Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être beaucoup moindre, ou même absolument nulle. Voyez les articles Effervescence & Clyssus. M. Musschenbroek n’entre dans aucun détail sur le procédé qu’il a suivi dans cette expérience ; & je présume qu’il s’est contenté d’observer le rapport de la compression à l’espace, sans faire attention à toutes les autres circonstances qui peuvent altérer l’expansibilité de la vapeur : car s’il eût tenté d’évaluer ces circonstances, il y eût certainement trouvé trop de difficultés pour ne pas rendre compte des moyens qu’il auroit employés pour les vaincre ; peut-être même auroit-il été impossible d’y réussir.

Il est donc très-probable que l’expérience ne peut nous apprendre si les vapeurs se condensent ou non, comme l’air, en raison des forces comprimantes, & si leurs particules se repoussent en raison inverse de leurs distances : ainsi nous sommes réduits sur cette question à des conjectures pour & contre.

D’un côté la chaleur étant, comme nous l’avons prouvé, la cause de l’expansibilité dans toutes les substances connues, on ne peut guere se défendre de croire que cette cause agit dans tous les corps, suivant la même loi ; d’autant plus que toutes les différences qui pourroient résulter des obstacles que la contexture de leurs parties & les lois de leur adhésion mettroient à l’action de la chaleur, sont absolument nulles, dès que les corps sont une fois dans l’état de vapeur : les dernieres molécules du corps sont alors isolées dans le fluide, où elles nagent ; elles ne résistent à son action que par leur masse ou leur figure, qui étant constamment les mêmes, ne forment point des obstacles variables en raison des distances, & qui ne peuvent par conséquent altérer par le mélange d’une autre loi, le rapport de l’action propre de la chaleur avec la distance des molécules sur lesquelles elle agit. D’ailleurs l’air sur lequel on a fait des expériences, n’est point un air pur ; il tient toûjours en dissolution une certaine quantité d’eau, & même d’autres matieres, qu’il peut aussi soûtenir au moyen de leur union avec l’eau. Voyez Rosée. La quantité d’eau actuellement dissoute par l’air, est toûjours relative à son degré de chaleur. Voyez Evaporation & Humidité. Ainsi la proportion de l’air à l’eau dans un certain volume d’air, varie continuellement ; cependant cette différente proportion ne change rien à la loi des condensations, dans quelque état que soit l’air qu’on soûmet à l’expérience. Il est naturel d’en conclure, que l’expansibilité de l’eau suit la même loi que celle de l’air, & que cette loi est toûjours la même, quelle que soit la nature du corps exposé à l’action de la chaleur.

De l’autre côté on peut dire que l’eau ainsi élevée & soûtenue dans l’air par la simple voie de vaporisation[1], c’est-à-dire par l’union chimique de ses molécules avec celles de l’air, n’est, à proprement parler, expansible que par l’expansibilité propre de l’air, & peut être assujettie à la même loi, sans qu’on puisse rigoureusement en conclure, que l’eau devenue expansible par la vaporisation proprement dite, & par une action de la chaleur qui lui seroit appliquée immédiatement, ne suivroit pas des lois différentes. On peut ajoûter qu’il y a des corps qui ne se conservent dans l’état d’expansibilité, que par des degrés de chaleur très-considérables & très-supérieurs à la chaleur qu’on a jusqu’ici appliquée à l’air. Or quoique la chaleur dans un degré médiocre produise entre les molécules des corps une répulsion qui suit la raison inverse des distances, il est très-possible que la loi de cette répulsion change lorsque la chaleur est poussée à des degrés extrèmes, ou son action prend peut-être un nouveau caractere ; ce qui donneroit une loi différente pour la répulsion dans les différens corps.

Aucune des deux opinions n’est appuyée sur des preuves assez certaines pour prendre un parti. J’a-

vouerai pourtant que je panche à croire la loi de répulsion

uniforme dans tous les corps. Tous les degrés de chaleur que nous pouvons connoître, sont vraissemblablement bien-loin des derniers degrés dont elle est susceptible, dans lesquels seuls nous pouvons supposer que son action souffre quelque changement ; & quoique l’uniformité de la loi dans l’air uni à l’eau, quelle que soit la proportion de ces deux substances, ne suffise pas pour en tirer une conséquence rigoureuse, généralement applicable à tous les corps ; elle prouve du moins que le corps expansible peut être fort altéré dans la nature & les dimensions de ses molécules, sans que la loi soit en rien dérangée ; & c’en est assez pour donner à la proposition générale bien de la probabilité.

Mais si l’on peut avec vraissemblance supposer la même loi d’expansibilité pour tous les corps, il s’en faut bien qu’il y ait entre eux la même uniformité par rapport au degré de chaleur dont ils ont besoin pour devenir expansibles. J’ai déjà remarqué plus haut que ce commencement de la vaporisation des corps comparé à l’échelle de la chaleur, répondoit toûjours au même point pour chaque corps placé dans les mêmes circonstances, & à différens points pour les différens corps ; ensorte que si l’on augmente graduellement la chaleur, tous les corps susceptibles de l’expansibilité parviendront successivement à cet état dans un ordre toûjours le même. On peut représenter cet ordre que j’appelle l’ordre de vaporisation des corps, en dressant, d’après des observations exactes, une table de tous ces points fixes, & former ainsi une échelle de chaleur bien plus étendue que celle de nos thermometres. Cette table, qui seroït très-utile aux progrès de nos connoissances sur la nature intime des corps, n’est point encore exécutée : mais les Physiciens en étudiant le phénomene de l’ébullition des liquides, & les Chimistes en décrivant l’ordre des produits dans les différentes distillations (Voyez Ebullition & Distillation), ont rassemblé assez d’observations pour en extraire les faits généraux, qui doivent former la théorie physique de l’ordre de vaporisation des corps. Voici les faits qui résultent de leurs observations.

1°. Un même liquide dont la surface est également comprimée, se réduit en vapeur & se dissipe toûjours au même degré de chaleur : de-là la constance du terme de l’eau bouillante. Voyez Ébullition & le mémoire de M. l’abbé Nollet. 2°. La vaporisation n’a besoin que d’un moindre degré de chaleur, si la surface du liquide est moins comprimée, comme il arrive dans l’air raréfié par la machine pneumatique ; au contraire, la vaporisation n’a lieu qu’à un plus grand degré de chaleur, si la pression sur la surface du liquide augmente, comme il arrive dans le digesteur ou machine de Papin. Voyez Digesteur. Delà l’exacte correspondance entre la variation legere du terme de l’eau bouillante & les variations du barometre. 3°. L’eau qui tient en dissolution des matieres qui ne s’élevent point au même degré de chaleur qu’elle, ou même qui ne s’élevent point du-tout, a besoin d’un plus grand degré de chaleur pour parvenir au terme de la vaporisation ou de l’ébullition. Ainsi pour donner à l’eau bouillante un plus grand degré de chaleur, on la charge d’une certaine quantité de sels. Voyez l’article Bain-marie. 4°[2]. Au contraire l’eau, ou toute autre substance unie à un principe qui demande une moindre chaleur pour s’élever, s’éleve aussi à un degré de chaleur moindre qu’elle ne s’éleveroit sans cette union. Ainsi l’eau unie à la partie aromatique des plantes monte à un moindre degré de chaleur dans la distillation que l’eau pure ; c’est sur ce principe qu’est fondé le procédé par lequel on rectifie les eaux & les esprits aro-

  1. Voir erratum, tome VII, p. 1024.
  2. Voir erratum, tome VII, p. 1024.