Jérôme de Stridon/Commentaires sur le prophète Habacuc

La bibliothèque libre.


Œuvres complètes
Traduction par Abbé Bareille.
Louis Vivès (Tome neuvièmep. 139-213).
◄  Naüm
Sophonie  ►

COMMENTAIRES SUR LE PROPHÈTE HABACUC EN DEUX LIVRES.[modifier]

A CHROMATIUS.[modifier]

PROLOGUE.[modifier]

Il convient de remarquer d’abord, ô Chromatius, le plus savant des évêques, qu’on trouve chez les Grecs et chez les Latins le nom de ce Prophète corrompu en Ambacus, quand le nom hébreu est Habacuc, qui se traduit par « embrassement », ou plus expressivement en grec par périlepsis ; en second lieu, que le mot Massa de l’hébreu, traduit par « enlèvement » dans les Septante, dans Symmaque et dans Théodotion, est rendu par « fardeau » dans Aquila, différence d’interprétation que j’ai pleinement discutée au sujet de la prophétie de Nahum. Or, aucun préambule de prophétie ne porte ce mot de Massa, à moins que ce que voit le Prophète ne soit plein de lourds et écrasants travaux. La prophétie d’Habacuc a donc une allure sévère, propre à nous exhorter, comme le pesant fardeau que Nahum avait vu suspendu sur Ninive, la ville des Assyriens, à rechercher quelles têtes menacent le lourd fardeau qui est ici révélé à la vue du Prophète. Des douze Prophètes, il y en a quatre qui ont usé de ce mot d’« enlèvement » ou de « fardeau » en préambule : trois au commencement de leur livre, Nahum, Habacuc et Malachie, et l’autre, Zacharie, à deux reprises, au milieu : « Fardeau de la parole de Dieu contre la terre d’Hadrac et contre Damas, en qui elle met sa confiance », [1], et vers la fin : « Fardeau de la parole du Seigneur contre Israël. » [2]. J’ai déjà édité, à votre prière, un livre sur Nahum ; je commenterai Zacharie et Malachie, si Dieu me prête vie. Maintenant, nous avons en mains Habacuc, qui est appelé « embrassement », soit parce qu’il aime le Seigneur qui l’aime, soit parce qu’il est au combat et à la lutte avec Dieu et le tient entrelacé, pour ainsi dire, dans ses bras, et alors « embrasseur » a le sens d’athlète. Nul, en effet, n’a osé, d’une voix aussi hardie, provoquer Dieu à la polémique sur sa justice : d’où vient que, dans les choses humaines et dans le gouvernement de ce monde, il y a tant d’iniquité ? « Jusques à quand pousserai-je mes cris vers vous dans la violence que je souffre, sans que vous me sauviez ? Pourquoi me réduisez-vous à ne voir devant mes yeux que des iniquités et des maux ? La loi est déchirée, et l’on ne rend jamais la justice, parce que le méchant l’emporte sur le juste, et que les jugements sont corrompus. » [3] On le voit, il y a presque l’audace du blasphémateur dans cette manière d’entrer en jugement avec son Créateur, dans ce vase fragile qui demande raison au potier de ce qu’il l’a fait d’une façon ou d’une autre. [4]. Il faut bien remarquer aussi que le Prophète voit réellement cet enlèvement ou ce fardeau, qui sont de grands maux, je l’ai déjà dit, et affirmer, contrairement à renseignement impie de Montanus, qu’il comprend ce qu’il voit, qu’il ne parle pas comme un insensé, qu’il ne profère pas des sons dont il n’a pas conscience, à la manière des femmes dans le délire. De là le précepte de l’Apôtre que, si, pendant que les uns prophétisent, quelque révélation est faite à un autre, ceux qui parlaient auparavant se taisent, et il ajoute aussitôt : « Car Dieu est un Dieu de paix, et non de désordre. » [5]. On comprend par là que l’homme qui se tait volontairement pour laisser à un autre la liberté de parler, peut et parler et se taire quand il veut ; tandis que celui qui est en extase, c’est-à-dire parle malgré lui, n’a le pouvoir ni de se taire ni de prendre la parole. Sachez encore, puisque vous exigez rigoureusement que je vous interprète le sens historique, parce que vous vous efforcez de vous élever jusqu’aux sommets les plus hauts des Écritures, par degrés et comme en gravissant une échelle, que cette prophétie est dirigée contre Babylone et contre Nabuchodonosor,

roi des Chaldéens ; de même donc qu’un Prophète antérieur, Nahum, que suit Habacuc, eut le don de prédiction contre Ninive et les Assyriens, qui portèrent le ravage chez les dix tribus appelées Israël, même Habacuc eut la mission de prophétiser contre Babylone et Nabuchodonosor, qui détruisirent Juda et Jérusalem et le temple. Quant au temps où vivait Habacuc, c’était après que les deux tribus appelées Juda avaient été menées en captivité ; vous pourrez l’apprendre dans le livre de Daniel, à qui Habacuc fut envoyé avec des aliments pendant qu’il était dans la fosse aux lions. [6]. Les livres hébreux toutefois ne rapportent pas cette histoire. Mais il est indifférent pour nous, dans ce cas, qu’on l’admette ou non : celui qui l’admet, en conclura que le livre d’Habacuc a été fait après l’événement ; celui qui ne l’admet pas dira qu’Habacuc écrit comme prophète les événements qu’il sait devoir arriver.

Livre I[modifier]

« Jusques à quand, Seigneur, pousserai-je mes cris vers vous, sans que vous m’écoutiez ? jusques à quand élèverai-je mes cris vers vous, dans la violence que je souffre, sans que vous me sauviez ? Pourquoi me réduisez-vous à ne voir devant mes yeux que des iniquités et des maux, à ne voir que le rapt et l’injustice en face de moi ? » [7]. Les Septante : « Jusques à quand, Seigneur, crierai-je vers vous, sans que vous m’écoutiez ? jusques à quand pousserai-je mes cris jusqu’à vous, dans la violence que je souffre, sans que vous me sauviez ? Pourquoi ne me montrez-vous que des épreuves et des douleurs, et me réduisez-vous à ne voir que des misères et l’impiété. » Selon la lettre, c’est une plainte amère du Prophète contre Dieu, de ce que Nabuchodonosor dévaste le temple et Juda. Pourquoi Jérusalem, autrefois la ville du Seigneur, est-elle détruite ? pourquoi les cris du peuple vers Dieu ne sont-ils pas entendus ? pourquoi, quand il élève vers lui sa voix contre l’oppression des Chaldéens, n’est-il pas sauvé ? pourquoi le Prophète lui-même, ou bien le peuple au nom duquel il parle ici, a-t-il vécu jusqu’à ce jour, pour être réduit à voir l’injustice des ennemis et ses propres souffrances ? pourquoi l’injustice prévaut-elle contre lui ? Il parle ainsi dans l’excès de sa douleur, ne considérant pas que l’or s’épure dans le feu, et que les trois enfants sortirent de la fournaise plus purs qu’ils n’y étaient entrés. Dan. ni. On peut encore entendre la chose en général, en ce sens que le Prophète, emporté par l’impatience naturelle à l’homme, en voyant les pécheurs dans l’abondance et possesseurs des richesses temporelles, leurs fils comme de nouvelles plantes dans leur jeunesse et leurs filles ornées comme des temples, leurs celliers si remplis qu’ils regorgent les uns dans les autres, leurs brebis fécondes et couvrant les chemins de leur multitude, et les autres richesses qu’énumère tout au long le psaume cent quarante-trois, éclate en cris plaintifs et pleins de douleur. Pourquoi, Seigneur, voyez-vous ces contempteurs de la justice, et gardez-vous le silence, pendant que l’impie foule aux pieds celui qui est plus juste que lui ? pourquoi rendez-vous les hommes semblables aux poissons de la mer et à des reptiles qui n’ont pas de chef ? Le psaume soixante-douze contient quelque chose d’approchant : « Mes pieds ont failli se dérober sous mon corps, et je suis presque tombé en marchant », [8], et la suite, avec ces paroles du même psaume : « Le Très-Haut a-t-il véritablement la connaissance de toutes choses ? Voilà les pécheurs dans l’abondance des biens de ce monde, ils ont acquis de grandes richesses », jusqu’à « mes mains », [9]. C’est là le langage de ceux qui ne considèrent pas que les jugements de Dieu sont impénétrables, que l’abîme des trésors de sa sagesse et de sa science est insondable, [10] que les vues de Dieu ne sont pas celles de l’homme, [11]. L’homme ne voit que le présent, Dieu connaît l’avenir et l’éternité. C’est comme si un malade, dévoré des ardeurs de la fièvre, demandait de l’eau froide, et disait au médecin Je souffre la violence, on me crucifie, on me brûle, on m’arrache la vie ; jusques à quand, ô médecin, crierai-je vers vous sans que vous m’entendiez ? et que le médecin, plein de sagesse et de bonté, lui répondît : Je sais en quel temps il faudra vous accorder ce que vous demandez ; je n’ai pas compassion de vous en ce moment, parce que cette compassion serait de la cruauté, puisque votre volonté est l’ennemie de votre salut. C’est ainsi que le Seigneur notre Dieu, sachant le poids et la mesure de sa clémence, parfois n’écoute pas celui qui crie vers lui, pour l’éprouver, pour le pousser à le supplier davantage, pour le rendre plus juste et plus pur comme en le faisant passer par le feu. L’Apôtre, qui considère les épreuves comme des grâces obtenues de Dieu, s’écrie : « Ne faiblissons pas dans les tribulations ; » [12] ; il bénit Dieu en tout temps ; [13] ; il sait qu’il n’y aura de sauvé que celui qui persévérera jusqu’à la fin ; [14] ; il se glorifie dans les travaux et la douleur ; et il dit avec Jérémie : « J’invoquerai l’affliction et les maux », en sorte que, comme un autre invoque Dieu, le saint et le guerrier invincible souhaite la venue de l’affliction et des maux, pour y trouver un exercice salutaire et y éprouver ses forces.


« Si l’on juge une affaire, c’est la passion qui la décide. De là vient N que la loi est déchirée, et que l’on ne rend jamais la justice, parce que le méchant l’emporte sur le juste, et que les jugements sont corrompus. » [15]. Les Septante : « Le jugement a été décidé contre moi par les présents que le juge a reçus. De là vient que la loi est déchirée, et qu’on ne rend jamais la justice, parce que l’impie l’emporte sur le juste, et que les jugements sont corrompus. » C’est encore le Prophète où le peuple qui se plaint au Seigneur de ce que c’est la puissance et non la vérité qui a décidé des jugements contre lui, et que les sentences qui l’ont frappé n’ont rien de conforme à la loi et à la justice. De là vient que ces jugements n’ont pas abouti à leur fin, puisque la fin de tout jugement doit être une sentence juste. Comment il ose parler ainsi, il l’explique dans la suite : c’est parce que l’impie Nabuchodonosor a prévalu contre le juste Juda, [16] que le jugement lui paraît n’avoir pas abouti à sa fin ; parce qu’il est inique et mauvais que le roi juste Josias soit mis à mort par le roi d’Égypte ; [17] ; que Daniel, Ananias, Misaël et Azarias soient en esclavage ; [18] ; que le tyran de Babylone ait l’empire ; que Balthasar boive dans les vases sacrés en compagnie de ses femmes et de ses courtisanes. [19]. Voilà ce qu’a dit le Prophète au sujet des événements de son temps. – Je suis les traces d’une vile histoire, puisque telle est votre volonté.

D’autre part, d’après les Septante, ce sont les Saints se plaignant en commun à Dieu d’être victimes de jugements injustes, de verser leur sang dans les persécutions, et s’il leur arrive de paraître devant un tribunal séculier, de voir le juge, pour des présents reçus, condamner l’innocent et délivrer le coupable. Et ce n’est pas des seuls juges séculiers, mais parfois aussi aux princes des Églises qu’on peut dire qu’ils déchirent la loi pour des présents, qu’ils ne mènent pas le jugement à sa fin véritable, qu’ils font prévaloir l’impie contre le juste, et que, dans leurs jugements, ils défendent la faute du riche contre l’innocence du pauvre. De là cette plainte que du jugement sort une sentence corrompue. Mais cette inégalité ne doit point nous troubler, quand nous voyons, dès l’origine du monde, le juste Abel mis à mort par l’impie Caïn, [20] et plus tard, Jacob en exil pendant qu’Esaü règne dans la maison paternelle, [21] les enfants d’Israël écrasés en Égypte sous les fardeaux de terre et de briques, et Notre-Seigneur lui-même, contre qui on se plaint ici, crucifié par les Juifs, [22] qui lui ont préféré le voleur Barabbas. [23]. Un jour ne me suffirait pas, si je voulais énumérer en combien de manières les impies prévalent et oppriment les justes.


« Jetez les yeux sur les nations et soyez attentifs ; préparez-vous à être surpris et frappés d’étonnement ; car il s’est fait dans vos jours une œuvre que nul ne croira quand il l’entendra dire. » [24]. Les Septante : « Ouvrez les yeux, contempteurs, et voyez ; admirez ces merveilles et soyez dans l’anéantissement ; car je vais faire dans vos jours une œuvre que vous ne croirez pas quand vous l’entendrez dire. » Symmaque, sur ce point où je dis : « Car il s’est fait dans vos jours une œuvre », met : « Il se fera ; » sa traduction est la même que la nôtre pour tout le reste. En tête du verset, j’ai traduit l’hébreu Rau Baggoim par : « Jetez les yeux sur les nations », et les Septante disent : « Voyez, contempteurs. » Aquila, Symmaque et Théodotion donnent la même interprétation que moi ; mais j’ai trouvé dans une certaine édition anonyme : « Vous verrez, calomniateurs », et dans une autre, également sans nom d’auteur : « Vous verrez, vous qui vous éloignez de moi. » Aux plaintes accusatrices du Prophète : « Jusques à quand, Seigneur, crierai-je, sans que vous m’entendiez ? » et le reste jusqu’à la fin de cet exorde, la voix du Seigneur répond que ce qu’il regarde comme une injustice faite au seul Israël, se passe aussi chez les autres peuples : ce ne sont pas seulement Juda et Jérusalem, comme le pensait le Prophète, qui ont été livrés aux Chaldéens, mais toutes les nations d’alentour, et Babylone doit être si puissante d’abord et faire une chute si terrible plus tard, que si quelqu’un prédisait ce qui doit arriver, la grandeur de l’événement le ferait paraître incroyable.

D’autre part, l’interprétation des Septante et des autres : « Voyez, contempteurs », ou bien : « Vous verrez, calomniateurs », et « hommes égarés », abonde dans le sens de ce passage ; d’après leur propre langage, Dieu accuse d’audace et de mépris à l’égard du Seigneur, ceux dont le Prophète a traduit les cris, et leur demande comment ils ont osé mépriser la majesté de Dieu, parler avec cette témérité, calomnier, autant qu’il était en leur pouvoir, la providence divine, et se séparer du Seigneur, en l’accusant d’injustice. Vous verrez donc, hommes dédaigneux, et vous serez frappés d’étonnement, et vous regarderez toute votre plainte comme sans aucune valeur, lorsque vous m’aurez vu faire dans vos jours, – pour que vous ne puissiez dire : Que nous importe l’avenir ? – Une œuvre si considérable et qui anéantira tellement toute votre accusation, que si quelqu’un vous prédisait maintenant qu’elle arrivera, vous y ajouteriez foi difficilement. Quelle est cette œuvre ? la suite de la prophétie le montre.


« Je vais susciter les Chaldéens, cette nation cruelle et d’une incroyable vitesse, qui court toutes les terres pour s’emparer des maisons des autres. Elle porte avec soi l’horreur et l’effroi, elle ne reconnaît point d’autre juge qu’elle-même, et c’est d’elle que le fardeau sortira. Ses chevaux sont plus légers que les léopards et plus vite que les loups qui courent le soir ; sa cavalerie se répandra de toutes parts, et ses cavaliers viendront de loin, et voleront comme un aigle qui fond sur sa proie. Ils viendront tous au butin, avec leur visage qui est comme un vent brûlant, et ils assembleront des captifs comme des monceaux de sable. Leur prince triomphera des rois et se rira des tyrans ; il se moquera de toutes les fortifications ; il leur opposera des levées de terre et il les prendra. Alors son esprit sera changé, il passera toutes bornes et il tombera enfin ; c’est à quoi se réduira la force de son dieu. » [25] Les Septante : « Je vais susciter les Chaldéens, nation cruelle et rapide, qui court toutes les terres pour s’emparer des maisons des autres. Elle est terrible et illustre. Elle ne reconnaît point d’autre juge qu’elle-même, et c’est d’elle-même que sortira son propre enlèvement. Ses chevaux auront plus de vitesse que les léopards et devanceront à la course les loups d’Arabie. Leurs cavaliers chevaucheront, et venant de loin avec impétuosité, voleront comme un aigle qui fond sur sa proie. La ruine tombera sur les impies qui oseront leur résister en face, et ils assembleront des captifs comme des monceaux de sable. Leur prince se fera un passe-temps des rois, les tyrans seront ses jouets ; il se rira de toutes les fortifications, il leur opposera des levées de terre et il s’en emparera. Alors il changera d’esprit, il passera et il lui sera pardonné : telle est la force de mon Dieu. » Ce que je vous avais dit : Jetez attentivement les yeux sur les nations ; préparez-vous à l’étonnement et à la stupeur, parce qu’il se fera dans vos jours une œuvre que personne ne croira quand on la dira, c’est ce qu’annonce la suite du discours : « Voilà que je susciterai Nabuchodonosor et les Chaldéens », nation des plus belliqueuses et des plus agiles, dont la force et l’audace an combat est attestée par presque tous les historiens grecs qui ont écrit sur les peuples barbares. Ne sachant se contenir dans ses frontières, elle parcourt en tous sens la terre en nomade. Son œuvre n’est pas de retourner la terre avec la charrue, mais de vivre de rapine à main armée et de s’emparer des villes des autres. Avant qu’il porte la main sur son adversaire, avant qu’il s’élance dans la mêlée, l’aspect seul de son visage sème la terreur. Ce que dit le texte : « Son jugement et son fardeau sortira d’elle-même », et d’après Symmaque : « Elle sera elle-même son juge et sortira sur sa propre décision », peut s’entendre en ce sens qu’elle établira des princes de sa nation, et que sa puissance et son glaive n’auront pas des gardiens d’entre les autres peuples, ou en celui-ci, qu’elle sera traitée comme elle traite les autres, et ravagée comme elle a ravagé elle-même. Ses chevaux et ses cavaliers qui viendront de loin surpasseront en agilité pour la poursuite, et en promptitude à porter le ravage partout, les léopards et les loups qui rôdent le soir ; car les loups sont plus carnassiers, dit-on, à l’entrée de la nuit, la faim ayant tout le jour excité leur fureur. Ses cavaliers voleront, non pour combattre, puisque nul ne leur résistera, mais pour courir de toutes parts, comme l’aigle, à qui est assujetti tout ce qui vole, fond sur sa proie pour la dévorer. Le souffle d’un vent brûlant rend sèche toute verdure ; de même leur présence portera partout la dévastation. Le nombre des captifs et la quantité du butin seront si considérables, qu’on peut dire hyperboliquement qu’ils égaleront les grains de sable de la mer. Le prince lui-môme, Nabuchodonosor, régnera surtout l’univers, il poussera les rois au-devant de son char de triomphe en se riant d’eux, et il les regardera comme ses passe-temps. Sa puissance et son orgueil seront si grands, qu’il prétendra dompter la nature, et prendre parla force des armes les villes les mieux fortifiées. Ainsi, il viendra à Tyr, et jetant une levée de terre dans la mer, il fera d’une île une presqu’île ; 5 une langue de terre lui fournira à travers les flots l’entrée de la ville. C’est pourquoi il se rira de toute fortification ; il fera établir une levée, et il la prendra, ou la forteresse ou Tyr ; c’est ce qui est clairement attesté dans ce passage d’Ézéchiel : « Nabuchodonosor, roi de Babylone, a assujetti toute son armée à un grand travail contre Tyr ; toutes les têtes sont devenues chauves, toutes les épaules ont été écorchées, et aucun salaire n’a été payé, ni à lui, ni à son armée pour sa fidélité à accomplir mon ordre contre Tyr. » [26]. Or, lorsqu’il aura fait jeter ce mole et que rien ne pourra s’opposer à ses forces, son esprit sera changé en orgueil : il se croira Dieu, et il élèvera dans Ba bylone une statue d’or, qu’il obligera tous les peuples d’adorer. Après eet acte, il passera à la forme de la bête, et ensuite il tombera, ou d’après Aquila et Symmaque « il faillira », l’Écriture ayant coutume de mettre le mot Vasam, il faillira, dans le sens de « il cessera d’être. » Notre langue a quelque chose d’approchant dans : « L’armée a été battue », pour : « Passée au fil de l’épée et massacrée ; » et encore dans : « La vigne et le champ ont fait défaut », pour : « La vendange et les fruits de la terre n’ont pas eu un heureux accroissement. » Quant au trait de la fin : « Voilà la force de son Dieu », c’est une ironie qu’il faut lire avec ce sens : Voilà cette force que lui avait donnée Bel, son dieu, au culte de qui il contraignait tous les peuples, même par édit et en appuyant avec, cruauté son injonction de menaces de mort. Voilà pour Te texte hébreu ; venons maintenant aux Septante, et, après avoir cité chaque point, adoptons le sens figuré.

« Voilà que je vais susciter les Chaldéens, nation pleine d’amertume et très-agile, qui marche par toute la terre, pour s’emparer des demeures qui ne lui appartiennent pas. » Dieu menace de susciter contre ses contempteurs, qui calomnient sa providence, les Chaldéens, dont le nom veut dire « comme des démons. » Il désigne par là, soit les anges mauvais qui servent la colère divine et sont les ministres dé l’affliction qu’elle inflige aux pécheurs ; ou bien les fîmes des méchants, au moyen de qui Dieu punit ceux qui le méritent. Ces Chaldéens sont une nation pleine d’amertume et agile, sans pitié et accomplissent promptement ce qui lui a été ordonné. Elle marche sur la largeur de la terre ; « car elle est large et spacieuse, la voie qui mène à la mort. » [27]. C’est par ce chemin que marchaient, ce riche de l’Évangile qui ôtait tout resplendissant de pourpre,[28] et ceux dont il est dit : « Ils dorment sur des lits d’ivoire et ils consacrent le temps du repos aux satisfactions des sens ; ils mangent des veaux gras choisis sur tout le troupeau, ils boivent le vin le plus exquis, ils sont oints des parfums les plus rares. » [29]. Parce que ces hommes marchent dans la voie large, ils sont désignés par la largeur de la terre, que les Chaldéens foulent aux pieds ; car ils n’ont pas voulu suivre la voie étroite et resserrée qui mène à la vie, et par où s’avançait Paul en glorifiant Dieu dans la tribulation et l’angoisse.[30]. Les Chaldéens parcourent la largeur de la terre, afin de s’emparer des maisons qui ne leur appartiennent pas. Toute âme raisonnable, même si elle est devenue par sa faute le logis des Chaldéens, n’en est pas moins, par nature, la maison de Dieu. Bien que dans l’Évangile le démon dise : « J’irai dans ma maison d’où je suis sorti », [31], il ne faut pas ajouter foi à sa parole, puisque nulle créature raisonnable n’a été faite dans le but d’être la demeure du démon.

