L’Encyclopédie/1re édition/TERME

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TERME, s. m. (Gram. & Logique.) les termes sont distingués des mots, en ce que ces derniers sont de la langue, & que les premiers sont du sujet, ainsi que les expressions sont de la pensée ; l’usage décide des mots ; la convenance avec les choses fait la bonté des termes ; le tour fait le mérite de l’expression : ainsi l’on dira fort bien, que tout discours travaillé demande que les mots soient françois, que les termes soient propres, & que les expressions soient nobles.

Les termes se divisent en plusieurs classes.

1°. Ils se divisent en concrets & en abstraits. Les termes concrets sont ceux qui signifient les manieres, en marquant en même tems le sujet auquel elles conviennent. Les termes concrets ont donc essentiellement deux significations ; l’une distincte, qui est celle du mode ou maniere ; l’autre confuse, qui est celle du sujet ; mais quoique la signification du mode soit plus distincte, elle est pourtant indirecte ; & au-contraire celle du sujet, quoique confuse, est directe. Le mot de blanc signifie directement, mais confusément, le sujet, & indirectement, quoique distinctement, la blancheur.

Lorsque par une abstraction de l’esprit on conçoit des modes, des manieres, sans les rapporter à un certain sujet, comme ces formes subsistent alors en quelque sorte dans l’esprit, par elles-mêmes, elles s’expriment par un mot substantif, comme sagesse, blancheur, couleur : or les noms qui expriment ces formes abstraites, je les appelle termes abstraits ; comme les formes abstraites expriment les essences des choses auxquelles elles se rapportent ; il est évident que puisque nous ignorons les essences de toutes les substances, quelles qu’elles soient, nous n’avons aucun terme concret qui soit dérivé des noms que nous donnons aux substances. Si nous pouvions remonter à tous les noms primitifs, nous reconnoîtrions qu’il n’y a point de substantif abstrait, qui ne dérive de quelque adjectif, ou de quelque verbe. La raison qui a empêché les scholastiques de joindre des noms abstraits à un nombre infini de substances, auroit bien dû aussi les empêcher d’introduire dans leurs écoles ces termes barbares d’animalité, d’humanité, de corporéité, & quelques autres ; le bon sens ne les autorise pas plus à adopter ces termes, que ceux-ci, aureitas, saxeitas, metalleitas, ligneitas : & la raison de cela, c’est qu’ils ne connoissent pas mieux ce que c’est qu’un homme, un animal, un corps, qu’ils ne connoissent ce que c’est que l’or, la pierre, le métal, le bois : c’est à la doctrine des formes substantielles, & à la confiance téméraire de certaines personnes destituées d’une connoissance qu’ils prétendoient avoir, que nous sommes redevables de tous ces mots d’animalité, d’humanité, de pétrêité, &c. mais grace au bon goût, ils ont été bannis de tous les cercles polis, & n’ont jamais pû être de mise parmi les gens raisonnables. Je sais bien que le mot humanitas étoit en usage parmi les Romains, mais dans un sens bien différent : car il ne signifioit pas l’essence abstraite d’aucune substance ; c’étoit le nom abstrait d’un mode. son concret étant humanus, & non pas homo : c’est ainsi qu’en françois, d’humain, nous avons fait humanité.

Comme les idées générales sont des abstractions de notre esprit, on pourroit aussi donner le nom de termes abstraits à ceux qui expriment ces idées universelles ; mais l’usage a voulu que ce nom rut reservé aux seules formes abstraites.

2°. Les termes se divisent en simples & en complexes.

Les termes simples sont ceux qui par un seul mot expriment un objet quel qu’il soit. Ainsi Rome, Socrate, Bucephale, homme, ville, cheval, sont des termes simples.

Les termes complexes sont composés de plusieurs termes joints ensemble : par exemple, ce sont des termes complexes, un homme prudent, un corps transparent, Alexandre fils de Philippe.

Cette addition se fait quelquefois par le pronom relatif, comme si je dis, un corps qui est transparent, Alexandre qui est fils de Philippe, le pape qui est vicaire de Jésus Christ.

Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces termes complexes, est que l’addition que l’on fait à un terme est de deux sortes : l’une qu’on peut appeller explication, & l’autre détermination.

