t-il en nous ? Que fera-t-il de nous ? Et que ferons-nous, mes frères ? Que le psaume nous le dise : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Pourquoi ? « Ils vous béniront dans les siècles des siècles[318] ». Telle sera, mes frères, notre occupation, louer Dieu. Nous l’aimerons et nous le bénirons. Tu cesseras de le bénir, si tu cesses de l’aimer. Mais tune cesseras point de l’aimer, parce qu’en le voyant, tu n’éprouveras aucun ennui ; il te rassasiera sans te rassasier. Mon expression te surprend. Moi, si je dis qu’il te rassasiera, je crains que tu ne t’en ailles de lassitude, comme on s’en va d’un dîner ou d’un souper. Te dirai-je alors qu’il ne te rassasiera pas ? Mais si je le fais, je crains que l’indigence ne t’effraie, que tu n’imagines quelque besoin, ou du moins quelque désir à satisfaire. Que dirai-je donc, sinon ce que l’on peut exprimer sans pouvoir à peine le penser ? Que Dieu nous rassasiera et ne nous rassasiera point ; car je trouve l’un et l’autre dans l’Écriture. S’il est dit en effet : « Bienheureux ceux qui ont faim, parce qu’ils seront rassasiés[319] » ; il est dit encore dans la Sagesse : « Ceux qui vous mangent auront encore faim, et ceux qui vous boivent auront encore soif[320] ». Il n’est pas dit : soif de nouveau ; mais : encore soif. Avoir soif de nouveau, ce serait retourner boire, après avoir digéré ce qu’on aurait bu à satiété. Il en est de même de ceux qui vous mangent et qui ont encore faim, car ils ont faim alors même qu’ils vous mangent ; et ils ont soif alors même qu’ils vous boivent. Qu’est-ce à dire avoir soif quand on boit ? Avoir une soif inextinguible. Si donc Dieu nous réserve des délices ineffables et éternelles, que veut-il de nous maintenant, mes frères, sinon une foi sincère, une espérance ferme, une charité pure, en sorte que l’homme s’avance dans la voie tracée par le Seigneur, qu’il supporte les épreuves, et reçoive les consolations d’en haut ?

DISCOURS SUR LE PSAUME 86[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[321][modifier]

LA JÉRUSALEM CÉLESTE.[modifier]

La ville chantée dans le psaume est la cité de Dieu que nous chantons, si nous l’aimons. C’est la sainte Sion dont les Apôtres et les Prophètes sont tout à la fois les citoyens et les montagnes sur lesquelles cette cité est bâtie. Le Christ est cette pierre de l’angle où se sont rencontrées les deux murailles venant l’une de la circoncision, l’autre de la gentilité. Il est aussi la base de la Cité, et au lieu que les édifices de la terre partent d’en bas, l’édifice spirituel vient d’en haut. Le Christ est encore la porte du bercail, et le berger, et cet édifice est vivant dans chacune de ses pierres, et chaque pierre est carrée afin d’être debout en tout sens. Les Apôtres et les Prophètes en sont la base, parce qu’ils soutiennent notre faiblesse, et les portes, parce que nous y entrons par eux ; et y entrer par eux, c’est y entrer par Jésus-Christ. De là ce nombre de douze portes, nombre qui désigne l’universalité, et correspond aux douze sièges, parce qu’on viendra de tous côtés pour y entrer, y siéger, y juger. Le Christ nous y a précédés et y entre dans chacun de ses membres qui s’est appliqué les mérites de la passion. C’est là que viennent Rabab et Babylone, ou les Gentils purifiés. C’est le Christ qui a fondé cette ville où il est né, comme il a créé sa mère. Là est le roi, l’ineffable bonheur.


1. Le psaume que l’on vient de chanter n’a que peu de paroles ; mais il est riche de pensées. Il a été lu tout entier, et vous voyez le peu de temps qu’il a fallu pour arriver à la fin. Notre bienheureux père, qui nous honore de sa présence, m’a proposé tout à l’heure de l’exposer à votre charité autant que Dieu voudra bien me l’accorder. Une proposition si subite serait embarrassante, si celui qui m’engage ne me venait en aide par ses prières. Que votre charité soit donc attentive. Ce psaume chante et signale à notre attention une ville dont nous devenons les citoyens en devenant chrétiens, et d’où nous sommes exilés en cette vie mortelle ; une ville dont nous approchons par la voie qui y conduit. On ne pouvait jadis trouver cette voie encombrée d’épines et de ronces ; mais afin que nous pussions arriver à cette cité, le roi lui-même s’en est fait la voie. Donc, en marchant dans le Christ, étrangers ici-bas jusqu’à ce que nous soyons arrivés, en soupirant dans le désir de l’ineffable repos qui règne en cette cité, repos pour lequel on nous a promis « ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme[322] » ; en marchant donc, chantons de manière à stimuler nos désirs. Dans l’homme qui désire en effet, le cœur chante, quand même la langue se tairait ; mais pour l’homme sans désir, quelque clameur qu’il fasse entendre aux hommes, il est muet pour Dieu. Voyez comme ceux qui aimaient cette ville aspiraient à y arriver ; avec quelle effusion ces hommes, qui l’ont prophétisée, qui l’ont signalée à notre espérance, en ont aussi chanté les attraits. Ces désirs leur venaient de l’amour de cette cité, et cet amour était une effusion de l’Esprit-Saint. « Car l’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos cœurs, par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[323] ». Ayons donc cette ferveur de l’Esprit-Saint, pour entendre ce qu’on va dire de cette cité bienheureuse.
2. « Ses fondements sont sur les montagnes saintes[324] ». Le Prophète n’avait rien dit encore de cette ville, et tout à coup il s’écrie : « Ses fondements sont sur les montagnes saintes ». Les fondements de quoi ? Sans doute les fondements d’une ville, puisqu’ils sont placés sur des montagnes. Citoyen donc de cette ville, et plein de l’Esprit-Saint, roulant en son âme tous les motifs d’amour et de soupirs, pour une cité aussi sainte, il échappe tout à coup ses méditations et s’écrie : « Ses fondements sont sur les montagnes saintes » ; comme s’il en avait déjà parlé. Comment dire qu’il n’en avait point parlé, lui qui n’avait point cessé d’en parler dans son cœur ? Comment dire « ses fondements », quand on n’a point encore parlé de la ville ? Aussi, ayant médité longuement cette ville dans le silence de ses pensées et soupiré vers Dieu, soudain il éclate aux oreilles des hommes : « Ses fondements sont sur les saintes montagnes ». Et comme si les hommes lui demandaient de quelle ville ? « Dieu », répond-il, « aime les portes de Sion ». Telle est la cité dont les fondements sont sur les montagnes saintes. C’est de Sion que le Seigneur aime les portes « plus que tous les tabernacles de Jacob[325] ». Mais qu’est-ce à dire que e ses fondements sont u sur les saintes montagnes ? » Quelles sont les montagnes sur lesquelles est bâtie cette cité ? Un de ses habitants, l’apôtre saint Paul, nous l’a dit clairement. Prophètes et Apôtres sont également citoyens de cette ville. S’ils en parlaient, c’était pour exhorter les autres citoyens. Mais comment l’Apôtre et le Prophète étaient-ils habitants de cette cité ? Peut-être encore étaient-ils en même temps ces montagnes sur lesquelles s’élève cette ville dont le Seigneur aime les portes. Que cet autre citoyen nous l’expose donc clairement, de manière à exclure tout doute. S’adressant aux Gentils, l’Apôtre les exhorte à revenir au Christ, à entrer en quelque sorte dans la sainte construction : « Vous serez élevés », leur dit-il, « sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ». Et comme si les Apôtres et les Prophètes, qui servent de fondement à la cité, n’avaient point par eux-mêmes une solidité suffisante, l’Apôtre ajoute : « Le Christ en est lui-même la principale pierre angulaire ». Et de peur que les Gentils ne vinssent à croire qu’ils n’appartenaient pas à Sion ; puisque Sion était une cité terrestre et qui figurait une autre cité, la Jérusalem céleste, dont l’Apôtre a dit qu’« elle est notre mère à tous[326] » ; de peur, dis-je, qu’ils ne vinssent à croire qu’ils n’appartenaient point à Sion, parce qu’ils ne faisaient point partie du peuple de Jérusalem, l’Apôtre leur dit u Vous s n’êtes donc plus des étrangers et des hôtes, « mais vous êtes les citoyens de la cité des saints, de la maison de Dieu, comme un édifice bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ». Telle est la construction de la cité ; mais d’où vient la solidité de cette construction ; sur quoi est-elle appuyée pour ne tomber jamais ? « Sur Jésus-Christ, qui en est ta pierre angulaire[327] ».
3. Quelqu’un dira peut-être : Si le Christ est ta pierre angulaire, deux murailles alors viennent se réunir en lui, car il n’y a pas d’angle à moins que deux murs, ayant une direction différente, ne viennent le former. Or, deux peuples sont venus, l’un de la circoncision, l’autre de la Gentilité, et se sont unis pour la paix chrétienne, dans une même foi, une même espérance, une même charité. Mais si Jésus-Christ est la pierre de l’angle, il semble que les fondements l’ont précédé, et que la pierre angulaire n’est venue qu’après, et quelqu’un peut nous objecter que c’est le Christ qui s’appuie sur les Prophètes et sur les Apôtres, et non ceux-ci sur le Christ, puisqu’ils sont le fondement, tandis qu’il est la pierre de l’angle. Mais que celui qui parle ainsi, examine bien le fondement et la pierre angulaire ; car l’angle n’est pas seulement dans ce qui est apparent, et s’élève hors de terre, il commence dès le fondement ; et pour vous faire mieux comprendre que le Christ est le premier et le principal fondement, « personne », dit l’Apôtre, « ne peut établir un autre fondement que celui qui est déjà posé et qui est Jésus-Christ[328] ». Comment alors les Prophètes et les Apôtres sont-ils des fondements de la ville sainte, et comment Jésus-Christ lui-même est-il le fondement au-delà duquel il n’y a plus rien ? Comment le comprendre, à moins de dire en figure qu’il est le fondement des fondements, comme le Saint des saints. Si donc tu considères les sacrements, le Christ est le Saint des saints ; si tu jettes les yeux sur l’humble bercail, le Christ en est le pasteur ; si tu envisages l’édifice, le Christ en est le fondement des fondements. Dans nos édifices matériels, on ne saurait mettre la même pierre au sommet et à la hase : si elle est à la base, elle ne sera point au sommet ; et si elle est au sommet, elle ne sera point à ta base. Tout corps a ses Limites, et ne peut être ni en tout lieu ni en tout temps. Pour la divinité, au contraire, elle est présente partout à la fois, et l’on peut en tirer toutes sortes de comparaisons ; et même tout peut être en comparaison, puisque, à proprement parler, elle n’est rien de ce que l’on en dit. Ainsi, le Christ est-il une porte comme celte que fait l’ouvrier ? Assurément non. Et pourtant il a dit : « Je suis la porte ». Ou bien est-il un berger comme ceux que nous voyons prendre soin de leurs troupeaux ? Pourtant il a dit : « C’est moi le berger[329] ». Et dans un même endroit il dit les deux choses à la fois. Car il dit dans l’Évangile que le bon pasteur entre par la porte ; et en même temps il dit : « Je suis le bon pasteur » ; et là encore il dit : « Je suis la porte ». Le pasteur entre par la porte. Et quel est ce pasteur qui entre par la porte ? « Je suis le bon pasteur ». Et quelle est cette porte, par laquelle vous entrez, ô bon pasteur ? « Cette porte, c’est moi ». Comment donc êtes-vous toutes choses ? Comme toutes choses sont par moi. Ainsi quand Paul entre par la porte, n’est-ce point le Christ qui entre par la porte ? Pourquoi ? Ce n’est pas que Paul soit le Christ, c’est que le Christ est en Paul, et que Paul est par le Christ ; n’a-t-il pas dit : « Voulez-vous éprouver le Christ qui parle par ma bouche[330] ? » Quand ses saints et ses fidèles entrent par la porte, n’est-ce point le Christ qui entre par la porte ? Comment le prouver ? Saul, qui n’était pas encore Paul, persécutait ses fidèles quand le Christ lui cria d’en haut : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[331] ? » Le Christ est donc tout à la fois, le fondement et la pierre de l’angle qui s’élève d’en bis, si toutefois il est en bas. Car c’est en haut que commence l’édifice dont nous parlons : et de même que tout édifice matériel a son fondement eu bas, ainsi l’édifice spirituel a son fondement en haut. Si nous bâtissions pour la terre, il nous faudrait une base terrestre ; mais comme nous bâtissions pour le ciel, notre fondement nous a précédés dans les cieux. C’est donc lui qui est la pierre angulaire, et les montagnes sont les Apôtres, les grands Prophètes, qui supportent la Cité et en sont un édifice vivant. C’est de cet édifice que partent les cris de vos cœurs, c’est là l’œuvre ingénieuse de la main de Dieu, pour vous faire entrer dans les justes Proportions de cet édifice. Car ce n’est pas sans raison que l’arche de Noé était construite avec des bois carrés[332][333] pour devenir la figure de l’Église. Que signifie ce carré ? Voyez une pierre carrée pan exemple ; tel doit être le modèle du chrétien. Car le chrétien ne doit succomber à aucune tentation : poussé de çà et de là, en tout sens, il ne tombe point. Tourne comme tu le voudras une pierre carrée, elle se tient debout. Les martyrs paraissaient tomber, quand on les faisait mourir : mais qu’est-il dit dans nos cantiques ? « Lorsque le juste tombera, il ne sera point brisé, parce que le Seigneur le soutient par la main[334] ». Si donc vous êtes préparés à toute tentation, et carrés en quelque sorte, que nulle violence ne vous renverse, et soyez prêts à tout événement. Tu entres donc dans cet édifice, par de saintes affections, par une piété sincère, par la foi, l’espérance et la charité ; et entrer dans l’édifice, c’est marcher devant Dieu. Dans les cités de la terre, autre est l’édifice, et autre ceux qui l’habitent ; mais la Cité qui nous occupe est bâtie de ses propres citoyens ; ce sont eux qui en sont les pierres, car ces pierres sont vivantes. « Quant à vous », dit saint Pierre, « vous êtes comme des pierres vivantes formant un édifice spirituel[335] ». C’est à nous que s’adresse l’Apôtre. Continuons à parler de la Cité.
4. « Les fondements sont sur les saintes montagnes, le Seigneur aime les portes de Sion ». Je vous ai déjà fait comprendre, mes frères, qu’il ne faut pas voir de différence entre les fondements de la cité et ses portes. Pourquoi donc les Apôtres, les Prophètes, sont-ils des fondements ? Parce que leur autorité soutient notre faiblesse. Pourquoi des portes ? Parce que c’est par eux que nous entrons dans le royaume des cieux, car ce sont eux qui nous prêchent. Et quand nous entrons par eux, nous entrons par le Christ. Car lui-même est la porte[336]. Il est dit que Jérusalem a douze portes[337], et le Christ est en même temps la porte unique, et les douze portes, parce qu’il est dans les douze. De là le nombre douze pour les Apôtres ; ce nombre douze est très mystérieux, u Vous serez assis « sur douze trônes, dit Le Christ, pour juger « les douze tribus d’Israël[338] ». S’il n’y a que douze trônes, il n’y en aura point pour asseoir Paul, treizième apôtre, et il ne pourra juger : et pourtant il affirme qu’il jugera, et non seulement les hommes, mais encore les anges[339]. Quels anges, sinon les anges apostats ? Mais, lui dira la foule, pourquoi te vanter de juger ? où t’asseoir ? Le Seigneur assure qu’il y a douze sièges pour les douze Apôtres. Judas l’un d’eux est tombé, et Matthias a été ordonné à sa place[340] ; le nombre des douze trônes est donc complet : trouve d’abord où t’asseoir avant de menacer de ton jugement. Voyons donc ce que signifient ces douze trônes. C’est un symbole de l’univers entier, parce que l’Église doit se répandre dans tout l’univers, d’où Dieu fait appel pour l’édifice du Christ. Ainsi, parce que l’on viendra de toutes parts pour juger, il y a douze trônes ; de même qu’il y a douze portes, parce que l’on entre de toutes parts. Non seulement donc les douze Apôtres avec saint Paul, mais tous ceux qui doivent juger appartiennent à ces douze trônes, dont le nombre marque l’universalité ; de même que tous ceux qui entreront appartiennent aux douze portes. Il y a, en effet, dans le monde quatre parties, l’Orient et l’Occident, le Nord et le Midi. Ces parties reviennent fréquemment dans les saintes Écritures. C’est de ces quatre parties, ou comme il est dit dans l’Évangile, de ces quatre vents que le Seigneur rassemblera ses élus[341]. C’est donc de ces quatre vents que l’Église est appelée. Comment est-elle appelée ? De toutes parts elle est appelée au nom de la Trinité : car nul n’est appelé dans le baptême qu’au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Or, en multipliant quatre par trois, on obtient douze.
5. Heurtez donc par l’amour à ces portes, et que le Christ lui-même crie en vous : « Ouvrez-moi les portes de la justice[342] ». Il marche en avant comme chef, il suit dans chacun des membres. Voyez ce que dit l’Apôtre, car le Christ souffrait en lui : «.J’accomplis en ma chair ce qui marque aux douleurs du Christ[343] ». « J’achève ». Quoi ? « ce qui manque ». À quoi ? « aux douleurs du Christ ». Où ? « dans ma chair ». Pouvait-il donc y avoir quelque chose d’insuffisant dans les douleurs de cet homme dont le Verbe s’était revêtu en naissant de la vierge Marie ? Car, enfin, il a souffert ce qu’il devait souffrir, et par sa volonté, non par la volonté du péché. Et nous voyons qu’il ne restait plus rien à souffrir, puisque sur la croix, après avoir bu le vinaigre, il s’écria : « C’est achevé, et baissant la tête il rendit l’esprit[344] ». Qu’est-ce à dire, « c’est achevé ? » La mesure de mes douleurs est épuisée ; tout ce qui a été prédit de moi est accompli, comme s’il n’eût attendu pour mourir que cet accomplissement. Qui sort pour un voyage, comme il sort de son corps ? Mais qui peut mourir ainsi ? Celui qui a dit tout d’abord : « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et aussi le pouvoir de la reprendre : nul ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même, et je la reprends encore[345] ». Il a donc donné sa vie quand il l’a voulu, et l’a reprise quand il l’a voulu : nul n’a pu la lui ôter, la lui arracher. Toutes les souffrances marquées ont donc été accomplies, mais dans le Chef ; il restât à les accomplir dans le corps du Christ. Or, vous êtes le corps et les membres du Christ[346]. Aussi l’Apôtre, qui faisait partie de ces membres, a-t-il dit : « Afin que j’accomplisse dans ma chair ce qui manque à la passion du Christ ». Nous allons donc où le Christ nous a précédés, et le Christ ne laisse point d’aller où il est allé le premier. Le Christ nous a précédés dans son chef, il doit suivre dans son corps. De là vient qu’il souffre encore ici-bas, et il souffrait de la part de Saul, quand Saul entendit : « Saut, Saul, pourquoi me persécuter[347] ? » De même que si l’on nous marche sur le pied, la langue aussitôt s’écrie : Vous m’écrasez. Nul ne touche à cette langue, et pourtant elle se récrie, plutôt parce qu’elle est unie au membre qui souffre, que par la douleur qu’elle endure. Ici-bas encore le Christ est dans l’indigence, ici-bas il est étranger, ici-bas il souffre, ici-bas il est en prison. Parler ainsi, ce serait l’injurier, s’il n’avait dit lui-même : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez revêtu ; malade, et vous m’avez visité. Et eux : Quand, Seigneur, vous avons-nous vu en proie à ces misères, et vous avons-nous secouru ? Et lui : Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[348] ». Entrons donc dans l’édifice du Christ qui a pour fondement les Apôtres et les Prophètes[349], et dont il est la pierre angulaire parce que « le Seigneur aime les portes de Sion, plus que tous les tabernacles de Jacob » ; comme si cette même Sion n’était point dans les tabernacles de Jacob. Et où donc était Sion, sinon dans ce peuple de Jacob ? Car Jacob, lige du peuple juif, était petit-fils d’Abraham, et ce peuple a reçu le nom d’Israël, parce que Jacob lui-même fut appelé Israël[350]. C’est là ce que vous savez. Mais comme il y avait autrefois des tentes passagères et figuratives, et que le Prophète parle d’une cité spirituelle dont la ville terrestre n’était que l’ombre et l’image, le Prophète s’écrie : « Dieu aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob ». Il aime cette cité spirituelle, plus que tous les tabernacles figuratifs, qui nous marquaient cette ville céleste, ville impérissable et toujours en paix.
6. « Cité de Dieu, on dit de toi des choses merveilleuses ». On dirait que le Prophète envisage cette Jérusalem qui est sur la terre. Voyez toutefois de quelle cité on a dit des choses admirables : la Jérusalem de la terre est détruite ; la violence de ses ennemis l’a jetée à terre ; elle n’est plus ce qu’elle était ; elle n’était qu’une figure, et cette ombre est passée. Où sont donc « ces merveilles sur la cité de Dieu ? » Écoutez : « Je me souviendrai de Rahab et de Babylone qui m’ont connu[351] ». Dans cette cité, dit le Prophète, en parlant au nom du Seigneur, je me souviendrai de Rahab, je me souviendrai de Babylone. Rahab n’appartient pas au peuple juif, non plus que Babylone. Car le Prophète dit ensuite : « Voilà que les étrangers de Tyr, et le peuple de l’Ethiopie ont « été dans tes murs ». C’est donc avec raison que « l’on chante vos merveilles, ô cité de Dieu », puisque vos murailles ne renferment pas seulement ce peuple Juif né d’Abraham, mais toutes les nations, dont quelques-unes sont nommées, pour nous faire entendre les autres. « Je me souviendrai de Rahab », est-il dit : quelle est cette courtisane ? Cette cabaretière de Jéricho, qui accueillit les envoyés, les mit sur un autre chemin, crut à la promesse, et craignit Dieu, à qui l’on conseilla de faire descendre par la fenêtre un cordon de pourpre, c’est-à-dire, de mettre sur son front le signe du sang de Jésus-Christ. Elle fut ainsi sauvée[352] et figura l’Église des Gentils. De là cette parole du Sauveur aux pharisiens orgueilleux : « En vérité, je vous le déclare, les publicains et les courtisanes entreront avant vous dans le royaume des cieux[353] ». Ils entreront avant vous, parce qu’ils font violence. Ils heurtent par la foi, et tout cède à la foi ; nul ne peut leur résister ; parce que ceux qui font violence, emportent ce royaume, selon cette parole : « Le royaume des cieux souffre violence, et ceux qui font violence l’emportent[354] ». Voilà ce que fit le larron[355], plus fort à la croix que dans ses brigandages. « Je me souviendrai de Rahab et de Babylone ». Babylone était la ville du siècle. De même qu’il n’y avait qu’une ville sainte nommée Jérusalem, il n’y avait qu’une ville de l’iniquité appelée Babylone ; tous les impies appartiennent à Babylone, comme tous les saints à Jérusalem. On sort de Babylone pour aller à Jérusalem. Et comment, sinon par celui qui justifie l’impie[356] ? La cité des saints est donc Jérusalem, comme Babylone est la cité des méchants. Or, celui qui justifie l’impie est venu ; car « je me souviendrai », dit-il, « non seulement de Rahab », mais aussi « de Babylone ». Mais pourquoi se souviendra-t-il de Rahab et de Babylone ? « Parce qu’elles m’ont connu ». Aussi l’Écriture a-t-elle dit quelque part : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu[357] ». Ici il dit : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu » ; et ailleurs : « Prévenez de votre miséricorde ceux qui vous connaissent[358] ». Et pour vous montrer que Rahab et Babylone sont prises ici pour les Gentils ; comme si on lui demandait : Pourquoi « vous souvenir de Rahab et de Babylone qui vous connaissent ? » Pourquoi parler ainsi ? « Ce sont les étrangers », répond-il, qui appartiennent à Rahab, à Babylone, « c’est Tyr ». Mais jusqu’où prendrez-vous ces nations ? Jusqu’aux extrémités de la terre. Car il a pris pour son peuple celui qui est aux derniers confins de la terre. « Jusqu’au peuple de l’Ethiopie », dit-il, « qui a été là ». Si donc l’on y retrouve Rahab, si l’on y est venu de Babylone, si l’on y voit Tyr et le peuple des Éthiopiens, c’est avec raison, « ô cité de Dieu, que l’on célèbre tes merveilles ».
7. Mais reconnaissez ici un grand mystère. Rahab est ici par celui qui y fait venir Babylone, et cette Babylone a dépouillé Babylone pour devenir Jérusalem. La fille est divisée d’avec sa mère, et commence à devenir membre de cette reine à laquelle on dit : « Oubliez votre peuple et la maison de votre père, car le roi s’est épris de votre beauté[359] ». Comment Babylone pourrait-elle aspirer à Jérusalem ? Comment Rahab arriverait-elle à ces fondements ? Comment pourraient y venir les étrangers ? Comment Tyr ? Comment les peuples de l’Ethiopie Écoute bien : « Un homme dira : Sion est ma mère[360] ». Donc, il est un homme qui dit : « Sion est ma mère », et c’est par lui que ceux-ci viennent en Sion. Mais quel est cet homme ? Le Prophète nous l’indique, si nous savons l’entendre et le comprendre : « Un homme dira : Sion est ma mère ». Comme si l’on demandait au Prophète quel est cet homme par qui Rahab et Babylone, et les étrangers, et Tyr, et les Éthiopiens viendront à Jérusalem. Voici, répond-il : « Un homme dira : Sion est ma mère ; un homme a été fait en elle, et cet homme est le Très-Haut qui l’a fondée ». Quoi de plus clair, mes frères ? Oui, assurément, « ô cité sainte, on a dit de toi les plus surprenantes merveilles ». Voici qu’un homme dira : « Sion est ma mère ». Quel est cet homme ? « Celui qui a été fait homme en elle ». Un homme donc a été fait en elle, et cet homme l’a fondée. Comment a été fait en elle celui-là même qui l’a fondée ? Pour qu’un homme fût fait en elle, déjà elle était fondée. Comprends, si tu le peux. Car il dira : « Sion est ma mère » ; mais celui qui dira : « Sion est ma mère, est homme » : or, « un homme a été fait en elle » ; mais « celui qui l’a fondée » n’est point homme, il est le « Très-Haut ». Il a donc fondé la ville où il devait naître, quand il a créé celle qui devait être sa mère. Quelle merveille, mes frères ! quelles promesses ! quelles espérances ! C’est pour vous que le Très-Haut a fondé une cité : il appelle cette cité sa mère, c’est en elle qu’« il a été fait homme, et le Très-Haut l’a fondée ».
8. Mais comme si l’on demandait : D’où savez-vous ces choses ? Nous venons de chanter ces paroles, et le Christ en son humanité les chante pour nous tous, lui homme pour nous et Dieu avant nous. Mais quelle grandeur d’avoir été avant nous ? Avant la terre et le ciel, avant les siècles. C’est donc ce Dieu fait homme pour nous, dans cette cité, c’est le Très-Haut qui l’a fondée. D’où le savons-nous ? « Le Seigneur le racontera dans les annales des peuples ». Car voilà ce que dit ensuite le psaume : « Un homme dira : Sion est ma mère, et cet homme a été fait en elle, c’est lui, le Très-Haut, qui l’a fondée. Le Seigneur le racontera dans les annales des peuples et des princes[361] ». De quels princes ? De ceux qui ont été faits en elle. Les princes qui ont été faits en elle, sont devenus ses princes. Car avant qu’ils fussent princes dans cette cité, Dieu avait choisi ce qu’il y a de méprisable dans le monde pour confondre les forts[362]. Le pêcheur était-il un prince ? Est-ce un prince qu’un publicain ? Oui, ils sont des princes ; car ils ont été faits princes dans cette ville. Quels sont ces princes ? Des princes qui sont venus de Babylone, des princes selon le monde ont embrassé la foi et sont venus à Rome, dans cette capitale de Babylone ; et sans aller au palais des Empereurs, ils sont allés au tombeau d’un pêcheur. Pourquoi sont-ils devenus des princes ? Parce que Dieu a choisi ce qu’il y a de faible pour confondre les forts, ce qu’il y a de méprisable, ce qui n’est rien pour détruire ce qui est[363]. Telle est l’œuvre de celui qui relève le pauvre de la poussière, et l’indigent de son fumier. Pourquoi le relever ? Pour le faire asseoir entre les princes, entre les princes de son peuple[364]. Quelle merveille ! mes frères, quelle joie ! quelle allégresse ! Des orateurs sont venus ensuite dans cette cité, mais ils n’y seraient point venus, si les pêcheurs ne les y avaient précédés. Grandes merveilles que tout cela ; mais où s’accomplissent de telles merveilles, sinon dans cette cité de Dieu, dont on a dit tant de miracles ?
9. Aussi réunissant tant de sujets de joie, que dira le Prophète pour conclure ? « Tu es le séjour de tous ceux qui tressaillent d’allégresse[365] ». Elle est donc la cité de la joie, la cité de tous ceux qui s’abreuvent de délices. Ici-bas nous sommes dans la tristesse, là nous aurons une joie sans mélange et sans fin. Il n’y aura ni labeur, ni gémissement ; aux supplications succédera la louange. Nul donc ne sera sans délices : nul gémissement, nul soupir, mais la jouissance dans la joie. Nous serons en présence de celui qu’appellent nos soupirs, et semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est[366]. Là toute notre tâche sera de louer Dieu, de jouir de Dieu. Que pourrions-nous chercher, quand celui qui a tout fait, nous suffit ? Il habitera en nous, et nous habiterons en lui ; tout lui sera soumis, afin qu’il soit Dieu tout en tous[367]. « Bienheureux donc ceux qui habitent votre demeure ». Pourquoi bienheureux ? Parce qu’ils auront de l’or, de l’argent, une maison nombreuse, de nombreux enfants ? Pourquoi bienheureux ? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles[368] ». Telle est la tâche ou plutôt le repos qui les rendra heureux. N’ayons donc, mes frères, d’autre désir que d’arriver à ce bonheur ; préparons-nous à bénir Dieu, à nous réjouir en Dieu. Nous vous le disions hier, autant qu’il était en nous : il n’y aura plus d’œuvre de miséricorde, puisqu’il n’y aura plus de misère. Tu n’y rencontreras ni pauvres à secourir, ni l’homme nu à revêtir, ni l’homme qui a soif, ni l’étranger, ni aucun malade à visiter, ni aucun mort à ensevelir, ni des hommes en procès à réconcilier. Que feras-tu donc ? Des besoins corporels te forceront-ils à défricher, à labourer, à pratiquer le négoce, à voyager ? Ce sera le repos suprême ; car il n’y aura plus de ces travaux que la nécessité nous impose : et avec la nécessité disparaîtront les œuvres de nécessité. Qu’arrivera-t-il donc ? Le Prophète l’a dit, comme une langue humaine le peut dire e Tu es comme le séjour de tous ceux qui « tressaillent de joie ». Pourquoi comme le séjour ? Parce que la joie que nous ressentirons alors, est de celles que nous ne connaissons point. Je vois ici-bas bien des délices, beaucoup se réjouissent en cette vie, l’un pour tel motif, l’autre pour tel autre motif ; mais je ne trouve rien de comparable à cette joie, qui sera comme un agrément sans fatigue. Si je dis simplement un agrément, tel homme va penser à l’agrément qu’il trouve à boire, dans un festin, dans l’avarice, dans les honneurs d’ici-bas. Car les hommes trouvent là des transports et une espèce de folie : mais, « il n’y a point de joie pour l’impie », a dit le Seigneur[369][370]. Il est donc une joie que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, qui n’est pas entrée dans le cœur de l’homme[371]. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la joie ». Préparons-nous donc à une joie supérieure ; nous pouvons bien en trouver des images ici-bas, mais elle n’y est point : ne nous préparons point à jouir dans le ciel de ce qui fait ici-bas notre joie, autrement notre abstention deviendrait l’avarice. Vous invitez des hommes à un repas magnifique, où l’on doit servir beaucoup de mets recherchés ; ils ne dînent pas : et si vous en demandez la cause, ils répondent : Nous jeûnons. Jeûner est assurément une œuvre sainte, une œuvre chrétienne. Mais ne vous hâtez pas de louer ; cherchez la cause, et vous verrez qu’il s’agit du ventre, et non de la religion. Pourquoi ce jeûne ? C’est de peur que des mets vulgaires n’embarrassent l’estomac, et qu’on ne puisse toucher ensuite aux mets délicats. C’est donc la sensualité que l’on recherche dans le jeûne. Chose étrange que le jeûne ! tantôt il réprime les appétits, la sensualité, tantôt il les favorise. Si donc, mes frères, c’est un plaisir semblable que vous espérez dans cette patrie, où nous invite la trompette céleste, si vous vous abstenez des plaisirs d’ici-bas, pour en recevoir de semblables et au centuple là-haut ; vous ressemblez à ceux qui jeûnent pour mieux manger, et qui sont tempérants par intempérance. Arrière toutes ces pensées ! Préparez-vous à des joies ineffables, et purifiez votre cœur de toutes les affections de la terre, de tous les plaisirs du siècle. Nous venons dans le ciel, et ce que nous verrons nous rendra bienheureux, et cette vue seule nous suffira. Eh ! quoi donc ? Nous ne mangerons point ? Oui, sans doute, nous mangerons, et telle sera notre nourriture, qu’elle nous rassasiera, sans nous manquer jamais. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la joie ». Nous avons dit quelle sera cette joie : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ô mon Dieu, ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Louons donc le Seigneur ici-bas, autant qu’il est en nous ; mêlons nos gémissements à nos louanges, car en louant Dieu, nous le désirons, sans le posséder encore. Et quand nous le posséderons, nous serons tout en lui, le gémissement disparaîtra pour faire place à la louange, notre unique, notre pure et notre éternelle préoccupation.

DISCOURS SUR LE PSAUME 87[372][modifier]

LA PASSION DU CHRIST DANS L’ÉGLISE.[modifier]

Ce chœur qui doit répondre, c’est l’Église qui chante le Christ, et qui doit, dans ses membres, passer par les mêmes douleurs que le Christ. Car le psaume est pour les fils de Coré, ou du Calvaire. Le Christ a donc prié en son humanité, il a souffert, parce qu’il a voulu personnifier en lui tout son corps qui est l’Église. Il a été libre dans la mort, parce qu’il donnait lui-même sa vie, et qu’il l’a reprise le troisième jour. Il était dans les ténèbres comme ceux qu’il était venu en délivrer. La colère de Dieu paraissait appesantie sur lui, elle n’a fait que passer, et les prophéties se sont accomplies ; ses proches ne comprenant pas ses douleurs, l’ont méconnu, se sont séparés de lui ; ses yeux ou les Apôtres privés de sa lumière, ont langui. Alors il prie du haut de la croix, il s prié tout le jour par ses bonnes œuvres, qui n’ont point touché des cœurs sans vie, incapables de comprendre les miracles, de ressusciter à la voix des médecins. Encore céderont-ils à la grâce ? Car c’est Dieu qui ressuscite par la grâce, qui appelle par les Apôtres, qui nous amène à la confession, véritable signe de conversion. Qui dira la vérité à ces âmes sans vie, et qui ont perdu la lumière ? De là remercions Dieu qui nous ressuscite comme il ressuscite les morts ; de là aussi cette prière vive qui doit s’élever à Dieu, que Dieu n’exauce pas aussitôt, afin d’en attiser l’ardeur ; prière qui est celle de l’Église exilée, et qui doit durer jusqu’à ce que tous ses membres soient dans ta patrie.


