L’Encyclopédie/1re édition/EVAPORATION

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EVAPORATION, s. f. (Physiq. part. Aérologie.) Quoiqu’il y ait peu de mots qui ait chez les auteurs des acceptions plus variées que celui-ci, on peut cependant dire en général, qu’on lui donne principalement deux significations. Quelquefois il se prend pour l’opération particuliere, par laquelle on expose les corps à une chaleur plus ou moins forte, pour les priver en tout ou en partie de leur humidité. On lui donne cette signification dans ces manieres de parler : L’évaporation des dissolutions des sels doit être conduite lentement, si l’on veut obtenir de beaux crystaux. L’évaporation se fait par le moyen du feu. L’évaporation, considérée dans ce sens, appartient à la Chimie.

Le même mot se prend souvent pour le passage ou l’élévation de certains corps dans l’atmosphere. Dans ce sens on peut dire, l’évaporation de l’eau a lieu dans les gelées les plus fortes. C’est sous ce point de vûe que nous devons considérer l’évaporation dans cet article. Commençons par en donner une idée aussi claire qu’il nous sera possible.

Presque tous les corps liquides & la plûpart des solides exposés à l’air, par l’action de ce fluide seule, ou aidée d’une chaleur modérée, s’élevent peu-à-peu dans l’atmosphere, les uns totalement, d’autres seulement en partie : ce passage, ou cette élévation totale ou partiale des corps dans l’atmosphere, les Physiciens l’appellent évaporation. Les corps élevés dans l’air par l’évaporation, s’y soûtiennent dans un tel état, qu’ils sont absolument invisibles, jusqu’à ce que par quelque changement arrivé dans l’atmosphere, leurs particules se réunissent en de petites masses qui troublent sensiblement la transparence de l’air : par exemple, l’air est (comme nous le ferons voir dans la suite) en tout tems plein d’eau qui s’y est élevée par évaporation, & y demeure invisible jusqu’à ce que de nouvelles circonstances réunissent ses molécules dispersées, en de petites masses qui troublent sensiblement sa transparence. C’est ce qui distingue l’évaporation de l’élevation dans l’atmosphere de certains corps petits & legers, tels que la poussiere, qui ne s’y élevent & ne s’y soûtiennent que par l’impulsion méchanique de l’air agité, qui conservent dans l’air leur même volume, leur opacité, & retombent dès que l’air cesse d’être agité.

L’élevation de certains corps dans l’atmosphere, produite par un degré de chaleur suffisant pour les décomposer, ou par l’ustion même, a un plus grand rapport avec l’évaporation. Les particules élevées par ces moyens dans l’air, sont de la même nature que celles qui s’y élevent par l’évaporation ; elles s’y soûtiennent aussi dans un tel état de division, qu’elles sont parfaitement invisibles. Par exemple, le soufre en brûlant se décompose ; l’acide vitriolique & le principe inflammable dont il étoit composé (voy. Soufre), dégagés l’un de l’autre, s’élevent dans l’atmosphere & y deviennent invisibles. Par la calcination, les métaux imparfaits se décomposent ; leur principe inflammable s’éleve dans l’atmosphere. Les matieres animales ou végétales, privées de leurs parties volatiles libres & de l’eau surabondante, exposées au degré de feu nécessaire pour les analyser, se décomposent ; & par cette décomposition, il se dégage des principes volatiles, propres à s’élever & se soûtenir dans l’atmosphere. Par ces exemples il est clair que l’évaporation ne differe point essentiellement de l’élevation des particules volatiles dégagées par l’application d’une chaleur suffisante, pour décomposer les corps, ou par l’ustion ; que ces opérations ne font que disposer les corps à l’élevation de certaines de leurs parties ; qu’au reste les particules qui s’élevent dans l’air par cette voie, sont de la même nature, & s’y soûtiennent de même que celles qui s’y élevent par évaporation : cependant l’usage a voulu qu’on n’appellât point évaporation, l’élevation des particules détachées par ces opérations qui décomposent les corps ; il a restreint la signification de ce mot à l’élevation des parties volatiles libres & dégagées de principes qui puissent les fixer, & qui pour s’élever dans l’atmosphere, ou ne demandent aucune chaleur artificielle, ou demandent seulement une chaleur modérée, qui n’excede guere celle de l’eau bouillante. Ce que j’ai dit jusqu’ici me paroît suffisant pour donner une idée exacte de ce qu’on entend par évaporation. Entrons actuellement en matiere, & considérons premierement quels sont les corps susceptibles d’évaporation, & quelle est la nature des particules qui s’élevent par cette voie dans l’atmosphere.

Parmi les corps susceptibles d’évaporation, les liquides tiennent sans doute le premier rang ; la plûpart de ces corps exposés à l’air libre, s’évaporent sans le secours d’aucune chaleur étrangere, & même dans les plus fortes gelées : mais il y en a aussi qui ne sont susceptibles d’évaporation, qu’autant qu’ils sont exposés à une chaleur plus ou moins forte. Ainsi, par exemple, les huiles grasses exposées à l’air libre à l’abri des rayons du soleil, ne souffrent pas une évaporation sensible : mais exposés à la chaleur de l’eau bouillante, elles s’évaporent, & de plus acquierent par une ébullition continuée, la propriété de s’évaporer sans le secours d’une chaleur étrangere ; propriété qu’elles acquierent de même en rancissant. L’huile de tartre par défaillance, & la plûpart des eaux meres exposées à l’air libre, attirent l’humidité de l’air, bien loin de s’évaporer : mais une chaleur plus ou moins forte, & qui n’excede pas le degré de l’eau bouillante, les fait évaporer. L’acide vitriolique est aussi sujet à l’évaporation ; mais il demande pour s’évaporer une chaleur d’autant plus forte, qu’il est plus concentré : de sorte que quand il est bien concentré, il faut pour l’élever dans l’atmosphere un degré de chaleur, qui va presque à faire rougir le vaisseau dans lequel il est contenu. Les liqueurs qui s’évaporent avec le plus de rapidité sont principalement l’eau pure, les vins, l’esprit-de-vin, l’éther vitriolique & nitreux, l’esprit volatil de sel ammoniac, l’acide nitreux fumant, l’acide sulphureux ; le dernier est si volatil, que suivant le témoignage de Stahl (obs. & animad. ccc. §. 37.) exposé à l’air libre, il s’évapore vingt fois plus vîte qu’une égale quantité d’esprit-de-vin le mieux rectifié : cet acide paroît s’évaporer plus rapidement que tous les liquides que je viens de nommer ; les autres, à-peu-près suivant l’ordre dans lequel je les ai placés. M. de Mairan a prouvé par des expériences, que l’esprit-de-vin s’évapore huit fois plus rapidement que l’eau. Voyez sa dissert. sur la glace.