Suivons le texte : « Elle est terrible et illustre. Elle-même sera son juge, et c’est d’elle-même que sortira son enlèvement, Le Chaldéen est terrible à cause des maux nombreux et divers qu’il déchaîne sur les contempteurs de Dieu ; illustre, parce qu’il prétend se revêtir de la gloire divine, et auprès des ignorants et des contempteurs de Dieu, il paraît illustre, en effet, par ses oracles et leurs réponses mensongères, et par les guérisons de maladies qu’il avait engendrées lui-mème. Le jugement et le supplice du contempteur sortira de lui, soit du contempteur lui-même, soit du Chaldéen. Ils seront, enseigne l’Apôtre, livrés à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blasphémer. [32]. Mais celui qui fera pénitence et se convertira à Dieu, sortira du Chaldéen, après avoir été entre ses mains et la proie qu’il enlevait. S’il nous arrive de voir un homme qui, après un long temps passé au service du diable, retourne ensuite à Dieu, disons de lui : « Son enlèvement est sorti de lui. » Tous ceux qui feront pénitence et abandonneront les démons, à qui auparavant ils prêtaient comme des chevaux leurs flancs pour s’y asseoir ; tous ceux qui, avec la promptitude des léopards et des loups du soir, jetteront bas et briseront leurs cavaliers, et viendront présenter leur dos libre et léger à celui qui, pauvre et humble, se contenta du dos d’un ânon, [33] ceux-là, dis-je, comme se hâtant de venir de loin et, non-contents de l’élan d’une course impétueuse, se prendront à voler et viendront comme l’aigle, pour se nourrir des chairs de la parole divine et rassasier une faim de si longue durée. Sur le point que les Septante rendent ainsi : « Leurs cavaliers chevaucheront », Symmaque abordant dans le sens figuré que nous avons donné, a ainsi traduit : « Ses cavaliers seront répandus » comme de beau, c’est-à-dire tomberont et se briseront contre terre. Le nom de loups de l’Arabie, c’est-à-dire du soir et de l’Occident, convient admirablement à ceux sur qui s’est appesantie une conduite perverse et qui, après avoir habité dans les ténèbres, abandonnent promptement les ombres du soir. C’est lorsqu’ils les auront quittées pour aller d’un vol rapide manger les chairs delà parole divine, que la ruine fondra sur les impies, c’est-à-dire sur les Chaldéens, qui résistaient face à face aux hommes repentants, pour les empêcher de retourner à leur Seigneur. C’est pourquoi la ruine fondra par-derrière sur les impies qui barrent le passage à l’âme repentante. Lorsqu’ils auront été anéantis et que la captivité aura été délivrée de leurs mains, la parole divine rassemblera comme du sable les captifs chaldéens, et le sort de leurs rois fera sa joie, et leurs tyrans seront ses jouets, parce qu’elle verra que sa venue a détruit la puissance du diable, autrefois si grande, avec ces royaumes qu’il avait montrés au Sauveur, en lui disant : « Je vous les donnerai tous, si vous vous prosternez pour m’adorer. » [34]. Les délices de la prudence et le plus doux plaisir de la sagesse consistent à voir la folie détruite, et la puissance ancienne des tyrans vaincue, terrassée et tournée en dérision ; car ce n’est pas le dragon seul qui a été créé pour devenir le jouet du Seigneur ; celui qui était la première de ses créatures est devenu la risée des Anges. Et ce n’est pas lui seul que Dieu livrera, comme un passereau à un enfant ; s’il y a quelqu’autre prince cruel et d’un esprit tyrannique, il sera livré à la risée de la parole de Dieu, dont il est dit ici-même qu’elle se jouera de toute fortification. » Ces fortifications ne peuvent être autres que celles dont parle l’Apôtre : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais puissantes en Dieu pour détruire les forteresses ennemies, et renverser les raisonnements humains, et tout ce qui s’élève avec hauteur contre la science de Dieu. » [35]. S’il existe donc des forteresses, comme sont les discours qui se flattent d’avoir une hauteur et une grandeur contraire à la vérité, ou comme est toute gloire, toute richesse et toute force que loue le monde, elles seront toutes détruites, et le Verbe de Dieu se jouera de toute fortification. Il jettera un môle, et il prendra la forteresse et les embellissements terrestres qu’elle a ; il lui prouvera sa fragilité dans les choses mêmes par où elle se flattait auparavant d’avoir quelque force. Lorsque tout cela sera accompli, l’esprit de Dieu changera ; il ne punira point comme il avait puni auparavant, et, passant outre aux pécheurs, il priera pour eux et les réconciliera avec leur Seigneur d’autrefois. Toutes ces merveilles montrent la force de notre Dieu, qui a pu faire de si grandes choses. De tels passages, on le voit, sont hérissés de difficultés, et le sens mystique est bien loin de la vérité historique : ce que nous avons interprété selon la lettre contre les Chaldéens, maintenant, au figuré, exprime la clémence divine et la liberté de ceux qui ont échappé aux mains des Chaldéens. L’histoire est étroitement bornée et n’a pas le droit de courir hors de son cadre ; la tropologie est libre et n’est circonscrite par d’autres lois que celles de suivre toujours le côté pieux du sens et le plan du discours, et de ne pas faire violence à l’interprétation, en réunissant des choses trop contraires.


« Seigneur, dès le commencement, n’est-ce point vous qui êtes mon Dieu et mon salut ? Ne mourrons-nous pas ? Seigneur, vous l’avez donc établi juge et assis sur les fondements de la force, pour être l’instrument de vos châtiments ? » [36]. Les Septante : « Seigneur, dès le commencement, n’êtes-vous point mon Dieu et mon salut ? Ne mourrons-nous pas ? Seigneur, vous l’avez établi juge ; et il m’a formé, afin que je reprenne selon sa discipline. » La traduction do Symmaque est plus claire : « N’étiez – vous point dès le commencement, Seigneur mon Dieu, mon salut, afin que nous ne mourrions pas ? Seigneur, vous l’avez établi pour juger, vous l’avez affermi dans la force pour punir. » À la plainte du Prophète : « Jusques à quand, Seigneur, crierai-je vers vous, sans que vous m’écoutiez ? » Dieu avait répondu : « Jetez les yeux sur les nations », et, après un préambule, il avait ajouté : « Voilà que je vais susciter les Chaldéens, nation pleine d’amertume et très agile », et toute la description suivie de ces mots, soit au sujet de Nabuchodonosor, soit au sujet du diable : « Alors son esprit sera changé, il passera, puis il tombera, et voilà quelle est sa force qui lui vient de son Dieu. Ce qu’entendant le Prophète, et comprenant que Nabuchodonosor reçoit la puissance contre Juda, ou le diable contre les fidèles, pour les punir, et que, cette punition infligée, il sera puni lui-même enfin, il répond au Seigneur : Vous êtes donc, Seigneur mon Dieu, mon salut – il parle ainsi avec l’affection d’un fils caressant et repentant, — celui qui nous a créés au commencement ? par la miséricorde de qui nous existons jusqu’à présent ? car je ne savais pas que nos ennemis eussent tant de pouvoir, et j’ignorais que Nabuchodonosor ou le diable eût reçu l’empire sur ce monde et sur tous les peuples ? Eu égard à ses forces, nul de nous ne peut donc lui résister. Mais, eu égard à votre miséricorde, c’est uniquement par vous que nous vivons, qu’il ne nous a point mis à mort, que nous n’avons pas été entraînés aux œuvres de mort ; car c’est vous, Seigneur, qui l’avez établi pour juger, et qui en avez fait notre ennemi et l’instrument de votre vengeance, afin de châtier par lui quiconque aura péché contre vous.

Puisque nous avons tout d’abord vu la figure des démons dans les Chaldéens et celle de Satan, leur roi, dans Nabuchodonosor, il nous faut faire une esquisse rapide du diable et de sa puissance, pour mettre en relief la justesse de ces mots du Prophète : « Seigneur, vous l’avez établi comme juge, et c’est pour exercer vos châtiments que vous l’avez fondé dans la force. » C’est contre les incrédules et les contempteurs de Dieu qu’est suscitée la nation des démons, amère dans le châtiment et présente partout. Elle marche sur toute l’étendue des terres pour s’emparer des hommes, en qui Jésus-Christ doit faire sa demeure. Elle répand l’horreur et l’effroi, et c’est bien difficilement qu’on en triomphe ; elle ne peut être anéantie qu’en arrivant à sa ruine, sous l’écrasant fardeau de ses crimes énormes et de son iniquité. Ses chevaux et ses cavaliers seront toujours altérés de sang comme des léopards et des loups ; ils seront avides de proies, ils feindront l’absence, et ils fondront sur nous de loin, quand on ne les attendait pas. Ils voleront comme l’aigle, qui, élevant son essor, voudrait placer son aire au milieu des astres du ciel, et accourt partout où il y a une proie. Dans Ézéchiel aussi est le portrait du diable, sous les traits de Nabuchodonosor et du roi d’Égypte. Aucun démon ne montrera de pitié ; ils accourront tous à la proie, et un vent brûlant les précédera ; tout ce qu’ils verront, tout ce qui se présentera sur leur passage, ils souhaiteront de le brûler et de le perdre. Leur roi lui-même, dans toute sa puissance, sera au milieu des captifs ; il en recevra de toutes parts de ses satellites, en aussi grand nombre que les grains de sable de la mer, et il triomphera lui-même des rois, et les tyrans seront sa risée ; car il trompera de nombreux saints par sa ruse, et ceux qui se flattaient d’être très-puissants, de gouverner despotiquement les démons, et de les repousser loin de leurs corps assaillis, il les réduira en esclavage et en fera un objet de dérision. Pour lui, dans sa force, réunissant les bataillons et rassemblant l’armée de ceux qu’il a perdus, il se rira de toute forteresse et prétendra renverser tout ce qui est fort. Il fera une levée de terre, il élèvera tout autour les œuvres terrestres, et, lorsque la terre aura été amassée en une levée, il s’emparera facilement de toute forteresse. Après une aussi grande victoire, son esprit sera changé, son visage passera jusque dans le ciel, et, en se disant Dieu, il blasphémera le Créateur. Cette impiété le fera tomber, et sa chute montrera combien peu sa divinité avait de force, et que les idoles étaient une feinte par où il assujettissait les hommes à l’adorer. Le Prophète, en apprenant que le roi de ce monde est si redoutable, qu’il rassemble ses captifs comme le sable de la mer, qu’il triomphe des rois, qu’il fait des tyrans sa risée, qu’il se moque de toute forteresse et la prend, après l’avoir tout d’abord entourée d’une levée de terre, et que son orgueil sans bornes lui donne l’audace de se révolter contre son Créateur et de se faire passer pour Dieu ; – le Prophète, dis-je, qui avait d’abord parlé avec hardiesse au Seigneur, lui rappelant que lui-même, ou son peuple, ou ceux dont il rapportait le langage* étaient justes, éclate maintenant en paroles caressantes : Seigneur mon Dieu, mon salut, c’est donc bien vous qui êtes depuis le commencement avec nous ? et si nous ne mourons point, si nous ne sommes pas les captifs d’un si redoutable ennemi, c’est par l’effet de votre bonté ; car c’est vous, Seigneur, qui l’avez établi comme bourreau, et vous lui avez donné une telle force, qu’ils sont bien rares, s’il s’en trouve, les hommes qui peuvent résister à sa puissance. Quant au trait final, dans la version des Septante : « Et il m’a formé, afin que je reprenne selon sa discipline », on peut l’appliquer au Prophète, en sorte que le sens soit celui-ci : « Quant à moi, j’ai reçu l’inspiration prophétique pour réprimander les pécheurs et enseigner la discipline du Seigneur. Quelques interprètes pensent qu’il s’agit de Notre-Seigneur, comme ayant été formé par le Père et ayant pris un corps, pour instruire les hommes de la doctrine de Dieu le Père ; mais le lecteur jugera, sans que je me prononce, combien cette explication est en divergence avec le reste du contexte et avec tout ce qui est dit ici.


« Vos yeux sont trop purs pour contempler le mal, et vous ne pouvez regarder l’iniquité. Pourquoi ne regardez-vous pas avec colère ces hommes couverts de crimes ? pourquoi, demeurez-vous dans le silence, quand l’impie dévore celui qui est plus juste que lui ? L’homme n’est-il à vos yeux que comme les poissons de la mer, ou comme les reptiles qui n’ont pas de prince ? » [37]. Les Septante : « Votre œil est trop pur pour contempler le mal, et vous ne pouvez regarder la douleur. Pourquoi avez-vous des regards de colère pour les contempteurs, et garderez-vous le silence, quand l’impie dévore celui qui est plus juste que lui ? Vous rendrez donc les hommes semblables aux poissons de la mer et aux reptiles qui n’ont pas de chef ? » Jérémie tient le même langage : « Vous êtes juste, Seigneur, je le confesse ; cependant, je vous parlerai de vos justices : Pourquoi les impies prospèrent-ils dans leurs voies ? pourquoi tous les biens à ceux qui vivent dans les prévarications et dans le crime : «  Vous les avez plantés et ils ont jeté leur racine ; ils ont engendré des enfants, et ils se sont couverts de fruits ; vous êtes près de leur bouche et loin de leurs reins. » [38]. Habacuc dit dans la même pensée : « Vos yeux sont purs, Seigneur, et je sais que vous ne regardez pas volontiers le mal et l’iniquité, et que personne ne peut douter de votre justice. Pourquoi néanmoins souffrez-vous que les Babyloniens s’enorgueillissent de leur cruauté inouïe, et que l’impie Nabuchodonosor opprime le juste Israël ? Ce n’est pas que l’opprimé soit parfaitement juste, mais il est plus juste que celui qui l’opprime. De même que les poissons qui n’ont pas de prince, et les bêtes sans raison, et la multitude des reptiles, délaissés de la Providence, sont soumis au plus fort, celui qui a le plus de force dominant sur les autres, de même parmi les hommes, animaux raisonnables, créés à la ressemblance de leur auteur divin, l’empire restera-t-il, non pas à la raison et aux mérites, mais aux forces du corps, à la force brutale ? Si, d’autre part, nous voulons faire une application générale à la Providence de cette plainte du Prophète : Pourquoi le diable prévaut-il à ce point en ce monde, et pendant que Dieu règne, un autre exerce-t-il la tyrannie ? le sens sera celui-ci et on joindra cette explication à celles qui précèdent : Je sais, Seigneur, mon Dieu, seul saint pour moi, que c’est grâce à votre Providence et à votre tutelle que nous ne mourons pas, et je n’oublie pas que vous avez établi notre ennemi comme une sorte de bourreau, avec le dessein, non pas de faire mourir, mais de corriger les pécheurs. Je sais que rien d’injuste ne vous plaît, que vos yeux sont trop purs pour tolérer l’iniquité, et que vous ne pouvez voir les douleurs des victimes de l’injustice. Je ne puis néanmoins m’expliquer pourquoi le criminel Caïn met à mort le juste Abel, et vous gardez le silence ? pourquoi la baleine, ravageant et dévorant tout, dévore non seulement les petits poissons, — mais aussi votre Jonas lui-même ? [39] ; pourquoi l’impie est triomphant et le juste vaincu ? Je ne veux pas dire qu’il y ait quelqu’un qui puisse être justifié en votre présence et être sans péché – je connais trop la fragilité humaine ; – mais, comme Sodome et Gomorrhe paraissaient justes en comparaison de Jérusalem, et comme le publicain de l’Évangile est trouvé plus juste que le pharisien à qui on le compare, [40], ainsi celui que le diable opprime est pécheur sans doute, mais il est plus juste que son oppresseur. Pourquoi donc n’y a-t-il pas un poids et une mesure, afin que s’il advient que le juste soit opprimé et dominé, ce soit, non par l’impie, mais par un autre plus juste que lui ? Dirai-je qu’il y a quelque chose qui peut se faire sans vous, et que c’est contre votre volonté que l’impie a une puissance si grande ? Un tel langage sent le blasphème. Puisque vous êtes le souverain et le Seigneur de l’univers, vous faites évidemment ce qui ne peut se faire sans vous. Le Prophète, en parlant ainsi, n’exprime pas son propre sentiment, comme nous l’avons attesté déjà ; il joue le rôle de l’impatience humaine. C’est ainsi que nous voyons fréquemment l’Apôtre se faire l’interprète de divers sentiments des hommes, et dire, par exemple : « Je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans les membres de mon corps ; » [41] ; et comme s’il était sans sagesse : « Non, mes frères, je ne pense point être encore arrivé au but. » [42]… « Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait ; » [43] ; et puis, comme s’il avait la perfection : « Donc, tant que nous sommes parfaits, soyons dans ce sentiment », [44], alors qu’il n’appartient pas évidemment au même homme de dire : Ce que j’ai de science est imparfait, et de dire : Je suis parfait. L’apôtre avait donc accoutumé d’agir de la sorte, et l’on ne pourra croire que je l’ai mis en avant dans l’intérêt de mon argumentation, devant ce qu’il dit aux Corinthiens : « Mes frères, j’ai personnifié ces choses en moi et Apollon à cause de vous, afin que notre exemple vous apprenne. » [45]. Comment du reste se pourrait-il que Dieu regardât du même œil les hommes et les poissons de la mer ou les reptiles qui n’ont pas de prince, quand les anges de chacun de nous voient chaque jour la face du Père qui est dans les cieux, [46] et que l’ange du Seigneur entoure de toutes parts celui qui craint Dieu et l’arrache au péril ? [47]. Par conséquent, tandis que pour les hommes la Providence divine est pleine de sollicitude même au sujet de chacun d’eux, nous devons comprendre qu’il y a, pour les autres animaux, une dispensation générale qui règle l’ordre et le cours des choses ; par exemple, comment la multitude des poissons doit naître et vivre dans les eaux, comment les reptiles et les quadrupèdes se propagent sur la terre, et quels aliments les nourrissent. Mais il serait absurde d’amoindrir la majesté de Dieu jusqu’à faire entrer sa providence dans le menu détail de ce qui naît ou meurt de moucherons à chaque instant de la durée, de ce qu’il y a de punaises, de puces et de mouches sur la terre, de chacun des poissons qui nagent dans l’eau, et de la désignation de ceux d’entre les petits qui doivent servir de proie aux grands. Ne poussons pas l’adulation envers Dieu jusqu’à nous faire injure à nous-mêmes, en faisant descendre sa puissance trop bas, et en prétendant que sa Providence se préoccupe exactement de la même manière de la garde et des êtres raisonnables et des brutes. On doit donc condamner comme extravagant ce livre apocryphe où il est écrit qu’un ange appelé Tyr est commis à la garde des reptiles, et que de même des anges ont été désignés en particulier pour la garde de toutes les bêtes, et pour celle des poissons et des arbres.

« L’ennemi va les enlever tous : il tire les uns hors de l’eau avec l’hameçon ; il en entraîne une partie dans son filet, et il amasse les autres dans ses rets ; il triomphera ensuite et il sera ravi de joie. C’est pour cela qu’il offrira des hosties à son filet et qu’il sacrifiera à ses rets, parce qu’ils lui auront servi à accroître son empire, et à se préparer une viande choisie. C’est pour cela encore qu’il tient son filet toujours étendu et qu’il ne cesse point de répandre le sang des peuples. » [48]. Les Septante : « L’ennemi a consommé leur perte avec l’hameçon, en entraînant les uns dans ses rets et en assemblant les autres dans son filet. C’est pour cela qu’il triomphera et sera ravi de joie ; c’est pour cela qu’il offrira des sacrifices à son filet et de l’encens à ses rets, parce qu’ils ont servi à accroître son héritage et à se préparer des viandes choisies. C’est pour cela encore que ses rets sont toujours tendus et qu’il ne cesse de mettre les nations à mort à tout instant. » La prophétie ayant mis en avant l’exemple des poissons et des reptiles, ou plutôt de tout ce qui peut se mouvoir, le mot hébreu étant Remes, reste fidèle à la métaphore des poissons dans tout le reste. De même qu’un pêcheur lance l’hameçon, les rets et le filet, pour prendre avec les rets ce qui échappe à l’hameçon, et entourer avec des filets plus larges ce qui échappe aux rets, de même le roi de Babylone dévastera tout et fera sa proie de tous les hommes. [49]. Quant à ces mots : « Il triomphera dans la joie, et il offrira des hosties à son filet et des sacrifices à ses rets », c’est une allusion à l’idole qu’il fit élever dans le champ de Dura et au simulacre de Bel, auquel il immola les plus grasses victimes comme à un vaste filet, en obligeant tous les peuples qu’il avait vaincus à l’adorer. C’est par les idoles qu’il croyait avoir, en quelque sorte, engraissé sa puissance, et aussi son héritage, c’est-à-dire la possession de toutes les richesses ; il assujettit en outre à son empire tous les princes et les rois, comme de grands poissons, et c’est ce qu’il appelle des aliments choisis. Comme cette pêche des plus abondantes l’a rassasié, et que son filet, c’est-à-dire son armée, regorge, il ne cesse de mettre les peuples à mort, c’est-à-dire de les faire combattre et se massacrer entre eux.

D’après les Septante, le diable impie – qui opprime le juste, pour qui les hommes sont comme des poissons de la mer, et dévaste tout comme des reptiles qui n’ont pas de chef – a lancé son hameçon, ennemi de celui dont se servit l’apôtre Pierre pour prendre le premier poisson, dans la bouche duquel fut trouvée la pièce d’argent de quatre drachmes ; [50] ; et à cet hameçon de l’ennemi se prit Adam, qu’il attira hors du paradis dans ses rets ; et il le couvrit de ses filets, les ruses et les fraudes diverses et multipliées qu’il met en œuvre. De là sa joie et la pensée que ses pièges sont plus puissants que les ordonnances du Seigneur. Il immolera alors des hosties, non pas à son hameçon, qui est la figure de la doctrine mensongère et qui n’est que le premier engin dépêché, mais à ses rets, parce que c’est par lui qu’il a pris les victimes les plus grasses, que « plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul homme », [51], que nous sommes tous morts en Adam,[52], et que tous les saints ensuite ont ôté pareillement chassés du paradis avec lui. Aussi le diable est-il friand de mets choisis, au point de vouloir, comme parle le Psalmiste », ravir sa nourriture à la table même de Dieu », [53], en cherchant à amener la chute des prophètes et des apôtres. Ayant trompé le premier homme, il ne cesse de semer la mort chaque jour parmi tout le genre humain.

