Grammaire de l’hébreu biblique/Écriture/Paragraphe 5

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Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 11-17).

PREMIÈRE PARTIE


ÉCRITURE ET PHONÉTIQUE



§ 5. Les consonnes : graphie et prononciation.

a Les phonèmes se divisent en consonnes et en voyelles. Il faut remarquer toutefois que cette division n’est pas adéquate ; certaines voyelles (en hébreu i, u) peuvent devenir consonantiques ( י, ו)[1], et certaines consonnes peuvent devenir vocaliques (pas d’exemple en hébreu).

b L’alphabet hébreu, comme la plupart des alphabets sémitiques, se compose uniquement de consonnes. Les caractères de nos Bibles imprimées ainsi que ceux de tous les manuscrits connus[2] ont une forme voisine du carré, d’où le nom d’écriture carrée כְּתָב מְרֻבָּע. Cette écriture, qui s’est formée du IVe au IIe siècle av. J.-C. environ, est un développement de l’écriture araméenne, adoptée peu à peu par les Juifs, en même temps que la langue araméenne (§ 3 b) après le retour de la captivité de Babylone. Cette nouvelle écriture remplaça l’écriture ancienne, dite écriture hébraïque (כְּתָב עִבְרִי), celle, par exemple, de l’inscription de Siloé et de la stèle de Mēšaʿ (§ 2 e)[3]. L’écriture ancienne continua à être employée, mais notablement modifiée, par les Samaritains après leur séparation des Juifs (fin du IVe siècle av. J.-C.).

L’écriture rabbinique ou écriture de Rashi est une modification de l’écriture carrée. On l’emploie notamment dans les Bibles rabbiniques pour les commentaires imprimés dans les marges.

c Les lettres de l’alphabet hébreu sont au nombre de 22 (23 après l’introduction du point diacritique du ש).

Valeur
numé-
rique
nom Trans-
cription
prononciation description phonétique
1 א ʾalef ʾ hamzé أ de l’arabe (§ j) gutturale sourde
2 בּ beth b b français (§ o) labiale sonore explosive
בֿ , bh v français (§ o) labiale sonore spirante
3 גּ ghimel g g dur français (§ o) palatale sonore explosive
גֿ , gh γ grec moderne (§ o) palatale sonore spirante
4 דּ daleth d d français (§ o) dentale sonore explosive
דֿ , dh δ grec moderne (§ o) dentale sonore spirante
5 ה h h anglais, all., ه (§ j) gutturale sourde
6 ו waw , w w anglais (§ 7 d) consonne vocalique labiale
7 ז zayin z z français, ز sifflante sonore
8 ח ḥeth ح (§ k) gutturale sourde
9 ט ṭeth ط (§ i) dentale vélaire sourde explos.
10 י yod , y y français (§ 7 d) consonne vocalique palatale
20 כּ kaf k k français (§ o) palatale sourde explosive
כֿ , kh χ grec moderne (§ o) palatale sourde spirante
30 ל lamed l l français linguale sonore
40 מ mem m m français labiale sonore (et nasale)
50 נ nun n n français nasale sonore
60 ס samekh s s français (§ m) sifflante sourde
70 ע ʿayin ʿ ع (§ l) gutturale sonore
80 פּ p p français (§ o) labiale sourde explosive
פֿ , ph f français (§ o) labiale sourde spirante
90 צ ṣadé ص (§ m) sifflante vélaire sourde
100 ק qof q ق (§ i) vélaire sourde explosive
200 ר resh r r italien, arabe (§ n) linguale sonore
300 שׂ śin ś (?) (§ m) sifflante sourde
שׁ šin š ch franç., sh angl. (§ m) sifflante sourde
400 תּ taw t t français (§ o) dentale sourde explosive
תֿ , th ϑ grec moderne (§ o) dentale sourde spirante

d Lettres finales. Cinq lettres ont une forme particulière quand elles sont à la fin d’un mot. Ces cinq lettres sont renfermées dans le mot mnémonique כַּמְנַפֵּץ ka̦mena̦ppẹṣ « comme celui qui brise ». Opposez כ et ך, מ et ם, נ et ן, פ et ף, צ et ץ. Dans la forme finale du mem le dernier trait est ramené en haut de façon à rejoindre le premier trait et à former ainsi une figure fermée. Pour les quatre autres lettres, au contraire, dans la forme finale le dernier trait, au lieu d’être infléchi vers la gauche, est prolongé vers le bas.

