L’Encyclopédie/1re édition/ALGEBRE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 259-262).

ALGEBRE, s. f. (Ordre Encyclopédique : Entendement, Raison, Science de la Nature, Science des êtres réels, des êtres abstraits, de la quantité ou Mathématiques, Mathématiques pures, Arithmétique, Arithmétique numérique & Algebre.) c’est la méthode de faire en général le calcul de toutes sortes de quantités, en les représentant par des signes très-universels. On a choisi pour ces signes les lettres de l’alphabet, comme étant d’un usage plus facile & plus commode qu’aucune autre sorte de signes. Ménage dérive ce mot de l’Arabe Algiabarat, qui signifie le rétablissement d’une chose rompue ; supposant faussement que la principale partie de l’Algebre consiste dans la considération des nombres rompus. Quelques uns pensent contre M. d’Herbelot, que l’Algebre prend son nom de Geber, Philosophe Chimiste & Mathématicien célébre, que les Arabes appellent Giabert, & que l’on croit avoir été l’inventeur de cette science ; d’autres prétendent que ce nom vient de Gefr, espece de parchemin, fait de la peau d’un chameau, sur lequel Ali & Giafur Sadek écrivirent en caracteres mystiques la destinée du Mahométisme, & les grands évenemens qui devoient arriver jusqu’à la fin du monde ; d’autres le dérivent du mot geber, dont avec la particule al on a formé le mot Algebre, qui est purement Arabe, & signifie proprement la réduction des nombres rompus en nombres entiers ; étymologie qui ne vaut guere mieux que celle de Menage. Au reste il faut observer que les Arabes ne se servent jamais du mot Algebre seul pour exprimer ce que nous entendons aujourd’hui par ce mot ; mais ils y ajoûtent toûjours le mot macabelah, qui signifie opposition & comparaison ; ainsi Algebra-Almacabelah est ce que nous appellons proprement Algebre.

Quelques Auteurs définissent l’Algebre l’art de résoudre les problèmes Mathématiques : mais c’est-là l’idée de l’Analyse ou de l’art analytique plutôt que de l’Algebre. Voyez Analyse.

En effet l’Algebre a proprement deux parties, 1°. La méthode de calculer les grandeurs en les représentant par les lettres de l’alphabet. 2°. La maniere de se servir de ce calcul pour la solution des problèmes. Comme cette derniere partie est la plus étendue & la principale, on lui donne souvent le nom d’Algebre tout court, & c’est principalement dans ce sens que nous l’envisagerons dans la suite de cet article.

Les Arabes l’appellent l’art de restitution & de comparaison, ou l’art de résolution & d’équation. Les anciens auteurs Italiens lui donnent le nom de regula rei & census, c’est-à-dire ; la regle de la racine & du quarré : chez eux la racine s’appelle res ; & le quarré, census : V. Racine, Quarré. D’autres la nomment Arithmétique spécieuse, Arithmétique universelle, &c.

L’Algebre est proprement la méthode de calculer les quantités indéterminées ; c’est une sorte d’arithmétique par le moyen de laquelle on calcule les quantités inconnues comme si elles étoient connues. Dans les calculs algébriques, on regarde la grandeur cherchée, nombre, ligne, ou toute autre quantité, comme si elle étoit donnée ; & par le moyen d’une ou de plusieurs quantités données, on marche de conséquence en conséquence, jusqu’à ce que la quantité que l’on a supposé d’abord inconnue, ou au moins quelqu’une de ses puissances, devienne égale à quelques quantités connues ; ce qui fait connoître cette quantité elle-même. Voyez Quantitté & Arithmétique.

On peut distinguer deux especes d’Algebre ; la numérale, & la littérale.

L’Algebre numérale ou vulgaire est celle des anciens Algébristes, qui n’avoit lieu que dans la résolution des questions arithmétiques. La quantité cherchée y est représentée par quelque lettre ou caractére : mais toutes les quantités données sont exprimées en nombres. Voyez Nombre.

L’Algebre littérale ou spécieuse, ou la nouvelle Algebre, est celle où les quantités données ou connues, de même que les inconnues, sont exprimées ou représentées généralement par les lettres de l’alphabet. Voyez Spécieuse.

