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« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Trumeau » : différence entre les versions

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=== TRUMEAU ===
s. m. Ce mot s'applique généralement à toute portion de
mur d'étage comprise entre deux baies. De même qu'un crénelage se
compose de créneaux, qui sont les vides, et de merlons, qui sont les
pleins, le mur d'une habitation comprend des trumeaux et des fenêtres
à chaque étage. On donne le nom de <i>trumeaux</i>, spécialement dans l'architecture
du moyen âge, aux piliers qui divisent en deux baies les
portes principales des grandes salles, des nefs d'églises, des courtils,
des préaux, etc. Pour les grandes portes monumentales, les architectes
du moyen âge ne pensaient pas que les vantaux de bois battant en
feuillure l'un sur l'autre, présentassent une fermeture suffisamment
solide. Entre ces deux vantaux ils élevaient une pile de pierre formant
battement fixe, pile dans la large feuillure de laquelle venaient s'en-
gager les verrous horizontaux, les fléaux ou barres des vantaux de bois<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
Ce parti devint un des beaux motifs de décoration des portes principales;
il permettait aussi de porter les linteaux de pierre sous les
tympans, lesquels étaient chacun, sauf de très-rares exceptions, d'une
seule pièce.

Nous ne trouvons, dans l'antiquité grecque ou romaine, aucun
exemple de portes divisées par un trumeau; cette disposition appartient
exclusivement, paraîtrait-il, au moyen âge, et ne date que de la
fin du XI<sup>e</sup> siècle. Elle permettait d'établir facilement, par une seule
issue, deux courants pour la foule, sans qu'il y eût confusion, l'un
entrant, l'autre sortant. Les baldaquins de bois, transportables, recouverts
d'étoffes, qu'on appelle <i>dais</i>, et que le clergé, en France
particulièrement, fait porter au-dessus du prêtre desservant ou de
l'évêque en certaines circonstances, dais qui atteignent les dimensions
d'une petite chambre, ne pouvant passer par l'une des deux baies des
portes principales des églises, on supprima parfois, dans le dernier
siècle, les trumeaux milieux; des objets d'art d'une grande valeur
furent ainsi détruits. Ces mutilations, heureusement, exigeaient des
dépenses assez considérables pour soutenir les linteaux et tympans;
aussi existe-t-il encore un bon nombre de portes garnies de leurs trumeaux.
L'une des plus anciennes et des plus remarquables est la grande
porte de la nef de l'église abbatiale de Vézelay. Le trumeau de cette
porte est franchement accusé et présente un profil d'un très-beau
caractère<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. Les baies sont larges; les deux linteaux et le tympan qui les
</div>
[[Image:Trumeau.eglise.abbatiale.Vezelay.png|center]]
<div class="text">
<br>
surmontent reposent solidement sur les deux encorbellements de ce
pilier central (voyez fig. 1). La statue de saint Jean-Baptiste, vêtu d'une
robe et d'une peau, portant l'agneau dans un nimbe, occupe l'axe du
pilier; il précède, pour ainsi dire, l'assemblée qui garnit le tympan. À
sa droite et à sa gauche sont deux figures de prophètes, et ses pieds
reposent sur un beau chapiteau. L'intention évidente de l'architecte a
été de laisser l'espace le plus large possible pour la foule, et de soulager
la portée des linteaux au moyen de ces puissantes saillies latérales décorées
de figures. Quand les vantaux sont ouverts, l'effet de ce trumeau
se détachant sur le vide de la nef est imposant. Rien, dans l'antiquité,
ne rappelle ces formes, ces silhouettes d'un effet étrange. L'artiste qui a
composé cette porte, qui a su profiler ce trumeau, savait son métier.
Là nulle hésitation, la décoration est en parfaite harmonie avec la structure,
et, en examinant cette œuvre, l'idée ne vous vient pas qu'elle pût
être conçue autrement. Il est rare que les trumeaux de portes aient
cette ampleur magistrale. Pendant le XII<sup>e</sup> siècle, ils ne consistent qu'en
une pile que l'architecte projette aussi grêle que possible pour ne pas
gêner la circulation, et qui est décorée habituellement par la statue du
personnage divin ou du saint sous le vocable duquel est placée l'église.
C'est sur ces données qu'est composé le trumeau de la porte centrale
occidentale de la cathédrale de Sens (fig. 2); cette porte date de 1170
et fut restaurée à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle. La statue de saint Étienne, patron
de l'église, décore le trumeau, sur les parois duquel s'élèvent des ornements
du meilleur style<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. Les bas-reliefs qui décoraient la partie inférieure
du pilier ont été mutilés à la fin du dernier siècle. On voit, à la
porte Sainte-Anne de la cathédrale de Paris (côté droit de la façade), un
trumeau un peu antérieur à celui-ci, sur la face duquel se dresse la
statue de saint Marcel. Sous les pieds du saint est représenté le sépulcre
de la femme damnée qui servit d'habitation au dragon tué par le saint
évêque, dont la tête est protégée par un dais. Les piliers séparatifs des
portes étaient traités d'une manière beaucoup plus simple, lorsque
l'édifice ne comportait pas une décoration luxueuse. Nous donnons
ici (fig. 3) le trumeau de la porte principale de l'église de Souvigny
(Yonne), église de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, bâtie avec une extrême simplicité.
Ce trumeau est un monostyle quadrangulaire décoré par une colonnette
prise aux dépens de l'épannelage, et surmonte de deux corbeaux qui