e Lettres dilatables. L’hébreu s’écrit de droite à gauche. À la fin d’une ligne, on ne coupe pas un mot. Pour éviter les blancs on augmente la largeur de certaines lettres, à savoir , , , , .

f Valeur numérique. 1—9 = אט ; 10—90 = יצ ; 100—400 = קת ; 500 s’exprime par 400 + 100 = תק ; semblablement pour 600—800 ; 900 s’exprime par 400 + 400 + 100 = תתק. (Pour 500—900 on se sert aussi des lettres finales : 500 ך, 600 ם, 700 ן, 800 ף, 900 ץ). Pour les milliers on se sert des lettres des unités surmontées de deux points, p. ex. א̈ = 1000. — Le nombre 15 devrait être יה. Comme ce groupe représente le nom divin יהוה abrégé, on exprime 15 par 9 + 6 = טו. De même 16 devrait être יו. Comme ce groupe représente le nom divin dans les noms propres (p. ex. יוֹאָב i̯ọ̄ʾåḇ « Jéhovah (est) père »), on exprime 16 par 9 + 7 = טז.

g Abréviations[4]. Comme signe d’abréviation on emploie un trait oblique (ou deux), p. ex. פ׳ = פְּלֹנִי pelọ̄nī « un tel », וגו׳ = וְגוֹמַר eḡọ̄ma̦r « et ce qui complète = et caetera », רשׁ״י Rashi (Rabbi Šelọmọ Yiṣḥaqi), תנ״ך = תּוֹרָה נְבִיאִים כְּתוּבים tọ̄rå(h), neḇīʾīm, keṯūḇīm « Loi - Prophètes - Écrits » (= la Bible hébraïque). On écrit p. ex. : verbes פ״ן, à savoir verbes dont la première radicale (représentée par le פ, première radicale du verbe פעל) est un nun[5] ; cf. § 40 c.

h Division des consonnes. Les consonnes peuvent se grouper commodément de la façon suivante :

Labiales : ב   ו   מ   פ (Mot mnémonique בּוּמַף būma̦f)
Dentales : ד   ת   ט (vélaire)
Palatales : ג   כ   י
Vélaires : ט (dentale), צ (sifflante), ק
Gutturales : א   ה   ח   ע
Sifflantes : ז   ס   צ (vélaire), שׂ   שׁ
Linguales : ל   ר
Nasales : מ   נ

i Vélaires ou emphatiques. Les trois consonnes ט, צ, q ק[6] sont dites emphatiques par rapport aux trois consonnes correspondantes t ת, s ס, k כ. Elles sont émises dans une région plus en arrière (voile du palais) et avec une tension plus énergique des organes. Leurs valeurs, sans analogues dans nos langues, sont exactement celles des emphatiques correspondantes de l’arabe ط, ص, ق. Pour צ voir § m.

j Gutturales. L’alef א (quand il est prononcé)[7] est une gutturale sourde. Pour produire ce son il faut interrompre brusquement l’émission de la voyelle par l’occlusion instantanée de la glotte[8]. C’est le son qu’on entend parfois dans le mot allemand jaʾ prononcé avec sentiment (au lieu de ). Exemple : יֶאְשַׁם i̯e̦ʾ-ša̦m « il se rendra coupable ». On transcrit conventionnellement le א, prononcé ou non, par le signe ʾ (esprit doux du grec).

Le ה est la gutturale sourde qu’on a dans l’anglais et allemand hand. Ce son n’existe pas en français.

k Le ḥeth ח est une gutturale sourde qui n’existe pas dans nos langues. C’est exactement le son du ح arabe, dans مُحَمَّد Muḥammad. Par comparaison avec le ה, on peut dire que c’est un ה émis avec un énergique resserrement du larynx. On l’a décrit assez exactement comme un sifflement guttural (Gismondi).