Elle soulage la memoire & l’imagination en diminuant beaucoup les efforts qu’elles seroient obligées de faire, pour retenir les différentes choses nécessaires à la découverte de la vérité sur laquelle on travaille, & que l’on veut conserver présentes à l’esprit : c’est pourquoi quelques Auteurs appellent cette science Géométrie Métaphysique.

L’Algebre spécieuse n’est pas bornée comme la numérale à une certaine espece de problèmes : mais elle sert universellement à la recherche ou à l’invention des théorèmes, comme à la résolution & à la démonstration de toutes sortes de problèmes, tant arithmétiques que géométriques. V. Théoreme, &c.

Les lettres dont on fait usage en Algebre représentent chacune séparément des lignes ou des nombres, selon que le problème est arithmétique ou géométrique ; & mises ensemble elles représentent des produits, des plans. des solides & des puissances plus élevées, si les lettres sont en plus grand nombre : par exemple, en Géometrie, s’il y a deux lettres, comme ab, elles représentent un rectangle dont deux côtés sont exprimés, l’un par la lettre a, & l’autre par b ; de sorte qu’en se multipliant réciproquement elles produisent le plan ab : si la même lettre est répétée deux fois, comme aa, elle signifie un quarré : trois lettres, abc, représentent un solide ou un parallélepipede rectangle, dont les trois dimensions sont exprimées par les trois lettres a, b, c ; la longueur par a, la largeur par b, la profondeur ou l’épaisseur par c ; en sorte que par leur multiplication mutuelle elles produisent le solide abc.

Comme dans les quarrés, cubes, 4es puissances, &c. la multiplication des dimensions ou degrés est exprimée par la multiplication des lettres, & que le nombre de ces lettres peut croître jusqu’à devenir trop incommode, on se contente d’écrire la racine une seule fois, & de marquer à la droite l’exposant de la puissance, c’est-à-dire le nombre des lettres dont est composée la puissance ou le degré qu’il s’agit d’exprimer, comme a2, a3, a4, a5 : cette derniere expression a5, veut dire la même chose que a élevé à la cinquiéme puissance ; & ainsi du reste. V. Puissance, Racine, Exposant, &c.

Quant aux symboles, caracteres, &c. dont on fait usage en Algebre, avec leur application, &c. Voyez les articles Caractere, Quantité, &c.

Pour la méthode de faire les différentes opérations de l’Algebre, voyez Addition, Soustraction, Multiplication, &c.

Quant à l’origine de cet art, nous n’avons rien de fort clair là-dessus : on en attribue ordinairement l’invention à Diophante, auteur Grec, qui en écrivit treize livres, quoiqu’il n’en reste que six. Xylander les publia pour la premiere fois en 1575. & depuis ils ont été commentés & perfectionnés par Gaspar Bachet, Sieur de Meziriac, de l’Académie Françoise, & ensuite par M. de Fermat.

Néanmoins il semble que l’Algebre n’a pas été totalement inconnue aux anciens Mathématiciens, qui existoient bien avant le siecle de Diophante : on en voit les traces en plusieurs endroits de leurs ouvrages, quoiqu’ils paroissent avoir eu le dessein d’en faire un mystere. On en apperçoit quelque chose dans Euclide, ou au moins dans Theon qui a travaillé sur Euclide. Ce Commentateur prétend que Platon avoit commencé le premier à enseigner cette science. Il y en a encore d’autres exemples dans Pappus, & beaucoup plus dans Archimede & Apollonius.

Mais la vérité est que l’Analyse dont ces Auteurs ont fait usage, est plûtôt géométrique qu’algébrique, comme cela paroît par les exemples que l’on en trouve dans leurs ouvrages ; en sorte que l’on peut dire que Diophante est le premier & le seul Auteur parmi les Grecs qui ait traité de l’Algebre. On croit que cet art a été fort cultivé par les Arabes : on dit même que les Arabes l’avoient reçu des Perses, & les Perses des Indiens. On ajoûte que les Arabes l’apporterent en Espagne, d’où, suivant l’opinion de quelques-uns, il passa en Angleterre avant que Diophante y fût connu.