On peut aussi appliquer ce passage à la doctrine mensongère et multiple des hérétiques. Eux aussi, avec leur hameçon, leurs rets et leurs filets, ils prennent en grand nombre des poissons et des reptiles. C’est là le sujet de leur joie. De là vient aussi qu’ils rendent l’adoration due à Dieu à leur propre parole, au moyen de laquelle ils ont pu persuader et tromper ; ils en font l’objet de leur culte, ils la polissent sans cesse ; ils mettent tout leur art à servir cette éloquence, grâce à laquelle ils savent qu’ils ont mis à mort un si grand nombre.de victimes, et trompé des plus grands parmi les puissants et les saints, que l’Écriture appelle ici leur gras héritage et leurs viandes choisies. C’est pourquoi, semblables aux bêtes qui, après avoir une première fois goûté au sang, en sont toujours altérées, ils étendent leurs filets, et ils ne se contentent plus maintenant d’en mettre à mort quelques-uns, comme au commencement, mais ils déploient tout leur zèle pour en massacrer le plus possible. Ce massacre d’un grand nombre de nations est évident, celui qui considère quelle innombrable multitude d’hérétiques et de sectateurs du mensonge est prise à l’hameçon et dans les rets et les filets du diable. Et pourtant la fin de leur capture est l’extermination.

\p


« Je me tiendrai en sentinelle au lieu où j’ai été mis, je demeurerai ferme sur les remparts, et je regarderai attentivement pour voir ce que l’on pourra me dire et ce que je devrai répondre à celui qui me reprendra. » [54]. Les Septante : « Je me tiendrai en sentinelle au lieu où j’ai été mis, je monterai sur la pierre, et je regarderai attentivement pour voir ce qui est dit de moi et ce que je devrai répondre à celui qui me reprendra. » La paraphrase de Symmaque est plus claire : « Je me tiendrai ferme comme une sentinelle, et je me tiendrai ferme si j’étais enfermé, et je regarderai attentivement pour voir ce qui me sera dit et ce que je devrai répondre, et je plaiderai contradictoirement avec celui qui me reprendra. » Au lieu de rempart et de pierre, l’hébreu porte Masur, que Symmaque a rendu par « enfermé », Théodotion par « rond », et Aquila, avec la cinquième édition, par « circuit. » À la première attaque, le Seigneur avait répondu : Jetez les yeux sur les nations, et voyez ; et vous serez saisis d’admiration et de stupeur. Alors le Prophète, comme repentant de la vivacité de la première parole, avait mis un tempérament à sa polémique : Seigneur, mon Dieu, seul saint pour moi, grâce à vous, nous ne mourrons pas. » [55]. Néanmoins, sous le couvert de la vénération et des louanges qu’il lui adresse, il le questionne encore : « Vos yeux sont trop purs pour contempler le mal, et vous ne savez pas voir patiemment l’iniquité. » [56]. Que ne tournez-vous donc vos yeux en courroux contre ceux qui font le crime, et pourquoi gardez-vous le silence, quand l’impie dévore celui qui est plus juste que lui ? et là, il analyse les phases de cette destruction du juste : les hommes devenus semblables aux poissons de la mer et aux reptiles ; l’hameçon, les rets et les filets de l’ennemi les entraînant à leur perte, et la durée sans un de leur massacre. Or, en tant que prophète, son obligation est de chercher et de douter, afin de répondre à tous ce qui lui sera répondu à lui-même : « Je me tiendrai ferme à mon poste de sentinelle », sur le faîte élevé de ma prophétie, et je verrai, après la captivité du peuple, et le renversement de la ville et du temple, ce qui arrivera ensuite ; ou autrement : Je consacrerai les soins les plus diligents à la garde de mon cœur, et je demeurerai ferme sur la pierre, Jésus-Christ. Voilà la ceinture et le circuit qui m’entoureront comme d’un mur, afin que le lion rugissant ne puisse faire irruption jusqu’à moi. Je verrai alors ce que le Seigneur répondra à ma seconde question, et lorsqu’il m’aura répondu et qu’il m’aura reproché de m’être plaint à tort, je verrai aussi ce que je lai dois répliquer. C’est avec élan et avec un sens admirable que le texte décrit cette impatience humaine que nous portons toujours dans les discussions : nous sommes prêts à répondre, avant qu’un antagoniste nous ait répondu et que nous sachions en quoi il nous reprendra, ce qui prouve que notre réponse s’inspirera moins de la raison que de l’esprit de querelle. La raison, en effet, conseille d’attendre le moment de la réplique, afin de voir si l’on doit la faire, ou si l’on doit souscrire à une réponse raisonnable. Sur ces mots : « Pour voir ce qui sera dit en moi », il faut remarquer que la Vision prophétique et la parole de Dieu ne se font pas extérieurement pour les Prophètes, mais intérieurement et pour l’homme intérieur. De là le langage de Zacharie : « L’ange qui parlait en moi ; » [57] ; et celui du Psalmiste : « J’écouterai ce que le Seigneur dit en moi. » [58].


« Alors le Seigneur me répondit et me dit : Écrivez ce que vous voyez, et marquez-le distinctement sur des tablettes, afin qu’on puisse le lire couramment ; car cette vision est au loin, elle apparaît à la fin, mais elle ne sera pas mensongère. Si elle diffère, attendez-la, parce qu’elle arrivera assurément, et qu’elle ne tardera pas. Celui qui est incrédule n’a pas Pâme droite, mais le juste vivra dans sa foi. » [59]. Les Septante : Le Seigneur me répondit et me dit : Écrivez cette vision distinctement sur le buis, pour que celui qui la lira persévère ; car cette vision est encore dans l’avenir et n’apparaîtra qu’à la fin ; mais elle ne sera point vaine. Si elle est lente, attendez – la, parce qu’elle arrivera certainement, et elle ne tardera pas. Si votre foi se retire, elle ne plaira pas à mon âme en cela ; le juste, au contraire, vivra par sa foi en moi », Au lieu de tablettes et de buis, en hébreu Alluoth, Symmaque dit des « pages ; » et les Septante seuls ont mis : « Le juste vivra parce qu’il a gardé ma foi », tandis que tous les interprètes disent : « Vivre à cause de sa foi », et Symmaque donne même une interprétation beaucoup plus explicite : « Le juste, au contraire, vivra par le moyen de sa propre foi. » Baemunatho, « dans sa foi », ne pourrait se rendre, à bon droit, par les mots « dans ma foi », que si la dernière lettre Vau était remplacée par Jod, et c’est donc Beamunathi que les Septante ont lu par erreur, trompés par l’extrême ressemblance du Vau et du Jod, qui ne diffèrent que pour la grosseur. La suite des explications fera comprendre là portée de cette remarque.

Conformément à cette promesse faite à l’homme saint dans Isaïe : « Vous n’aurez pas fini de parler, que je dirai : Me voici », [60], le Seigneur répond ici sur l’heure au Prophète. Il lui ordonne d’écrire ce qu’il va voir et de le tracer distinctement sur des tablettes, c’est-à-dire de l’écrire très lisiblement. Ces tablettes, à mon avis, au sujet desquelles l’Apôtre écrit aux Corinthiens : « Vous êtes vous-mêmes notre lettre de recommandation, qui est écrite dans nos cœurs, et qui est reconnue et lue de tous les hommes ; vos actions faisant voir que vous êtes la lettre de Jésus-Christ dont nous avons été les secrétaires, et qui est écrite, non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, et non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, qui sont vos cœurs. » [61]. Salomon, dans les Proverbes, émet une maxime dans le même sens : « Écrivez-la sur toute l’étendue de votre cœur. » [62]. Il est ordonné au prophète d’écrire distinctement, afin que le lecteur puisse lire couramment, qu’il n’y ait aucun obstacle à la rapidité de sa lecture, ce qui arrêterait peut-être son désir de lire. Cet ordre est donné, d’ailleurs, parce que l’accomplissement de la vision est éloigné jusqu’au temps marqué, jusqu’à ce qu’arrive la fin des choses. Dieu alors viendra aussi, et il montrera que l’événement a justifié la prophétie. Que si d’aventure, lecteur, à cause de votre impatient désir de voir l’issue de cette vision, il vous semblait que l’accomplissement de la promesse éprouve quelque retard, gardez-vous de désespérer de sa réalisation ; attendez au contraire avec patience, puisque je vous en fais de nouveau la promesse, « elle arrivera certainement, et elle ne tardera pas » S’il y a quelqu’un qui soit incrédule à cette promesse : « Elle viendra et elle ne tardera pas », qui commence à hésiter, à être flottant dans le silence de son cœur, dans la pensée que ce qui est différé au temps prescrit n’arrivera pas, cet homme déplaira à mon âme, conformément à cette parole : « Mon âme hait vos néoménies et vos sabbats. » [63]. Dieu disant « mon âme », nous devons entendre son esprit et sa pensée, avec ce sens : Il déplaira à ma pensée. Puisque celui qui doutera de l’avènement d’une promesse que je fais me déplaira, le juste, d’autre part, pour avoir mis s^confiance dans ma promesse, vivra à cause de sa foi. Voilà comme les grandes lignes qui forment le tableau de ce contexte. Je vais maintenant en rendre le sens, mais toutefois en mariant les deux traductions.

Écrivez en votre cœur, et comme les jeunes enfants qui reçoivent les premiers éléments d’instruction affermissent sur le buis leur tremblante main à tracer les lignes courbes des lettres et s’habituent par l’exercice à former une écriture correcte, vous aussi, dont le langage a reproduit devant moi les doutes du peuple sur la Providence, écrivez ce que je dis sur les tables de votre cœur et sur le buis de votre intelligence. C’est une vision dont je promets l’accomplissement, que je vous ordonne de reproduire et d’écrire bien lisiblement, afin qu’aucun nuage ne l’enveloppe et qu’aucune ambiguïté énigmatique ne l’obscurcisse. Je veux qu’une espérance incontestable repose sur une promesse des plus claires. Je vous fais ce commandement, ô Prophète, non a cause de votre ignorance de ces faits – vous ne seriez point prophète si vous ne les saviez pas, – mais afin que le lecteur puisse lire et parcourir, sans empêchement et sans difficulté, ce que vous aurez écrit bien nettement. Les Septante traduisent ainsi : « Afin que celui qui lit suive… », dans le sens du précepte adressé à Timothée : « Suivez la justice, la piété, la foi, la charité, la patience, la douceur ; » [64] et aux Romains : « Vous montrant sectateurs de l’hospitalité ; » [65] ; et aux Corinthiens : « Suivez la charité. » [66]. Quant à la vision elle-même dont je vous ai dit : « Écrivez cette vision et rendez-la manifeste sur le buis, afin que celui qui la lira puisse la suivre », elle est encore dans le temps marqué, dont le Sauveur parle ainsi : « Je vous ai exaucé au temps favorable et je vous ai assisté au jour du salut. » [67]. Elle se lèvera à la consommation du monde et à cette dernière heure du jour dont parle saint Jean : « Mes petits enfants, c’est maintenant la dernière heure ; » [68] ; et elle ne viendra pas en vain, puisqu’elle fera le salut de plusieurs et réunira la multitude des nations avec les restes du peuple d’Israël. Que si cette vision diffère un peu et si, au gré de vos vœux, lecteur à qui il est ordonné de la lire sur les buis et sur les tables où l’a écrite le Prophète, il vous semble qu’elle vient trop lentement, attendez-la néanmoins, « car elle viendra assurément, et elle ne tardera pas. » Si le doute altère votre foi, si vous accueillez la pensée que ce que je promets n’arrivera pas, vous serez sévèrement puni, en ce que vous déplairez à mon âme, tandis que le juste, qui croit à mes paroles et ne tergiverse pas au sujet de mes promesses, aura pour récompense la vie éternelle. Et ne vous hâtez pas de m’accuser de faire acception de personnes en vous donnant la mort et en lui donnant la vie, parce qu’il est lui-même la cause de sa vivification, dès que c’est de sa foi que lui vient la vie, comme vous-même vous avez déplu à mon âme en vous dérobant à la foi et en ne voulant pas croire.

C’est ici une prophétie évidente au sujet de l’avènement de Jésus-Christ. La question proposée se résout donc de cette manière, que jusqu’à ce qu’il vienne, l’iniquité dominera dans le monde, le jugement n’arrivera pas à son but, et le vrai Nabuchodonosor prendra dans ses rets et dans ses filets les hommes comme des poissons et l’animal raisonnable comme un reptile qui n’a pas de prince. De ce qu’au lieu d’employer visio, j’ai traduit ainsi : « Parce que ce que vous voyez, visus, est encore loin, et s’il met du retard, attendez-le », c’est-à-dire attendez ce que vous voyez, visum, on ne doit pas conclure que j’ai commis une erreur en écrivant, au lieu de visio, qui est du genre féminin, visus, qui est du masculin, et moins usité en latin ; puisque Hazon, qu’Aquila rend par ὁκαματιςμὸν, est en hébreu du genre masculin, et que le texte original lui conserve, jusqu’à la fin, la même déclinaison masculine. Les Septante, au contraire, en disant : « Écrivez cette vision, et ensuite : « S’il diffère, attendez-le, parce qu’il viendra assurément, et ne tardera pas ; si quelqu’un s’y refuse à l’attendre, il déplaira à mon à me en cela », ont d’abord rendu par vision du genre féminin un mot masculin en hébreu, et ensuite ils sont revenus à la déclinaison masculine de ce mot, telle qu’elle est dans l’hébreu : « Αttendez-le », et il déplaira à mon âme en cela », alors qu’ils auraient dû évidemment, après avoir une première fois traduit par vision, demeurer fidèles au genre féminin dans le reste, et dire : « Attendez-la, car elle viendra certainement ; si quelqu’un refuse de l’attendre, il ne plaira pas à mon âme à cause d’elle », c’est-à-dire, de cette vision. Je fais cette remarque pour ne point paraître passer sous silence ce que j’ai appris. Je n’ignore pas d’ailleurs que, d’après leur version, ce passage peut encore être ainsi entendu : Écrivez cette vision dans laquelle Jésus-Christ est promis, et reproduisez, ou sur le buis, ou sur des tablettes, ou, d’après Symmaque, « sur des pages », ce développement de votre prophétie : qu’au temps marqué et à la consommation du monde mon Fils viendra pour sauver les brebis perdues delà maison d’Israël, qu’il rassemblera les autres brebis avec ses anciennes brebis, et que, formant un seul et même troupeau, il réunira les deux verges qu’Ézéchiel, c’est-à-dire « la vertu de Dieu », tient rapprochées et étroitement entrelacées dans sa main prophétique. [69]. Que si, ô Prophète, ou bien, ô vous, peuple, d’après les propos de qui mon Prophète lui-même a paru douter de ma providence, le Christ différait quelque peu et semblait lent à venir, attendez-le néanmoins, parce qu’il viendra certainement, et il ne tardera pas ; et le reste qui a été déjà commenté. Pourquoi l’Apôtre, écrivant aux Romains : « Le juste vit de la foi qui vient de moi », [70], a-t-il préféré s’appuyer sur la version des Septante que sur le texte hébreu ? la raison est des plus claires : il écrivait à des Romains, qui ne savaient pas les Écritures hébraïques, et il n’avait aucun souci des mots, pourvu que le sens fût sûr et que la discussion qu’il soutenait n’éprouvât de là aucun dommage. Qu’on n’oublie pas, en effet, que partout où il y a divergence de sens entre ce qui est écrit d’une manière dans l’hébreu et d’une autre dans les Septante, Paul ne se sert que des témoignages qu’il a appris de Gamaliel, docteur de la loi.

« Comme le vin trompe celui qui en boit avec excès, ainsi le superbe sera trompé, et il ne demeurera point dans son éclat, parce que les désirs de son âme sont vastes comme l’enfer, et qu’il est lui-mème insatiable comme la mort. Il travaille à réunir sous son joug toutes les nations, et à mettre en un monceau, sous ses pieds, tous les peuples. Mais ceux-ci ne s’armeront-ils pas contre lui des paraboles des Prophètes et de leurs malédictions énigmatiques ? Ne dira-t-on pas : Malheur à celui qui ravit sans cesse ce qui ne lui appartient pas ? Jusques A quand amassera-t-il contre lui-mème des monceaux de boue ? Ne verrez-vous pas s’élever soudain contre vous des gens qui vous mordront ? Ne seront-ils pas suscités, ceux qui vous déchireront, et dont vous deviendrez la proie ? Comme vous avez dépouillé tant de peuples, tous ceux qui en sont restés vous dépouilleront, à cause du sang de l’homme que vous avez versé, et de l’iniquité de la terre, de la ville et de tous ceux qui y habitaient. » [71]. Les Septante : « Celui qui est arrogant et plein de mépris, l’homme orgueilleux, ne mène rien à sa fin ; les désirs de son âme sont vastes comme l’enfer, et il est lui-mème insatiable comme la mort. Quand il aura réuni sous son joug toutes les nations et se sera assujetti tous les peuples, ceux-ci ne s’armeront-ils pas contre lui des paraboles des Prophètes, pour les appliquer au récit de ses crimes, et ne diront-ils pas : Malheur à celui qui multiplie dans ses trésors les richesses qui ne lui appartiennent point ? Jusques à quand rendra-t-il de plus en plus lourde la chaîne de son cou ? car il se lèvera tout à coup des gens pour le mordre. Ceux qui vous tendent des embûches vous épient, et vous deviendrez leur proie. Comme vous avez dépouillé tant de nations, les peuples qui restent vous dépouilleront, à cause du sang des hommes que vous avez versé et des impiétés de la terre, de la ville et de tous ses habitants. » Comme les promesses prophétiques sont faites au sujet de l’avènement de Jésus-Christ, ou, d’après une autre opinion, au sujet de la fin des prophéties et de l’accomplissement du secours de Dieu, et que celui qui croira que ces choses arriveront vivra de sa foi, tandis que celui qui sera incrédule, déplaira à l’âme du Seigneur, Nabuchodonosor, roi de Babylone, sera trompé par son orgueil même. Comme le vin dégrade celui qui en boit avec excès, en sorte que, quand il se lève, ni ses pieds ni sa raison ne, remplissent leur office, la joie et le délire de son esprit se changeant en causes de chute, ainsi l’homme superbe ne demeurera point dans son éclat, il n’arrivera pas aux fins de ses volontés, et, d’après Symmaque, il tombera dans la pénurie de toutes choses, parce que, comme la mort et l’enfer, il est insatiable de cadavres, et qu’en assujettissant à son empire toutes les nations et tous les peuples, il ne voit pas de terme à son avarice. Lorsqu’il se sera enivré à la coupe du Seigneur, et que le vin pur de la colère divine l’aura frappé d’un profond engourdissement, tous ne lui jetteront-ils pas l’insulte, en comparant son éclat passé à sa chute ? Malheur à celui qui ravage tout l’univers sans être rassasié de rapines, qui persiste à dépouiller ceux qu’il a déjà faits nus, qui n’exerce les violences que pour le plaisir de dévorer, et qui entasse sur ses épaules les injustices et les rapines, jusqu’à ce que ce collier, si l’on peut ainsi dire, l’écrase sons son poids accablant ! – Remarquons en passant avec quelle élégance expressive le texte qualifie de boue épaisse les richesses multipliées. – Est-ce qu’ils ne se lèveront pas soudain, les Mèdes et les Perses, qui, détruisant l’empire de Babylone, déchireront le roi chaldéen après l’avoir mordu ? Nabuchodonosor ne deviendra-t-il pas leur proie, et, après avoir ravagé tout l’univers, ne sera-t-il pas dépouillé par les restes des peuples qui auront pu échapper à sa main et à sa cruauté ? Il sera frappé de la sorte à cause du sang de l’homme, c’est-à-dire de Juda, qu’il a versé, et des injustices qu’il a exercées contre la terre, évidemment celle d’Israël, et la ville ou Jérusalem, et tous ses habitants, pour signifier tout le peuple qui est dans ses murs.

Analysons aussi les Septante. Tout ce que nous avons dit de ce monde et de Nabuchodonosor peut se rapporter à ce monde et au diable, qui vraiment arrogant et superbe, et croyant être quelque chose, ne mènera rien à sa fin, puisque tous ses efforts et tout son labeur ne posséderont que la mort. Semblable à l’enfer et à la mort, il est insatiable de cadavres*; il fait sa joie de tromper toutes les nations et de réunir les peuples sous son joug. Lorsque ceux-ci le verront précipité dans l’abîme et livré à la Géhenne, devant l’accomplissement des paraboles et des énigmes qu’ils avaient lues dans les Prophètes, ils les rappelleront pour lui en faire l’application tout d’une voix : Malheur au diable qui a multiplié ses rapines sur ce qui ne lui appartenait pas ! Malheur à la perdrix, qui a rassemblé les oisillons qu’elle n’avait pas engendrés ! « Jusques à quand ? » – Cette locution est le cri de gens qui accusent, ou qui font allusion au jour du jugement. – « Jusques à quand appesantira-t-il son collier d’un poids toujours grandissant ! » Il est d’ailleurs fort juste, puisqu’il est arrogant et superbe, et que l’orgueil se révèle particulièrement aux yeux par la tension du cou et l’érection de la tête, que ce collier soit des plus lourds, pour qu’il fasse plier ce qui se redressait insolemment. Il en sera ainsi, parce que soudain se lèveront ceux qui doivent le mordre, soit les anges avec lesquels le diable doit être livré au châtiment, soit ses captifs d’autrefois, qui, faisant pénitence et retournant sous les étendards de Jésus-Christ, mordront Satan, comme l’Écriture l’enseigne ailleurs : « Ces hommes qui paraissaient vos amis vous ont tendu des pièges. » [72]. Au reste, le texte poursuit : « Ceux qui vous tendront des embûches s’éveilleront », c’est-à-dire, vous tomberez dans les pièges de ceux que vous aviez auparavant enivrés et plongés dans le sommeil de l’ivresse ; ils ravageront votre royaume, et ils ramèneront dans les bataillons de Jésus-Christ ceux qui avaient été vos esclaves. Car vous avez livré au pillage bien des nations, et vous avez dépouillé le peuple juif des parures et des vêtements que je lui avais donnés. C’est pourquoi tous les autres peuples qui n’ont point courbé la tète sous votre joug vous dépouilleront, et vous rendront nu, parce que vous avez mis à mort tant de nations et que vous avez versé leur sang. Bien plus, l’impiété de la terre, c’est-à-dire des Juifs, et de la ville de Jérusalem, et de tons ses habitants, qui ont crié contre leur Créateur : « Crucifiez, crucifiez-le 1 que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » [73], retournera sur votre tète et sera cause que vous serez dépouillé.