L’addition est explicative, quand elle ne fait que développer ou ce qui étoit enfermé dans la compréhension de l’idée du premier terme, ou du moins ce qui lui convient, comme un de ses accidens, pourvu qu’il lui convienne généralement & dans toute son étendue ; comme si je dis, l’homme qui est un animal doué de raison, ou l’homme qui desire d’être naturellement heu eux, ou l’homme qui est mortel ; ces additions ne sont que des explications, parce qu’elles ne changent point du tout l’idée d’homme, & ne la restreignent point à ne signifier qu’une partie des hommes ; mais marquent seulement ce qui convient à tous les hommes.

Toutes les additions qu’on ajoute aux noms qui marquent distinctement un individu, sont de cette sorte ; comme quand on dit, Jules César qui a été le plus grand capitaine du monde ; Paris qui est la plus belle ville de l’Europe ; Newton le plus grand de tous les mathématiciens ; Louis XV. roi de France : car les termes individuels distinctement exprimés, se prennent toujours dans toute leur étendue, étant déterminés tout ce qu’ils peuvent l’être.

L’autre sorte d’addition, qu’on peut appeller déterminatives, est quand ce qu’on ajoute à un mot général, en restreint la signification, & fait qu’il ne se prend plus pour ce mot général dans toute son étendue, mais seulement pour une partie de cette étendue, comme si je dis, les corps transparens, les hommes savans, un animal raisonnable : ces additions ne sont pas de simples explications, mais des déterminations, parce qu’elles restreignent l’étendue du premier terme, en faisant que le mot corps ne signifie plus qu’une partie des corps, & ainsi des autres : & ces additions sont quelquefois telles, qu’elles rendent un mot général individuel, quand on y ajoute des conditions individuelles, comme quand je dis, le roi qui est aujourd’hui, cela détermine le mot général de roi à la personne de Louis XV.

On peut distinguer de plus deux sortes de termes complexes, les uns dans l’expression, & les autres dans le sens seulement : les premiers sont ceux dont l’addition est exprimée ; les derniers sont ceux dont l’addition n’est point exprimée, mais seulement sousentendue : comme quand nous disons en France, le roi, c’est un terme complexe dans le sens, parce que nous n’avons pas dans l’esprit, en prononçant ce mot de roi, la seule idée générale qui répond à ce mot ; mais nous y joignons mentalement l’idée de Louis XV. qui est maintenant roi de France.

Mais ce qui est de plus remarquable dans ces termes complexes, est qu’il y en a qui sont déterminés dans la vérité à un seul individu, & qui ne laissent pas de conserver une certaine universalité équivoque, qu’on peut appeller une équivoque d’erreur, parce que les hommes demeurant d’accord que ce terme ne signifie qu’une chose unique, faute de bien discerner quelle est véritablement cette chose unique, l’appliquent les uns à une chose, & les autres à une autre ; ce qui fait qu’il a besoin d’être encore déterminé, ou par diverses circonstances, ou par la suite du discours, afin que l’on sache précisément ce qu’il signifie.

Ainsi le mot de véritable religion ne signifie qu’une seule & unique religion ; mais parce que chaque peuple & chaque secte croit que sa religion est la véritable, ce mot est très-équivoque dans la bouche des hommes, quoique par erreur ; & si on lit dans un historien, qu’un prince a été zélé pour la véritable religion, on ne sauroit dire ce qu’il a entendu par-là, si on ne sait de quelle religion a été cet historien.

Les termes complexes, qui sont ainsi équivoques par erreur, sont principalement ceux qui enferment des qualités dont les sens ne jugent point, mais seulement l’esprit, sur lesquelles il est facile par conséquent que les hommes aient divers sentimens : si je dis, par exemple : le roi de Prusse, pere de celui qui regne aujourd’hui, n’avoit pour la garde de sa maison, que des hommes de six piés ; ce terme complexe d’hommes de six piés, n’est pas sujet à être équivoque par erreur, parce qu’il est bien aisé de mesurer des hommes, pour juger s’ils ont six piés ; mais si l’on eut dit qu’ils étoient tous vaillans, le terme complexe de vaillans hommes eût été plus sujet à être équivoque par erreur.