1. Le titre du psaume quatre-vingt-septième a quelque chose de nouveau, qui embarrasse l’interprète. Dans aucun autre psaume, nous ne trouvons ce que nous rencontrons ici : « Pour Melech, à répondre ». Nous avons pu voir ailleurs ce que signifie et psaume du cantique, et cantique du psaume ; souvent encore nous avons expliqué ces expressions : « Aux fils de Coré », que nous rencontrons fréquemment, ainsi que « pour la fin » ; mais ces expressions : « Pour Melech, à répondre », c’est là un titre nouveau. « Pour Melech », peut se traduire en latin, pour le chœur, car le mot hébreu « Melech », signifie chœur. Or, qu’est-ce à dire pour le chœur, à répondre ? sinon que le chœur doit unir ses accords pour répondre à celui qui chante ? D’autres psaumes, nous devons le croire, ont été chantés de la sorte, bien qu’ils aient eu d’autres titres ; c’était sans doute un moyen de varier, et d’éviter l’ennui. Car celui-ci n’est pas le seul auquel tout un chœur ait répondu, puisqu’il n’est pas le seul qui prophétise la passion du Seigneur. S’il y a une autre raison qui motive la variété des titres, et par laquelle on puisse nous montrer que dans cette variété, cloaque titre est tellement propre à chacun des psaumes, qu’il ne pourrait servir à un autre ; j’avoue pour moi, qu’après bien des efforts, je n’ai pu la découvrir ; et ce que j’ai vu de ce qu’ont écrit ce qui en ont parlé avant moi, n’a pu répondre ou à mon attente, ou à ma lenteur. Je dirai donc ce qui me paraît de mystérieux dans cette expression : Pour le chœur à répondre, c’est-à-dire en quoi le chœur doit répondre au chantre. Il y a ici une prophétie de la passion du Seigneur. Or, l’apôtre saint Pierre a dit : « Le Christ a souffert pour nous, afin que nous suivions ses traces[373] » ; c’est là répondre. L’apôtre saint Jean dit à son tour : « De même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même nous devons donner notre vie pour nos frères[374] ». Voilà répondre encore. Or, le chœur désigne l’accord qui est le fruit de la charité. Quiconque, dès lors, pour imiter la passion du Sauveur, livrerait son corps aux flammes, sans avoir la charité, ne répondrait point en chœur, et cela ne lui servirait de rien[375]. Ainsi donc, de même que dans l’art musical, il y a, comme les savants ont pu l’exprimer en latin, le praecentor et le succentor, le premier pour donner au chant l’intonation, le second pour chanter ensuite ; de même dans ce cantique de la passion, après le Christ qui ouvre la marche, vient le chœur des martyrs, qui le suit jusqu’à la fin ou l’acquisition des couronnes éternelles. Ce chant est en effet « pour les fils de Coré », or pour ceux qui imiteront la passion du Christ. Car le Christ a été crucifié au Calvaire[376], et en hébreu calvaire se dit Coré. Ce serait là le sens « d’Eman Israélite », qui termine le titre du psaume, car Eman signifie son frère. Or, le Christ a élevé au rang de ses frères, ceux qui ont compris le mystère de la croix, qui loin d’en rougir y mettent au contraire toute leur gloire, sans s’élever de leurs mérites, sans méconnaître sa grâce ; en sorte que l’on peut dire à chacun d’eux : « Voilà un vrai Israélite sans déguisement[377] » ; ainsi que l’Écriture témoigne de Jacob qu’il était sans fraude[378]. Écoutons donc la voix prophétique du Christ, qui chante en ce psaume, afin que le chœur de ses saints lui réponde, soit en l’imitant, soit en lui rendant grâces.
2. « Seigneur, Dieu de mon salut, j’ai crié vers vous pendant le jour et pendant la nuit, en votre présence. Que ma prière pénètre jusqu’à vous, daignez prêter l’oreille à mes supplications[379] ». Le Seigneur a prié en effet, non selon la forme de Dieu, mais selon la forme de l’esclave, car c’est en ce sens qu’il a souffert. Il a prié quand tout était calme autour de lui, c’est-à-dire pendant le jour, et quand il était dans l’affliction, ce qui selon moi signifie la nuit. Pour sa prière, elle trouve accès auprès de Dieu quand elle est exaucée, et Dieu incline son oreille quand il nous écoute dans sa miséricorde ; car en Dieu il n’y a point de membres corporels comme en nous. Il y a ici une répétition d’usage ; et en effet : « Que ma prière pénètre jusqu’à vous », est identique à : « Prêtez l’oreille à mes supplications ».
3. « Parce que mon âme est remplie de maux, et ma vie s’est approchée de la tombe[380] ». Oserions-nous bien dire que l’âme du Christ fut rassasiée de maux, quand toutes les douleurs de sa passion n’ont eu de pouvoir que sur sa chair ? De là vient qu’en exhortant ses disciples à souffrir courageusement, et comme pour les inviter à lui répondre en chœur, il leur dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui n’ont point le pouvoir de tuer l’âme[381] ». Son âme donc, que ses persécuteurs ne pouvaient tuer, pouvait-elle être rassasiée de maux ? Si cela est vrai, voyons de quels maux. Ce ne pouvait être de ces vices qui imposent à l’homme le joug de l’iniquité, que son âme était rassasiée. Ces maux sont peut-être les douleurs auxquelles son âme fut en proie en prenant sa chair en pitié ; car ce que l’on appelle douleur du corps ne saurait exister sans l’âme ; et quand elle est inévitable, elle est précédée en nous d’une tristesse dont l’âme seule est le siège. Ainsi donc l’âme peut être affligée sans que le corps souffre ; mais le corps ne peut souffrir sans l’âme. Pourquoi donc ne disons-nous point que l’âme du Christ fut saturée des péchés de l’homme, mais seulement des misères de l’homme, puisqu’un autre Prophète nous dit qu’il a souffert pour nous[382] ; puisque, selon l’Évangéliste : « Ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à s’affliger et à s’attrister », et que le Seigneur dit de lui-même : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[383] ? » Voilà ce que voyait le Prophète qui a écrit le psaume, et ce qui lui fait dire : « Mon âme est rassasiée de misères, et ma vie s’est approchée de la tombe ». Il ne fait que dire en d’autres termes cette parole de Jésus-Christ : « Mon âme est triste jusqu’à la mort » ; puisque « mon âme est triste », est identique à « mon âme est rassasiée de misères », et « jusqu’à la mort », identique à « ma vie s’est approchée de la tombe ». Or, si Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu ressentir en lui ces mouvements de l’infirmité humaine, ainsi que cette chair de l’homme, et la mort de cette même chair, ce n’est point par nécessité, mais par un effet de sa compassion. C’est qu’il lui a plu de personnifier en lui tout son corps, ou cette Église dont il a daigné se faire le chef ; en sorte qu’il représente ses membres dans ses saints et dans ses fidèles. Et dès lors, s’il arrive à quelqu’un d’entre eux de passer par la douleur et par la tristesse, au milieu des épreuves humaines, qu’il ne se croie point déshérité de la grâce ; qu’il ne regarde point ces ressentiments comme des péchés, mais comme des marques de l’humaine infirmité, et qu’un membre s’instruise à l’exemple du chef, comme le chœur répond à la voix du premier chantre. Nous lisons en effet de l’apôtre saint Paul, un des principaux membres de ce corps mystique, et nous lui entendons avouer que son âme est en proie à de semblables misères, quand il dit qu’il ressent une tristesse profonde, qu’une douleur continuelle traverse son cœur à la pensée de ses frères qui sont les Israélites[384]. Et dire que Notre-Seigneur fut aussi attristé à leur sujet aux approches de sa passion, en laquelle ce peuple allait commettre le plus grand des crimes ; c’est là, je pense, ne dire que la vérité.
4. En fin, cette parole qu’il a dite sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[385] », est marquée clairement dans ce qui suit : « J’ai été mis au nombre de ceux que l’on descend au tombeau[386] » ; assurément par ces hommes qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui crurent que le Christ mourait comme meurent les autres hommes, comme contraint par une invincible nécessité. Car il appelle tombeau la profondeur ou de sa misère ou de l’enfer.
5. « J’ai été comme un homme sans secours, libre entre les morts[387] ». Dans ces paroles nous voyons clairement le Sauveur. Quel autre eût pu être libre parmi les morts, que celui qui, avec la ressemblance du péché[388], était seul sans péché ? De là vient qu’il dit à ceux qui follement se croyaient libres « Quiconque fait le péché, est esclave du péché[389] ». Et comme nous devions être délivrés du péché par celui qui était sans péché : « Si le Fils vous délivre », leur dit-il, « vous « serez vraiment libres[390] ». Celui-là donc était « libre entre les morts », qui avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre[391], lui à qui nul ne pouvait l’ôter, mais qui la donnait librement ; qui pouvait ressusciter à son gré cette chair, comme un temple que les Juifs auraient détruit[392] lui qui, abandonné de tous, ne demeura pas néanmoins seul, puisque son Père ne l’abandonna pas[393], comme il l’assure lui-même ; lui qui pria pour ses ennemis qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui lui criaient : « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même : s’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. Que Dieu le délivre, s’il l’aime[394] », et qui était extérieurement « comme un homme sans secours, comme ces blessés de la mort qui dorment dans le sépulcre ». Mais le Prophète ajoute : « Effacés de votre souvenir ». Voilà ce qui établit une différence entre le Christ et les autres morts. À la vérité, il a été blessé, mis à mort, placé dans le sépulcre[395] ; mais ceux qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui ne le connaissaient point, l’ont cru semblable à ceux qui meurent de leurs blessures, qui dorment dans le tombeau, dont Dieu ne se souvient pas encore, c’est-à-dire dont le temps n’est point venu pour la résurrection. C’est l’usage des Écritures d’employer le mot dormir en parlant des morts, parce qu’elle veut nous faire comprendre qu’ils s’éveilleront ou qu’ils ressusciteront. Mais ce blessé qui dormait dans le sépulcre s’éveilla le troisième jour, et devint comme le passereau solitaire sur le toit[396], c’est-à-dire qu’il est à la droite de son Père dans le ciel : car il ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur lui[397]. Telle est la différence qui l’élève bien au-dessus des autres dont Dieu ne se souvient point encore pour les ressusciter, car il réserve aux membres pour la fin des temps, ce qui est arrivé d’abord aux chefs. On dit en effet que Dieu se souvient quand il agit, et qu’il oublie quand il n’agit point encore. Mais en Dieu il n’y a aucun oubli, puisqu’il ne change point, comme il n’y a pas de souvenir, puisqu’il n’oublie point. « J’ai été traité par ceux qui ne connaissaient point ce qu’ils faisaient, comme un homme sans secours », bien que « je fusse libre entre les morts ». Aux yeux de ceux qui ne savaient ce qu’ils faisaient : « J’étais comme ces blessés de la mort qui dorment dans le sépulcre ; et alors votre main les a retranchés ». C’est-à-dire, quand ils m’ont regardé de la sorte, eux-mêmes « ont été retranchés par votre main[398] » ; en d’autres termes, privés des secours de votre main, alors qu’ils me croyaient sans secours. « Car ils ont creusé une fosse sous mes yeux », est-il dit dans un autre psaume, « et ils y sont tombés eux-mêmes[399] ». Il est mieux, je crois, d’entendre ainsi les paroles de notre psaume : « Ils ont été retranchés par votre main », que de les rapporter à ceux qui dorment dans le sépulcre, et dont Dieu ne se souvient point encore : puisqu’il y a certainement parmi eux des justes, dont Dieu ne se souvient point pour les ressusciter, et dont il est dit néanmoins : « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu[400] » ; c’est-à-dire qu’elles reposent sous la protection du Tout-Puissante, et qu’elles demeurent à l’ombre du Dieu du ciel. Mais ceux-là sont rejetés de la main de Dieu, qui ont cru que le Christ en était rejeté parce qu’ils avaient pu le mettre à mort avec des scélérats.
6. « Ils m’ont placé », continue le Prophète, dans une fosse profonde[401] », ou plutôt, « dans la fosse la plus basse », comme on lit dans le grec[402]. Or, quelle est cette fosse profonde, sinon une misère tellement profonde, qu’il n’est rien au-delà ? De là cette parole : « Vous m’avez tiré de l’abîme de misère[403]. Ils m’ont placé dans des lieux ténébreux, à l’ombre de la mort » ; ils croyaient m’y mettre, eux qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui ne connaissaient pas celui que nul prince du siècle n’a connu[404]. Par cette ombre de la mort, je ne sais si l’on doit entendre la mort corporelle, ou plutôt celle dont il est écrit : « Que la lumière s’est levée pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres, à l’ombre de la mort[405] » ; parce que la foi à la lumière et à la vie les a tirés des ténèbres et de la mort de l’impiété. C’est parmi eux qu’avaient rangé le Sauveur, ceux qui ne le connaissaient point, et dans leur ignorance, ils l’ont mis au rang de ceux qu’il est venu détourner de ces ténèbres.
7. « Votre indignation s’est appesantie sur moi[406] », ou « votre colère », comme on lit dans certains exemplaires, ou « votre fureur », comme on lit en d’autres. Car l’expression grecque Tumos, a été traduite différemment. Quand on lit orgué dans le grec, nul traducteur n’hésite à traduire ira, colère, mais quand on rencontre Tumos, la plupart ne veulent point traduire par colère, bien que les grands auteurs de l’éloquence latine, dissertant sur les philosophes grecs, aient traduit en latin ce mot par ira, ou colère. Ne nous y arrêtons pas plus longtemps, et si nous devons employer une autre expression, je préfère le mot indignation à fureur, car dans la langue latine, fureur ne se dit ordinairement pas des hommes rassis. Comment donc entendre : « Votre colère s’est appesantie sur moi », sinon dans le sens de ceux qui ne connaissaient point le Seigneur de la gloire[407] ? Ils croyaient que la colère de Dieu, non seulement était soulevée, mais encore appesantie sur lui, puisqu’ils avaient pu le livrer à la mort, non point à une mort telle quelle, mais à ce genre de mort qu’ils avaient le plus en horreur, à la mort de la croix. De là cette parole de l’Apôtre : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant malédiction pour nous : car il est écrit : « Maudit soit Celui qui est suspendu au gibet[408] ». Aussi quand il veut nous faire apprécier son obéissance jusqu’à la mort : « Il s’est humilié », nous dit-il, « en se faisant obéissant jusqu’à la mort[409] ». Et comme cela lui paraissait peu, il ajoute : « Et jusqu’à la mort de la croix ». Aussi le Prophète, après ce qui précède, a-t-il ajouté : « Et toutes vos suspensions » ; ou selon d’autres traducteurs, « tous vos flots » ; ou selon d’autre encore, « tous vos élans, vous les avez fait fondre sur moi ». Il est écrit dans un autre psaume : « Toutes vos suspensions et tous vos flots sont venus sur moi[410] », ou comme d’autres on traduit avec plus de raison, « ont passé sur moi ». Il y a dans le grec, dielthon, et non eiselthon. Et quand on trouve les deux expressions, « suspensions » et « flots », on ne saurait mettre l’une pour l’autre. Or, nous avons assigné aux suspensions le sens de menaces, et aux flots le sens d’afflictions. Les unes et les autres viennent selon le jugement de Dieu. Mais là il est dit qu’ « elles sont passées », ici « vous les avez appelées sur moi ». Là donc, bien que plusieurs menaces soient accomplies, tous les maux qu’il a voulu comprendre dans cette expression, « ont passé sur moi », dit le Prophète. Ici : « Vous les avez amenées sur moi. » Passer, se dit en effet de ce qui n’atteint pas, comme les suspensions, et de ce qui atteint comme les flots. Mais quand il s’agit « des suspensions », il ne dit point : Elles ont passé sur moi ; mais : « Vous les avez amenées sur moi », pour montrer que toutes les menaces se sont accomplies ; or, tout cela était suspension sur lui, tant que la prophétie renfermait, comme une menace pour l’avenir, tout ce qui s’est accompli dans la suite au temps de sa passion.
8. « Vous avez éloigné de moi tous cens qui me connaissaient[411] ». Si par le mot notos meos, du latin, nous entendons tous ceux que le Christ connaissait, nous diront tout le monde ; qui en effet ne connaissait-il pas ? Mais le Prophète entend ici tous ceux qui le connaissaient ; autant du moins qu’ils pouvaient le connaître, en ce sens du moins qu’ils croyaient à son innocence, bien qu’ils ne vissent en lui qu’un homme, et non un Dieu. Toutefois il pouvait entendre par ce mot de flou, ou connus, ceux qui lui sont agréables, comme il appelle inconnus les méchants qu’il doit réprouver au dernier jour, en leur disant : « Je ne vous connais point[412] ». Quand le Prophète ajoute : « Ils m’ont eu en abomination », on peut encore entendre ceux mêmes qu’il appelle ses connus ou intimes, et qui avaient en horreur son genre de supplice : toutefois il est mieux d’appliquer ces paroles aux persécuteurs du Christ, dont le Prophète a parlé auparavant. « J’ai été livré », dit-il, « et je ne pouvais sortir ». Est-ce parce que ses disciples étaient au-dehors[413], quand on le jugeait dans l’intérieur du palais, ou plutôt faut-il donner à cette expression « je ne sortais point » un sens plus relevé, c’est-à-dire, je me renfermais dans mon intérieur, je ne montrais point qui j’étais, je ne me faisais point connaître, je ne me manifestais point ? Le Prophète ajoute : « Mes yeux ont langui dans l’indigence[414] ». De quels yeux faut-il entendre ces paroles ? S’il est question des yeux de cette chair dans laquelle il souffrait, nous ne lisons point dans la passion, que l’indigence les ait fait languir, comme il est ordinaire à la faim d’amener la défaillance. Car il fut livré après la Cène, et crucifié le même jour. S’il est question des yeux intérieurs, comment se seraient-ils affaiblis par l’indigence, puisqu’ils avaient l’inextinguible lumière ? Mais par ses yeux, il entend ceux des membres de ce corps dont il était la tête, et qu’il aimait d’un amour plus particulier commue les membres les plus éclairés et les plus apparents. C’est de ce corps que l’Apôtre a dit, en le comparant avec le nôtre : « Si le corps est tout œil, où sera l’ouïe ? s’il est tout ouïe, où sera l’odorat ? Or, si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, ou serait le corps ? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne font qu’un même corps. L’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi. Et si la main disait : Puisque je ne suis pas l’œil, je mie suis pas du corps, en ferait-elle moins partie du corps ? » Et pour marquer plus clairement encore ce qu’il veut faire comprendre, l’Apôtre ajoute : « Vous êtes le corps de Jésus-Christ et ses membres[415] ». Ses yeux donc étaient les saints Apôtres, à qui le sang et la chair ne l’avaient pas révélé, mais son Père céleste, qui avait fait dire à Pierre : « Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant[416] ». Or, ces Apôtres le voyant livré et en proie à de telles douleurs, mais ne le voyant point tel qu’ils désiraient, c’est-à-dire qu’il ne sortait point dehors, ou plutôt ne manifestait point sa souveraine puissance, mais qu’il demeurait caché en lui-même, souffrant tout comme s’il eût été vaincu, ces Apôtres « étaient affaiblis par l’indigence », car ils n’avaient plus la lumière qui était comme leur nourriture.
9. « Et j’ai crié vers vous, Seigneur ». C’est ce que le Sauveur fit ostensiblement à la croix. Mais il est bon de chercher comment nous devons entendre les paroles suivantes : « Durant tout le jour, j’ai élevé mes mains vers vous ». Si par l’élévation de la main tu entends la potence de la croix, comment expliquer « tout le jour ? » Fut-il donc suspendu à la croix pendant tout le jour, puisque la nuit appartient aussi au jour ? Si le Prophète a voulu comprendre ici ce jour qui est séparé de la nuit, et qui est le jour proprement dit, déjà une première et grande partie du jour s’était écoulée quand le Christ fut mis en croix. Si cette expression, tout le jour, signifie tout le temps (car cette expression est au féminin, et dans la langue latine elle n’a d’autre signification que celle d’un temps, bien qu’il n’en soit pas ainsi en grec, puisque dans cette langue, jour est du féminin, et de là vient, selon moi, que les traducteurs l’ont ainsi rendu), alors la question devient plus difficile. Comment dire tout le temps de sa vie, puisque le Christ n’a pas même étendu ses mains en croix pendant tout un jour ? Mais si l’on veut alors prendre la partie pour le tout, parce qu’il est d’usage dans l’Écriture de parler ainsi, je ne trouve aucun exemple qui autorise à prendre le tout pour la partie, quand cette expression « tout le jour », est formellement employée. En effet, quand le Sauveur dit dans l’Évangile : « Ainsi le Fils de l’homme « sera dans le sein de la terre, trois jours et « trois nuits[417] », il n’est pas contre l’usage d’entendre ici le tout pour la partie, puisqu’il ne dit point : trois jours entiers, trois nuits entières. Il n’y eut en effet que le jour du milieu qui fut tout entier ; des deux autres il y eut seulement la dernière et la première partie. Mais si dans cette expression il a voulu désigner sa prière, et non sa croix, prière qu’il adressait à Dieu Son Père, sous la forme de l’esclave, l’Évangile nous apprend qu’il pria longtemps avant sa passion, pendant sa passion et même à la croix ; mais nulle part nous ne lisons qu’il l’ait fait tout le jour. Il est mieux dès lors d’entendre par cette élévation des mains, cette continuité des bonnes œuvres que Jésus-Christ n’a point cessé de faire.
10. Mais parce que ses bonnes œuvres n’avaient d’utilité que pour les hommes prédestinés au salut, et non pour tous les hommes, pas même pour tous ceux au milieu desquels il les opérait, le Prophète ajoute : « Ferez-vous des miracles parmi ceux qui sont morts[418] ? » Si nous entendons ces paroles de tous ceux dont la chair était sans vie, de grands prodiges furent opérés sur les morts, puisque plusieurs revinrent à la vie[419] : et quand le Seigneur pénétra dans les enfers, et en sortit vainqueur de la mort, c’était en faveur des morts un grand miracle. Cette expression donc : « Ferez-vous des miracles parmi les morts », désigne ces hommes dont le cœur est tellement mort, que les miracles surprenants du Christ ne pouvaient les rappeler à la vie de la foi. Le Prophète ne dit point que Dieu ne fera point de merveilles parmi eux, en ce sens qu’ils ne les verront pas, mais en ce sens qu’ils n’en profiteront point. De même en effet qu’il dit : « Tout le jour j’ai élevé mes mains vers vous » ; parce qu’il n’avait dans ses actions d’autre but que la volonté de son Père, et qu’il assurait souvent qu’il était venu pour accomplir cette volonté suprême[420] : ainsi parce que ces œuvres étaient accomplies sous les yeux d’un peuple infidèle, un autre Prophète a dit : « J’ai étendu les mains pendant tout le jour vers un peuple incrédule, et qui me contredit[421] ». Tels sont les morts pour qui Dieu n’a point opéré ses merveilles ; non qu’ils ne les aient point vues, mais parce qu’ils ne sont point ressuscités. Voici la suite : « Les médecins rappelleront-ils à la vie, afin que l’on bénisse votre nom ? » C’est-à-dire, les médecins rendront-ils la vie aux hommes qui vous béniront ensuite ? On prétend qu’il en est autrement dans l’hébreu, et qu’au lieu de médecins il y a les géants. Mais les Septante, dont l’autorité est si grande, que ce n’est pas sans raison que l’on croit leur version dictée par l’Esprit d’en haut, à cause de leur accord admirable, ne se sont point trompés ici. Ils ont saisi l’occasion de la ressemblance qui existe entre les mots hébreux, dont l’un signifie médecins, et l’autre géants, qui ont presque la même consonance, et n’ont qu’une différence très légère, pour nous montrer comment nous devons entendre les géants. Si cette expression désigne, en effet, ces orgueilleux dont l’Apôtre a dit : u Où est « le sage ? Où est le scribe ? Où est le savant « de ce monde[422] ? » on a pu avec raison les appeler médecins, comme promettant de guérir les âmes par l’art de leur propre sagesse. C’est contre cette prétention que le Prophète a dit : « Le salut vient du Seigneur[423] ». Si nous prenons le mot de géant dans un sens favorable, comme il est appliqué au Seigneur lui-même : « Il a bondi semblable à un géant pour parcourir sa carrière[424] » : en sorte qu’il soit lui-même le géant des géants, le tort d’entre les forts et les grands qui s’élèvent dans son Église par une force toute spirituelle ; de même qu’il est la montagne des montagnes, puisqu’il est écrit de lui : « Voilà que dans les derniers jours la montagne du Seigneur apparaîtra, et s’élèvera sur le sommet des montagnes[425] » ; comme il est encore appelé le Saint des saints : alors il n’y a rien d’étonnant que ces grands et ces forts soient aussi appelés des médecins. De là ce mot de l’Apôtre saint Paul : « Je tâche de stimuler ma chair ou les Juifs, afin de sauver quelques-uns d’entre eux[426] ». Quoique ces médecins ne guérissent point les âmes par eux-mêmes, non plus que les médecins du corps ne le font d’eux seuls ; cependant, par leur fidélité dans leur ministère, ils peuvent aider au salut, soulager les vivants, muais non ressusciter les morts, dont le psaume a dit : « Ferez-vous des merveilles parmi les morts ? » La grâce de Dieu qui fait revivre les âmes des hommes, est trop intérieure, pour qu’elles puissent recevoir de quelques-uns de ses ministres des ordres de salut. Telle est la grâce qui nous est signalée dans l’Évangile, en ces termes : « Nul ne peut venir à moi, si mon Père, qui m’a envoyé, ne l’attire » ; et un peu après, il reprend avec plus de clarté : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ; mais il en est d’entre vous qui ne croient point ». C’est après quoi l’Évangéliste ajoute : « Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point en lui, et celui qui le trahirait ». Et voilà que cet Évangéliste poursuit en citant les paroles du Sauveur : « Et il leur disait : C’est pourquoi je vous l’ai dit, nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné de mon Père[427] ». Il avait dit plus haut : « Il en est d’entre vous qui ne croient point ». Et comme pour en marquer la cause, il ajoute : « C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s’il ne lui a été donné de mon Père », afin de montrer que c’est de Dieu que nous vient cette loi par laquelle on croit, et on fait reprendre au cœur mort une vie nouvelle. Ainsi, quoi que fassent auprès des hommes ces prédicateurs éminents de la parole, ces grands esprits qui vont jusqu’à opérer des miracles pour persuader la vérité, bien qu’on puisse les considérer comme d’habiles médecins ; si les hommes sont morts, et que votre grâce ne les ressuscite pas, « ferez-vous des miracles en faveur des morts, et les médecins ressusciteront-ils », et ceux qu’ils ressusciteront, vous confesseront-ils ? » Car cette confession est un signe de vie, ainsi qu’il est écrit ailleurs : « La confession d’un mort est comme celle d’un homme qui n’existe plus[428] ».
11. « Quelqu’un dira-t-il votre miséricorde dans le tombeau, et dans la perdition votre vérité[429] ? » On sous-entend le verbe qui précède, comme s’il y avait dans ce verset : Quelqu’un dira-t-il votre vérité dans la perdition ? Car l’Écriture, surtout dans les psaumes, aime à joindre la vérité à la miséricorde. Mais « dans la perdition » est la répétition de ce qui a été dit plus haut : « Dans le sépulcre ». Or, dire : « Dans le sépulcre », était dire tous ceux qui sont dans le sépulcre, saque désignait plus haut le nom de morts, ainsi qu’il est écrit : « Ferez-vous des miracles parmi les morts ? » Pour une âme qui est morte, le corps est en effet un tombeau. Aussi le Seigneur a-t-il dit à ces hommes dans l’Évangile : « Vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui à l’extérieur paraissent beaux, et qui au dedans sont remplis d’ossements de morts et de corruption : de même au-dehors vous paraissez justes aux hommes ; mais au dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquité[430] ».
12. « Les ténèbres connaîtront-elles vos merveilles, et votre justice paraîtra-t-elle dans la terre de l’oubli[431] ? » Ce qui est « dans les ténèbres », est aussi « dans la terre de l’oubli ». Or, ces ténèbres signifient les infidèles, selon cette parole de l’Apôtre : « Autrefois en effet vous étiez ténèbres[432] ». Ainsi la terre de l’oubli n’est que l’homme oublié de Dieu. Car l’âme infidèle peut arriver à des ténèbres si profondes, que l’insensé dise dans son cœur : « Il n’y a pas de Dieu[433] ». Voici donc la suite de tout ce qui est dit dans ces versets : « J’ai crié vers vous » au milieu des douleurs ; « j’ai élevé mes mains, pendant tout le jour », c’est-à-dire je n’ai cessé d’étendre mes œuvres, afin de vous glorifier, ô mon Dieu. Pourquoi cette fureur des impies contre moi, sinon parce que vous ne ferez point de merveilles parmi les morts ? c’est-à-dire, parce qu’ils ne sont point touchés par la foi, que les médecins ne les ressusciteront point, et n’amèneront point à vous louer ceux en qui votre grâce n’agira point invisiblement, pour les entraîner à la foi ; car nul ne vient à moi, à moins que vous ne l’attiriez. « Qui en effet racontera votre miséricorde dans le sépulcre ? » c’est-à-dire, en parlera à cette âme sans vie, qui gît sous le poids du corps ? « Qui dira votre vérité dans la perdition ? » c’est-à-dire dans cette mort incapable de rien voir et de rien sentir ? Est-ce en effet dans les ténèbres de cette mort, ou dans cet homme, qui a perdu en vous oubliant la lumière de la vie, « que l’on pourra connaître vos merveilles et votre justice ? »
13. Toutefois on pouvait demander à quoi servent ces morts, et quel usage Dieu en tire pour le corps du Christ, qui est l’Église. C’est pour montrer par là l’effet de la grâce de Dieu dans les prédestinés, qui sont appelés par le décret de la prédestination. Aussi tout le corps des élus dit-il dans un autre psaume : « Il est mon Dieu : sa miséricorde me préviendra : mon Dieu me le fera voir, dans le sort de mes ennemis[434] ». Aussi le Prophète continue, en disant : « Et moi j’ai crié vers vous, ô mon Dieu[435] ». Et ici nous devons entendre le Christ, qui parle au nom de son Église, ou de son corps mystique. Qu’est-ce à dire en effet « et moi », sinon que nous avons été, nous aussi, par nature, des enfants de colère, ainsi que les autres[436] ? Mais « j’ai crié vers vous », afin de recevoir le salut. Qui en effet met une différence entre moi et les enfants de colère, quand j’entends ce reproche terrible de l’Apôtre à tous les ingrats : « Qui est-ce qui met de la différence entre vous ? Qu’avez-vous que vous n’ayez pas reçu ? Et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous n’aviez point reçu[437] ? » Le salut vient du Seigneur[438]. Le géant ne se sauvera point par sa grande force[439] ; et comme il est écrit « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé[440]. Mais comment l’invoquer, s’ils ne croient point en lui ? Comment croire en lui, s’ils n’en ont entendu parler ? Comment en entendre parler, si nul ne leur prêche ? Et comment prêcher, si l’on n’est envoyé[441] ? Ainsi qu’il est écrit : Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent la paix, qui prêchent les biens[442] ! » Tels sont les médecins qui guérissent le malheureux, blessé par les voleurs ; mais c’est le Seigneur qui l’a conduit dans l’hôtellerie[443] : car ils ne travaillent que dans le champ du Seigneur. Mais ni celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, c’est Dieu qui dorme l’accroissement[444]. C’est pour cela que j’ai crié vers le Seigneur, ou que j’ai demandé au Seigneur le salut. Et comment l’invoquer, si je n’eusse cru en lui ? Comment croire en lui, si je n’eusse entendu sa parole ? Mais afin que je crusse à ses paroles, il m’a lui-même attiré, car ce n’est point un médecin quelconque, mais lui-même, qui m’a délivré secrètement de la mort de mon âme. Beaucoup ont entendu en effet, puisque le bruit de leurs paroles a retenti dans tout l’univers, et que leurs prédications ont gagné les derniers rivages[445]. Mais tous n’ont pas la foi[446] et le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent[447]. De là vient que je n’eusse point cru moi-même, si Dieu ne m’eût prévenu dans sa miséricorde[448], et s’il ne m’eût appelé intérieurement, s’il ne m’eût ressuscité, s’il ne m’eût attiré à lui, en me tirant de mes ténèbres pour m’amener à la lumière de la foi, comme il ressuscite les morts, comme il appelle ce qui n’est pas aussi bien que ce qui est. C’est pourquoi il dit ensuite : « Et au matin ma prière vous préviendra ». Au matin, quand la nuit sera dissipée, ainsi que les ténèbres de l’infidélité. Mais pour que j’arrive à ce matin, c’est votre miséricorde qui m’a prévenu : or, il me reste une dernière lumière, qui doit illuminer les ténèbres les plus profondes, manifester les pensées des cœurs, afin que chacun reçoive de vous la louange, ô mou Dieu[449] : maintenant dans cette vie, dans ce pèlerinage, dans cette lumière de la foi, qui est un jour en comparaison des ténèbres de l’infidélité, mais qui n’est que la nuit en comparaison de ce jour où nous vous verrons face à face ; maintenant « ma prière vous préviendra ».
14. Mais afin que cette prière soit fervente et de plus en plus vive, ce qui nous est utile, selon moi, au-delà de tout ce que l’on peut dire : Dieu diffère le bien qu’il doit nous donner pour l’éternité, et laisse nos vœux se multiplier. Aussi le psaume dit-il aussitôt : « Pourquoi, Seigneur, repousser ma prière[450] ? » C’est ce qui est déjà dit ailleurs : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[451] ? » Il demande seulement à connaître cette raison, sans accuser la divine sagesse d’agir sans motif : de même ici : « Pourquoi, ô Dieu, avez-vous repoussé ma prière ? » Et cependant, avec un peu d’attention, nous trouvons que cette cause est indiquée dans ce qui précède. Car Dieu ne diffère d’exaucer les prières des saints, en éloignant d’eux le bien qu’ils désirent, et en les éprouvant par la tribulation, que pour attiser cette prière, comme on attise le feu sous le souffle qui résiste.
15. L’interlocuteur parcourt brièvement les douleurs qu’endure ici-bas le corps du Christ. Car ce n’est point le chef seul qui souffert, puisqu’il a dit à Saul : « Pourquoi me persécutez-vous[452] ? » et que Paul, déjà choisi et placé parmi les membres du même corps, s’écrie : « Qu’il achève en son corps ce qui manque à la passion du Christ[453]. Pourquoi donc, ô mon Dieu, avez-vous rejeté ma prière, et détourné de moi votre visage ? Je suis pauvre et dans le travail depuis ma jeunesse. Je n’ai été élevé que pour tomber dans l’humiliation et dans le trouble. Sur moi ont passé vos colères, et vos terreurs m’ont accablé. Elles m’ont environné tout le jour comme l’eau, elles m’ont environné toutes ensemble. La misère dont vous m’avez frappé, a éloigné de moi mes amis et mes proches[454] ». Tout cela est arrivé, tout cela arrive encore aux membres du corps mystique de Jésus-Christ. Dieu a détourné d’eux sa face, en ne les exauçant point dans ce qu’ils désiraient, quand ils ne savaient point ce qui leur était utile. Toute l’Église est pauvre ; elle a faim, et dans son exil elle soupire après ce qui peut la rassasier dans la patrie, Elle est dans les travaux depuis sa jeunesse, car c’est le corps du Christ qui s’écrie dans un autre psaume : « Ils m’ont souvent attaqué dès ma jeunesse[455] ». Et si quelques-uns de ses membres sont élevés dès cette vie, c’est afin qu’ils en deviennent plus humbles. La colère de Dieu a passé aussi dans tout le corps du Christ, c’est-à-dire dans l’unité des saints et des fidèles, qui ont le Christ pour chef, mais elle n’y demeure point. Car ce n’est point du fidèle, mais de l’infidèle, qu’il est dit : « La colère de Dieu demeure sur lui[456] ». Les terreurs de Dieu épouvantent les chrétiens faibles ; car il est sage de craindre ce qui peut arriver, quand même il n’arriverait pas effectivement, Ces terreurs néanmoins troublent quelquefois l’esprit qui voit les maux dont il est menacé, au point que ses maux paraissent l’environner de toutes parts et le cerner comme une inondation. Et commue ces afflictions ne manquent jamais à l’Église exilée en en ce monde, puisqu’ils assiègent tantôt l’un et tantôt l’autre de ses membres ; le Prophète a dit : « Tout le jour », pour désigner une douleur continuelle, et qui durera jusqu’à la fin des siècles, Souvent encore tes amis et les proches, frappés de terreur à la vue de tant de tribulations dont ils sont menacés, abandonnent les saints ; c’est d’eux que saint Paul a dit : « Tous m’ont abandonné, que Dieu ne le leur impute point[457] ». Mais à quoi bon tout cela, sinon pour que la prière de ce saint corps s’élève devant Dieu dès le matin, c’est-à-dire après la nuit de l’infidélité, jusqu’à ce que vienne enfin ce salut dont l’espérance fait que nous sommes déjà sauvés, et que nous en attendions la réalité avec patience[458] ? C’est là que Dieu ne repoussera point notre prière, parce que nous n’aurons rien à demander, mais que nous obtiendrons tout ce qui a été demandé ; là qu’il ne détournera point de nous sa face, puisque nous le verrons tel qu’il est[459] ; là qu’il n’y aura aucune pauvreté, puisque Dieu sera notre abondance, et tout à tous[460] : là qu’il n’y aura plus aucune fatigue, parce qu’il n’y aura point d’infirmité ; là qu’il n’y aura ni trouble, ni abaissement, parce qu’il n’y aura aucune adversité ; là que nous ne subirons plus le passage des colères de Dieu, parce que nous demeurerons affermis dans sa bonté ; là que nulle terreur ne viendra nous troubler, parce que l’accomplissement des promesses nous établira dans la félicité ; là que nul ami, nul de nos proches ne nous délaissera dans sa frayeur, parce que nous n’aurons à craindre aucun ennemi.