Les corps solides, tirés des animaux & des végétaux, sont aussi pour la plûpart sujets à l’évaporation ; & même plusieurs matieres minérales n’en sont pas exemptes. Ainsi la terre qu’on appelle proprement humus, est susceptible d’évaporation. La soude, les sels neutres à base-saline, à base-terreuse, à base métallique, perdent aussi par l’évaporation ; mais je doute qu’ils puissent perdre par cette voie autre chose que leur eau de crystallisation ; & je pense que nous devons encore suspendre notre jugement sur ce qu’avancent quelques auteurs, que le sublimé corrosif, la lune cornée, & les autres sels neutres qui peuvent se sublimer dans les vaisseaux fermés, peuvent aussi s’élever & se soûtenir dans l’atmosphere sans se décomposer. Le mercure & l’arsenic des boutiques, ou, pour parler avec plus d’exactitude, la chaux du régule d’arsenic, le minéral singulier de nature en même tems acide & vitriolique, paroissent aussi devoir trouver place parmi les corps susceptibles d’évaporation.

L’eau, l’air, le principe inflammable & des molécules de nature terreuse, sont en général les matieres qui s’élevent dans l’atmosphere par l’évaporation. Faisons en particulier quelques réflexions sur chacune de ces matieres.

Il y a long-tems que les Physiciens ont remarqué que l’eau faisoit la matiere principale de l’évaporation. Pour se convaincre de cette vérité, il a suffi de remarquer que les corps liquides ou humides étoient les plus susceptibles d’évaporation, & que les particules qui s’élevent par cette voie de presque tous les corps, même solides, reçûes & amassées dans des vaisseaux convenables, se présentoient sous une forme liquide. Or l’eau étant la base de tous les liquides de la nature, il étoit facile d’en déduire que les corps perdoient principalement de l’eau par l’évaporation. Il n’y a pas plus de difficulté par rapport à l’air : ce fluide étant contenu abondamment dans toute sorte d’eau, il est clair qu’il doit s’elever avec elle dans l’atmosphere. Nous verrons dans la suite que cet air rendu élastique par la chaleur, contribue à accélérer l’évaporation de l’eau.

Par l’évaporation il s’éleve aussi dans l’atmosphere des molécules de nature terreuse : mais ces molécules sont par elles-mêmes incapables de s’élever dans l’air ; elles n’acquierent cette propriété, qu’autant qu’elles contractent une union intime avec des molécules d’eau. Ainsi, par exemple, les terres pures, animales ou végétales, bien loin d’être susceptibles d’évaporation, résistent au contraire à la plus grande violence du feu : ces mêmes terres combinées avec l’eau, dans les huiles, les sels acides, les sels alkalis volatils, deviennent propres à s’élever avec elle dans l’atmosphere.

Ce que je viens de dire des molécules terreuses, se peut appliquer au principe inflammable. Les molécules de ce corps principe sont à la vérité très-déliées, & s’elevent dans l’air avec une extrème facilité, lorsqu’elles sont libres & dégagées : mais il est tellement fixé dans tous les corps, où il n’est pas combiné avec l’eau, qu’il ne s’y trouve jamais libre & propre à s’élever dans l’atmosphere par une évaporation proprement dite ; on le trouvera, au contraire, constamment combiné avec l’eau dans tous les corps, d’où il peut s’élever dans l’air par cette voie. Mais quoique le principe inflammable ne s’éleve point seul dans l’atmosphere par une évaporation proprement dite ; cependant combiné d’une certaine maniere avec les molécules terreuses & l’eau, il rend ces corps susceptibles d’une évaporation beaucoup plus rapide. C’est une vérité connue des Chimistes, & qu’il seroit aisé de prouver par un grand nombre d’exemples ; je me contenterai d’alléguer celui de l’acide sulphureux volatil. L’acide vitriolique est moins volatil que les autres ; il s’évapore même plus difficilement que l’eau, quoiqu’il ne soit pas concentré : combinez cet acide d’une certaine maniere avec le principe inflammable, il en résulte l’acide sulphureux volatil, dont l’évaporation est, comme nous l’avons dit plus haut, vingt fois plus rapide que celle de l’esprit-de-vin.

Ce que je viens d’avancer, que le principe inflammable ne s’éleve point seul dans l’atmosphere par l’évaporation, paroîtra peut-être sujet à une difficulté. On pourra m’objecter que plusieurs métaux imparfaits exposés à l’air libre, se rouillent, ou, ce qui revient au même, perdent leur principe inflammable sans le secours d’aucune chaleur étrangere ; & qu’au moins dans ce cas, le principe inflammable peut s’élever dans l’atmosphere seul & par une véritable évaporation : mais il n’est pas difficile de répondre à cette difficulté. Pour la résoudre il suffis de remarquer que dans ce cas le principe inflammable ne s’éleve pas dans l’atmosphere par une simple évaporation ; mais qu’avant de s’y élever, il souffre une opération préliminaire, une calcination qu’on appelle par voie humide. V. Rouille. L’eau que l’air dépose sur les métaux, aidée peut-être de l’acide universel répandu dans l’air, les attaque insensiblement, les décompose ; & dégageant le principe inflammable de la terre qui le fixoit, elle le rend propre à s’élever avec elle dans l’atmosphere.

Si les réflexions que je viens de faire sur les terres pures & le principe inflammable sont justes ; si ces corps principes ne s’élevent dans l’atmosphere par l’évaporation proprement dite, qu’autant que l’eau se trouve combinée avec eux ; ne sommes-nous pas en droit d’en conclure que l’eau doit être regardée, pour ainsi dire, comme la base ou le fondement de toute évaporation ? On doit seulement en excepter celle du mercure ; encore pourroit-on soupçonner, avec le célebre M. Roüelle (Voyez ses cahiers, ann. 1747.), que l’eau qui se trouve unie à ce fluide, contribue beaucoup à le rendre évaporable ; & que ce n’est qu’en lui enlevant cette eau, qu’on peut par des opérations assez simples, & qui n’alterent pas sa nature, lui donner un degré de fixité, tel qu’il résiste pendant long-tems à un feu assez violent.

De quelle maniere, par quel méchanisme singulier les particules dont nous venons de parler, peuvent-elles s’élever dans l’atmosphere & s’y soûtenir ? Ces particules & celles du fluide dans lequel elles s’élevent, se refusant par leur extrème ténuité aux sens & aux expériences, les Physiciens ont tâché de répondre à cette question par des hypotheses : mais ces hypothéses quoique très-ingénieuses, paroissent toutes avoir le défaut général de ces sortes de systèmes, d’être gratuites & de s’éloigner de la nature. Nous allons donner une idée aussi exacte qu’il nous sera possible, de ces différentes suppositions, & marquer en même tems les difficultés qu’elles paroissent souffrir. L’Encyclopédie étant destinée à transmettre à la postérité les connoissances, ou, si l’on veut, les idées de ce siecle, je me crois aussi obligé de transcrire ici ce que j’ai donné sur cette matiere, dans un mémoire qui doit être imprimé à la fin des mémoires de l’académie des Sciences, pour l’année 1751.

