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Sermon XLVII




De trois espèces de fleurs : de la virginité, du martyre et des bonnes œuvres. De la dévotion qui doit accompagner la récitation de l’office.

1. Je suis la fleur des champs et le lis des vallées[1]. Ce que l’Épouse avait dit des fleurs, dont son lit était couvert, a de l’analogie avec ces paroles. Pour que l’Épouse ne s’attribue pas ces fleurs dont son lit parraissait orné et sa chambre embellie, l’Époux se déclare la fleur des champs. Ces fleurs ne viennent pas du lit de l’Épouse, mais des champs ; tout leur éclat et leur suavité sont le fruit de la générosité de l’Époux, et personne ne peut lui adresser ce reproche : Qu’avez-vous que vous ne l’ayez reçu ? et si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifier[2] ? Aussi empressé à former sa bien-aimée que bienveillant en sa tendresse, l’Époux lui montre à qui elle doit attribuer la beauté dont elle se glorifie et les parfums dont son lit est rempli : Je suis, dit-il, la fleur des champs, ce qui fait votre orgueil vient de moi. Nous trouvons aussi, dans ces paroles, l’avis salutaire de ne jamais nous glorifier : Si quelqu’un se glorifie, que ce soit dans le Seigneur[3]. Voilà le sens littéral ; aidés de l’Époux cherchons maintenant le sens spirituel.

2. Une fleur peut se trouver en trois endroits : dans un champ, dans un jardin, dans une chambre. Cette remarque nous expliquera plus facilement pourquoi l’Époux s’appelle de préférence la fleur des champs. Une fleur naît dans un champ, dans un jardin, mais jamais dans une chambre ; elle y brille, mais elle n’y vient pas, elle n’y croît pas comme dans un champ, ou un jardin ; elle y est déposée après y avoir été apportée, mais elle n’y a pas pris naissance. Aussi est-il nécessaire de la remplacer fréquemment et de la renouveler sans cesse ; car elle ne conserve longtemps ni son odeur, ni sa beauté. Mais si, comme je l’ai exposé dans un autre sermon, le lit couvert de fleurs représente une conscience riche de bonnes œuvres, vous comprenez que, pour suivre la comparaison, il ne suffit pas de faire le bien une fois ou deux : il vous faut ajouter constamment de nouvelles œuvres aux premières, afin que vous récoltiez les bénédictions que vous aurez semées ; la fleur de votre bonne œuvre s’incline, se dessèche, et bientôt perd tout son éclat et sa vigueur, si elle n’est continuellement rafraîchie par d’autres œuvres de piété se succédant sans interruption. Voilà ce que j’avais à dire au sujet du lit de l’Épouse.

3. Mais il n’en est ainsi ni du jardin, ni des champs : aux fleurs qu’ils produisent ils donnent sans cesse une nouvelle vigueur, gardienne de leur beauté naturelle. Pourtant entre ces fleurs on trouve encore une différence : pour les produire, les jardins ont besoin du travail et de la culture des hommes. Les champs les donnent spontanément, sans l’industrie de l’homme. Quel est donc ce champ que la charrue n’a pas déchiré, que le hoyau n’a pas touché, qui n’a reçu ni engrais, ni semence, et qui néanmoins est embelli de cette fleur éclatante sur laquelle l’Esprit du Seigneur s’est reposé ? Le savez-vous ? L’odeur de mon Fils, dit Isaac, est l’odeur d’un champ que Dieu a béni[4]. Cette fleur des champs n’avait pas encore toute sa beauté et déjà elle répandait son parfum, quand le saint et antique patriarche desséché par les années, les yeux éteints, mais l’odorat actif, la respira en esprit et poussa ce cri de joie. Cette fleur toujours vivace ne doit pas encore s’appeler fleur de la chambre, ni fleur des jardins : elle n’est pas née d’une culture humaine, elle a raison de dire : Je suis la fleur des champs venue sans aucun concours humain. Au moment de son éclosion aucune corruption ne l’atteint, de sorte que s’est accompli cet oracle : Vous ne souffrirez pas que votre saint soit assujetti à la corruption[5].

4. Si vous le permettez, je vous donnerai encore de ceci une raison qui a son prix. Ce n’est pas sans motif que le sage nous montre le Saint-Esprit sous des formes multiples ; il nous

  1. Cantiq. ii, 1.
  2. I Cor. iv.
  3. II Cor., x, 17.
  4. Genèse, xxvii, 27.
  5. Ps. xv, 10.