DISCOURS SUR LE PSAUME 88[461].[modifier]

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.[modifier]

LES PROMESSES DE DIEU.[modifier]

Toute force nous vient de la miséricorde de Dieu, qui détruit nos erreurs pour nous réédifier dans la vérité, Miséricorde et vérité sont inséparables ; Dieu nous remet nos péchés par la première pour nous établir dans la seconde, comme il confirme cette seconde parmi les Juifs et fait éclater la première chez les Gentils. La vérité est dans les cieux ou dans les Apôtres, issus d’Israël, et dont la voix se fait entendre partout. Le Seigneur a promis à David comme à Abraham sans postérité éternelle qui est le Christ, et ceux qui croient en lui, le corps et la tête ne peuvent être séparés. Le Christ a dont son trône en nous qu’il conduit, et il régnera éternellement dans les saints ; ses merveilles éclateront dans la conversion des pécheurs, dans le conseil des saints qui prêcheront l’incarnation du Fils de Dieu. Ce Fils est grand parmi ceux qui l’environnent ou parmi les nations auxquelles il a envoyé ses nuées ou Apôtres, et qui l’ont vu ainsi venant sur les nuées. Mais quand le Seigneur se chercha ainsi une Épouse, le monde lui barra le passage, comme le lion à Samson il égorgea ses martyrs dont le sang a fait naître l’Église. Cette mer du monde a vu humilier les superbes et le dragon, à qui ont échappé par l’humilité ceux qu’il dominait. Au Seigneur donc, et les cieux qui prêchent, et la terre qui reçoit la vérité, et l’Aquilon où Satan a été humilié, et la mer qu’il apaise ; de lui vient la Thabor et la lumière, et l’Hermon ou l’anathème à Satan. Il régnera par le jugement, comme il règne aujourd’hui par la miséricorde. Notre joie donc pour être vraie doit venir de Dise, et non de nos mérites. Lui seul nous soutient, il parle à ses Prophètes, il a choisi son élu ou le Christ, contre qui ne prévaudront point ses ennemis, qui seront taillés en pièces, afin que la miséricorde et la vérité règnent sur la terre, et que lui-même soit élevé au-dessus des rois. Les martyrs ont cru à cette élévation sans la voir ; croyons au reste les promesses.


1. Le psaume que nous voulons vous expliquer avec le secours de Dieu, vous apprendra, mes frères, ce que nous devons espérer de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; élevez donc vos cœurs, puisque Dieu qui vous a fait ces promesses, les accomplira, comme il en a accompli tant d’autres. Ce qui doit affermir en effet notre confiance en lui, c’est sa miséricorde et non notre mérite. Telle est, si je ne me trompe, « l’intelligence d’Ethan l’israélite[462] », qui fait le titre du psaume. Peu importe l’homme qui ait jadis porté le nom d’Ethan : ce nom n’en signifie pas moins un homme robuste. Or, nul homme en cette vie n’est fort que sur l’espérance que donne la promesse de Dieu. Au point de vue de nos mérites nous sommes très faibles, mais nous sommes forts au point de vue de la miséricorde divine. Aussi cet homme, faible par lui-même, fort de la miséricorde de Dieu, commence ainsi :
2. « Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur : de génération en génération, ma bouche publiera votre vérité[463] ». Que mes membres, dit l’interlocuteur, soient soumis au Seigneur mon Dieu ; je parle, mais je dis ce que vous m’inspirez : « Ma bouche annoncera votre vérité ». Si je n’obéis point, je ne suis point serviteur ; si je parle de moi-même, je suis menteur, Pour parler, et parler de vous, il me faut dent choses, l’une de vous, l’autre de moi : votre vérité et ma bouche. Écoutons donc la vérité que va prêcher le Prophète, et les miséricordes qu’il va chanter.
3. « Car vous l’avez dit : La miséricorde sera éternellement édifiée[464] ». Voilà ce que je publie, voilà votre vérité ; c’est à la publier que ma bouche est consacrée : « Car vous l’avez dit : la miséricorde sera édifiée à jamais ». Je construis en effet, dites-vous, mais sans rien détruire ; de même que vous en détruisez quelques-uns pour ne point les rebâtir, vous en détruisez d’autres pour les rétablir de nouveau. Si Dieu ne devait pas réédifier quelques-uns qu’il détruit, il ne dirait point par Jérémie : « Voilà que je t’ai établi pour détruire et pour édifier[465] ». Évidemment ceux qui se prosternaient devant les idoles, qui adoraient la pierre, n’eussent jamais été édifiés dans le Christ, s’ils n’eussent essuyé la ruine de leurs antiques erreurs. De même s’il n’y en avait que Dieu détruisît pour ne point les reconstruire, il ne serait point dit : « Vous les détruirez et ne les rebâtirez point[466] ». C’est donc pour ceux que Dieu détruit afin de les édifier ensuite, c’est pour les empêcher de croire que l’édifice dans lequel ils sont entrés n’est que pour un temps, comme l’a été la ruine par laquelle ils ont passé, que le Prophète s’est tenu ferme dans la vérité de Dieu à laquelle il prête sa bouche, par l’amour de cette même vérité. Je prêcherai, dit-il, je parlerai, « parce que vous avez parlé ». L’homme parle avec assurance, quand il parle après Dieu. Si mes paroles étaient flottantes, la vôtre les affermirait, « car vous avez parlé ». Qu’avez-vous dit ? « Que la miséricorde sera établie éternellement, que la vérité sera préparée dans les cieux ». Il avait dit plus haut : « Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur ; j’annoncerai par ma bouche votre vérité de génération en génération », joignant ainsi la miséricorde à la vérité ; il les joint ici une seconde fois : « Car vous l’avez dit : votre miséricorde sera édifiée pour l’éternité, votre vérité sera affermie dans le ciel ». Ici encore il répète la miséricorde et la vérité : Toutes les voies du Seigneur ne sont que miséricorde et vérité[467]. Dieu ne montrerait point sa vérité en accomplissant ses promesses, si d’abord il ne nous avait remis nos péchés dans sa miséricorde. Mais comme d’une part il avait fait par ses Prophètes beaucoup de promesses au peuple d’Israël, issu d’Abraham selon la chair, et que ce peuple s’est multiplié afin que s’accomplissent en lui les promesses de Dieu ; comme d’autre part, Dieu ne fermait point les sources de sa bonté aux nations étrangères qu’il avait placées sous la garde des anges, quand il choisissait Israël pour son héritage, voilà que l’Apôtre distingue la divine miséricorde pour les uns, et la divine vérité pour les autres. Car il nous dit que « le Christ a été ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères[468] ». Voilà bien le Dieu qui n’a point trompé, voilà qu’il n’a point rejeté le peuple qu’il avait élu dans sa prescience. Quand il s’agit en effet de la chute des Juifs, de peur que l’on ne crût que Dieu les avait réprouvés, de telle sorte qu’après cette ventilation, il ne mît aucun bon grain dans sou grenier, l’Apôtre s’écrie : « Dieu n’a point réprouvé le peuple qu’il a élu dans sa prescience, car moi-même je suis israélite[469] ». S’il n’y a que des épines dans tout ce peuple, comment serai-je un bon grain, moi qui vous parle ? Donc la vérité de Dieu s’est accomplie dans ceux d’Israël qui ont embrassé la foi, et voilà qu’une muraille est venue du côté de la circoncision pour s’appuyer sur la pierre angulaire[470]. Mais cette pierre ne formerait point un angle, si une autre muraille ne venait de la gentilité. La première muraille appartient donc proprement à la vérité, et la seconde à la miséricorde. « Je dis en effet », poursuit l’Apôtre, « que le Christ a été le ministre de la circoncision pour vérifier la parole de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères ; et que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde[471] ». Il est donc vrai que « votre vérité est établie dans les cieux ». Car tous ces Israélites appelés à l’apostolat sont devenus des cieux qui racontent la gloire de Dieu. C’est d’eux que le Prophète a dit : « Les cieux annoncent la gloire de Dieu, et le firmament l’œuvre de ses mains[472] ». Et pour vous montrer clairement que l’Apôtre parle de ces cieux, le Prophète continue : « Il n’y a ni langage ni contrée qui n’ait entendu leurs voix[473] ». Cherchez quelles voix, vous ne trouverez plus haut que les cieux. Si donc c’est la voix des Apôtres que l’on a entendue en toutes les langues, c’est d’eux encore qu’il est dit que « leur bruit s’est répandu dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde[474] » ; et en effet, bien que Dieu les ait retirés de cette vie avant que l’Église fût répandue dans tout l’univers, leurs voix sont néanmoins parvenues jusqu’aux confins de la terre : il est juste de voir accomplir en eux cette prédiction : « Votre vérité sera établie dans les cieux ».
4. « J’ai fait une alliance avec mes élus[475] ». Tout ceci est votre parole, Seigneur, et vous le comprenez, mes frères, vous avez dit à Dieu : « J’ai préparé une alliance avec mes élus ». Quelle alliance, sinon la nouvelle ? Quelle alliance, sinon celle qui nous renouvelle pour un nouvel héritage ? Quelle alliance, sinon cette alliance dont l’amour et l’ardent désir nous fait chanter à Dieu un cantique nouveau ? « J’ai préparé », dit le Seigneur, « une alliance pour mes élus, j’ai fait un serment à David mon serviteur ». Avec quelle assurance parle cet homme qui a reçu l’intelligence, qui prête sa bouche à la vérité ? Parce que vous avez parlé, je parle avec assurance ; si votre parole m’est une garantie, que sera-ce de votre serment ? Car jurer, de la part de Dieu, c’est confirmer sa promesse. C’est avec raison qu’il est d fendu à l’homme de jurer[476], de peur que l’habitude ne le jette dans le parjure, parce qu’il est homme et sujet à l’erreur. Mais Dieu jure en toute sûreté, puisqu’il ne peut se tromper.
5. Voyons donc ce que Dieu a juré. « J’ai juré ceci », dit-il, « à David mon serviteur : Je te préparerai une race pour l’éternité[477] ». Qu’est-ce que la race de David, sinon la race d’Abraham[478] ? Quelle est la race d’Abraham ? « Et à votre postérité, qui est le Christ », dit saint Paul. Mais peut-être que ce Christ, qui est la tête de l’Église[479], le sauveur de son corps, est fils d’Abraham, et par conséquent de David ; tandis que nous, cette race nous est étrangère ? Nous en sommes cependant, comme l’a dit l’Apôtre : « Si vous êtes du Christ, vous êtes les fils d’Abraham, et les héritiers selon la promesse[480] ». C’est en ce sens qu’il nous faut entendre cette parole : « Je te préparerai une race selon l’éternité » ; ce qui s’étend, non seulement à cette chair du Christ, qui est née de la vierge Marie, mais aussi à nous tous qui croyons au Christ. Car nous sommes les membres de ce chef auguste. Ce corps ne peut être décapité : si le chef demeure éternellement, les membres doivent demeurer éternellement, en sorte que le Christ subsiste tout entier dans l’éternité. « Je vous préparerai une race pour tous les siècles, et je t’établirai un trône qui durera de génération en génération ». Pensez-vous que dire « éternellement », soit dire « de génération en génération », comme il avait dit plus haut : « De génération en génération, « ma bouche publiera votre vérité ? » Qu’est-ce à dire « de génération en génération ? » Dans toute génération. Car cette parole ne doit pas être répétée chaque fois qu’une génération apparaît pour disparaître bientôt. Cette répétition nous signale donc l’ensemble des générations. Ou bien faut-il voir ici deux générations, comme vous le savez, et comme on vous l’a déjà fait entendre ? Car il y a aujourd’hui une génération du sang et de la chair, et il y aura aussi une génération par la résurrection des morts. De même que Jésus-Christ est prêché à l’une, il sera prêché à l’autre ; mais ici-bas la prédication mène à la foi en lui, là elle nous le fera voir. « J’établirai votre trône de génération en génération ». Maintenant le Christ a son trône en nous-mêmes ; c’est en nous que son trône est affermi. S’il ne siégeait en nous, il ne nous conduirait pas ; et s’il ne nous conduisait pas, nous nous précipiterions nous-mêmes. Il a donc en nous son trône, en nous il règne ; il a son trône aussi dans cette génération qui doit renaître à la résurrection des morts. Car le Christ régnera éternellement dans ses saints. Telle est la promesse de Dieu, la parole de Dieu ; et si c’est encore trop peu, le serment de Dieu. Dès lorsque cette promesse est affermie ; non point sur nos mérites, mais bien sur sa miséricorde, nul ne peut hésiter à prêcher ce dont il ne peut douter. Qu’elle se produise donc dans nos cœurs, cette force qui a fait ainsi nommer Ethan, robuste de cœur ; prêchons la vérité de Dieu, la parole de Dieu, la promesse de Dieu, le serment de Dieu ; ainsi appuyés de toutes parts, prêchons et devenons des cieux en portant Dieu.
6. « Les cieux, ô mon Dieu, publieront vos merveilles[481] ». Ce ne sont point leurs propres mérites que les cieux doivent publier, mais « les cieux, Seigneur, publieront vos merveilles ». Dans la miséricorde envers les pécheurs, dans la justification de l’impie, que chantons-nous, sinon les merveilles de Dieu ? Tu chantes le Seigneur qui ressuscite les morts, tu le chantes bien davantage quand il rachète les pécheurs. Quelle est cette grâce, sinon la miséricorde oie Dieu ? Cet homme que tu voyais hier plongé dans les excès de l’ivrognerie, aujourd’hui modèle de sobriété hier tu voyais cet autre dans les orgies de la luxure, il est aujourd’hui un modèle de tempérance ; celui-ci blasphémait hier contre Dieu, aujourd’hui il chante ses louanges ; celui-là s’agenouillait hier devant les créatures, il adore aujourd’hui le Créateur. C’est ainsi que tous ces hommes sortent de leur état désespéré ; qu’ils ne regardent point leurs mérites, mais qu’ils deviennent des cieux ; et que les cieux publient les merveilles de celui qui les a faits des cieux. « Car je verrai les cieux », dit le Prophète d’ouvrage de vos mains[482] ». Et afin que vous sachiez quels sont les cieux qui publieront ces merveilles, voyez où ils doivent les publier, Écoutez la suite : « Et votre vérité dans l’assemblée de vos saints ». Il n’y a plus aucun doute, ces cieux sont bien les prédicateurs de la parole de vérité. Et où donc les cieux publieront-ils vos merveilles et votre vérité ? « Et votre vérité dans l’assemblée des saints ». Que l’Église reçoive la rosée des cieux ; que les cieux répandent la pluie sur la terre altérée, et qu’en recevant cette pluie elle fasse germer le bien, les bonnes œuvres ; qu’en retour d’une pluie féconde, elle ne produise pas des épines, de peur d’aller au feu plutôt que dans les greniers du Père céleste. « Les cieux publieront vos merveilles. Ô mon Dieu, et votre vérité dans l’assemblée des saints ». Les cieux donc annonceront vos merveilles et votre vérité ; tout ce que prêchent les cieux leur vient de vous, ne concerne que vous ; et dès lors ils prêchent en sûreté ; car ils connaissent celui qu’ils prêchent, et n’ont point à rougir de lui.
7. Que prêchent donc les cieux ? Que doivent-ils publier dans l’assemblée des saints ? « Car dans les nuées, qui peut être égal au Seigneur ? » Est-ce là ce qu’ils doivent publier, la rosée qu’ils doivent donner ? Quoi ? « Dans les nuées qui sera égal au Seigneur ? » Voilà donc la sécurité de ceux qui prêchent, c’est que nul dans les nuées n’est égal au Seigneur. C’est là, mes frères, ce qui vous paraît une grande louange, que nul dans les nuées ne soit égal au Créateur ; et cependant, si l’on prend cette expression à la lettre et sans mystère, ce n’est pas beaucoup louer le Seigneur que dire que les nuées ne lui sont point égales. Eh quoi donc ! les étoiles qui sont au-dessus des nuées sont-elles égales au Seigneur ? Que sont le soleil, la lune, les anges, les cieux, si on les compare à Dieu ? Pourquoi donc le Prophète nous dit-il avec emphase : « Qui dans les nuages est égal au Seigneur ? » Nous donnons, mes frères, à ces nuées le même sens qu’aux cieux : ce sont les prédicateurs de la vérité, les Prophètes, les Apôtres, les hérauts du Verbe de Dieu. Que ces différents prédicateurs soient en effet appelés des nuées, nous le savons par cette parole prophétique, que Dieu irrité adresse à sa vigne : « Je défendrai à mes nuées de laisser tomber la pluie sur elle ». Puis le Prophète nous montre avec clarté et précision quelle est cette vigne, quand il dit : « La vigne du Dieu des armées, c’est la maison d’Israël[483] » ; de peur qu’à ce mot de vigne, tu n’oublies les hommes qu’elle désigne pour chercher sur la terre : « La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël ». Que la maison d’Israël ne cherche donc point ailleurs, qu’elle comprenne qu’elle est ma vigne, qu’elle comprenne bien que ce n’est point du vin, mais des épines qu’elle a produites pour moi. Qu’elle reconnaisse toute son ingratitude envers celui qui l’a plantée, qui l’a cultivée, qui l’a arrosée. Si donc c’est la maison d’Israël qui est cette vigne, que lui dit le Seigneur dans sa colère ? « Je défendrai à mes nuées de laisser tomber la pluie sur elle ». Or, cette menace a été réalisée. Les Apôtres ont été envoyés comme des nuées pour pleuvoir sur les Juifs, et voilà qu’ils ont repoussé la parole de Dieu, qu’ils ont produit des épines, et non du raisin ; alors les Apôtres leur dirent : « Nous étions envoyés vers vous ; mais puisque vous « repoussez la parole de Dieu, nous allons chez les nations[484] ». Depuis ce temps, les nuées commencèrent à ne plus donner à cette vigne aucune rosée. Si donc les nuées désignent les prédicateurs de la vérité, voyons pourquoi le Prophète les appelle des nuées. Car ils sont tantôt des nuées et tantôt des cieux ; des nuées à cause de l’obscurité de la chair, des cieux à cause de l’éclat de la vérité ; effectivement toutes les nuées sont ténébreuses et désignent la mortalité du corps ; elles viennent et passent. Or, c’est à cause du sombre voile de la chair, ou de l’obscurité des nuées, que l’Apôtre a dit : « Gardez-vous de juger avant le temps, jus« qu’à ce que le Seigneur vienne, et illumine « l’obscurité des ténèbres[485] ». Qu’un homme parle, tu entends, mais tu ne vois point ce qu’il cache dans son cœur ; tu vois ce qui sort de la nuée, mais non ce qui est caché dans la nuée. Quel est l’homme dont l’œil pénètre un nuage ? Donc les nuées sont des prédicateurs de la vérité, mais sous le voile de la chair. Or, le Créateur du monde est venu lui-même dans sa chair. Mais, « qui dans les nuages sera égal à Dieu ? Qui donc dans les nuées sera comparable à Dieu ? qui parmi les enfants de Dieu sera semblable au Seigneur ? » Donc, parmi les fils de Dieu, nul ne sera égal au Fils de Dieu. Et pourtant il est appelé Fils de Dieu, comme nous sommes appelés fils de Dieu. Mais « parmi les fils de Dieu, qui sera semblable au Seigneur ? » Il est unique, nous sommes plusieurs ; il est un, nous sommes un en lui ; il est tel par naissance, nous, par adoption ; lui est engendré par nature, et de toute éternité, nous sommes devenus tels, dans le temps, par la grâce ; il est sans aucun péché, nous sommes par lui, délivrés du péché. « Qui donc dans les nuées sera égal à Dieu, ou qui sera semblable au Seigneur a parmi les enfants de Dieu ? » Nous sommes appelés des nuées à cause de notre chair, et nous sommes les prédicateurs de la vérité, à cause de la pluie qui tombe des nuées : mais notre chair nous vient bien autrement que sa chair lui est venue. Nous sommes appelés fils de Dieu, mais il est autrement appelé Fils de Dieu. Pour lui, la nuée est venue d’une vierge ; et de toute éternité il est Fils de Dieu égal au Père. « Qui donc parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui sera semblable au Seigneur, parmi les enfants de Dieu ? » Que le Seigneur nous dise lui-même s’il a un égal. « Parmi les hommes, qui dit-on que je suis, moi Fils de l’homme[486] ? » Voilà en effet que l’on peut me voir, me regarder, que je marche parmi vous, et que ma présence m’a peut-être fait moins estimer ; dites-moi : « Parmi les hommes, qui dit-on que je sois, moi Fils de l’homme ? » Certes, voir le Fils de l’homme, c’est voir une nuée. Qu’ils disent, ou dites vous-mêmes « ce que les hommes disent que je suis ». Et les Apôtres lui rapportèrent les conjectures des hommes : « Les uns disent que vous êtes Jérémie, d’autres Elie, d’autres Jean-Baptiste, ou l’un des Prophètes[487] ». Voilà qu’ils nomment plusieurs nuées, plusieurs fils de Dieu. Dès lors en effet qu’ils sont justes et saints, ils sont aussi fils de Dieu : Jérémie, Elie et Jean sont fils de Dieu, et ils sont des nuées parce qu’ils sont les héros de Dieu. Vous avez dit quelles nuées me croient les hommes, et parmi quels enfants de Dieu ils me placent ; à votre tour, dites « ce que vous croyez que je suis ». Pierre prenant la pirole au nom de tous, et seul pour marquer l’unité : « Vous êtes », lui répondit-il, « le Christ, Fils du Dieu vivant[488]. Qui en effet parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui pourra être semblable au Seigneur parmi les fils de Dieu ? » Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant, non plus comme les autres enfants de Dieu, qui ne sont point égaux à vous. Vous êtes venu dans la chair, non comme les nuées que l’on ne peut vous comparer.
8. Qui êtes-vous, en effet, pour que l’on vous réponde : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant » ; vous que les hommes, non plus les justes et les saints, ont pris pour l’un des Prophètes, ou pour Elie, ou pour Jérémie, ou pour Jean-Baptiste, qui donc êtes-vous ? Écoute ce qui suit : « Le Dieu qui doit être glorifié dans le conseil des saints. Qui donc parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui sera semblable au Seigneur parmi les enfants de Dieu, quand ce Dieu doit être glorifié dans le conseil des justes ? » Puisqu’ils ne peuvent être égaux à lui, qu’ils prennent le dessein de croire en lui. Puisque les nuées et les fils de Dieu ne peuvent être égaux à lui, voici le conseil qui reste à la fragilité humaine : c’est que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur[489]. « C’est vous, ô Dieu, qui serez glorifié dans le conseil des saints : il est grand et terrible envers ceux qui l’environnent[490] ». Dieu est partout. Qui peut environner celui qui est partout ? S’il a quelqu’un autour de lui, il est alors borné de toutes parts. Or, s’il est vrai de dire à Dieu et de Dieu que « sa grandeur n’a point de bornes[491] », où trouver quelqu’un qui l’environne, sinon quand celui qui est partout a voulu naître dans sa chair en un lieu particulier, vivre au milieu d’un peuple, être crucifié en un lieu, ressusciter d’un endroit de la terre, et d’un lieu s’élever au ciel ? Or, dans le lieu où il a fait tout cela, il est environné des nations. S’il demeurait dans le lieu où il a fait tout cela, il ne serait pas « grand et terrible envers tous ceux qui l’environnent ». Mais parce qu’il a prêché en ce lieu de manière à envoyer de là, par toute la terre et parmi les Gentils, les prédicateurs de sa parole, il est devenu « grand et terrible envers tous ceux qui sont autour de lui ».
9. « Seigneur, Dieu des vertus, qui est semblable à vous ? Vous êtes puissant, ô Dieu, et votre vérité vous environne[492] ». Votre puissance est grande ; vous avez fait le ciel et la terre et tout ce qui est en eux ; mais votre miséricorde est plus grande ; elle fait paraître votre vérité autour de vous : si vous n’étiez prêché que dans ces lieux où vous avez voulu naître, et souffrir, et ressusciter, et d’où vous êtes monté au ciel, la promesse divine serait justifiée dans le sens de « la confirmation des promesses faites à nos pères » ; mais non « en ce que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde[493] » : il fallait pour cela que votre vérité se répandit, et du lieu où vous avez voulu paraître, s’étendît autour de vous. C’est dans ce lieu que vous avez lancé vos tonnerres de votre propre nuée, mais vous avez envoyé d’autres nuées afin d’arroser les nations qui vous environnaient. Dans votre puissance vous avez accompli ce que vous avez prédit : « Je vous le déclare, vous verrez le Fils de l’Homme venant sur les nuées du ciel[494]. Vous êtes puissant, Seigneur, et votre vérité vous environne ».
10. Mais dès que l’on eut prêché la vérité autour de vous : « Les nations frémirent, les peuples méditèrent de vains complots ; les rois de la terre se levèrent, les princes s’assemblèrent contre le Seigneur et contre son Christ[495] ». Et en effet, Seigneur, dès que l’on a commencé à prêcher votre vérité autour de vous, comme si vous veniez chercher une Épouse parmi les étrangers, un lion frémissant vous a barré le passage, et vous l’avez étranglé. C’est ce que figurait Samson[496], et vous n’applaudiriez point mes paroles, si vous n’eussiez compris mon allusion avant que j’eusse nommé ce personnage : car vous l’avez compris en chrétiens accoutumés à recevoir la rosée des nuées divines. Donc « votre vérité est autour de vous ». Mais y est-elle jamais sans persécution, jamais sans contradiction, quand il est dit que le Christ est né pour être insigne auquel on contredira[497] ? Donc parce que cette nation, dans laquelle vous avez voulu naître pour converser avec les hommes, était comme une terre séparée des flots des autres nations afin de paraître comme une terre sèche qui devait être arrosée, et que les autres nations étaient un océan d’eau amère et stérile ; que font vos prédicateurs qui laissent tomber autour de vous la pluie de la vérité, en face des flots écumeux de la mer ? Que font-ils ? « C’est vous qui dominez les puissances de la mer[498] ». Qu’a fait cette mer dans ses fureurs, sinon le jour que nous célébrons ? Elle a égorgé les martyrs, répandu leur sang comme une semence, d’où est sortie cette riche moisson de l’Église. Que ces nuées marchent donc sans crainte, qu’elles répandent la vérité autour de vous, sans redouter le courroux des flots. « C’est vous qui dominez les puissances de la mer ». La mer se soulève, elle contredit, elle gronde ; mais Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces[499]. Si donc Dieu est fidèle et ne nous laisse point tenter au-dessus de nos forces : « C’est bien vous, Seigneur, qui calmez la fureur des flots ? »
11. Enfin pour apaiser la mer, et même pour faire tomber sa rage, qu’avez-vous fait dans la mer elle-même ? « Vous avez humilié le superbe comme un homme blessé à mort[500] » Il y a dans cette mer un dragon orgueilleux, dont l’Écriture a dit ailleurs « Je commanderai au dragon de le mordre[501] » ; il y a un dragon dont il est dit : « Ce dragon que vous avez formé pour vous en jouer[502] » dont vous brisez la tête sur les eaux. « Vous avez humilié le superbe comme un homme blessé à mort ». Vous vous êtes humilié, et de là l’humiliation du superbe. Car c’était par l’orgueil que cet orgueilleux tenait sous sa puissance d’autres orgueilleux : or, celui qui était grand s’est humilié, et celui qui a cru en lui est devenu petit et quand celui qui est petit se nourrit de l’exemple du Tout-Puissant devenu petit, le diable a perdu ce qu’il possédait ; car il ne tenait que des orgueilleux sous sa puissance orgueilleuse. À la vue, d’un si grand modèle d’humilité, les hommes ont appris à condamner leur orgueil, et à imiter les abaissements d’un Dieu. Ainsi donc, en perdant ceux qu’il tenait sous sa puissance, le diable a été humilié, non point corrigé, mais confondu. « Vous avez humilié le superbe comme un homme blessé à un mort ». Vous vous êtes humilié pour l’humilier, vous avez été blessé afin de le blesser. Car il ne pouvait qu’être blessé par ce sang que vous avez répandu, pour effacer la cédule de nos péchés. D’où lui venait sou orgueil, sinon de cette caution qu’il tenait contre nous ? Telle est la caution, telle est la cédule que vous avez effacée par votre sang[503]. C’était donc le blesser que lui enlever tant de dépouilles. Comprenons en effet, par ces blessures du démon, non point des plaies dans une chair qu’il n’a point, mais un cœur blessé dans son orgueil. « La force de votre bras a dissipé vos ennemis ».
12. « A vous sont les cieux, comme à vous est la terre[504] ». De vous vient la pluie qu’ils répandent, et à vous est la terre qu’ils arrosent. « A vous sont les cieux », par qui votre vérité est prêchée autour de vous : « à vous est la terre », qui a reçu autour de vous la vérité. Enfin quel a été l’effet de cette pluie ? « Vous avez affermi l’univers, et tout ce qu’il renferme ; c’est vous qui avez créé l’Aquilon et les mers ». Car il n’a aucune puissance contre vous, contre son Créateur. Il est vrai que par sa propre malice, par sa volonté perverse, le monde peut s’emporter à la violence ; mais peut-il donc franchir les bornes que lui a marquées le Créateur de toutes choses ? Pourquoi donc redouter l’Aquilon ? Pourquoi redouter les mers ? Il est vrai que dans l’Aquilon est le diable qui a dit : « J’établirai mon trône dans l’Aquilon, je serai semblable au Très-Haut ». Mais vous, Seigneur, vous avez humilié le superbe, comme un homme blessé à mort. Donc ce que vous avez fait en eux, a plus de force pour exercer votre empire, que leur volonté pour exercer leur malice. « Vous avez créé l’Aquilon et les mers[505] ».
13. « En votre nom vont tressaillir le Thabor et l’Hermon[506] ». Ces noms désignent des montagnes, mais ont un sens figuré. « En votre nom vont tressaillir le Thabor et l’Hermon ». Thabor en hébreu signifie lumière qui vient. Mais d’où vient cette lumière, dont il est dit : « Vous êtes la lumière du monde[507] », sinon de celui dont il est dit aussi : « Celui-là était la véritable lumière qui éclaire tout homme un venant en ce monde[508] ? » Donc cette lumière qui est la lumière du monde, vient de cette lumière que l’on n’allume point, et dont on ne doit pas craindre l’extinction. C’est donc de là que vient la lumière, de là que vient ce flambeau qu’on ne met point sous le boisseau mais sur le chandelier, le Thabor, ou la lumière qui se lève. Quant à Hermon, il signifie son anathème. C’est avec raison qu’à l’arrivée de la lumière, elle a été pour lui un anathème. Pour qui, sinon pour le diable, cet orgueilleux blessé à mort ? C’est donc de vous que nous vient notre lumière, et c’est par vous encore qu’il est un anathème pour nous, celui qui nous retenait dans ses engins d’erreur et d’orgueil. Donc « le Thabor et l’Hermon vont tressaillir à votre nom » : non point dans leurs mérites, mais « en votre nom ». Car ils vont dire : « Non point à nous, Seigneur, non point à nous, mais c’est à votre nom qu’il faut donner la gloire » : à cause de cette mer en courroux : « De peur que les nations ne disent : Où est leur Dieu[509] ? »
14. « Votre bras est armé de puissance ». Que nul ne s’attribue rien : « Votre bras est un armé de Puissance » : c’est vous qui nous avez créés, vous qui nous défendez. « Votre bras est armé de puissance, que votre main s’affermisse et que votre droite s’élève[510] ».
15. « La justice et le jugement vous préparent un trône[511] ». À la fin des temps voire justice et votre jugement se feront connaître ; ils se dérobent aujourd’hui. C’est de votre jugement qu’il est dit dans un autre psaume : « Pour les mystères du fils[512] ». Mais alors votre justice et votre jugement se manifesteront les uns seront placés à votre droite, les autres à votre gauche ; et les incrédules seront frappés de stupeur, quand ils verront ce qu’ils ont raillé dans leur infidélité : tandis que les justes seront dans la joie, en voyant alors ce qu’ils croient sans le voir. « La justice et le jugement vous préparent un trône[513] », assurément pour le jugement. Et aujourd’hui : « La miséricorde et la vérité marchent devant votre face ». La préparation d’un trône, voire justice, et le jugement à venir m’inspireraient de la crainte, si votre miséricorde et votre vérité ne les précédaient. À quoi bon craindre vos jugements pour la fin, quand votre miséricorde qui les précède efface mes péchés et accomplit vos promesses en me montrant la vérité ? « La miséricorde, et la vérité marchent devant votre face ». Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[514].
16. Mais alors n’y aura-t-il aucune joie pour nous ? ne jouirons-nous point de l’objet de notre joie ? Les paroles suffiront-elles à notre joie ? notre langue la pourra-t-elle exprimer ? Si donc nulle parole n’y suffisait : « Bienheureux le peuple qui sait se réjouir[515] ». O bienheureux peuple, penses-tu bien comprendre cette joie ? Tu n’es point heureux toutefois sans la comprendre. Qu’est-ce à dire comprendre la joie ? c’est connaître le sujet de cette joie que des paroles ne peuvent exprimer. Car ta joie ne vient point de toi : que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur[516]. Ne te réjouis donc point dans ton orgueil, mais dans la grâce de Dieu ; vois que cette grâce est telle que la langue ne peut l’exprimer, et tu comprendras la joie.
17. Enfin si tu as compris que la jubilation est dans la grâce, écoute maintenant l’éloge de cette grâce. « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation ». Quelle jubilation ? Vois si elle ne vient pas de la grâce, vois si elle ne vient pas de Dieu, et nullement de toi. « Seigneur, ils marcheront à la lumière de votre face[517] ». Ce Thabor, cette lumière naissante, sera bientôt une lampe éteinte par le vent de l’orgueil, si elle ne marche à la lumière de votre face. « Seigneur, ils marcheront à la lumière de votre face, et tout le jour ils tressailliront en votre nom ». Thabor et Hermon « se réjouiront donc en votre nom » ; s’ils veulent se réjouir « tout le jour », c’est en votre nom qu’ils doivent le faire ; et s’ils se réjouissent en leur nom, ils ne le feront point tout le jour. Car la joie qui leur viendra d’eux-mêmes, ne sera point une joie durable, mais ils tomberont à cause de leur orgueil. Donc pour se réjouir tout le jour, ils doivent use réjouir en votre nom, et tressaillir dans notre justice » ; non pas dans leur propre justice, mais dans la vôtre, de peur qu’ils n’aient à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la science. Car l’Apôtre a dit de certains, qu’ils ont, il est vrai, le zèle de Dieu, mais non un zèle selon la science, puisque « dans leur ignorance de la justice de Dieu, dans leur volonté d’établir leur propre justice, nu lieu de se réjouir dans votre lumière, ils n’ont pas été soumis à la divine justice[518] ». Mais pourquoi ? « Parce qu’ils ont le zèle de Dieu, et non selon la science ». Quant au peuple qui connaît la jubilation (car ceux-ci ne la comprennent pas, mais bienheureux le peuple qui ne l’ignore point et qui la connaît), quelle doit être la cause de sa joie, la cause de son tressaillement, si ce n’est dans votre nom et dans sa marche à la lumière de votre face ? Il méritera d’être élevé sans doute, mais dans votre justice. Qu’il regrette sa justice propre et qu’il s’humilie, et alors viendra la justice de Dieu qui lui donnera la vraie joie : « Ils tressailliront dans votre justice[519] ».
18. « Car vous êtes la gloire de leur force, un et notre élévation viendra de votre volonté » ; parce qu’il vous plaira ainsi, et non parce que nous l’aurons mérité.
19. « Car c’est le Seigneur qui me soutient ». On m’a poussé pour me faire tomber comme un amas de sable, et je serais tombé en effet si Dieu ne m’eût soutenu, « Le Seigneur est mon soutien, il est le saint d’Israël, et notre roi[520] ». C’est lui qui est ton soutien, lui ton flambeau ; c’est à sa lumière que tu es en sûreté, à sa lumière que tu marches par sa justice que tu es élevé en gloire. C’est lui qui t’a protégé, qui est le gardien de ta faiblesse, lui qui te rend fort et non toi-même.
20. « Alors vous avez parlé en vision à vos fils, et vous avez dit[521] ». « Vous avez parlé en vision », voilà ce que vous avez révélé à vos Prophètes. Vous leur avez parlé en aspect, c’est-à-dire en vous faisant voir à eux, d’où est venu aux Prophètes le nom de Voyants[522]. Ils ont vu intérieurement ce qu’ils devaient dire au-dehors : ils ont entendu dans le secret ce qu’ils ont prêché ouvertement. « Alors vous avez parlé en vision à vos fils, et vous avez dit : J’ai mis dans l’homme puissant mon secours ». Vous comprenez quel est cet homme puissant. « J’ai élevé celui que j’ai choisi parmi mon peuple ». Vous connaissez cet élu, et son élévation fait votre joie.
21. « J’ai trouvé David mon serviteur[523] » : ce David qui est de la race de David. « Je l’ai oint de mon huile sainte ». C’est de lui qu’il est dit : « Votre Dieu, ô Dieu, vous a oint d’une huile de joie, plus que tous ceux qui participent à votre gloire[524] ».
22. « Ma main le secourra, et mon bras le fortifiera[525] » : ce qu’il faut entendre de Jésus-Christ qui a revêtu l’humanité, dont la chair a été formée dans le sein d’une vierge[526], et qui étant Dieu par nature, égal au Père, a pris la forme de l’esclave, est devenu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix[527].
23. « L’ennemi ne prévaudra point contre lui ». L’ennemi s’irrite contre lui, mais vaine fureur ! il a coutume de nuire, il ne nuira point. À quoi bon ses violences, qui Pourront l’exercer, mais jamais lui nuire ? Ses fureurs mêmes sont utiles, car ceux qu’il attaquera seront couronnés à cause de leur victoire sur lui. Que Pourrions-nous vaincre, si nul ne nous attaquait ? Coma ment Dieu nous soutiendrait-il, si nous n’avions à combattre ? L’ennemi fera donc ce qu’il doit faire, mais « l’ennemi ne prévaudra point contre lui ; et le fils de l’iniquité ne pourra lui nuire[528] ».
24. « Et sous ses yeux ; je taillerai ses ennemis en pièces[529] ». Ceux qui conspiraient sont taillés en pièces, et taillés en pièces en embrassant la foi. Peu à peu ils croient en Dieu, et la tête du veau d’or est brisée pour devenir le breuvage du peuple de Dieu. Moïse en effet mit en poudre la tête du veau d’or, la jeta dans l’eau, et la donna à boire aux enfants d’Israël[530]. Ainsi les infidèles sont brisés, ils arrivent peu à peu à la foi, sont absorbés par le peuple, et passent ainsi dans le corps du Christ. « Et sous ses yeux, je taillerai ses ennemis en pièces, et mettrai en fuite ceux qui le haïssent », afin qu’ils ne lui fassent aucun mal. Mais peut-être quelques-uns de ceux qui sont mis en fuite diront-ils : « Où irai-je pour me dérober à votre esprit, et où m’enfuir pour éviter votre face[531] ? » Voyant alors qu’ils ne peuvent se dérober au Tout-Puissant, ils se tournent vers le Tout-Puissant. « Je mettrai en fuite ceux qui vous haïssent ».
25. « Et ma vérité, et ma miséricorde sont avec lui[532] ». Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[533] ». Souvenez-vous, autant qu’il vous est possible, combien ces deux vertus reviennent souvent dans les saintes Écritures, afin que nous en fassions hommage aussi à Dieu. De même, en effet, qu’il nous a fait voir sa miséricorde en effaçant nos péchés, et sa vérité en accomplissant ses promesses ; de même, en marchant dans ses voies, nous devons lui rendre la miséricorde et la vérité ; la miséricorde en prenant pitié des misérables, la vérité en jugeant avec justice. Que la vérité ne s’oppose point en vous à la miséricorde, non plus que la miséricorde à la vérité. Si la pitié vous porte à juger contre la vérité, ou si la vérité trop sévère vous fait oublier la miséricorde, alors vous ne marchez plus dans cette voie de Dieu où la miséricorde et la vérité se sont rencontrées[534]. « C’est en mon nom que s’élèvera sa puissance ». Pourquoi nous arrêter ici ? vous êtes chrétiens, reconnaissez le Christ.
26. « J’étendrai sa main sur la mer » ; c’est-à-dire qu’il dominera sur les Gentils. « Et sa droite sur les fleuves[535] », Les fleuves s’écoulent dans la mer ; les hommes avec leurs convoitises s’écoulent dans les eaux amères du monde : et néanmoins, tout cela sera soumis au Christ.
27. « Il m’invoquera en disant : Vous êtes mon père, mon Dieu, l’appui de mon salut. Et moi, je l’établirai mon premier-né, bien supérieur aux rois de la terre[536] ». Nos martyrs, dont nous célébrons la fête, ont répandu leur sang pour ces vérités qu’ils croyaient sans les voir. Combien nous devons être plus courageux encore, nous qui voyons ce qu’ils croyaient ! Ils ne voyaient point encore le Christ élevé au-dessus des rois de la terre ; car alors les princes unissaient encore leurs forces contre le Seigneur et contre son Christ, Alors n’était pas encore accompli ce qui est écrit dans le même psaume : « Et maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, ô vous qui jugez la terre[537] ». Le Christ est donc maintenant élevé au-dessus de tous les rois de la terre.
28. « Je lui conserverai éternellement ma miséricorde, et mon alliance avec lui est immuable[538] ». C’est à cause de lui que ce Testament est fidèle : c’est en lui qu’il a été négocié ; il est lui-même le médiateur de ce Testament, le signataire du Testament, le garant du Testament, le témoin du Testament, l’héritier du Testament et le cohéritier de ce Testament.
29. « J’établirai sa race de siècle en siècle[539] ». Non seulement dans ce siècle, mais « dans le siècle du siècle » que traversera cette postérité qui est son héritage, race d’Abraham, qui est le Christ. Si donc vous êtes du Christ, vous êtes de la race d’Abraham[540]. Et si vous devez recevoir l’héritage pour l’éternité, « Dieu établira sa race de siècle en siècle, et son trône sera comme les jours du ciel ». Pour les rois de la terre, les trônes sont comme les jours de la terre. Autres sont en effet les jours du ciel, et autres les jours de la terre. On appelle jours du ciel, ceux dont il est dit : « Vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne diminuent point[541] ». Pour les jours de la terre, ils sont pressés par d’autres qui leur succèdent, les précédents ne sont plus, ceux qui succèdent ne demeurent point, ils ne viennent que pour s’en aller, et s’en vont presque avant d’être arrivés. Voilà les jours de la terre. Quant aux jours du ciel et à ces années qui ne diminuent point, ils n’ont ni commencement ni fin ; et nul autre n’est resserré entre celui d’hier et celui de demain. Nul n’y attend l’avenir, nul n’y voit s’écouler le passé : mais les jours du ciel sont toujours présents, et c’est là que sera pour l’éternité le trône du Christ. Réservons, s’il vous plaît, le reste du psaume : il est long, et nous aurons encore à traiter ensemble aujourd’hui, au nom du Christ. Réparez donc vos forces, non point les forces du cœur, car je vous vois insensibles à la fatigue ; mais reposez-vous quelque peu, à cause de vos corps qui sont les serviteurs de l’âme, et quand vous l’aurez fait, revenez prendre la nourriture spirituelle.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 88[modifier]