Les corps susceptibles d’évaporation s’évaporent d’autant plus rapidement, qu’ils sont plus échauffés. C’est sans doute cette observation toute simple qui a donné lieu à l’hypothèse la plus généralement adoptée, sur le méchanisme de l’évaporation. On a supposé que les molécules d’eau étant raréfiées par la chaleur, ou, ce qui revient au même, par l’adhésion des particules ignées, leur pesanteur spécifique diminuoit à tel point que les molécules, devenues plus legeres que l’air, pouvoient s’élever dans ce fluide, jusqu’à ce qu’elles fussent parvenues à une couche de l’atmosphere, dont la pesanteur spécifique fût égale à la leur. Les vapeurs, dit s’Gravesande (Elém. de Phys. prem. édit. §. 2543.), s’élevent en l’air & sont soûtenues à différentes hauteurs, suivant la différence de leur constitution, aussi-bien que de celle de l’air ; & à cette occasion il cite le parag. 1477, où il dit : Si on suppose que le fluide & le solide sont de même gravité spécifique, ce corps ne montera ni ne descendra, mais restera suspendu dans le fluide à la hauteur où on l’aura mis.

Les paroles de cet homme respectable que je viens de rapporter, suffiront pour donner une idée précise de ce sentiment. Tâchons de faire voir en peu de mots qu’il est contraire à l’observation. Je demanderai premierement aux physiciens qui adoptent cette opinion, quel degré de chaleur ils croyent nécessaire pour raréfier les molécules d’eau, au point qu’elles deviennent spécifiquement plus legeres que l’air. S’ils consultent les observations, ils seront obligés de fixer ce degré beaucoup au-dessous du terme de la glace, puisque la glace s’évapore même dans les froids les plus rigoureux. Voyez la diss. sur la glace de M. de Mairan, p. 308. Or je ne crois pas que personne puisse de bonne-foi regarder ce degré de chaleur comme capable de rendre le volume des molécules d’eau huit cents fois plus grand ; & pour peu qu’on y refléchisse, on s’appercevra bien-tôt qu’il seroit très-aisé de prouver le contraire. Il est vrai que M. Musschenbroek a tâché de faire voir par un calcul, que la chaleur du terme de la glace étoit capable de raréfier les molécules d’eau, jusqu’à les rendre spécifiquement plus legeres que l’air. Voici son raisonnement.

« Nous avons vû que la vapeur de l’eau bouillante est 14000 fois plus rare que l’eau même ; or la chaleur de cette vapeur est alors au thermometre de 212 degrés. La chaleur de l’été en plein midi de 90 degrés ; par conséquent la vapeur de l’eau ainsi échauffée, sera alors 5943 fois plus rare que l’eau ; & si l’on suppose que la chaleur du thermometre est de 32 degrés, il faudra que la vapeur soit 2113 fois plus rare que l’eau : or l’air n’est d’ordinaire que 600, 700, ou 800 fois plus rare que l’eau, & par conséquent la vapeur sera encore plus rare que l’air. Mais il gele lorsque le thermometre est au 32 degré ; par conséquent la vapeur pourra sortir de l’eau & de la glace en hyver, & s’élever ensuite dans l’air ». Essais de Physique, pag. 739. Mais il est clair que le célebre physicien s’est trompé dans cet endroit ; & sans m’arrêter à combattre le fond de son calcul, je me contenterai de faire observer, que si au lieu du thermometre de Farenheit, qui met le terme de la glace au 32 degré, il s’étoit servi du thermometre de M. de Reaumur, qui met le même terme au zéro, il auroit conclu du même calcul que la chaleur du terme de la glace étoit incapable de raréfier les molécules d’eau en aucune maniere.

D’ailleurs, quand bien même on accorderoit pour un moment la possibilité de cette supposition, il n’en seroit pas plus difficile de faire voir que la nature n’est point d’accord avec ce sentiment : en effet, cette opinion exclut toute idée d’uniformité dans la répartition des vapeurs sur toute l’étendue de l’atmosphere. Elle suppose nécessairement qu’en été, dans les grandes chaleurs, les particules d’eau très raréfiées devroient s’élever fort haut, & abandonner la partie de l’atmosphere qui avoisine la terre ; qu’au contraire en hyver, ces mêmes particules condensées & plus pesantes, devroient se trouver en beaucoup plus grande quantité proche de la terre, qu’en été : or tout le contraire a lieu, comme je l’ai prouvé dans le mémoire que j’ai déjà cité. Ces remarques me paroissent suffisantes pour faire voir que si les molécules d’eau s’élevent dans l’air, ce n’est pas parce qu’elles deviennent spécifiquement plus legeres que celles de ce fluide, & qu’on ne doit pas croire que les particules, en s’élevant & se soûtenant dans l’atmosphere, suivent les mêmes lois qu’un corps solide répandu dans ce fluide. Je ne m’arrêterai pas davantage à combattre cette opinion, croyant qu’il seroit inutile de s’attacher à entasser un grand nombre d’argumens contre ces sortes de suppositions, que les Physiciens négligent de plus en plus, & que leurs auteurs même défendent avec peu de chaleur.

M. Hamberger a senti le défaut de vraissemblance de l’hypothèse que nous venons de combattre ; & l’ayant réfutée solidement dans ses élémens de Physique, & dans sa belle dissertation sur les causes de l’élévation des vapeurs, il lui substitue une autre hypothèse qui lui paroît plus conforme aux observations, mais qui examinée suivant les lois de la saine Physique, me semble souffrir pour le moins autant de difficultés que la premiere. « Si nous supposons, dit-il p. 57 de la Dissertation que nous venons de citer, que la molécule susceptible d’évaporation, tandis qu’elle est encore contiguë au corps dont elle s’efforce de s’éloigner, est environnée dans sa surface intérieure de particules ignées, & par sa partie supérieure contiguë à l’air, dans cette supposition, le feu & l’air étant des fluides plus legers que la molécule, lui adhéreront ; donc ils agiront sur elle, mais inégalement. L’air agira avec plus de force que le feu, à cause de la différence qui se trouve entre les gravités spécifiques de ces deux fluides : par conséquent, la molécule susceptible d’évaporation, tendra vers les deux parties opposées, par une réaction inégale, c’est-à-dire avec plus de force vers le haut que vers le bas ». C’est ainsi qu’il expliquoit le méchanisme du passage d’une molécule évaporable dans l’air ; mais cette explication me paroît sujette à des objections auxquelles il seroit difficile de satisfaire. En effet, M. Hamberger suppose qu’une molécule qui est à la surface d’un corps évaporable, de l’eau, par exemple, s’éleve dans l’air parce qu’elle adhere plus à l’air, qui est supérieur, qu’aux particules ignées qui la ceignent inférieurement ; mais dans cette explication, il fait entierement abstraction de la cohésion des molécules d’eau entr’elles : or quels corps pourra-t-on de bonne foi supposer se toucher & avoir une force de cohésion, si l’on refuse de reconnoître que les molécules d’eau assemblées en masse se touchent & s’attirent réciproquement par une force de cohésion ? Voyez Cohésion.

