La Grande Division arrivée ces derniers jours entre les femmes et les filles de Montpellier

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La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes et les filles de Montpellier, avec le sujet de leurs querelles.

1622



La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes et les filles de Montpellier, avec le sujet de leurs querelles.
À Paris.
M.DC.XXII. In-81.

Perfide et abominable ville, qui par tes impies et damnables revoltes penses faire teste long temps à ce grand Monarque qui te tient assiegée2, c’est maintenant que tu peux recognoistre à bon droit que tes trahisons ne te servent qu’à advancer ta ruyne, tes mutineries n’enclinent qu’à ta cheute, tes revoltes ne panchent qu’à ton renversement.

Et bien que tu sois la demeure ordinaire des medecins, tu n’en trouveras pourtant pas un si expert qui puisse remedier aux playes journalières qu’on donne aux tiens, ny remplastrer les bresches que les canons du Roy font continuellement à tes bastions et murailles ; ton Mont sera Pillé3 si tu ne plies sous le joug de l’obéissance ; les divisions qui sont parmi tes Citadins le peuvent tesmoigner, et les desordres continuels qui sont au milieu de ton enclos en pourront porter suffisante preuve.

Dernièrement, que les habitans de Montpellier voulurent mettre le né au vent pour faire une sortie, et qu’on leur tailla de si belles croupières, où mesme un de leurs principaux capitaines fust estendu sur la place, les femmes et les filles de la dite ville ayans eu le bruit de cecy s’assemblèrent en un lieu pour ensemblement deplorer leurs malheurs et abjurer la guerre cause de tant de maux.

Se caussam clamant, crimenque, caputque malorum,
Filia quæque manu flavos Mons pessula crines,
Et roseas trahit ungue genas4.

Il semble que Virgile eût prophetisé ces vers sur Montpellier, veu qu’on ne les sçauroit adapter à chose où il y ait plus de correspondance : car les bourgeoises de ceste ville, qui ont de coustume de voir un nombre infini de jeunes godelureaux qui y vont estudier en medecine, estant privées de leurs douces compagnies et des joyeux passe-temps que leur entretien leur donnoit auparavant ceste revolte, jointe à une infinité de pertes qu’ils ont faites depuis qu’ils se sont souslevez contre les armes de leur souverain, ne peuvent tenir les sanglots qui se crevent dans leurs bouches, ny boucher le passage aux soupirs qu’ils ressentent pour ce subjet.

Et quoy ! dit une vieille chappronière5 qui tenoit le haut bout en l’assemblée, serons-nous toujours misérables ? Faut-il que nos maris soyent cause de nos malheurs ? Ne suffisoit-il jusques icy de nous avoir deschirez par lambeaux ? Nous mesmes nous nous plantons le couteau dans le sein. Nous mesmes nous courons à bride abatue à nostre mort, et semble à voir qu’il nous tarde que nous ne soyons toutes dans nostre propre ruyne ensevelies miserables et mal-heureuses, pour ne revoir jamais la lumière du ciel. Faut-il, dis-je, que nos maris soient tellement oublieux de leur salut et du nostre, que de se precipiter dans les hazards et les dangers pour lutter contre les destins qui n’ont premedité autre chose que nostre totale perte ? Ha ! les larmes me crevent le cœur ? les soupirs me bouchent les conduits de la parolle, les sanglots m’estouffent. Mon pauvre mary, hélas ! ou es-tu ? ou es-tu, ma seule consolation ?

Tu m’as donc quitté, pauvre et infortunée, pour estre la proie du destin ! Tu m’as delaissée languissante pour survivre à l’esclendre6, tu m’as abandonnée, hélas ! pour voir ceste ville renversée de fond en comble si elle poursuit davantage en ses revoltes. Que pleut à Dieu que ce lien se fust rompu en une mesme heure, puis qu’en un instant il se desnoue ! Falloit-il que nous sortissions de Montauban7 l’an passé pour estre traités de la sorte dans Montpellier ? Ô grand et invincible Diomède, ainçois grand colosse de guerre, M. de Mayenne8, que ne suis-je morte par vos mains !

