L’Encyclopédie/1re édition/EMULSION

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EMULSION, s. f. (Pharmacie & Mat. méd.) c’est ainsi qu’on nomme en Medecine une liqueur laiteuse formée par l’union de l’eau, & d’une substance végétale particuliere, contenue dans les semences appellées émulsives. Voyez Semences émulsives.

La liqueur connue de tout le monde sous le nom d’orgeat, n’est autre chose que l’émulsion dont il s’agit ici.

Les semences dont on tire le plus ordinairement les émulsions, & qui en font proprement la base, sont les amandes douces, les pignons, & les quatre semences froides majeures. Voyez Amandes, Pignons, & Semences froides. Plusieurs medecins demandent aussi assez souvent la semence de pavot, celle de laitue, celle de violette, & quelques autres de la même nature : mais comme ces dernieres semences, qui sont fort petites, fournissent moins de parties émulsives que les premieres, qu’elles donnent ces parties plus difficilement, & qu’il n’est pas possible d’appuyer sur la moindre observation leurs prétendues vertus particulieres, qu’il est démontré, par exemple, que la partie émulsive de la semence de pavot ne participe du tout point de la vertu calmante de cette plante ; pour ces raisons, dis-je, on ose avancer avec confiance que c’est une pratique loüable de prescrire toûjours par préférence les premieres semences que nous avons nommées, & de ne pas multiplier inutilement les matériaux de l’émulsion.

Plusieurs auteurs ont des prétentions sur l’émulsion tirée de la semence de chanvre. Voyez Chanvre.

On employe aussi quelquefois les amandes ameres, mais toujours mêlées en petite dose à une quantité plus considérable de l’une des semences que nous avons dit devoir faire la base du remede, & seulement dans la vûe d’en relever un peu le goût.

On édulcore les émulsions avec une quantité de sucre ou de sirop, déterminée par le medecin ; on les aromatise aussi quelquefois avec quelque eau distillée.

On employe plus ou moins d’eau, selon qu’on veut avoir une émulsion plus ou moins chargée.

Pour faire une émulsion, c’est-à-dire pour unir à l’eau la substance végétale particuliere, que nous connoissons sous le nom d’émulsive, on s’y prend de la maniere suivante.

Prenez, par exemple, vingt-quatre amandes douces mondées (voyez Monder, Pharm.), ou bien de l’une des grandes semences froides mondées, ou des quatre ensemble, six gros, & cinq ou six amandes douces mondées ; écrasez-les dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, d’abord à sec, mais bientôt versez sur ces semences une ou deux cuillerées d’eau, & continuez à piler en ajoûtant peu-à-peu toute l’eau que vous avez dessein d’employer (la quantité des semences demandées dans cet exemple suffit pour charger suffisamment deux liv. d’eau) ; dissolvez votre sucre (une once suffit pour deux livres d’émulsion), passez à-travers un linge serré, & exprimez legerement. Si c’est un sirop que vous employez au lieu de sucre, vous ne l’ajoûterez qu’après la colature, avec l’eau distillée destinée à aromatiser l’émulsion. Dans l’émulsion que nous venons de décrire, on pourra dissoudre, au lieu de sucre, une once & demie de sirop de capillaire, de violette, de tussilage, de guimauve, ou bien une once de l’un de ces sirops, & trois gros ou demi-once de sirop de diacode, si on veut rendre l’émulsion narcotique. Une pinte de cette liqueur est aromatisée à un point très-agréable par l’addition d’une demi-once d’eau de fleurs d’orange, ou d’eau de canelle appellée orgée.

S’il nage de l’huile sur la surface d’une émulsion qu’on vient de préparer, l’émulsion a été malfaite ou manquée. Cet inconvénient est dû à ce qu’on a séparé une huile qui est un des principes du suc émulsif, d’avec une matiere muqueuse qui en est un autre principe, & à laquelle l’huile doit sa miscibilité avec l’eau. Voyez Semences émulsives. On prévient ce défaut en appliquant de bonne heure de l’eau aux semences que l’on pile, & même en les triturant avec une partie du sucre qu’on veut employer dans l’émulsion ; car le sucre est un moyen d’union entre les huiles & l’eau. Voyez Huile & Sucre.