Les termes de comparaison sont aussi fort sujets à être équivoques par erreur : le plus grand géometre de Paris, le plus savant, le plus adroit ; car quoique ces termes soient déterminés par des conditions individuelles, n’y ayant qu’un seul homme qui soit le plus grand géometre de Paris, néanmoins ce mot peut être facilement attribué à plusieurs ; parce qu’il est fort aisé que les hommes soient partagés de sentiment sur ce sujet, & qu’ainsi plusieurs donnent ce nom à celui que chacun croit avoir cet avantage par-dessus les autres.

Les mots de sens d’un auteur, de doctrine d’un auteur sur un tel sujet, sont encore de ce nombre, sur-tout, quand un auteur n’est pas si clair, qu’on ne dispute quelle a été son opinion : ainsi dans ce conflict d’opinions, les sentimens d’un auteur, quelque individuels qu’ils soient en eux-mêmes, prennent mille formes différentes, selon les têtes par lesquelles ils passent : ainsi ce mot de sens de l’Ecriture, étant appliqué par un hérétique à une erreur contraire à l’Ecriture, signifiera dans sa bouche cette erreur qu’il aura cru être le sens de l’Ecriture, & qu’il aura dans cette pensée appellée le sens de l’Ecriture ; c’est pourquoi les hérétiques n’en sont pas plus catholiques, pour protester qu’ils ne suivent que la parole de Dieu : car ces mot de parole de Dieu signifient dans leur bouche toutes les erreurs qu’ils confondent avec cette parole sacrée.

Mais pour mieux comprendre en quoi consiste l’équivoque de ces termes que nous avons appellés équivoques par erreur, il faut remarquer que ces mots sont connotatifs ou adjectifs ; ils sont complexes dans l’expression, quand leur substantif est exprimé ; complexe dans le sens, quand il est sous-entendu : or, comme nous avons déja dit, on doit considérer dans les mots adjectifs ou connotatifs, le sujet qui est directement, mais confusément exprimé, & la forme ou le mode qui est distinctement, quoique indirectement exprimée : ainsi le blanc signifie confusément un corps, & la blancheur distinctement : sentiment d’Aristote, par exemple, signifie confusément quelque opinion, quelque pensée, quelque doctrine ; & distinctement la relation de cette opinion à Aristote auquel on l’attribue.

Or, quand il arrive de l’équivoque dans ces mots, ce n’est pas proprement à cause de cette forme ou de ce mode, qui étant distinct, est invariable ; ce n’est pas aussi à cause du sujet confus, lorsqu’il demeure dans cette confusion : car, par exemple, le mot de prince des philosophes, ne peut jamais être équivoque, tant qu’il demeurera dans cette confusion, c’est-à-dire, qu’on ne l’appliquera à aucun individu distinctement connu ; mais l’équivoque arrive seulement, parce que l’esprit, au-lieu de ce sujet confus, y substitue souvent un sujet distinct & déterminé, auquel il attribue la forme & le mode.

Le mot de véritable religion, n’étant point joint avec l’idée distincte d’aucune religion particuliere, & demeurant dans son idée confuse, n’est point équivoque, puisqu’il ne signifie que ce qui est en effet la véritable religion ; mais lorsque l’esprit a joint cette idée de véritable religion à une idée distincte d’un certain culte particulier distinctement connu, ce mot devient très-équivoque, & signifie dans la bouche de chaque peuple, le culte qu’il prend pour véritable. Voyez la logique de Port-royal, d’où sont extraites les réflexions que nous venons de faire sur les différens termes complexes.

3°. Les termes se divisent en univoques, équivoques & analogues.

Les univoques sont ceux qui retiennent constamment la même signification à quelques sujets qu’on les applique. Tels sont ces mots, homme, ville, cheval.

Les équivoques sont ceux qui varient leur signification, selon les sujets auxquels on les applique. Ainsi le mot de canon signifie une machine de guerre, un décret de concile, & une sorte d’ajustement ; mais il ne les signifie que selon des idées toutes différentes. Nous venons d’expliquer comment ils occasionnent nos erreurs.