On peut aussi tourner l’interprétation de cette prophétie contre l’Antéchrist, qui doit pousser l’arrogance et l’orgueil jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu et à se dire Dieu. Semblable à l’enfer et à la mort, il ôtera la vie à tant d’âmes et les rassemblera sous ses pieds, que, s’il le peut, il trompera même les élus de Dieu. [74]. Il s’assujettira toutes les nations et entraînera tous les peuples dans son erreur. Ceux-ci, quand ils le verront mis à mort par le souffle de la bouche de Jésus-Christ, comprendront la vérité de ce qui avait été autrefois prédit à son sujet, et diront les paroles qui suivent dans le texte, avec le même sens que nous leur avons donné à propos du diable. Sur ce point : « Tous les peuples qui resteront, vous dépouilleront à cause du sang des hommes, et de l’impiété de la terre, de la ville et de tous ceux qui y habitaient. » Par les peuples qui resteront, il faut entendre les saints, qui n’ont pas été asservis à l’Antéchrist, et qui dépouilleront l’impie à cause de l’impiété même qu’il a exercée contre toute la terre, et de la dévastation de la cité de l’Église, et de la persécution contre tous ceux qui y ont habité. Car le ravage sera si grand, une impiété si abominable, à la fin des choses, lorsque sévira l’Antéchrist, répandra sa contagion dans les Églises, et l’iniquité du plus grand nombre s’étant multipliée, la charité se refroidira tellement, [75], que Notre-Seigneur, qui connaît les secrets des cœurs et qui n’ignore pas ce qui doit arriver, a dit : « Lorsque le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre ? » [76].

Nous pouvons aussi, conformément à la doctrine de l’apôtre Jean, qui décrit : « Comme vous avez entendu dire que l’Antéchrist doit venir, il y a maintenant plusieurs Antéchrists », [77], par où nous connaissons aussi que nous sommes à la dernière heure, entendre, par arrogants et superbes, tous les hérétiques et tous ceux dont la doctrine perverse usurpe le nom de science, qui méprisent la foi simple de l’Église, qui ne mènent rien à sa fin et mettent leur joie dans la mort d’un grand nombre. Le sens de tout ce contexte peut être tourné contre eux. Et véritablement, ils multiplient leurs rapines sur ce qui ne leur appartient pas, et pour amasser comme un pesant fardeau de boue et un écrasant collier, par où ils seront traînés aux châtiments éternels, ils dépouillent des nations sans nombre, ils répandent le sang des hommes, et ils exercent l’impiété contre l’Église et contre tous ses habitants. Mais les peuples qui restent, les champions de l’Église que n’a point séduits leur erreur, se lèveront tout à coup, ils s’éveilleront comme d’un profond sommeil, et ils les mordront, ils leur tendront des embûches et ils en feront leur proie.

Quelques auteurs pensent que les mots : « Malheur à ceux qui multiplient en leurs mains ce qui ne leur appartient point ! », etc, peuvent s’entendre des riches, qui reculent toujours les limites de ce qu’ils ont, et regardant comme biens de l’homme les choses qui n’appartiennent point à l’homme, amassent pour eux ces biens qui les quitteront tout à coup, la possession terrestre n’appartenant pas, en effet, à l’homme, c’est-à-dire à l’animal raisonnable, comme le démontrent ces paroles de Notre-Seigneur : « Si vous n’avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera le vôtre ? » et ces auteurs commentent tout ce contexte sur le personnage du riche. Mais je ne vois pas trop qu’ils puissent conserver l’ordre de la question prophétique et de sa solution.


« Malheur à celui qui amasse pour sa maison une avarice criminelle, pour avoir son nid le plus haut qu’il pourra, s’imaginant qu’il se délivrera ainsi de la main de la douleur. Vos grands desseins pour votre maison en seront la honte ; vous avez ruiné plusieurs peuples, et votre âme s’est plongée dans le péché. Mais la pierre criera contre vous du milieu de la muraille, et le bois qui est entre les jointures des édifices lui répondra. » [78]. Les Septante : « Oh ! l’homme qui multiplie pour sa maison une avarice criminelle, afin de mettre son nid le plus haut qu’il pourra, et de se soustraire à la main des maux. Vos grands desseins pour votre maison en seront la honte ; vous avez dévoré plusieurs peuples, et votre âme s’est plongée dans le péché. Mais la pierre criera du milieu de la muraille, et voilà ce que le scarabée dira du milieu du bois. » La prophétie est toujours dirigée contre le même personnage : il amasse des monceaux de maux, il ne comprend pas que la multiplication des richesses causera la ruine de sa maison. En même temps, il est accusé d’orgueil dans la métaphore qui lui reproche d’avoir placé, comme font certains oiseaux, son nid le plus haut qu’il a pu, et de s’être cru à couvert de la main de la souffrance, c’est-à-dire d’avoir cru qu’il ne tomberait jamais au pouvoir des ennemis ; dessein orgueilleux et pensée arrogante qui ont eu pour fin sa propre honte. Vous avez fait périr un grand nombre de peuples, et en mettant à mort les autres, c’est contre votre âme que vous avez sévi ; votre fureur de cruauté a été si grande que les pierres de la ville et les bois des murailles que vous avez renversées crient, pour ainsi dire, pour porter témoignage contre votre férocité.

Notre-Seigneur emploie une expression semblable contre les Pharisiens, sur leur reproche qu’il n’imposait pas silence aux enfants qui le suivaient avec cette exclamation : « Hosanna au plus haut des cieux an fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna !… quand il leur dit : « N’avez-vous jamais lu cette parole de l’Écriture : Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des petits enfants, et de ceux qui sont à la mamelle ? [79]. Et s’ils se taisent, les pierres crieront. [80]. Quoique plusieurs commentateurs interprètent ainsi ce passage : Si les Juifs se taisent, la multitude des Gentils confessera mon nom, voici néanmoins une interprétation plus énergique et plus vraie : Alors même que les hommes garderaient le silence et que la langue envieuse ne proclamerait pas la multitude de mes miracles, les pierres elles-mêmes, les fondements des murailles et les matériaux dont elles sont bâties prendraient une voix pour raconter ma grandeur, Pour éclaircir entièrement ce point, demandons des exemples à la littérature profane elle-même. Salluste s’exprime ainsi dans ses Histoires : « Les Sagontins, illustrés par leur foi et leurs malheurs, plus grands par leur glorieux suicide que d’autres par les plus rares richesses : chez eux alors encore les remparts à demi écroulés, les maisons sans toit, les murs consumés des temples racontaient aux yeux les œuvres des Carthaginois. » Cicéron emploie la même figure lorsque, dans son discours pour Marcellus, il dit à César : « J’en atteste le Dieu Fidius ! j’entends les murs de cette curie vous comblant à l’envi d’actions de grâces, parce qu’en peu de temps sera rétablie l’autorité autour des sièges de leurs ancêtres qui sont leurs sièges. » Ce que j’ai traduit par ces mots : « Et le bois qui est entre les jointures des édifices répondra, et les Septante par ceux-ci : « Et le scarabée dira cela du milieu du bois », Symmaque, selon sa coutume, l’a rendu plus simplement : « Et la jointure de bois de l’édifice dira ceci. » La traduction de Théodotion et celle de la cinquième édition concordent avec celle de Symmaque et avec la mienne ; car, en hébreu, Chaphis est le nom de la charpente de bois placée au milieu de la construction pour relier entre elles les différentes parties d’un mur, charpente que les Grecs appellent imantosis. Le sens littéral de ce passage est donc celui-ci : Les pierres des murs que vous avez détruits et les bois de ces murs que vous avez incendiés rappelleront votre cruauté. Outre les cinq éditions, Aquila, Symmaque, les Septante, Théodotion et la cinquième, j’en ai découvert doux autres sur les douze Prophètes, dont l’une porte : « Mais la pierre criera du milieu du mur comme le ver qui parle dans le bois », et l’autre : « La pierre poussera de hauts cris du milieu du mur, et le ver dira cela du milieu du bois. » Aquila, en outre, diffère quelque peu de ma traduction ; il a mis : « Et la masse répondra du milieu du bois. » Ce que signifient ces interprétations, je vais le dire dans le commentaire de la version des Septante.

Les Septante remplace la menace « Malheur à », par la formule d’apostrophe ô. La parole prophétique s’adresse, soit au diable, soit à l’Antéchrist, soit aux hérétiques qui multiplient en leurs trésors une avarice criminelle. Leur avarice est qualifiée de criminelle, pour la distinguer de la bonne, comme est celle d’un docteur de l’Église que la multitude toujours croissante des sectateurs ne rassasie pas, et qui a d’autant plus de zélé pour la propagation de la vraie doctrine qu’il a plus de disciples. Malheur donc à celui qui multiplie autour de lui les fruits d’une avarice criminelle, en rassemblant des conciliabules d’iniquité pour sa maison, et qui place son nid aussi haut qu’il peut, dans l’espoir d’échapper à la main des maux. Et, en effet, tant le diable que l’Antéchrist et les hérétiques promettent à ceux qui recevront leurs enseignements, qu’ils posséderont un jour la félicité et le royaume des deux, et qu’ils seront à couvert des flammes de la géhenne. Mais, par cela même qu’ils font ces promesses, leur dessein ne pourra arriver à son accomplissement ; il sera un dessein tournant à la confusion et à l’ignominie de leur maison : quand l’issue même des événements, aura montré la fausseté de leurs promesses, il sera bien prouvé que leur conseil était un conseil de honte, et non pas le salut. Le docteur de mensonge, j’y insiste, a dévoré un grand nombre de peuples, et plus il en a entraînés à sa suite, plus il a péché contre son âme. Enfin, les pierres de son Église et le scarabée du milieu du bois crieront contre l’avarice de cet orgueilleux, parce que son langage persuasive a trompé toutes les nations. Par pierres, nous pouvons entendre les cœurs stupides de ceux qui croient aux doctrines des hérétiques, et par scarabée du bois, tout maître pervers qui, s’attribuant la prédication de la croix en vue d’un gain honteux, parle de l’abondance de son ventre. Car le ventre est le Dieu de ces gens-là, et ils font tout pour se rassasier de ces mets rares qui se réduisent en excréments – le scarabée vit au sein des excréments ; – ils ne prennent la croix que pour ériger en doctrine, avec leur langue de vipère, l’avarice et l’orgueil du diable, leur maître. Si l’on voit quelque hérétique débiter contre l’Église des inepties ayant l’apparente profondeur de mystères, et mettre la maison du diable au-dessus de celle de Jésus-Christ, on peut dire : « La pierre crie du milieu du mur, et le scarabée parle du milieu du bois. » J’ai lu quelque part que le scarabée doit s’entendre des hérétiques, parce que leurs doctrines sont semblables à du fumier. Aussi l’Apôtre dit-il qu’il regarde comme des ordures, c’est-à-dire des excréments, les erreurs de l’ancienne doctrine. \rg Philipp. iii\rg*. Ce n’est pas, comme le pensent les Manichéens, que l’ancienne loi lui paraisse une ordure en comparaison de l’Évangile, ce qu’on ne peut prétendre sans impiété, puisque l’un et l’autre Testament est de Dieu ; ce sont les doctrines des Pharisiens, et les préceptes des hommes, et les Deutéroses des Juifs, que l’Apôtre appelle des ordures. Je sais qu’un de nos frères a interprété la pierre, qui a crié du milieu du mur, en Notre-Seigneur et Sauveur, et le scarabée parlant du sein du bois, dans le larron qui blasphéma contre le Seigneur ; bien que cette opinion soit conforme à la piété, je ne vois pas comment on la peut adopter avec tout le contexte de la prophétie. Quelques-uns avancent même que le scarabée parlant du sein du bois peut se rapporter aussi à la personne du Sauveur, – opinion que l’ordre seul du discours convainc d’impiété, « Le scarabée dira cela du sein du bois, « s’entend, non en bonne part, mais en mauvaise part, c’est-à-dire qu’il enseignera l’avarice criminelle de celui qui multiplie les causes de ruine de sa maison et de confusion pour le diable, et tout ce qui vient d’être énoncé au sujet de son iniquité et de ses crimes. Dans ce que dit Aquila : « Et la masse répondra du sein du bois », il faut rattacher cette masse au sens de ce précepte établi par Notre-Seigneur dans l’Évangile : « Gardez-vous du levain des Pharisiens ; [81] ; et comme les Apôtres étaient en suspens, ne sachant pas bien de quoi il s’agissait là, l’Évangéliste en donne l’explication : « Il leur avait dit de se garder de la doctrine des Pharisiens. » Il est donc vrai que la doctrine des hérétiques parle du sein du bois ; car ils ne peuvent arriver à persuader qu’en recouvrant leur perversité du masque glorieux de la croix. Quant à ces deux traductions : « La pierre criera du milieu de la muraille comme le ver qui parle dans le bois », ou bien, « la pierre poussera les hauts cris du milieu du mur, et le ver tiendra ce langage du sein du bois », certains des nôtres avancent que ce ver qui parle dans le bois est celui qui dit dans le Psaume : « Pour moi, je suis un ver de terre, et non un homme », [82], et à la personne duquel on rapporte la figure de l’oiseau dans ce témoignage : « Je suis devenu comme le passereau solitaire sur un toit », [83], et les autres exemples semblables.


« Malheur à celui qui bâtit une ville du sang des hommes et qui en prépare les matériaux dans l’iniquité ! Ne serait-ce pas le Seigneur des armées qui fera ceci ? Tous les travaux des peuples seront consumés par le feu, et les efforts des nations seront réduits à néant, parce que la terre sera remplie de la gloire du Seigneur comme le fond de la mer est couvert de ses eaux, afin que tous connaissent cette gloire. » [84]. Les Septante : « Malheur à celui qui bâtit une ville du sang des hommes et qui en prépare les matériaux dans les iniquités ! Est-ce que de telles œuvres viennent du Seigneur tout-puissant ? Et beaucoup de peuples sont tombés dans le feu, et des nations en grand nombre ont été resserrées à l’étroit, parce que la terre sera remplie, afin qu’elle connaisse la gloire du Seigneur qui la couvrira comme une eau qui couvrirait les mers. » Il n’y a doute pour personne, le discours prophétique, selon le sens littéral, est encore dirigé contre Nabuchodonosor : il le plaint de bâtir Babylone avec le sang des hommes, et d’en construire les murailles avec la ruine et la mort de plusieurs. Ce roi, pour avoir construit la ville avec le sang des hommes, entend les paroles menaçantes que le Seigneur prononce, ensuite, puisque le texte continue : « Ne sera-ce point le Dieu des armées qui fera ceci ? » c’est-à-dire, ce qui va être annoncé – « Tous les travaux des peuples seront consumés par le feu, et les efforts des nations seront vains ; » Babylone incendiée, les travaux et les efforts des peuples seront vains et de nul effet, et les peuples de la nation chaldéenne succomberont, parce que la terre sera remplie, afin qu’elle connaisse la gloire du Seigneur ; c’est-à-dire, après que Babylone aura été renversée, la puissance de la vertu de Dieu deviendra évidente pour tous, comme les eaux qui couvrent la mer ; la gloire du Seigneur remplira toute la terre, comme les eaux remplissent le lit et couvrent le fond de la mer. Voilà ce qui a trait au sens littéral.

D’autre part, il est manifeste que le diable, l’Antéchrist et la doctrine perverse des hérétiques bâtissent une nouvelle ville dans le sang des hommes, c’est-à-dire leur église, dans la perte de ceux qu’ils ont trompés, et qu’ils préparent leurs villes dans les iniquités, proférant l’iniquité contre Dieu, et portant leur front aussi haut qu’ils peuvent. Dès qu’ils agissent ainsi, il suit de là clairement que c’est d’après leurs seuls desseins qu’ils bâtissent leur ville dans le sang et qu’ils en préparent les matériaux dans les iniquités. Aussi le texte poursuit-il ainsi : « Sont-ce là des œuvres du Seigneur tout-puissant ? » une telle construction n’a rien de commun avec le Seigneur des armées, les Septante traduisant ici Sabaoth par tout-puissant. Et, en effet, beaucoup de peuples succomberont, et quoique des nations innombrables soient entraînées dans leur erreur, toutefois, ou ils tomberont dans le découragement, ce qui est plutôt le sens de ὀλιγοφύκησαν, ou certainement ils seront réduits à un petit nombre, qu’on ne pourra comparer à la multitude des enfants de l’Église. Après qu’ils auront succombé dans le feu, c’est-à-dire, ou bien après qu’ils auront été consumés par le feu du diable, leur maître, ou bien après qu’ils auront été embrasés du feu de Notre-Seigneur, dont il a dit lui-mème : « Je suis venu pour jeter le feu sur la terre, et tout mon désir est qu’elle brûle », [85], qu’ils auront quitté leurs anciennes voies, pour faire pénitence et entrer de la voie large dans la voie étroite, ce que donne à entendre oligo psuchia toute la terre sera remplie de la gloire du Seigneur, lorsque, par la prédication des Apôtres, leur bruit se sera répandu dans toute la terre,[86] comme des eaux couvrant la mer, c’est-à-dire, afin que les eaux du Seigneur recouvrent tout le sel et toute l’amertume du monde, dont la pluie du diable avait arrosé la terre, qui s’en était pénétrée, et qu’elles fassent disparaître la place de la mer et de l’amertume d’autrefois. De là le langage du Psaume : « Heureux ceux à qui les iniquités ont été remises et dont les péchés sont couverts ! » [87].

On peut aussi, bien que cette explication ne s’adapte pas à toute la prophétie, et qu’elle n’ajoute aucune clarté au texte actuel de l’Écriture, entendre ce texte contre Jérusalem, ville pleine du sang des Prophètes, et dont l’Évangile rapporte,[88] que le sang des saints y a regorgé depuis une porte jusqu’à l’autre porte. C’est elle qui dit au Seigneur dans la Passion : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ![89]. C’est à elle que le Seigneur a dit dans Isaïe : « Lorsque vous élèverez vos mains vers moi, je ne vous exaucerai point, parce que vos mains sont pleines de sang. » [90]. Elle est bâtie dans les iniquités, puisque, d’après le même Prophète, la justice y est plongée dans le sommeil, et sa construction n’est pas l’œuvre du Seigneur des armées. Aussi plusieurs peuples périrent-ils dans le feu et de nombreuses nations succombèrent-elles de lassitude, au temps où elle fut entourée par les armées de Vespasien et de Titus, où, le jour solennel de la Pâque venu, ses habitants furent enfermés dans ses murs comme dans une prison ; ils succombèrent à la famine et à toutes les privations, et ce siège terrible les mena jusqu’à la ruine extrême de la ville par Adrien. Or, après que la ville bâtie dans le meurtre et dans les iniquités eut été renversée, que àes habitants eurent été la proie des flammes, et que les nations qui étaient venues à son secours eurent été dispersées de toutes parts, et eurent laissé retomber leurs mains d’abattement, toute la terre fut remplie de la gloire de Jésus-Christ, et ses paroles et sa doctrine couvrirent le monde entier comme une nappe d’eau.


« Malheur à celui qui mêle le fiel au breuvage qu’il donne à son ami, et qui l’enivre pour voir sa nudité ! Il est rempli d’ignominie au lieu de gloire. Buvez aussi vous-même, et soyez frappé d’assoupissement. Le calice que vous recevrez de la main du Seigneur vous entourera de maux, et toute votre gloire se terminera dans un avilissant vomissement. Caries iniquités que vous avez commises sur le Liban vous couvriront ; vos peuples seront épouvantés des ravages de vos ennemis, semblables à des bêtes farouches, en représailles du carnage des hommes et de l’injustice commise contre la terre, et la ville et tous ceux qui y habitaient. » [91] Les Septante : « Malheur à celui qui verse à boire à son prochain, pour le renverser, un mélange trouble, et qui l’enivre, afin de le voir de nouveau dans sa caverne ! Déchu de la gloire, 'buvez, vous aussi, la honte jusqu’à la lie, et soyez ébranlé. La coupe que tient la main du Seigneur vous a circonvenu, et toutes les ignominies ont été réunies sur votre gloire. L’impiété du Liban vous couvrira, et l’état calamiteux des bêtes vous effraiera, à cause du sang des hommes et des impiétés de la terre et la ville, et de tous ceux qui y habitaient. » Au lieu des mots : « Pour le renverser, un breuvage trouble », Symmaque a dit : « Et qui déchaîne sans jugement sa fureur ; » Théodotion : « De l’écoulement de votre fureur ; » la cinquième édition : « Du renversement inattendu de votre colère ; » Aquila : « De l’émission de votre fureur. » Dans une autre édition, j’ai trouvé : « Malheur à celui qui donne à boire à son ami le tourbillon qui vole ; » et ailleurs encore, cette traduction : « Malheur à celui qui donne à boire à son prochain la démence trouble. » Je fais ces remarques, afin qu’on puisse savoir combien, sur le mot hébreu Maspha, que les Septante ont traduit par « renversement », il y a discordance entre toutes les éditions.

La prophétie s’élève toujours contre Nabuchodonosor, parce qu’oublieux de sa condition et comme s’il ignorait qu’il est homme, il a versé à boire à autrui le fiel et l’amertume. Nous pouvons entendre par ami, ou le roi de Juda, ou tout autre homme en général, en ce que Nabuchodonosor les enivra de maux, afin de voir la nudité de Sédécias et de tous les captifs ; au lieu de cela, voici la traduction de Symmaque et de la cinquième édition : « Afin de voir leurs ignominies. » Cette métaphore de l’homme ivre et dégradé par la nudité, signifie que Nabuchodonosor enivra tous les Juifs à la coupe de sa fureur, qu’il les vit tous dépouillés et captifs, et que ceux-ci, après avoir été autrefois comblés de gloire, furent réduits à la plus dure des servitudes ; car c’est bien là ce que dit le texte : « Il est rempli d’ignominie au lieu de gloire », en sous-entendant l’ami et le prochain, ou bien le collègue en royauté, qui a bu à ta coupe, ô Nabuchodonosor. Par conséquent, puisque vous en avez enivré plusieurs, buvez, vous aussi, à la coupe du Seigneur, et soyez frappé d’engourdissement : vous allez être circonvenu par les supplices qu’enverra la main du Seigneur, vous aurez la honte de rejeter comme dans un vomissement toutes les richesses que vous avez englouties, et du faîte de votre gloire vous serez précipité dans les derniers des maux. « Car l’iniquité envers le Liban vous couvrira ;» votre orgueil, le renversement du temple et le dépouillement du sanctuaire causeront votre extermination et votre ruine. Et comme le texte venait d’employer le mot de Liban, sous la même métaphore, il compare à des animaux ou bêtes les victimes et les sacrifices, on assurément la multitude des habitants qui ont été massacrés dans Jérusalem : « Et la dévastation des animaux causera votre écrasement. « Tous ces maux, vous les souffrirez, parce que vous avez ravagé Juda et ruiné la terre promise et la ville do Jérusalem avec tous ses habitants.