M. Hamberger paroît lui-même reconnoître tacitement le peu de vraissemblance de cette explication ; puisque dans l’édition de 1750 de ses Elémens de Physique, que j’ai entre les mains, il n’avance plus que cette élévation des particules évaporables soit dûe à leur adhésion plus grande à l’air qui est au-dessus, qu’aux molécules ignées qui les ceignent inférieurement. Il se contente de dire en général, que les molécules ignées passant des corps chauds dans l’air, plus froid que les corps, elles entraînent avec elles les particules évaporables. Mais malgré cette modification, l’hypothèse n’en est pas plus d’accord avec les observations. Si on suppose avec M. Hamberger, que l’évaporation se fait par le passage des particules ignées des corps évaporables, dans l’air plus froid que ces corps, il s’ensuivra nécessairement qu’il n’y aura point d’évaporation toutes les fois que les corps qui en sont susceptibles seront aussi froids ou plus froids que l’air ; ce qui est évidemment contraire à l’observation.

Dans l’ouvrage que nous venons de citer, M. Hamberger fait encore une addition plus essentielle à sa premiere hypothèse ; il y avance que les particules évaporables qui sont à la superficie des corps, passent dans l’air par voie de dissolution, modo solutionis (Elémens de Physique, §. 477.) & à cette occasion, il cite le paragraphe 242. où il se propose d’expliquer le méchanisme de la dissolution, & où il détermine la maniere dont les particules du corps dissous s’arrangent dans les interstices des molécules du dissolvant. M. Hamberger n’est pas le seul qui ait dit que l’évaporation se faisoit par une espece de dissolution : plusieurs physiciens ayant adopté, comme lui, une hypothèse sur la dissolution, ont crû expliquer le méchanisme de l’évaporation, en disant qu’il étoit semblable à celui de la dissolution. Pour combattre les systèmes de ces auteurs sur l’évaporation, il faudroit donc commencer par examiner les différentes hypothèses qu’ils ont adoptées sur le méchanisme de la dissolution ; mais cet examen appartient proprement à la Chimie, & sera fait par M. Venel à l’article Menstrue, beaucoup mieux que je ne pourrois le faire. Je me contenterai de dire ici, qu’il me paroît que jusqu’à présent les Physiciens ne nous ont donné sur ce sujet que de pures suppositions ; & que c’est une chose généralement reçûe des Chimistes éclairés, juges compétens dans cette matiere, que ces hypothèses des Physiciens sont très-éloignées d’être d’accord avec les phénomenes de la dissolution.

Après avoir expliqué la maniere dont les particules évaporables se détachent de la superficie des corps, & passent dans l’air, M. Hamberger se sert d’une nouvelle supposition, pour expliquer le méchanisme par lequel les molécules s’élevent dans l’atmosphere : il pense que l’air est échauffé par les vapeurs ; que cet air chargé de vapeurs, devenu plus chaud, & par conséquent plus rare & plus leger que l’air environnant, s’éleve nécessairement, & par son mouvement entraîne avec lui les vapeurs : mais cette seconde partie de son hypothese a encore le défaut de supposer que les molécules évaporables ne s’élevent dans l’atmosphere qu’autant que les corps desquels elles se détachent sont plus chauds que l’air environnant ; ce qui est, comme nous l’avons déjà remarqué, contraire à l’observation journaliere.

Après cet examen des principales hypothèses que les Physiciens nous ont données sur l’évaporation, je crois, comme je l’ai déjà dit, devoir rendre compte de ce que j’ai donne moi-même sur cette matiere. C’est ce que je vais faire en transcrivant une partie de mon memoire, pour en expliquer clairement le dessein : je commence par quelques remarques sur le mot dissolution.

« Le mot dissolution est employé par les Chimistes, pour signifier des choses très-différentes. Quelquefois ils s’en servent pour exprimer l’action du dissolvant sur le corps qui s’y dissout. C’est dans ce sens qu’ils disent que la dissolution du sel dans l’eau se fait par l’action des molécules d’eau, qui, comme autant de coings, s’insinuent entre les molécules du sel, ou parce que les molécules d’eau ont une affinité particuliere avec les particules du sel. Dans d’autres circonstances, il se servent du mot dissolution, pour signifier le mélange singulier qui résulte de la suspension du corps dissous dans le dissolvant. On attache cette idée au mot dissolution, lorsqu’on dit : la dissolution du cuivre dans l’huile de vitriol est bleue. C’est dans ce dernier sens que l’employerai ordinairement le mot dissolution dans ce mémoire. S’il m’arrive de lui donner la premiere signification, j’aurai soin de le déterminer par les termes qui l’accompagneront.

» Nous n’avons jusqu’ici aucune connoissance certaine sur le méchanisme de la dissolution, considérée comme l’action du dissolvant. Les meilleurs Chimistes prétendent que la nature du mélange singulier du dissolvant, & du corps dissous qui constitue l’état de dissolution, est mieux connue, & qu’il consiste dans l’union intime des dernieres molécules de ces deux corps. Mais comme cette considération n’est point essentielle à mon objet, je ne m’arrêterai point à examiner les expériences qui semblent démontrer la vérité de ce sentiment. Il me suffira de remarquer que ce mélange singulier, qui constitue l’état de dissolution, est caractérisé par une propriété sensible à laquelle on peut le reconnoître.

» Cette qualité sensible, c’est la transparence. Ainsi, de l’aveu de tous les Chimistes, lorsqu’un corps solide ou fluide est suspendu dans un fluide, de sorte que du mélange de ses deux corps, il en résulte un fluide homogene & transparent, alors on peut dire que les deux corps sont mêlés dans l’état d’une véritable dissolution. Si au contraire un corps solide divisé en molécules très-subtiles, est suspendu dans un fluide transparent, de sorte que du mélange de ces deux corps, il résulte un tout hétérogene opaque ; alors on peut assûrer qu’il n’y a point de véritable dissolution, & que le corps solide est suspendu dans le fluide, dans l’état que les Chimistes appellent état de simple division méchanique. De même si deux fluides sont mêlés ensemble, de sorte que leurs molécules, quoique très-subtiles, ne soient cependant pas si intimement unies, qu’elles ne conservent encore leurs propriétés particulieres ; le fluide qui résulte du mêlange de ces deux fluides, n’est point homogene. Les réfractions différentes que la lumiere souffre en le traversant, le rendent opaque, quoique composé de deux fluides transparens ; & dans ce cas, il n’y a point de véritable dissolution ; ces deux fluides sont mêlés dans l’état de simple division méchanique.