sont destinés à soulager la portée des linteaux.
</div>
[[Image:Trumeaux.cathedrale.Sens.et.eglise.Souvigny.png|center]]
<div class="text">
Ce n'est certes pas par la richesse des détails que se recommande
ce morceau de pierre; cependant la pureté des profils, l'élégance du
tracé, en font une de ces œuvres qui plaisent aux yeux. Les belles
époques de l'art ont seules le secret de charmer par leurs productions
les plus simples aussi bien que par leurs splendides conceptions. Quand
un art n'a plus, pour plaire, d'autres ressources que la profusion
de la sculpture et la richesse de la matière, il est jugé: c'est un art de
décadence; s'il surprend un instant, la satiété suit bientôt cette première
impression. Prenons encore exemple dans ces compositions
</div>
[[Image:Trumeau.eglise.Nativite.Villeneuve.le.Comte.png|center]]
<div class="text">
<br>
simples qui ne séduisent que par une heureuse proportion, une étude
délicate du tracé. Voici (fig. 4) le trumeau de la porte de l'église de
la Nativité à Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne)<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Une statue surmontée
d'un dais décore seule ce monostyle. L'arcature, formant linteau,
naît sur la pile et encadre des figures bas-reliefs, représentant la
sainte Vierge et les trois rois mages. La statue de l'évêque repose sur un
stylobate à section quadrangulaire, dont la proportion est étudiée
avec beaucoup de soin. On reconnaît, dans la composition de cette
porte, la main d'un de ces maîtres de l'Île-de-France qui savaient donner
à leurs compositions les plus
simples le cachet de distinction
particulier à cette école.
</div>
[[Image:Trumeau.eglise.Semur.png|center]]
<div class="text">
Les églises de Bourgogne bâties
pendant la première moitié
du XIII<sup>e</sup> siècle fournissent de remarquables
exemples de portes
avec trumeaux. La beauté des
matériaux de cette province permettait
de donner à ces monostyles
une faible section, par
conséquent une apparence de
légèreté que l'on ne trouve point
ailleurs. Malheureusement, les
iconoclastes de 1793 ont fait, en
Bourgogne, à toute la statuaire,
une guerre acharnée; bien peu
de trumeaux ont conservé leurs
statues. La composition demeure
toutefois, et c'est ce qui nous
préoccupe ici spécialement.
Voici (fig. 5) le trumeau de la
porte centrale de l'église de Semur
(Côte-d'Or). Ce trumeau,
dont la section horizontale est
tracée en A, est étroit, mais profond,
de manière à porter deux
arcs de décharge au-dessus des
deux baies. La partie extérieure
est décorée par une colonnette
avec chapiteau à tailloir circulaire,
portant la statue de la
sainte Vierge<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]; sur les flancs de
la pile sont sculptées les armes
de Bourgogne et la fleur de lis de
France entremêlées de quelques
petits personnages finement traités. Deux corbeaux avec figurines soulagent
les linteaux qui descendent en contre-bas de la statue, de telle sorte
que celle-ci se détache en partie sur le tympan, disposition qui donne
de la grandeur à la composition. Cette statue était surmontée d'un dais
qui fut refait vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que le montre notre figure.
À l'église Notre-Dame de Dijon, qui date de la même époque<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]], et qui
a beaucoup de points de ressemblance avec celle de Semur, le trumeau
de la porte centrale, très-mince, se compose d'une colonnette à l'extérieur;
portant la statue, et d'une seconde colonnette plus haute intérieurement,
formant battement (voyez la section, fig. 6, en A, faite au
niveau de l'adossement de la statue).
Sur le fût de la colonnette intérieure
est sculptée une tête servant de gâche
aux verrous des deux vantaux. Ce détail,
d'un travail remarquable, indique
le soin que les artistes apportaient jusque
dans les menus accessoires, comme
ils savaient prévoir les moindres nécessités
de la structure et en faire un
motif de décoration. La pierre employée
ici étant d'une extrême dureté,
l'architecte a réduit autant que possible
la section du trumeau. La qualité
des matériaux employés a donc évidemment
influé sur la forme de ces
piliers séparatifs des baies de portes.
Quelquefois un bénitier tenait au trumeau,
à l'intérieur, si celui-ci était
assez profond pour permettre le dégagement
des deux vantaux.
</div>
[[Image:Trumeau.Notre.Dame.Dijon.png|center]]
<div class="text">
Pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, la forme donnée
aux trumeaux de portes se modifie
peu; le principe admis dès le XIII<sup>e</sup> siècle
persiste, c'est-à-dire que la pile se
compose d'un soubassement plus ou
moins riche sur lequel se dresse une
statue adossée, surmontée d'un dais
(voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porte|Porte ]]). On voit de beaux trumeaux séparatifs aux portes des
cathédrales de Paris, d'Amiens, de Chartres, de Bourges, de Rouen. À
dater de la fin du XIV<sup>e</sup> siècle, les trumeaux ne s'arrêtent pas toujours sous
les linteaux; ils pénètrent le tympan, présentent une décoration saillante
sur celui-ci, qui prend beaucoup d'importance. Tels sont, par exemple,
les trumeaux des portes de la façade de la cathédrale de Tours qui datent
du commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, ceux des églises de Saint-Eustache
de Paris, de Saint-Wulfrand d'Abbeville, etc. Les articles [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porte|Porte ]] et
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tympan|Tympan ]] rendent compte de ces dispositions, qui appartiennent à la fin
du XV<sup>e</sup> siècle.