Luc Paciolo, ou Lucas à Burgo, Cordelier, est le premier dans l’Europe qui ait écrit sur ce sujet : son Livre, écrit en Italien, fut imprimé à Venise en 1494. Il étoit, dit-on, disciple d’un Léonard de Pise & de quelques autres dont il avoit appris cette méthode : mais nous n’avons aucun de leurs écrits. Selon Paciolo l’Algebre vient originairement des Arabes : il ne fait aucune mention de Diophante ; ce qui feroit croire que cet Auteur n’étoit pas encore connu en Europe. Son Algebre ne va pas plus loin que les équations simples & quarrées ; encore son travail sur ces dernieres équations est-il fort imparfait, comme on le peut voir par le détail que donne sur ce sujet M. l’Abbé de Gua, dans un excellent Mémoire imprimé parmi ceux de l’Académie des Sciences de Paris 1741. Voyez Quarré ou Quadratique, Équation, Racine, &c.

Après Paciolo parut Stifelius, auteur qui n’est pas sans mérite : mais il ne fit faire aucun progrès remarquable à l’Algebre. Vinrent ensuite, Scipion Ferrei, Tartaglia, Cardan, & quelques autres, qui pousserent cet art jusqu’à la résolution de quelques équations cubiques : Bombelli les suivit. On peut voir dans la dissertation de M. l’Abbé de Gua que nous venons de citer, l’histoire très-curieuse & très exacte des progrès plus ou moins grands que chacun de ces Auteurs fit dans la science dont nous parlons : tout ce que nous allons dire dans la suite de cet article sur l’histoire de l’Algebre, est tiré de cette dissertation. Elle est trop honorable à notre Nation pour n’en pas insérer ici la plus grande partie.

« Tel étoit l’état de l’Algebre & de l’Analyse, lorsque la France vit naître dans son sein François Viete, ce grand Géometre, qui lui fit seul autant d’honneur que tous les Auteurs dont nous venons de faire mention en avoient fait ensemble à l’Italie.

« Ce que nous pourrions dire ici à son éloge, seroit certainement au-dessous de ce qu’en ont dit déja depuis long-tems les Auteurs les plus illustres, même parmi les Anglois, dans la bouche desquels ces loüanges doivent être moins suspectes de partialité que dans celle d’un compatriote. Voyez ce qu’en dit M. Halley, Trans. Phil. n°. 190. art. 2. an. 1687.

« Ce témoignage, quelqu’avantageux qu’il soit pour Viete, est à peine égal à celui qu’Harriot, autre Algébriste Anglois, rend au même Auteur dans la préface du livre qui porte pour titre Artis Analyticæ praxis.

« Les éloges qu’il lui donne sont d’autant plus remarquables, qu’on les lit à la tête de ce même ouvrage d’Harriot, où Wallis a prétendu appercevoir les découvertes les plus importantes qui se soient faites dans l’Analyse, quoiqu’il lui eût été facile de les trouver presque toutes dans Viete, à qui elles appartiennent en effet pour la plûpart, comme on le va voir.

« On peut entr’autres en compter sept de ce genre.

« La premiere, c’est d’avoir introduit dans les calculs les lettres de l’alphabet, pour désigner même les quantités connues. Wallis convient de cet article, & il explique au ch. xiv. de son traité d’Algebre l’utilité de cette pratique.

« La seconde, c’est d’avoir imaginé presque toutes les transformations des équations, aussi bien que les différens usages qu’on en peut faire pour rendre plus simples les équations proposées. On peut consulter là-dessus son traité de Recognitione Æquationum, à la page 91. & suivantes, édit. de 1646. aussi bien que le commencement du traité de Emendatione Æquationum, page 127. & suivantes.

« La troisieme, c’est la méthode qu’il a donnée pour reconnoître par la comparaison de deux équations, qui ne différeroient que par les signes, quel rapport il y a entre chacun des coefficiens qui leur sont communs, & les racines de l’une & de l’autre. Il appelle cette méthode syncrisis, & il l’explique dans le traité de Recognitione, page 104. & suivantes.

« La quatrieme, c’est l’usage qu’il fait des découvertes précédentes pour résoudre généralement les équations du quatrieme degré, & même celles du troisieme. Voyez le traité de Emendatione, page 140. & 147.