» Après ce que je viens de dire sur la dissolution, on concevra aisément le dessein de ce mémoire. Le voici en peu de mots. Personne n’ignore que l’eau peut se charger de sel, & le soûtenir dans l’état de véritable dissolution. On sait de plus que le mélange d’eau & de sel a certaines propriétés particulieres ; que, par exemple, une certaine quantité d’eau à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu’une quantité de sel déterminée ; qu’étant saoulée de sel à un degré de chaleur donné, elle en pourroit dissoudre de nouveau, si on l’échauffoit d’avantage ; qu’au contraire, si elle venoit à se refroidir, elle laisseroit nécessairement précipiter une partie du sel qu’elle tenoit en dissolution. Appliquez au mélange d’air & d’eau, qui constitue notre atmosphere, ce que je viens de dire sur les dissolutions des sels dans l’eau, c’est-là le principal objet de la premiere partie de ce mémoire. Je me propose donc de faire voir que l’air de notre atmosphere contient toûjours de l’eau dans l’état de véritable dissolution ; qu’une quantité d’air déterminée à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu’une certaine quantité d’eau ; qu’étant saoulé d’eau à un degré de chaleur donné, il en pourroit dissoudre de nouvelle, si on l’échauffoit davantage ; qu’au contraire, si étant saoulé d’eau à un degré de chaleur donné, il vient à se refroidir, il laisse nécessairement précipiter une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution ».

Article premier. L’eau souffre dans l’air une véritable dissolution. « Cette proposition peut facilement se démontrer par une expérience connue de tout le monde, mais à laquelle on n’avoit pas fait toute l’attention qu’elle mérite. Il s’agit seulement de mettre un jour d’été de la glace dans un verre bien sec. Le verre s’obscurcit bien-tôt après ; ses parois extérieures se couvrent d’une infinité de petites bulles d’eau. L’eau qui, dans cette expérience, s’attache en très-grande quantité aux parois du verre, se trouvoit donc suspendue dans l’air qui l’environnoit, & comme elle ne troubloit point sa transparence, cette expérience réussissant par le tems le plus serein, il est clair qu’elle y étoit contenue dans l’état l’une véritable dissolution. Ce sont les premieres réflexions que j’ai faites sur cette expérience, qui m’ont conduit de conséquence en conséquence, à toutes les propositions que je tâcherai d’établir dans ce mémoire ».

Art. II. Cette dissolution a les mêmes propriétés que la dissolution de la plûpart des sels dans l’eau. « L’air échauffé à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu’une quantité d’eau déterminée. Si étant chargé de cette quantité d’eau, il vient à se refroidir, il laisse précipiter une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution[1]. Si au contraire il s’échauffe, il en peut dissoudre davantage. L’expérience qui suit me paroît démontrer évidemment la vérité de ce que je viens d’avancer.

» Vers le commencement du mois d’Août de l’année derniere, le tems étant fort serein, je pris une bouteille ronde de verre blanc : je la bouchai exactement ; elle ne contenoit que de l’air, dont la chaleur étoit ce jour là au vingtieme degré du thermometre de M. de Reaumur : je laissai cette bouteille sur ma fenêtre, & quelques jours après j’observai le matin, que le froid de la nuit ayant fait descendre mon thermometre au quinzieme degré, ce froid avoit déja fait précipiter une partie de l’eau dissoute dans l’air renfermé dans ma bouteille. Cette eau étoit ramassée en petites gouttelettes, à la partie supérieure, qui étant la plus exposée, devoit se refroidir la premiere. Après cette premiere observation, je transportai ma bouteille sur la plate-forme de notre observatoire ; je l’y fixai sur le porte-lunette de la machine parallactique ; je mis au même endroit un thermometre : visitant ma bouteille tous les matins, j’observai qu’au 15e degré, il se formoit une petite rosée dans l’intérieur & à la partie supérieure de la bouteille, & que cette rosée étoit d’autant plus considérable, que le froid de la nuit avoit fait descendre le thermometre plus bas ; enfin vers le sixieme degré, la rosée qui se formoit dans l’intérieur de la bouteille étoit si considérable, que j’ai cru pouvoir en conclure, qu’une grande partie du poids de l’air, au moins en été, doit être attribuée à l’eau qu’il tient en dissolution. Lorsque la chaleur étoit assez forte, l’air contenu dans la bouteille dissolvoit dans le jour l’eau qui s’étoit précipitée pendant la nuit.

» Voici une autre expérience qui, dans le fond, ne differe point de la précédente, & qui demande beaucoup moins de tems. Je prends un jour d’été un globe de verre blanc[2] ; je bouche exactement son ouverture[3] ; examinant ce globe avec toute l’attention possible, on n’y peut pas découvrir une seule gouttelette d’eau. Ce globe étant ainsi préparé, je le place sur un grand gobelet plein d’eau refroidie presqu’au terme de la glace ; de maniere qu’une partie du globe soit contiguë à l’eau : après avoir laissé les choses dans cet état pendant trois ou quatre minutes, je retire le globe, & ayant essuyé la partie mouillée, qui étoit contiguë à l’eau, on la trouve couverte intérieurement de petites gouttes d’eau : cette eau se redissout à mesure que le globe se réchauffe ; ensuite laissant échauffer l’eau contenue dans le gobelet, & y exposant le globe à diverses reprises, on observe que moins l’eau du gobelet est froide, moins est grande la quantité d’eau qui se précipite, & qu’enfin au-dessus d’un certain degré, il ne se précipite plus rien. Dans cette expérience, je mets seulement une partie du globe dans l’eau froide, afin de concentrer dans un petit espace l’eau qui se précipite : si on plongeoit le globe tout entier dans l’eau froide, l’eau qui se précipiteroit ne seroit pas en assez grande quantité pour être bien sensiblement étendue sur toute la surface intérieure du globe.

» On pourroit penser que, quoique je ne me serve que de globes tout neufs, l’air auroit cependant pû y porter des particules d’eau qui, étendues sur toute la surface du globe, ne s’appercevroient pas, & ne deviendroient sensibles dans cette expérience, que parce que l’inégalité de chaleur des parois du globe les feroit se ramasser dans l’endroit le plus froid. Cette idée pourroit faire douter, si l’expérience dont il s’agit est effectivement démonstrative ; c’est pourquoi j’ai cru qu’il ne seroit pas inutile de prévénir cette objection par l’expérience qui suit. J’ai pris un globe de verre, bouché comme je l’ai dit ci-dessus : dans l’expérience dont il s’agit, l’eau refroidie au huitieme degré, produisoit une précipitation bien sensible sur la partie du globe qui lui étoit contiguë. Au dixieme degré, il ne se faisoit aucune précipitation : l’eau étant froide à ce degré, j’ai exposé ce globe au soleil. Il est certain que dans ce dernier cas, la chaleur des parties du globe qui étoit hors de l’eau, surpassoit plus la chaleur de la partie du globe qui étoit contiguë à l’eau, que lorsque le globe étoit dans la chambre, & que l’eau étoit froide au huitieme degré : cependant il ne se faisoit aucune précipitation ; d’où il résulte, que l’inégalité de chaleur des différentes parties du globe, ne suffit pas pour produire cet effet ; que par conséquent les gouttelettes d’eau, qui dans cette expérience se précipitent sur la partie du globe contiguë à l’eau froide, n’étoient point auparavant étendues sur toute la surface intérieure du globe ; & en un mot, que cette expérience démontre effectivement ce que nous avions dessein de prouver.