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME[542].[modifier]

SUITE DU SUJET.[modifier]

Si les fils de David abandonnent le Seigneur, il ne leur retirera, point sa miséricorde, il les châtiera pour les ramener, lui qui a laissé flageller son Fils. Non seulement il ne retirera point sa miséricorde de ce Fils, mais non plus des membres de ce Fils ou les chrétiens ; eux-mêmes peuvent la repousser en repoussant le châtiment. En dépit des pécheurs, Dieu ne profanera point son alliance, et il y aura des justes, parce qu’il connaît ceux qu’il a prédestinés. La race du Seigneur subsistera donc éternellement sur son trône, ou sur les membres qui portent la tête, laquelle brillera comme le soleil, ou comme une lune sans déclin, c’est-à-dire que notre chair doit briller après la résurrection ; elle montrera ainsi l’accomplissement des promesses divines, comme Jésus-Christ a ressuscité sa chair pour répondre aux incrédules. Si Dieu a détruit tout ce qui concernait David selon la chair, s’il a permis la chute de Salomon, c’était pour nous faire espérer au véritable David. Ce Christ est donc retardé, et Dieu par ces ruines nous fait dire : S’il n’a point épargné tout cela, nous épargnera-t-il ? Les Juifs sont devenus la proie des Gentils ; Dieu en les châtiant ne les a point retenus, afin de les empêcher de fuir le châtiment ; ils se sont ainsi éloignés de la foi qui purifie. Toutefois il se souvient de ta substance de David dont il a formé Marie, d’où est né le Christ, le saint, l’admirable eu qui les hommes sont purifiés ; lui qui s’est délivré de la mort, qui a été persécuté dans les martyrs, qui s’est souvenu de leur opprobre, en les faisant triompher du monde, lui à qui on a reproché la mort, parce qu’on ne veut pas mourir au vieil homme. Béni soit-il, et rassemblons-nous sous ses ailes.


1. Prêtez, mes frères, votre attention au reste du psaume dont nous avons parlé ce matin, exigez de moi cette pieuse dette, et celui qui est votre Créateur et le mien s’en acquittera par mon ministère. C’est le Christ Notre-Seigneur que nous annonçait dans ses promesses prophétiques la première partie du psaume ; c’est encore de lui qu’il est question dans le reste que nous allons exposer. C’est lui que regardaient en effet ces paroles entre autres : « Je l’établirai mon premier-né, bien supérieur aux rois de la terre. Éternellement je lui garderai ma miséricorde, et mon alliance faite avec lui sera irrévocable ; j’établirai sa race de siècle en siècle, et son trône durera comme les jours du ciel[543] ». Nous vous avons exposé ces versets, et ceux qui les précèdent depuis le commencement autant qu’il nous a été possible.
2. Voici la suite : « Si ses fils abandonnent ma loi, et ne marchent point dans mes préceptes ; s’ils profanent ma justice et transgressent mes commandements : la verge à la main, je visiterai leurs iniquités, je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui totalement ma miséricorde, je ne profanerai point mon alliance, et ne rendrai point vaine la parole sortie de mes lèvres ». Dieu nous donne là de solides garanties de ses promesses. Or, les fils de ce David sont les fils de l’Époux ; tous les chrétiens sont donc ses enfants. Cette promesse que Dieu fait ici est donc considérable : que « si les chrétiens », c’est-à-dire ses fils, « abandonnent ma loi », dit-il, « s’ils ne marchent point dans mes préceptes, s’ils profanent ma justice et transgressent mes commandements[544] » : je ne les traiterai point avec dédain, et ne les abandonnerai point à la perdition : mais que ferai-je alors ? « La verge à la main je visiterai leurs iniquités, je frapperai leurs péchés ». Dieu donc met sa miséricorde, non seulement à nous appeler, mais encore à nous frapper, à nous châtier. Que sa main paternelle soit donc sur toi, et si tu es un bon fils, ne rejette point la discipline. Quel est l’enfant que son père ne châtie point ? Qu’il frappe donc, mais qu’il ne nous refuse pas sa miséricorde, qu’il réduise nos rébellions, pourvu qu’il nous admette à son héritage. Pour toi, si tu comprends bien la promesse de ton Père, ne crains point d’être châtié, mais d’être exclu de l’héritage. Car le Seigneur corrige celui qu’il aime ; il châtie celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants[545]. Un fils pécheur refuserait-il d’être châtié quand il voit flageller le Fils unique et sans péché ? « La verge à la main », dit donc le Seigneur, « je visiterai vos iniquités ». Telle est encore la menace de saint Paul : « Que voulez-vous ? Dois-je venir la verge à la main[546] ? » A Dieu ne plaise que des fils dévoués répondent : Si vous devez venir la verge à la main, ne venez point ! Il vaut mieux s’instruire par la main d’un père qui châtie, que d’être la proie d’un séducteur qui vous flatte.
3. « La verge à la main », dit le Seigneur, « je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui totalement ma miséricorde[547] ». De qui ? De ce même David à qui j’ai fait de telles promesses, que j’ai oint de mon huile sainte plus que tous ceux qui partagent sa gloire[548]. Connaissez-vous celui à qui Dieu ne retirera point sa miséricorde ? Que nul dans sa crainte aie vienne dire : Puisque c’est du Christ que le Seigneur promet de ne point retirer sa miséricorde, que deviendront les pécheurs ? Le Seigneur a-t-il donc promis qu’il ne leur retirerait point sa miséricorde ? « La verge à la main », dit-il, « je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés ». Tu attendais, pour te rassurer, qu’il dit : « Mais je ne leur retirerai point ma miséricorde ». Il est vrai qu’on le trouve dans quelques exemplaires, mais non dans les plus corrects : et même quand on le trouve, le sens n’en est pas changé. Comment est-ce en effet que Dieu ne retire point sa miséricorde à son Christ ? Ce Sauveur de tout son corps a-t-il commis quelque faute dans le ciel ou sur la terre, lui qui est assis à la droite de Dieu, intercédant pour nous[549] ? Et pourtant c’est du Christ qu’il ne la retire point, mais du Christ dans ses membres et dans son corps, qui est l’Église. Le Prophète nous donne en effet comme importante la promesse de ne point retirer de lui sa miséricorde, comme si nous ne connaissions point le Fils unique qui est dans le sein de son Père : car ce n’est point comme un homme qu’il nous faut le regarder ici, mais il n’est qu’une seule personne, qui est l’Homme-Dieu. Il ne retire donc point de lui sa miséricorde, puisqu’il ne la retire point de son corps ni de ses membres ; qu’il souffre en eux persécution sur la terre, quoiqu’il soit dans le ciel. C’était du ciel qu’il criait : « Saul, Saul », non point : Pourquoi persécuter mes serviteurs ; non : Pourquoi persécuter mes saints ; non : Pourquoi persécuter mes disciples ; mais : « Pourquoi me persécuter[550] ? » Comme donc, étant assis dans le ciel où nul sans doute ne le persécute, il s’écria : « Pourquoi me persécuter ? » parce que la tête alors ne désavouait point ses membres, et que la charité ne séparait point la tête du reste du corps : ainsi ne point retirer de lui sa miséricorde, c’est ne point la retirer de nous qui sommes son corps et ses membres. Toutefois il ne faut pas nous en prévaloir, pour pécher sans crainte, et pour nous promettre témérairement de ne point périr, quoi que nous fassions. Il est en effet certains péchés, certaines iniquités, au sujet desquels il nous est impossible de rien dire, de rien affirmer ; et la chose fût-elle possible, il serait trop long d’en parler. Nul en effet ne saurait dire qu’il est sans péché ; l’affirmer, ce serait mentir. « Dire que nous sommes exempts de péché, c’est nous tromper nous-mêmes, c’est n’avoir point en nous la vérité[551] ». Chacun donc est nécessairement châtié pour ses péchés : mais Dieu ne lui retire point sa miséricorde, s’il est chrétien. Évidemment si tu descends à de tels excès, que tu repousses loin de toi la verge qui te frappe, si tu rejettes la main qui te châtie, si la punition de Dieu te porte au murmure, si tu fuis un Père qui use de sévérité, si tu renies ton Père parce qu’il ne t’épargne point dans tes égarements ; toi-même tu t’éloignes de l’héritage, et ce n’est point lui qui te rejette si tu demeurais quand il te châtie, tu ne serais pas à jamais déshérité. « Quant à ma miséricorde, je ne la retirerai point de lui, je ne démentirai point ma vérité ». Dieu donc ne retire point sa miséricorde qui délivre, afin que sa vérité ne nuise point, quand il châtie.
4. « Je ne profanerai point mon Testament, tel ne rendrai point vaine la parole sortie de sa bouche[552] ». Que ses fils deviennent pécheurs, je ne suis point parjure pour cela : je l’ai promis, je le tiendrai. Supposez que ses enfants s’abandonnent au péché avec la frénésie du désespoir, qu’ils se traînent dans l’iniquité, au point de blesser continuellement l’œil de leur père, et de mériter d’en être déshérités ; mais n’est-il pas ce Dieu dont il est dit : « Dieu pourra de ces pierres mêmes susciter des enfants d’Abraham[553] » C’est pourquoi, je vous le dis, mes frères, beaucoup de chrétiens commettent de ces fautes supportables, beaucoup sont corrigés du péché par le châtiment, ils s’amendent, ils se guérissent. D’autres, en grand nombre, se détournent de Dieu, opposent une tête inflexible à leur Père qui les châtie, refusent aussi d’avoir Dieu pour Père, et quoique marqués du signe de Jésus-Christ, ils s’adonnent au péché, de manière à faire dire contre eux : « Que ceux qui commettent ces fautes, n’obtiendront point le royaume de Dieu[554] ». Et pour cela néanmoins le Christ ne demeurera point sans héritage ; le froment ne périra point à cause de la paille[555] : les mauvais poissons n’empêcheront point que l’on en prenne d’autres dans le filet pour les mettre dans des vaisseaux[556]. Le Seigneur en effet connaît ceux qui sont à lui[557], et il nous a promis avec assurance, lui qui nous a prédestinés avant que nous fussions. « Or, ceux qu’il a destinés, il les a appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés ». Que ceux qui désespèrent s’abandonnent au péché : pour les membres du Christ, ils répondront : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous[558] ? » Dieu donc ne blessera point sa vérité, il ne profanera point son alliance. Son Testament demeure immuable, parce que dans sa prescience il a prédestiné ses héritiers. Il ne faussera point la parole qui sort de ses lèvres.
5. Ecoute, ô chrétien, écoute ce qui peut t’affermir, te mettre en sécurité, si tu te reconnais parmi les membres du Christ : « Je l’ai juré une fois dans ma sainteté, si je mentais à David[559] ». Veux-tu donc un second serment de la part de Dieu ? Combien devra-t-il jurer, s’il manque une fois à son serment ? Il a juré une fois de nous donner la vie, lui qui a envoyé son Fils unique à la mort pour nous. « Je l’ai juré une fois dans la sainteté, si je mentais à David : sa postérité demeurera éternellement[560] ». La race du Christ subsiste donc éternellement, parce que le Seigneur connaît ceux qui sont à lui[561]. « Son trône sera comme le soleil en ma présence, comme la lune éternellement dans son plein, il m’est au ciel un témoin fidèle[562] ». Son trône est formé de ceux qu’il domine, en qui il s’assied, en qui il règne. Ils sont ses membres comme son trône, car les membres servent de siège à notre tête. Voyez comme notre tête est portée par tous nos membres, sans que la tête porte rien au-dessus d’elle ; mais elle est portée par tous nos autres membres, comme si tout le corps de l’homme servait de trône à la tête. Ainsi tous ceux en qui Dieu règne forment son trône, et ils seront, dit-il, comme le soleil en ma présence, parce qu’ils resplendiront comme le soleil dans le royaume de mon Père[563]. Ce qu’il faut entendre d’un soleil spirituel, et non de ce soleil visible qui brille dans les cieux, et que Dieu fait lever sur les lions comme sur les méchants[564]. Enfin ce soleil est en présence, non des hommes seulement, mais aussi des animaux et des plus petits insectes. Lequel d’entre ces animaux ne voit point le soleil qui nous éclaire ? Mais que dit le Prophète à propos de cet autre soleil : « Il sera comme un soleil en ma présence ? » Non plus en présence des hommes, en présence des yeux de la chair, en présence des animaux sujets à la mort, mais en ma présence, et comme la lune ». Quelle lune ? « la lune éternellement dans son plein ». Cette lune, en effet, que nous voyons, est à peine arrivée à son plein qu’elle commence le lendemain à décroître. « Comme la lune », dit le Prophète, « qui est éternellement dans son plein ». Son trône sera donc parfait comme la lune, mais comme la lune toujours pleine. Si c’est comme le soleil, pourquoi comme la lune ? Par cette lune qui croît et qui décroît, dont l’image passe rapidement, l’Écriture désigne ordinairement notre chair mortelle. Enfin Jéricho signifie la lune, et voilà pourquoi cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs[565], car d’immortel il descendait à la mortalité : notre chair a donc de la ressemblance avec la lune, qui chaque mois croît et décroît, mais à la résurrection cette chair sera parfaite, et « deviendra au ciel un témoin fidèle ». Si donc il n’y avait que notre esprit pour recevoir sa perfection, nous serions seulement comparés au soleil ; et au contraire si notre corps seul devait être amené à la perfection, nous ne serions comparés qu’à la lune ; mais comme Dieu doit amener à la perfection elle corps et l’âme, le Prophète a dit : « Comme le soleil, en ma présence », car Dieu seul voit notre âme ; « et comme la lune », voici notre chair ; « éternellement en son plein » : à la résurrection des morts ; « elle sera au ciel un témoin fidèle », en montrant la vérité de tout ce qui est dit au sujet de la résurrection. Je vous en supplie, écoutez cette même vérité plus clairement encore, et gravez-la dans votre souvenir. Je sais que plusieurs d’entre vous ont compris mes paroles, que d’autres les cherchent peut-être encore, car aucun, point de la foi chrétienne n’est plus en butte à la contradiction, que la résurrection de la chair. Enfin celui qui venait pour être un signe de contradiction[566], a ressuscité sa chair pour s’opposer à ces contradictions : et lui qui pouvait guérir ses membres, de manière, qu’il n’y restât aucune trace de ses blessures, a conservé des cicatrices sur son corps, afin de guérir dans nos cœurs la blessure du doute. Il n’y a donc dans la foi chrétienne aucun point que l’on révoque en doute avec autant de violence ou tant d’obstination, autant d’efforts et d’instances que la résurrection de la chair. Quant à l’immortalité de l’âme, en effet, beaucoup de philosophes païens en ont écrit, et ont trouvé dans un grand nombre de livres que l’âme humaine est immortelle. Mais en vient-on à la résurrection de la chair, ils n’hésitent point, ils contredisent clairement, et dans leur contradiction ils vont jusqu’à dire qu’il est impossible que cette chair terrestre puisse monter au ciel. Donc cette lune toujours dans son plein est dans le ciel un témoin fidèle contre ces contradicteurs.
6. Voyez combien sont certaines, sont affermies, sont claires et indubitables ces promesses au sujet de Jésus-Christ. Bien que plusieurs soient cachées sous des figures, il en est d’autres néanmoins assez évidentes pour nous faire découvrir facilement ce qu’il y a d’obscur. D’après cela voyez ce qui suit : « Cependant, Seigneur, vous avez repoussé, anéanti, éloigné votre Christ. Vous avez renversé son Testament : son sanctuaire est profané dans la poussière. Vous avez détruit toutes ses murailles, ses remparts sont un objet de terreur. Tous les passants l’ont pillé, il est devenu un sujet d’opprobre pour ses voisins. Vous avez élevé le bras de ses ennemis, et réjoui tous ceux qui le haïssent. Vous lui avez ravi le secours de son glaive, et ne l’avez point aidé dans la guerre. Vous l’avez détruit pur ne point le purifier, vous avez brisé son trône contre terre. Vous avez abrégé le nombre de ses jours, et l’avez couvert de confusion[567] ». Qu’est-ce à dire, ô mon Dieu ? Telles étaient vos promesses, et vous les avez ainsi contredites. Où sont ces promesses qui faisaient naguère notre joie, dont nous nous applaudissions avec tant d’allégresse, et qui nous berçaient d’une telle sécurité ? Que dirait que c’est un autre qui les a faites, et un autre qui les a détruites. Et ce qu’il y a de plus étonnant, ce n’est point un autre, mais bien vous, qui nous faisiez ces promesses magnifiques, vous qui les confirmiez, vous qui les confirmiez par serment à cause des hésitations des hommes : c’est vous qui avez fait ces promesses, et vous qui avez appelé ces désastres. Comment croire à votre serment, où retrouver vos promesses ? Que signifie tout cela, mes frères ? La promesse de Dieu serait-elle fausse, et son serment un parjure ? Pourquoi ces promesses pompeuses et ces malheurs qui les suivent ? Et moi, je soutiens que ces malheurs confirment sa prouesse. Mais qui suis-je pour parler ainsi ? Voyons si la vérité parle de la sorte, et alors je n’aurai pas vainement parlé. David était l’homme à qui Dieu faisait toutes ces promesses qui devaient avoir leur accomplissement dans le Christ. Or, les hommes attendaient en David l’accomplissement des promesses faites à David. Et de peur que parmi les chrétiens, l’un ne vînt dire : Ceci regarde le Christ l’autre : Non, mais David, et qu’on ne tombât dans l’erreur en voyant ces promesses s’accomplir eu David ; voilà que Dieu a détruit toutes ces promesses en David même, afin qu’en voyant qu’elles ne sont point accomplies en lui, tu cherches en quel autre on les voit s’accomplir. Il en est de même en Esaü et en Jacob, dont le second se prosterna devant l’aîné, bien qu’il fût écrit : « L’aîné sera soumis au plus jeune[568] » ; ne voyant point cette prophétie accomplie dans les deux frères, tu dois jeter les yeux sur deux peuples, en qui s’accomplit la promesse de Dieu, qui ne peut être mensongère. Il dit donc à David : « Je mettrai sur ton trône quelqu’un de tes enfants[569] ». Il lui promit quelque chose d’éternel dans sa race ; et voilà que Salomon vint au monde, et fut doué d’une telle sagesse, que l’on pensait qu’en lui s’accomplissait la promesse de Dieu sur sa postérité ; mais Salomon tomba[570], et nous fit ainsi espérer le Christ car le Seigneur, qui ne peut ni se tromper, ni tromper, n’ayant point pris pour objet de ses promesses un homme dont il prévoyait la chute, tu as dû, après cette chute, lever les yeux vers Dieu et solliciter l’accomplissement des promesses. Votre parole, ô Dieu, est donc mensongère ? Ne tiendrez-vous point à ce que vous avez promis ? Votre serment est-il un parjure ? Mais ici Dieu pourrait vous répondre : J’ai juré, j’ai promis, mais il n’a pas voulu persévérer. Eh quoi donc ! ô vous, Seigneur mon Dieu, ne saviez-vous point qu’il n’aurait point la persévérance ? Vous le saviez assurément. Pourquoi donc me promettre quelque chose d’éternel dans un homme qui ne devait point persévérer ? N’est-ce point vous qui avez dit : « S’ils abandonnent ma loi, s’ils ne marchent point dans ma justice, s’ils méprisent mes préceptes et profanent mon Testament » ; ma promesse n’en sera pas moins immuable, mon serment s’accomplira ? « Je l’ai juré une fois dans ma sainteté », dans ce secret intérieur, dans cette source où les Prophètes ont puisé ce qu’il nous ont prêché extérieurement : « Je l’ai juré une fois, et je ne mentirai point à David ». Montrez donc, Seigneur, ce que vous avez juré, accomplissez votre serment : de tout cela David est privé, afin que l’on n’en espère point l’accomplissement dans ce David. Attendez donc l’effet de mes promesses.
7. David au reste le fait lui-même. Vois ce qu’il a dit : « Néanmoins, Seigneur, vous avez rejeté, anéanti tout cela ». Où donc est votre promesse ? « Vous avez éloigné votre Christ ». Bien qu’il énumère des désastres, il nous console néanmoins par cette dernière parole. Ce que vous avez promis, ô mon Dieu, subsiste donc toujours, car vous n’avez point dérobé votre Christ pour toujours, vous l’avez seulement éloigné. Voyez donc ce qui est arrivé à ce David, en qui leur ignorance leur faisait croire que Dieu accomplirait ses promesses, afin que ces mêmes promesses fussent accomplies dans un autre en qui l’on espère avec plus de certitude : « Vous avez éloigné votre Christ, vous avez rompu l’alliance avec votre serviteur ». Où est en effet l’alliance antique avec les Juifs ? Où est cette terre promise qu’ils ont habitée pour commettre tant de fautes, que Dieu a détruite pour les en chasser ? Cherche le royaume des Juifs, dl n’est plus ; l’autel des Juifs, il n’est plus ; le sacrifice des Juifs, il n’est plus ; le sacerdoce des Juifs, il n’est plus : « Vous avez rompu l’alliance avec votre serviteur ; son sanctuaire est profané dans la poussière ». Vous avez montré la poussière dans ce qu’il avait de plus saint. « Vous avez détruit toutes ces murailles », dont vous l’aviez environné. Comment l’eût-on pillé, si ses murailles n’eussent été détruites ? « Ses remparts sont un objet de terreur ». Qu’est-ce à dire un objet de crainte ? ils font dire au pécheur : « Si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne te pardonnera point non plus[571]. Tous ceux qui passaient par le chemin l’ont pillé » ; c’est-à-dire tous les Gentils, qui passaient par le chemin, ou par cette vie, ont pillé Israël, ou David. Voyez en en effet les lambeaux de ce peuple chez les Gentils : c’est d’eux qu’il est dit : « Ils seront la proie des renards[572] ». Car l’Écriture donne le nom de renards à ces rois impies, fourbes et timides qu’effraie la vertu des autres. C’est pourquoi le Sauveur, parlant d’Hérode qui lui faisait des menaces, a dit : « Répondez à ce renard[573] » Un roi qui ne redoute aucun autre homme n’est point un renard ; il est ce lion de la tribu de Juda, à qui il est dit : « Tu es monté pour reposer, tu as dormi comme un lion[574] ». Tu es monté dans ta puissance, et dans ta puissance tu as dormi tu as dormi, parce que tu l’as voulu. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Pour moi, j’ai dormi ». Ne suffisait-il pas de dire : « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis levé, parce que le Seigneur est mon appui[575] ? » À quoi bon « pour moi ? » Pesons bien attentivement cette parole : « Pour moi, c’est moi qui me suis endormi ». À eux la colère, la persécution ; mais si je ne l’eusse voulu, je n’eusse jamais dormi. « Pour moi j’ai dormi ». Tout à l’heure donc, on disait d’eux : « Ils seront la proie des renards », et l’on dit maintenant : « Tous ceux qui passaient par le chemin ont pillé votre héritage, il est devenu pour les voisins un objet d’opprobre. Vous avez élevé la main, de ses ennemis, vous avez donné à ses adversaires l’ivresse de la joie ». Voyez les Juifs et voyez l’accomplissement de celte prophétie. « Vous avez détourné le secours de leur glaive ». Ils avaient coutume de combattre en petit nombre, de renverser de grandes armées ; et voilà que « vous avez détourné l’appui de leur glaive, et ne les avez point soutenus dans les combats ». Le voilà donc à bon droit vaincu, à bon droit captif, à bon droit privé du royaume, à bon droit dispersé ! Car il a perdu cette terre pour laquelle il a mis à mort le Sauveur. « Vous avez détourné l’appui de son glaive, et ne l’avez point secouru dans la guerre, vous l’avez délié pour qu’il ne se corrige point ». Qu’est-ce à dire ? Dans tous ces malheurs, rien n’est plus formidable. Quelle que soit la sévérité de Dieu, quelle que soit sa colère, qu’il nous frappe, qu’il nous châtie à son gré, mais du moins qu’il nous lie quand il nous frappe, afin de nous purifier : mais qu’il ne nous délie point afin de nous éloigner de ce qui nous purifie. S’il nous laisse dans la dissolution, il n’a plus à nous purifier, mais bien à nous rejeter. De quoi donc le juif est-il délié, lui qui ne peut se purifier ? de la foi. C’est la foi qui nous donne la vie[576] ; et c’est de la foi qu’il est dit : « Par la foi Dieu purifie leurs cœurs[577] ». Et comme c’est la foi au Christ qui seule nous purifie, en ne croyant point au Christ, ils se sont déliés, mis en dehors de tout ce qui purifie. « Vous l’avez délié de tout ce qui purifie, vous avez jeté son trône à terre » ; et c’est justement que vous l’avez brisé. « Vous avez abrégé les jours de son trône », car ils croyaient devoir régner dans l’éternité. « Vous l’avez couvert de confusion ». Or, tout cela est arrivé aux Juifs, non parce que le Christ leur était refusé, mais simplement différé.
8. Voyons donc si Dieu remplit ses promesses. Après de si grands désastres sur ce peuple, et sur ce royaume, le Prophète craint que l’on n’en vienne à croire que Dieu n’a point accompli ses promesses, et qu’il ne donnera point au Christ cet empire qui n’aura point de fin ; il s’adresse donc au Seigneur, et s’écrie : « Jusques à quand, Seigneur, vous détournerez-vous en ce qui concerne la fin[578] ? » Peut-être n’est-ce point de la fin, mais des Juifs que vous vous détournez ; car l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé[579]. En attendant toutefois : « Votre colère va s’attiser comme une flamme ».
9. « Souvenez-vous quelle est ma substance[580] ». Ceci est le langage de David, qui vivait dans sa chair parmi les Juifs, et dans le Christ par ses espérances : « Souvenez-vous quelle est ma substance ». Car si la Judée tout entière a dû périr, ma substance n’a point péri. C’est de ce peuple qu’est venue la vierge Marie, et par la vierge Marie, la chair du Christ ; et cette chair n’était point une chair de péché, puisqu’elle purifiait du péché. C’est là, dit-il, qu’est ma substance. « Rappelez-vous quelle est ma substance ». Car la racine n’a point péri entièrement : il en viendra un jour, ce fils à qui l’on a fait les promesses, et que les anges préparent par l’entremise d’un médiateur[581]. « Rappelez-vous quelle est ma substance. Car ce n’est pas en vain que vous avez créé tous les enfants des hommes ». Voilà que tous les hommes sont tombés dans la vanité, et cependant ce n’est point pour la vanité que vous les avez créés. Et quand ceux que vous n’avez pas créés en vain tombent ainsi dans la vanité, ne vous êtes-vous donc rien réservé pour les en purifier ? Ce que vous vous êtes réservé pour purifier les hommes de la vanité, ce saint qui est le vôtre, c’est en lui qu’est ma substance. C’est en lui que sont purifiés de leur propre vanité tous ceux que vous n’avez pas créés en vain, eux à qui il est dit : « Enfants des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis ? pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge[582] ? » Peut-être que, devenus soucieux, ils se détourneraient de la vanité ; et, s’en voyant souillés, ils chercheraient à s’en purifier. Venez à leur secours, et rassurez-les. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint[583] ». Il a rendu son saint admirable, et par lui, il a purifié les hommes de leur vanité. C’est là qu’est ma substance, dit le Prophète, souvenez-vous de lui. « Ce n’est donc pas en vain que vous avez établi les enfants des hommes ». Vous avez conservé de quoi les purifier. Quel est celui que vous avez conservé ? « Quel est l’homme qui vivra sans voir la mort[584] ? » Donc cet homme qui vivra, et qui ne verra pas la mort, c’est lui qui nous purifie de la vanité. Car ce n’est pas inutilement que Dieu a établi les enfants des hommes ; et celui qui les a faits ne saurait les mépriser au point de ne pas les convertir en les guérissant.
10. « Quel est l’homme qui vivra, et ne verra point la mort ? » Car, en se levant d’entre les morts, il ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur lui[585]. Enfin, comme il est écrit dans un autre psaume : « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer, et vous n’abandonnerez point votre saint à la corruption[586] » voilà que les Apôtres s’emparent de ce témoignage, pour s’en servir dans les actes contre les infidèles, en disant : « Mes frères, nous savons que le patriarche David est mort, et que sa chair a éprouvé la corruption ». Ce n’est donc point de lui qu’il est dit : « Vous n’abandonnerez point votre saint à la corruption[587] ». Si donc cette parole ne le concerne point, de quel homme est-il dit : « Quel est l’homme qui vivra et ne verra point la mort ? » Peut-être n’y a-t-il personne. Cette parole, au contraire, « quel est l’homme », n’est que pour vous le faire chercher, et non pour faire désespérer d’en trouver un. Mais peut-être est-il un homme « qui vivra, et ne verra point la mort » ; et toutefois cela ne s’applique point au Christ, qui est mort. Il est certain, au contraire, que « nul homme ne vivra sans voir la mort », sinon celui qui est mort pour les mortels. Et afin de voir que cette parole s’applique à lui, vois la suite : « Quel homme vivra sans voir la mort ? » Jamais donc il n’a vu la mort ? Il l’a vue. Comment donc vivra-t-il sans voir la mort ? Il délivrera son âme de la puissance de l’enfer. C’est vraiment lui seul, et seul sans exception, qui « vivra et ne verra point la mort, qui délivrera son âme de la puissance de l’enfer » ; car si tous les fidèles se lèvent d’entre les morts, s’ils vivent aussi dans l’éternité et ne voient plus la mort ; ils ne peuvent toutefois délivrer leurs âmes de la puissance de l’enfer. Celui-là qui délivre son âme des puissances de l’enfer, en délivre aussi les âmes de ses fidèles, car ils ne peuvent se délivrer eux-mêmes. Montrez, diras-tu, qu’il a délivré son âme. « J’ai le pouvoir », dit-il, « de donner mon âme et aussi le pouvoir de la reprendre ; nul ne peut me l’ôter, car c’est moi qui ai dormi[588], « c’est donc moi qui donne ma vie, et moi qui la reprends[589] » ; ainsi c’est lui qui a délivré son âme de la puissance de l’enfer.
11. Cette foi en Jésus-Christ, néanmoins, a subi de longues persécutions, et longtemps les nations ont dit : « Quand mourra-t-il, quand son nom périra-t-il[590] ? » C’est donc pour ceux qui croiront en Jésus-Christ, mais qui doivent souffrir pendant quelque temps, que le psaume a dit : « Où sont, ô mon Dieu, vos anciennes miséricordes[591] ? » Déjà nous savons que le Christ nous purifie, nous possédons celui en qui vous accomplissez vos promesses : donnez-nous en lui ce que vous avez promis. C’est lui qui vivra et ne verra point la mort ; lui qui a délivré son âme des puissances de l’enfer ; et pourtant nous sommes encore dans la douleur. Ainsi disaient les martyrs dont nous célébrons la fête. Il vivra, il ne verra point la mort, il a délivré son âme des puissances de l’enfer ; et néanmoins on nous égorge à cause de vous ; tout le jour, nous ressemblons aux brebis qu’on destine à la boucherie[592]. « Où sont donc vos antiques miséricordes, ô mon Dieu, celles que vous avez jurées à David par votre vérité ? »
12. « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs[593] ». À peine le Christ était-il ressuscité, à peine était-il assis à la droite de Dieu son Père, qu’on jetait l’opprobre à la face des chrétiens : on leur fit longtemps un crime du nom même du Christ. Cette veuve qui enfante, et qui a des enfants plus nombreux que celle qui a un Époux[594], a entendu des paroles d’ignominie, des paroles d’opprobre. Mais dès que l’Église se multiplie, qu’elle s’étend à droite et à gauche, elle ne se souvient plus de l’ignominie de son veuvage. « Souvenez-vous, Seigneur », vous dans le souvenir duquel on goûte une abondance de douceur ; « Souvenez-vous », n’oubliez point. De quoi vous souviendrez-vous ? « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs, de cet opprobre que je cache dans mon sein, et qui leur vient de tant de nations ». J’allais prêcher votre saint nom, et je recueillais des opprobres, et je les cachais en mon sein, afin d’accomplir cette parole : « On nous jette le blasphème et nous prions, nous sommes devenus les rebuts du monde, la balayure de tous[595] ». Longtemps les chrétiens cachèrent ces opprobres dans leur sein, dans leurs cœurs ; ils n’osaient répondre aux injures : auparavant c’était un crime de répondre à un païen, et aujourd’hui c’est un crime de demeurer dans le paganisme. Grâces au Seigneur, qui s’est souvenu de nos opprobres ; il a élevé la puissance de son Christ, et l’a signalé à l’admiration des rois de la terre. Nul aujourd’hui n’insulte aux chrétiens ; ou si quelqu’un leur insulte, ce n’est point en public : et en le faisant, il craint plus qu’on ne l’entende, qu’il ne désire qu’on le croie. « Opprobre qui vient de tant de nations, et que je cache en mon sein ».
13. « Vos ennemis nous ont fait un reproche, ô mon Dieu[596] ». Juifs et païens « nous ont fait un reproche » ; qu’ont-ils reproché ? « Le changement de votre Christ ». Oui, « le changement de votre Christ », voilà ce qu’ils nous ont reproché. Ils nous ont objecté que votre Christ est mort, que votre Christ a été crucifié. Insensés, que nous objectez-vous ? Aujourd’hui, il est vrai, nul ne fait cette objection, et pourtant s’il en restait quelques-uns, pourquoi nous objecter que le Christ est mort ? Ce n’était point une mort, ce n’était qu’un changement, ce n’était que trois jours de mort. Voilà ce que vous ont reproché vos ennemis ; ce n’était ni la mort, ni l’anéantissement, mais bien « le changement de votre Christ ». Il a changé une vie temporelle en une vie sans fin ; il a changé, en passant des Juifs aux Gentils ; il a changé la terre pour le ciel. Que vos ennemis s’en viennent donc vous reprocher sans raison « le changement de votre Christ ». Puissent-ils changer eux-mêmes ! ils ne nous reprocheraient plus le changement de votre Christ. Mais ce changement leur déplaît, parce qu’ils ne veulent point changer eux-mêmes. Car il n’y a point de changement pour eux, et ils n’ont aucune crainte du Seigneur[597]. « Vos ennemis, ô Dieu, vous ont reproché le changement de votre Christ ».
14. Ils vous ont donc reproché ce changement : mais vous, Seigneur ? « Que le Seigneur soit béni éternellement, qu’il en soit ainsi ! qu’il en soit ainsi[598] ! » Rendons grâces à sa miséricorde, grâces à sa grâce. Pour nous, en rendant grâces à Dieu, nous ne lui donnons rien, nous ne lui rendons rien, nous ne rapportons rien, nous ne payons rien, nous lui rendons grâces en paroles, nous retenons en effet sa grâce. C’est lui qui nous a sauvés gratuitement, sans considérer nos impiétés ; lui qui nous a cherchés quand nous ne le cherchions pas, qui nous a trouvés, qui nous a rachetés, qui nous a délivrés du joug du diable, et de l’esclavage des démons : il nous a liés afin de nous purifier par la foi, tandis qu’il a délié ces ennemis, qui ne croient point, et dès lors ne peuvent arriver à se purifier. Que ceux qui demeurent encore éloignés disent chaque jour ce qu’ils voudront, leur nombre ne diminuera pas moins chaque jour : qu’ils se répandent en injures, en raillerie, qu’ils nous reprochent, non la mort, mais « les changements du Christ ». Ne voient-ils pas qu’en parlant ainsi, ils diminuent soit en embrassant la foi, soit en mourant ? Leur malédiction n’aura donc qu’un temps, mais « le Seigneur sera béni dans l’éternité ». Et pour confirmer cette bénédiction, et bannir toute crainte, le Prophète ajoute : « Ainsi-soit-il ! Ainsi-soit-il ! » Cette fin est comme le sceau de Dieu. Pleins de sécurité sur ses promesses, croyons le passé, connaissons le présent, voyons à l’avenir Que l’ennemi ne nous détourne point de la véritable voie, afin que celui qui nous rassemble sous ses ailes, comme une poule rassemble ses poussins, nous réchauffe, que nous ne sortions point de dessous ses ailes, et que l’épervier ne nous enlève point comme des poussins sans plumes encore. Un chrétien ne doit point placer sa confiance en lui-même : s’il veut se fortifier, qu’il grandisse par la chaleur de sa mère. Elle est pour lui cette poule qui rassemble ses poussins, et dont Jérusalem, cette ville infidèle, essuyait les reproches : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ? Voilà que vos maisons seront désertes[599] ». Aussi est-il dit : « Vous avez fait de ses remparts un objet d’effroi ». Comme donc les Juifs n’ont pas voulu se mettre à couvert sous les ailes de cette poule, et que leur exemple a dû nous faire craindre ces esprits impurs qui volent autour de nous, cherchant ce qu’ils pourront enlever ; entrons sous les ailes de cette poule, de cette Sagesse divine qui a voulu subir la mort pour ses poussins. Aimons le Seigneur notre Dieu, aimons son Église : Lui comme un père, Elle comme une mère ; Lui comme un maître, Elle comme sa servante, puisque nous sommes les enfants de sa servante. Mais le lien de ce mariage est une grande charité. Nul ne peut offenser l’un et bien mériter de l’autre. Que nul ne dise : Je vais aux idoles, je consulte les augures et les sortilèges, mais je n’abandonne point pour cela l’Église ; je suis catholique. Tu tiens à ta mère, il est vrai, mais en offensant ton Père. Un autre viendra me dire : Loin de moi de consulter les sorts, de rechercher les devins, de recourir à des pratiques sacrilèges, d’aller adorer les démons, de me prosterner devant des pierres : mais je suis de la secte de Donat. De quoi te sert-il de n’offenser point un père qui vengera l’outrage que tu fais à ta mère ? À quoi bon confesser le Seigneur, honorer Dieu, le prêcher, reconnaître son Fils, proclamer qu’il est assis à la droite de son Père, et blasphémer son Église ? Ce que tu vois chaque jour dans les mariages humains, ne te corrigera-t-il point ? Si tu avais un patron à qui tu allasses chaque jour rendre hommage, dont tu ne franchisses le seuil que pour te mettre à son service, pour qui tu eusses, non seulement des hommages, mais des adorations, lui rendant fidèlement toutes sortes de bons offices ; remettrais-tu le pied dans sa maison après avoir proféré contre son Épouse une parole blessante ? Tenez donc, mes très chers frères, tenez fermes et dans l’esprit d’union, Dieu pour votre père, et la sainte Église pour votre mère. Célébrez dans une sage sobriété les fêtes des saints martyrs, afin que nous imitions ceux qui nous ont précédés, et qu’eux-mêmes s’applaudissent de vous en priant pour vous : afin que « la bénédiction du Seigneur demeure éternellement sur vous : ainsi soit-il, ainsi soit-il ! »