J’ai connu, à Lidda, un docteur hébreu, regardé parmi les Juifs comme savant deutérote ; voici à peu près quelle fable il racontait : Sédécias, après avoir eu les yeux arrachés à Reblatha, c’est-à-dire à Antioche, par ordre de Nabuchodonosor, et avoir servi de jouet en diverses manières, fut conduit à Babylone. [92]. Là, un jour que Nabuchodonosor faisait un festin en grande pompe, il ordonna qu’on versât à Sédécias un breuvage préparé pour amener un flux du ventre chez celui qui le boirait. Sédécias, aussitôt amené en présence des convives, ne put mettre un frein à la nécessité corporelle qui lui faisait violence, et il se souilla de ses propres excréments. C’est là, ajoutait notre docteur, ce que dit ici l’Écriture : « Malheur à celui qui verse à boire à son ami un breuvage où il a mêlé son fiel, et qui l’enivre pour se donner en spectacle sa nudité et l’ignominie qui a remplacé la gloire ; » par quoi elle reproche à Nabuchodonosor d’avoir fait descendre à une telle dégradation un homme qui avait été un roi très-puissant. Aussi Dieu fait-il à Nabuchodonosor la menace qu’il boira un breuvage de cette sorte, et qu’il endurera tous les maux qu’a soufferts Sédécias. Combien cette fable est ridicule ; on le voit, sans que j’aie besoin d’y insister. Puisque ce qui suit : « Buvez vous-même et soyez frappé d’engourdissement car la coupe que tient la main du Seigneur va vous enivrer, et vous effacerez votre gloire sous un vomissement plein d’ignominie », ils l’entendent, non d’une coupe, mais des maux qui frapperont Nabuchodonosor, il faut évidemment voir dans la coupe qu’on a fait boire à Sédécias le symbole, de ses maux, et non pas, comme ils le veulent, un breuvage préparé. S’ils prétendent, d’autre part, que le fait est authentique, et que Sédécias but une potion préparée d’avance, comme je l’ai rapporté, évidemment, il faut croire aussi que la coupe où devait boire Nabuchodonosor est pleine d’un breuvage purgatif, de sorte que le Dieu des armées, le Seigneur tout-puissant, verse réellement à boire à Sédécias, et fasse qu’il se souille de ses propres excréments. Voilà contre la tradition juive. Venons maintenant au sens spirituel.

Malheur à vous, diable, ou Antéchrist, ou doctrine perverse des hérétiques, qui enivrez les peuples trompés du breuvage trouble de vos enseignements, et qui renversez la foi, primitive, en leur donnant à boire des eaux, non pas de Siloé, ni du Jourdain, ni des sources d’Israël, mais du torrent de Cédron et fleuve d’Égypte, dont Jérémie a dit : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et l’Égypte, pour que vous buviez l’eau de Géon ? » [93], mot qui correspond dans le texte hébreu à Sior, c’est-à-dire « trouble » et « bouleversement. » Bien qu’on croie que les fleuves de l’Égypte sortent du paradis des Écritures, toutefois, parce qu’ils sont foulés aux pieds de Pharaon, ils ont perdu leur splendeur, la boue de l’Égypte a terni leur pureté, et ils se sont changés en des torrents, auxquels le Saint se félicite d’avoir échappé : « Notre âme a traversé le torrent. » [94]. – Mais Élie, objecter a-t-on, a bu au torrent de Corath,[95] et Notre-Seigneur a bu de l’eau d’un autre torrent dans le chemin, puisque l’Écriture dit : « Il boira do l’eau du torrent dans le chemin. » [96]. – Quiconque, répondrai-je, est en Égypte et sera sur le chemin de ce monde, serait-il Moïse ou Aaron, serait-il Jérémie ou Élie, boira nécessairement de l’eau des épreuves de l’Égypte et du désert. Aussi Notre-Seigneur, qui s’était revêtu de la chair, afin de boire de l’eau du torrent, dit-il d’abord, en considération de sa propre majesté : « Mon Père, s’il est possible que ce calice s’éloigne de moi ; » [97] ; mais se souvenant ensuite qu’il est en Égypte, et que les eaux ne peuvent être purifiées, à moins qu’il n’en ait bu lui-même, il reprend : « Néanmoins, qu’il en soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez. » [98].

Il en est ainsi, parce que le diable enivre le prochain, c’est-à-dire l’animal raisonnable, par la subversion des choses et le breuvage trouble de sa coupe, en lui versant des doctrines perverses, et qu’il fait que ses dupes, regardent en arrière, vers le fond de ses cavernes. Les enseignements de l’Église sont libres, et ils aiment le jour et la pleine lumière, « tandis que ceux qui s’enivrent, s’enivrent dans la nuit », [99], et ceux qui les enivrent les conduisent, non point dans les parvis du Seigneur, que des toits n’obscurcissent pas de leur ombre, mais dans des cavernes. Et en effet, de la maison du Père, qui avait été une maison de prière, ils ont fait des cavernes de voleurs,[100] avec la promesse de certaines initiations, de mystères et de secrets connus des hérétiques seuls. C’est d’eux qu’Isaïe parle en ces termes : « Ils cacheront les idoles, ouvrages de leurs mains, en les emportant dans les cavernes, dans les fissures des pierres et dans les ouvertures de la terre. » [101]. N’entrons donc point dans les cavernes des hérétiques, n’entrons pas dans ce lieu où l’impie Saül dépose d’habitude les excréments de ses doctrines ; [102] ; montons plutôt jusqu’à la haute caverne du mont Sina, où Élie vit le Seigneur,[103] où Moïse la contempla par-derrière,[104] et au sujet de laquelle Isaïe s’écriait : « La Juste habitera dans la caverne élevée. » [105]. Quant à celui qui, sans avoir la coupe au breuvage trouble et la doctrine hérétique, étant maître parmi les fidèles, fait tout en vue d’un gain honteux, qui vend les colombes, c’est-à-dire les dons du Saint-Esprit dans le temple, et qui étouffe les oiseaux libres dans sa chaire de prêtre il ne change pas, il est vrai, la maison de la prière en une caverne de voleurs, mais il fait de la maison du Père une maison de vendeurs.

La prophétie poursuit ensuite : « Déchu de la gloire, buvez, vous aussi, la honte jusqu’à la lie, et soyez ébranlé », c’est-à-dire, ô diable, ô doctrine perverse, ô hérétique, qui vous flattiez d’être une coupe d’or, où s’enivreraient toutes les nations pour voir vos cavernes et vos secrets, au lieu de cette grande gloire que vous attendiez, gorgez-vous d’ignominie, et qu’on ne voie en vous qu’un vase d’argile, ouvrage des mains du potier ; buvez, vous aussi, à la coupe du Seigneur, dont il est dit dans le psaume : « Le Seigneur tient en sa main une coupe de vin pur pleine d’amertume, et quoiqu’il en verse tantôt à l’un et tantôt à l’autre, la lie n’en est pourtant point encore épuisée. » [106]. Soyez ébranlé dans votre opinion de la veille, et détrompez-vous de la croyance qu’il y ait quelque fermeté et quelque stabilité dans les dogmes sur lesquels vous désiriez vous affermir auparavant ; car la coupe que tient la main du Seigneur va vous faire chanceler de toutes parts. Vous avez fait boire à votre prochain son renversement dans votre breuvage trouble ; c’est pourquoi l’ignominie va être amassée sur vous et sur la gloire que vous vous flattiez d’abord de posséder. Vous souffrirez cet avilissement, parce que l’impiété de votre Liban vous couvrira, selon la maxime du psaume : « Sa prière même lui sera imputée à péché. » [107]. Le mot Liban est homonyme d’encens, et l’encens est le symbole de la bonne odeur spirituelle, qui est le culte de Dieu. Par conséquent, la prière perverse des hérétiques, qui ne suit pas la règle droite de la simplicité évangélique, leur sera imputée à péché, et leur culte impie de Dieu retombera sur eux. De là ce qui suit : « Et le misérable état des bêtes vous effraiera, à cause du sang des hommes versé, et des impiétés de la terre et de la ville et de tous ceux qui y habitent. » Le sens est celui-ci : Lorsque vous verrez que ceux que vous avez trompés par vos fraudes et que vous avez changés de brebis de Jésus-Christ en vos bêtes, sont dans l’affliction et en proie aux supplices à cause de leur égarement, vous serez dans l’épouvante et dans l’abattement. Pour qu’on ne pense pas d’ailleurs qu’ayant nommé le Liban et ses bêtes, le texte parle des brutes, et non pas des hommes, il ajoute très-clairement : Vous endurerez ces maux, parce que vous avez répandu le sang d’un grand nombre d’hommes que vous avez fait mourir pour Dieu. Vous avez exercé votre impiété sur la terre des vivants, sur la terre des hommes de paix, et votre impiété a sévi aussi dans la ville du Seigneur, c’est-à-dire dans son Église, en ce que vous avez fait participer à votre impiété beaucoup de ceux qui y habitaient. La prophétie, on le voit, s’applique exactement aux hérétiques.

La prophétie, d’autre part, s’applique également bien à l’Antéchrist, ou au diable, qui opère dans l’Antéchrist. Celui-ci aussi, au moyen de sa coupe, par où il désire renverser la discipline de Jésus-Christ, enivrera bien des hommes, afin que, dans leur ivresse, ils entrent dans ses cavernes ; mais, quand la fin sera venue, au lieu de cette gloire dont il s’était enorgueilli, il sera rempli d’ignominie. Il en sera rempli, parce qu’il boira la coupe des supplices, et il sera ébranlé ; il sera, bien loin d’être ferme dans sa malice, tremblant et pris d’un repentir tardif. C’est qu’il sera circonvenu par la coupe du Seigneur, qui est notre Seigneur et Sauveur, lorsqu’il le mettra à mort du souffle de sa bouche, et qu’il le détruira par la clarté de son avènement. Alors, toute l’ignominie qu’il a amassée contre lui par ses pensées, par ses actions et par ses paroles, se répandra sur sa gloire, en sorte qu’autant il était auparavant regardé comme noble, autant il sera ensuite couvert d’ignominie ; car il a blasphémé contre Dieu, l’impiété qu’il a exercée sur le Liban retombera sur lui, et la fureur de tant d’hommes qui ont tenu une conduite criminelle contre l’Église lui sera imputée. Il ne pourra plus alors lever un front orgueilleux, et, frappé de terreur, il le courbera vers la terre ; car il a mis à mort un grand nombre d’hommes, et son impiété a porté le ravage dans tout l’univers, c’est-à-dire dans l’Église de Jésus-Christ et parmi ses habitants.

Une remarque qui a sa place ici, c’est que le texte que je viens de commenter : « Malheur à celui qui donne à boire à son prochain son renversement dans an breuvage trouble », et les trois précédents où il est dit : « Malheur à celui qui multiplie dans ses trésors ce qui ne lui appartient pas », et ensuite : « Malheur à celui qui amasse l’avarice criminelle pour sa maison », et enfin : « Malheur à celui qui bâtit mie ville dans le meurtre », sont dirigés, soit selon la lettre, soit selon l’esprit, ou contre Nabuchodonosor, ou également contre le diable et contre 3’Antéchrist et contre les hérétiques.


« Que sert la statue au sculpteur qui l’a faite ou l’image fausse qui se jette en fonte ? et néanmoins l’ouvrier espère en son propre ouvrage et dans l’idole muette qu’il a formée. » [108]. Les Septante : « Que sert la statue à ceux qui font sculptée ? que sert d’avoir formé en fonte une image fausse ? et néanmoins l’ouvrier met sa confiance dans son propre ouvrage et dans l’idole muette qu’il a faite. » Comme conséquence de ce qui précède, il est reproché à Nabuchodonosor d’avoir fabriqué la statue de l’idole Bel, et de l’avoir fait dresser dans la plaine de Dura, ou, comme l’écrit Daniel, de Dora, événement sur lequel ce Prophète nous édifie pleinement. [109]. L’Écriture s’étonne donc de la sottise et de la folie de ce roi qui a ordonné de fabriquer une statue d’or, et qui met sa confiance dans l’idole qu’il a fait faire ; ce qui, du reste, peut s’appliquer en général à tous les adorateurs d’idoles. Et qu’on ne croie pas que ce qui est sculpté et ce qui est coulé en fonte soit une seule et même chose : les sculptures s’entendent des images en pierre et en marbre, tandis que les images moulées sont celles qui se font avec des métaux qui se peuvent fondre et couler au moule, comme avec de l’or, de l’argent, de l’airain, du plomb, de l’étain. Je donne cette explication, afin qu’on puisse saisir la nuance qu’il y a, au figuré, entre la sculpture et la fonte.

On lit dans le Deutéronome : « Maudit tout homme qui a fait une sculpture et une fonte, ouvrage des mains d’un artiste, et qui a posé cette image dans le secret. » [110]. J’estime que cette sculpture et cette fonte, ce sont les doctrines mensongères, qui sont adorées par ceux qui les ont faites. Voyez Arius : il fit d’une créature une idole sculptée, et il adora ce qu’il avait sculpté. Songez à Eunome : il coula en fonte une image fausse, et il courba la tête devant cette image qu’il avait fondue* L’expression de l’Écriture : « Et qui placera son ouvrage dans le secret », est significative ; car ils ont, eux aussi, leurs mystères, et comme pour certains disciples parfaits, ils transmettent par tradition des sacrements cachés qui, s’ils sont produits en pleine lumière, sont aussitôt convaincus de fausseté. Leurs simulacres sculptés et moulés en fonte ne leur serviront donc de rien. La sculpture, qui a trait aux pierres, s’entend de ces systèmes dont la sottise apparaît à première vue. La fonte est là où il semble y avoir quelque logique de la sagesse mondaine, et où, comme avec de l’or, une idole a été fondue avec les doctrines des philosophes, resplendissantes d’éloquence. L’ouvrage ne servira donc de rien à son ouvrier ; cette image muette et sourde ne peut entendre celui qui l’adore. S’il arrive de voir un homme qui ne veut pas croire à la vérité, et qui, après que la fausseté de ses croyances a été démontrée, persévère dans le système qui le passionne, on peut dire de lui, en toute justice : Il espère dans l’ouvrage de ses mains, et il se fait des idoles muettes ou sourdes ; car Kôpha, en grec, a l’un et l’autre sens, bien que Symmaque, en traduisant par alala, semble avoir entendu muettes plutôt que sourdes. Enfin, qu’on ne s’émeuve pas de cet idiome des Écritures : « À quoi sert…? a au sujet duquel nous avons expliqué en plusieurs endroits : « Quel est, à votre avis, le dispensateur fidèle et prudent…? » [111], et encore : « Quel est l’homme assez sage pour comprendre ces choses… ? » [112], que quel ou quoi ont le sens de rarement, puisque nous pouvons encore prouver par un autre exemple qu’ils marquent aussi l’impossibilité : « Qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ ? sera-ce l’affliction ou la persécution ? », etc. [113], comme dans le texte actuel : « Que sert la statue au sculpteur qui l’a faite ? » Dans l’un et l’autre cas, il y a impossibilité évidente : ni aucune tribulation et aucune persécution ne pourra séparer F Apôtre de l’amour de Jésus-Christ, ni les idoles ne peuvent être d’aucune utilité.

« Malheur à celui qui dit au bois : Réveillez-vous, et à la pierre muette : Levez-vous ! Cette pierre pourra-t-elle lui apprendre quelque chose ? Elle est couverte au-dehors d’or et d’argent, et elle est au-dedans sans aucun esprit. Mais le Seigneur habite dans son temple saint ; que toute la terre demeure en silence devant lui. » [114]. Les Septante : « Malheur à celui qui dit au bois : Réveillez-vous et tenez-vous debout, et à la pierre : Levez-vous ! Cette idole n’est qu’une vaine image, un produit de l’or et de l’argent, et il n’y a en elle aucun esprit. Mais le Seigneur habite dans son temple saint ; toute la terre est sans aucun voile devant sa face. » Ceci encore peut s’entendre également, soit contre Nabuchodonosor, soit contre tous ceux qui adorent les idoles. La prophétie flétrit la sottise des hommes, qui regardent comme des dieux les idoles à cause de l’éclat matériel de l’or, de l’argent, des pierreries et de la soie dont elle sont enveloppées ou recouvertes, alors que l’ouvrier peut leur donner sans doute la beauté, mais est impuissant à leur donner l’âme, par qui les membres vivent ; tandis que le Seigneur, ajoute-t-elle, habite dans son temple saint : non pas dans un temple ouvrage de la main des hommes, mais dans les cieux ; ou bien dans chacun des saints, conformément à l’enseignement de l’Apôtre ; « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » [115]… « Vos corps sont le temple de Dieu ; » [116] ; ou encore dans le Fils, comme celui-ci l’a dit lui-môme : « Mon Père qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais ; » [117] ; ou certainement en ce sens que « l’esprit nourrit intérieurement » les cieux, les terres, les mers et l’univers entier ; « que sa pensée, répandue dans tous les ressorts, fait mouvoir toute la masse et se mêle à ce corps immense », et que le monde entier, ensemble du ciel et de la terre, enfermé dans les cercles des cieux, est évidemment la demeure de Dieu. De là cette confiante affirmation de l’Apôtre : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. » [118].

Objectera-t-on d’où vient qu’il est dit ici qu’il n’y a pas d’esprit dans les idoles, alors que des esprits impurs résident auprès de tous ces simulacres ? Qu’on prenne garde à la coutume de l’Écriture sainte de ne jamais désigner l’esprit du mal par le mot esprit tout court ; elle y ajoute toujours un correctif, comme en cet exemple : « Ils sont séduits par l’esprit de fornication ; » [119] ; et dans l’Évangile : « Lorsque l’esprit impur sera sorti d’un homme », [120], et les autres passages du même genre. Le mot « esprit », partout où il se trouve seul et employé absolument sans aucun qualificatif, s’entend toujours en bonne part, c’est-à-dire de l’Esprit-Saint, comme dans ces exemples de l’Apôtre : « Celui qui sème dans l’Esprit, recueillera de l’Esprit la vie éternelle. » Gal. 6, 8… « Le fruit de l’Esprit est la charité, la joie, la paix. » Gal. 5, 22… « Marchez selon l’Esprit et vous n’accomplirez point les désirs de la chair. » Ibid 16. Ce n’est pas à dire que l’Esprit-Saint ne se trouve pas aussi dans les Écritures avec une épithète, puisqu’il y est appelé Esprit saint, Esprit principal, Esprit droit, Esprit de Dieu, et autres appellations semblables ; mais l’Esprit-Saint se trouve souvent désigné par le mot « esprit » suivi d’un attribut et par ce mot seul, tandis que l’esprit malin est partout désigné par le mot « esprit » suivi d’une épithète.

Du reste, si l’on pousse la rage de contester jusqu’à vouloir qu’il soit question ici de l’esprit du mal, on peut observer qu’autre chose est que le texte ait dit : « Il n’y a aucun esprit dans ce simulacre ; » que s’il eût dit : « Il n’y a aucun esprit auprès de lui ; » car il peut être constamment auprès, mais il ne peut jamais être au-dedans des idoles. De là cette traduction plus expressive qu’Aquila donne de l’hébreu : « Et son esprit n’est pas dans ses entrailles », ou « au milieu de lui », je veux dire de ce simulacre. J’ajoute que certains exemplaires hébreux ne portent pas l’addition « aucun », mais le mot « esprit » tout court. Or, que celui qui, vaincu par la raison, entend ici esprit en bonne part, et se demande pourquoi, dès qu’il est question de l’Esprit-Saint, l’Écriture dit avec une addition : « Et aucun esprit n’est en lui », sache que « aucun esprit » a trait aux diverses grâces de l’Esprit-Saint, en sorte que voici le sens : Il ne pourra avoir en lui rien de la grâce, aucune vertu. Ceci, d’ailleurs, s’entend mieux dans le sens figuré, en ce qu’il n’y a rien de la grâce de l’Esprit-Saint dans aucune idole des hérétiques et dans aucune invention du diable ; elles semblent porter l’image de la divinité et la beauté du vrai, quand il n’y a en elles aucun souffle, rien de vivant. Ajoutons encore, pour ne point paraître cacher au lecteur ce que nous savons, qu’esprit et vent se disent en hébreu l’un et l’autre hua, et que, selon le sens de la phrase, ce mot signifie esprit ou vent. Par conséquent, dans ce passage, nous pouvons même lui donner l’acception de « souffle », puisque les idoles sont inanimées. Pour ce qui est de l’acception d’âme donnée au mot esprit, cette parole du Sauveur en est une preuve irrécusable : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. » Luc. 23, 46. Il ne pouvait se faire, en effet, que. Jésus remît entre les mains du Père, ou un esprit mauvais – ce dont on ne saurait avoir la pensée sans commettre un sacrilège, – ou l’Esprit-Saint, qui est Dieu lui-même ; il lui remettait assurément son âme, dont il avait dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » Mat. 26, 38 ; Mrc. 14, 54… « Personne ne peut me ravir mon âme ; mais c’est moi qui quitte de moi-même ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre. » Jn. 10, 17-18.

LIVRE II[modifier]

J’écris, mon cher Cromatius, père vénérable, un second livre sur Habacuc, consacrant un opuscule à part à, son cantique, et abordant de toutes mes forces cette œuvre épique, composée à la manière des psaumes, c’est-à-dire d’un chant lyrique. Que l’hydre fasse entendre ses sifflements, et que Sardanapale, dont le nom couvert d’infamie ne rappelle qu’imparfaitement (d’après Cicéron) tout ce que ses vices avaient d’infâme, se répande en insulte contre nous ; continuons à marcher dans la voie où nous sommes entrés, et avec Laide de vos prières à vous, dont la vertu a triomphé de la chair, commentons cette prophétie des plus évidentes, touchant Jésus-Christ, dans le huitième Prophète, c’est-à-dire dans le nombre qui est le symbole de la résurrection de Notre-Seigneur.