» Nous avons démontré dans l’article précédent, que l’eau se soûtient dans l’air, dans l’état d’une véritable dissolution[4]. Maintenant si l’on pese attentivement toutes les circonstances des deux expériences que je viens de rapporter, on sera obligé de convenir qu’elles démontrent tout ce que nous avons avancé au commencement de cet article. Nous devons encore remarquer, que de même que les sels en se crystallisant, retiennent une partie de l’eau qui les tenoit en dissolution ; ainsi l’eau qui se précipite, retient une partie de l’air qui la tenoit en dissolution : de même que plusieurs sels privés de leur eau de crystallisation, la reprennent s’ils sont exposés à l’air ; ainsi l’eau dépouillée, s’il est permis de parler ainsi, de son air de crystallisation, le reprend bien-tôt après : d’où il suit qu’il y a une parfaite analogie entre la dissolution des sels dans l’eau, & celle de l’eau dans l’air ; de sorte que le physicien, qui pourra développer le méchanisme de la dissolution des sels dans l’eau, expliquera en même tems le méchanisme de l’élevation & de la suspension de l’eau dans l’air, & donnera, pour ainsi dire, la clé de l’explication entiere & exacte de la formation de plusieurs météores ».

Quoique les deux articles de mon mémoire, que je viens de transcrire, paroissent suffisans pour établir ce que je m’étois proposé, que l’eau se soûtient dans l’air dans l’état de dissolution, & que cette dissolution a les mêmes propriétés que celle des sels dans l’eau : je crois cependant qu’il ne sera pas inutile d’ajoûter le troisieme article, sur la maniere de déterminer les causes qui font varier la quantité d’eau que l’air tient en dissolution, parce que les expériences rapportées dans cet article, confirment encore cette théorie.

Article III. Maniere de déterminer les causes qui font varier la quantité d’eau que l’air libre tient en dissolution. « L’air de notre atmosphere ne contient pas toujours la même quantité d’eau en dissolution : deux causes principales, le vent & la chaleur, la font varier très-considérablement. Avant de passer au détail des observations que j’ai faites sur ce sujet, je dois premierement expliquer ce que j’entends par degré de saturation de l’air ; décrire l’expérience dont je me sers pour la déterminer, & reconnoître le plus ou le moins d’eau que l’air tient en dissolution.

» Nous avons démontré plus haut que l’air peut dissoudre d’autant plus d’eau, qu’il est plus chaud. Cela posé, on conçoit aisément qu’il y a en tout tems un certain degré de feu auquel l’air seroit saoulé d’eau. J’appelle ce degré, degré de saturation de l’air. Supposons, pour me rendre plus clair, que le 28 d’Août l’air de l’atmosphere tienne en dissolution une quantité d’eau telle qu’il en seroit saoulé au dixieme degré : ce jour-là l’air pourroit être refroidi jusqu’à ce degré, sans qu’il se précipitât aucune partie de l’eau qu’il tient en dissolution : refroidi à ce degré, il ne pourroit dissoudre de nouvelle eau ; refroidi au-dessous de ce degré, il lâcheroit nécessairement une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution ; & il en laisseroit précipiter une quantité d’autant plus grande, que le froid seroit plus fort : dans ce cas le dixieme degré sera appellé le degré de saturation de l’air. Il est clair que plus le degré de saturation est élevé, plus l’air tient d’eau en dissolution ; d’où il suit qu’en observant chaque jour le degré de saturation de l’air, examinant en même tems les circonstances du tems, on peut aisément parvenir à la connoissance des causes qui sont varier la quantité d’eau que l’air tient en dissolution. Voici l’expérience facile dont je me sers pour déterminer le degré de saturation de l’air, supposé que le degré soit au-dessus du terme de la glace.[5]

» Je prends de l’eau refroidie, au point de faire précipiter sensiblement l’eau que l’air tient en dissolution sur les parois extérieures du vaisseau dans lequel elle est contenue. Je mets de cette eau dans un grand verre bien sec, y plongeant la boule d’un thermometre, afin d’observer son degré de chaleur[6] : je la laisse échauffer d’un demi-degré, après quoi je la transporte dans un autre verre. Si a ce nouveau degré l’eau dissoute dans l’air se précipite encore sur les parois extérieures du verre, je continue de laisser échauffer l’eau de demi-degré en demi-degré, jusqu’à ce que j’aye saisi le degré au-dessus duquel il ne se précipite plus rien. Ce degré est le degré de saturation de l’air. Par exemple, le soir du 5 Octobre 1752, la chaleur de l’air étant au treizieme degré, l’eau qu’il tenoit en dissolution commençoit à se précipiter sur le verre refroidi au cinquieme degré & demi : au-dessus de ce degré, la surface extérieure du verre restoit seche ; au-dessous de ce degré, l’eau qui se précipitoit de l’air sur le verre, étoit d’autant plus considérable, que le verre étoit plus froid. Il est clair que ce jour-là le degré de saturation de l’air étoit un peu au-dessus du cinquieme degré & demi, puisque refroidi à ce degré, il commençoit à laisser précipiter une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution. On peut donc, au moyen de cette expérience, déterminer en différens tems le degre de saturation de l’air, & ainsi reconnoître les causes qui font varier la quantité d’eau qu’il tient en dissolution ».

Je ne dois point oublier ici de parler d’une objection qui m’a été proposée par un habile physicien, & qui au premier coup-d’œil paroît renverser la théorie que je viens de tâcher d’établir. Voici l’objection. Suivant les expériences de quelques physiciens, l’eau s’évapore dans le vuide ; elle peut donc s’élever sans le secours de l’air, sans y être soûtenue, comme je l’ai dit dans l’état de dissolution. Mais si le physicien avoit fait attention que l’eau contient une quantité immense d’air dont on ne peut la purger entiérement, & qu’elle ne peut s’évaporer sans que l’air qu’elle contient se développe, il auroit aisément remarqué que cette objection renferme un paradoxe, & qu’il est impossible qu’un espace contenant de l’eau qui s’évapore, reste parfaitement vuide d’air.