Ainsi parloit la femme d’un medecin de Montauban, qui l’an passé estoit sortie avec son mary au commencement du siége, et se vinrent refugier à Montpellier, persans avoir meilleur marché ; mais, de malheur, son mary avoit esté tué en ceste seconde escarmouche.

La femme d’un jeune advocaceau sans cause, qui deux jours auparavant, voulant aller plaider sur la muraille, fut salué d’une pilule au travers du corps, à cause peut estre qu’il estoit constipé, va dire : « Hola ! Mamie, vous parlés encore, vous qui estes vieille, et qui desjà avez un pied dans la fosse ! N’avez-vous point tant sujet de vous plaindre que moy, qui ay perdu mon mary depuis deux jours en ça ? Vostre mari estoit vieil et caduc : quand la queue commence à se secher le fruict tombe ; mais le mien estoit encor en sa verte jeunesse et bon advocat, qui bailloit tousjours le droict à sa partie, et de qui la compagnie m’estoit douce : avec combien de regrets et de ressentiments de douleurs croyez-vous que je me ressouvienne de ceste perte ? »

— Et moy (dit une fille de haut goust, qui estoit au coin), pensez-vous que je ne me ressente point de tous ces troubles icy ? Avant qu’on eût bloqué ceste ville, et que le bruit des reistres9 fût venu aux oreilles des François, il y avoit un jeune Parisien logé chés nous qui estudioit en medecine, en la compaignie duquel je passois une partie de mon temps. C’estoit le plus doux et le plus affable qui se vit jamais ; il m’avoit promis mariage, et mesmes nous en avions passé les patentes dans ma chambre. Maintenant à ces nouveaux troubles je ne l’ai peu retenir, et ne sçay s’il n’est point mort par les chemins ; je crains qu’il ne revienne jamais.

— Encor y a-il quelque peu d’esperance en vos affaires, respondit une de ses voisines : mais pour moy il n’y en a plus. J’avois un jeune gars qui quelquefois se venoit rafraischir chez moy et prenoit une heure de recreation en mon logis ; mais dernierement, las ! il pensoit sortir avec les autres, il fut tué d’un soldat de M. Zamet10. Si vous sçaviez combien j’en suis attristée et quelle amertume m’en est restée en l’âme, vous en seriez esmerveillée.

— Aussi en avez-vous du subjet, respondit une noirette qui ne s’affectionnoit pas trop ; chacun vous cognoist bien pour telle que vous estes : on sçait bien que celuy dont vous parlez n’alloit point en vostre logis que pour faire de belles affaires ; mais il n’en faut mot dire. Nous sommes en un temps où il n’y a pas à rire pour tout le monde ; il y en a de bien bleuds11, n’y eût-il que de nos confrères de la Rochelle, qui n’ont rien despouillé ceste année.

— Mais qui eût creu (dit la femme d’un conseiller de la dite ville) qu’on nous eût reduit au petit pied en si peu de temps ? Qui eût creu que ceste ville eût si tost succombé à la ruyne comme elle fait ? Il n’y a pas un pan de muraille entier, tous nos bastions nouveaux qu’on avoit fait edifier de la demolition des esglises sont tantost tous en poudre ; à peine s’ose on trouver dans les rues pour les canonades qu’on tire continuellement du cartier du Roy. J’ay une petite fille qui, allant l’autre jour en nostre grenier, fut escrasée d’une balle qui tomba sur les thuilles de la maison.

— Ma commère, repliqua une grosse dame, on dit que la ville de Troye eût esté imprenable si les Grecs n’eussent derrobé le Palladium qui estoit dans le temple de Minerve, tout le destin de ceste ville n’estoit attaché qu’à ceste petite image ; mais nous ne devons encor craindre : la robbe de Rabelais est nostre Palladium12 ; tandis quelle sera en ceste ville, jamais elle ne peut estre prise.

