L’Encyclopédie/1re édition/RÉTENTION
RÉTENTION, s. f. (Jurisprud.) est l’action d’un juge qui retient à lui la connoissance d’une cause, instance ou procès. Voyez ci-devant Retenir. (A)
Rétention, s. f. (Méd.) ce terme est employé dans la théorie de la médecine, en opposition à celui d’excrétion (particulierement en traitant des choses non-naturelles), pour désigner l’espece d’action dans l’œconomie animale, par laquelle les matieres alibiles & toutes les humeurs qui sont utiles doivent être retenues dans les vaisseaux qui leur sont propres, de la maniere la plus convenable pour servir à leur destination ; tout comme les matieres excrémentitielles, les humeurs inutiles ou nuisibles par leur quantité & par leurs qualités, doivent être expulsées par les moyens établis à cet effet, & ne peuvent être retenues que contre nature.
Ainsi dans le premier cas, la rétention est nécessaire pour fournir son aliment à la vie ; dans le second cas la rétention est vicieuse, & le contraire doit avoir lieu, pour que l’équilibre entre les solides & les fluides, & l’ordre dans l’exercice des fonctions, n’en soient pas troublés ; ensorte que si la rétention péche par exces ou par défaut dans les fonctions qui l exigent ou qui l’excluent, quelle qu’en puisse être la cause, cet effet devient un principe de lésion plus ou moins important, de l’état de santé ; les anciens regardoient comme un vice de la force rétentrice ou de la force expultrice la rétention des matieres qui doivent être évacuées, ou l’excrétion de celles qui doivent être retenues. Voyez Equilibre.
La rétention étant bien reglée, contribue donc beaucoup à entretenir la vie saine ; & les dérangemens à cet égard, qui consistent en ce que les matieres ou humeurs qui doivent être retenues, sont évacuées, comme dans les lienteries, les affections cœliaques, les diarrhées, les hémorrhagies, &c. & les matieres ou humeurs qui doivent être expulsées, sont retenues comme dans les cas de défaut de déjection, de secrétion, de coction & de crise, sont les causes les plus ordinaires de l’altération de la santé, des désordres dans l’œconomie animale qui la détruisent & abregent la durée naturelle de la vie. Voyez Secrétions, Excrétion, Déjection, Non naturelle (Chose), Santé, Semence, Lait, Sang & Maladie, Coction, Crise, Pléthore, Hémorrhagie, Saignée, Evacuation, Evacuant, Purgation, &c.
Rétention d’urine, (Chirurgie.) maladie dans laquelle la vessie ne se débarrasse point de l’urine qu’elle contient.
Cette maladie cause en peu de tems beaucoup d’accidens très-fâcheux. Il paroit au-dessus des os pubis une tumeur douloureuse ; on sent aussi en portant le doigt dans le fondement une tumeur ronde. La pression que la vessie fait par la distension sur les parties qui l’environnent, y produit en peu de tems l’inflammation ; le malade sent une douleur insupportable dans toute la région hypogastrique ; il a des envies continuelles d’uriner, il s’agite, il se tourmente, & tous ses efforts deviennent inutiles : bientôt il ne peut respirer qu’avec difficulté, il a des nausées ; la fievre survient ; ses yeux & son visage s’enflamment, & s’il n’est secouru promptement, il se forme quelquefois en peu de tems au périné des dépôts urineux, purulens & gangréneux.
La rétention d’urine qui produit tout ce désordre vient de plusieurs causes plus ou moins difficiles à détruire : on peut les ranger sous quatre classes, savoir certaines maladies de la vessie, des corps étrangers retenus dans sa cavité, plusieurs choses qui lui sont extérieures, & quelques vices de l’uretre.
Les maladies de la vessie qui peuvent occasionner la rétention d’urine, sont l’inflammation de son cou & la paralysie de son corps.
L’inflammation du cou de la vessie retrécit son ouverture au point que les efforts du malade ne sont pas suffisans pour vaincre la résistance que le sphincter oppose à l’issue de l’urine. Si l’inflammation n’est pas considérable ; on peut introduire la sonde dans la vessie. Voyez Cathéterisme & Algalie. Si l’inflammation ne permet pas l’introduction de la sonde, on a promptement recours à la saignée ; je n’ai souvent réussi à sonder des malades qu’après leur avoir fait deux saignées du bras à une heure de distance l’une de l’autre ; on emploie aussi avec succès les boissons adoucissantes, les bains, les lavemens émolliens, enfin tout ce qui est capable de calmer l’inflammation. Voyez Inflammation. Si tous ces moyens ne permettent pas l’introduction de la sonde, il faut en venir à une opération qui vuide la vessie ; car l’urine retenue entretient souvent l’inflammation, & dès que l’urine est évacuée, les parties qui avoisinent la vessie n’étant plus comprimées, l’inflammation cesse, & on peut ordinairement sonder le malade quelque tems après.