Les analogues sont ceux qui n’expriment pas dans tous les sujets précisément la même idée, mais du moins quelque idée, qui a un rapport de cause ou d’effet, ou de signe, ou de ressemblance à la premiere, qui est principalement attachée au mot analogue ; comme quand le mot de sain s’attribue à l’animal, à l’air & aux viandes. Car l’idée jointe à ce mot est principalement la santé qui ne convient qu’à l’animal ; mais on y joint une autre idée approchante de celle-là, qui est d’être cause de la santé, laquelle fait qu’on dit qu’un air est sain, qu’une viande est saine, parce qu’ils contribuent à conserver la santé. Ce que nous voyons dans les objets qui frappent nos sens, étant une image de ce qui se passe dans l’intérieur de l’ame, nous avons donné les mêmes noms aux propriétés des corps & des esprits. Ainsi ayant toujours apperçu du mouvement & du repos dans la matiere ; ayant remarqué le penchant ou l’inclination des corps ; ayant vu que l’air s’agite, se trouble & s’éclaircit ; que les plantes se développent, se fortifient & s’affoiblissent : nous avons dit le mouvement, le repos, l’inclination & le penchant de l’ame ; nous avons dit que l’esprit s’agite, se trouble, s’éclaircit, se développe, se fortifie, s’affoiblit. Tous ces mots sont analogues, par le rapport qui se trouve entre une action de l’ame & une action du corps. Il n’en a pas fallu d’avantage à l’usage, pour les autoriser & pour les consacrer. Mais ce seroit une grande erreur d’aller confondre deux objets, sous prétexte qu’il y a entr’eux un rapport quelconque, fondé souvent sur une analogie fort imparfaite, telle qu’elle se trouve entre l’ame & le corps. Voyez les mots où l’on explique l’abus du langage.

4°. Les termes se divisent en absolus & en relatifs. Les absolus expriment les êtres entant qu’on s’arrête à ces êtres, & qu’on en fait l’objet de sa réflexion, sans les rapporter à d’autres : au-lieu que les relatifs expriment les rapports, les liaisons & les dépendances des unes & des autres. Voyez les relations.

5°. Les termes se divisent en positifs & en négatifs. Les termes positifs sont ceux qui signifient directement des idées positives ; & les négatifs sont ceux qui ne signifient directement que l’absence de ces idées ; tels sont ces mots insipide, silence, rien, ténebres, &c. lesquels désignent des idées positives, comme celles du goût, du son, de l’être, de la lumiere, avec une signification de l’absence de ces choses.

Une chose qu’il faut encore observer touchant les termes, c’est qu’ils excitent outre la signification qui leur est propre, plusieurs autres idées qu’on peut appeller accessoires, auxquelles on ne prend pas garde, quoique l’esprit en reçoive l’impression. Par exemple, si l’on dit à une personne, vous en avez menti, & que l’on ne regarde que la signification principale de cette expression, c’est la même chose que si on lui disoit, vous savez le contraire de ce que vous dites. Mais outre cette signification principale, ces paroles emportent dans l’usage une idée de mépris & d’outrage ; & elles font croire que celui qui nous le dit ne se soucie pas de nous faire injure, ce qui les rend injurieuses & offensantes.

Quelquefois ces idées accessoires ne sont pas attachées aux mots par un usage commun, mais elles y sont seulement jointes par celui qui s’en sert ; & ce sont proprement celles qui sont excitées par le son de la voix, par l’air du visage, par les gestes, & par les autres signes naturels, qui attachent à nos paroles une infinité d’idées qui en diversifient, changent, diminuent, augmentent la signification, en y joignant l’image des mouvemens, des jugemens & des opinions de celui qui parle. Le ton signifie souvent autant que les paroles même. Il y a voix pour instruire, voix pour flatter, voix pour reprendre : souvent on ne veut pas seulement qu’elle arrive jusqu’aux oreilles de celui qui en parle, mais on veut qu’elle le frappe & qu’elle le perce ; & personne ne trouveroit bon qu’un laquais que l’on reprend un peu fortement, répondît, monsieur, parlez plus bas, je vous entends bien ; parce que le ton fait partie de la réprimande, & est nécessaire pour former dans l’esprit l’idée qu’on y veut imprimer.

Mais quelquefois ces idées accessoires sont attachées aux mots mêmes, parce qu’elles s’excitent ordinairement par tous ceux qui les prononcent. Et c’est ce qui fait qu’entre des expressions qui semblent signifier la même chose, les unes sont injurieuses, les autres douces ; les unes modestes, & les autres impudentes ; quelques-unes honnêtes, & d’autres déshonnêtes ; parce que, outre cette idée principale en quoi elles conviennent, les hommes y ont attaché d’autres idées qui sont cause de cette diversité.