— Ah ! Madame, dit alors une damoiselle de qualité, de qui le mary estoit au lict blessé d’un coup de mousquet au bras, il ne se faut pas fier à la robbe de Rabelais ; le plus beau Palladium qu’on puisse souhaiter pour la deffence d’une ville, c’est le nombre des gens et de soldats qui y sont. Si Troye ne se fust laissé ensevelir dans le vin et dans le sommeil, nonobstant le Palladium des Grecs, jamais elle n’eust été prise ; mais quel Palladium et quelle sauve garde pouvons nous avoir, puis que nous n’avons tantost plus personne pour nous deffendre ? Toute nostre garnison est presque taillée en pièces ; personne ne s’ose adventurer d’aller aux murailles ny aux coups. Nous avons des capitaines lasches et de peu de courage. Nostre ennemy est puissant, nos forces foibles, sans esperance de secours. Que pouvons-nous esperer, si non qu’une funeste et triste journée où nous passerons toutes au fil de l’espée, si nos maris soutiennent plus longtemps l’effort des armes royalles ?

— Ma cousine dit vray (fit une autre de moyenne taille), mon aisné y est mort aussi bien que les autres, et a payé la folle enchère de son imprudence. De l’excuser, je ne le puis, cela me touche de près ; car nonobstant que mon mary soit de la religion pretendue et qu’il tienne le party des rebelles, je ne peux advoüer pourtant qu’il se faille cantonner contre son maistre.

Une assés âgée, qui estoit debout au milieu de l’assemblée, print la parolle. À la verité, dit elle, nos maris vont trop avant, c’est trop se bander contre le roy. J’ay peur enfin qu’il y en ait quelques-uns qui portent la paste au four pour leurs compagnons. Le roy en endure trop, il est trop doux et trop benin ; je ne sçay comment il ne nous a desja fait abismer et ensevelir dans nos propres ruynes.

— De mon jeune temps on ne parloit point de cela, dit une vieille qui n’avoit plus que deux dents. J’ay bien veu des guerres, j’ay veu des grandes expeditions ; mais il ne s’est jamais remarqué qu’on eût fait tant d’efforts contre son roy. Il est de droit divin et humain de luy obeyr, non pas de lui resister ; pour moy, je n’approuveray jamais le conseil de tous ceux qui delibèrent de fermer la porte à ses trouppes : car, outre que nous encourerons un blasme universel parmy les nations voisines et une tasche qui jamais ne se pourra effacer, nous sommes en grand danger de subir de grands maux par nostre propre imprudence.

— Madame a raison, repliqua une autre fraischement arrivée de la Rochelle, nous avons tous un très mauvais horoscope ceste année, elle nous est climaterique13 et malheureuse, ces jours derniers nous sont fort caniculaires14. Ce n’est point seulement à Montpellier où on a sujet de se plaindre, la Rochelle en a eu sa part. Nous avons esté entierement ruynez des troupes de monsieur le comte de Soissons, qui ont fouragé tous les environs, et n’avons peu ceste année recueillir un seul grain de bled. Encor nous avions espérance en M. de Soubise à son retour d’Angleterre qu’il nous rafraischiroit de vivres ; mais, hélas ! nous avons esté bien frustrez, car on nous a dit que luy-mesmes avoit esté chassé honteusement de Londres, et que, s’estant mis sur mer, ses vaisseaux avoient esté fracassez15. Si cela est, je vous laisse penser quel bon succès il donnera aux Rochelois.