Les Chimistes ont apperçu beaucoup d’analogie entre les émulsions & le lait des animaux ; on verra avec combien de fondement, à l’article Semences émulsives. Voyez cet article. Nous nous contenterons d’observer ici que, comme le lait, les émulsions tournent & s’aigrissent après un certain tems, en moins de vingt-quatre heures dans un lieu, ou par un tems chaud ; & que les acides & les esprits fermentés les coagulent comme le lait. On ne préparera donc des émulsions que pour quelques heures, surtout en été ; on ne les mêlera point avec des sirops, ou des sucs acides, & on ne les aromatisera point avec des eaux spiritueuses.

L’émulsion se décompose par l’ébullition ; ce qu’on appelle dans quelque pays une émulsion cuite, c’est-à-dire à laquelle on a fait prendre quelques bouillons, est donc une préparation monstrueuse, un remede altéré & dégénéré autant qu’il est possible. La vûe médicinale de corriger par cette coction une prétendue crudité de l’émulsion, est trop vaine pour pouvoir autoriser une pratique si directement contraire aux regles de l’art.

Les émulsions ont toutes les propriétés des remedes appellés rafraîchissans, tempérans, délayans ; voyez Délayant, Rafraîchissant, & Tempérant : & de plus elles sont nourrissantes. On les ordonne très-utilement pour boisson ordinaire dans toutes les maladies inflammatoires, & sur-tout lorsqu’elles affectent principalement les visceres du bas-ventre, dans les diarrhées par irritation, dans les ardeurs d’urine, dans le commencement de la curation des chaudepisses, dans les chaleurs d’entrailles, & même dans certaines fleurs blanches. Voyez ces articles.

Dans tous ces cas on doit prescrire les émulsions à grande dose, à deux ou trois livres par jour au moins ; & c’est avoir une idée fort imparfaite de l’action de ce remede, que d’attendre quelque effet utile d’un seul verre d’émulsion donné dans la journée, ou le soir.

On se sert fort ordinairement de l’émulsion comme d’un véhicule commode, pour donner certains sels neutres étendus dans une grande quantité de liquide ou en lavage, comme on s’exprime communément. On dissout, par exemple, un gros ou un gros & demi de nitre purifié dans une pinte d’émulsion, pour faire ce qu’on appelle une émulsion nitrée ; c’est un usage fort ordinaire aussi de faire fondre trois ou quatre grains de tartre émétique dans une pinte d’émulsion, qu’on donne par verre pendant le cours de la journée, pour entretenir les évacuations abdominales dans plusieurs maladies aiguës. Voy. Fievre.

On prépare une émulsion purgative qui agit assez doucement, & qui n’a point le dégoût des potions purgatives ordinaires, en unissant intimement par une longue trituration dix ou douze grains de résine de jalap à une once de sucre, que l’on employe ensuite dans la composition d’une émulsion ordinaire : non-seulement le suc émulsif sert dans ce cas à masquer le goût de la résine, mais il concourt aussi avec le sucre à en corriger l’activité. Le sucre est le dissolvant des résines, & il forme avec elles un composé savonneux, miscible à l’eau. Voyez Sucre & Résine. Le suc émulsif possede la même propriété, quoiqu’avec un degré très-inférieur. On fait entrer aussi la résine de scammonée dans ces émulsions, à la dose de deux ou trois grains, avec huit, dix, ou douze grains de résine de jalap. Voy. Scammonée & Jalap.

Si l’on dispose une résine ou un baume à être dissous par l’eau en unissant ces substances au jaune d’œuf, & qu’on applique de l’eau à ce composé selon l’art, il en résulte aussi une liqueur laiteuse, que quelques auteurs ont appellé du nom d’émulsion ; celle-ci est vulnéraire, détersive, & cicatrisante ou purgative, selon la propriété de la résine ou du baume qu’on y a employé. Voyez les articles Vulnéraire, Détersif, & Purgatif résineux, au mot Purgatif.

La liqueur connue de tout le monde sous le nom de lait de poule, est parfaitement analogue à l’émulsion. Voyez Œuf, Diete. (b)