DISCOURS SUR LE PSAUME 89[modifier]

LES FIGURES DE L’ANCIEN TESTAMENT.[modifier]

Moïse n’est pas l’auteur du psaume, comme le titre semble le dire ; son nom est emprunté pour montrer que sa législation renfermait des figures de ce qu’annonce ici le Psalmiste. Dieu est avant les montagnes ou les anges, avant la terre ou l’homme ; en lui il n’y a que le présent, il est ; et c’est son éternité qui est notre refuge contre la mobilité du temps. Qu’il nous soutienne donc. Pour Dieu mille années ne sont qu’un seul jour, de là cette assertion ridicule que la durée du monde sera de six mille ans à cause des six jours, mais en Dieu il n’y a pas de jours ; Dieu donc demeure, et les biens du temps ne sont rien devant lui. Notre vie d’ailleurs est bornée à soixante-dix années, pour la plupart, à quatre-vingts pour les plus robustes ; or, soixante-dix et quatre-vingts nous donnent cent cinquante, et nous y trouvons quinze nombres sacrés, d’où les quinze cantiques des degrés. Le nombre soixante-dix marquerait alors les promesses de l’Ancien Testament, et quatre-vingts les promesses du Nouveau. Le surplus est fatigue, c’est-à-dire qu’il est dangereux d’aller au-delà des promesses de la foi ; elle Seigneur dans sa mansuétude nous corrige pour nous sauver. Nous épargner, et nous laisser dans une vaine félicité, c’est souvent un effet de sa colère. Qu’il nous fasse connaître son Christ, en nous montrant que les biens terrestres ne sont rien, que les biens éternels seuls sont désirables ; qu’il frappe de la gauche pour nous amener à la droite, que nos pieds soient retenus par la sagesse, et que nous rendions témoignage contre la vanité des biens d’ici-bas. Que Dieu donc se laisse fléchir, qu’il nous éclaire un jour de la lumière de sa foi comme il éclairait le peuple ancien par la prophétie ; qu’il dirige nos œuvres, afin qu’elles soient dignes de lui.


1. « Prière de Moïse, l’homme de Dieu[600] » tel est, mes frères, le titre du psaume ; c’est par cet homme de sa droite, que Dieu donna la foi à son peuple, par ce même homme qu’il l’a délivré de la maison de servitude, pour le conduire pendant quarante ans à travers le désert. Moïse fut donc tout à la fois le ministre de l’Ancien Testament et le Prophète du Nouveau Testament. « Car tout leur arrivait en figure », comme l’a dit l’Apôtre : « et tout cela est écrit pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps[601] ». Il faut donc envisager ce psaume dans le sens de cette législation de Moïse, qui lui a donné son titre.
2. « Seigneur », dit-il, « vous êtes pour « nous un refuge de génération en génération[602] » : soit dans toute génération, soit dans deux générations, l’antique et la nouvelle ; comme nous l’avons dit en effet, Moïse fut le ministre de l’Ancien Testament, qui appartenait à l’ancienne génération, et le Prophète du Nouveau Testament qui concernait la génération nouvelle. Aussi Jésus-Christ, qui a garanti l’Ancien Testament, qui a contracté l’alliance nouvelle avec la nouvelle génération, et qui en est devenu l’Époux, disait-il : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez ci aussi, car c’est de moi qu’il a écrit[603] ». Sans doute, il ne faut point croire que ce psaume ait été écrit par Moïse, puisqu’il n’est écrit dans aucun des livres qui renferment ses cantiques ; mais on a emprunté le nom d’un aussi grand serviteur de Dieu, pour élever jusqu’à Dieu l’attention du lecteur ou de l’auditeur. « Pour nous donc, ô mon Dieu, vous êtes un refuge de génération en génération ».
3. Le Prophète nous montre au verset suivant quel refuge a été pour nous le Seigneur, qui auparavant n’était point pour nous un refuge, bien qu’il existât. « Vous êtes », lui dit le Prophète, « bien avant que soient les montagnes, avant la création de la terre et du monde ; vous êtes de l’éternité à l’éternité[604] » Vous donc qui êtes et avant que nous soyons et avant que le monde soit, vont êtes devenu notre refuge, depuis que nous nous sommes tournés vers vous. Toutefois, je ne crois point que l’on doive entendre d’une manière telle quelle, ce que dit le Prophète : « Avant que se dressent les montagnes, et avant que la terre soit créée », ou blet comme on lit en d’autres exemplaires : « Avant que la terre ait une figure ». Car les montagnes sont les parties les plus élevées de la terre. Et assurément, si Dieu existe avant que la terre soit créée, lui qui est le Créateur, pourquoi parler spécialement des montagnes, ou des autres parties de la terre, puisque Dieu existe non seulement avant la terre, mais avant le ciel et la terre, et avant toute créature matérielle ou spirituelle ? Mais peut-être a-t-on voulu par cette distinction mettre une différence entre les créatures raisonnables, et appeler montagnes les anges, et terre les hommes qui sont moins élevés. Aussi, bien que tout soit créé, et que les expressions formé ou fait se puissent employer indistinctement : s’il y a pourtant quelque différence entre ces deux mots, les anges auraient été faits, puisqu’ils sont classés dans les œuvres du ciel, et que le dénombrement se termine ainsi : « Il dit, et tout fût fait : il commanda et tout fut créé[605] ». Mais une forme fut donnée à la terre afin qu’en fût tiré le corps de l’homme. Telle est en effet l’expression dont se sert l’Écriture : « Dieu figura ou forma l’homme du limon de la terre[606] ». Ainsi donc, ô mon Dieu, vous êtes, et avant que tout ce qu’il y a de grand et de relevé fût fait : qu’y a-t-il en effet de plus grand qu’une créature céleste et raisonnable ? et avant que la terre fût formée, de manière qu’il y eût sur la terre quelqu’un qui pût vous connaître et vous louer ; c’est peu encore, car tout a commencé, soit dans le temps, soit avec le temps, mais « vous êtes depuis le siècle jusqu’au siècle », ou mieux, de l’éternité à l’éternité. Car Dieu n’est pas depuis le siècle, lui qui est avant tous les siècles ; ni jusqu’au siècle qui est borné, tandis que Dieu n’a pas de bornes. Mais à cause de l’ambiguïté de l’expression grecque, il arrive souvent que dans les Écritures la traduction latine mette le siècle pour l’éternité, et l’éternité pour le siècle. Elle a raison de ne point dire : Vous avez été depuis le siècle, et vous serez jusqu’au siècle : mais elle a employé le temps présent, pour nous exprimer en Dieu une substance immuable, et dans lui il n’y a ni fut ni sera, mais seulement : est. Aussi est-il dit : « Je suis Celui qui suis » ; et : « Celui qui est, m’a envoyé vers vous[607] » ; et encore : « Vous les changerez, et ils seront changés, mais vous êtes le même, et vos années ne passeront point[608] ». Telle est l’éternité qui est devenue pour nous an refuge, afin que nous ayons recours à elle dans cette mobilité du temps et que nous y demeurions à jamais.
4. Mais parce que durant notre séjour ici-bas nous sommes environnés de tentations nombreuses et dangereuses, et que nous avons à redouter qu’elles ne nous éloignent de ce refuge, voyons ce que l’homme de Dieu lui demande ensuite dans sa prière. « Ne jetez pas l’homme dans la bassesse[609] ». C’est-à-dire, qu’il ne se détourne pas de vos biens sublimes et éternels que sous lui promettez, pour désirer les biens temporels et céder à des goûts terrestres. Dès lors il demande à Dieu ce que Dieu veut qu’on lui demande. Car c’est ainsi que nous disons dans notre prière : « Ne nous induisez point dans la tentation[610] » Enfin il ajoute : « Et vous avez dit : Convertissez-vous, enfants des hommes ». Comme s’il disait : Je vous demande ce que vous avez ordonné : il rend gloire à sa grâce, « afin que tout homme qui se glorifie se glorifie en Dieu[611] », sans le secours duquel nous ne pouvons par le seul arbitre de notre volonté surmonter les tentations de cette vie. « Ne poussez pas l’homme dans la bassesse », dit le Prophète, et pourtant vous avez dit, Seigneur : « Convertissez-vous, enfants des hommes ». Mais donnez-nous ce que vous avez commandé, en écoutant ma prière, et en soutenant la foi de celui qui veut agir.
5. « Mille ans devant vos yeux, en effet, sont comme le jour d’hier qui s’est écoulé[612] ». Il faut donc nous détourner de tout ce qui passe et qui s’écoule, pour nous tourner vers votre asile, où vous êtes saros aucun changement ; quelque longue en effet que l’on souhaite une vie : « Mille ans devant vos yeux sont comme le jour d’hier, qui s’est écoulé » ; pas même commue le jour de demain qui est à venir tant il est vrai que l’on doit regarder comme écoulé ce qui finit avec le temps ! De là vient pour tout cela le mépris de saint Paul qui oubliait tout ce qui est en arrière, c’est-à-dire les choses temporelles, pour s’élancer vers l’avertir[613], ou vers les choses de l’éternité. Et de peur qu’on ne vienne à s’imaginer que mille années sont en Dieu comptées pour un jour, comme si Dieu avait des jours si longs, tandis qu’il n’y a dans cette expression qu’un mépris du temps, quelque prolongé qu’il soit, le Psalmiste ajoute : « Et comme une veille pendant la nuit ». Or, une veille ne se prolonge pas au-delà de trois heures. Et toutefois les hommes ont osé se promettre la science des temps, et le Seigneur répondait à un tel désir de ses disciples : « Ce n’est point à vous de connaître les temps que le Père a mis en sa puissance[614] » ; ils ont même osé décider que le monde pourrait finir dans l’espace de six mille ans, qui seraient comme six jours. Ils n’ont pas remarqué ce mot du Prophète : « Comme un jour qui est écoulé ». Quand il parlait ainsi, en effet, il ne s’était pas écoulé un millier d’années seulement : et cette autre parole qu’il ajoutait, « comme une veille pendant la nuit », aurait dû les avertir de ne point se laisser égarer dans cette incertitude au sujet du temps. S’ils peuvent en effet donner une certaine vraisemblance à leurs six jours, à cause des six jours que Dieu mit à faire tous ses ouvrages[615], ils ne peuvent pas adapter à leur système six veilles, c’est-à-dire, dix-huit heures.
6. Ensuite, cet homme de Dieu, ou plutôt l’esprit prophétique, semble en quelque sorte réciter une loi de Dieu écrite dans les secrets de sa sagesse, laquelle a prescrit à la vie pécheresse des hommes la manière dont elle s’écoulerait et la peine de la mort, quand il s’écrie : « Leurs années ressembleront à ce que l’on compte pour rien. Au matin leur vie passera comme l’herbe ; elle fleurira et passera ; au soir elle tombera, s’endurcira, se desséchera[616] ». Cette félicité donc qu’attendaient comme un grand bien du Dieu qu’ils servaient les héritiers de l’Ancien Testament, a mérité cette loi écrite dans les secrets de sa Providence, et que semble ici réciter Moïse : « Ils auront pour années ce que l’on compte pour rien ». Car on doit compter pour rien ce qui n’est rien, avant qu’il arrive, et qui à peine arrivé ne sera plus ; qui même arrive, non pas tant pour être que pour n’être plus. « Au matin », c’est-à-dire tout d’abord, « elle passera comme l’herbe, au matin elle fleurira et passera : au soir », c’est-à-dire ensuite, « elle tombera, s’endurcira, et se desséchera ». « Elle tombera », en mourant, « s’endurcira », en devenant un cadavre, « se desséchera » dans la poussière. Qui, sinon notre chair, où siège cette convoitise charnelle, que Dieu a condamnée ? Car toute chair est une herbe, et toute la gloire d’un homme n’est que la fleur de l’herbe. L’herbe s’est desséchée, la fleur est tombée : mais la parole de Dieu demeure éternellement[617].
7. Sans dissimuler que c’est du péché que nous vient cette peine, le Prophète ajoute aussitôt : « Car votre colère nous a consumés, et votre indignation nous a troublés[618] ». « Consumés » par la langueur, « troublés » parla crainte de la mort. Nous sommes faibles en effet, et nous redoutons de sortir de notre faiblesse. « Un autre te ceindra », dit le Sauveur, « et te conduira où tu ne voudras point[619] » ; quoique le martyre doive être pour toi, non point un châtiment, mais un triomphe. Et l’âme du Sauveur, à son tour, afin de nous personnifier en elle, était triste jusqu’à la mort[620] : car le Seigneur lui-même n’est sorti de ce monde que par la mort.
8. « Vous avez mis nos iniquités sous vos yeux » ; c’est-à-dire, vous ne les avez point dissimulées. « Et notre vie à la splendeur de votre visage[621] ». Sous-entendez : « Vous avez placé ». Ici « la splendeur de votre visage », est une répétition de « sous vos yeux », et « notre vie », une répétition de « nos iniquités ».
9. « Car tous nos jours se sont écoulés, et nous avons défailli dans votre colère[622] ». Ce verset nous montre assez que notre mortalité est une peine. Le Prophète dit que ses jours se sont écoulés, soit que les hommes se consument à aimer ce qui passe, ou qu’ils soient réduits à peu de jours, ce qu’il paraît exprimer dans les versets suivants : « Nos années s’épuisent comme l’araignée, nos jours sont bornés à soixante et dix ans, à quatre-vingts ans dans les plus forts, et au-delà ce n’est que misère et douleur[623] ». Ces paroles semblent exprimer la brièveté et la misère de cette vie, où l’on appelle avancés en âge ceux qui ont vécu septante années. D’autres paraissent conserver leurs forces jusqu’à quatre-vingts ans ; mais vivre au-delà, c’est vivre dans la douleur et un surcroît de travail. La plupart, à soixante et dix ans, n’ont plus qu’une vieillesse cassée et pleine de misères, et souvent toutefois on a vu des vieillards conserver leur vigueur au-delà de quatre-vingts ans. Il est donc mieux de donner à ces nombres un sens spirituel. Car ce n’est point un effet de la colère de Dieu sur les enfants d’Adam, ce seul homme par qui la mort est entrée dans le monde, et avec la mort le péché, qui a ainsi passé dans tous les hommes[624] ; non ce n’est point parce qu’il est plus irrité, qu’ils vivent moins longtemps que leurs ancêtres puisque le Prophète vient de rire de cette longue vie en la comparant au jour d’hier qui est passé, et à l’espace de trois heures. Au surplus leur vie était longue, quand ils irritèrent le Seigneur jusqu’à être engloutis par le déluge.
10. Or, septante et quatre-vingts ans font cent cinquante ans : et ce livre des psaumes nous montre que c’est un nombre sacré. Car il a la même signification que le nombre quinze, qui est formé de sept et de huit réunis ; or, le premier, à cause du sabbat au septième jour, figure l’Ancien Testament tandis que le second figure le Nouveau Testament, à cause de la résurrection du Seigneur. De là ces quinze degrés du temple, et de là encore dans les psaumes ces quinze cantiques des degrés, de là ces quinze coudées dont l’eau du déluge surpassa les plus hautes montagnes[625], et en plusieurs autres endroits on peut voir que ce nombre est sacré. « Nos années donc s’épuisaient comme l’araignée ». Nous n’étions occupés que de travaux futiles, nous ne tissions que des ouvrages périssables, qui ne pouvaient nous couvrir, dit le prophète Isaïe[626]. « Le cours de nos années en elles-mêmes est de septante ans, et pour les plus robustes, de quatre-vingts ». Or, « en elles-mêmes », est différent de « chez les robustes ». « En elles-mêmes », signifie dans ces jours ou dans ces années, ce qui nous offre un sens spirituel : aussi le nombre septante marque les choses temporelles promises dans l’Ancien Testament. S’il s’agit, non plus des années, mais des hommes robustes, c’est-à-dire non plus des choses temporelles, mais des choses éternelles, nous avons quatre-vingts, parce que le Nouveau Testament nous donne l’espérance d’un renouvellement et d’une résurrection pour l’éternité : « et le surplus est fatigue et douleur » ; c’est-à-dire, quiconque veut aller au-delà de cette foi, et cherche quelque chose de plus, ne trouvera que fatigue et misères. On peut encore comprendre ainsi : bien que nous soyons établis dans la nouvelle alliance, désignée par le nombre quatre-vingt, notre vie a de plus le labeur et la misère, puisque nous gémissons en nous-mêmes, attendant notre adoption et la rédemption de notre corps. Nous sommes en effet sauvés par l’espérance, et ce que nous ne voyons pas encore, nous t’attendons avec patience[627]. Et c’est là un effet de la divine miséricorde ; de là vient que le Prophète nous dit ensuite : « Mais enfin survient la mansuétude, et nous serons châtiés ». Or, le Seigneur châtie celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il corrige celui qu’il aime[628] ; il donne quelquefois aux plus parfaits l’aiguillon de la chair, qui les soufflette, afin qu’ils ne s’élèvent point à cause de la grandeur de leurs révélations, et que leur vertu se perfectionne dans la faiblesse[629]. Dans quelques exemplaires on lit, non point, « nous serons corrigés » ; mais, « nous serons instruits » : ce qui se rapporte néanmoins à la mansuétude. Car nul ne peut s’instruire que par le labeur et la fatigue, parce que la vertu se perfectionne dans la faiblesse,
11. « Qui connaît la puissance de votre colère, et quelle terreur pourra mesurer votre courroux[630] ? » Peu d’hommes, dit le Prophète, peuvent connaître votre colère pour le plus grand nombre, en effet, les épargner est un effet de votre colère ; c’est à votre bonté plutôt qu’à votre colère qu’il faut attribuer cette peine, ce labeur, au moyen desquels vous châtiez ceux que vous aimez, afin de leur épargner les flammes éternelles. C’est ainsi qu’on lit dans un autre psaume, que ci le pécheur a irrité le Seigneur, qui, dans « l’excès de sa colère, ne prendra plus soin de lui[631]. Qui donc connaît votre colère, c’est-à-dire, combien en est-il, et dans sa terreur, mesurer votre indignation ? » Ici on sous-entend, qui saura. Combien il est difficile de trouver un homme qui, dans sa frayeur, sache mesurer votre indignation, de manière à comprendre que c’est l’homme contre lequel vous êtes le plus irrité, que vous semblez épargner, afin que le pécheur soit heureux dans ses voies, et soit plus châtié au dernier jour ? Qu’un homme, dans sa fureur, ait tué le corps, il ne saurait aller plus loin ; mais Dieu a le pouvoir de nous châtier ici-bas et, après la mort du corps, de nous jeter dans les flammes[632]. Or, peu d’hommes sont assez instruits pour comprendre que l’effet de sa plus grande colère est cette vaine et séduisante félicité des méchants. Il ne le serait point celui dont les pieds faillirent être ébranlés, parce qu’ il avait porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent ; mais il l’apprit, lorsqu’il entra dans le sanctuaire de Dieu, pour considérer quelle serait leur fin[633]. Il en est peu pour aller jusque-là, afin de mesurer dans leur effroi la colère de Dieu, et de mettre au nombre des châtiments cette prospérité des méchants sur la terre.
12. « Faites ainsi connaître votre droite ». Voilà ce que portent surtout les exemplaires grecs ; non plus comme dans plusieurs exemplaires latins : « Faites-moi connaître votre droite ». Qu’est-ce à dire : « Faites ainsi connaître votre droite » ; si ce n’est votre Christ dont il est dit : « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré[634] ? » Faites-le connaître de telle sorte que ses fidèles apprennent en lui à vous demander et à espérer de vous ces récompenses de la foi, qui n’apparaissent point dans l’Ancien Testament, mais qui sont révélées dans le Nouveau ; de telle sorte qu’ils ne s’imaginent point qu’il y a quelque chose de grand, d’estimable ou de désirable dans cette félicité que Procurent les biens terrestres, et que leurs pieds ne soient point ébranlés, quand ils verront que ceux qui ne vous adorent point en jouissent ; de telle sorte que leurs pieds ne soient point chancelants, puisqu’ils ne peuvent mesurer votre colère. Enfin, selon la prière de son serviteur, Dieu a fait connaître son Christ de manière à montrer par sa passion que les biens qu’il nous faut désirer, ne sont point ceux qui paraissent avec éclat dans l’Ancien Testament, où sont les ombres de l’avenir, mais bien les richesses éternelles. On peut encore entendre la droite de Dieu dans le sens de la séparation des justes et des impies, car elle se fait heureusement connaître alors que Dieu châtie tout homme qu’il reçoit parmi ses enfants[635], et qu’il ne permet point par un effet de sa colère, qu’il demeure plus longtemps dans le péché, mais que dans sa bonté il le frappe de la gauche pour l’amener à sa droite en le corrigeant[636]. Et cette phrase qu’on lit dans plusieurs exemplaires : « Faites-moi connaître votre droite », peut s’entendre dans les deux sens, ou du Christ, ou de l’éternelle félicité. Car en Dieu il n’y a point de droite, comme s’il y avait une forme corporelle, non plus qu’une colère agitée de troubles.
13. Ici le Prophète ajoute : « Et des hommes dont le cœur est lié parla sagesse » ; nous lisons dans d’autres versions, non plus « liés », mais « instruits ». Car le mot grec peut être pris dans les deux significations, à cause de la légère différence d’une seule syllabe. Mais puisque ceux qui sont instruits par la Sagesse, « jettent leurs pieds dans ses chaînes », ainsi qu’il est écrit[637], non le pied du corps, mais bien le pied du cœur, et que retentit dans ses liens d’or, ils ne se détournent point de la voie de Dieu, et ne le fuient point : on peut prendre l’un ou l’autre sens, et demeurer dans la vérité. Dieu a rendu célèbres dans le Nouveau Testament ceux dont le cœur est garrotté ou instruit par la Sagesse. Aussi sait-on qu’ils ont tout abandonné pour embrasser une foi que Juifs et Gentils repoussaient avec une égale impiété, et qu’ils ont enduré la privation de tous ces biens promis dans l’Ancien Testament, et qui paraissent considérables à ceux qui jugent selon la chair.
14. Or, comme ils se faisaient connaître par leur mépris pour ces biens, et par le témoignage que rendaient leurs souffrances aux biens éternels, seuls désirables, témoignage qui leur a valu le nom de témoins, en grec martyrs, ils ont dû endurer dans le temps de nombreuses et d’atroces persécutions voilà ce que voyait l’homme de Dieu, ou mieux l’esprit prophétique figuré par le nom de Moïse, et qui dit : « Revenez-nous, Seigneur ; jusques à quand ? et laissez-vous fléchir par vos serviteurs[638] ». Telle est la prière que font ou que l’on fait pour ceux qui ont beaucoup à souffrir des grandes persécutions du monde, qui montrent que leur cœur est enchaîné par la sagesse, de sorte que tant de maux ne les détournent point de Dieu, pour courir après les biens de ce monde. Or, selon ce qui est écrit ailleurs ci Jusques à quand votre visage se détournera-t-il de moi[639] ? » il est dit ici : « Revenez-nous, Seigneur ; jusques à quand ? » Et afin que les hommes trop charnels, qui donnent à Dieu la forme d’un corps humain, sachent bien que ce n’est point par des mouvements semblables aux nôtres que Dieu détourne ou retourne sa face qu’ils voient dans le même psaume les versets qui précèdent : « Vous avez mis nos iniquités devant vos yeux, et notre vie à la lumière de votre face ». Comment dit-il ici : « Tournez-vous vers nous », pour le rendre favorable, comme si sa colère l’en avait détourné, puisqu’il nous le montre dans une irritation telle, qu’il ne détourne point son visage des iniquités et de la vie de ceux contre lesquels il est irrité, mais qu’il les met plutôt en sa présence et à la lumière de sa face ? Mais cette parole, « jusques à quand », est la prière d’un juste, et non d’un impatient qui s’irrite. Quant à cette expression : Deprecabilis esto, laissez-vous fléchir, quelques-uns l’ont traduite mot pour mot, deprecare; mais avec deprecabilis esto, on évite l’ambiguïté, car deprecari est un verbe à double sens, puisque deprecatur désigne celui qui prie, et celui que l’on invoque : on dit deprecor te, je te supplie, et deprecor a te je suis supplié par toi.
15. Quant aux biens à venir, le Prophète les prévenant par l’espérance, et les regardant comme présents : « Nous sommes comblés au matin de votre miséricorde[640] », s’écrie-t-il. C’est donc au milieu des travaux et des misères de cette nuit, que le flambeau de la prophétie est allumé pour nous, comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour paraisse, et que l’étoile du matin se lève pour nous[641]. Bienheureux en effet les cœurs purs, car ils verront Dieu[642]. Alors les justes seront comblés de ce bien dont ils ont faim et soif, quand, marchant par la foi, ils sont éloignés du Seigneur[643]. De là cette autre parole : « Votre face me comblera de joie[644] ». Au matin donc, ils verront et ils contempleront[645]. Et comme l’ont dit d’autres traducteurs : « Nous sommes rassasiés au matin de votre miséricorde[646] », c’est alors qu’ils seront rassasiés. Ainsi est-il dit ailleurs : « Je serai rassasié à quand se manifestera votre gloire ». De là ce mot de l’Évangile : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Et le Seigneur a dit lui-même : « Je me manifesterai à lui[647] ». Jusqu’à ce que ce bien se réalise, aucun bien ne nous suffit, et ne doit nous suffire, de peur qu’il ne s’arrête en chemin, ce désir que nous devons toujours pousser en avant tant qu’il n’est pas au but. « Nous sommes remplis de notre miséricorde : nous avons tressailli, mous avons été plein de joie tous les jours de notre vie ». Ce jour est un jour sans fin, et tous ces jours font un même jour : de là vient qu’ils rassasient. Ils ne cèlent point la place à leurs successeurs, car il n’y a rien là qui doive y venir, comme s’il n’y était pas, ou qui n’y soit plus parce qu’il est passé. Tous ces jours sont ensemble, parce qu’ils ne font qu’un seul jour qui demeure et ne passe point : c’est l’éternité. Tels sont les jours dont il est dit : « Quel est l’homme qui veut la vie, et qui désire de voir les jours de bonheur[648] ? » Ces jours sont appelés des années, quand le Psalmiste dit à Dieu : « Pour vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne déclinent point[649] ». Car ce ne sont point des années que l’on compte pour rien, ou des jours qui déclinent comme l’ombre[650]. Ce sont des jours qui subsistent, et dont voulait connaître le nombre, celui qui disait : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin », où j’arriverai pour y demeurer, où je n’aurai plus rien à désirer, « et le nombre de mes jours qui subsiste[651] », qui est réellement, et non celui qui n’est pas. Ces jours, en effet, dont le Prophète a dit : « Voici que vous avez fait vieillir mes jours[652] », ne sont proprement pas, puisqu’ils ne subsistent point, ne demeurent point et s’écoulent avec tant de rapidité : on ne trouve pas en eux une seule heure dans laquelle nous puissions demeurer, dont une partie ne soit écoulée déjà, dont l’autre ne soit à venir, et dont nulle ne subsiste réellement. Or, ces années et ces jours ne passeront point, nous n’y passerons point nous-mêmes, nous y serons rassasiés sans aucune défaillance. Que le désir de ces jours enflamme donc notre âme, qu’elle en ait une soif ardente, inextinguible, afin que là-haut nous soyons comblés, nous soyons rassasiés, nous disions en réalité ce que nous disons ici par avance : « Au matin nous sommes rassasiés de votre miséricorde, nous avons tressailli, nous nous sommes réjouis dans tous nos jours, la joie nous a fait oublier les jours d’humiliation, les années de nos douleurs[653] »
16. Maintenant que nous sommes encore dans les jours mauvais, disons ce qui suit ci Jetez les yeux sur vos serviteurs et sur vos « œuvres[654] ». Car vos serviteurs sont votre ouvrage, non seulement parce qu’ils sont des hommes, mais aussi parce qu’ils sont vos serviteurs, et qu’ils obéissent à vos préceptes. Car nous sommes non seulement l’œuvre de Dieu en Adam, mais aussi créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions[655]. Car c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, ainsi qu’il lui plaît[656]. « Et redressez leurs enfants » : afin qu’ils aient ce cœur droit que le Seigneur comble de biens. Le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit, et non pour ceux dont les pieds chancellent, parce que Dieu commençait à leur déplaire, lorsqu’ils voyaient la paix des pécheurs, comme si Dieu eût ignoré ces choses, comme s’il n’en eût aucun soin, comme s’il eût négligé de gouverner le genre humain[657].
17. « Et que la splendeur du Seigneur notre Dieu éclate sur nous[658] ». De là vient qu’il est dit : « Seigneur, en nous est marquée la lumière de votre face[659]. Et redressez en nous les ouvrages de vos mains », afin que nous n’agissions point en vue d’une récompense terrestre : car alors nos œuvres seraient tortueuses, et non pas droites. Le psaume finit ici dans plusieurs exemplaires ; mais dans plusieurs autres on lit ce dernier verset : « Et redressez l’œuvre de nos mains ». Les savants dans leur exactitude marquent ce verset d’une étoile appelée astérisque, et dont on se sert pour marquer ce qui est dans l’hébreu et dans les traductions grecques, mais non dans la version des Septante. Si néanmoins nous voulons exposer ce verset, il nous marque, ce semble, que toutes nos bonnes œuvres se réduisent à l’œuvre unique de la charité. Car la charité est le parfait accomplissement de la loi[660]. Après avoir dit, en effet, au verset précédent : « Redressez en nous les ouvrages de nos mains », le Prophète nous dit dans celui-ci « l’œuvre », et non les œuvres, « redressez l’œuvre de nos mains », comme s’il voulait dans ce dernier verset nous montrer que nos œuvres n’en forment qu’une seule, c’est-à-dire les ramener à une seule œuvre. Car nos œuvres sont droites lorsqu’elles sont dirigées vers une fin unique. La fin d’un précepte est la charité qui naît d’un cœur pur, d’une conscience droite et d’une foi sincère[661]. Il n’y a dès lors qu’une seule œuvre qui renferme toutes les autres, c’est la foi qui agit par la charité[662]. De là cette parole du Seigneur dans l’Évangile : « L’œuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé[663] ». Ce psaume a donc exposé clairement et distinctement, et la vie du vieil homme, et la vie de l’homme nouveau ; la vie qui périt, et la vie qui subsiste ; les aminées comptées pour rien, et les jours pleins de miséricorde et d’une joie véritable, c’est-à-dire le châtiment du premier homme et le règne du second ; et je crois que si l’on a mis en titre le nomma de Moïse l’homme de Dieu, c’était pour insinuer à ceux qui sondent les Écritures avec piété et bonne foi, que même la loi de Dieu donnée par le ministère de Moïse, et dans laquelle Dieu semble ne promettre à nos bonnes œuvres d’autre récompense que celle des biens temporels, renferme indubitablement sous ses voiles quelque chose de semblable à ce que nous montre le Prophète. Mais quand chacun de nous sera retourné au Christ, le voile sera ôté[664], et nos yeux seront ouverts, afin que nous considérions ce qu’il y a de merveilleux dans la loi de Dieu, par la lumière de celui à qui nous disons : « Ouvrez mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi[665] ».

