L’Encyclopédie/1re édition/DUPLICATION

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DUPLICATION, s. f. terme d’Arithmétique & de Géométrie ; c’est l’action de doubler une quantité, c’est-à-dire la multiplication de cette quantité par le nombre 2. Voyez Multiplication.

La duplication du cube consiste à trouver le côté d’un cube, qui soit double en solidité d’un cube donné : c’est un problème fameux que les Géometres connoissent depuis deux mille ans. Voyez Cube.

On prétend qu’il fut d’abord proposé par l’oracle d’Apollon à Delphes, lequel étant consulté sur le moyen de faire cesser la peste qui desoloit Athenes, répondit qu’il falloit doubler l’autel d’Apollon qui étoit cubique. C’est pourquoi, dit-on, on l’appella dans la suite le problème déliaque. Nous ne prétendons point garantir cette histoire.

Eratosthenes donne à ce problème une origine plus simple. Un poëte tragique, dit-il, avoit introduit sur la scene Minos élevant un monument à Glaucus ; les entrepreneurs donnoient à ce monument cent palmes en tout sens ; le prince ne trouva pas le monument assez digne de sa magnificence, & ordonna qu’on le fît double. Cette question fut proposée aux Géometres, qu’elle embarrassa beaucoup jusqu’au tems d’Hippocrate de Chio, le célebre quadrateur des lunules (voyez Lunule) ; il leur apprit que la question se reduisoit à trouver deux moyennes proportionnelles, comme on le verra dans un moment.

Dans la suite l’oracle de Delphes demanda qu’on doublât l’autel d’Apollon ; les entrepreneurs, pour exécuter l’ordre du dieu, consulterent l’école platonicienne, qui, comme l’on sait, faisoit une étude & une profession particuliere de la Géométrie. Il n’est pas vrai, comme Valere Maxime le raconte, que Platon ait eu recours à Euclide pour résoudre la question : ce ne pouvoit être à Euclide le géometre qui a vêcu cinquante ans après lui ; ce ne peut être à Euclide de Megare, qui n’étoit occupé que de chimeres & de subtilités dialectiques. Voyez Dialectique. Ce pouvoit être à Eudoxe de Cnide, qui étoit contemporain de Platon ; mais outre que l’histoire n’en parle pas, on sait que Platon donna une solution très-simple du problème ; elle ne suppose que la géométrie élémentaire ; & Platon étoit assez instruit & assez grand génie, pour trouver tout seul cette solution sans le secours de personne.

Ce problème ne peut être résolu qu’en trouvant deux moyennes proportionnelles entre le côté du cube & le double de ce côté : la premiere de ces moyennes proportionnelles seroit le côté du cube double. En effet si on cherche deux moyennes proportionnelles x, z, entre a & 2a, a étant le côté du cube, on aura ou , &  ; d’où l’on tire , c’est-à-dire que le cube dont le côté est x, sera double du cube dont le côté est a, Voyez Moyenne proportionnelle.

Les Géometres, tant anciens que modernes, ont donné différentes solutions de cette question ; on en peut voir plusieurs dans les élémens de Géométrie du P. Lamy, & dans le liv. X. des sections coniques de M. de l’Hopital. Mais toutes ces solutions sont méchaniques. Ce qu’on demande dans ce probleme, c’est de trouver par des opérations géométriques & sans tâtonnement le côté du cube que l’on cherche. On ne peut en venir à bout par le seul secours de la regle & du compas ; car l’équation étant du troisieme degré, ne peut être résolue par l’intersection d’une ligne droite & d’un cercle, l’équation qui résulte de cette intersection ne pouvant passer le second degré ; mais on peut y parvenir, en se servant des sections coniques, par l’intersection d’un cercle & d’une parabole ; car il n’y a qu’à construire l’équation cubique . On peut aussi y employer des courbes du troisieme degré (voyez Construction & Equation) ; à l’égard des autres moyens dont on s’est servi pour résoudre ce problème, ils consistent dans différens instrumens plus ou moins compliqués, mais dont l’usage est toûjours fautif & peu commode. La façon la plus simple & la plus exacte de résoudre la question, seroit de supposer que le côté du cube donné est exprimé en nombres ; par exemple, si l’on veut que ce côté soit de dix pouces, alors en faisant a=10, & tirant la racine cube de ou 2000 (voyez Approximation & Racine), on aura aussi près qu’on voudra la valeur de x : cette solution suffira, & au-delà, pour la pratique. Il en est de ce problème comme de celui de la quadrature du cercle, qu’on peut résoudre sinon rigoureusement, du moins aussi exactement qu’on veut, & dont une solution exacte & absolue seroit plus curieuse qu’elle n’est nécessaire.