C’est encore par-là qu’on peut reconnoître la différence du style simple & du style figuré, & pourquoi les mêmes pensées nous paroissent beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure, que si elles étoient renfermées dans des expressions toutes simples. Car cela vient de ce que les expressions figurées signifient, outre la chose principale, le mouvement & la passion de celui qui parle, & impriment ainsi l’une & l’autre idée dans l’esprit, au-lieu que l’expression simple ne marque que la vérité toute nue. Par exemple, si ce demi-vers de Virgile, Usque adeò ne mori miserum est, étoit exprimé simplement & sans figure de cette sorte, Non est usque adeò mori miserum, certes il auroit beaucoup moins de force ; & la raison en est que la premiere expression signifie beaucoup plus que la seconde. Car elle n’exprime pas seulement cette pensée, que la mort n’est pas un si grand mal qu’on le croit ; mais elle représente de plus l’idée d’un homme qui se roidit contre la mort, & qui l’envisage sans effroi : image beaucoup plus vive que n’est la pensée même à laquelle elle est jointe. Ainsi il n’est pas étrange qu’elle frappe davantage, parce que l’ame s’instruit par les images des vérités ; mais elle ne s’émeut guere que par l’image des mouvemens.

Si vis me flere, dolendum est
Primùm ipse tibi.

Mais comme le style figuré signifie ordinairement avec les choses les mouvemens que nous ressentons en les concevant & en parlant, on peut juger par-là de l’usage que l’on en doit faire, & quels sont les sujets auxquels il est propre. Il est visible qu’il est ridicule de s’en servir dans des matieres purement spéculatives, que l’on regarde d’un œil tranquille, & qui ne produisent aucun mouvement dans l’esprit. Car puisque les figures expriment les mouvemens de notre ame, celles que l’on mêle en des sujets où l’ame ne s’émeut point, sont des mouvemens contre la nature & des especes de convulsions. C’est pourquoi il n’y a rien de moins agréable que certains prédicateurs, qui s’écrient indifféremment sur tout, & qui ne s’agitent pas moins sur des raisonnemens philosophiques, que sur les vérités les plus étonnantes & les plus nécessaires pour le salut.

Mais lorsque la matiere que l’on traite est telle qu’elle nous doit raisonnablement toucher, c’est un défaut d’en parler d’une maniere seche, froide & sans mouvement, parce que c’est un défaut de n’être pas touché de ce que l’on doit. Ainsi les vérités divines n’étant pas proposées simplement pour être connues, mais beaucoup plus pour être aimées, révérées & adorées par les hommes, il est certain que la maniere noble, élevée & figurée, dont les saints peres les ont traitées, leur est bien plus proportionnée qu’un style simple & sans figure, comme celui des scholastiques ; puisqu’elle ne nous enseigne pas seulement ces vérités, mais qu’elle nous représente aussi les sentimens d’amour & de révérence avec lesquels les peres en ont parlé ; & que portant ainsi dans notre esprit l’image de cette sainte disposition, elle peut beaucoup contribuer à y en imprimer une semblable : au-lieu que le style scholastique étant simple, sec, aride & sans aménité, est moins capable de produire dans l’ame les mouvemens de respect & d’amour que l’on doit avoir pour les vérités chrétiennes. Le plaisir de l’ame consiste plus à sentir des mouvemens, qu’à acquérir des connoissances.

Cette remarque peut nous aider à résoudre cette question célebre entre les Philosophes, s’il y a des mots déshonnêtes, & à réfuter les raisons des Stoïciens qui vouloient qu’on pût se servir indifféremment des expressions qui sont estimées ordinairement infames & impudentes.

Ils prétendent, dit Cicéron, qu’il n’y a point de paroles sales ni honteuses. Car ou l’infamie, disent-ils, vient des choses, ou elle est dans les paroles. Elle ne vient pas simplement des choses, puisqu’il est permis de les exprimer en d’autres paroles qui ne passent point pour déshonnêtes. Elle n’est pas aussi dans les paroles considérées comme sons ; puisqu’il arrive souvent qu’un même son signifiant diverses choses, & étant estimé déshonnête dans une signification ne l’est point dans l’autre.