Jusqu’ici nous avons examiné quels sont les corps susceptibles d’évaporation, quelle est la nature des particules qui s’élevent dans l’air par cette voie, par quelles suppositions les Physiciens avoient tâché d’expliquer le méchanisme de l’évaporation ; enfin dans la partie du mémoire que je viens de transcrire, j’ai considéré l’état dans lequel l’eau évaporée se trouvoit suspendue en l’air ; & j’ai tâché de faire voir qu’elle y étoit suspendue dans l’état de dissolution, & que cette dissolution avoit les mêmes propriétés que celle de la plûpart des sels dans l’eau. Pour achever ce qui concerne cette matiere, il nous reste seulement a parler des causes qui accélerent ou retardent l’évaporation, & à rechercher l’utilité générale de cette propriété singuliere de la plus grande partie des corps, par laquelle ils peuvent s’élever dans l’atmosphere.

Personne n’ignore que la chaleur est la cause qui accélere le plus l’évaporation ; ainsi les corps susceptibles d’évaporation, exposés au soleil ou à l’action du feu, s’évaporent d’autant plus rapidement, qu’ils sont plus échauffés. Ces corps ne peuvent être échauffés, sans communiquer leur chaleur à l’air environnant. Cet air étant échauffé, son degré de chaleur devient plus éloigné de son degré de saturation ; il acquiert donc par-là plus d’activité à dissoudre les particules évaporables, & à s’en charger. Remarquons encore avec M. Hamberger, que l’air contigu aux corps évaporables, lorsqu’il est échauffé par l’action du feu, devient plus rare & plus leger, s’éleve & se renouvelle continuellement ; & que ce renouvellement continuel de l’air ne contribue pas peu à accélérer l’évaporation.

L’air contenu en grande quantité & sous une forme non-élastique dans l’intérieur des corps susceptibles d’évaporation, est encore un agent qui, mis en action par la chaleur, contribue à accélérer l’évaporation : c’est ce qu’on observe tous les jours dans l’éolipyle. Ce vase à demi-plein d’eau étant mis sur le feu jusqu’à ce que l’eau bouille, l’air contenu dans cette eau recouvrant par la chaleur son élasticité, s’en dégage, s’échappe avec rapidité par l’ouverture étroite de ce vaisseau, & entraîne peu-à-peu toute l’eau dans laquelle il étoit contenu. Dans ce cas il est visible que l’air extérieur ne peut point agir sur l’eau contenue dans l’éolipyle, & que l’évaporation de cette eau est entierement dûe au développement de l’air qui y étoit contenu. Voyez Eolipyle.

Le vent naturel ou artificiel accélere aussi l’évaporation  ; ce qui paroît dépendre principalement du renouvellement continuel de l’air qui environne les corps.

Indépendamment de la chaleur & du vent, diverses circonstances de l’atmosphere peuvent encore augmenter ou diminuer la rapidité de l’évaporation. Par rapport à ces circonstances de l’atmosphere, qui sont favorables ou contraires à l’évaporation, nous pouvons établir, d’après l’observation de cette regle générale, que plus le degré de chaleur de l’air est au-dessus de son degré de saturation, plus l’évaporation est rapide. Cela posé, pour déterminer les circonstances dans lesquelles l’évaporation est plus ou moins rapide, il suffira d’observer dans quelles circonstances le degré de chaleur de l’air est plus éloigné de son degré de saturation.

Pendant la nuit le degré de chaleur de l’air est ordinairement de beaucoup plus près du degré de saturation, que dans le jour ; quelquefois même l’air se refroidit pendant la nuit jusqu’au degré de saturation ou au-delà, comme je l’ai fait voir dans la seconde partie de mon mémoire : aussi observe-t-on que l’évaporation est beaucoup moins rapide pendant la nuit que dans le jour. Il y a encore une autre cause qui concourt à rendre l’évaporation plus lente dans la nuit que pendant le jour ; c’est que dans la nuit l’air est ordinairement moins agité.

La rapidité de l’évaporation souffre encore beaucoup de variétés, suivant la direction du vent. Le vent de nord est celui par lequel le degré de chaleur de l’air est le plus éloigné de son degré de saturation. C’est aussi par le vent que l’évaporation est la plus rapide ; au moins puis-je l’assûrer avec certitude du bas Languedoc, où je l’ai observé, & il est vraissemblable que ce doit être la même chose dans presque toute l’Europe. Après le nord vient le nord-oüest, qu’on appelle ici magistral, en Italie maestro ; c’est le plus salutaire, & celui qui regne le plus dans le bas Languedoc. Lorsqu’il souffle dans ce pays, l’air y est un peu plus chargé d’eau que par le vent de nord ; mais il est encore très-siccatif, c’est-à-dire favorable à l’évaporation. Le sud-est, qui vient directement de la mer, est le vent par lequel le degré de chaleur de l’air est le plus près de son degré de saturation ; aussi l’évaporation est-elle moins rapide lorsqu’il souffle, que par tout autre vent.

On voit par ce que nous venons de dire, qu’il n’y a point d’uniformité dans l’évaporation ; que suivant les différens états de l’atmosphere, elle est plus ou moins rapide, quelquefois nulle ; & que même il arrive certaines nuits que l’air se refroidissant au-delà du degré de saturation, les corps évaporables augmentent du poids de l’eau que l’air dépose sur eux. La constitution de l’air étant donc aussi variable, il n’est pas possible de déterminer la quantité d’eau qui peut s’élever dans l’atmosphere dans l’espace d’un jour, ni même pendant une année. M. Musschenbroeck a déterminé sur ses observations faites à Leyde, & sur celles de M. Sedileau, faites en France, qu’année moyenne l’eau contenue dans un bassin quarré de plomb, diminuoit à-peu-près de 28 pouces de hauteur, & que par conséquent l’évaporation alloit à cette quantité ; mais ce n’est qu’un à-peu-près, l’évaporation étant d’un tiers plus considérable certaines années que d’autres, comme il paroît par les observations de M. Sedileau. Voyez l’Essai de physique, pag. 775. Voyez aussi Fleuve, Pluie, &c.

Tous les animaux, tous les végétaux, une partie des minéraux, la terre qu’on appelle proprement humus, qui formée des débris des animaux & des végétaux, fournit en même tems la matiere prochaine de ces corps ; enfin l’eau : toutes ces substances sont, comme nous l’avons dit plus haut, susceptibles d’évaporation. Cette multitude immense de corps auxquels s’étend cette propriété, nous fait assez comprendre qu’elle appartient en quelque maniere à l’économie générale de notre globe : &, en effet, c’est au moyen de cette propriété que l’eau, qui fait la base de tous les corps vivans, est reportée & distribuée sans cesse sur toute la surface de la terre, contre sa pente naturelle, qui la porte à se ramasser toute entiere dans les endroits de la terre qui sont les moins éloignés de son centre : par elle les matieres animales & végétales, parvenues par la pourriture au dernier degré de leur résolution, s’élevent dans l’atmosphere, pour être reportées ensuite à la terre, & servir à la construction de nouveaux êtres. C’est en considérant cette circulation admirable, qu’on peut prendre, avec quelques physiciens, une idée aussi grande que juste de l’utilité premiere & pour ainsi dire cosmique du fluide qui environne notre globe. Finissons en appliquant à ce fluide la pensée de Virgile sur l’ame du monde :

Scilicet huc reddi deinde ac resoluta referri
Omnia, nec morti esse locum
. Géorg. lib. IV.