— Ah ! ma commère (dit sa voisine) vous me faites crever le cœur quand vous me parlez de M. Soubise ! Il est bien cause de mon malheur : j’avois une jeune fille l’hiver passé, lorsque je demeurois à La Rochelle, belle et en bon point ; un de ses capitaines devint amoureux esperduement de sa beauté et la ravit. Mon mari poursuivit ledit capitaine pour tirer raison d’un acte si impie ; mais M. de Soubise, qui avoit peut-estre mouillé son pain au pot, n’en fit aucun conte, si non qu’on me renvoya ma pauvre fille quinze jours après. Je voulus voir si on l’avoit violée ; c’est pourquoy, en ayant commis la charge à deux matrones et sages-femmes de La Rochelle, après l’avoir veue et visitée, elles me dirent que, tout estant consideré, elles avoient trouvé que la babole estoit abatue, l’arrière-fosse ouverte, l’entre-fesson ridé, le guillevart eslargy, le braquemart escrouté, la babaude relancée, le ponnant debiffé, le halleron demis, le quilbuquet fendu, le lipion recoquillé, la dame du milieu retirée, les toutons desvoyez, le lipondis pilé, les barres froissées, l’enchenart retourné ; bref, pour le faire court, qu’il y avoit trace de v... ; d’où vient que tout la cure que j’y aye pu apporter, et nonobstant la peine que j’aye prise à recoudre son canipani brodimaujoin, elle est demeurée despucellée16.

— Voylà comme en font les capitaines de deux liarts, dit une femme de medecin ; tout nostre trafic n’est attaché qu’à ces cures ; quand ils sont dans une maison, ils croyent qu’ils ont permission de faire tout ce qu’ils voudront. »

La niepce du docteur Rabelais aloit dire son mot ; mais on vint advertir l’assemblée qu’il y avoit une grande rumeur en l’Hostel-de-Ville ; aussi tost les femmes sortirent de leur congrégation pour participer au conseil qui se tenoit en la ville. Cela fust cause que je ne peus escrire davantage de leurs babils.



1. Cette pièce est tout à fait dans le goût des Caquets de l’accouchee, et paroîtroit sortie de la même plume. Elle est d’ailleurs du même temps, et traite de faits dont il y avoit été dit un mot, p. 158.

2. Louis XIII étoit venu mettre le siége devant Montpellier en août 1622.

3. Ce mauvais jeu de mots sur le nom de Montpellier se trouvoit presque justifié par les menaces que le prince de Condé prêtoit au roi : « Il avoit dit, en plusieurs endroits, que si le roy entroit dans Montpellier, il donneroit la ville au pillage. » (Abrégé chronol. de l’Hist. de France, pour faire suite à celui de Franç. de Mézeray, t. 1, p. 308.)

4. Ces vers sont une altération de ceux de Virgile, Æneid., lib. 12, v. 600–605.

5. C’est-à-dire portant chaperon, ce qui étoit la marque de la petite bourgeoisie. V. notre t. 1, p. 306, et les Caquets de l’Accouchée, p. 21.

6. Ce mot se prenoit alors dans le sens de malheur, accident fâcheux. Dolet, dans son Epistre au très chrestien et très puissant roy Françoys, a dit :

Prends garde icy, Françoys, vertueux roy,
Car c’est le point qui te faira entendre
Trop clairement l’abuz de mon esclandre.

Loret l’employa plus tard dans le sens de déroute :

Car on dit que dans cette esclandre
Plusieurs Hollandois firent Flandre, etc.

Aujourd’hui on ne l’emploie plus que pour une querelle, une rixe, et on l’a rapproché ainsi de l’ètymologie qu’en donne du Cange. Il le fait venir de scandalum.

7. Le siége de Montauban, dont il est parlé à plusieurs reprises dans les Caquets de l’Accouchée, p. 53, 157, 256, avoit été tenté sans succès en 1621. Après trois mois d’attaques infructueuses, on l’avoit abandonné.

8. Henri, duc de Mayenne, fils du chef de la Ligue. Après avoir agi avec vigueur dans la haute Guienne, il étoit venu se mettre sous les ordres du connétable de Luynes, qui commandoit devant Montauban. En qualité de lieutenant général, c’est lui qui fit la seconde attaque, l’une des plus vigoureuses. Il y fut tué d’un coup de mousquet dans l’œil. Il avoit 43 ans.