Mais tout cela n’est qu’une vaine subtilité qui ne naît que de ce que les Philosophes n’ont pas assez considéré ces idées accessoires, que l’esprit joint aux idées principales des choses. Car il arrive de-là qu’une même chose peut être exprimée honnêtement par un son, & déshonnêtement par un autre, si un de ses sons y joint quelque autre idée qui en couvre l’infamie ; & si au contraire l’autre la présente à l’esprit d’une maniere impudente. Ainsi les mots d’adultere, d’inceste, de péché abominable ne sont pas infames, quoiqu’ils représentent des actions très-infames, parce qu’ils ne les représentent que couvertes d’un voile d’horreur, qui fait qu’on ne les regarde que comme des crimes, de sorte que ces mots signifient plutôt le crime de ces actions que les actions mêmes : au-lieu qu’il y a de certains mots qui les expriment sans en donner de l’horreur, & plutôt comme plaisantes que criminelles, & qui y joignent même une idée d’impudence & d’effronterie ; & ce sont ces mots là qu’on appelle infames & déshonnêtes.

Il en est de même de certains tours par lesquels on exprime honnêtement des actions qui, quoique légitimes, tiennent quelque chose de la corruption de la nature. Car ces tours sont en effet honnêtes, parce qu’ils n’expriment pas simplement ces choses ; mais aussi la disposition de celui qui en parle de cette sorte, & qui temoigne par sa retenue qu’il les envisage avec peine, & qu’il les couvre autant qu’il peut & aux autres & à lui-même. Au-lieu que ceux qui en parleroient d’une autre maniere, feroient paroître qu’ils prendroient plaisir à regarder ces sortes d’objets ; & ce plaisir étant infame, il n’est pas étrange que les mots qui impriment cette idée soient estimés contraires à l’honnêteté. Voyez Logique de Port Royal.

Terme, s. m. (Physique.) est en général l’extrémité de quelque chose, ou ce qui termine & limite son étendue.

Terme, en Géométrie, se prend aussi quelquefois pour un point, pour une ligne, &c. un point est le terme d’une ligne, une ligne est le terme d’une surface, & la surface est le terme d’un solide. Voyez Point, Ligne, Surface, &c.

C’est ce qu’on appelle dans les écoles terme de quantité.

Terme, dans une quantité algébrique, comme a + b − c − d, ce sont les différentes parties a, b, c, d, séparées par les signes + & −.

Termes d’une équation, en Algebre, sont les différens monomes dont elle est composée ; ainsi dans l’équation a + b = c, a, b, c, sont les termes.

Lorsque l’équation renferme une inconnue élevée à différentes puissances, on ne prend alors d’ordinaire que pour un terme la somme ou l’assemblage de tous les termes, où l’inconnue se trouve à la même puissance.

Ainsi dans cette équation xx + bx = R, les trois termes sont xx, bx & R.

Et dans celle-ci xx + bx + cx = Rd + dc, les termes sont xx, bx + cx, & Rd + dc, qui ne font que trois termes, parce que ab + ac, où a se trouve dans la même dimension en l’une & l’autre partie, ne sont comptés que pour un terme.

Dans une équation, on prend ordinairement pour le premier terme celui où la lettre inconnue a la plus haute dimension : le terme qui contient la racine élevée à la puissance plus basse immédiatement après, est appellé le second terme, &c. Ainsi dans l’équation x3 + axx + bbx = c3, axx est le second terme bbx le troisieme, &c. si le terme axx manque, ou le terme bbx, ou tous les deux, en ce cas on dit que l’équation n’a pas de second ou de troisieme terme, ou manque du second & du troisieme termes. Voyez Second terme.

Termes de proportion, en Mathématiques, signifient tels nombres, lettres ou quantités que l’on veut comparer les uns aux autres. Voyez Proposition.

Par exemple, si 4 : 8 ∷ 6 : 12
a : bc : d,

Alors a, b, c, d, ou 4, 8, 6, 12, sont appellés les termes de la proportion, desquels a ou 4 est appellé le premier terme, 6 ou 8 le second terme, &c. Voyez Second.

a & c s’appellent aussi les antécédens, & b & d les conséquens. Voyez Antécédent & Conséquent. Chambers. (O)

Termes milliaires, (Littérat.) c’étoient chez les Grecs certaines têtes de divinités, posées sur des bornes quarrées de pierre, ou des gaines de terme qui servoient à marquer les stades des chemins, c’est ce que Plaute entend par lares viales ; ces termes étoient ordinairement dédiés à Mercure, parce que les Grecs croyoient que ce Dieu présidoit à la sûreté des grands chemins. Il y en avoit aussi à quatre têtes. On en voit encore deux de cette sorte à Rome à l’extrémité du pont Fabricien, nommé aujourd’hui à cause de cela Ponte di quatro capi. Ces termes représentoient véritablement Mercure, que les latins appelloient Mercurius quadrifons, parce qu’ils prétendoient que ce dieu avoit enseigné aux hommes les lettres, la musique, la lutte & la géométrie. (D. J.)