« La cinquieme, c’est la formation des équations composées par leurs racines simples, lorsqu’elles sont toutes positives, ou la détermination de toutes les parties de chacun des coefficiens de ces équations, ce qui termine le livre de Emendatione, page 158.

« La sixieme & la plus considérable, c’est la résolution numérique des équations, à l’imitation des extractions de racines numériques, matiere qui fait elle seule l’objet d’un livre tout entier.

« Enfin on peut prendre pour une septieme découverte ce que Viete a enseigné de la méthode pour construire géométriquement les équations, & qu’on trouve expliquée page 229. & suivantes.

« Quoiqu’un si grand nombre d’inventions propres à Viete dans la seule Analyse, l’ayent fait regarder avec raison comme le pere de cette Science, nous sommes néanmoins obligés d’avoüer qu’il ne s’étoit attaché à reconnoître combien il pouvoit y avoir dans les équations de racines de chaque espece, qu’autant que cette recherche entroit dans le dessein qu’il s’étoit proposé, d’assigner en nombre les valeurs ou exactes ou approchées de ces racines. Il ne considéra donc point les racines réelles négatives, non plus que les racines impossibles, que Bombelli avoit introduites dans le calcul ; & ce ne fut que par des voies indirectes qu’il vint à bout de déterminer, lorsqu’il en eut besoin, le nombre des racines réelles positives. L’illustre M. Halley lui fait même avec fondement quelques reproches sur les regles qu’il donne pour cela.

« Ce que Viete avoit omis de faire au sujet du nombre des racines, Harriot qui vint bientôt après, le tenta inutilement dans son Artis analyticæ Praxis. L’idée que l’on doit se former de cet ouvrage, est précisément celle qu’en donne sa préface : car pour celle qu’on pourroit en prendre par la lecture du traité d’Algebre de Wallis, elle ne seroit point du tout juste. Non-seulement ce livre ne comprend point, comme Wallis voudroit l’insinuer, tout ce qui avoit été découvert de plus intéressant dans l’Analyse lorsque Wallis a écrit ; on peut même dire qu’il mérite à peine d’être regardé comme un ouvrage d’invention. Les abregés qu’Harriot a imaginés dans l’Algebre, se réduisent à marquer les produits de différentes lettres, en écrivant ces lettres immédiatement les unes après les autres : (car nous ne nous arrêterons point à observer avec Wallis qu’il a employé dans les calculs les lettres minuscules au lieu des majuscules). Il n’a point simplifié les expressions où une même lettre se trouvoit plusieurs fois, c’est-à-dire, les expressions des puissances, en écrivant l’exposant à côté. On verra bientôt que c’est à Descartes qu’on doit cet abregé, ainsi que les premiers élémens du calcul des puissances ; découverte qui en étoit la suite naturelle, & qui a été depuis d’un si grand usage.

« Quant à l’Analyse, le seul pas qu’Harriot paroisse proprement y avoir fait, c’est d’avoir employé dans la formation des équations du 3e & du 4e degré, les racines négatives, & même des produits de deux racines impossibles ; ce que n’avoit point fait Viete dans son dernier chapitre de Emendatione : encore trouve-t-on ici une faute ; c’est que l’Auteur forme les équations du 4e degré, dont les quatre racines doivent être tout à la fois impossibles, par le produit de be + aa = 0, & df + aa = 0, ce qui n’est pas assez général, les quatre racines ne devant pas être tout à la fois supposées des imaginaires pures, mais tout au plus deux imaginaires pures, & deux mixtes imaginaires ».