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 90

PREMIER SERMON.[modifier]

LES TENTATIONS.[modifier]

Le Christ fut tenté afin de nous laisser l’exemple. Imitons-le, non point dans ses miracles, mais dans sa passion, afin d’entrer par la porte ou par lui-même. Qu’il soit notre refuge dans les persécutions des hommes et dans les attaques invisibles de l’ennemi, dont le pouvoir ne vient que de Dieu. Habiter dans le secours du Seigneur, c’est imiter le Christ de manière à n’être ni séduit ni intimidé par le monde, c’est compter sur lui et non sur nous, sur lui qui nous délivrera des pièges si nous marchons en lui, et de la parole amère ou des insultes des méchants, qui intimident le chrétien prêt à entrer dans la voie plus parfaite. Mais alors, envisageons le Sauveur insulté à la croix ; il nous abritera de ses ailes comme la poule protège ses poussins, faveur que refusa Jérusalem. Ne présumons donc point de nos forces, et il sera pour nous un bouclier, car il discerne le pécheur qui s’humilie du pécheur orgueilleux. Parmi les tentations, les unes sont légères, comme la frayeur de la nuit, la flèche qui vole pendant le jour ; c’est la mort décrétée contre ceux qui se déclarent chrétiens ; les autres sont graves, comme le mal qui se glisse dans l’ombre, ou le démon du midi, c’est la torture jusqu’à l’abjuration. Alors il en tomba mille à côté du Sauveur, ou des plus parfaits qui devaient siéger parmi les juges, et dix mille à sa droite, c’est-à-dire de ceux qui devaient être à sa droite avec les justes. Ne comptons que sur le Christ, et nous n’aurons rien à craindre.


1. C’est de ce psaume que le diable osa bien abuser pour tenter Jésus-Christ Notre-Seigneur. Écoutons-le donc afin de pouvoir résister au tentateur, sans compter sur nous-mêmes, mais sur celui qui fut tenté le premier, afin que nous ne fussions point vaincus dans la tentation. Pour lui, la tentation n’était point nécessaire, et la tentation du Christ est une leçon pour nous. Considérer ce qu’il répondit au diable, afin de faire les mêmes réponses aux mêmes assauts : c’est entrer par la porte comme vous l’avez entendu dans l’Évangile. Qu’est-ce à dire, en effet, entrer par la porte ? C’est entrer par le Christ, car lui-même a dit : « C’est moi qui suis la porte[666] ». Qu’est-ce que entrer par le Christ ? Marcher sur ses traces. En quoi devons-nous marcher sur les traces du Christ ? Est-ce avec cette magnificence d’un Dieu revêtu de notre chair ? Nous veut-il exhorter à faire des miracles semblables à ses miracles, et l’exige-t-il de nous ? Et Notre-Seigneur Jésus-Christ, ne gouverne-t-il pas maintenant le monde, et ne l’a-t-il pas toujours gouverné avec son Père ? Et quand il appelle l’homme à lui, pour en faire son imitateur, est-ce afin de gouverner par lui le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment ? Ou bien est-ce pour en faire un créateur, afin que tout soit fait par lui, comme tout a été fait par le Christ ? Non, ce Dieu Sauveur et Seigneur Jésus-Christ ne l’invite point à faire ce qu’il a fait dès le commencement, et dont il est dit : « Tout a été fait par lui[667] » ; ni ces œuvres qu’il a opérées sur la terre. Il ne te dit point : Tu ne seras mon disciple qu’à la condition de marcher sur la mer[668], ou de ressusciter un mort de quatre jours[669], ou d’ouvrir les yeux d’un aveugle-né[670]. Ce n’est point cela non plus. Qu’est-ce donc que entrer par la porte ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[671] ». Il te faut donc considérer en lui, et imiter ce qu’il est devenu pour toi. Quant aux miracles, il en a fait même avant de naître du sein de Marie. Qui en a jamais fait, sinon celui dont il est dit que « seul vous faites des merveilles[672] ? » Ce n’est que par sa toute-puissance qu’ont agi ceux qui ont fait des merveilles avant lui : Elie n’a ressuscité un mort que par la vertu du Christ[673]. À moins peut-être que Pierre n’ait été plus grand que le Christ, puisque le Christ parlait au moins au malade pour le ressusciter[674], tandis que l’on exposait les malades par où Pierre allait passer, afin que son ombre les touchât[675]. Pierre avait-il donc plus de puissance que le Christ ? Quel homme assez en démence osera le dire ? D’où venait donc à Pierre son grand pouvoir ? C’est que le Christ était en Pierre. Aussi a-t-il dit : « Tous ceux qui sont venus avant moi, sont des voleurs et des larrons[676] » ; c’est-à-dire, ceux qui sont venus d’eux-mêmes, que je n’avais point envoyés, qui sont venus sans moi, ceux en qui je n’étais pas, et que je n’ai pas introduits dans la bergerie. Tous les miracles dès lors qui ont été faits par ceux qui ont précédé, comme par ceux qui ont suivi, ont été faits par le Christ qui en a fait quand il était présent d’une manière visible. Il ne nous exhorte donc point à faire des miracles, lui qui en faisait avant d’être homme : mais à quoi donc t’engage-t-il ? À imiter ce qu’il ne pourrait faire, s’il n’était homme ; car s’il n’était homme, il ne pourrait souffrir. Donc, lorsque tu endures ces maux de la vie, que suscite le diable soit ouvertement par le moyen des hommes, soit d’une manière cachée comme en Job, demeure fort et courageux ; habitant dans le secours du Très-Haut, comme le dit notre psaume. Mais si tu dédaignes ce secours, impuissant à te secourir toi-même, tu tomberas.
2. Beaucoup sont courageux quand ils souffrent persécution de la part des hommes, et quand on leur fait une guerre ouverte ; qu’ils soient ouvertement persécutés par les hommes, ils croient que c’est alors qu’ils imitent les souffrances du Christ ; mais quand ils sont en butte aux attaques invisibles du démon, ils ne croient plus que le Christ couronne leur fidélité. Ne crains donc rien tant que tu suis les traces du Christ. Quand le diable en effet tenta le Seigneur, nul homme n’était au désert, la tentation fut secrète, mais il fut vaincu, et quand plus tard il l’attaqua ouvertement, il fut vaincu de même[677]. Agis de la sorte, si tu veux entrer par la porte, devant les attaques invisibles de l’ennemi, quand il demande à Dieu qu’un homme lui soit abandonné, afin de l’accabler de maux temporels, de fièvres, de maladies, ou d’autres infirmités du corps, comme il arriva pour lob qui ne voyait point le diable, mais qui comprenait la puissance divine. Il savait que le diable n’aurait aucun pouvoir sur lui, s’il ne l’avait reçu de celui qui a la souveraine puissance : il rendait à Dieu la gloire qui lui était due, sans attribuer au diable aucune puissance. Quand il vit en effet ses biens détruits par le diable, il s’écria : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté[678] » ; mais non : Le Seigneur a donné, le diable a ôté. Car le diable n’aurait pu rien ôter, sans la permission du Seigneur. Le Seigneur donc le permit, afin que l’homme fût à l’épreuve et le diable vaincu. S’il fut frappé d’une plaie, Dieu le permit encore ; et quand Job, de la tête aux pieds, voyait tomber les vers et la pourriture, il n’attribua aucune puissance au diable. Et même quand son Épouse, que le diable lui avait laissée, non pour le consoler, mais pour s’en faire un instrument, « lui eut fait ces suggestions : Blasphème ton Dieu, et meurs ; « Tu as parlé », lui répond Job, « comme une femme insensée ; si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux[679] ? »
3. Donc imiter le Christ de manière à endurer les misères de cette vie, à mettre son espoir en Dieu, afin de n’être point séduit par les attraits du monde, ni intimidé par ses menaces, c’est « habiter dans le secours du Tout-Puissant, demeurer sous la protection du Dieu du ciel[680] » : comme vous l’avez entendu et chanté dans le psaume, car c’est ainsi qu’il commence. Quant aux paroles dont se servit le diable pour tenter le Christ, vous les connaîtrez, quand nous y arriverons, car elles sont connues. Celui qui en est là « dira donc au Seigneur : Vous êtes mon protecteur, mon refuge et mon Dieu[681] ». Qui donc parle ainsi au Seigneur ? « Celui qui habite dans le secours du Seigneur ». Mais qui donc « habite dans le secours du Seigneur ? » Celui qui n’habite point dans son propre secours. Qui « habite dans le secours du Seigneur ? » Celui qui n’est point orgueilleux, comme ceux qui mangèrent le fruit défendu, afin d’être comme des dieux, et qui perdirent le bénéfice de l’immortalité, ils voulurent habiter dans leur propre secours, et non dans le secours du Très-Haut : de là vint qu’ils écoutèrent la suggestion du serpent, et méprisèrent le précepte de Dieu ; et alors ils sentirent que les menaces de Dieu s’accomplissaient en eux, et non les promesses du diable[682].
4. Toi donc, dis à ton tour : « J’espérerai en lui, parce qu’il me délivrera », non pas moi. Vois si le psaume nous enseigne autre chose, que de n’espérer nullement en nous-mêmes, nullement en un homme. D’où te délivrera-t-il ? « Du filet des chasseurs, et de « la parole amère[683] ». Dans ce « filet des chasseurs » il y a un grand mystère, mais dans cette parole aigre qu’y a-t-il de grand ? Cette parole aigre en a fait tomber beaucoup dans le filet des chasseurs. Que dis-je ? le diable et ses anges sont comme des chasseurs qui tendent des pièges : mais pour les hommes, c’est marcher loin de ces pièges que marcher dans le Christ. Car il n’ose tendre des pièges au Christ, puisqu’il ne les tend point dans la voie, mais le long de la voie, Or, que ta voie soit le Christ, et tu ne tomberas point dans les pièges du diable. Mais sortir de la voie, c’est tomber dans les filets. De part et d’autre ses embûches sont dressées, ses filets sont tendus, tu ne marches que dans les pièges. Mais veux-tu marcher en toute sécurité ? Ne va ni à droite ni à gauche, prends pour chemin celui qui veut être ton chemin[684], afin de te conduire à lui et par lui, et tu n’auras point à redouter les pièges des chasseurs. Mais qu’est-ce à dire, « de la parole acerbe ? » Au moyen de cette parole acerbe, le diable en a poussé beaucoup dans ses filets ; ainsi les chrétiens, qui veulent vivre parmi les païens, ont à endurer les insultes des païens ; ils rougissent de ces insultes, et devant cette parole amère, ils se détournent de la voie pour tomber dans le filet des chasseurs. Que pourra te faire cette parole amère ? Rien sans doute. Mais le piège où veut te jeter l’ennemi par cette parole amère, ne te fera-t-il rien ? Comme l’on tend les pièges ordinairement le long d’une haie, en jetant dans cette haie des pierres, mais qui ne font rien aux oiseaux ; quand est-ce en effet que ta pierre frappe un oiseau, en jetant les pierres dans les haies ? Mais l’oiseau qui veut fuir ce vain bruit, tombe dans le piège. Ainsi les hommes craignent les vaines et futiles insultes des railleurs, et la honte que leur causent ces vains discours, les fait tomber dans les pièges des chasseurs, et dans l’esclavage du démon. Mais pourquoi ne point dire ce que je ne dois point cacher, ce que Dieu m’ordonne de dire ? De quelque manière que vous le receviez, Dieu m’ordonne de vous le dire ; et si je ne le disais point, je tomberais à mon tour dans le piège des chasseurs, moi qui vous avertis de ne point redouter les paroles des hommes, Qu’est-ce donc que je dois dire ? De même qu’un chrétien peut demeurer parmi les païens, et entendre de leur part ces paroles, qui le font tomber dans le piège des chasseurs ; de même, parmi les chrétiens, ceux qui veulent apporter dans leur vie plus d’assiduité et plus de piété, s’entendront insulter par les chrétiens eux-mêmes. De quoi te servira, ô mon frère, d’habiter une ville, où l’on ne rencontre aucun païen ? Dès lors qu’il n’y a aucun païen, nul ne reprochera au chrétien sa foi chrétienne : mais il y a beaucoup de chrétiens dissolus ; et si quelqu’un au milieu d’eux veut mener une vie pieuse, être sobre parmi les intempérants, être chaste parmi les fornicateurs, adorer Dieu sincèrement au milieu des astrologues et des superstitieux, ne rien chercher de ce qu’ils cherchent au milieu de ceux qui se passionnent pour les folies du théâtre, ne mettre son bonheur qu’à venir à l’église, celui-là trouvera des insulteurs parmi les chrétiens, il entendra des paroles amères : Tu es un grand personnage, lui dit-on, tu es un saint, tu es Elie, un nouveau Pierre, tu nous viens du ciel, et d’autres insultes : quelque part qu’il aille, il n’entend que paroles amères. S’il redoute ces railleries, et se détourne de la voie du Christ, il tombe dans les pièges des chasseurs. Que faut-il faire pour ne point s’écarter de la voie, quand on entend ces paroles ? Qu’est-ce à dire, ne point se détourner de la voie ? Quand nous entendrons ces discours si aigres, qui nous consolera, de manière à maous faire mépriser ces railleries, â ne point nous écarter de la voie, mais à entrer par la porte ? Qu’on se dise alors : Qu’est-ce que ces paroles pour un pécheur, un esclave comme moi ? Mon Sauveur a entendu : « Vous êtes possédé du démon[685] ». Vous venez d’entendre quel amer langage on tint au Seigneur ; or, le Seigneur n’avait pas besoin de l’entendre, mais il a voulu t’apprendre à mie point tomber dans le filet des chasseurs, à cause d’une parole amère.
5. « Il vous fera une ombre de ses épaules, et vous espérerez sous ses ailes[686] ». Ces paroles te montrent que ta protection n’est pas ton œuvre, et que tu ne dois pas croire que tu pourras te protéger : c’est Dieu qui sera ta protection et ton salut ; il te sauvera du filet des chasseurs et de la parole amère. « Il te fera une ombre entre ses épaules », peut s’entendre derrière lui et devant lui ; car les épaules sont au-dessous de la tête. Mais quand le Prophète ajoute : « Tu espéreras sous ses ailes », il est évident que cet abri des ailes étendues, te place entre les épaules de Dieu, en sorte que ces ailes de part et d’autre te placent au milieu ; et dès lors tu n’auras point à redouter que l’on te nuise : garde-toi seulement de te retirer d’un lieu que nul ennemi n’ose aborder. Si la poule protège ses poussins sous ses ailes ; combien plus sous les ailes de Dieu seras-tu en sûreté contre le diable et ses anges, puissances aériennes qui voltigent autour de toi comme des vautours, pour enlever le faible oisillon ? Ce n’est pas en effet sans raison qu’à la poule a été comparée la divine sagesse ; puisque le Christ notre Seigneur et Sauveur s’est ainsi nommé lui-même : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins, et tu ne l’as point voulu[687] ? » Acceptons ce que Jérusalem a refusé. Elle est devenue la proie des puissances de l’air, parce qu’elle a fui les ailes de la poule, et présumé de ses forces, malgré sa faiblesse. Pour nous, confessons notre infirmité, et cherchons un refuge sous les ailes de Dieu. Alors il sera pour nous comme la poule qui protège ses poussins. Ce nom n’est point injurieux pour lui. Voyez, mes frères, les autres oiseaux beaucoup d’oiseaux font éclore leurs petits, et les réchauffent sous nos yeux ; nul autre oiseau ne devient comme la poule infirme avec eux. Que votre charité redouble d’attention : nous voyons hors de leurs nids des hirondelles, des passereaux, des cigognes, et nous ne pouvons savoir s’ils ont des petits ; mais nous le reconnaissons chez la poule, et à sa voix affaiblie et à ses plumes redressées : elle est totalement changée par l’amour de ses petits, elle s’affaiblit à proportion de leur faiblesse. C’est ainsi que la sagesse de Dieu a voulu être faible, parce que nous étions faibles, puisque le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous[688], afin que nous pussions espérer sous ses ailes.
6. « Sa vérité me couvrira d’un bouclier[689] ». Tout à l’heure des ailes, maintenant un bouclier ; mais en Dieu il n’y a ni ailes ni bouclier, et si cette protection était réellement l’une ou l’autre, une aile pourrait-elle être un bouclier, ou un bouclier une aile ? Mais comme cela se dit en figure, cette protection est comparée tantôt à des ailes, tantôt à un boucher. Si le Christ était réellement un rocher, il ne serait pas un lion ; et s’il était un lion, il ne serait pas un agneau : mais il est tout ensemble et lion[690], et agneau[691], et pierre[692], et même un taureau ; et toute autre dénomination semblable, parce qu’il n’est à proprement parler, ni pierre, ni lion, ni agneau, ni taureau, mais Jésus-Christ Sauveur de tous les hommes. Ces noms sont des métaphores, et non point des dénominations réelles. « Sa vérité », dit le Psalmiste, « m’environnera ». Sa vérité est comme un bouclier, elle ne confond point ceux qui espèrent en eux-mêmes avec ceux qui espèrent en Dieu. Il y a pécheur et pécheur : Donne-moi un pécheur confiant en lui-même, dédaigneux, n’accusant point ses fautes, et il dira : Si mes péchés déplaisaient à Dieu, il ne me laisserait point la vie. Un autre n’osait lever les yeux, mais frappait sa poitrine en disant : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi pécheur[693] ». L’un était pécheur comme l’autre était pécheur ; mais l’un raillait, l’autre pleurait. L’un dédaignait, l’autre avouait ses fautes. Or, la vérité de Dieu, qui ne fait acception de personne, discerne le pénitent de l’homme qui avoue sa faute, l’homme humble de l’homme superbe, l’homme qui compte sur lui-même de l’homme qui compte sur Dieu. Donc « sa vérité te couvrira d’un bouclier ».
7. « Tu ne redouteras ni les frayeurs de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour, ni la contagion qui se glisse dans les ténèbres, ni la ruine et le démon de midi ». Les deux dernières expressions ne sont que la répétition des deux premières. « Tu ne redouteras ni les frayeurs de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour[694] », dit le Prophète ; or, la frayeur de la nuit est répétée dans cette parole : tu ne craindras point « la contagion qui se glisse dans les ténèbres », de même que la flèche qui vole pendant le jour, dans la « ruine et le démon de midi ». Qu’avons-nous donc à redouter la nuit, qu’avons-nous à redouter le jour ? Pécher par ignorance, c’est pécher pendant la nuit : de même que pécher sciemment, c’est pécher pendant le jour. Les premiers péchés qu’il exprime sont les plus légers, ceux qu’il énonce dans sa répétition sont plus graves. Redoublez d’attention, afin que je puisse vous exposer ceci autant que Dieu me le permettra : c’est un passage obscur, mais il vous sera utile quand je vous l’aurai expliqué. Cette tentation qui est légère pour ceux qui sont ignorants, le Prophète l’appelle une frayeur de nuit, et celle qui est légère pour aux qui connaissent le mal, une flèche qui vole pendant le jour. Quelles sont les tentations légères ? Celles qui ne sont ni durables ni entraînantes, de manière à nous contraindre, mais qui passent aussitôt qu’on les a évitées. Ces tentations toutefois deviennent graves, quand la persécution est violente, quand elle effraie les ignorants, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas encore affermis dans la foi, qui ne savent point encore qu’ils ne sont chrétiens que pour espérer la vie éternelle, et quand les maux du temps commencent à leur peser, ils se croient abandonnés par le Christ, et s’imaginent qu’ils n’ont rien à gagner dans le Christianisme ; ils ne savent point, dis-je, qu’ils ne sont chrétiens que pour surmonter le présent et mettre leur espoir dans l’avenir : ils sont donc surpris par l’air contagieux qui circule dans les ténèbres, et en deviennent la proie. Il en est d’autres qui savent qu’ils sont appelés à l’espérance des biens à venir, parce que les promesses de Dieu ne regardent ni cette terre ni cette vie, et qu’il faut surmonter toutes les épreuves de cette vie, afin de recevoir et d’acquérir ce que Dieu nous a promis pour l’éternité. Ils savent tout cela, mais quand la persécution devient violente, avec ses menaces, ses peines, ses tourments, ils succombent ; et comme ils le font sciemment, ils tombent dans le jour.
8. Mais pourquoi au milieu du jour ? Parce que c’est au plus fort de la persécution, comme on appelle midi les plus grandes chaleurs. Que votre charité écoute la preuve qu’en donnent les saintes Écritures. Dans la parabole du semeur, le Seigneur nous dit qu’il alla semer son grain, qu’une partie tomba sur le grand chemin, une autre dans des endroits pierreux, une autre parmi les épines ; puis il veut bien nous exposer cette parabole, et en parlant des endroits pierreux, il dit : « Ceux-là écoutent la parole, s’en réjouissent sur-le-champ, puis se scandalisent aussitôt quand la parole éprouve une première persécution ». Qu’avait-il dit de la semence qui tombait sur le terrain pierreux ? « Le soleil se lève », dit le Sauveur, « et ils se dessèchent parce qu’ils n’ont pas une profonde racine. Ceux-là donc se réjouissent de la parole pendant une heure, et « quand la persécution s’élève contre la parole, ils se dessèchent[695] ». Pourquoi se dessécher ? Parce qu’ils n’ont pas une racine « bien affermie ». Quelle racine ? la charité. Car l’Apôtre veut « nous enraciner, nous affermir dans la charité[696] ». De même en effet que la convoitise est ha source de tous les maux[697], la charité est la source de tous les biens. Vous le savez, on vous l’a dit souvent. Mais pourquoi vous le rappeler encore ? Afin de vous faire comprendre que dans notre psaume, le démon de midi signifie la violence de la persécution. C’est ainsi que le Seigneur a dit : « Le soleil s’est levé, l’herbe a séché, parce qu’elle n’était point enracinée ». Puis, expliquant ce que signifie l’herbe que dessèche le soleil, il ajoute qu’ils ne peuvent tenir sous les feux de la persécution, « puisqu’ils n’ont point une racine profonde ». Nous avons donc raison d’entendre par le démon de midi, une persécution violente. Trouvez bon, mes frères, que je vous rappelle ce que fut jadis cette persécution dont le Seigneur a délivré son Église. D’abord les empereurs et les rois du monde crurent qu’au moyen de la persécution, ils effaceraient le nom du Christ, et le nom des chrétiens, et ils ordonnèrent que l’on frappât de mort quiconque oserait se dire chrétien. Alors tout homme qui craignait la mort nia qu’il fût chrétien ; mais comme il connaissait son crime, il était percé par la flèche qui vole pendant le jour. Quant à celui qui, peu soucieux de cette vie présente, et plein d’espérance pour la vie éternelle, évitait la flèche qui vole pendant le jour, celui-là confessait la foi de Jésus-Christ, et le coup qui frappait son corps délivrait son âme. Il passait dans le repos, au sein de Dieu, attendant que la résurrection des morts vînt délivrer son corps : il échappait ainsi à la tentation, ou à la flèche qui vole pendant le jour. C’était donc une flèche qui volait pendant le jour, que cette parole : Que tout homme qui se déclarera chrétien, soit frappé de mort. Ce n’était pas néanmoins encore le démon de midi, sévissant dans une persécution violente, et attisant un brasier que ne pouvaient supporter les plus forts. Écoutez ce qui suivit. Nos ennemis, voyant qu’un grand nombre couraient au martyre, et que plus on faisait de victimes, plus augmentait le nombre des chrétiens, se dirent en eux-mêmes : Il nous faudra tuer le genre humain, tant sont nombreux ceux qui ont cette croyance, et si nous les égorgeons tous, nul ne demeurera sur la terre. Le soleil alors versa tous ses feux, la fournaise fut embrasée. Écoutez les nouvelles ordonnances : auparavant ils avaient dit : Mort à celui qui se déclarera chrétien ; ils dirent ensuite : Quiconque se déclarera chrétien sera mis sur le chevalet et torturé, jusqu’à ce qu’il renoncera au Christ[698]. Comparez et la flèche qui vole pendant le jour, et le démon du midi. Qu’était-ce que cette flèche volant pendant le jour ? Mort à celui qui se déclarera chrétien. Quel fidèle ne l’eût pas évitée par une mort prompte ? Quant à celle-ci : S’il se déclare chrétien, qu’il ne soit point mis à mort, mais mis à la torture, jusqu’à ce qu’il abjure le christianisme, s’il abjure qu’il soit renvoyé ; c’est le démon du midi. Plusieurs de ceux qui n’avaient point abjuré manquaient de force dans les tourments ; on les torturait jusqu’à l’abjuration, Que pouvait faire un coup d’épée à ceux qui persévéraient à n’abjurer point le Christ ? Un même coup jetait le corps à terre, et l’âme devant Dieu. Voilà ce que faisaient encore de longs tourments. Mais où trouver un courage qui pût braver des supplices aussi atroces et aussi longs ? Beaucoup succombèrent ; et ceux-là succombèrent, je crois, qui comptaient sur eux-mêmes, qui n’habitaient point dans le secours du Seigneur, dans la protection du Dieu du ciel ; qui ne dirent point au Seigneur : « Vous êtes mon appui » ; qui n’espérèrent point à l’ombre de ses ailes, et se confièrent trop en leurs propres forces. Ils furent rejetés de Dieu, qui voulut leur montrer que c’est lui qui protège, lui qui proportionne l’épreuve, lui qui permet qu’elle nous arrive, seulement à proportion de nos forces.
9. Beaucoup donc furent vaincus par le démon du midi. Voulez-vous en connaître le nombre ? Le Prophète nous le dit ensuite « Il en tombera mille à votre côté, et dix mille à votre droite ; mais il n’approchera tu point de vous[699] ». À qui s’adressent ces paroles ? À qui, mes frères, sinon à Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Car Notre-Seigneur Jésus n’est pas seulement en lui-même, il est encore en nous. Rappelez-vous ces mots : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[700] ? » Lorsque nul ne le touchait, et que pourtant il disait : « Pourquoi me persécuter ? », n’est-ce point parce qu’il se regardait en nous ? Quand il disait encore : « Ce que l’on fait au moindre des miens, on le fait à moi-même[701] » ; ne se regardait-il point en nous ? Car il n’y a pas de division entre les membres, entre la tête et le corps. Qu’est-ce à dire la tête et le corps ? Le Sauveur et son Église. Comment donc est-il dit : « Mille tomberont tu à votre côté, et dix mille à votre droite ? » Ils tomberont sous le démon du midi. Il est terrible, mes frères, de tomber à côté du Christ, de tomber à la droite du Christ. Comment tomber à côté de lui ? Pourquoi les uns à côté, les autres à droite ? Pourquoi dix mille à droite, et mille à côté ? Qu’est-ce que mille à côté ? Car ces mille sont moins nombreux que les dix mille qui tomberont à droite. Quels sont-ils ? Dans un instant tout sera clair : au nom du Christ, nous allons développer. Le Christ a promis à quelques-uns qu’ils jugeront avec lui ; c’est-à-dire aux Apôtres qui ont tout quitté pour le suivre. Car Pierre lui disait : « Voilà que nous avons tout quitté, et vous avons suivi » ; et le Sauveur leur fit cette promesse : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël[702] ». Ne croyez point que cette promesse du Seigneur soit pour eux seuls. S’il n’y a là que douze trônes, où donc siégera Paul qui a travaillé plus qu’eux tous[703] ? Cari est le treizième Apôtre. Judas est tombé du nombre des douze, et à sa place on a mis Matthias, comme nous le voyons dans les Actes[704]. Ainsi furent complétés les douze trônes. Or, n’y verra-t-on point s’asseoir celui qui a travaillé plus que les autres ? Ces trônes au nombre de douze ne désigneraient-ils point un tribunal parfait ? Car des milliers seront assis sur dix sièges. Mais comment, me dira-t-on, prouver que Paul siégera parmi les juges ? Écoutez sa parole : « Ne savez-vous point que nous jugerons les anges[705] ? » « Nous jugerons », dit-il. Il n’hésite point dans cette confiance qui lui persuade qu’il doit se compter parmi ceux qui jugeront avec le Christ. Mais ceux qui jugeront avec le Christ, sont les princes de l’Église, les parfaits. C’est à eux qu’il est dit : « Si tu veux être parfait, va vendre tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres[706] ». Qu’est-ce à dire : « Veux-tu être parfait ? » Veux-tu juger et n’être point jugé ? Celui qui entendit cette parole s’en alla triste ; mais beaucoup ont suivi ce conseil, et le suivent encore aujourd’hui : donc ils jugeront avec le Christ. Beaucoup cependant se promettent de juger avec le Christ, par cela même qu’ils ont tout quitté pour le suivre ; mais ils ont confiance en eux-mêmes, ils ont une enflure et un orgueil que Dieu seul peut connaître, et ils ne peuvent se dérober au démon de midi, c’est-à-dire éviter la chute dans une violente persécution. Il y en avait beaucoup alors qui avaient donné aux pauvres tous leurs biens, qui s’étaient promis de siéger avec le Christ, de juger les nations, et qui, sous le feu de la persécution, ou sous le démon de midi faiblirent dans les tourments, et abjurèrent le Christ. Ils sont tombés à ses côtés, tombés alors qu’ils allaient s’asseoir avec le Christ pour juger le monde.
10. Disons maintenant ceux qui tombent à sa droite. Vous le savez, mes frères, quand apparaîtra le tribunal où jugeront avec le Christ ceux qui auront voulu être et qui auront été réellement parfaits, enracinés et affermis dans la charité, sans se dessécher au soleil et au démon du midi, voici ce que fera le Seigneur : « Toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les partagera comme un berger sépare les brebis des boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche[707] », et ils seront jugés. Les juges seront nombreux, mais bien moins nombreux que ceux qui se tiendront devant le tribunal ; car les uns sont désignés par le nombre de mille, et les autres par celui de dix mille. Que dira le Christ à ceux de droite ? « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai été étranger, et vous m’avez recueilli ». Il est clair qu’il tiendra ce langage à ceux qui ont eu des biens en ce monde afin d’accomplir ces œuvres de charité. Car ceux-ci régneront avec ceux-là ; les uns sont comme les soldats, les autres comme les fournisseurs des vivres ; mais soldats et fournisseurs forment un même royaume, sous un seul chef. Au soldat le courage, au fournisseur le dévouement : le soldat courageux combat le démon par ses prières, et le fournisseur dévoué prépare les vivres au soldat. Que votre charité veuille bien le comprendre. Au dernier jour enfin ceux qui seront placés à droite, entendront ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde ». Il en était beaucoup en ce moment, quand s’alluma le feu de la persécution, quand se fit sentir le démon de midi, il en était beaucoup qui se promettaient de juger avec le Christ ; mais impuissants à supporter la violence de la persécution, ils sont tombés à son côté ; d’autres ne se promettaient point d’être assis parmi les juges, mais se promettaient pour prix de leurs aumônes d’être à la droite, et pensaient que le Christ leur dirait : « Venez, tu bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Mais comme ils sont en grand nombre ceux qui seront frustrés de leur espérance d’être assis parmi les juges, et bien plus nombreux encore ceux qui n’obtiendront point d’être à la droite comme ils l’espéraient, le Prophète s’écrie en s’adressant au Christ : « il en tombera mille à votre côté, et dix mille à votre droite ». Mais comme beaucoup d’autres qui n’ont eu pour les choses temporelles aucun souci, seront alors avec le Christ, qui sera en eux comme dans ses membres, le Prophète ajoute : « Mais le mal n’approchera point de vous ». N’est-ce qu’à la tête qu’il dit : « N’approchera point ? » Non assurément : mais il n’approchera ni de Pierre, ni de Paul, ni de tous les Apôtres, ni de tous les martyrs, qui n’ont point cédé aux tourments. Comment donc tu n’en approchera-t-il point ? e Pourquoi dès lors ces tortures ? Le mal ne s’est approché que de leur chair, et non du siège de leur foi. Cette foi donc était à l’abri de la crainte et des tourments. Qu’on les torture, l’effroi n’a aucun accès auprès d’eux ; qu’on les torture, et ils se riront des tourments, dans leur confiance en celui qui a vaincu le premier afin que les autres pussent vaincre. Or, quels sont les vainqueurs, sinon ceux qui n’ont point compté sur eux-mêmes ? Et remarquez bien ceci, mes bien-aimés ; c’est ce qui a fait dire au Prophète tout ce qui précède : « Il dira au Seigneur : Vous êtes mon appui et mon refuge » ; et : « J’espérerai en lui. Car c’est lui qui me délivrera du filet des chasseurs ». « Il me délivrera », et non pas moi. « Il me fera un ombrage entre ses épaules ». Mais quand ? Quand tu « espéreras sous ses ailes, sa vérité te couvrira d’un bouclier ». Parce que tu as compté sur lui et que tu as mis en lui tout ton espoir, voici, dit le Prophète : quoi donc ? « Tu n’auras point à craindre des frayeurs de la nuit, ni de la flèche qui vole tu pendant le jour, ni le mal qui se glisse dans tu les ténèbres, ni la ruine et le démon de midi[708] ». Quel est celui qui ne craindra point ? Celui qui ne compte point sur lui, mais sur le Christ. Quant à ceux qui présument d’eux-mêmes, bien qu’ils aient espéré s’asseoir à côté du Christ, pour juger, bien qu’ils se soient promis d’être à sa droite, et d’entendre ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume qui vous est tu préparé dès l’origine du monde[709] » ; voilà qu’est venu le démon de midi, c’est-à-dire que le feu de la persécution s’est allumé dans sa violence, et sous le coup de l’effroi, ils sont déçus dans leur espérance de juger ; c’est d’eux qu’il est dit : « Mille tomberont à côté de vous ». D’autres seront déçus dans l’espoir d’une récompense de leurs bons offices, et c’est d’eux qu’il est dit : « Dix mille tomberont à votre droite ». « Quant à vous », qui êtes la tête et le corps, la ruine et le démon de midi « n’approchera point de vous », parce que le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent[710].
11. « Toutefois, vous jetterez les yeux autour de vous, et vous verrez ce qu’on rendra aux pécheurs[711] ». Qu’est-ce à dire ? Pourquoi cette expression « toutefois ? » Parce que les impies ont pu accabler vos serviteurs de leur orgueil, parce qu’ils ont pu persécuter vos serviteurs. Après avoir persécuté vos serviteurs, doivent-ils donc demeurer impunis ? Non, assurément. Quoique vous l’ayez permis, Seigneur, et que vos saints aient mérité par là leurs couronnes : « Toutefois, vous jetterez les yeux autour de vous, et vous verrez le sort des impies ». Ils recueilleront alors le mal qu’ils ont voulu, et non le bien que, sans le savoir, ils ont procuré. Il nous faut maintenant les yeux de la foi, pour voir qu’ils s’élèvent dans le temps pour pleurer dans l’éternité, et que si Dieu leur laisse pour un temps le pouvoir contre ses serviteurs, il leur dira un jour : « Allez au feu éternel, qui est préparé au diable et à ses anges[712] ». Mais pour peu que l’on ait ces yeux de la foi dont il est dit : « Vous verrez de vos yeux » ; il n’est pas sans importance de voir l’impie florissant sur la terre, de tenir les yeux sur lui, afin de considérer par la foi ce qu’il souffrira enfin, s’il ne se corrige point : car ceux qui veulent tonner maintenant sont ensuite foudroyés. « Toutefois vous jetterez les yeux, et vous verrez le sort des impies ».
12. « Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance ». Voilà qu’il en vient à ce qui l’a préservé de sa ruine et du démon de midi : « C’est que vous êtes, Seigneur, mon espérance, vous avez placé très haut votre demeure[713] ». Qu’est-ce à dire que votre séjour est dans les hauteurs ? Il en est beaucoup qui cherchent en Dieu un abri contre les troubles du temps. Or, il est fort élevé, il est dans le secret, cet asile de Dieu, qui nous abritera contre la colère à venir. Il est intérieur cet asile que vous avez établi très haut. « De vous n’approcheront point les maux, et le fléau n’abordera point votre tabernacle, « Car Dieu a donné à ses anges ordre de vous garder dans toutes vos voies, Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne vous heurtiez contre la pierre ». Telles sont les paroles dont se servit le diable pour tenter Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais parce qu’il faut les considérer avec plus d’attention, remettons-les à demain, puisque demain je dois vous parler encore. Nous reprendrons cet endroit du psaume, afin de vous éviter l’ennui : en trop abrégeant, dans ces difficultés, nous ne pourrions nous faire comprendre.


DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 90[modifier]

LES TENTATIONS.[modifier]

SUITE DU DISCOURS PRÉCÉDENT.[modifier]

En Jésus-Christ il y a la tête ou l’homme parfait né de Marie, et le corps ou l’Église, qui commence en Abel pour embrasser dans son unité tous ceux qui croiront au Christ. Le roi de cette Église s’est fait notre voie, afin que nous marchions en lui. C’est pour cela qu’une prophétie passe souvent, sans transition, du Christ à l’Église, de la tête au corps. Résumons ce que nous avons dit hier, et parlons de ce refuge placé bien haut, et que le mal n’atteindra point, c’est-à-dire du Seigneur qui est ressuscité pour ne plus mourir, et afin de nous prêcher la résurrection. Le mal ne t’atteint pas dans son tabernacle ou dans sa chair, puisqu’il a combattu pour nous en cette chair ; une fois ressuscité il n’est plus assujetti à la douleur, ni à la mort. Si donc il voulut être baptisé, s’il jeûna, c’est pour nous qui sommes ses membres. Il pouvait faire ce que lui proposa le démon, changer les pierres en pain, lui qui multiplia les pains au désert, et qui avec des pierres fait des enfants d’Abraham. D’une part donc il nous instruit par la tentation qu’il subit, et d’autre part il réserve à notre fidélité une récompense. Le diable te dira Si tu étais chrétien, Dieu ne te laisserait point si pauvre. – J’ai pour pain la parole de Dieu. – Tu ferais des miracles ; ce fut le piège de Simon. Arrière l’orgueil et l’hypocrisie, le Christ n’y repose point sa tête. Soyons humbles d’abord et souffrons ensuite avec patience. Les Anges portèrent le Seigneur à l’ascension ; il envoya ensuite l’Esprit-Saint qui abrogea la loi gravée sur la pierre, alla que les pieds du Sauveur ou ses Apôtres ne heurtassent contre celte pierre en allant prêcher aux nations. Trois fois le Christ demanda une protestation d’amour au disciple qui l’avait renié par crainte. Le diable est tantôt lion, quand il sévit contre les martyrs ; tantôt dragon, quand il séduit par l’hérésie. Cherchons en Dieu un refuge, et nous marcherons sur l’un et sur l’autre. Et il nous donnera de longs jours, ou la vie éternelle, si nous mettions en lui nos cœurs.


1. Vous vous souvenez, je n’en doute nullement, mes frères, qui assistiez au sermon d’hier, que le temps trop court nous empêcha de terminer le psaume dont nous avions commencé l’explication, et que le reste fut remis pour aujourd’hui. Voilà ce que vous savez, vous qui assistiez hier ; et ce qu’il vous faut apprendre, vous qui n’y assistiez pas. C’est dans ce dessein que nous avons fait lire le passage de l’Évangile qui rapporte la tentation du Sauveur, et les paroles du psaume que vous avez entendues[714]. Le Christ a donc passé par la tentation, afin que le chrétien ne fût point vaincu par le tentateur. Lui, notre maître, a voulu passer par toutes les tentations auxquelles nous sommes assujettis ; comme il a voulu mourir parce que nous sommes tributaires de la mort, et ressusciter, parce que nous devons ressusciter, Car, tout ce qu’a montré dans son humanité celui qui étant ce même Dieu par qui nous avons été faits, est devenu homme à cause de nous, il l’a fait pour nous instruire. Souvent je l’ai dit à votre charité, et je ne rougis point de vous le répéter, afin qu’un si grand nombre d’entre vous, qui ne peuvent lire, ou qui n’en ont pas le loisir, suppléent à leur impuissance en nous écoutant, et n’oublient point la foi qui doit les sauver. Que plusieurs se fatiguent de nos répétitions, pourvu que les autres en soient édifiés. Il en est beaucoup, nous le savons, qui, doués d’une heureuse mémoire, et lecteurs assidus des saintes Écritures, savent ce que nous allons dire, et peut-être exigent-ils de nous ce qu’ils ne savent point encore. En dépit de leur promptitude, ils doivent se souvenir que la marche des autres est plus lente. Quand deux voyageurs marchent ensemble, et que l’un d’eux est plus prompt, l’autre plus lent, c’est le plus prompt qui doit s’accommoder à l’autre, et non le plus lent ; car si le plus léger déployait toute son agilité, l’autre ne saurait le suivre. C’est donc au plus prompt à ralentir sa marche, afin de ne laisser point son compagnon en arrière. Voilà, dis-je, ce que je vous ai répété souvent ; et je vous le répète encore : comme l’a dit saint Paul : « Vous écrire les mêmes choses n’est point pénible pour moi, mais avantageux pour vous[715] ». Or, en Notre-Seigneur, il y a l’homme parfait, la tête et le corps. La tête est cet homme qui est né de la vierge Marie, qui a souffert sous Ponce-Pilate, a été enseveli, est ressuscité, est monté aux cieux pour s’asseoir à la droite du Père, d’où nous l’attendons comme juge des vivants et des morts : voilà le chef de l’Église[716]. Cette tête a pour corps l’Église, non celle qui est en ces lieux, mais bien celle qui est en ces lieux et dans l’univers entier : non celle qui existe maintenant, mais celle qui commence en Abel pour aller jusqu’à la fin des siècles, et embrasser tous ceux qui croiront au Christ, pour n’en former qu’un seul peuple, appartenant à une seule cité, laquelle cité est le corps du Christ, et dont le Christ est la tête. Là sont les anges, nos concitoyens. Pour nous, qui sommes étrangers, nous sommes dans la souffrance ; et pour eux ils attendent dans la cité bienheureuse notre arrivée. Mais de cette cité d’où nous sommes exilés, des lettres nous sont venues, ce sont les saintes Écritures, qui nous engagent à vivre saintement. Que dis-je, il nous est venu des lettres ? Le roi lui-même est descendu, il s’est fait notre voie dans notre pèlerinage, afin que marchant dans cette voie nous ne puissions nous égarer, ni manquer de force, ni tomber entre les mains des voleurs, ou dans les pièges qui bordent les chemins. Connaissons donc le Christ tel qu’il est tout entier avec l’Église ; lui seul né d’une vierge, chef de l’Église, médiateur entre Dieu et les hommes[717], Jésus-Christ est médiateur pour réconcilier en lui tous ceux qui se sont éloignés ; car il n’y a de médiateur que entre deux. Nous nous étions éloignés de la majesté de Dieu, en l’offensant par nos crimes ; et le Fils a été envoyé, afin d’effacer par son sang nos péchés qui nous séparaient de lui, et de nous rendre à Dieu en s’interposant, et nous réconciliant à son Père, dont nos péchés et nos désordres nous tenaient éloignés. C’est donc lui qui est notre chef, lui Dieu égal au Père, Verbe de Dieu par qui tout a été fait[718] : qui, Dieu a tout créé, homme a tout restauré ; Dieu afin de tout faire, homme afin de refaire. Voilà ce qu’il nous faut considérer en lisant le psaume. Que votre charité soit attentive. C’est un point des plus importants que nous ayons à étudier, non seulement pour comprendre notre psaume, mais pour en comprendre beaucoup d’autres, si vous vous attachez à cette règle. Quelquefois un psaume, et non seulement un psaume, mais une prophétie quelconque parle du Christ seulement comme chef, et quelquefois passe du chef au corps ou à l’Église, sans qu’il paraisse avoir changé de personne ; car la tête ne se sépare point du corps, mais il en est parlé comme d’un seul homme. Que votre charité fasse donc attention à mes paroles. Chacun en effet connaît ce psaume relatif à la passion du Sauveur, et où il est dit : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os : ils se sont partagé mes vêtements, et ont jeté le sort sur ma robe[719] ». Voilà ce que les Juifs ne peuvent entendre sans rougir ; et il est de la dernière évidence que c’est là une prophétie de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait point de péchés, et néanmoins il commence le psaume en s’écriant : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Les cris de mes péchés éloignent de moi tout salut[720] ». Vous le voyez donc, il y a des paroles qui se disent du chef, et d’autres qui se disent du corps. Pécher, voilà ce qui est notre apanage ; mais souffrir pour nous, voilà ce qui appartient à notre chef : or, comme il a souffert pour nous, il a effacé les dettes que nous devions acquitter pour nos péchés. Ainsi en est-il dans notre psaume.
2. Hier déjà nous avons expliqué ces versets : n’en disons qu’un mot aujourd’hui. « Celui qui habite sous l’appui du Tout-Puissant, demeure sous la protection du Dieu du ciel[721] ». À propos de ces versets, nous l’avons dit à votre charité, ne mettons point notre confiance en nous-mêmes, mais bien en celui qui est pour nous toute la force, La victoire nous vient en effet de son secours, et non de notre présomption. Le Dieu du ciel nous protégera donc si nous lui disons ce qui suit : « Il dira au Seigneur : Vous êtes mon appui, mon refuge et mon Dieu ; en lui je veux espérer. Car c’est lui qui me délivrera des pièges des chasseurs, et de la parole amère[722] ». Nous avons dit que la crainte des paroles amères en fait tomber un grand nombre dans le filet des chasseurs. On insulte un homme parce qu’il est chrétien ; et il se repent de s’être fait chrétien, et la parole amère le fait tomber dans le piège du diable, en sorte qu’il ne demeure point comme le froment dans la grange, mais qu’il s’envole avec la paille. Quant à celui qui espère en Dieu, il échappe au piège des chasseurs et à la parole amère. Mais quelle est alors la protection de Dieu ? « Il te fera un ombrage de ses épaules[723] » ; c’est-à-dire qu’il te placera sur son cœur, afin de te couvrir de ses ailes : pourvu que tu reconnaisses ta faiblesse, et que, semblable au faible poussin, lu veuilles échapper au vautour en cherchant un refuge sous les ailes de ta mère. Ces vautours sont les puissances de l’air, le diable et ses anges, qui cherchent à profiter de notre faiblesse. Fuyons sous les ailes de la sagesse notre mère, car la sagesse est devenue faiblesse à cause de nous, quand le Verbe s’est fait chair[724]. Comme une poule devient faible avec ses poussins[725], afin de les couvrir de ses ailes ; ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût une usurpation de s’égaler à Dieu, afin de participer à nos faiblesses, et de nous protéger sous ses ailes, s’est anéanti jusqu’à prendre la forme de l’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru en lui[726]. « Et vous espérerez sous ses ailes. Sa vérité vous couvrira d’un bouclier, et vous ne craindrez point la frayeur de la nuit[727] ». Les tentations de l’ignorance sont les craintes nocturnes, et les péchés commis sciemment, la flèche qui vole pendant le jour. Car la nuit est l’image de l’ignorance, comme le jour le symbole de la manifestation. Or, les uns pèchent dans l’ignorance, et les autres sciemment. Pécher dans l’ignorance, c’est être supplanté par la frayeur de la nuit ; pécher sciemment, c’est être percé par la flèche qui noie en plein jour. Or, quand ces chutes ont lieu dans de grandes persécutions, qui sont comme le grand jour, celui qui succombe alors, tombe sous le démon de midi. Plusieurs sont tombés sous la violence de ces feux, comme nous le disions hier, parce que dans ces persécutions cruelles, il était dit que les chrétiens seraient tourmentés jusqu’à ce qu’ils eussent abjuré le christianisme. Tandis qu’auparavant on les frappait à cause de leurs aveux, on les tourmenta ensuite jusqu’à l’abjuration. Pour un criminel, on le torture tant qu’il nie ; pour les chrétiens, c’était l’aveu qu’on torturait, la négation qu’on renvoyait libre. La persécution était donc comme une fournaise ardente, et alors quiconque succombait, était la proie du démon de midi. Or, combien succombèrent ? Beaucoup qui espéraient s’asseoir parmi les juges auprès du Christ, tombèrent à côté, ainsi que beaucoup d’autres qui comptaient sur une place à sa droite, comme ces fournisseurs de la sainte milice qui préparent des vivres, et à qui on doit dire : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger[728] » ; car il y en aura beaucoup à la droite ; ceux-là ont vu leur espérance trompée ; et comme ils sont là en grand nombre, c’est de là que le plus grand nombre est tombé ; ceux, en effet, qui doivent siéger avec le Seigneur pour le jugement, sont moins nombreux que ceux qui se tiendront devant lui, mais dont la condition sera bien différente. Les uns seront à gauche, les autres à droite : les uns devront régner, les autres subir le châtiment ; les uns entendre : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume » ; les autres : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges ». Donc « le démon de midi en fera tomber mille à côté de vous, et dix mille à votre droite ; mais le mal n’approchera point de vous[729] ». Qu’est-ce à dire ? Le démon du midi ne vous renversera point. Quelle merveille, qu’il ne renverse pas le chef ? Mais il ne renverse pas non plus ceux qui adhèrent au chef, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Il en est que Dieu a prédestinés de telle sorte qu’il connaît qu’ils appartiennent à son corps[730] ; et dès lors que la tentation ne les approche point de manière à les faire tomber, on comprend que c’est d’eux qu’il est dit : « Le mal n’approchera point de vous ». Mais de peur que les faibles ne viennent à considérer les pécheurs, à qui Dieu a laissé une telle puissance contre les chrétiens, et qu’ils ne disent : Telle est la volonté de Dieu qui laisse aux impies et aux scélérats un tel empire sur les serviteurs de Dieu ; considère quelque peu de tes yeux, des yeux de la foi, et tu verras ce qui est réservé pour le dernier jour à ces impies, qui ont tant de pouvoir pour te mettre à l’épreuve. Voici la suite en effet : « Toutefois tu considéreras de tes yeux, et tu verras le sort des pécheurs[731] ».
3. « Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, vous avez élevé bien haut votre asile, et le trial n’approchera point de vous ». C’est au Seigneur que le Prophète adresse ces paroles : « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance ; vous avez placé bien haut votre asile ; le mal n’approchera point de vous, et le fléau n’abordera point votre tente ». Viennent ensuite ces paroles que cita le démon, comme vous l’avez entendu[732] : « Car le Seigneur a ordonné à ses anges de prendre soin de vous et de vous garder dans toutes vos démarches. Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre[733] ». À qui parle-t-il ainsi ? À celui à qui il a dit : « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance ». Il n’est pas nécessaire d’expliquer à des chrétiens quel est ce Seigneur. Si leur pensée se porte sur Dieu le Père, comment les anges le prendront-ils dans leurs mains, de peur que son pied ne heurte contre la pierre ? Vous le voyez donc, le Christ Notre-Seigneur, parlant au nom de son corps, parle tout à coup de la tête. Car c’est à votre tête que s’adresse cette parole : « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, et vous avez placé bien haut votre asile. Et vous avez placé bien haut votre asile, parce que vous êtes mon espérance ». Qu’est-ce à dire ? Que votre charité veuille bien écouter : « Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance : vous avez placé bien haut votre refuge ». Ne nous étonnons point alors des paroles qui suivent : « Le mal n’approchera point de vous, puisque vous avez élevé bien haut votre asile ; et parce que cet asile est placé bien haut, le fléau non plus ne l’atteindra point ». Mais nulle part, dans l’Évangile, nous ne lisons que les anges aient porté le Seigneur, de peur que son pied ne heurtât contre la pierre. Et toutefois, c’est de lui que nous entendons ces paroles, qui sont accomplies et que le Prophète n’eût pas jetées en avant si elles n’eussent dû s’accomplir. Nous ne pouvons dire non plus que le Christ viendra de nouveau, de manière que son pied ne heurte point contre la pierre ; car il viendra pour juger. Où donc cette parole s’est-elle accomplie ? Que votre charité veuille bien écouter.
4. Entendons d’abord ces versets : « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon refuge, vous avez élevé bien haut votre asile ». Le genre humain savait que l’homme mourrait, mais non qu’il ressusciterait ; il savait ce qu’il fallait craindre, et non ce qu’il fallait espérer. Celui dès lors qui nous avait infligé un châtiment dans la crainte de la mort, voulut nous donner ensuite l’espérance de la résurrection comme un gage de la vie éternelle, et Notre-Seigneur Jésus-Christ ressuscita le premier. Il mourut après beaucoup d’autres, et ressuscita avant tous. Il souffrit en mourant ce que beaucoup d’autres avaient souffert ; et il fit en ressuscitant ce que nul n’avait fait avant lui. Quand est-ce en effet que l’Église recevra cette grâce, sinon à la fin ? Le chef a fait voir ce que doivent espérer les membres : et votre charité comprend ce qu’ils se disent mutuellement. Que l’Église donc dise à Jésus-Christ son Seigneur, qu’elle dise alors à la tête : « Parce que j’ai mis en vous mon espérance, ô mon Dieu, vous avez placé bien haut votre asile » : c’est-à-dire, vous êtes ressuscité, vous êtes monté au ciel, afin d’élever bien haut votre refuge, et de devenir ainsi mon espérance, quand je n’espérais que dans la terre et ne croyais point à ma résurrection : je crois maintenant que ma tête est montée au ciel, et que les membres doivent la suivre un jour. Il me semble que la lumière se fait dans ces paroles : « Parce que vous êtes mon espérance, ô mon Dieu, vous avez élevé bien haut votre refuge ». Plus clairement encore : Afin de me donner à la résurrection une espérance que je n’avais pas, vous êtes ressuscité le premier, pour me faire espérer de vous suivre où vous m’avez précédé. C’est le langage de l’Église à son Seigneur, la voix du corps à la tête.
5. Ne nous étonnons donc point que « les maux n’approchent point de vous, que les fléaux n’arrivent point à votre tente ». La tente du Christ est sa chair. Le Verbe a habité dans la chair[734], et la chair est devenue une tente pour Dieu. C’est dans ce tabernacle que notre Chef a combattu pour nous ; dans ce tabernacle qu’il a subi la tentation de l’ennemi, afin de raffermir le soldat. Et comme il a rendu sa chair visible pour nos yeux, puisque nos yeux se plaisent à voir le jour, et qu’ils trouvent leur joie dans cette lumière sensible, comme il a mis sa chair en évidence, de manière que chacun pût la voir ; voilà que le Psalmiste s’écrie : « Il a placé son tabernacle dans le soleil ». Qu’est-ce à dire « dans le soleil ? » Il l’a manifestée ; il l’a mise en évidence, et dans cette lumière terrestre, dans cette lumière qui du ciel se répand sur la terre ; c’est là qu’il a placé son tabernacle. Mais comment y mettrait-il sa tente, s’il ne sortait comme le jeune Époux de son lit nuptial ? Car voilà ce qui vient après ces paroles : « Il a placé son tabernacle dans le soleil ». Et comme si on lui demandait comment ? « Semblable au jeune Époux », répond-il, « qui sort du lit nuptial, il a bondi comme un géant pour parcourir sa carrière[735] ». Le tabernacle est donc le même que l’Épouse. Le Verbe est l’Époux, la chair l’Épouse, et le lit nuptial est le sein de la Vierge. Et que dit l’Apôtre ? « Ils seront deux dans une même chair : c’est là un grand sacrement, ce que j’entends du Christ et de l’Église[736] ». Que dit lui-même le Seigneur dans l’Évangile ? « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair[737] » : de deux choses une seule, du Verbe et de la chair, un seul homme, un seul Dieu. Sur la terre les fléaux se sont approchés de ce tabernacle, car il est évident que le Seigneur fut flagellé[738]. Mais a-t-il subi la flagellation dans le ciel ? Pourquoi non ? Parce qu’il a placé bien haut son refuge, afin d’être notre espérance ; et le mal n’approchera point de lui, et le fléau n’abordera point son tabernacle. Il est bien haut dans les cieux, mais il a les pieds sur la terre. La tête est dans les cieux, le corps ici-bas. Or, quand Saul foulait et meurtrissait les pieds, la tête cria : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[739] ? » Voilà que nul ne persécute la tête, que la tête est dans le ciel : « et le Christ, une fois ressuscité ne meurt plus, la mort n’aura plus d’empire sur lui[740] : le mal n’approchera plus de vous, le fléau n’atteindra point votre tente ». Mais gardons-nous de croire que la tête est séparée du corps ; séparée quant aux lieux, ils sont unis par la charité : et c’est la tendresse de cette charité qui cria du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » Sa voix tonnante renversa le persécuteur que relevait une main miséricordieuse. Et alors le persécuteur du Christ devint membre du Christ, afin d’endurer ce qu’il faisait souffrir.
6. Quoi donc ! mes frères, qu’est-il dit de notre chef ? « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, vous avez placé bien haut votre asile. Le mal n’approchera point de vous, et le fléau n’abordera point votre tabernacle ». Voilà ce qui est dit : « Car Dieu a commandé à ses anges de prendre soin de vous, de vous garder dans toutes vos voies ». Vous l’avez entendu à la lecture de l’Évangile[741] ; écoutez encore : Notre-Seigneur fut baptisé, et il jeûna. Pourquoi baptisé ? Afin que nous ne pussions dédaigner le baptême. Quand Jean lui-même disait au Seigneur : « Vous venez à moi pour être baptisé, et c’est moi qui dois être baptisé par vous » ; et que le Seigneur lui répondait : « Laissez-moi, car il nous faut accomplir toute justice[742] » ; il voulait donc passer par l’humilité, être purifié de souillures qu’il n’avait point. Pourquoi ? pour confondre l’orgueil de ceux qui devaient venir. On trouve quelquefois, en effet, un catéchumène plus instruit et plus vertueux que beaucoup de fidèles ; il voit beaucoup de baptisés qui sont ignorants, qui ne vivent pas aussi bien que lui, avec moins de continence et moins de chasteté ; il voit que lui-même renonce au mariage, quand quelque fidèle use du mariage avec intempérance, s’il ne devient fornicateur : il peut alors lever la tête avec orgueil, et dire. Qu’ai-je besoin d’être baptisé, d’avoir ce qu’a ce fidèle, bien moins avancé que moi en science et en vertu ? Le Seigneur lui répond : En quoi le devances-tu ? de combien le devances-tu ? Autant que moi-même je suis au-dessus de toi ? « Le serviteur n’est point au-dessus de son Seigneur, ni le disciple au-dessus de son maître ; qu’il suffise au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple comme son maître[743] ». Ne t’élève pas au point de dédaigner le baptême. Tu recevras le baptême de ton maître, et moi j’ai recherché le baptême du serviteur. Le Seigneur fut donc baptisé, puis tenté après son baptême, et il jeûna pendant ces quarante jours mystérieux dont je vous ai parlé souvent. On ne saurait tout dire en une seule fois, et user ainsi un temps nécessaire. Après quarante jours il eut faim, lui qui pouvait n’avoir jamais faim ; mais comment eût-il pu être tenté ? Et s’il n’eût pas triomphé du tentateur, comment apprendrais-tu à le combattre ? Il eut donc faim, et alors le tentateur : « Dis que ces pierres deviennent du pain, si tu es Fils de Dieu[744] ». Était-il si difficile à Notre-Seigneur Jésus-Christ de changer des pierres en pain, lui qui rassasia tant de milliers de personnes avec cinq pains seulement[745] ? Ce pain, il le fit de rien. D’où vint en effet celte nourriture qui suffit à soutenir tant de milliers de personnes ? Le Seigneur avait dans ses mains une source de pain, et il n’y a là rien d’étonnant ; car celui qui, avec cinq pains, put nourrir tant de milliers d’hommes, est aussi celui qui, avec quelques grains, fait naître chaque jour d’abondantes moissons. Ce sont là les miracles du Seigneur, que l’on ne considère point parce qu’ils sont ordinaires. Comment donc, mes frères, eût-il été impossible au Seigneur de faire du pain avec des pierres, quand avec des pierres il fait des hommes ? Jean-Baptiste l’a dit : « Dieu peut de ces pierres mêmes susciter des enfants d’Abraham[746] ». Pourquoi donc ne le fit-il pas alors ? Afin de t’apprendre à riposter au tentateur, lorsque dans certaines angoisses, il te fait des suggestions : si tu étais chrétien, si tu étais vraiment l’homme du Christ, t’abandonnerait-il en cette occasion ? Ne t’enverrait-il pas du secours ? Médecin il tranche, puis il délaisse, mais ce n’est point là uni abandon. De même il n’exauce point Paul lui-même, parce qu’il l’exauçait alors. Car Paul nous dit qu’il ne fut point exaucé, au sujet de cet aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait : « J’ai prié trois fois le Seigneur », nous dit-il, « afin qu’il l’éloignât de moi ; et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car c’est dans l’infirmité que la vertu se fortifie[747] ». C’est connu, si l’on disait à un médecin qui vient de nous appliquer un remède violent : cet emplâtre me gêne, ôtez-le, s’il vous plaît. Non, dit le médecin, il doit demeurer là longtemps, autrement point de guérison pour vous. Le médecin n’agit point selon la volonté du malade, mais dans le sens de sa guérison. Courage donc, mes frères ! surtout quand le Seigneur vous éprouve par la pauvreté, afin de vous affliger et de vous instruire, pendant qu’il vous prépare et vous réserve l’héritage éternel ; ne laissez point alors le diable vous faire ces suggestions : Si tu étais juste, ne t’enverrait-il point comme à Eue du pain par un corbeau[748] ? Où est la vérité de cette parole : « Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni ses enfants mendier leur pain[749] ? » Réponds à Satan : L’Écriture a dit vrai : « Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni ses enfants mendier leur pain » ; j’ai mon pain que tu ne connais pas. Quel pain ? Écoute le Seigneur : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu[750] ». Penses-tu que la parole de Dieu n’est pas un pain ? Si ce Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, n’était pas un pain, il ne dirait pas : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[751] ». Tu sais donc maintenant ce que tu répondras au tentateur dans l’épreuve de la faim.
7. Mais s’il te suggère une autre tentation, et te dit : Si tu étais chrétien, tu ferais des miracles comme en ont fait d’autres chrétiens ; que feras-tu ? Sous l’empire de cette pensée, tu en viendrais à tenter le Seigneur ton Dieu, et à dire à ce Dieu Notre-Seigneur : Si je suis chrétien, et si je suis agréable à vos yeux, si vous daigniez me compter au nombre de vos serviteurs, que je fasse donc quelque miracle comme vos saints en ont tant fait si souvent ? C’est là tenter Dieu, comme si tu n’étais chrétien qu’à la condition de faire des prodiges. Ce désir en a fait tomber beaucoup d’autres : c’est là ce que Simon demandait aux Apôtres, quand il voulait à prix d’argent acheter le Saint-Esprit[752]. Il fut ambitieux de cette puissance des prodiges, mais non ambitieux de marcher dans leur humilité. De là vient qu’un des disciples, ou un homme de la foule voulant suivre le Sauveur, à la suite des miracles qu’il opérait, le Sauveur vit que cet orgueilleux recherchait le faste de l’orgueil, plutôt que la voie de l’humilité, et lui répondit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a point où reposer sa tête[753] ». C’est en vous que les oiseaux du ciel ont des nids, en vous encore que les renards ont des tanières. Car si les oiseaux s’élèvent dans les airs, ainsi font les orgueilleux ; si les renards creusent des cavernes trompeuses, ainsi font les hypocrites. Que répond donc le Seigneur ? L’orgueil et l’hypocrisie peuvent trouver place chez vous, mais le Christ ne saurait habiter en vous, ni même y reposer sa tête. Car reposer sa tête est une marque d’humilité. Les disciples avaient de semblables désirs, ils convoitaient une place dans son royaume avant d’avoir pris le chemin de l’humilité, quand la mère de ces disciples lui disait : « Commandez que l’un d’eux soit assis à votre droite et l’autre à votre gauche[754] » ; ils aspiraient à la puissance, mais c’est par les souffrances de l’humilité que l’on arrive à la gloire du royaume. « Pouvez-vous », leur dit le Seigneur, « boire le calice que je boirai[755] ? » Pourquoi aspirer aux grandeurs de mon royaume, et n’imiter point mon humilité ? Que faut-il donc répondre au démon, s’il te dit pour te tenter : Fais des miracles ? Que dois-tu répondre, afin de ne point tenter Dieu à ton tour ? Ce que répondit le Seigneur. Le diable lui dit : « Jetez-vous en bas, car il est écrit : Dieu a fait à votre sujet des prescriptions à ses anges ; ils vous porteront dans leurs mains de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre[756] ». Si vous vous précipitez en bas, les anges vous recevront. Il eût pu arriver, mes frères, que si le Seigneur se fût précipité, les anges eussent porté le corps du Seigneur. Mais que répondit-il ? « Il est écrit aussi : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu[757] ». Tu me crois un homme. Le diable en effet ne s’était approché que pour découvrir s’il était le Fils de Dieu. Il voyait une chair, il est vrai, mais sa majesté se reflétait dans ses œuvres, et les anges lui avaient rendu témoignage. Le diable donc ne voyait en lui qu’un homme mortel à tenter ; et le Christ voulait être tenté pour instruire ses disciples. Qu’est-ce donc qui est écrit ? « Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ». Ainsi ne tentons point le Seigneur, et ne lui disons point : Si nous vous appartenons, faites-nous taire un miracle.
8. Revenons aux paroles du psaume. « Il a fait à ses anges des prescriptions à votre sujet, afin qu’ils vous gardent dans vos démarches. Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre ». Le Christ fut porté dans les mains des anges, quand il monta au ciel[758] : non point qu’il dût tomber si les anges ne l’eussent porté ; mais parce qu’ils rendaient ce devoir à leur Souverain. Et gardez-vous de dire : Ceux qui portaient étaient supérieurs à celui qui était porté. Les chevaux ont-ils une supériorité sur les hommes ? Bien qu’ils subviennent à notre faiblesse, il ne nous est pas permis de l’affirmer ; bien aussi qu’il nous faille tomber, s’ils parviennent à se soustraire au cavalier. Mais comment nous faudra-t-il parler ? Car il est dit aussi de Dieu : « Le ciel est mon trône[759] ». Parce que c’est le ciel qui porte, et Dieu qui est assis, le ciel est-il supérieur à Dieu ? Ainsi pouvons-nous comprendre le bon office des anges dans notre psaume : ils ne voulaient point subvenir à sa faiblesse, mais lui donner une marque de leur respect et de leur obéissance. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est ressuscité : pourquoi ? Écoutez l’Apôtre : « Il est mort à cause de nos péchés, il est ressuscité pour notre justification[760] ». L’Évangile a dit de même du Saint-Esprit : « L’Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié[761] ». Quelle est cette glorification de Jésus ? Il est ressuscité et il est monté au ciel. Dieu l’a glorifié en le faisant monter au ciel, et il a envoyé son Esprit-Saint le jour de la Pentecôte. Or, dans la loi de Moïse, dans le livre de l’Exode, on compte cinquante jours depuis que l’on avait immolé et mangé l’agneau, jusqu’au jour où fut donnée la loi écrite par le doigt de Dieu sur des tables de pierre[762]. Or, qu’est-ce que le doigt de Dieu ? L’Évangile nous répond que le doigt de Dieu c’est l’Esprit-Saint. Comment le prouver ? Le Seigneur répondant à ceux qui l’accusaient de chasser le démon au nom de Béelzébub, leur dit : « Si je chasse les démons par l’Esprit de Dieu[763] ». Or, un autre Évangéliste, dans la même narration, a dit : « Si je chasse les démons par le doigt de Dieu[764] ». Ce que l’un dit clairement, l’autre l’a dit d’une manière plus obscure. Tu ne comprenais pas ce qu’est le doigt de Dieu, et un autre Évangéliste nous l’apprend en disant que c’est l’Esprit de Dieu. Donc la loi écrite par le doigt de Dieu fut donnée le cinquantième jour après l’immolation de l’agneau, et le Saint-Esprit est descendu le cinquantième jour après la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’agneau fut donc immolé, on fit la pâque, et après cinquante jours la loi fut donnée. Mais c’était une loi de crainte et non une loi d’amour ; or, pour changer cette crainte en amour, le juste a été réellement mis à mort, et l’agneau immolé par les Juifs en était la figure. Il est ressuscité, et de la pâque du Seigneur, comme de la pâque de l’agneau immolé, on compte cinquante jours, jusqu’à la descente du Saint-Esprit[765], qui est venu dans la plénitude de l’amour, et non dans la crainte des menaces. Pourquoi m’étendre à ce sujet ? C’est pour nous envoyer l’Esprit-Saint que le Seigneur est ressuscité et a été glorifié. Je vous l’ai déjà dit, la tête est dans le ciel, et les pieds sont sur la terre. Si la tête est dans le ciel, et les pieds sur la terre, quels sont ces pieds du Seigneur sur la terre ? Les saints du Seigneur qui sont ici-bas. Quels sont les pieds du Seigneur ? Les Apôtres envoyés dans l’univers entier. Quels sont les pieds du Seigneur ? Tous les évangélistes, par qui Notre-Seigneur parcourt les nations, il était à craindre que les Évangélistes ne heurtassent contre la pierre. Dès lors que la tête est dans les cieux, les pieds qui sont ici-bas dans le labeur pouvaient aisément heurter la pierre. Quelle pierre ? La loi donnée sur des tables de pierre. Donc afin qu’ils ne fussent point coupables envers la loi, avant d’avoir reçu la grâce, et qu’ils ne fussent point astreints à la loi, car alors la violer eût été un crime ; le Seigneur rendit libres ceux que la loi tenait dans l’esclavage, afin qu’ils ne pussent se heurter contre cette loi. La tête pour empêcher les pieds de violer cette loi en la heurtant, envoya l’Esprit-Saint, afin de bannir la crainte et de donner l’amour. La crainte n’accomplissait point la loi, l’amour l’a accomplie. Sous le poids de la crainte, les hommes n’ont rien accompli ; embrasés d’amour, ils ont tout accompli. Comment n’ont-ils rien accompli avec la crainte, et ont-ils tout accompli avec l’amour ? Sous l’empire de la crainte, ils dérobaient le bien des autres ; sous l’empire de l’amour, ils ont donné leur bien propre. Il ne faut donc pas s’étonner que le Seigneur ait été porté au ciel sur les mains des anges, de peur qu’il ne heurtât son pied contre la pierre : et afin que les membres de son corps qui travaillaient ici-bas, qui parcouraient l’univers entier, ne devinssent point coupables d’infractions à la loi, il leur ôta la crainte et les remplit d’amour. Trois fois sous le coup de la crainte, Pierre avait renié son maître[766] : il n’avait point encore reçu le Saint-Esprit. Mais quand il l’eut reçu, il prêcha sous le fouet des princes celui qu’il avait renié[767]. Il n’y a là rien d’étonnant, puisque le Seigneur avait banni sa triple crainte par un triple amour. Après sa résurrection, en effet, « Pierre, m’aimez-vous ?[768] » lui dit-il. Non pas : Me craignez-vous ? La crainte chez lui laisserait heurter encore son pied contre la pierre. « M’aimez-vous ? » lui dit-il. Et Pierre : « Je vous aime ». Une fois suffisait. Une seule fois me suffirait, à moi qui ne vois point le cœur ; à combien plus forte raison devait-elle suffire au Seigneur, qui voyait combien c’était du fond de ses entrailles que Pierre lui disait : « Je vous aime ? » Et pourtant il ne se contente point qu’il lui réponde une fois ; il l’interroge une seconde fois, et Pierre répond encore : « Je vous aime ». Il l’interroge une troisième fois, et Pierre attristé de ce que le Seigneur semblait mettre en doute son amour, « Seigneur », lui dit-il, « vous savez que je vous aime ». Le Seigneur en agit avec lui, comme pour lui dire : Trois fois tu m’as renié par crainte, et trois fois tu me contes ses par amour. C’est de cet amour et de cette charité que le Seigneur remplit ses disciples. Pourquoi ? Parce qu’il a porté son asile dans un lieu élevé, qu’après avoir été glorifié, il a envoyé son Esprit-Saint, et qu’il a délivré de la violation de la loi ceux qui croyaient en lui, afin que leur pied ne heurtât point contre la pierre.
9. Le reste du psaume devient facile, mes frères, et je vous en ai parlé souvent. « Vous marcherez sur l’aspic et le basilic ; et vous foulerez le lion et le dragon[769] ». Vous connaissez le serpent, et comment il est foulé sous le pied de cette Église, qui est invincible, parce qu’elle déjoue ses ruses. Votre charité, je pense, n’ignore pas comment il est tantôt lion et tantôt dragon. Lion, il attaque à force ouverte ; dragon, il dresse des embûches. C’est là pour le diable une double force, une double puissance. Quand on égorgeait les martyrs, c’était le lion qui sévissait, et le dragon se glissait sans bruit, quand les hérétiques dressaient des embûches. Tu as vaincu le lion, il faut vaincre aussi le dragon : le lion ne t’a pas abattu, que le dragon ne te surprenne point. Montrons qu’il était un lion quand il sévissait ouvertement. Pierre exhortant les martyrs, leur dit : « Ne savez-vous point que le diable, votre adversaire, rôde autour de vous comme un lion qui cherche sa proie[770] ? » Le lion qui sévissait ouvertement cherchait donc quelqu’un à dévorer : comment le dragon dresset-il des embûches ? Au moyen des hérétiques. C’étaient eux que redoutait saint Paul, lorsqu’il craignait de voir quelque tache dans la pureté de cette foi que l’Église porte en son cœur, et qu’il disait : « Je vous ai fiancés à cet unique Époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure ; mais je crains que comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ[771] ». C’est le petit nombre des femmes, dans l’Église, qui garde ta virginité de corps ; mais la pureté du cœur est l’apanage de tous les fidèles. C’était au sujet de la foi que l’Apôtre craignait des taches sur la pureté du cœur, car avec une foi altérée la pureté de la chair ne sert de rien. Quand le cœur est corrompu, quelle peut être la pureté de la chair ? C’est à ce point qu’une femme catholique est supérieure à une vierge hérétique. L’une, il est vrai, n’est plus vierge de corps, l’autre est femme par le cœur, et femme qui n’a point conçu de Dieu, son Époux légitime, mais du serpent adultère. Or, que dit l’Église ? « Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic ». Le basilic est le roi des serpents, comme le diable est le roi des démons. « Et tu fouleras au pied le lion et le dragon ».
10. Écoutons les paroles de Dieu à son Église : « Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai[772] ». Non seulement alors il a délivré le chef qui est maintenant assis dans les cieux, où il a placé bien haut son asile, où les maux n’approchent point de lui ; et où le fléau n’aborde point sa tente : mais nous qui travaillons sur la terre, qui vivons encore au milieu des tentations, qui avons à craindre pour nos pieds de tomber dans les embûches, écoutons la voix du Seigneur notre Dieu qui nous console, et qui nous dit : « Parce qu’il a espéré en moi je le délivrerai : je le protégerai parce qu’il a connu mon nom ».
11. « Il m’invoquera, et je l’exaucerai ; je suis avec lui dans la tribulation[773] ». Ne crains donc point quand tu es affligé, comme si Dieu n’était point avec toi. Que la foi soit avec toi, et Dieu sera avec toi dans l’affliction. La mer soulève ses flots, et tu es troublé dans ton navire[774], parce que le Christ est endormi. Le Christ aussi dormait sur la barque, et les hommes périssaient. Si la foi dort dans ton cœur, c’est le Christ qui dort dans ta barque : puisque le Christ habite en toi par la foi. Si donc tu ressens quelque agitation, réveille le Christ endormi, stimule ta foi, et tu sauras qu’il ne t’a point abandonné. Mais tu te crois abandonné, parce qu’il ne te délivre point aussitôt que tu le voudrais. Il délivra de la fournaise les trois jeunes hébreux[775]. Lui qui avait délivré ces trois enfants abandonna-t-il les Macchabées[776] ? Loin delà. Il délivra les uns et les autres ; les uns d’une manière corporelle, afin de confondre les incroyants ; les autres d’une manière spirituelle, afin de les donner aux fidèles pour exemple. « Je suis avec lui dans la tribulation ; je le délivrerai et le glorifierai ».
12. « Je le rassasierai de la longueur des jours[777] ». Quels sont ces longs jours.? La vie éternelle. Ne vous imaginez point, mes frères, qu’il soit ici question de jours d’une certaine durée, comme on dit qu’ils sont plus courts en hiver, plus longs en été. Dieu vous promettait-il de ces jours ? Non, cette longueur est celle qui n’a point de fin ; ces jours sont la vie éternelle. Et comme nous serons alors satisfaits, ce n’est pas sans raison que le Prophète nous dit : « Je le rassasierai ». Quelque longueur que l’on donne au temps, rien ne suffit dès qu’il y aune fin, et par conséquent ne saurait s’appeler longueur. Si nous sommes avares, nous devons être avares de la vie éternelle : désirons cette vie qui n’a point de fin. Voilà pour notre avarice de quoi se dilater. Veux-tu des richesses sans fin ? Désires plutôt une vie sans fin. Tu veux des possessions sans bornes ? Cherche la vie éternelle. « Je le rassasierai de la longueur des jours ».
13. « Et je lui montrerai mon salut ». Ne passons point légèrement sur ces paroles : « Je lui montrerai mon salut » ; c’est-à-dire, je lui montrerai le Christ lui-même. Pourquoi ? N’a-t-il pas été vu sur la terre ? Que veut nous montrer de si grand le Seigneur ? Nul n’a vu le Seigneur comme nous le verrons. Comme il s’est montré, ceux qui l’ont vu, l’ont crucifié. Ceux donc qui l’ont vu l’ont crucifié, et nous, nous croyons en lui sans l’avoir vu. Avaient-ils donc des yeux que nous n’avons point ? Nous avons, nous, les yeux du cœur ; mais nous voyons par la foi, et non par la claire vue. Quand viendra la claire vue ? « Quand nous le verrons face à face[778] », ainsi que dit l’Apôtre : c’est ce que Dieu nous promet comme la grande récompense de tous nos labeurs. Tout ce que tu endures ici-bas, tu l’endures afin de voir. Nous verrons je ne sais quoi de grand, puisque c’est la grande récompense qui nous est promise, et cette grande vision sera la vision de Jésus-Christ même. Celui que l’on a vu dans son humilité sera vu dans sa grandeur, et il sera notre joie, comme il est aujourd’hui la joie des anges. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[779] ». Celui qui nous a fait cette promesse, remarquez-le bien, c’est Notre-Seigneur qui nous dit dans l’Évangile : « Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai ». Et comme si on lui demandait : Que lui donnerez-vous ? « Je me montrerai à lui[780] », répond-il : désirons-le, aimons-le, brûlons d’amour, si nous sommes l’Épouse. L’Époux est absent, attendons-le : il viendra enfin, celui que nous désirons. Il nous a donné de tels gages, que l’Épouse ne doit pas craindre d’être abandonnée de son Époux : il n’abandonnera point ses gages. Quels gages a-t-il donnés ? Il a répandu son sang. Quels gages a-t-il donnés ? Il a envoyé l’Esprit-Saint[781]. Et l’Époux abandonnerait de tels gages ? Les eût-il donnés, s’il ne nous aimait point ? Il nous aime donc. Oh ! si nous l’aimions de cet amour. Nul ne peut aimer davantage, que de mourir pour ceux qu’il aime. Mais nous, comment pouvons-nous mourir pour lui ? De quoi lui servirait notre mort, depuis qu’il a mis si haut son asile, et que le fléau ne saurait atteindre son tabernacle ? Que dit pourtant saint Jean ? « Si le Christ a donné sa vie pour nous, nous devons à son exemple donner notre vie pour nos frères[782] ». Quiconque dès lors meurt pour ses frères, meurt pour le Christ ; de même que nourrir un frère, c’est nourrir le Christ : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[783] ». Aimons le Christ, mes frères, imitons son amour, courons après ses parfums, comme il est dit dans le Cantique des cantiques : « Nous courrons à l’odeur de vos parfums[784] ». Il est venu, il a exhalé ses baumes, et cette odeur s’est répandue par le monde, D’où cette odeur ? Du ciel. Suis-le donc jusqu’au ciel, si toutefois tu ne réponds point en parjure quand on dit : En haut les cœurs, en haut les pensées, en haut l’amour, en haut l’espérance, qui se corromprait sur la terre, Tu n’oses mettre ton blé dans un endroit humide ; tu crains la pourriture pour ce froment que tu as cultivé, que tu as moissonné, que tu as battu, que tu as vanné. Tu veux un lieu convenable pour ton blé, et tu n’en cherches pas un à ton cœur ? tu ne cherches point pour ton trésor un lieu de sûreté ? Fais donc sur la terre ce qui est en ton pouvoir ; donne, et tu ne perdras rien, tu mettras en dépôt. Et qui donc gardera ce dépôt ? Le Christ qui te garde toi-même. Il sait te garder, et il ne saurait garder ton trésor ? Pourquoi te demander de changer ton trésor, sinon afin que tu changes ton cœur ? Nul en effet ne s’occupe que de son trésor. Combien en est-il qui m’écoutent maintenant, et qui n’ont le cœur que dans leur coffre-fort ? Vous êtes sur la terre, parce que l’objet de votre amour est sur la terre : envoyez-le dans le ciel, et votre cœur sera dans le ciel. Où sera votre trésor, là aussi sera votre cœur[785].