Terme, (Mythologie.) dieu protecteur des bornes que l’on met dans les champs, & vengeur des usurpations, deus Terminus. C’étoit un des plus anciens dieux des Romains ; la preuve est dans les lois romaines faites par les rois, dans lequel on ne trouve le culte d’aucun dieu établi avant celui du dieu Terme. Ce fut Numa qui inventa cette divinité, comme un frein plus capable que les lois d’arrêter la cupidité. Après avoir fait au peuple la distribution des terres, il bâtit au dieu Terme un petit temple sur la roche Tarpéienne. Dans la suite, Tarquin le superbe ayant voulu bâtir un temple à Jupiter sur le capitole, il falut déranger les statues, & même les chapelles qui y étoient déja : tous les dieux céderent sans résistance la place qu’ils occupoient ; le dieu Terme tint bon contre tous les efforts qu’on fit pour l’enlever, & il falut nécessairement le laisser en sa place : ainsi il se trouva dans le temple même qui fut construit en cet endroit. Ce conte se débitoit parmi le peuple, pour lui persuader qu’il n’y avoit rien de plus sacré que les limites des champs : c’est pourquoi ceux qui avoient l’audace de les changer étoient dévoués aux furies, & il étoit permis de les tuer.

Le dieu Terme fut d’abord représenté sous la figure d’une grosse pierre quarrée ou d’une souche : dans la suite, on lui donna une tête humaine placée sur une borne pyramidale ; mais il étoit toujours sans bras & sans piés, afin, dit-on, qu’il ne pût changer de place.

On honoroit ce dieu non-seulement dans ses temples, mais encore sur les bornes des champs qu’on ornoit ce jour-là de guirlandes, & même sur les grands chemins. Les sacrifices qu’on lui faisoit ne furent pendant long-tems que des libations de vin & de lait, avec des offrandes de fruits & quelques gâteaux de farine nouvelle. Dans la suite, on lui immola des agneaux & des truies, dont on faisoit un festin auprès de la borne. Les sacrifices & les fêtes en l’honneur de ce dieu se nommoient terminales. Voyez Terminales. (D. J.)

Termes, (Jurisprud.) sont les mots qui servent à exprimer les pensées ; on en distingue en Droit plusieurs sortes.

Termes consacrés sont ceux qui sont destinés singulierement à exprimer quelque chose.

Termes démonstratifs sont ceux qui ne servent que d’indication, & non de limitation : ils sont opposés aux termes limitatifs. Par exemple, quand un testateur legue une rente à quelqu’un, & qu’il assigne le payement sur une telle maison, ces termes ne sont que démonstratifs ; de sorte que si la maison vient à périr, la rente n’en est pas moins dûe : mais s’il legue une telle maison & qu’elle vienne à périr, le legs est caduc, parce que le legs est conçu en termes limitatifs.

Termes directs sont ceux par lesquels on ordonne directement quelque chose, & qui tombent directement sur la personne qui est appellée à une succession ou legs. Voyez termes obliques ou indirects.

Termes impératifs sont ceux par lesquels le législateur ou un testateur ordonnent quelque chose.

Termes indirects, voyez termes obliques.

Termes limitatifs, voyez termes démonstratifs.

Termes négatifs sont ceux qui défendent de contrevenir à une disposition.

Termes obliques sont ceux par lesquels on ordonne indirectement quelque chose, ou qui s’adressent indirectement à quelqu’un.

Termes prohibitifs sont ceux par lesquels le législateur ou un testateur défendent quelque chose : ils sont prohibitifs, négatifs, lorsqu’il est défendu de faire aucune disposition ou convention contraire à ce qui est ordonné.