<br><br>
----

<span id="footnote1">[[#note1|1]] : On donnait aussi à ces trumeaux de portes le nom d'<i>estanfiches</i>.

<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porte|Porte ]], flg. 51.

<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Sculpture|Sculpture ]], fig. 52.

<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Cette église date des premières années du XIII<sup>e</sup> siècle.

<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Cette statue n'existe plus.

<span id="footnote6">[[#note6|6]] : 1230 à 1240.

Version du 15 février 2014 à 20:14

Trompe <
Index alphabétique - T
> Tuile
Index par tome

TRUMEAU, s. m. Ce mot s’applique généralement à toute portion de mur d’étage comprise entre deux baies. De même qu’un crénelage se compose de créneaux, qui sont les vides, et de merlons, qui sont les pleins, le mur d’une habitation comprend des trumeaux et des fenêtres à chaque étage. On donne le nom de trumeaux, spécialement dans l’architecture du moyen âge, aux piliers qui divisent en deux baies les portes principales des grandes salles, des nefs d’églises, des courtils, des préaux, etc. Pour les grandes portes monumentales, les architectes du moyen âge ne pensaient pas que les vantaux de bois battant en feuillure l’un sur l’autre, présentassent une fermeture suffisamment solide. Entre ces deux vantaux ils élevaient une pile de pierre formant battement fixe, pile dans la large feuillure de laquelle venaient s’engager les verrous horizontaux, les fléaux ou barres des vantaux de bois[1]. Ce parti devint un des beaux motifs de décoration des portes principales ; il permettait aussi de porter les linteaux de pierre sous les tympans, lesquels étaient chacun, sauf de très-rares exceptions, d’une seule pièce.