M. l’Abbé de Gua fait encore à Harriot plusieurs autres reproches, qu’on peut lire dans son Mémoire.

« Il n’est presque aucune Science qui n’ait dû au grand Descartes quelque degré de perfection : mais l’Algebre & l’Analyse lui sont encore plus redevables que toutes les autres. Vraissemblablement il n’avoit point lû ce que Viete avoit découvert dans ces deux Sciences, & il les poussa beaucoup plus loin. Non-seulement il marque, ainsi qu’Harriot, les produits de deux lettres, en les écrivant à la suite l’une de l’autre ; il a ajoûté à cela l’expression du produit de deux polynomes, en se servant du signe de la multiplication, & en tirant une ligne sur chacun de ces polynomes en particulier, ce qui soulage beaucoup l’imagination. C’est lui qui a introduit dans l’Algebre les exposans, ce qui a donné les principes élémentaires de leurs calculs : c’est lui qui a imaginé le premier des racines aux équations, dans les cas même où ces racines sont impossibles ; de façon que les imaginaires & les réelles remplissent le nombre des dimensions de la proposée : c’est lui qui a donné le premier des moyens de trouver les limites des racines des équations, qu’on ne peut résoudre exactement : enfin il a beaucoup ajoûté aux effections géométriques de l’Algebre que Viete nous avoit laissées, en déterminant ce que c’est que les lignes négatives, c’est-à-dire, celles qui répondent aux racines des équations qu’il nomme fausses ; & en enseignant à multiplier & à diviser les lignes les unes par les autres. Voyez le commencement de sa Géométrie. Il forme, comme Harriot, les équations par la multiplication de leurs racines simples, & ses découvertes dans l’Analyse pure se réduisent principalement à deux. La premiere, d’avoir enseigné combien il se trouve de racines positives ou négatives dans les équations qui n’ont point de racines imaginaires. Voyez Racine. La seconde, c’est l’emploi qu’il fait de deux équations du second degré à coefficiens indéterminés, pour former par leur multiplication une équation qui puisse être comparée terme à terme, avec une proposée quelconque du 4e degré, afin que ces comparaisons différentes fournissent la détermination de toutes les déterminées qu’il avoit prises d’abord, & que la proposée se trouve ainsi décomposée en deux équations du second degré, faciles à résoudre par les méthodes qu’on avoit déjà pour cet effet. Voyez sa Géomét. pag. 89. édit. d’Amst. an. 16 49. Cet usage des indéterminées est si adroit & si élégant, qu’il a fait regarder Descartes comme l’inventeur de la méthode des indéterminées ; car c’est cette méthode qu’on a depuis appellée & qu’on nomme encore aujourd’hui proprement l’Analyse de Descartes ; quoiqu’il faille avoüer que Ferrei, Tartaglia, Bombelli, Viete sur-tout, & après lui Harriot, en eussent eu connoissance.

« Pour l’Analyse mixte, c’est-à-dire l’application de l’Analyse à la Géométrie, elle appartient presque entierement à Descartes, puisque c’est à lui qu’on doit incontestablement les deux découvertes qui en sont comme la base. Je parle de la détermination de la nature des courbes par les équations à deux variables (p. 26.), & de la construction générale des équations du 3e & du 4e degré (p. 95). On peut y ajoûter l’idée de déterminer la nature des courbes à double courbure par deux équations variables (p. 74.) ; la méthode des tangentes, qui est comme le premier pas qui se soit fait vers les infiniment petits (p. 46.) ; enfin la détermination des courbes propres à réfléchir ou à réunir par réfraction en un seul point les rayons de lumiere ; application de l’Analyse & de la Géométrie à la Physique, dont on n’avoit point vû jusqu’alors d’aussi grand exemple. Si on réunit toutes ces différentes productions, quelle idée ne se formera-t-on pas du grand homme de qui elles nous viennent ! & que sera-ce en comparaison de tout cela, que le peu qui restera à Harriot, lorsque des découvertes que Wallis lui avoit attribuées sans fondement dans le chapitre 53 de son Algebre historique & pratique, on aura ôté, comme on le doit, ce qui appartient à Viete ou à Descartes, suivant l’énumération que nous en avons faite ?

« Outre la détermination du nombre des racines vraies ou fausses, c’est-à-dire positives ou négatives, dans les équations de tous les degrés qui n’ont point de racines imaginaires, Descartes a mieux déterminé, qu’on n’avoit fait jusqu’alors, le nombre & l’espece des racines des équations quelconques du 3e & du 4e degré, soit au moyen des remarques qu’il a faites sur ses formules algébriques, soit en employant à cet usage différentes observations sur ses constructions géométriques.

» Ce dernier ouvrage qu’il avoit néanmoins laissé imparfait, a été perfectionné depuis peu à peu par différens Auteurs, Debaune, par exemple ; jusqu’à ce que l’illustre M. Halley y ait mis, pour ainsi dire, la derniere main dans un beau Mémoire inséré dans les Transactions philosophiques, n°. 190. art. 2. an. 1687, & qui porte le titre suivant : de numero radicum in æquationibus solidis ac biquadraticis, sive tertiæ ac quartæ potestatis, earumque limitibus tractatulus.