Termes propres sont ceux qui conviennent pour exprimer quelque chose ; propres termes sont les termes mêmes d’un acte que l’on rapporte littéralement. Voyez les mots Acte, Clause, Convention, Disposition, Lot, Testament. (A)

Terme, s. m. (Architect.) ce mot dérivé du grec terma, limite, signifie une statue d’homme ou de femme, dont la partie inférieure se termine en gaîne. On la place ordinairement au bout des allées & palissades dans les jardins. C’est ainsi qu’ils sont distribués à Versailles. Quelquefois les termes tiennent lieu de consoles, & portent des entablemens dans les édifices, comme dans le couvent des PP. Théatins à Paris.

Terme angélique ; figure d’ange en demi-corps, dont la partie inférieure est en gaîne, comme ceux du chœur des grands Augustins à Paris.

Terme double ; terme composé de deux demi-corps ou de deux demi-bustes adossés, qui sortent d’une même gaîne, ensorte qu’ils présentent deux faces, l’une devant, l’autre derriere ; tels étoient les hermathènes.

Terme en buste ; terme sans bras, & qui n’a que la partie supérieure de l’estomac. Il y a des termes de cette espece à l’entrée du château de Fontainebleau & dans les jardins de Versailles.

Terme en console ; terme dont la gaîne finit en enroulement, & dont le corps est avancé pour porter quelque chose. C’est ainsi que sont les termes angéliques de métal doré au maître-autel de l’église S. Séverin à Paris.

Terme marin ; terme qui, au-lieu de gaîne, a une double queue de poisson, tortillée : ce terme convient aux décorations des grottes & fontaines. Tels sont les termes de la fontaine de Vénus dans la vigne Pamphile à Rome.

Terme rustique ; terme dont la gaîne, ornée de bossages ou de glaçons, porte la figure de quelque divinité champêtre : ce terme convient aux grottes & fontaines. Il y a un de ces termes à la tête du canal de Vaux.

L’origine des termes que nous voyons aux portails & aux balcons de nos maisons vient des hermes athéniens qu’on plaçoit aux vestibules & dans les temples. On feroit donc mieux de les nommer des hermes que des termes ; car quoique les termes, appellés termini par les Latins, fussent des pierres quarrées auxquelles ils ajoutoient quelquefois une tête, néanmoins ils étoient plutôt employés pour marquer les limites des champs & des possessions de chaque particulier que pour décorer des bâtimens. Les Latins même avoient d’autres noms pour signifier les figures des femmes sans bras & sans piés qu’ils plaçoient dans les édifices, pour soutenir les galeries & les portiques, & pour porter les architraves ; ils les appelloient, d’après les Grecs, caryatides ou persiques ; & ils nommoient telamones les figures d’hommes qui soutenoient les saillies des corniches ; mais la langue françoise qui craint les aspirations, a préferé le nom de termes à celui de hermes. (D. J.)

Termes, (Géog. anc.) ville d’Espagne dans la Celtibérie, selon Pline, l. III. c. iij. & Florus, l. IV. c. xj. Ptolomée, l. II. c. vj. la donne aux Arevaci, & Appien, p. 535. dit que Termisus étoit une grande ville. Le nom moderne, selon plusieurs, est Lerma ou Lerme sur l’Arlanzon ; selon d’autres, c’est Nuestra Sennora de Tiermes.

Les habitans de cette ville sont appellés Termestini par Tite-Live. Il s’agit de savoir si la ville de Termantia d’Appien est la même ville que Termes, & si les Termantini sont le même peuple qui est appellé Termestini par Tite-Live. Une chose donne matiere à ce doute, c’est qu’il n’est guere naturel qu’un même auteur, dans un même livre & dans la description de la même guerre, appelle la même ville tantôt Termantia, tantôt Termisus ; cependant la plûpart des modernes jugent qu’Appien sous ces deux noms a entendu parler de la même ville. (D. J.)

Termes d’un nivellement, (Hydraul.) ce sont les deux extrémités où commence & finit un nivellement. Elles sont différentes des deux points d’un coup de niveau, qui sont compris dans les deux stations d’où l’on part & où l’on s’arrête, lesquelles peuvent se répéter plusieurs fois dans un long nivellement. (K)

Termes, (Marine.) ce sont des statues d’hommes ou de femmes, dont la partie inférieure se termine en gaîne, & dont on décore la poupe des vaisseaux.