9. Ces bandes de cavaliers allemands (reiter), après avoir long-temps ravagé la France, finirent par se mettre à notre solde. Au siége de Juliers, en 1610, il y en avoit que le prince d’Anhalt avoit amenés, et qui combattoient de concert avec nos troupes, commandées par M. de La Châtre. Il s’en trouvoit aussi, comme on le voit, au siége de Montpellier, où on leur donnoit pour adversaires ces mêmes réformés qu’ils étoient venus secourir au temps de Coligny. Autre temps, autre drapeau. Sur les premiers de ces condottieri allemands qui vinrent en France pendant les règnes de Charles IX et de Henri III, on ne peut rien lire de plus curieux que le livre rarissime ayant pour titre : Mémoires non encore veus du sieur Fery de Guyon, escuyer. Tournay, 1664, in-8.

10. Jean Zamet, fils légitimé du fameux financier Sébastien Zamet et de Madeleine Leclerc du Tremblay, sœur du père Joseph. Les calvimstes, contre lesquels il fut toujours un enragé guerroyeur, l’appeloient le grand Mahomet. Il fut tué à ce siége de Montpellier. (Mémoires de Bassompierre, collection Petitot, 2e série, t. 20, p. 462, et Mémoires de Pontis, ibid., t. 31, p. 369.) Son tombeau se trouvoit, avec celui de sa famille, dans la nef des Célestins de Paris. On lisoit sur l’épitaphe : « Étant mestre de camp du régiment de Picardie, il mérita la charge de maréchal de camp dans l’armée du roi, laquelle exerçant au siége de Montpellier, il marchoit à grands pas aux premiers honneurs militaires, lorsqu’un boulet, lui brisant la cuisse, arrêta le cours de sa vie, pour le faire jouir dans le ciel de la vraie gloire, dont il n’eût pu recevoir que les ombres sur la terre. Il fut blessé un samedi, jour dédié à la Sainte-Vierge, le troisiesme septembre 1622, et mourut le jeudi ensuivant de la Nativité de la même Vierge. » (Piganiol de la Force, Description de Paris, t. 4, p. 247–248.)

11. C’est-à-dire maltraités, meurtris, couverts de bleus.

12. Cette fameuse robe de Rabelais étoit, comme toutes celles des clercs de médecine à cette époque, faite de drap rouge, à larges manches, avec un collet de velours noir sur lequel étoient brodées en or les initiales F. R. C. (Franciscus Rabelæsus Chinonensis). En 1610, à force d’être dépecée par la vénération des bacheliers, dont chacun vouloit son lambeau, elle étoit si courte qu’elle descendoit à peine à la ceinture des récipiendaires. On en mit une neuve. Lazare Meyssonnier, qui l’endossa, ne déclare pas moins avec onction qu’il a revêtu la robe de Ranelais « dans la salle où se font les actes publics et où se donne le bonnet à ceux qui y prennent leurs degrez en médecine. » (Almanach illustré, composé de plusieurs pièces curieuses, pour l’an 1639.) Avec toutes les précautions possibles, chaque vénérable robe ne pouvoit pas durer plus d’un siècle. En 1720, celle de 1610 n’étoit qu’un lambeau. François Ranchin, chancelier de la Faculté, en donna une nouvelle à ses frais (Astruc, Mémoires pour l’Histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, liv. 2, p. 329). Depuis lors, je ne sais combien de fois on a dû faire la même dépense, mais il paroît qu’à la fin on mettoit, pour renouveler la précieuse robe, moins de soin que n’en avoit mis Jeannot pour son fameux couteau. On la reproduisoit sans souci d’exactitude. Ainsi, celle des derniers temps ne portoit plus les initiales, ce qui fait que M. Kuhnholtz a nié qu’elles aient jamais existé sur le collet du vêtement doctoral (Notice hist., bibliogr. et crit. sur Fr. Rabelais, Montpellier, 1827, in-12, p. 32). Desgenette, dans le curieux article de la Biog. médicale qu’il a consacré à Rabelais, parle ainsi de sa robe et des rajeunissements, dont il exagère peut-être le nombre. « Nous sommes réputés nous-mêmes avoir porté cette robe, mais c’étoit une pure commémoration, car elle avoit été renouvelée au moins vingt fois, puisque environ cinquante docteurs annuellement reçus à Montpellier en ont constamment emporté des lambeaux, avant, pendant ou après l’acte probatoire dit de rigueur (punctum rigorosum) ». C’est dans la grande salle, comme nous l’avons dit, qu’on l’endossoit, et qu’elle étoit toujours pendue (Degrefenille, Hist. de Montpellier, liv. 12, ch. 1). Piron la prit pour sujet de cette épigramme où il apostrophe Montpellier :