  1. Ps. 81,1
  2. Id. 6,7
  3. Isa. 1,2
  4. Ps. 72,23
  5. Mal. 1,2-3
  6. Jn. 1,12-16
  7. Ps. 138,8
  8. Jer. 23,24
  9. Jn. 3,29
  10. Mt. 15,24
  11. Rom. 9,5
  12. Jn. 1,26
  13. Rom. 11,25
  14. Jn. 14,9
  15. Rom. 9,21
  16. 1 Cor. 4,7
  17. Ps. 28,7
  18. Id. 81,2
  19. Id. 4,3
  20. Mt. 11,29
  21. 2 Cor. 8,9
  22. Ps. 81,3
  23. Mt. 21,31
  24. Ps. 71,4
  25. Lc. 22,2
  26. Isa. 56,10
  27. Id. 57,1
  28. Ps. 81,5
  29. 1 Cor. 2,8
  30. Rom. 11,25
  31. Mt. 27,51
  32. 1 Pi. 2,5
  33. 1 Cor. 3,11
  34. Eph. 2,19-22
  35. Gen. 3,19
  36. Ps. 18,2-5
  37. Id. 81,6-7
  38. Ps. 81,8
  39. Ps. 82,1
  40. Id. 2
  41. Isa. 53,12
  42. Ps. 44,7-8
  43. Lc. 23,33
  44. Phil. 2,7
  45. Isa. 52,7
  46. Jn. 18,5-6
  47. Isa. 42,14
  48. Ps. 49,3
  49. Id. 82,3
  50. Lc. 14,11
  51. 2 Thes. 2,4-8
  52. Ps. 82,4
  53. Rom. 8,31
  54. Ps. 82,5
  55. Gal. 3,29
  56. 1 Cor. 10,18
  57. Ps. 82,6
  58. Gen. 31,44
  59. Gen. 19,36-37
  60. 1 Tim. 1,8
  61. Ps. 71,9
  62. Rom. 2,9
  63. Ps. 82,8
  64. Id. 9
  65. Eph. 2,2
  66. Id. 6,12
  67. Ps. 82,10-11
  68. Jdt. 4,15-16 ss
  69. Ps. 82,12
  70. 1 Cor. 1,20
  71. Lc. 20,35-36
  72. Ps. 82,13
  73. 1 Cor. 3,17
  74. Ps. 82,14
  75. Ps. 82,15-16
  76. Id. 17
  77. Ps. 82,18
  78. Id. 19
  79. Exod. 3,14
  80. Gen. 3,19
  81. Sir. 10,9
  82. Rom. 8,28-31
  83. Ps. 83,1
  84. Rom. 8,29
  85. Sir. 2,1
  86. Col. 3,9-10
  87. 2 R. 2,23-24
  88. Mt. 27,33
  89. Id. 27,15
  90. Ps. 9,10
  91. 1 Tim. 6,17
  92. Lc. 17,32
  93. Gen. 19,26
  94. 2 Pi. 2,22
  95. 1 Cor. 7,28
  96. Act. 2,44 ; 4,32
  97. Ps. 75,12
  98. Phil. 3,13-14
  99. 2 R. 18,21
  100. Ps. 114,3-4
  101. 2 Cor. 5,6
  102. Ps. 83,2
  103. Id. 3
  104. Rom. 12,12
  105. Ps. 83,4
  106. Ps. 101,8
  107. Isa. 58,7
  108. 1 Tim. 2,14
  109. Gen. 3,6
  110. 1 Tim. 2,15
  111. 1 Cor. 7,40
  112. 1 Tim. 2,15
  113. Ps. 83,5
  114. Isa. 58,7
  115. 1 Cor. 15,53-54
  116. Jn. 3,2
  117. Ps. 83,6
  118. Sag. 9,15
  119. Rom. 7,22-25
  120. Ps. 83,7
  121. Id. 125,6
  122. 1 Cor. 2,9
  123. Id. 13,12
  124. Rom. 7,23
  125. Gal. 3,21
  126. Rom. 7,7-8
  127. Id. 5,20
  128. Jn. 5,3
  129. Ps. 83,8
  130. Rom. 7,4
  131. 1 Cor. 12,8-10
  132. Id. 1,24
  133. Rom. 13,8
  134. Ps. 5,5
  135. Id. 81,6
  136. Jn. 1,12
  137. Isa. 53,2
  138. Mt. 5,8
  139. Ps. 83,9
  140. Gen. 32,28
  141. Ps. 83,10
  142. Id. 35,8
  143. Rom. 5,20
  144. Ps. 83,11
  145. Ps. 83,11
  146. Lc. 14,10
  147. Ps. 83,12
  148. 1 Tim. 1,13-16
  149. 1 Cor. 15,10
  150. 2 Tim. 4,7-8
  151. Rom. 11,35
  152. Ps. 83,13
  153. Mt. 5,45
  154. Ps. 84,1
  155. Rom. 10,4
  156. Jn. 14,6
  157. 2 R. 2,23-24
  158. Mt. 27,31
  159. Id. 9,15
  160. Ps. 21,17-19
  161. Id. 84,2
  162. Rom. 9,7-8
  163. Jn. 8,39
  164. Gen. 15,6 ; Gal, 3,6
  165. Rom. 7,22-25
  166. Rom. 7,22-25
  167. Ps. 84,3
  168. Ps. 84,4
  169. Id. 5
  170. Id. 6
  171. Gen. 3,19
  172. 1 Cor. 15,22
  173. Ps. 84,7
  174. Jn. 8,12
  175. Ps. 84,8
  176. Mt. 6,11
  177. Jn. 6,41
  178. Ps. 81,6 ; Jn. 10,34
  179. Rom. 8,24-25
  180. Jn. 3,2
  181. Jn. 3,2
  182. Jn. 3,2
  183. Jn. 14,9
  184. Id. 21
  185. Act. 15,9
  186. Mt. 5,8
  187. Ps. 84,9
  188. Sag. 9,15
  189. 1 Cor. 15,53-55
  190. Rom. 8,10
  191. 1 Cor. 15,28
  192. Ps. 84,9
  193. Ps. 84,10
  194. Eph. 2,17
  195. Mt. 15,24
  196. Ps. 83,11
  197. Ps. 33,15
  198. Id. 84,12
  199. Gen. 3,19
  200. Lc. 18,13-14
  201. Jn. 1,8-9
  202. Ps. 34,13
  203. Rom. 4,5
  204. Ps. 84,14
  205. Mt. 3,3
  206. Jn. 1,1-3
  207. Phil. 2,5-8
  208. Ps. 21,2
  209. Id. 85,1
  210. Mt. 26,38
  211. Jn. 4,6
  212. Mt. 8,24
  213. Id. 4,2
  214. Jn. 4,7 ; 19,28
  215. Lc. 6,12
  216. Lc. 22,43-44
  217. Ps. 85,1
  218. Rom. 5,6-9
  219. Lc. 18,11-13
  220. 1 Tim. 6,17
  221. Lc. 16,19-24
  222. Gen. 13,2
  223. Id. 22,10
  224. Jac. 4,6
  225. Ps. 85,2
  226. Les Apollinaristes
  227. Lev. 19,2
  228. Ps. 60,3
  229. 1 Cor. 6,11
  230. Id. 4,7
  231. Gal. 3,27
  232. Eph. 5,8
  233. Ps. 85,3
  234. Rom. 8,34
  235. Ps. 85,4
  236. Ps. 85,5
  237. 2 Sa. 7,27
  238. Ps. 39,13
  239. Prov. 1,28
  240. Ps. 52,6
  241. Sag. 4,11
  242. Ps. 26,4
  243. Act. 9,5
  244. Mt. 8,31-32
  245. Job. 1,11-12 ; 2,5-6
  246. 2 Cor. 12,7-9
  247. Ps. 34,3
  248. Ps. 85,6
  249. Id. 7
  250. 2 Cor. 5,6
  251. Ps. 15,11
  252. Id. 26,4
  253. Id. 41,4-5.11
  254. Id. 85,2
  255. Ps. 113,5
  256. Id. 95,5
  257. Apoc. 19,10
  258. Ps. 81,6
  259. 2 Cor. 2,9
  260. Ps. 85,9
  261. Id. 10
  262. Mt. 20,26
  263. Jac. 4,6
  264. Prov. 14,28
  265. Ps. 85,11
  266. Jn. 14,6
  267. Isa. 53,1
  268. Ps. 2,11
  269. Phil. 2,12-13
  270. Ps. 85,12-18
  271. Rom. 8,10
  272. Ps. 15,10 ; Act. 2,27
  273. Lc. 16,22-26
  274. Rom. 4,15
  275. Mt. 10,24-25
  276. 1 Cor. 15,33
  277. Mt. 7,14
  278. 2 Tim. 3,12
  279. Jn. 19,6
  280. Ps. 56,5
  281. Ps. 85, 15
  282. Lc. 23,34
  283. Ps. 140,2
  284. Id. 80,16
  285. Jn. 5,22
  286. Act. 1,11
  287. Mt. 5,8
  288. Id. 25,41
  289. Isa. 26,10
  290. selon les LXX
  291. Phil. 2,6
  292. Jn. 1,1
  293. Mt. 5,8
  294. Jn. 19,37
  295. Mt. 25,34.41-46
  296. Jn. 17,3
  297. Jn. 14,8-10.21
  298. Ps. 85,16
  299. Lc. 1,38
  300. Phil. 2,6
  301. Jn. 2,19
  302. Id. 21
  303. Mt. 19,28
  304. 1 Cor. 6,3
  305. Ps. 85,17
  306. Mt. 12,39-40
  307. 1 Cor. 15,52
  308. Sag. 4,20
  309. Id. 5,3-6
  310. Rom. 6,21
  311. Sag. 5,3-9
  312. Ps. 85,17
  313. Isa. 3,12
  314. Jac. 4,9
  315. Ps. 114,8-9
  316. Mt. 5,5
  317. Rom. 8,34
  318. Ps. 83,5
  319. Mt. 5,6
  320. Sir. 24,29
  321. Probablement prêché à Carthage, en présence de l’évêque de cette ville, Aurèle.
  322. 1 Cor. 2,9
  323. Rom. 5,5
  324. Ps. 86,1
  325. Ps. 86,2
  326. Gal. 4,26
  327. Eph. 2,19-20
  328. 1 Cor. 3,11
  329. Jn. 10,11
  330. 2 Cor. 13,3
  331. Act. 9,4
  332. Gen. 6,14
  333. selon les LXX
  334. Ps. 36,24
  335. 1 Pi. 2,5
  336. Jn. 10,9
  337. Apoc. 21,12
  338. Mt. 19,28
  339. 1 Cor. 6,3
  340. Act. 1,15-26
  341. Mc. 13,27
  342. Ps. 117,19
  343. Col. 1,24
  344. Jn. 19,30
  345. Jn. 10,17-18
  346. 1 Cor. 12,27
  347. Act. 9,4
  348. Mt. 25,35-40
  349. Eph. 2,20
  350. Gen. 32,28
  351. Ps. 86,3-4
  352. Jos. 2,6-25
  353. Mt. 21,31
  354. Mt. 11,12
  355. Lc. 23,40-43
  356. Rom. 4,5
  357. Ps. 78,6
  358. Id. 30,11
  359. Ps. 44,11-12
  360. Cette variante vient des Septante. Ps. 86,5
  361. Ps. 86,6
  362. 1 Cor. 1,27
  363. Id. 28
  364. Ps. 112,7-8
  365. Id. 86,7
  366. Jn. 3,2
  367. 1 Cor. 15,28
  368. Ps. 83,5
  369. Isa. 48,22
  370. selon les LXX
  371. 1 Cor. 2,9
  372. Probablement après l’exposition du Psaume 41 dont il est question au n°7, et peut-être du Psaume 67.
  373. 1 Pi. 2,21
  374. Jn. 3,16
  375. 1 Cor. 13,3
  376. Mt. 27,33
  377. Jn. 1,47
  378. Gen. 25,27
  379. Ps. 87,2-3
  380. Id. 4
  381. Mt. 10,28
  382. Isa. 53,4
  383. Mt. 26,37-38
  384. Rom. 9,2-4
  385. Lc. 23,34
  386. Ps. 87,5
  387. Id. 6
  388. Rom. 8,3
  389. Jn. 8,34
  390. Id. 36
  391. Id. 10,18
  392. Id. 10,18
  393. Id. 8,29
  394. Mt. 27,40-43
  395. Mt. 27,50-60
  396. Ps. 101,8
  397. Rom. 6,9
  398. Ps. 56,7
  399. Sag. 3,1
  400. Ps. 90,1
  401. Ps. 87,7
  402. Grec katotato
  403. Ps. 39,3
  404. 1 Cor. 2,8
  405. Isa. 9,2
  406. Ps. 87,8
  407. 1 Cor. 2,8
  408. Gal. 3,13 ; Deut. 21,23
  409. Phil. 2,8
  410. Ps. 41,8
  411. Id. 87,9
  412. Mt. 7,23
  413. Id. 26,56
  414. Ps. 87,10
  415. 1 Cor. 12,12-27
  416. Mt. 16,16-17
  417. Mt. 12,40
  418. Ps. 87,11
  419. Mat. 27,12
  420. Jn. 6,38
  421. Isa. 65,2
  422. 1 Cor. 1,20
  423. Ps. 3,9
  424. Id. 18,6
  425. Isa. 2,2
  426. Rom. 11,14
  427. Jn. 6,44.64-66
  428. Sir. 17,26
  429. Ps. 87,12
  430. Mt. 23,27-28
  431. Ps. 87,13
  432. Eph. 5,8
  433. Ps. 13,1
  434. Ps. 58,11-12
  435. Ps. 80,11-14
  436. Eph. 2,3
  437. 1 Cor. 4,7
  438. Ps. 3,9
  439. Id. 32,16
  440. Jol.2,32
  441. Rom. 10,13-15
  442. Isa. 52,7
  443. Lc. 10,34
  444. 1 Cor. 3,7
  445. Ps. 18,5
  446. 2 Thes. 3,2
  447. 2 Tim. 2,19
  448. 1 Cor. 1,28
  449. 1 Cor. 4,5
  450. Ps. 87,15
  451. Id. 21,2
  452. Act. 9,4
  453. Col. 1,24
  454. Ps. 87,16-19
  455. Id. 128,1
  456. Jn. 3,36
  457. 2 Tim. 4,16
  458. Rom. 8,24-25
  459. Jn. 3,2
  460. 1 Cor. 15,28
  461. Premier sermon, prêché à l’office des Matines de quelques Martyrs
  462. Dans le texte de la vulgate, il y a Exzahitae et non Israelitae. Ce mot Ezrahitae serait peut-être pour Zarahitae, car dans 1 Chr. 2,6, Aethan et Aeman sont comptés parmi les fils de Zara. Dans 2 Sa. 4,31, Salomon est proclamé plus sage que Ethan Ezrahite. Les Septante ont traduit Zaritem.
  463. Ps. 88,2
  464. Id. 3
  465. Jer. 1,10
  466. Ps. 27,5
  467. Id. 24,10
  468. Rom. 15,20
  469. Rom. 11,1-2
  470. Eph. 2,20
  471. Rom. 15,8-9
  472. Ps. 2,1
  473. Id. 4
  474. Id. 5
  475. Id. 88,4
  476. Mt. 5,34
  477. Ps. 88,5
  478. Gal. 3,16
  479. Eph. 5,23
  480. Gal. 3,29
  481. Ps. 88,6
  482. Ps. 8,4
  483. Isa. 5,6-7
  484. Act. 13,46
  485. 1 Cor. 4,5
  486. Mt. 16,13
  487. Id.
  488. Mt. 16,16
  489. 1 Cor. 10,31
  490. Ps. 88,8
  491. Id. 144,3
  492. Ps. 78,9
  493. Rom. 15,8-9
  494. Mt. 26,64
  495. Ps. 2,1-2
  496. Jug. 14,5-6
  497. Lc. 2,34
  498. Ps. 88,10
  499. 1 Cor. 10,13
  500. Ps. 88,11
  501. Amo. 9,3
  502. Ps. 103,26
  503. Col. 2,14
  504. Ps. 88,12
  505. Id. 13
  506. Isa. 14,13-14
  507. Mt. 5,14
  508. Jn. 1,9
  509. Ps. 113,1-2
  510. Id. 88,14
  511. Id. 15
  512. Id. 9,1
  513. Mt. 25,33
  514. Ps. 24,10
  515. Id. 88,16
  516. 1 Cor. 1,31
  517. Ps. 88,17
  518. Rom. 10,2-3
  519. Ps. 88,18
  520. Id. 19
  521. Id. 20
  522. 1 Sa. 9,9
  523. Ps. 88,21
  524. Id. 14,8
  525. Ps. 88,22
  526. Lc. 1,31
  527. Phil. 2,6-8
  528. Ps. 88,23
  529. Id. 24
  530. Exod. 32,20
  531. Ps. 138,7
  532. Id. 78,25
  533. Id. 24,10
  534. Ps. 84,11
  535. Id. 88,26
  536. Id. 27,28
  537. Id. 2,2-10
  538. Id. 88,29
  539. Id. 30
  540. Gal. 3,16-29
  541. Ps. 101,28
  542. Prêchée le même jour que la première partie.
  543. Ps. 88,28-30
  544. Ps. 87,31-32
  545. Héb. 3,5-7
  546. 1 Cor. 4,21
  547. Ps. 88,33-34
  548. Id. 44,8
  549. Rom. 8,34
  550. Act. 9,4
  551. Jn. 1,8
  552. Ps. 88,35
  553. Mt. 3,9
  554. Gal. 5,21
  555. Mt. 3,12
  556. Id. 13,47-48
  557. 2 Tim. 2,19
  558. Rom. 8,29-30
  559. Ps. 138,36
  560. Id. 37
  561. 2 Tim. 2,19
  562. Ps. 138,38
  563. Mt. 13,43
  564. Id. 5,45
  565. Lc. 10,30
  566. Id. 2,34
  567. Ps. 138,39-46
  568. Gen. 25,23
  569. Ps. 131,11
  570. 1 R. 11,1
  571. Rom. 11,21
  572. Ps. 62,11
  573. Lc. 13,32
  574. Gen. 49,9
  575. Ps. 3,6
  576. Gal. 3,11
  577. Act. 15,9
  578. Ps. 88,47
  579. Rom. 3,25
  580. Ps. 138,48
  581. Gal. 3,19
  582. Ps. 4,3
  583. Id. 4
  584. Id. 88,49
  585. Rom. 6,9
  586. Ps. 15,10
  587. Act. 2,27-31
  588. Ps. 3,6
  589. Jn. 10,17-18
  590. Ps. 40,6
  591. Id. 88,50
  592. Ps. 43,22
  593. Id. 88,51
  594. Isa. 54,1 ; Gal. 4,21
  595. 1 Cor. 4,13
  596. Ps. 88,52
  597. Ps. 54,20
  598. Id. 88,53
  599. Mt. 23,37-38
  600. Ps. 89,1
  601. 1 Cor. 10,11
  602. Ps. 89,2
  603. Jn. 5,16
  604. Ps. 89,2
  605. Ps. 148,5
  606. Gen. 2,7
  607. Exod. 3,14
  608. Ps. 101,27-28
  609. Ps. 89,3
  610. Mt. 6,13
  611. 1 Cor. 1,31
  612. Ps. 89,4
  613. Phil. 3,13
  614. Act. 1,7
  615. Gen. 1,31
  616. Ps. 89,5-6
  617. Isa. 11,6-8
  618. Ps. 89,7
  619. Jn. 21,18
  620. Mt. 26,38
  621. Ps. 67,21
  622. Ps. 89,8
  623. Id. 9
  624. Rom. 5,12
  625. Gen. 7,20
  626. Isa. 59,6
  627. Rom. 8,23-25
  628. Héb. 12,6
  629. 2 Cor. 12,7-9
  630. Ps. 89,11-12
  631. Id. 10,4
  632. Mt. 10,28
  633. Ps. 72,2-3.17
  634. Isa. 53,1
  635. Héb. 12,6
  636. Mt. 25,32-33
  637. Sir. 6,25
  638. Ps. 89,13
  639. Id. 12,1
  640. Ps. 89,14
  641. 2 Pi. 1,19
  642. Mt. 5,6-8
  643. 2 Cor. 1,6
  644. Ps. 15,11
  645. Id. 16,15
  646. Id. 5,5
  647. Jn. 14,8-21
  648. Ps. 33,13
  649. Id. 101,28
  650. Id. 12
  651. Id. 38,5
  652. Id. 6
  653. Ps. 89,15
  654. Id. 16
  655. Eph. 2,10
  656. Phil. 2,13
  657. Ps. 72,1-14
  658. Id. 89,17
  659. Id. 4,7
  660. Rom. 13,19
  661. 1 Tim. 1,5
  662. Gal. 5,6
  663. Jn. 6,9
  664. 2 Cor. 3,16
  665. Ps. 118,18
  666. Jn. 10,7
  667. Jn. 1,3
  668. Mt. 14,25
  669. Jn. 11,38-44
  670. Id. 9,1-7
  671. Mt. 11,29
  672. Ps. 81,18
  673. 1 R. 16,22
  674. Jn. 5,5-9
  675. Act. 5,15
  676. Jn. 10,8
  677. Mt. 4,1-11
  678. Job. 1,21
  679. Job. 2,9-10
  680. Ps. 90,1
  681. Id. 2
  682. Gen. 3
  683. Ps. 90,3
  684. Jn. 14,6
  685. Jn. 8,48
  686. Ps. 90,4
  687. Mt. 13,37
  688. Jn. 1,14
  689. Ps. 90,5
  690. Apoc. 5,5
  691. Jn. 1,29
  692. Act. 4,10-11
  693. Lc. 18,13
  694. Ps. 90,6
  695. Mt. 13,3-23
  696. Eph. 3,17
  697. 1 Tim. 6,10
  698. Tertull. Apolog. c. 2
  699. Ps. 90,7
  700. Act. 9,4
  701. Mt. 25,40
  702. Id. 19,27-28
  703. 1 Cor. 15,10
  704. Act. 1,15-26
  705. 1 Cor. 6,3
  706. Mt. 19,21-22
  707. Id. 25,22-33
  708. Ps. 90,2-6
  709. Mt. 25,31
  710. 2 Tim. 2,19
  711. Ps. 90,8
  712. Mt. 25,41
  713. Ps. 90,9
  714. Mt. 4,6
  715. Phil. 3,1
  716. Eph. 5,23
  717. 1 Tim. 2,5
  718. Jn. 1,3
  719. Ps. 21,17-19
  720. Id. 2
  721. Id. 90,1
  722. Id. 23
  723. Ps. 90,4
  724. Jn. 1,14
  725. Mt. 23,37
  726. Phil. 2,6-7
  727. Ps. 90,5
  728. Mt. 25,35
  729. Ps. 90,7
  730. 2 Tim. 2,19
  731. Ps. 90,8
  732. Mt. 4,12
  733. Ps. 90,9-12
  734. Jn. 1,14
  735. Ps. 18,6
  736. Eph. 5,31-32
  737. Mt. 19,6
  738. Id. 27,26
  739. Act. 9,4
  740. Rom. 6,9
  741. Mt. 4,1-11
  742. Id. 10,14-15
  743. Id. 10,24-25
  744. Id. 4,3
  745. Mt. 14,17-21
  746. Id. 3,9
  747. 2 Cor. 12,7-9
  748. 1 R. 17,6
  749. Ps. 36,25
  750. Mt. 4,4 ; Deut. 8,3
  751. Jn. 6,41
  752. Act. 8,18-19
  753. Mt. 8,20
  754. Mt. 20,21
  755. Id. 22
  756. Id. 4,6
  757. Deut. 6,16
  758. Mc. 16,9 ; Act. 1,2-9
  759. Isa. 66,1 ; Act. 7,49
  760. Rom. 4,25
  761. Jn. 7,39
  762. Exod. 12,19
  763. Mt. 12,28
  764. Lc. 11,20
  765. Act. 2,1-4
  766. Mt. 26,69-75
  767. Act. 2,1 ; 5,29
  768. Jn. 21,15-17
  769. Ps. 90,13
  770. 1 Pi. 5,8
  771. 2 Cor. 11,2-3
  772. Ps. 90,14
  773. Id. 15
  774. Mt. 8,24-25
  775. Dan. 3,49-50
  776. 2 Mac. 7,12 ss
  777. Ps. 90,16
  778. 1 Cor. 13,12
  779. Jn. 1,1
  780. Id. 14,21
  781. Id. 15,13
  782. Jn. 3,16
  783. Mt. 25,40
  784. Cant. 1,3
  785. Mt. 6,21