« Prière du prophète Habacuc pour les ignorances. » Les Septante : « Prière du prophète Habacuc avec le cantique. » Aquila, Symmaque et la cinquième édition ont traduit comme moi : « Pour, les ignorances ; » Théodotion seul a dit : « Pour les fautes volontaires » ou « pour ceux qui pèchent d’eux-mêmes. » Je dis ceci pour qu’on voie qu’aucun traducteur, à l’exception des Septante, n’a écrit : « Prière avec le cantique. » Or, l’hébreu porte al segionotii, qui répond bien à notre traduction « pour les ignorances. » Voici le sens : Il avait d’abord tenu ce langage téméraire : « Jusques à quand, Seigneur, crierai-je vers vous, sans que vous m’écoutiez ? et pousserai-je des cris vers vous, dans la violence que je souffre, sans que vous me sauviez ? » et ensuite, dans la seconde plainte : « Pourquoi ne tournez-vous point vos regards contre ceux qui commettent les iniquités, et gardez-vous le silence, pendant que l’impie dévore celui qui est plus juste que lui ? » A cela, il lui avait été répondu : Écrivez ce que vous voyez, être tracez-le lisiblement sur des tablettes ; et à la fin de ce préambule : « Celui qui est incrédule n’a point l’âme droite ; mais le juste vivra de sa foi. » Après quoi, il avait appris que, soit Nabuchodonosor, soit le diable, soit l’Antéchrist avait été établi pour le jugement des pécheurs, et qu’il avait été fait fort pour le châtiment des nations. Maintenant, il fait pénitence, il déplore d’avoir parlé avec témérité, il demande pardon pour qu’il lui soit fait miséricorde, parce qu’il a péché par ignorance. C’est ainsi que David s’écrie : « Ne vous souvenez point des fautes de ma jeunesse et de mes ignorances. » [121]. D’aucuns estiment que c’est une prière du Prophète, afin que l’erreur des hommes soit ôtée dans l’avènement de Jésus-Christ, et c’est pourquoi le titre de Prophète est marqué tout d’abord dans le préambule, parce que c’est par l’esprit prophétique qu’il prie, afin que les ténèbres soit dissipées et la lumière rendue, l’image ôtée et la vérité accordée. Cette prière est d’ailleurs bien une prophétie, tout le texte du Cantique le prouve, et surtout les passages suivants : « Vous serez comme au milieu de deux animaux ;… lorsque les années approcheront, vous serez connu ; » et au sujet du jugement : « Lorsque mon âme sera troublée dans votre colère, vous vous souviendrez de votre miséricorde ; » et de nouveau, touchant la venue de Jésus-Christ : « Dieu viendra de Théman, et le Saint de la montagne couverte d’ombrages et peuplée d’arbres… Les pavillons de la terre de Madian seront dans l’épouvante, et, montant sur vos chevaux, vous préparerez et vous banderez votre arc contre les royaumes. » Que si quelqu’un demande d’où vient que le seul Théodotion a traduit « pour les fautes volontaires », nous pouvons répondre, ou que le Prophète confesse qu’aucune nécessité ne l’a poussé à pécher, mais qu’il l’a fait de lui-même, par une mauvaise manière de voir la justice de Dieu, on assurément qu’il veut mettre en relief la foi future des Gentils, en ce qu’abandonnant volontairement leur erreur d’autrefois, ils croiront en Celui que promet ce Cantique. Nous lisons dans le Psaume seize : « Prière de David », et dans un autre pareillement : « Prière de David ; » et dans le quatre-vingt-huitième : « Oraison du pauvre, lorsqu’il sera dans l’affliction, et qu’il répandra sa prière en la présence du Seigneur ; » et si ce mot de prière est mis en avant encore ailleurs, ce n’est néanmoins nulle part avec celui de Cantique. Je ne sais, d’ailleurs, s’il serait décent de prier sur le ton du Cantique, à moins que nous n’expliquions, d’après les Septante, qu’ici le Prophète prie pour la venue de Jésus-Christ, et qu’il la prophétise avec joie par des psaumes et un cantique, en sorte qu’il y a prière en ce qu’il supplie le Père, et qu’il y a cantique en ce qu’il chante les louanges du Père, qui a envoyé le Fils, et du Fils, qui est venu. Voilà pour le titre du Cantique. Voyons maintenant ce que dit le Cantique lui-même.

« Seigneur, j’ai entendu ce que vous avez fait entendre, et j’ai ôté frappé de crainte. Seigneur, au milieu des années, donnez la vie à votre courage. » [122]. Les Septante : « Seigneur, j’ai entendu ce que vous avez fait entendre, et j’ai été frappé de crainte. Seigneur, ÷ j’ai contemplé ⁎* vos œuvres, ÷ et j’ai été muet d’étonnement ⁎* ; vous serez connu au milieu de deux animaux. » Où je dis, avec Aquila et Théodotion : « Donnez la vie », Symmaque écrit : « Redonnez la vie. » Quant à ces mots des Septante : « J’ai considéré et j’ai été muet d’étonnement », on ne les trouve ni dans le texte hébreu, ni dans aucun des autres traducteurs, en sorte que, supprimant ce qui n’est pas dans l’hébreu, on peut lire d’après les Septante : « Seigneur, vos œuvres, au milieu de deux animaux, vous serez connu ; » comme cela paraissait inintelligible, on y a joint, « j’ai contemplé et j’ai été étonné. » Or, nous lisons dans l’hébreu : Adonaïs, Seigneur ; rhalach, votre œuvre ; baeereb, au milieu ; sanim, des années ; heieu, vivifiez-la. Je dis cela pour qu’on reconnaisse que ce qui est de plus a été ajouté dans les Septante. Les Hébreux interprètent ainsi ce passage selon la lettre : « Seigneur, j’ai entendu ce que vous avez fait entendre, et j’ai été frappé de crainte. » J’ai entendu quels châtiments vous avez préparés à Nabuchodonosor et au diable, à qui vous avez dit : « Malheur à celui qui multiplie dans ses trésors ce qui ne lui appartient pas ! » [123] ; et, en second lieu : « Malheur à celui qui amasse pour sa maison les fruits d’une avarice criminelle ! » Ibid. 9 ; et puis : « Malheur à celui qui bâtit une ville dans les meurtres, et qui en prépare les matériaux dans l’iniquité ! » [124] ; et encore : « Malheur à celui qui mêle son fiel au breuvage qu’il donne à son ami et qui l’enivre ! » [125] ; et enfin : « Malheur à celui qui dit au bois : Réveillez-vous, et à la pierre muette : Levez-vous ! » [126] Et comme j’ai été saisi d’épouvante de ce que le grand dragon doit être percé de si terribles blessures, je vous conjure, Seigneur, d’accomplir ce que vous avez promis, et, le temps étant fini, de nous rendre votre Christ. Vous avez dit que cette vision était encore loin, et qu’elle apparaîtra à la fin, et qu’elle ne sera pas mensongère. Donnez donc la vie â ce que vous avez promis, c’est-à-dire, accomplissez votre promesse ; que ce que vous avez dit ne l’ait pas été en vain et ne soit pas lettre morte, et réalisez-le dans l’évènement. Cette prophétie, d’après notre traduction, peut aussi s’entendre de la résurrection du Sauveur : il est mort pour nous, il s’est levé d’entre les morts et il est ressuscité. Mais, d’après les Septante, le sens est tout autre, et nous devons aussi donner le commentaire de la version de la Vulgate.

Seigneur, j’ai entendu votre parole dans les Écritures, et comme vous m’avez donné cette oreille dont parle Isaïe : « Le Seigneur a ouvert en moi une oreille pour entendre », [127], j’ai écouté votre parole comme vous voulez qu’elle soit écoutée. J’ai considéré vos œuvres avec le plus grand soin, de peur qu’on ne pût me reprocher d’être de ceux qui n’arrêtent pas leur regard sur les œuvres du Seigneur et qui n’ont aucune attention pour les ouvrages de ses mains, et, d’après les créatures, j’ai compris le Créateur ; devant les merveilles que vous avez faites et que vous opérez chaque jour dans l’univers, je suis demeuré muet d’étonnement, et, perdant le sens selon le monde, je suis tombé dans une sainte folie. Ou encore : Plein de trouble et d’admiration, je laisse en tremblant éclater le chant de vos louanges : « Vous serez connu au milieu de deux animaux. » La plupart des commentateurs pensent qu’il faut entendre ceci du Fils et du Saint-Esprit, en ce que c’est par le Fils et le Saint-Esprit que nous comprenons le Père. Ils estiment que ces deux animaux sont les mêmes que les deux Séraphins d’Isaïe,[128] et les deux Chérubins de l’Exode,[129] qui se regardent l’un l’autre et qui ont, l’oracle au milieu, comme les Séraphins d’Isaïe voilent la tète et les pieds du Seigneur,[130] qu’ils volent seulement dans la vie présente, criant l’un à l’autre le mystère de la Trinité, et que l’un des Séraphins, mot qui veut dire « ardent », a été envoyé, qu’il est venu sur la terre, qu’il a purifié les lèvres du Prophète et qu’il a dit : « Je suis venu jeter le feu sur la terre, et mon désir est qu’elle brûle. » [131]. Voilà ce qu’ils pensent, et ils appuient leur opinion sur un grand nombre de témoignages de l’Écriture. D’autre part, l’explication la plus simple, qui est l’opinion du vulgaire, c’est que le Sauveur a été reconnu étant crucifié entre deux voleurs. Ceux qui voient mieux disent que dans la primitive Église, qui fut formée de circoncis et d’incirconcis, le Sauveur fut compris par deux peuples qui l’entouraient et qui ont cru en lui. D’aucuns, enfin, par ces deux animaux, entendent les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, qui sont animés de la vraie vie, qui ont le véritable souffle vital, et entre lesquels Notre-Seigneur est connu.

« Vous le ferez connaître au milieu des années. » [132]. Les Septante : « Lorsque les années seront proches, vous serez connu. » Lorsque viendra le temps, et que votre main accomplira vos promesses, vous montrerez la vérité de ce que vous aviez promis ; ou bien, lorsque la consommation sera proche, et qu’à la dernière heure votre Fils sera venu pour détruire les péchés, vous serez connu plus manifestement. Poursuivons.

« Lorsque sera venu le temps, vous serez vu clairement ; lorsque mon âme sera troublée. » Excepté dans les Septante, on ne trouve ces mots ni dans le texte hébreu, ni dans aucun autre traducteur. Voici le sens : Quand viendra le temps dont il est dit : Au temps favorable je vous ai exaucé, et ce temps est la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; [133] ; alors, ô Dieu le Père, sera connu votre nom, qui était auparavant caché aux hommes, puisque notre divin Maître dit dans l’Évangile : « Mon Père, j’ai révélé votre nom aux hommes. » [134]. Quant à ce qui est ajouté : « Lorsque mon âme sera troublée », dans la version des Septante, c’est rattaché à ce qui suit, en sorte qu’on puisse lire : « Lorsque mon âme sera troublée dans votre colère », et que la virgule établissant là la ligne de distinction, on conclue ensuite : « Vous vous souviendrez de votre miséricorde ; » c’est-à-dire que le seul trouble suffit au Prophète pour sa peine, et que son âme ayant été troublée devant la colère du Seigneur, il ne lui soit nullement infligé de supplice, et que la miséricorde exclue la colère. La colère de Dieu elle-même a ses mesures dans son intensité, dans sa durée, dans ses causes, dans ceux qu’elle atteint, selon ce qui est écrit : « Vous nous nourrirez de pain arrosé de pleurs et vous nous abreuverez de larmes dans la mesure nécessaire. » [135]. Or, si le Prophète se trouble devant la colère de Dieu, et si celui qui est troublé obtient miséricorde, que devons-nous espérer, ou plutôt que ne devons-nous pas craindre, nous dont les œuvres méritent le courroux divin ? — Ce qui suit est d’après le texte hébreu.

« Lorsque vous serez irrité, vous vous souviendrez de votre miséricorde. » [136]. Nous ne devons point croire que Dieu oublie, et qu’après avoir été en colère, il se souvient de sa miséricorde ; c’est nous qui, placés sous le coup de la peine, croyons qu’il oublie, d’après cette parole : « Jusques à quand m’oublierez-vous enfin ? » [137]. Car s’il arrive que nous soyons accablés par les épreuves comme par les flots, et que la tempête rapide des démons sévisse contre nous, nous parlons à Dieu comme s’il ôtait endormi ; « Levez-vous ; pourquoi dormez-vous, Seigneur? » Et quels ne sont pas les trésors de la clémence divine ! La prophétie ne dit pas : Après que vous aurez infligé les supplices, vous vous souviendrez de votre miséricorde ; elle dit ; Lorsque vous serez irrité. Mais celui qui est irrité menace, il est vrai, mais ne frappe pas toujours. C’est ce que savait l’Apôtre, quand il disait : « La colère de Dieu se montre, éclatant du ciel contre toute l’impiété et l’injustice des hommes. » [138]. Puisqu’elle se montre, elle n’est pas déchaînée, elle ne frappe pas encore : elle se montre pour inspirer la crainte, et pour ne pas se déchaîner après avoir terrifié.


« Dieu viendra du côté du Midi, et le Saint de la montagne de Pharan, Toujours. » [139]. Les Septante : « Dieu viendra de Théman, et le Saint de la montagne couverte d’ombrages et peuplée d’arbres épais. Diapsalma. » Aquila, Symmaque et la cinquième édition, ont transcrit le mot hébreu Théman ; seul, Théodotion en a donné la signification en ces termes : « Éloïm viendra du Midi, et le Saint de la montagne de Pharan, à la fin. » Les Septante seuls ont donc mis : « De la montagne couverte d’ombrages et peuplée d’arbres épais. » Quant au mot hébreu Sela, que la cinquième édition a simplement transcrit, que les Septante ont rendu par diapsalma, « au-delà de tout chant », et moi-même par « toujours », Symmaque le rend par « à jamais », et Théodotion par « à la fin. » Dieu donc viendra de l’Auster ou du Midi, de la claire lumière et du côté de ceux qui sont appelés les enfants des jours. Aussi, dans le Cantique des Cantiques, l’époux chasse-t-il l’Aquilon et appelle-t-il l’Auster : « Levez-vous et fuyez, Aquilon ; venez, vent du Midi, soufflez dans mon jardin, et que mes parfums en découlent. » [140]. Dieu est toujours au Midi : « Où menez-vous paître votre troupeau ? où vous reposez-vous ? au Midi. ». [141]. C’est à midi seulement que Dieu vint trouver Abraham quand il était sous le chêne ; [142] ; et Joseph, qui a précédé le Sauveur comme figure, donne à midi le festin à ses frères. [143]. La connaissance de Dieu le Père vient donc en pleine lumière à ceux qui en sont dignes ; et la connaissance du Saint, c’est-à-dire du Fils de Dieu, vient de la montagne couverte d’ombrages et peuplée d’arbres épais. Cette montagne couverte d’ombrages et peuplée d’arbres épais, ou c’est le Père lui-mème, plein de vertu et de toute sagesse, dont la majesté protège toutes choses, et qui étend les ailes et réchauffe ses petits ; ou c’est le paradis céleste, plein d’anges, plein de vertus, plein des arbres les plus féconds. Et puisse m’être accordé ce bonheur qu’à ma voix, pour l’explication des Écritures, Dieu vienne dans la claire lumière, et son Fils, dont il est écrit : « Soyez saints, parce que je suis saint moi-même », [144], de la sublimité du langage dont les épais rameaux ombragent le sens mystique, sous l’entrelacement des nombreux témoignages des Écritures ; et puisse, le Père et le Fils venant, leur auditeur devenir leur hôte, pour l’accomplissement de cette parole évangélique : <r Mon Père et moi nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure ! » [145]. Mais comme, au lieu de montagne ombragée et peuplée d’arbres, le texte hébreu porte « montagne de Pharan », puisque le mot « Pharan » veut dire « bouche de celui qui voit », il suit logiquement, d’après ma traduction, que la connaissance du Fils vient de la parole de l’homme érudit, et non de quelque parole que ce soit ; qu’elle vient de la parole qui est pleine de lumière, pleine d’yeux, pour être portée claire et pure aux oreilles des auditeurs. Par l’expression « de la montagne », il faut entendre la sublimité des doctrines. Il m’a été donné d’entendre un Hébreu qui commentait ainsi ce passage : Bethléem, où est né le Seigneur Sauveur, est située au Midi, et c’est là ce qui est dit ici : « Le Seigneur viendra du Midi », c’est-à-dire naîtra à Bethléem,' et c’est de là qu’il s’élèvera. Et parce que le Seigneur, qui est né à Bethléem, a donné autrefois la loi sur le mont Sinaï, il est lui-même le Saint qui est venu de la montagne de Pharan, puisque Pharan est un lieu voisin du mont Sina. Quant à diapsalma, « avant et après tout cantique », c’est-à-dire « toujours », en voici, disait-il, le sens : Lui qui est né à Bethléem et qui donna la loi sur la montagne de Sina ou de Pharan, c’est lui-même qui est toujours l’auteur et le dispensateur de tous les bienfaits passés, présents et à venir. Cette locution diapsalma, en hébreu Sela, a été pleinement discutée à l’occasion des Psaumes. Remarquons à ce sujet, sur la traduction des Septante, que la locution diapsalma n’a été employée nulle autre part dans l’Écriture que dans le Psautier et en cet endroit ; ce qui montre que les Septante ont donné avec raison, à cette prière, le titre de cantique.


« Sa gloire a couvert les cieux et la terre est pleine de sa louange ; Son éclat sera comme celui de la lumière ; les cornes sont dans ses mains, et c’est là que sa force est cachée. » [146]. Les Septante : « Sa vertu a couvert les cieux, la terre est pleine de sa louange, et son éclat sera comme celui de la lumière ; les cornes sont dans ses mains, et il a établi un amour vigoureux de sa force. » Au lieu de cette interprétation des Septante : « Il a établi un amour vigoureux de sa force », et de la nôtre : « C’est là que sa force est cachée », avec laquelle est d’accord Théodotion seul : « C’est là le lieu qui cache sa force », Aquila donne la suivante : « Il a établi la demeure cachée de sa force », et Symmaque : « Il a établi sa force cachée. » Le mot Sam, selon le sens des passages, veut dire, tantôt « il a établi », et tantôt « là ; » dans le texte actuel il vaut mieux le traduire par « là » que par « il a établi » ou « affermi », en sorte que le sens et l’ordre des idées soit celui-ci : Ses cornes sont dans ses mains, et là, c’est-à-dire dans ses cornes, est cachée sa force. Il est d’ailleurs évident, conformément au texte hébreu, qu’à l’avènement de Jésus-Christ, tout a été rempli de sa gloire, comme l’atteste l’Évangile : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ; » [147] ; et cet autre témoignage : Il a fait la paix dans les cieux et sur la terre, par le sang de la croix, et il s’est assis à la droite de la grandeur, car sa parole court avec rapidité ; et celui-ci : « Seigneur, notre souverain maître, que votre nom est admirable dans toute la terre ! » [148] ; et enfin celui du psaume dix-huit : « Leur bruit s’est répandu dans toute la terre, et leurs paroles se sont fait entendre jusqu’aux extrémités du monde. » [149]. Son éclat, comme soleil de justice, a rayonné d’une claire lumière, et ses cornes sont dans ses mains les étendards et les trophées de la croix, et sa force est cachée dans ces cornes mêmes : « car ayant la forme et la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, et il s’est rendu obéissant à son Père jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. » [150]. Sa force a donc été cachée pour un peu de temps dans la croix, lorsqu’il disait à son Père : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » [151]. « Mon Père, si cela est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; » [152] ; et sur la croix môme : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains », [153].

Sur ce qui est dit dans la version des Septante : « Sa vertu a couvert les cieux », nous devons remarquer que ce qui est couvert est moindre que ce qui le couvre, à la condition qu’il le couvre en entier, et non pas en partie seulement. Puis donc que la vertu de Dieu couvre les cieux, cette vertu est plus grande que les cieux qui en sont couverts. Or, nous avons vu souvent dans l’Écriture que les cieux, ce sont ceux qui portent l’image de l’homme céleste et qui racontent la gloire de Dieu. Quant à la vertu de Dieu, elle n’est autre que le Sauveur, l’Apôtre le prouve : « Jésus-Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu. » [154]. Cette vertu est comme la mère de toutes les vertus particulières ; ainsi, elle s’appelle vertu, sagesse, force, Justice, tempérance, vérité, sainteté, rédemption ; car Jésus-Christ « nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption. » [155]. Ces vertus particulières, dans lesquelles se montre Jésus-Christ, selon l’avancement de ceux qui le reçoivent comme sagesse, ou comme force, ou comme justice, et le reste, sont contenues dans la vertu générale de Dieu, c’est-à-dire dans le Sauveur ; et de cette manière nous comprenons, au sujet de la terre, que ceux qui d’abord, à cause de l’image de l’homme terrestre, étaient appelés terre, et à qui il était dit : « Vous êtes terre, et vous irez dans la terre », [156], ont été, à la venue du Sauveur, remplis de la louange du Seigneur. Or, lorsque les cieux auront été couverts de la vertu de Dieu, c’est-à-dire protégés et vêtus de toutes parts, et que toute la terre aura été remplie de la louange de Dieu, alors son éclat resplendira comme la lumière. L’Apôtre, encore sur ce point, no nous cache pas que le Dieu Sauveur est l’image de Dieu et la splendeur de sa gloire, lui qui, après nous être apparu splendeur de la gloire de Dieu,[157] est retourné à sa majesté première. « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte », [158], mais selon l’esprit, parce que, « rien n’ayant été fait sans lui, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. » [159], 4. C’est ce que le Sauveur montre plus ouvertement dans l’Évangile, par ces paroles : « Mon Père, glorifiez-moi maintenant de cette gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût ; » [160] ; en sorte qu’après l’ascension aux cieux, la splendeur soit ce qu’est la lumière, c’est-à-dire, le Fils ce qu’est le Père.