M. Montucla, très-versé dans la Géométrie ancienne & moderne, & dans leur histoire, vient de publier un ouvrage intitulé : Histoire des recherches sur la quadrature du cercle, &c. avec une addition concernant les problèmes de la duplication du cube & de la trisection de l’angle. L’auteur a détaillé avec soin & avec exactitude dans cet ouvrage, ce qui concerne l’histoire de la duplication du cube, & c’est le seul point dont nous parlerons ici, réservant le reste pour les mots Quadrature & Trisection. M. Montucla remarque avec raison que la solution du problème donnée par Platon, étoit mechanique & avec tâtonnement ; que celle d’Architas étoit au contraire trop intellectuelle & irréductible à la pratique ; que Menechme disciple de Platon & frere de Dinostrate si connu par sa quadratrice (voyez Quadratrice), donna une solution géometrique de ce problème, en employant les sections coniques ; mais que cette solution avoit le défaut d’employer deux sections coniques, au lieu de n’en employer qu’une seule avec un cercle, comme a fait depuis Descartes, voy. Construction, Courbe, Equation, Lieu, &c. M. Montucla parle ensuite de la solution d’Eudoxe de Cnide, dont il ne reste plus de trace, & qu’un commentateur d’Archimede semble avoir déprimé mal-à-propos, si on s’en rapporte à Eratosthenes, beaucoup meilleur juge. Ce dernier nous apprend que la solution d’Eudoxe consistoit à employer de certaines courbes particulieres, telles apparemment que la conchoïde, la cissoïde, &c. ou d’autres semblables. Eratosthenes donna aussi une solution du problème ; mais cette solution, quoiqu’ingénieuse, a le défaut d’être méchanique, ainsi que celles qui furent données ensuite par Héron d’Alexandrie & Philon de Byzance, & qui reviennent à la même, quant au fond. Apollonius en donna une géométrique & rigoureuse, par l’intersection d’un cercle & d’une hyperbole. Nicomede qui vivoit vers le second siecle avant J. C. entre Eratosthenes & Hipparque, imagina, pour résoudre ce problème, sa conchoïde. M. Montucla explique avec clarté & avec facilité, l’usage que Nicomede faisoit de cette courbe pour résoudre la question dont il s’agit ; & l’usage encore plus simple que M. Newton a fait depuis de cette même courbe dans son Arithmétique universelle, pour résoudre la même question. Pappus qui vivoit du tems de Théodose, avoit réduit le problème à une construction qui peut avoir donné à Dioclès l’idée de la cissoïde, supposé, comme cela est vraissemblable, que Diocles ait vêcu après Pappus. La solution de Dioclès par le moyen de la cissoïde, est très-simple & très-élégante, d’autant plus que la cissoïde est très-aisée à tracer par-plusieurs points, & que M. Newton a donné même un moyen assez simple de décrire cette courbe par un mouvement continu. Voilà l’abregé des recherches historiques de M. Montucla sur ce problème, dont nous parlerons plus au long à l’article Moyenne proportionnelle : voyez aussi Mesolabe. Nous saisissons avec plaisir cette occasion de rendre la justice qui est dûe à l’ouvrage de M. Montucla ; il doit prévenir favorablement les Géometres pour l’histoire générale des Mathématiques que promet l’auteur, & que nous savons être fort avancée. (O)