La ponction se peut faire au périné ou au-dessus de l’os pubis. Pour la faire au périné on place le malade comme pour lui faire l’opération de la taille. Voyez Liens. Un aide trousse les bourses, & le chirurgien tenant à la main un trocar un peu plus long qu’à l’ordinaire, le plonge dans la vessie, entre l’os pubis & l’anus, dans le lieu où l’on fait l’opération au grand appareil. Il seroit plus avantageux pour les malades qu’on fît cette ponction plus latéralement pour ne blesser ni l’uretre ni le cou de la vessie. M. de la Peyronie l’a pratiquée dans ce lieu avec succès. La méthode de donner ce coup de trocar dans la vessie se trouve déterminée à l’article de la lithotomie, à la méthode de M. Foubert. Voyez Taille.
La ponction au-dessus de l’os pubis a été proposée par Tolet, chirurgien de Paris, & lithotomiste du roi ; feu M. Mery, aussi chirurgien de Paris, en chef de l’hôtel-dieu, & anatomiste de l’académie royale des Sciences, l’a pratiquée le premier. Dans la rétention d’urine la vessie forme une tumeur au-dessus de l’os pubis ; on plonge le trocar de haut en bas dans la vessie en piquant un peu au-dessous de la partie la plus éminente de cette tumeur. J’ai fait deux fois cette opération avec succès à deux vieillards, l’un de 65 & l’autre de 73 ans.
M. Flurant, maître en chirurgie à Lyon, vient de proposer une autre méthode de faire la ponction à la vessie, c’est de la percer par l’intestin rectum, avec un trocar courbe ; il a fait cette opération avec succès.
La paralysie qui survient à la vessie peut avoir différentes causes, savoir la commotion de la moëlle de l’épine, après quelque coup ou chûte ; la luxation d’une ou plusieurs vertebres des lombes, ou de quelque affection du cerveau ; elle vient aussi de la débilité de fibres charnues, à la suite des extensions violentes causées par une rétention volontaire d’urine, & de la perte du ressort de ces fibres par la vieillesse.
La rétention d’urine est un symptome de la paralysie du corps de la vessie, parce que les fibres motrices qui forment le corps de la vessie ne peuvent agir sur l’urine qui distend passivement cet organe. Dans ce cas il faut sonder le malade ; l’introduction de la sonde n’est pas difficile, s’il n’y a point de complication par quelque maladie de l’uretre, & on laisse dans la vessie une algalie tournée en S pour donner issue à l’urine à mesure qu’elle distille des ureteres, afin que les fibres de la vessie puissent reprendre leur ton naturel, ce que l’on peut favoriser par des injections corroborantes.
Il y a une remarque fort importante à faire sur la rétention d’urine par la paralysie de la vessie, c’est l’écoulement involontaire de l’urine qui sort par regorgement lorsque la vessie est poussée au dernier degré d’extension possible. Il ne faut pas que cet écoulement de l’urine en impose, la rétention n’en existe pas moins, & si l’on n’a recours à la sonde, on voit survenir des abscès urino-gangréneux, comme nous l’avons dit dans la description des symptômes & de leurs progrès.
Les corps étrangers qui sont dans la vessie, & qui forment la seconde classe des causes de la rétention d’urine, sont la pierre, le pus, le sang, & les fungus ou excroissances charnues.
La pierre empêche la sortie de l’urine en s’appliquant à l’orifice interne de la vessie ; l’introduction de la sonde suffit pour la ranger. Quelquefois la pierre est petite & l’urine la pousse enfin dans l’uretre, où elle n’est pas moins un obstacle à l’issue de ce fluide, alors il faut tâcher de procurer la sortie de ce corps étranger en injectant de l’huile dans l’uretre, en essayant de le faire couler le long du canal, & par autres moyens dont il a été parlé au mot Lithotomie à l’article des Pierres dans l’uretre. Voyez Lithotomie. Le pus, le sang, & les matieres glaireuses qui causent la rétention d’urine ne s’opposent point à l’intromission de la sonde, par laquelle on fait des injections capables de délayer & de dissoudre ces matieres ; l’administration des remedes intérieurs qui remplissent les mêmes vues doit concourir avec ces moyens extérieurs.
Lorsqu’il y a dans la vessie des excroissances charnues qui bouchent l’orifice interne de cet organe, ou qui empêchent son corps de se contracter pour chasser l’urine, il faut faire une incision au periné, & placer une canule dans la vessie. Voyez Boutonniere. Les injections avec l’eau d’orge, ou autre décoction convenable, détachent quelquefois ces fungus, & en débarrassent la vessie lorsqu’ils suppurent. Il y a certains fungus à base étroite, qu’on pourroit lier par la méthode dont il est parlé à l’article du polype, à l’occasion du polype de la matrice. Voyez Polype utérin.