Quant à ce qui suit : « Les cornes sont dans ses mains », les Écritures ont coutume d’employer souvent le mot « cornes » dans le sens de royaumes. Ainsi, ce que dit Anne dans le premier livre des Rois : « Il comblera de joie la corne de son Christ », marque la magnificence du règne du Sauveur. Dans Daniel pareillement, les dix cornés sont la figure de dix royaumes. [161]. C’est donc ainsi qu’il est dit maintenant : « Les cornes sont dans ses mains », comme il est écrit ailleurs : « Le cœur du roi est dans la main de Dieu », [162], en ce sens : La pensée et le gouvernement du cœur de l’homme saint, qui, se hâtant vers le royaume des cieux, règne, pendant qu’il est établi encore dans la terre, règne sur un corps sans péchés, ne s’égarent pas au-dehors, et sont entièrement arrêtés sous la tutelle de Dieu. En outre, comme le texte hébreu et d’autres éditions portent, non pas : « Les cornes sont dans ses mains », mais dans sa main, ce qui se dit jabo, il faut entendre que cette main forte et vigoureuse de Dieu, c’est son Fils. Reconnaissons donc que cette main tient tous les royaumes des cieux et de ceux qui s’efforcent de monter vers les cieux ; et c’est là le sens de cette parole d’Isaïe : « Une vigne avait ôté plantée pour mon bien-aimé dans la corne, dans un lieu fertile », [163], c’est-à-dire, dans son royaume. C’est pour ce motif, à mon avis, que le Lévitique ne range aucun animal à cornes parmi les immondes ; et c’est le même sens qu’il faut donner à l’animal à une corne des Psaumes ([164]) ou rhinocéros, et aussi à cette parole : « En vous nous jetterons au vent nos ennemis avec la corne. » [165]. D’autre part, ce que nous lisons dans les Septante ; « Il a établi l’amour de sa puissante vertu », nous devons aussi l’entendre de Jésus-Christ, en ce sens que Dieu le Père a couvert les cieux de sa vertu, rempli la terre de sa louange, fait sa splendeur comme la lumière et mis la royauté dans la main de son Fils, afin de faire aimer par les hommes son bien-aimé, et de le faire aimer, non pas à la légère, mais vivement et fortement, afin que personne ne puisse ravir à sa main ceux qui l’aiment avec énergie et qui sont intimement unis à son amour. Au contraire, le diable fait que nous chérissons le monde, et qu’au lieu d’aimer la vertu, nous aimons le vice, et non point à la légère, mais avec force, en sorte qu’on puisse dire de nous : Le diable a établi l’amour énergique de ses vices.


« La mort ira devant sa face, et le diable sortira au-devant de ses pas. » [166]. Les Septante ; « La parole ira devant sa face, et elle sortira dans la plaine sur ses pas. » Le mot « mort » de ma traduction est représenté, dans le texte hébreu, par les trois lettres Daleth, Beth, Res, sans aucune voyelle ; si l’on prononce Dabar, ce mot signifie « parole », et il veut dire « peste », en grec loïmos, si l’on prononce Deber. Au reste, voici la traduction d’Aquila : « La peste ira devant sa face ; » et celle de Symmaque : « La mort précédera devant sa face ; » et celle de la cinquième édition : « La mort marchera devant sa face. » Seuls, les Septante et Théodotion ont mis « parole » au lieu de « mort. » En outre, dans le verset suivant, que j’ai rendu ainsi : « Le diable sortira devant ses pas », et dont les Septante ont donné une autre version, d’après laquelle nous disserterons bientôt, Aquila remplace le mot diable par « volatile », et Symmaque, Théodotion et la cinquième édition le remplacent par « oiseaux ; » le mot hébreu est Reseph. La tradition des Hébreux rapporte que, de même que dans l’Évangile le prince des démons est appelé Béelzebub, [167], de même Reseph est le nom d’un démon qui occupe le premier rang parmi les autres, et qui, à cause de sa rapidité inouïe et de son activité en tous sens, est qualifié d’oiseau et de volatile ; que c’est le même qui, dans le paradis, parla à la femme sous la figure du serpent, et que son nom lui est venu de la malédiction dont Dieu le frappa, puisque Reseph veut dire « qui rampe sur le ventre. » Voici donc le sens de notre texte : Dès que le Seigneur sera venu et aura été baptisé dans le Jourdain, et qu’au moment où descendra la colombe auront retenti, comme un tonnerre, ces paroles du Père : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances », [168], le diable se précipitera au-devant, de Jésus sortant des eaux, la mort se dressera devant ses pas, avec l’antique serpent, qui le tenta pendant quarante jours dans le désert. D’autre part, si nous lisons, d’après les Septante : La parole ira devant sa face, et elle sortira dans les plaines sur ses pas », cela veut dire que la parole de Dieu précédera sa visitation, appelée ici allégoriquement sa face, et qu’elle préparera les cœurs des croyants, redressant les chemins qui ne sont pas droits, aplanissant ce qui était raboteux, afin que l’âme de l’auditeur, comme champ parfaitement ameublé, puisse recevoir la semence spirituelle.


« Il s’est arrêté, et il a mesuré la terre ; il a regardé les nations, et elles se sont fondues ; les montagnes du siècle ont été réduites en poudre, et les collines du monde ont été abaissées sous les pas de son éternité. » [169]. Les Septante : « Il s’est, arrêté, et la terre a été ébranlée ; il a regardé les nations, et elles sont tombées en poussière ; les montagnes ont été brisées par la violence du choc, et les collines du siècle se sont séchées sous le passage de son chemin éternel. » Le Sauveur s’arrêtant pour jeter les yeux sur toutes choses et mesurer du regard tout l’univers, a dispersé la multitude des infidèles ; ceux-ci, dispersés et anéantis, les montagnes du siècle ont été réduites en poudre, et les collines de ce monde ont été abaissées ; car il y a d’autres montagnes et d’autres collines sur lesquelles bondit et au-dessus desquelles passe l’époux du Cantique des cantiques, et à leur sujet le second psaume des Degrés s’exprime ainsi : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours. » Psalm. 120, 1. Pour les montagnes du siècle, ce sont les mêmes que ces montagnes couvertes de ténèbres an sujet desquelles Jérémie nous prescrit de veiller à ce que nos pieds ne se heurtent point contre elles. [170]. Ce sont là ces collines sur lesquelles régnait Saiil, quand il faisait mettre à mort les prêtres de Dieu,[171] puisque Gabaa veut dire « colline. » L’expression : « Les collines du monde ont été abaissées », est des plus vraies. Avant la venue du Sauveur, elles marchaient la tête haute, et nul ne pouvait humilier leur orgueil. Or, elles ont été mises en poudre et abaissées dans les chemins de son éternité, c’est-à-dire de l’éternité de Dieu, soit parce que son éternité elle-même a daigné venir à nous, soit parce sans cesse, depuis le commencement du monde jusqu’à son incarnation, elle est venue vers les saints, que la parole de Dieu s’est faite dans la main de chacun d’eux, qu’il a vaincu dans tous ceux qui ont été vainqueurs, et que son chemin éternel a ainsi abaissé les collines et réduit en poudre les montagnes. Voilà le commentaire métaphorique du texte hébreu.

D’après les Septante, après que la parole a précédé la face de Dieu, et qu’elle est sortie dans les plaines, Dieu le Père vient dans les lieux qui ont été préparés pour sa parole, il vient sur les traces de celle-ci, et il s’arrête, ne la devançant jamais et attendant toujours qu’elle lui ait frayé la voie. Or, dès qu’il s’arrête sur les pas de sa parole, là même, et aussitôt, la terre est ébranlée, c’est-à-dire toute œuvre de la chair et du corps, parce qu’elle ne peut soutenir la présence de Dieu. Lorsque ces œuvres ont été ébranlées, Dieu, dans la vertu de sa parole et dans sa présence, jette les yeux sur toutes les nations de l’âme, sur les pensées et sur les opinions multiples de l’âme en divers sens, pouvons-nous dire, et ces nations aussitôt se fondent et tombent en poudre. Tout ce qui dans la terre s’était élevé contre la science de Dieu et avait imposé son joug à la raison de l’auditeur, la venue de Dieu, précédé de sa parole, le brisera et le réduira en cendres. Les montagnes étant brisées et pulvérisées en la présence de Dieu, les collines évidemment seront consumées et anéanties ; car ce sont ici, non les montagnes de Dieu, mais celles du siècle. Le chemin éternel de Dieu, qui jette les yeux partout où sa parole le précède, dès qu’il est plus fort que les collines du siècle, les consumera et les détruira.

On peut aussi, par montagnes, entendre les démons, qui habitent dans les hérétiques et s’élèvent contre la science de Dieu ; les collines, à leur tour, ce sont d’autres esprits infernaux qui font que les hommes admirent la beauté du corps, les dignités, les richesses, la noblesse de la race, et les autres biens du monde. Il nous est donné de voir comment, après la venue de la parole de Dieu et la présence de Dieu le Père, les âmes sont ébranlées, comment tout ce qui est terrestre est dissous, comment toutes les pensées d’autrefois sont anéanties. Alors sont détruits les démons, alors sont entièrement nivelées les hauteurs du siècle, et toute science des hérétiques, pleine d’enflure auparavant, dès que vient la parole de Dieu, est humiliée, brisée et consumée. Tout ce qui d’abord semblait beau et grand est rejeté comme vil et petit. Tout cela a lieu à cause de la venue de Jésus-Christ comme hôte, selon ce que l’Écriture dit ailleurs : « J’habiterai en eux, je marcherai en eux, et je serai leur Dieu, et ils seront eux-mêmes mon peuple. » [172].


« J’ai vu les tentes des Éthiopiens à cause de l’iniquité, et les pavillons de peau de la terre de Madian seront dans le trouble. » [173]. Les Septante : « Pour prix de mes travaux, j’ai vu les tentes des Éthiopiens ; les tentes de la terre de Madian seront aussi frappées d’épouvante. » Les Éthiopiens, noirs, amis des ténèbres et ennemis de toute lumière, qui se nourrissent de la chair du dragon, dont il est écrit : « Vous l’avez donné pour nourriture aux peuples éthiopiens », [174], ce sont les démons, dont devient la tente quiconque, en ce monde, travaille en vue des honneurs et des richesses ; ce qui est expressivement marqué par le seul mot iniquité : « Car tout riche est ou injuste, ou héritier d’un injuste. » Qu’on voie les hommes passer les mers, faire le pied de grue à la porte des puissants, souffrir toutes les avanies qu’à peine souffrirait un esclave, afin de ramasser des richesses, de recevoir quelque haillon de dignité ; et, ce but atteint, ils se livrent à la luxure, aux plaisirs et à toutes les iniquités, en sorte que leurs débordements consument ce que l’avarice a amassé. Ainsi ces hommes, pour prix de leurs labeurs, deviennent les hôtes des démons ; ils devaient être le temple de Dieu, et ils sont changés en tentes des Éthiopiens. Pour ce qui suit : « Les pavillons de peau de la terre de Madian seront dans le trouble », ou bien, « les tentes de la terre de Madian seront aussi dans l’épouvante », on doit entendre par là que les tentes des Éthiopiens et celles de la terre de Madian sont une même chose. Après s’être enrichis, après être montés au plus haut échelon par tous les moyens, bons et mauvais, bourrelés alors des remords de leurs péchés, ils seront sans trêve dans l’épouvante de la mort, dans l’épouvante du jugement, et à la moindre fièvre, comme des larrons dans la prison, ils frémiront à la pensée des éternels supplices. Madian, en notre langue, se traduit, par « à cause du jugement », c’est-à-dire, de la condamnation ; par où la prophétie montre qu’ils seront toujours dans la crainte du jugement et dans l’épouvante des peines sans fin, et qu’ils endureront, dans une terreur de tous les instants, des tortures qu’ils savent mériter.

« Est-ce donc, Seigneur, que vous êtes en colère contre les fleuves ? est-ce que votre fureur s’exercera sur les fleuves, et votre indignation sur la mer ? vous qui montez sur vos chevaux, et qui donnez le salut par vos chariots de guerre. Vous préparerez et vous susciterez votre arc, accomplissant les promesses que vous avez faites aux tribus. Toujours. » [175]. Les Septante : « Est-ce donc, Seigneur, que vous êtes irrité contre les fleuves ? votre fureur s’exercera-t-elle sur les fleuves, et votre choc contre la mer ? vous qui montez sur vos chevaux, et dont la cavalerie donne le salut ; vous préparerez et vous banderez votre arc contre les sceptres, dit le Seigneur. Diapsalma. » Au lieu du « diapsalma » des Septante et du « toujours » d’Aquila, les autres interprètes ont traduit comme précédemment. Gomme j’ai hâte d’arriver au sens figuré, je vais embrasser en peu de mots le sens littéral du contexte, pour courir au reste. Gomme lorsque vous séchâtes le Jourdain et la mer Rouge pour combattre pour nous, car vqus ne sauriez être irrité contre les fleuves ou contre la mer, et des êtres insensibles n’ont pu faire rien d’offensant contre vous, montant maintenant sur vos chars de guerre et saisissant votre arc, vous donnerez le saint à votre peuple, et les serments que vous avez faits à nos pères et aux tribus, vous les accomplirez à jamais.

Lorsque la prophétie dit : Est-ce donc, Seigneur, que vous êtes irrité contre les fleuves, ou que votre fureur éclatera sur les fleuves, ou votre courroux sur la mer ? elle le dit du ton du doute, et avec l’intention plutôt de quelqu’un qui interroge que de quelqu’un qui prouve. C’est qu’il y a des fleuves bons et des fleuves mauvais ; il y a une mer mauvaise et une mer bonne. Voici un exemple des fleuves bons : « Le cours rapide d’un fleuve répand la joie dans la cité de Dieu ; » [176] ; et c’en est un autre, lorsqu’il est dit que des fleuves d’eau, rejaillissant jusque dans la vie éternelle, couleront du sein de quiconque boit de l’eau du Seigneur. [177]. Ce que Pharaon dit dans Ézéchiel est un exemple des fleuves mauvais : « Les fleuves sont à moi, et c’est moi qui les ai faits ; » [178] ; et il en est de même de tous les fleuves qui sont habités par le dragon. Pour la mer, elle peut être prise en bonne part, la preuve en est dans le psaume vingt-trois, qui dit de l’Église, sous la figure du monde habité : « C’est au Seigneur qu’appartient la terre et tout ce qu’elle contient, la terre et tous ceux qui l’habitent ; car c’est lui qui l’a fondée au-dessus des mers et établie au-dessus des fleuves. » On ne peut assurément qu’entendre en bonne part les fleuves et la mer au-dessus desquels elle a été fondée et établie par le Seigneur. Et encore dans ce témoignage au sujet de la vigne qui a été transportée d’Égypte : « Vous avez étendu ses rejetons jusqu’à la mer et ses provinces jusqu’aux fleuves », [179], je pense que les mots « mer et fleuves » doivent y être pris en bonne part. J’estime donc que les fleuves, ce sont les paroles divines qui sont les plus claires, et qui offrent leurs eaux, pour ainsi dire, à ceux qui ont soif ; on appelle mer, au contraire, dans les Écritures, celles qui sont pleines de mystères et qui sont profondes, celles au sujet desquelles le Prophète a dit : « 0 profondeur de la sagesse et do la science de Dieu ! » [180] ; à quoi le Prophète fait écho : « Du plus profond de l’abîme, j’ai crié vers vous, Seigneur. » [181]. Je dis cela pour montrer qu’on peut prendre le mot « mer « en très bonne part. D’un autre côté, les exemples du mot « mer », pris en mauvaise part, abondent, et de ce nombre est celui du psaume cent trois : « Dans cette mer si grande et d’une si vaste étendue, se trouve un nombre infini de grands et de petits animaux ; c’est là que les navires passeront ; là se promène ce dragon que vous avez formé pour s’y jouer.[182]. De même, dans l’Évangile, lorsque le Sauveur réprimanda les vents et la mer, et qu’il dit à celle-ci : « Taisez-vous, rentrez dans le silence ; » [183] ; car tout ce qui est réprimandé est mauvais, selon cette maxime de Zacharie : « Que le Seigneur te réprime, ô Satan ; » [184] ; et le précepte de l’Apôtre à Timothée : « Reprenez, consolez, réprimandez. » [185]. Par conséquent, lorsque le Prophète demande : Est-ce donc, Seigneur, que vous êtes irrité contre les fleuves, et que votre fureur s’exercera contre les fleuves et votre courroux contre la mer ? disons que, s’il s’agit des fleuves d’Égypte et de la mer Rouge et sanglante, le Seigneur s’irrite, en effet, contre eux ; il les frappe, il fond de toute l’impétuosité de son courroux sur les gouffres qui se soulèvent contre la science divine.

C’est ainsi que la mer Ta vu et elle a fui, [186], ne pouvant soutenir sa présence, et que le Jourdain est retourné en arrière, saisi de crainte en voyant la gloire du peuple qui le traversait, ou d’Élie et d’Elisée ouvrant ses eaux. Je m’explique plus clairement : l’éloquence des hérétiques qui coule contre la vérité et l’Église, voilà les fleuves contre lesquels s’exerce la colère du Seigneur ; et les âmes de ceux qui, agités et entraînés en tous sens au vent de toute doctrine, flottent sans cesse au gré des mauvaises passions et sont écrasés dans les gouffres amers, voilà la mer sur laquelle le Seigneur agit avec impétuosité, afin qu’elle sente sa venue, qu’elle comprenne quelles limites et quelle barrière l’enferme, et qu’elle s’entende dire : « Vos flots se briseront en vous. » Mais si les fleuves sont bons, Jésus se lave dans leurs eaux, et si la mer est bonne, c’est sur elle qu’il établit son Église.

Le texte dit ensuite : « Vous qui montez sur vos chevaux, et qui donnez le salut par eux. » Je me demande quels sont ces chevaux sur lesquels monte le Seigneur ; ce sont, à mon avis, les âmes des saints, sur lesquelles monte la parole divine, et pour les sauver elles-mêmes, et sauver les autres par elles, donnons des exemples de ces chevaux. L’époux s’exprime ainsi dans le Cantique des Cantiques : « O ma bien-aimée, je vous compare à mes beaux chevaux attelés aux chars de Pharaon. » [187]. Ce n’est pas que Jésus-Christ compare l’Église, ou que la parole de Dieu compare l’âme qu’elle appelle son épouse aux attelages de Pharaon ; mais toute âme, bien qu’elle soit sainte et parfaite, est semblable, en comparaison de Dieu, au char et aux chevaux de Pharaon. De là ce que Moïse dit au Seigneur : « Je ne suis qu’un être sans raison ; » [188] » ; et David : « Je suis devenu comme une bête en votre présence. » [189]. Ce n’est pas que l’un ou l’autre soit réellement une bête sans raison ; il ne l’est qu’en comparaison de Dieu. À ces chevaux de Dieu sont opposés ceux que possède Pharaon, et dont il est dit : « Dieu a renversé dans la mer le cheval et son cavalier. » [190]. De tels chevaux mènent, non pas au salut, mais à la perdition. Cherchons encore d’autres chevaux sur lesquels monte le Seigneur. Dans le quatrième livre des Rois, nous lisons que le serviteur d’Élisée, s’étant levé le matin et étant sorti, vit une armée et des chevaux, et des chars qui entouraient les murs de la Ville ; [191] ; et après que les prières du Prophète eurent obtenu que ses yeux fussent ouverts : « Il regarda », continue le livre, « et c’était une montagne couverte de chevaux et de chars de feu tout autour d’Élisée. » Prenons-y bien garde, le serviteur voit des chevaux et des chars, et il n’y. a personne sur aucun de ces chevaux et de ces chars, bien qu’ils soient innombrables ; celui qui tenait les rênes de ces chevaux et les dirigeait, c’est celui que le Psalmiste chante en ces termes : « Vous qui êtes assis sur les Chérubins, manifestez-vous. » [192]. C’est par de tels chevaux et dans un tel char qu’Élie fut ravi au ciel. [193]. Pour ceux qui voudraient apprendre dans Zacharie ce que sont les chevaux roux, les noirs, les marquetés et les blancs, qui sortent des myrtes plantés en un lieu bas et profond, ils en trouveront l’explication dans les commentaires sur Zacharie même, [194], si Dieu me prête vie assez longtemps pour les faire. Jean vit aussi des chevaux blancs avec leurs cavaliers ; [195] ; ceux-ci étaient, je pense, les âmes des saints, et les chevaux blancs étaient leurs corps ressuscitant dans la gloire. Mais quiconque est pécheur, comme je le suis, est assis sur un cheval noir, et c’est de lui qu’il est dit : « Ceux qui étaient montés sur des chevaux ont été frappés d’un profond assoupissement. » [196]. Au sujet des chevaux de cette sorte, l’Écriture dit : « Le cheval trompe celui qui en attend son salut ; » [197] ; car la chair est en révolte contre l’esprit, et sa sagesse est ennemie de Dieu. Ce langage vise ceux qui aiment le corps et sont assis sur des chevaux noirs. Pour nous, préparons nos âmes pour qu’elles deviennent les chevaux et les chars du Seigneur, qui monta sur Paul, qui monta sur Pierre, et c’est porté sur des chars de cette sorte qu’il a parcouru tout P univers. De là, tendant son arc et lançant ses flèches, il a renversé de fond en comble, détruit et anéanti les sceptres, c’est-à-dire les royaumes contre lesquels Jérémie fut envoyé, [198] et il a mis fin au règne du péché sur notre corps de mort. Par les sceptres ou royaumes du diable, qui les montra à Notre-Seigneur, il faut entendre les différents péchés : l’avarice, la luxure, la colère, la médisance, les vols, les parjures, contre lesquels la parole de Dieu, montée sur ses chevaux et sur ses chars, dirige les traits terribles de sa foudre, et attend toutefois à les lancer, afin que celui qui aura été frappé de crainte à la vue de l’arc tendu, ne soit point frappé par les flèches quand elles seront lancées. C’est ainsi qu’il agit « toujours », scion l’interprétation qu’Aquila a donnée de Sela, au lieu du diapsalma des Septante ; car il est toujours porté par ses saints et toujours sous les armes ; il va sur ses chevaux, préparant ses flèches aiguës contre la langue de l’impie, et il se porte de tous côtés pour le salut du monde.