Secourable mont des Pucelles,
Puissiez-vous long temps prospérer !
Puissent de vos plantes nouvelles
Les vertus toujours opérer,
Et ne jamais dégénerer,
Comme la robe mémorable
Qui fut un harnois honorable
Tant que Rabelais l’eut sur lui,
Mais qui, par un sort déplorable,
N’est plus qu’un bât d’âne aujourd’hui.

13. Sur les époques climatériques, v. notre t. 2, p. 212.

14. Les jours caniculaires passoient pour être funestes aux plaisirs de l’amour. Cette Rochelloise a donc raison de les donner comme très néfastes. Camerarius a écrit un gros livre sur cette thèse-là. Molière fait très vertement maudire par la Cléanthis de son Amphitryon (acte 2, scène 3) cette superstition médicale :

——--Je me moque des médecins,
——--Avec leurs raisonnements fades ;
——--Qu’ils règlent ceux qui sont malades,
Sans vouloir gouverner les gens qui sont bien sains.
——--Ils se mêlent de trop d’affaires,
De prétendre tenir nos chastes jeux gênés ;
——--Et sur les jours caniculaires
Ils nous donnent encore, avec leurs lois sévères,
——--De cent sots contes par le nez.

Chez les anciens, c’est le mois de mai qui étoit néfaste pour l’amour. V., sur le scrupule qu’ils avoient de se marier ce mois-là, une lettre publiée dans l’Esprit des journaux, sept. 1786, p. 215.

15. M. de Soubise avoit été malheureux partout: le 25 juin 1621, il avoit capitulé dans Saint-Jean-d’Angely ; l’hiver suivant, il avoit été complétement défait dans les Sables d’Olonne, et avoit dû quitter la France. V. Caquets de l’accouchée, p. 35, 56.

16. Tous ces détails semblent avoir été pris textuellement dans une pièce publiée quelques années avant celle-ci : Le reveil du chat qui dort, par la cognoissance de la perte du pucellage de la pluspart des chambrières de Paris ; avec le moyen de le raccoutrer, suivant le rapport des plus signalées matrones, tant béarnoises que françoises, appelées à cet effet ; avec les noms des ustencilles par elles trouvées dans leurs bas guichets ; mis en lumière en faveur des bons compagnons à marier. À Paris, jouxte la copie imprimée par Pierre le Roux, M.DC.XVI, in-8. Le passage si curieusement technique qu’on a repris ici se trouve après ces mots : « Voyons maintenant la deposition des Parisiennes qui font leur rapport d’une qui estoit deflorée : « Nous Marie Teste, Jane de Meaux, Jane de la Guignans et Magdelaine la Lippue, matrones jurées de la ville de Paris, certifions à tous qu’il appartiendra que, le quatorzième jour de juin dernier, par ordonnance de ladicte ville, nous sommes transportées en la rue de Frepault, où pend pour enseigne la pantoufle, où nous avons veue et visitée Henriette Pelicière, jeune fille aagée de dix-huit ans ou environ, sur la plaincte par elle faicte à justice contre Simon le Bragard, duquel elle dict avoir esté forcée et deflorée, et le tout veu et visité au doigt et à l’œil, nous trouvons, etc. » Le reste est comme ici.