Par la comparaison des langues on voit que le signe ח correspond à deux sons sémitiques notablement différents, représentés en arabe par ح et خ . Le est la vélaire spirante sourde qu’on entend dans la bouche des Suisses prononçant p. ex. l’allemand nach. Il est très probable qu’autrefois le ח a eu, selon les mots, tantôt la valeur de , tantôt celle de . Mais à l’époque des Naqdanim le ח représentait uniquement le son . Si le signe ח avait eu deux valeurs, les Naqdanim, si attentifs à noter les moindres nuances, comme par exemple la double prononciation des begadkefat (§ o), n’auraient pas négligé de les indiquer. L’existence du son à l’époque où existait le kaf rafé כֿ est très improbable, les deux sons étant trop voisins. Le , en effet, est la palatale spirante sourde qu’on a p. ex. dans le grec moderne χάρις ou dans l’allemand nach en prononciation correcte (par opposition à celle des Suisses). Le détail de la vocalisation suppose le son et exclut le son  ; ainsi le pataḥ furtif, p. ex. dans טָבוּחַ ṭåḇū (cf. طبخ) « égorgé » ; ainsi encore le pataḥ auxiliaire, p. ex. dans le type שָׁלַ֫חַתְּ šålá̦ḥa̦te « tu (fém.) as envoyé » (§ 70 f), car pour prononcer *šåla̦ḫte il n’y aurait pas plus besoin de voyelle auxiliaire que pour prononcer אַל־תֵּשְׁתְּ ʾa̦l tẹšte « ne bois pas ». L’hébreu répugne absolument au redoublement du son (כֿ) ; il en serait de même pour le son analogue . Or le ח, tout en rejetant le redoublement réel, comme toutes les gutturales, admet volontiers le redoublement virtuel (ou redoublement faible) ; il le prend même parfois spontanément (§§ 20 a, c)[9]. Donc le ח suppose le son .

l Le ʿayin ע est une gutturale sonore qui n’existe pas dans nos langues. C’est exactement le son du ع ʿ arabe, dans عَيْن ʿai̯n « œil ». On a comparé ce son à « l’articulation gutturale du chameau que l’on charge de son bât » (Huart, Littérature arabe, p. 139)[10]. Par la comparaison des langues on voit que le signe ע correspond à deux sons sémitiques notablement différents, représentés en arabe par ع ʿ et غ g̣͞h. Cette dernière consonne est une vélaire spirante sonore ; c’est la spirante correspondant à un vélaire (ce étant lui-même la sonore correspondant à la sourde q ק). Il est très probable qu’autrefois le ע a eu, selon les mots, tantôt la valeur de ع , tantôt celle de غ g̣͞h. Mais à l’époque des Naqdanim le ע représentait uniquement le son ʿ. Si le signe ע avait eu deux valeurs, les Naqdanim, si attentifs à noter les moindres nuances, n’auraient pas négligé de les indiquer. L’existence du son غ g̣͞h à l’époque où existait le ghimel rafé גֿ est très improbable, les deux sons étant trop voisins. Le , en effet, est la palatale spirante sonore qu’on a p. ex. dans le grec moderne γάλα. Le détail de la vocalisation suppose le son ʿ et exclut le son غ g̣͞h : ainsi le pataḥ furtif, p. ex. dans שָׁמוּעַ šåmūʿ « entendu » ; ainsi encore le pataḥ auxiliaire dans le type שָׁמַ֫עַתְּ šåmá̦ʿa̦te « tu (fém.) as entendu » (§ 70 f). On transcrit conventionnellement le ע par le signe ʿ (esprit rude du grec).

m Sifflantes. Le צ est une sifflante sourde vélaire, l’emphatique correspondant à ס s (§ i). On le prononce souvent, mais à tort, ts. Cette prononciation est à rejeter, car : 1) le son ts n’est pas sémitique ; 2) si צ = ts = t + s, un mot pourrait commencer, en fait, par deux consonnes, ce qui répugne au sémitique ; 3) on évite précisément le groupe ts : ainsi *hitṣaddẹq devient par métathèse הִצְטַדֵּק (§ 17 g).

Le שׂ est actuellement prononcé s comme ס[11], par tous les Juifs, et depuis une époque immémoriale[12]. Le שׁ est la chuintante š qu’on a dans fr. chou, angl. shoe, all. Schuh. Entre s et š il y a un son intermédiaire (p. ex. ś des Polonais, s des Espagnols, s final des Portugais). Il est possible qu’un son intermédiaire ait existé en hébreu ; mais il est fort douteux que le signe שׂ veuille exprimer ce son. À l’époque de son introduction le signe שׂ exprimait probablement s. Ce serait une graphie étymologique employée dans le cas où un ancien š (ou un ancien ś) était devenu s. Plusieurs mots bibliques se trouvent écrits tantôt avec ס, tantôt avec שׂ, p. ex. on a presque toujours סוּג rétrograder, une fois שׂוּג ; ordinairement כַּ֫עַס irritation, 3 f. כַּ֫עַשׂ (cf. Gesenius, Thesaurus, sub ס). Dans l’hébreu postbiblique le שׂ est souvent supplanté par ס.