» Quoique Newton fût né dans un tems où l’Analyse paroissoit déjà presque parfaite, cependant un si grand génie ne pouvoit manquer de trouver à y ajoûter encore. Il a donné en effet successivement dans son Arithmétique universelle : 1o. une regle très-élégante & très-belle pour connoître les cas où les équations peuvent avoir des diviseurs rationels, & pour déterminer dans ces cas quels polynomes peuvent être ces diviseurs : 2o. une autre regle pour reconnoître dans un grand nombre d’occasions, combien il doit se trouver de racines imaginaires dans une équation quelconque : une troisieme, pour déterminer d’une maniere nouvelle les limites des équations ; enfin une quatrieme qui est peu connue, mais qui n’en est pas moins belle, pour découvrir en quel cas les équations des degrés pairs peuvent se résoudre en d’autres de degrés inférieurs, dont les coefficiens ne contiennent que de simples radicaux du premier degré.

» A cela il faut joindre l’application des fractions au calcul des exposans ; l’expression en suites infinies des puissances entieres ou fractionnaires, positives ou négatives d’un binome quelconque ; l’excellente regle connue sous le nom de regle du parallélogramme, & au moyen de laquelle Newton assigne en suites infinies toutes les racines d’une équation quelconque ; enfin la belle méthode que cet Auteur a donnée pour interpoler les series, & qu’il appelle methodus differentialis.

» Quant à l’application de l’Analyse à la Géométrie, Newton a fait voir combien il y étoit versé, non-seulement par les solutions élégantes de différens problemes qu’on trouve, ou dans son Arithmétique universelle, ou dans ses principes de la Philosophie naturelle, mais principalement par son excellent traité des lignes du troisieme ordre. Voyez Courbe ».

Voilà tout ce que nous dirons sur le progrès de l’Algebre. Les élémens de cet Art furent compilés & publiés par Kersey en 1671 : l’Arithmétique spécieuse & la nature des équations y sont amplement expliquées & éclaircies par un grand nombre d’exemples différens : on y trouve toute la substance de Diophante. On y a ajoûté plusieurs choses qui regardent la composition & la résolution mathématique tirée de Ghetaldus. La même chose a été exécutée depuis par Prestet en 1694, & par Ozanam en 1703. Mais ces Auteurs ne parlent point ou ne parlent que fort briévement de l’application de l’Algebre à la Géométrie. Guisnée y a suppléé dans un traité écrit en François, qu’il a composé exprès sur ce sujet, & qui a été publié en 1705 : aussi-bien que le Marquis de l’Hopital dans son traité analytique des Sections coniques, 1707. Le traité de la grandeur du P. Lamy de l’Oratoire ; le premier volume de l’Analyse démontrée du P. Reyneau, & la Science du calcul du même Auteur, sont aussi des ouvrages où l’on peut s’instruire de l’Algebre : enfin M. Saunderson, Professeur en Mathématique à Cambridge, & membre de la Société Royale de Londres, a publié un excellent traité sur cette matiere, en Anglois & en deux vol. in-4o. intitulé Elémens d’Algebre. Nous avons aussi des élémens d’Algebre de M. Clairaut, dont la réputation de l’Auteur assûre le succès & le mérite.

On a appliqué aussi l’Algebre à la considération & au calcul des infinis ; ce qui a donné naissance à une nouvelle branche fort étendue du calcul algébrique : c’est ce que l’on appelle la doctrine des fluxions ou le calcul différentiel. Voyez Fluxions & Différentiel. On peut voir à l’article Analyse les principaux Auteurs qui ont écrit sur ce sujet

Je me suis contenté dans cet article de donner l’idée générale de l’Algebre, telle à peu près qu’on la donne communément, & j’y ai joint, d’après M. l’Abbé de Gua, l’histoire de ses progrès. Les Savans trouveront à l’art Arithmétique universelle. des réflexions plus profondes sur cette Science ; & à l’article Application, des observations sur l’application de l’Algebre à la Géométrie. (O)[1]


  1. Voir Errata, tome II, p. iv.