Nous ne trouvons, dans l’antiquité grecque ou romaine, aucun exemple de portes divisées par un trumeau ; cette disposition appartient exclusivement, paraîtrait-il, au moyen âge, et ne date que de la fin du XIe siècle. Elle permettait d’établir facilement, par une seule issue, deux courants pour la foule, sans qu’il y eût confusion, l’un entrant, l’autre sortant. Les baldaquins de bois, transportables, recouverts d’étoffes, qu’on appelle dais, et que le clergé, en France particulièrement, fait porter au-dessus du prêtre desservant ou de l’évêque en certaines circonstances, dais qui atteignent les dimensions d’une petite chambre, ne pouvant passer par l’une des deux baies des portes principales des églises, on supprima parfois, dans le dernier siècle, les trumeaux milieux ; des objets d’art d’une grande valeur furent ainsi détruits. Ces mutilations, heureusement, exigeaient des dépenses assez considérables pour soutenir les linteaux et tympans ; aussi existe-t-il encore un bon nombre de portes garnies de leurs trumeaux. L’une des plus anciennes et des plus remarquables est la grande porte de la nef de l’église abbatiale de Vézelay. Le trumeau de cette porte est franchement accusé et présente un profil d’un très-beau caractère[2]. Les baies sont larges ; les deux linteaux et le tympan qui les surmontent reposent solidement sur les deux encorbellements de ce pilier central (voyez fig. 1).


La statue de saint Jean-Baptiste, vêtu d’une robe et d’une peau, portant l’agneau dans un nimbe, occupe l’axe du pilier ; il précède, pour ainsi dire, l’assemblée qui garnit le tympan. À sa droite et à sa gauche sont deux figures de prophètes, et ses pieds reposent sur un beau chapiteau. L’intention évidente de l’architecte a été de laisser l’espace le plus large possible pour la foule, et de soulager la portée des linteaux au moyen de ces puissantes saillies latérales décorées de figures. Quand les vantaux sont ouverts, l’effet de ce trumeau se détachant sur le vide de la nef est imposant. Rien, dans l’antiquité, ne rappelle ces formes, ces silhouettes d’un effet étrange. L’artiste qui a composé cette porte, qui a su profiler ce trumeau, savait son métier. Là nulle hésitation, la décoration est en parfaite harmonie avec la structure, et, en examinant cette œuvre, l’idée ne vous vient pas qu’elle pût être conçue autrement. Il est rare que les trumeaux de portes aient cette ampleur magistrale. Pendant le XIIe siècle, ils ne consistent qu’en une pile que l’architecte projette aussi grêle que possible pour ne pas gêner la circulation, et qui est décorée habituellement par la statue du personnage divin ou du saint sous le vocable duquel est placée l’église. C’est sur ces données qu’est composé le trumeau de la porte centrale occidentale de la cathédrale de Sens (fig. 2) ; cette porte date de 1170 et fut restaurée à la fin du XIIIe siècle. La statue de saint Étienne, patron de l’église, décore le trumeau, sur les parois duquel s’élèvent des ornements du meilleur style[3]. Les bas-reliefs qui décoraient la partie inférieure du pilier ont été mutilés à la fin du dernier siècle. On voit, à la porte Sainte-Anne de la cathédrale de Paris (côté droit de la façade), un trumeau un peu antérieur à celui-ci, sur la face duquel se dresse la statue de saint Marcel. Sous les pieds du saint est représenté le sépulcre de la femme damnée qui servit d’habitation au dragon tué par le saint évêque, dont la tête est protégée par un dais. Les piliers séparatifs des portes étaient traités d’une manière beaucoup plus simple, lorsque l’édifice ne comportait pas une décoration luxueuse.
Nous donnons ici (fig. 3) le trumeau de la porte principale de l’église de Souvigny (Yonne), église de la fin du XIIe siècle, bâtie avec une extrême simplicité. Ce trumeau est un monostyle quadrangulaire décoré par une colonnette prise aux dépens de l’épannelage, et surmonte de deux corbeaux qui sont destinés à soulager la portée des linteaux.

Ce n’est certes pas par la richesse des détails que se recommande ce morceau de pierre ; cependant la pureté des profils, l’élégance du tracé, en font une de ces œuvres qui plaisent aux yeux. Les belles époques de l’art ont seules le secret de charmer par leurs productions les plus simples aussi bien que par leurs splendides conceptions. Quand un art n’a plus, pour plaire, d’autres ressources que la profusion de la sculpture et la richesse de la matière, il est jugé : c’est un art de décadence ; s’il surprend un instant, la satiété suit bientôt cette première impression. Prenons encore exemple dans ces compositions simples qui ne séduisent que par une heureuse proportion, une étude délicate du tracé. Voici (fig. 4) le trumeau de la porte de l’église de la Nativité à Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne)[4].


