Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laine, pour en tirer toutes les nuances du rouge, en commençant par les plus foncées ; car à mesure qu’on se sert du bain, la matiere colorante y diminue, & la couleur s’éclaircit ; mais comme les dernieres nuances qu’on en pourroit tirer, courroient risque d’être altérées, par les impuretés dont l’eau se trouve chargée, les teinturiers aiment mieux faire débouillir quelques bottes de la laine la plus foncée : l’eau bouillante leur enleve leur couleur, & devient un nouveau bain, propre à donner toutes les nuances claires, preuve sans replique du peu de solidité de cette teinture.

En examinant toute cette opération, il est aisé de voir que quoiqu’une partie de la garance ait été assurée sur le poil par le bouillon, toutes celles qu’on y ajoute depuis, n’y ont aucune adhérence, que le poil ayant été totalement détruit par l’action de l’alkali, il n’existe plus ni pores, ni matieres qui puissent retenir les atomes colorans, & qu’enfin, l’urine qu’on y ajoute, suffiroit seul pour empêcher l’alkali de se joindre, avec le peu d’alun qui se trouve dans le bain, pour former un tartre vitriolé ; d’où il suit que rien ne retenant les particules colorantes dans les pores de l’étoffe, énormément aggrandis par l’effet de l’alkali, la teinture n’y est aucunement adhérente, quoique faite avec un ingrédient, qui naturellement peut donner une teinture solide, lorsqu’il est convenablement employé.

Teinture des chapeaux, se dit & de l’action de l’ouvrier qui les teint, & de la couleur même avec laquelle il les teint.

La teinture des Chapeliers est un composé de noix de galle, de bois d’inde, de couperose & de verd-de-gris qu’on a fait dissoudre & bouillir ensemble dans une chaudiere, qui pour l’ordinaire peut contenir outre la teinture jusqu’à douze douzaines de chapeaux montés sur leur forme de bois.

Lorsque la teinture est en état de recevoir les chapeaux, on les y trempe, & on les y laisse bouillir quelque tems, après quoi on les tire & on les laisse se teindre à froid ; ce qui se réitere alternativement à plusieurs reprises, plus ou moins selon que l’étoffe mord, plus ou moins aisément la teinture. Voyez Chapeau.

Teinture, (Chimie, Pharm. & Mat. méd.) le sens du mot de teinture est fort vague ; ce défaut est très commun dans la nomenclature pharmaceutique ; on entend à-peu-près par le mot de teinture, le produit d’une dissolution, soit pléniere, ou proprement dite, soit partiale (Voyez Extraction, Chimie, & Extrait, Chimie), soit simple, soit composée, & opérée par divers menstrues ; savoir les esprits ardens, les huiles, & principalement les huiles essentielles, & en particulier l’éther ; les acides, & principalement les acides végétaux ; alkalis résous, enfin l’eau même.

C’est parce que ces dissolutions sont toujours colorées, qu’on leur a donné le nom de teinture. Mais cette dénomination est absolument arbitraire, & n’est point du tout spéciale ; car il existe dans l’art un grand nombre de dissolutions, par exemple, presque toutes les décoctions de substances végétales qui sont colorées, & auxquelles on ne donne pas communément le nom de teinture. S’il y a pourtant quelque caractere distinctif à saisir ici, il paroît que ce qu’on appelle teinture est ordinairement spécifié par une couleur éclatante, rouge, bleue, jaune, verte ; au lieu que les décoctions & les autres dissolutions colorées qui ne portent pas le nom de teinture, n’ont que des couleurs sombres, communes, peu remarquables, presque toutes plus ou moins brunes ; mais comme on s’en apperçoit assez, le fondement de cette distinction n’a rien de réel ; enfin il existe dans l’art, des préparations absolument analogues, même

quant à l’éclat de la couleur, à celles qui portent le nom des teintures, & qui sont connues sous d’autre noms, sous celui d’élixir, ou sous celui d’essence, de quintessence ; ou enfin sous celui de gouttes. V. ces articles. La plûpart des teintures, qui sont presque toutes destinées à l’usage pharmaceutique, n’ont d’autre mérite que leur couleur ; ou du-moins la charlatanerie, à laquelle elles doivent leur naissance, s’est occupée de cette qualité extérieure, comme du point principal : la distinction en teinture vraie, & teinture fausse que Mender a proposée pour les teintures antimoniales (V. Antimoine), convient de la même maniere aux teintures en général.

Les teintures vraies sont selon cette doctrine, celles qui contiennent réellement des parties ou des principes du corps avec lesquels on les a préparées, & dont elles tirent leur nom. La teinture de gomme-laque, de castor, de benjoin, de tolu, & de toutes les autres substances résineuses ou balsamiques faites par le moyen de l’esprit-de-vin, les teintures des verres d’antimoine faites par les acides végétaux, sont des dissolutions plénieres, contiennent la substance entiere, à laquelle on a appliqué les menstrues, & sont par conséquent des teintures vraies. La teinture de clou de gérofle, de caskarille, de canelle, &c. la teinture, ou essence carminative de Wédelius, sont des extractions vraies ; les menstrues qu’on y a employés, sont vraiment chargés de quelques principes qu’ils ont enlevés aux substances auxquelles on les a appliqués, & sont par conséquent des teintures vraies.

Les teintures fausses, sont celles qui ne contiennent rien, qui n’ont rien dissout, rien extrait de la matiere concrete sur laquelle elles se sont formées. Mender compte avec raison parmi les teintures d’antimoine fausses, toutes celles qu’on retire de dessus l’alkali rendu caustique par le regule d’antimoine calciné, soit seul, soit avec d’autres métaux. Presque toutes les prétendues teintures métalliques, faites par le moyen de l’esprit-de-vin, & par conséquent le fameux lilium de Paracelse, & la plûpart des cinq cent teintures martiales spiritueuses, doivent être mises au même rang, aussi bien que la teinture de sel de tartre pur. Il est à-peu-près démontré que l’esprit-de-vin se colore dans tous ces cas, aux dépens de sa propre composition ; qu’il est altéré, dérangé, précipité par l’action de l’alkali fixe ; mais qu’il ne dissout aucune partie, ni aucun principe de ce sel, qui n’est ni soluble, ni décomposable par l’esprit-de-vin.

Quant à l’usage médicinal des teintures, il faut observer ; 1°. que lorsqu’on a employé à leurs préparations un menstrue, ou excipient très-actif par lui-même, l’esprit-de-vin, par exemple, on doit avoir beaucoup d’égard dans l’emploi à l’activité médicamenteuse de cet excipient ; 2°. que les teintures des substances résineuses qui ne sont que peu ou point solubles par les humeurs digestives, sont beaucoup plus efficaces que ces mêmes drogues données en substance ; que cela est très-vrai, par exemple, du castor, du succin, &c. 3°. Que la forme de teinture n’est pourtant point favorable à l’administration des résines purgatives violentes ; par exemple, de la résine de scammonée, car la dissolution d’une résine par l’esprit-de-vin est précipitée dans les premieres voies par les humeurs digestives qui sont principalement aqueuses ; & ces résines reprennent par conséquent leur causticité naturelle ; il vaut mieux sur-tout dans les sujets sensibles, donner ces résines sous forme d’émulsion (V. Emulsion), ou unies au jaune d’œuf. voyez Œuf, Résine & Purgatif. Les teintures s’ordonnent ordinairement par gouttes ; on détermine aussi leurs doses par le poids.

Il est traité de l’usage & des vertus des teintures simples dans les articles particuliers destinés aux sub-