Cet article est de M. le Roi, docteur en Medecine de la faculté de Montpellier, & de la société royale des Sciences de la même ville.

Evaporation, (Chimie.) L’évaporation est un moyen chimique dont l’usage est très-étendu ; il consiste à dissiper par le moyen du feu, en tout ou en partie, un liquide exposé à l’air libre, & qui tient en dissolution une substance, laquelle n’est ni volatile, ni altérable au degré de feu qui opere la dissipation de ce liquide.

On a recours à l’évaporation pour opérer la séparation dont nous venons de parler, toutes les fois qu’on ne se met point en peine du liquide relevé par le feu : lorsqu’on veut le retenir au contraire dans une vûe philosophique, médicinale ou économique, comme dans l’examen chimique d’un liquide composé ; dans la préparation des sirops aromatiques & alkali-volatils, & dans la concentration d’une teinture, on doit avoir recours à la distillation. Voyez Distillation. Aussi n’est-ce proprement que l’eau que l’on sépare de diverses substances moins volatiles, dans les cas où l’évaporation est la plus employée.

L’évaporation a sur la distillation cet avantage singulier, qu’elle opere la séparation qu’on se propose, en beaucoup moins de tems que la distillation ne l’opere, soit que l’air contribue matériellement à cet effet, soit qu’il dépende uniquement de la liberté qu’ont les vapeurs de se raréfier dans l’air libre jusqu’à la dissipation absolue, c’est-à-dire jusqu’à la destruction de toute liaison aggrégative (voyez le mot Chimie, par ex.) ; ainsi on doit mettre en œuvre ce moyen simple & abregé, toutes les fois qu’une des circonstances énoncées ci-dessus ne s’oppose point à son emploi.

Le degré de feu étant égal, une évaporation est d’autant plus rapide, que le liquide à évaporer est exposé à l’air libre sous une plus grande surface ; & au contraire.

On dissipe par l’évaporation l’eau surabondante à la dissolution d’un sel ; & une partie de l’eau de la dissolution, pour disposer ce sel à la crystallisation. Voyez Sel & Crystallisation. La cuite des sirops, celle des robs, des gelées, des électuaires, &c. la préparation des extraits des végétaux, la dessiccation du lait, &c. s’exécutent par l’évaporation.

Quoique le degré de feu auquel on exécute ces diverses opérations, soit assez leger, puisqu’il ne peut excéder la chaleur dont est susceptible l’eau bouillante chargée de diverses matieres, cependant l’eau bouillante, & même l’eau agitée moins sensiblement par un degré de chaleur inférieur, attaque la composition intérieure de plusieurs substances, & surtout de certains sels & de certains extraits. Voyez Extrait, voyez aussi Sel. Il faut dans ces cas exécuter l’évaporation à une foible chaleur.

On a communément recours au bain-marie dans ces occasions ; & ce secours est non-seulement très commode à cet égard, mais il devient même quelquefois nécessaire lorsqu’on est obligé de se servir de vaisseaux de terre ou de verre, qu’on n’expose au feu nud qu’avec beaucoup de risque. On est dans le cas de se servir indispensablement de vaisseaux de terre ou de verre, lorsque les matieres à traiter s’altéreroient en attaquant les vaisseaux de métal. Les dissolutions de sel qu’on veut disposer à la crystallisation par l’évaporation, se traitent toûjours dans des vaisseaux de terre ou de verre. Voyez Vaisseaux, voyez Sel.

On exécute des évaporations dans toute la latitude du feu chimique, qui s’étend depuis le degré le plus foible (voyez Feu) jusqu’à l’ébullition des liquides composés, qui sont les sujets ordinaires des évaporations, c’est-à-dire des dissolutions plus ou moins rapprochées de divers sels, des décoctions de végétaux ou de substances animales, &c. L’évaporation qui s’opere par la seule chaleur de l’atmosphere, est connue dans l’art sous le nom d’évaporation insensible. Notre célebre M. Roüelle a employé l’évaporation insensible avec un très-grand avantage dans ses travaux sur les sels. Voyez Sel, voyez Crystallisation. Elle n’est pratiquable que sur ces substances ; tous les autres composés solubles dans l’eau, éprouveroient dans les mêmes circonstances un mouvement intestin qui les dénatureroit. Voyez Fermentation.

Les lois de manuel, selon lesquelles il faut hâter, retarder ou suspendre l’évaporation, se déduisent des différentes vûes qu’on se propose en l’employant, & se trouvent dans les articles particuliers où il s’agit de produits chimiques ou pharmaceutiques obtenus par ce moyen. Voyez Crystallisation, Sirop, Rob, Gelée, &c. (b)


  1. « J’employe dans ce mémoire les mots précipiter & précipitation dans le sens des Chimistes, pour signifier le passage de l’état de véritable dissolution d’un corps dans un menstrue à l’état de simple division méchanique ». Des corps qui de l’état de dissolution ont passé à celui de division méchanique, les uns tombent au fond de la liqueur, d’autres se ramassent à sa surface, d’autres y restent suspendus.
  2. « Je me sers de globes tout neufs, afin qu’on ne puisse pas soupçonner qu’on y ait mis de l’eau. Plus ce globe est grand, plus le succès de cette expérience est manifeste, la surface des globes n’augmentant pas dans la même raison que la quantité d’air qu’ils contiennent. »
  3. « Je mets premierement sur l’ouverture un morceau de carte, ensuite plusieurs couches de cire fondue ; par-dessus la cire je mets du lut ordinaire bien étendu & bien séché sans aucune crevasse : enfin je couvre le tout d’un linge enduit d’un lut fait avec le blanc d’œuf & la chaux ».
  4. « Outre l’eau véritablement dissoute, l’air contient souvent de l’eau surabondante qui trouble sa transparence, & forme les nuées & les brouillards. On voit bien qu’il ne s’agit ici que de la premiere ».
  5. « Quoiqu’au moyen de cette expérience on ne puisse déterminer le plus ou moins d’eau que l’air tient en dissolution, que pour les tems où le degré de saturation est au-dessus du terme de sa glace, je crois cependant que personne ne me contestera que les conclusions que j’en tire, ne puissent aussi s’appliquer aux tems où ce degré est au-dessous du terme de la glace. »
  6. « Pour faire cette expérience avec facilité & exactitude, on doit se servir de thermometre à esprit-de-vin, dont la boule & le tuyau soient aussi petits qu’il est possible. Les thermometres dont je me sers, sont gradués sur l’échelle de M. de Réaumur. »