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SUITE DU RÈGNE DE PHILIPPE-LE-BEL

lui-même du siècle, il en réunit les caractères, les mauvaises industries. Il tient du juif et de l’alchimiste, du scolastique et du légiste.

La diablerie, comme science, avait dès lors peu de progrès à faire. Elle se formait comme art. La démonologie enfantait la sorcellerie. Il ne suffisait pas de pouvoir distinguer et classer des légions de diables, d’en savoir les noms, les professions, les tempéraments[1] ; il fallait apprendre à les faire servir aux usages de l’homme. Jusque-là on avait étudié les moyens de les chasser ; on chercha désormais ceux de les faire venir. Cet effroyable peuple de tentateurs s’accrut sans mesure. Chaque clan d’Écosse, chaque grande maison de France, d’Allemagne, chaque homme presque avait le sien. Ils accueillaient toutes les demandes secrètes qu’on ne peut faire à Dieu, écoutaient tout ce qu’on n’ose dire[2]… On les trouvait partout[3]. Leur vol de chauve-souris obscurcissait presque la lumière et le jour de Dieu. On les avait vus enlever en plein jour un homme qui venait de commu-

  1. « Agnei, lucifugi, etc. » (M. Psellus.) Cet auteur byzantin est du onzième siècle. (Edid. Gaulminus, 1615, in-12.) — Bodin, dans son livre De Præstigiis, imprimé à Bale en 1578, a dressé l’inventaire de la monarchie diabolique avec les noms et surnoms de 72 princes et de 7.405.926 diables.
  2. La sorcellerie naît surtout des misères de ce temps si manichéen. Des monastères elle avait passé dans les campagnes. Voir, sur le Diable, l'An mil, tome II ; sur les sorcières, Renaissance, Introduction ; sur le sabbat au moyen âge, Henri IV et Richelieu, ch. xvii et xviii. Le sabbat au moyen âge est une révolte nocturne de serfs contre le Dieu du prêtre et du seigneur. (1860.)
  3. Plusieurs furent accusés d’en avoir vendu en bouteilles. « Plût à Dieu, dit sérieusement Leloyer, que cette denrée fût moins commune dans le commerce ! »