Une statue surmontée d’un dais décore seule ce monostyle. L’arcature, formant linteau, naît sur la pile et encadre des figures bas-reliefs, représentant la sainte Vierge et les trois rois mages. La statue de l’évêque repose sur un stylobate à section quadrangulaire, dont la proportion est étudiée avec beaucoup de soin. On reconnaît, dans la composition de cette porte, la main d’un de ces maîtres de l’Île-de-France qui savaient donner à leurs compositions les plus simples le cachet de distinction particulier à cette école.

Les églises de Bourgogne bâties pendant la première moitié du XIIIe siècle fournissent de remarquables exemples de portes avec trumeaux. La beauté des matériaux de cette province permettait de donner à ces monostyles une faible section, par conséquent une apparence de légèreté que l’on ne trouve point ailleurs. Malheureusement, les iconoclastes de 1793 ont fait, en Bourgogne, à toute la statuaire, une guerre acharnée ; bien peu de trumeaux ont conservé leurs statues. La composition demeure toutefois, et c’est ce qui nous préoccupe ici spécialement. Voici (fig. 5) le trumeau de la porte centrale de l’église de Semur (Côte-d’Or). Ce trumeau, dont la section horizontale est tracée en A, est étroit, mais profond, de manière à porter deux arcs de décharge au-dessus des deux baies. La partie extérieure est décorée par une colonnette avec chapiteau à tailloir circulaire, portant la statue de la sainte Vierge[5] ; sur les flancs de la pile sont sculptées les armes de Bourgogne et la fleur de lis de France entremêlées de quelques petits personnages finement traités. Deux corbeaux avec figurines soulagent les linteaux qui descendent en contre-bas de la statue, de telle sorte que celle-ci se détache en partie sur le tympan, disposition qui donne de la grandeur à la composition. Cette statue était surmontée d’un dais qui fut refait vers la fin du XIIIe siècle, ainsi que le montre notre figure. À l’église Notre-Dame de Dijon, qui date de la même époque[6], et qui a beaucoup de points de ressemblance avec celle de Semur, le trumeau de la porte centrale, très-mince, se compose d’une colonnette à l’extérieur ; portant la statue, et d’une seconde colonnette plus haute intérieurement, formant battement (voyez la section, fig. 6, en A, faite au niveau de l’adossement de la statue). Sur le fût de la colonnette intérieure est sculptée une tête servant de gâche aux verrous des deux vantaux. Ce détail, d’un travail remarquable, indique le soin que les artistes apportaient jusque dans les menus accessoires, comme ils savaient prévoir les moindres nécessités de la structure et en faire un motif de décoration. La pierre employée ici étant d’une extrême dureté, l’architecte a réduit autant que possible la section du trumeau. La qualité des matériaux employés a donc évidemment influé sur la forme de ces piliers séparatifs des baies de portes. Quelquefois un bénitier tenait au trumeau, à l’intérieur, si celui-ci était assez profond pour permettre le dégagement des deux vantaux.

Pendant le XIVe siècle, la forme donnée aux trumeaux de portes se modifie peu ; le principe admis dès le XIIIe siècle persiste, c’est-à-dire que la pile se compose d’un soubassement plus ou moins riche sur lequel se dresse une statue adossée, surmontée d’un dais (voyez Porte). On voit de beaux trumeaux séparatifs aux portes des cathédrales de Paris, d’Amiens, de Chartres, de Bourges, de Rouen. À dater de la fin du XIVe siècle, les trumeaux ne s’arrêtent pas toujours sous les linteaux ; ils pénètrent le tympan, présentent une décoration saillante sur celui-ci, qui prend beaucoup d’importance. Tels sont, par exemple, les trumeaux des portes de la façade de la cathédrale de Tours qui datent du commencement du XVIe siècle, ceux des églises de Saint-Eustache de Paris, de Saint-Wulfrand d’Abbeville, etc. Les articles Porte et Tympan rendent compte de ces dispositions, qui appartiennent à la fin du XVe siècle.

  1. On donnait aussi à ces trumeaux de portes le nom d’estanfiches.
  2. Voyez Porte, fig. 51.
  3. Voyez Sculpture, fig. 52.
  4. Cette église date des premières années du XIIIe siècle.
  5. Cette statue n’existe plus.
  6. 1230 à 1240.