La troisieme classe des causes de la rétention d’urine comprend les choses extérieures à la vessie, telles sont la grossesse, les corps étrangers ou les excrémens endurcis & arrêtés dans le rectum, l’inflammation de la matrice ou sa chûte, le gonflement des hémorrhoïdes, un dépôt autour de l’anus, & quelques tumeurs auprès du cou de la vessie.
Dans la rétention d’urine, dans le cas de grossesse ou de la chûte de matrice, on sonde le malade avec la précaution que nous avons fait observer à l’article Catheterisme. Les lavemens émolliens & les laxatifs doux procureront la sortie des matieres retenues dans le rectum. L’inflammation de la matrice, du rectum, & le gonflement des hémorrhoïdes se traitent par les remedes qui conviennent à ces cas. S’il s’est formé un dépôt autour de l’anus, on l’ouvre le plutôt qu’il est possible ; si une tumeur placée près le cou de la vessie presse & comprime cette partie, & qu’il ne soit pas possible de sonder le malade, on fait la ponction au-dessus de l’os pubis, comme nous l’avons dit au commencement de cet article. On donne en même tems tous ses soins à la guérison de la tumeur du periné. Ce traitement n’opere souvent qu’après plusieurs jours, le rétablissement du cours des urines par la voie naturelle, ce qui met dans la nécessité de laisser la canule dans la vessie au-dessus de l’os pubis ; cette pratique est sujette à un inconvénient ; la vessie s’affaisse par la sortie de l’urine, & si elle est susceptible de quelque contraction, ce qui est toujours, hors le cas de paralysie, elle se resserre au-dessous de la canule ; dès que l’extrémité de la canule n’est plus dans la vessie, les urines ne sont plus conduites directement, elles s’épanchent dans le tissu cellulaire, & ne sortent qu’après avoir imbibé ce tissu où elles forment quelquefois des abscès. J’ai vû un exemple de cet accident. M. Foubert m’a montré un instrument avec lequel on peut faire la ponction au-dessus de l’os pubis sans craindre que la vessie abandonne la canule. C’est une canule courbe, dont l’intérieur est garni d’un ressort en spirale qui ne s’oppose point à la sortie de l’urine, & par lequel on pousse une pointe de trocar, au moyen de laquelle on pénetre dans la vessie. La ponction faite, la pointe du trocar se retire dans la canule ; cette pointe a une surface canelée pour le passage des urines. La courbure de cette canule soutient la vessie, & empêche qu’elle ne s’affaisse au-dessous de ladite canule : l’intérieur de la canule & du ressort qui y est renfermé contient une languette de chamois, qui sert de philtre à l’urine.
Les vices de l’uretre font la quatrieme classe des causes de la rétention d’urine ; nous avons parlé de ces vices en parlant des carnosités. Voyez Carnosité.
Si le cas de la rétention d’urine est pressant, on peut faire la ponction au-dessus du pubis ou par le rectum & y laisser la canule jusqu’à ce qu’on ait mis le canal de l’uretre en suppuration dans le cas de carnosité. Mais si le vice de l’uretre vient de brides & de cicatrices qui ne sont point des maladies par leur essence, mais au-contraire des signes de guérison parfaite, les bougies suppuratives ne procureront aucun effet. Les caustiques qu’on pourroit employer causent par l’irritation qu’ils excitent, des gonflemens & des irritations considérables ; dans ce cas il faut faire une opération au périné. La ponction ne suffit pas, il faut une incision ; on peut dans ce cas se conformer, comme dans la taille, à la méthode de M. Foubert. Voyez Taille.
Dans le cas du gonflement des prostates, il faut mieux faire la boutonniere, afin de procurer plus facilement la suppuration de cette glande ; mais le vice de l’uretre empêchant qu’on ne se conduise sur la sonde comme nous l’avons dit en parlant de cette opération ; le chirurgien, au défaut de ce guide, fait une incision aux tégumens, fend l’uretre, & après s’être bien représenté la structure & la position des parties, il porte dans la vessie un trocar dont la canule est fendue : à la faveur de cette fente il fait une incision suffisante avec un bistouri pour y placer une canule, comme il a été dit à l’opération de la boutonniere ; on a pratiqué cette méthode avec succès : le reste du traitement est semblable à celui de la boutonniere. Voyez Boutonniere. Toute cette matiere est fort bien traitée par M. de la Faye, dans ses remarques sur les opérations de Dionis. (Y)