n Linguales. Le ר est une linguale, comme ל. Il consiste en une ou plusieurs vibrations de la langue, comme le ر arabe, l’r italien, espagnol[13]. Il faut absolument éviter de prononcer ר comme la fricative gutturale du français moderne qu’on entend dans une grande partie de la France, surtout dans les villes. Le fait que le ר est traité en partie comme les gutturales n’autorise pas à le regarder comme une gutturale (cf. § 23).

o Les begadkefat. Les six consonnes renfermées dans le mot mnémonique בְּגַדְכְּפַת ont une double prononciation : explosive, spirante. Explosives, elles ont la valeur des consonnes correspondantes du français b, g (dur), d, k, p, t. Pour indiquer le son explosif on met dans l’intérieur de la lettre un point nommé dagesh[14]. Spirantes, elles ont les sons spirants ou continus correspondants. Pour indiquer le son spirant, on met sur la lettre un trait horizontal nommé rafé[15] ; ainsi font les manuscrits. Mais dans les éditions de la Bible, l’absence de dagesh suffit à indiquer que la consonne est rafé. Les sons spirants sont les suivants :

  • בֿ   , bh, comme β grec moderne, à peu près v français.
  • גֿ   , gh, comme γ grec mod. dans γάλα (cf. § l).
  • דֿ   , dh, comme δ grec mod. (th doux anglais).
  • כֿ   , kh, comme χ grec mod. dans χάρις (cf. § k).
  • פֿ   , ph, f, comme φ grec mod. = f français.
  • תֿ   , th, comme ϑ grec mod. (th dur anglais).

La lecture correcte de l’hébreu exige la prononciation exacte de ces six spirantes.

p Sur le dagesh cf. § 10. Sur les règles concernant la spiration des begadkefat cf. § 19 ; contentons-nous ici de donner la loi générale : tout élément vocalique, si minime soit-il (p. ex. un shewa prononcé), rend spirante la begadkefat qui suit.

  1. Voir aussi § 21 c (pataḥ furtif).
  2. Le plus ancien manuscrit daté est le codex des Prophètes de Pétrograd (916-7). Le papyrus Nash, trouvé en 1902, qui contient Ex 20, 2-17 (Décalogue) et Dt 6, 4, date probablement de l’an 100 ap. J.-C.
  3. Les lettres qui se ressemblent et par conséquent prêtent à confusion ne sont pas les mêmes dans l’écriture ancienne et dans l’écriture nouvelle. Il faut tenir compte de ce fait pour comprendre certaines altérations du texte. Voir le tableau comparatif des alphabets, p. 10.
  4. Voir surtout le dictionnaire des abréviations de Händler, dans Dalman, Aramäisch-neuhebräisches Wörterbuch (1901).
  5. Prononcer u italien (= ou français) la voyelle sémitique transcrite par u.
  6. Le ק se transcrit soit par le caractère q qui en provient graphiquement, soit par (avec un point en bas comme les autres vélaires).
  7. Pratiquement, dans l’hébreu que nous connaissons, א n’est prononcé qu’après une voyelle brève, à savoir quand il ferme la syllabe ; cf. § 24 b.
  8. La glotte est la fente qui sépare les cordes vocales.
  9. Même dans des cas où le ח répond à un primitif, p. ex. dans אַחִים frères (cf. ٲَخ ʾaḫ).
  10. L’onomatopée ٲُع ٲُع uʿ uʿ imite le bruit du vomissement ; cf. Wright-Goeje, Arabic Grammar3 1, p. 295.
  11. Ainsi הִשְׂכִּיל il a agi prudemment et הִסְכִּיל il agi follement (§ 54 d) se prononcent de la même façon : hiskīl.
  12. Les Samaritains ont le signe unique ש, auquel il donnent le son unique š.
  13. Cf. Mélanges de la Faculté orientale de Beyrouth, t. 51, (1911) pp. 383−8.
  14. דָּגֵשׁ dåḡẹš, participe araméen, « perçant », d’après Kahle, dans Bauer-Leander, 1, 119. La consonne explosive (ou instantanée) est aussi appelée par les anciens dagesh ou encore קָשֶׁה « dur ».
  15. רָפֵי råp̄ẹ(y), participe araméen, « relâché ». La consonne spirante est aussi appelée par les anciens rafé ou encore רַךְ « mou ».