Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/302

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vaut s’exposer à scandaliser quelqu’un que d’abandonner la vérité (S. Greg., Homil. vii, in Ezech.). »

Chapitre VIII.

Saint Bernard s’élève avec véhémence contre des vices que les religieux de Cluny décoraient faussement du nom de vertus.

Contre les superfluités des Clunistes. 6. On dit et on croit avec raison que les saints pères ont institué la règle de Cluny, et que sans aller jusqu’à l’anéantir, ils en ont adouci la rigueur en faveur des infirmes, de manière que le plus grand nombre possible d’hommes pût y faire son salut ; mais il s’en faut bien que je croie qu’ils ont autorisé ou prescrit toutes ces superfluités que je remarque dans plusieurs monastères, et je me demande avec étonnement d’où a pu venir chez des religieux une si grande intempérance dans le boire et le manger, tant de recherche dans les vêtements, le coucher, les moutures et le logement, et comment un monastère est réputé d’autant plus pieux et plus régulier qu’on y trouve toutes ces choses plus soignées, plus agréables et plus abondantes. En Les vices décorés faussement du nom de vertus. effet, on y traite l’économie d’avarice, la sobriété d’austérité et le silence de tristesse, tandis qu’on appelle le relâchement discrétion, la profusion libéralité, la loquacité affabilité, la dissipation et les rires gaieté, la délicatesse des vêtements et le luxe des chevaux dignité, le soin excessif du coucher propreté, et c’est faire preuve de charité que d’entrer dans cette voie. Mais cette charité-là est destructive de toute charité, ce juste tempérament, n’est rien moins qu’un vrai tempérament et une indulgence qui va jusqu’à sacrifier l’âme au corps est pleine de cruauté. En effet, quelle charité est-ce de choyer la chair au détriment de l’esprit ? quel tempérament, d’accorder tout au corps et rien à l’âme ? quelle indulgence enfin de soigner l’esclave et de faire périr la maîtresse du logis ? Une telle miséricorde n’a point à compter sur celle qui a été promise dans l’Évangile aux âmes miséricordieuses, quand la Vérité même disait : « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde (Matth., v, 7) ; » elle doit plutôt s’attendre au châtiment que Job, dans un esprit de prophétie et non de haine, annonçait en ces termes à l’impie dont le cœur était ouvert à une semblable miséricorde : « Qu’on ne se souvienne point de lui, mais qu’il soit arraché comme un arbre stérile (Job, xxiv, 20). » Pour quelle raison appelle-t-il sur sa tête un semblable traitement ? « C’est, dit-il, parce qu’il a nourri celle qui était stérile et qui n’enfantait point, tandis qu’il n’a point fait de bien à la veuve (Job., ibidem, 21). »

Il y a une indulgence désordonnée et perverse. 17. C’est donc une indulgence aussi contraire à l’ordre qu’à la raison que de céder à tous les désirs d’une chair infructueuse et stérile, qui ne sert à rien, selon l’expression du Seigneur (Joan., vi, 65), et qui, d’après l’Apôtre, ne saurait jamais posséder le royaume de Dieu (I Corinth., xv, 50), et de ne tenir aucun compte du conseil salutaire que le Sage nous donne en ces termes, à propos du soin que nous devons prendre de notre âme : « Ayez pitié de votre âme en vous rendant agréables à Dieu (Eccli., xxx, 24). » La vraie bonne indulgence est donc d’avoir pitié de son âme, et la miséricorde qui peut compter qu’il lui sera fait miséricorde un jour est celle que nous ne pouvons exercer sans nous rendre agréables à Dieu ; toute autre miséricorde, comme je l’ai déjà dit, n’est point de la miséricorde,