« Vous diviserez les fleuves de la terre. » [199]. Les Septante : « Les fleuves diviseront la terre. » Le Seigneur ayant suscité son arc pour accomplir les promesses qu’il avait faites avec serment aux tribus, il lui est dit conséquemment : « Vous diviserez les fleuves de la terre », c’est-à-dire, vous diviserez et vous disperserez les rois de la terre qui combattaient contre votre peuple. Quant à l’interprétation des Septante ; « La terre sera divisée par les fleuves », afin de l’expliquer, posons un exemple, qui nous servira comme d’échelon pour nous élever plus haut. Dans les écrits de ceux qui ont recueilli les événements les plus extraordinaires, et qui ont prolongé les Olympiades de la Grèce jusqu’à notre époque, eu rapportant année par année tout ce qui arrivait de nouveau dans le monde, nous lisons, entre autres choses, que des tremblements de terre ont fait jaillir des fleuves qui n’existaient pas, taudis que d’autres étaient absorbés et disparaissaient dans les entrailles de la terre. C’est que, sans doute, toutes les veines de la terre, de même que celles du corps humain, sont chargées de sang, sont pleines d’eaux cachées, qui les rompent quand la terre est ébranlée, et jaillissent en fleuves. Gela compris, nous comprendrons aussi comment l’âme humaine contient, par sa nature, des eaux et des fleuves qui demeurent cachés et ne coulent pas à cause de notre indolence. Mais lorsque la prédication de la parole de Dieu a secoué l’âme et qu’elle est sortie de son engourdissement, alors les eaux cachées jaillissent et coulent pour la réfection de ceux qui les boivent. C’est, à mon avis, ce que signifient, dans la Genèse, les puits creusés de nouveau par les serviteurs d’Isaac, parce qu’ayant été faits d’abord par Abraham, ils avaient été ensuite comblés de terre par les Philistins. [200]. Tant qu’Abraham est vivant, les puits qu’il a faits ne sont point fermés ; lui mort et les puits comblés, si les serviteurs les rouvrent, ils sont en contradiction avec les Philistins, et il y a querelle. Mais si Isaac vient lui-même, qu’il creuse un puits et qu’il trouve l’eau, les Philistins sont impuissants à l’empêcher. Qu’on songe à Pierre et à Paul, et on n’aura plus aucun doute au sujet des puits et des fleuves de Jésus-Christ. Voyez tous les Apôtres, et vous comprendrez que ce ne sont plus quatre fleuves, mais douze, qui sortent du paradis des Écritures. Ces fleuves, avant que la terre eût tremblé, étaient cachés, et, comme ils étaient dans les veines de la terre, ils ne, pouvaient servir à désaltérer ceux qui avaient soif. Mais après qu’à la venue de Jésus-Christ toute la terre eût été ébranlée, ils jaillirent soudain, et ce fut l’accomplissement de cette parole : « Il a changé les fleuves en un désert, et les pays arrosés d’eau en un lieu sec, et il a rendu la terre qui portait du fruit aussi stérile que celle qui est semée de sel, à cause dé la malice de ses habitants. Il a changé les déserts en des étangs, et la terre qui était sans eaux en des eaux courantes ; il y a établi ceux qui étaient affamés, et ils y ont bâti une ville pour y demeurer. » [201]. Car après que le Seigneur fut venu dans le monde, et qu’eut été accompli ce qu’il a dit dans l’Évangile : « Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles », [202], la terre d’Israël, d’où jaillissaient auparavant des fleuves qui arrosaient tout le peuple de la Judée, tomba dans la sécheresse et toutes ses sources furent fermées ; le monde, au contraire, auparavant désert et stérile, parce qu’il n’avait pas les eaux de la prédication du Seigneur, fut changé en étangs, et il eut autant de sources qu’il avait de docteurs. Et il ne leur suffit pas, à ces fleuves et à ces sources, d’arroser les peuples de l’univers : rassemblant dans chaque province, en un seul peuple, ceux qui avaient faim et soif de la parole de Dieu, ils ont élevé l’Église, qui est appelée la ville digne d’être habitée et que le cours d’un fleuve remplit de joie.


« Les montagnes vous ont vu et elles ont été saisies de douleur, les grandes eaux se sont écoulées, l’abîme a fait retentir sa voix, la hauteur a élevé ses mains, le soleil et la lumière se sont arrêtés dans le lieu de leur demeure ; ils ont poursuivi leur course à la lueur de vos flèches, à l’éclat foudroyant de votre lance. Vous avez foulé aux pieds la terre dans votre colère, vous avez épouvanté les nations dans votre fureur. Vous êtes sorti pour sauver votre peuple, pour le sauver par votre Christ ; vous avez frappé le chef de la famille de l’impie, vous avez mis à nu jusqu’au fond le fondement de sa maison. Toujours. » [203]. Je donne ma traduction isolée ; mais, après avoir donné la suite du sens d’après cette version, c’est-à-dire d’après l’hébreu, je commenterai ensuite la traduction des Septante par fragments. Les montagnes vous ont vu, ô Dieu, et elles ont été frappées de douleur ; c’est-à-dire, les royaumes superbes, les puissances orgueilleuses de ce monde, les quatre quadriges que Zacharie vit sortir des montagnes d’airain, vont ont vu, et ils ont frémi. « Le gouffre des eaux est passé », c’est-à-dire, toute leur violence ; la persécution dont elles accablaient votre peuple est passée dès qu’elles vous ont vu. Alors l’abîme, c’est-à-dire l’enfer, vous a loué ; alors aussi les Anges ont élevé les mains en applaudissant, comme pour indiquer, par le geste, l’élévation du vainqueur sur son char de triomphe. Votre soleil et votre lune et toute la splendeur dont vous aviez autrefois brillé pour votre peuple, après avoir été ensuite interceptés par les affreuses et lourdes ténèbres des péchés, ont recouvré leur lumière pour lui et leur éclat primitif. La lueur de vos flèches et l’éclat fulgurant de votre lance, c’est-à-dire les plaies dont vous l’avez frappé par votre correction, ont rendu votre peuple à la lumière. Enfin, à la lueur de ces mêmes flèches et à l’éclat de votre lance, qui l’a corrigé, afin de le rendre meilleur, votre peuple a marché dans la crainte de votre colère. Quand donc vous vengerez l’injure de votre peuple, vous foulerez aux pieds les royaumes terrestres et vous frapperez d’étonnement toutes les nations, parce que vous êtes sorti pour le salut de votre peuple, et vous êtes venu vers eux avec votre Christ. – L’hébreu porte : « Vous êtes sorti pour le salut de votre peuple, avec Jésus votre Christ », ou « avec le Sauveur votre Christ », puisque Jésus veut dire Sauveur. – Enfin, par la venue de votre Fils Jésus-Christ, vous avez frappé l’Antechrist dans la maison de l’impie, c’est-à-dire dans ce monde, qui est assujetti à l’esprit malin ; ou bien, vous avec frappé le diable, qui est la tête de l’impiété, et vous avez mis à nu son fondement jusqu’au fond, c’est-à-dire vous avez mis au grand jour tous ses forfaits cachés, et vous avez fait cela, non pour quelque temps, mais à jamais ; car tel est le sens de sela, « toujours. »

Les Septante : « Les peuples vous verront, et ils seront frappés de douleur », ou bien, « ils enfanteront ; » car ὠδινήσουσι veut dire l’une et l’autre chose. Par conséquent, la terre étant ouverte et les fleuves s’en échappant, les peuples qui avaient bu de l’eau des fleuves de Dieu verront Dieu et enfanteront. Par cela même, en effet, qu’ils voient Dieu, aussitôt ils conçoivent par l’opération de la parole de Dieu, et ils s’écrient : « Par votre crainte, Seigneur, nous avons conçu, nous avons été comme en travail et nous avons enfanté : nous avons produit sur la terre l’esprit de votre salut. » [204]. « Bienheureux », est-il écrit, « ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » [205]. Par conséquent, les peuples eux – mêmes qui ont été purifiés par les fleuves, n’ont pas vu Dieu dès cet instant, mais ils le verront, et, quand ils l’auront vu, ils concevront, afin de pouvoir enfanter les fruits des bonnes doctrines. Toutefois, comme on nomme les peuples, et qu’il n’appartient pas aux peuples de voir la face de Dieu, bien que l’événement soit différé dans l’avenir : « Ils verront et ils enfanteront », il vaut mieux, pour le sens figuré, suivre le texte hébreu, qui porte : « Les montagnes vous ont vu et elles ont enfanté ; » c’est aux montagnes, en effet, qu’il appartient de voir Dieu et d’enfanter les enfants qu’elles ont conçus par l’opération de la parole de Dieu.

Les Septante : « Dispersez les eaux du chemin. » Il y a des eaux de nature différente : les unes éternelles, les autres de courte durée. C’est des eaux éternelles et qui coulent d’Israël qu’il a été dit : « Les fleuves fendront la terre. » Au sujet des eaux subites et qui ne courent qu’un temps, l’Écriture s’exprime ainsi : « Tous les torrents vont à la mer ; » car le terme des eaux de cette sorte, c’est la perdition. Dieu donc dispersera toutes les eaux qui ont été foulées aux pieds par les dogmes pervers, quand il aura ruiné les desseins des princes et la sagesse de ce monde. Quiconque a vu une hérésie qui, après avoir fleuri quelque temps, était ensuite dissipée par la grâce de Dieu, a pu dire : C’est là l’accomplissement de cette parole : « Vous disperserez les eaux du chemin. » Après le mot « chemin », on peut sous-entendre « du diable », en sorte que le sens soit celui-ci : Les eaux que le diable a foulées aux pieds, et qui ont laissé un libre chemin à un grand nombre, c’est-à-dire qui se sont ouvertes à beaucoup d’erreurs, le Seigneur les divisera et les dispersera. Aussi les autres interprètes, pour mettre en relief la fureur hérétique, ont traduit : « Le heurt », ou « l’impétuosité des eaux passera. » Et en effet, elles sont emportées dans le courant rapide de l’éloquence et se précipitent, pour entraîner avec elles toute âme légère qu’elles trouvent sur leur passage. Les Septante : « L’abîme a fait retentir sa voix, et montré la hauteur de son idéal. » Le mot abîme est pris souvent en bonne, souvent aussi en mauvaise part, et parfois indifféremment. En bonne part : « Vos jugements sont un abîme insondable ; » [206] ;… « L’abîme invoque l’abîme, », etc. [207]. En mauvaise part : « Les eaux vous ont vu, mon Dieu, », etc. [208]. Quand les démons supplient Jésus de ne leur point commander de s’en aller dans l’abîme, [209] et dans cet exemple de la Genèse : « Les ténèbres couvraient la face de l’abîme, [210], je ne sais si l’on peut entendre le mot en mauvaise part. Voici maintenant où il est dit indifféremment : « Toutes les sources de l’abîme furent rompues, et les cataractes du ciel furent ouvertes ; » [211] ; et dans le psaume cent quarante-huit : « Vous dragons, et vous tous abîmes : feu, grêle, vents qui excitez les tempêtes ; » à moins qu’on ne crût devoir ici le prendre en mauvaise part, comme énuméré avec les dragons, le feu et la grêle, ce que je ne crois pas qu’on puisse faire, si l’on considère que tout ce qui est nommé dans ce psaume prend part à un hymne de louanges au Seigneur. Voici donc, si l’on prend l’abîme en bonne part, l’explication de la prophétie : Après la dispersion des eaux du chemin du mal, vos sages vous ont vu, et chantant en un chœur où leurs voix alternent la hauteur de votre science, dont ils avaient eu part en vous voyant, puisqu’il est dit que les montagnes vous ont vu et qu’elles ont enfanté, ils ont fait entendre dans leurs louanges tout ce qu’ils avaient d’abord pensé de vous. Et c’est à bon droit que le texte dit que la hauteur ou la profondeur donnée à la science divine est une pure conjecture, un idéal, selon la maxime de Jésus, fils de Sirach : « Qui sondera l’abîme et la sagesse ? » [212]. Ainsi, du haut de la montagne de son anéantissement, [213] c’est-à-dire du corps humain dont il s’est revêtu, ce que Daniel appelle la pierre détachée de la montagne sans le secours des mains, c’est-à-dire sans atteinte à la virginité de Marie, [214] Jésus-Christ abîme, appelle le Père autre abîme, au bruit des cataractes de Dieu, [215] afin qu’il donne à ceux qui annoncent la bonne nouvelle une parole pleine de vertu ; ou, assurément, l’abîme Nouveau Testament, invoque, en faveur de la petite pierre qui a blessé le prince de Tyr, le témoignage de l’Ancien Testament, afin que, par les cataractes de Jésus-Christ, qui sont les Apôtres, la prédication de l’Évangile soit plus ferme. D’un autre côté, si l’on veut entendre le texte de la prophétie en mauvaise part, ou alléguera cette raison qu’après la dispersion des eaux du chemin, qui ne peuvent qu’être prises en mauvaise part, ceci également doit s’entendre dans le môme sens. Remarquons aussi que le texte ne dit pas « sa hauteur », mais la hauteur de sa fantaisie, c’est-à-dire d’une ombre et d’une image. Les hérétiques, en effet, paraissent avoir la hauteur et la science des Écritures ; mais toute leur hauteur, comparée à la vérité, est image vaine, et c’est en vain qu’elle élève la voix, puisque les eaux du chemin ont été déjà dispersées. Cherchons dans les Écritures si nous pouvons trouver fantôme pris en bonne part, et comme nous ne le trouverons, non pas rarement, mais jamais, nous interpréterons certainement abîme et fantôme en mauvaise part.

Les Septante : « Le soleil a été élevé, et la lune s’est arrêtée au rang du soleil. » Au pied de la lettre, c’est la prophétie de l’accroissement du soleil et de la lune, c’est-à-dire que, d’après Isaïe, dans le siècle futur, le soleil luira sept fois plus, et la lune aura l’éclat du soleil. [216]. Et en effet, comme toute créature qui est maintenant assujettie à la vanité, à cause de celui qui l’a assujettie dans l’espérance de la liberté, sera délivrée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu,[217] lorsqu’à la consommation du monde toute créature sera délivrée, le soleil et la lune le seront aussi, et chacun d’eux sera établi en son rang. Que si nous voulons voir eu ceci le soleil de justice Jésus-Christ, dans les ailes duquel est la liberté, et l’Église, cette lune qu’illumine la splendeur du soleil de justice, il est aisé de conclure que la vraie lumière, la lumière des hommes, la splendeur de la gloire de Dieu et la splendeur de la lumière éternelle, illumine l’Église, qui maintenant, en ce monde, selon qu’elle est prospère ou opprimée, croit ou décroît. Mais lorsque le soleil aura été élevé, et que, comme l’enseigne l’Apôtre, Dieu l’aura exalté et lui aura donné un nom au-dessus de tout autre nom, [218], l’Église aussi, qui ne peut en ce monde occuper son rang, y retournera alors pour ne plus le quitter, et cette parole qu’entendit Moïse, lui sera adressée ; « Pour vous, demeurez là avec moi. » [219].

Les Septante : « Vos traits iront dans la lumière, dans la splendeur du reflet éclatant de vos armes. » Les traits de Dieu, c’est-à-dire ses flèches, allant et se hâtant, sont lancées, non pour qu’elles tuent, mais pour qu’elles éclairent. Pour le distinguer de ces flèches et de ces traits le Christ est appelé le javelot choisi par Isaïe qui s’écrie : « Il m’a établi comme le javelot choisi, il m’a caché dans son carquois, et il m’a dit : C’est un titre bien grand pour vous d’être appelé mon serviteur. » [220]. Cette flèche choisie a elle-même plusieurs flèches, pour les lancer dans tout l’univers. Aussi l’épouse blessée par la flèche d’élection, dit-elle : « Je suis blessée par l’amour », [221], comme nous pourrions dire nous-mêmes : Je suis blessé par la chasteté, je suis blessé par la sagesse. Blessée par ce javelot de la sagesse, la reine du Midi était tout hors d’elle-même, et, tout émerveillée, elle avait trouvé dans le vrai Salomon au-delà de ce que la renommée lui avait raconté. [222]. Or, ces flèches qui sont lancées pour faire la lumière, s’avancent également dans la splendeur de l’éclat de ses armes, c’est-à-dire des armes de Dieu. Quiconque, en effet, sera armé pour résister aux stratagèmes du diable et couvert de l’armure de l’Apôtre, [223] les javelots de la lumière viendront à lui, afin qu’il puisse lui être dit aussi : « Vous êtes la lumière du monde. » [224]. À celui, au contraire, qui est pécheur et qui gémit parce qu’il habite dans les tentes de Cédar, le puissant envoie ses flèches acérées avec les charbons qui portent la désolation, [225], afin qu’il soit d’abord frappé de componction par les paroles de Dieu, et qu’il s’écrie : « Je me suis tourné vers vous dans mon affliction, pendant que j’étais percé par la pointe de l’épine. » [226]. Et lorsqu’il aura été percé par la pointe de l’épine, alors par le Séraphin, c’est-à-dire par la parole brûlante de Dieu, sera porté le charbon ardent qui doit purifier, non-seulement les lèvres qu’Isaïe avait seules impures, [227] mais aussi tous ses membres, pour les réduire en un désert pour le péché.

Les Septante : « Votre menace seule diminuera la terre, et, dans votre fureur, vous emporterez les nations. » On peut entendre ceci de la fin du monde, lorsque, le plus grand nombre ayant péri dans les guerres fréquentes, on trouvera un petit nombre d’hommes, et que ceux qui, n’ayant pas voulu être du peuple de Dieu, auront persisté à être incrédules et infidèles, seront précipités dans la géhenne par la fureur du Seigneur. Mais il est mieux de voir dans cette terre, diminuée par la menace divine, les œuvres terrestres et ceux qui, étant établis dans l’Église, mais pécheurs, sans attendre d’être atteints par le courroux du Seigneur, entendant dans les Écritures quels supplices menacent les coupables, font pénitence, diminuent peu à peu leur terre et font des progrès pour le ciel. Si quelqu’un de nous est frappé de crainte par la menace du Seigneur, la terre est diminuée en lui, tandis que celui qui persiste au nombre des incrédules, et ne veut pas être de ceux dont la terre décroît dans les rangs du peuple de Dieu, dont il est dit : « Les peuples vous verront, et ils enfanteront », sera précipité dans les châtiments avec les infidèles.

Les Septante : « Vous êtes sorti pour le salut de votre peuple, afin de sauver vos christs. » Voyons d’abord combien il y a de sortes de christs, et nous établirons ensuite en quelle manière le Seigneur est sorti pour le salut de ses Christs. Dans l’Ancien Testament, les patriarches étaient appelés christs, et c’est à leur, sujet que le Psalmiste a écrit : « Il châtia même les rois à cause d’eux : Gardez-vous, leur dit-il, de toucher à mes christs et de maltraiter mes prophètes. » [228]. Dans le premier livre des Paralipomènes, ce nom de christs est donné à tous ceux qui sont sortis d’Égypte. [229]. L’Exode nous parle aussi de la confection du chrême sacerdotal,[230] avec lequel, est-il rapporté plus tard, les prêtres sont oints. [231]. Il y a encore une autre huile qui sacre rois ceux qui en sont oints, et qui est de deux sortes. S’il s’agit de David et de Salomon, c’est-à-dire du « fort de la main » et du « pacifique », il est oint de l’huile de la corne, [232] tandis que Jéhu et Azaël, leur tête est arrosée d’huile de l’ampoule, [233] vase d’argile qui a la forme d’une lentille, en grec phacos. Cyrus, lui aussi, roi des Mèdes et des Perses – les commentateurs qui appliquent ce passage de l’Écriture au Sauveur, se trompent grandement – entend ces paroles de la bouche d’Isaïe : « Voici ce que dit le Seigneur à Cyrus, mon christ, que j’ai pris par la main pour lui assujettir les nations… », etc. ; [234] ; et finalement il est dit : « Pour vous, vous ne m’avez point connu », ce qu’on ne saurait entendre du Sauveur sans impiété. Il y a encore une huile pour la dignité de prophète, et c’est avec cette huile qu’il est ordonné à Élie d’oindre Élisée. [235]. Enfin, au-dessus de toutes ces sortes d’huile, il y a l’huile spirituelle, appelée l’huile de la joie, dont le Sauveur reçoit l’onction, et il lui est dit alors : « C’est à cause de cela, ô Dieu, que Dieu vous a oint d’une huile de joie d’une manière plus excellente que tous ceux qui ont part à l’onction avec vous. » [236]. Ceux qui y ont part, ce sont, je pense, ceux à qui Jean parle ainsi : « Quant à vous, vous avez reçu l’onction du Saint ; » [237] ; et un peu plus loin : « Voilà ce que j’ai cru devoir vous écrire touchant ceux qui vous séduisent. Que l’onction que vous avez reçue du Fils de Dieu demeure en vous, et vous n’avez pas besoin que personne vous enseigne ; mais comme cette onction vous enseigne toutes choses et qu’elle est la vérité exempte de mensonge, vous n’avez qu’à demeurer dans ce qu’elle vous enseigne. » [238]. Et de peur qu’il n’arrive que ceux qui ont perdu l’onction du baptême, désespèrent de pouvoir réparer cette onction, il est écrit dans le Lévitique : Lorsque le lépreux qui avait été rejeté hors du camp sera venu trouver le prêtre, et après que sa lèpre aura été purifiée, que le prêtre verse de l’huile dans sa main gauche, et, y ayant trempé le doigt de sa main droite, qu’il en fasse sept fois les aspersions devant le Seigneur ; qu’il répande ensuite le reste sur l’extrémité de l’oreille droite de celui qui a été lépreux, et sur le pouce de sa main droite et de son pied droit, et enfin, tout ce qui reste encore de cette huile, sur la tête de cet homme. [239]. Après que le prêtre aura parfait toutes choses selon le rit, qu’il immole l’holocauste pour cet homme, et celui-ci sera appelé christ de Dieu. J’ai hésité jusqu’ici à dire autre chose, dans la crainte d’être une occasion de chute pour les négligents : c’est que, dans les Écritures saintes, il est rapporté qu’un même homme a reçu plusieurs onctions. Ainsi David fut oint trois fois. [240]. Gardons-nous d’appliquer cela à celui qui a péché et qui est oint une seconde fois : c’est assez pour le lépreux, qu’ayant perdu la première onction, il puisse être oint une seconde fois ; appliquons cette particularité à celui qui progresse de jour en jour, dont l’onction augmente sans cesse, et qui passe de l’huile du lépreux à celle du peuple des saints, de l’huile du peuple à celle des prêtres, de l’huile des prêtres au chrême du pontife, du chrême du pontife à l’onction royale, de Fonction royale à celle des patriarches, et du rang des patriarches se hâte de monter jusqu’à Jésus-Christ, pour être oint de l’huile de joie, [241], parce que celui qui a reçu cette onction devient avec Dieu un seul et même esprit, et il est là où est le Père et le Fils. Mais ce terme est rarement atteint, et il est l’idéal des vœux du fidèle. Je ne sais même s’il est possible d’y atteindre, puisqu’il est écrit : « Dieu vous a oint, ô Dieu, de l’huile de joie d’une manière plus excellente que ceux qui y ont part avec vous », c’est-à-dire d’une huile que ceux qui y ont part avec vous ne pourront trouver que rarement, ou peut-être jamais.

Voilà donc pour le salut de quels christs Dieu est sorti de son lieu, suivant l’expression de Michée : « Dieu sortira de son lieu pour sauver. » [242]. Comme ceux qui avaient besoin de salut n’ont point voulu entrer chez lui, il est sorti lui-même de sa majesté et de son lieu, afin de conduire ceux qui étaient dehors dans la terre des cœurs doux, dans la région des vivants, d’où Adam avait été expulsé, Gen. 3, 1 et que Caïn quitta pour habiter dans la terre de Naïd, Gen. 4, 1 d’après les Septante. Il ne faut pas perdre de vue que, comme j’en ai déjà fait la remarque, à la traduction au pluriel des Septante : « Ann de sauver vos christs », répondent, dans le texte hébreu, les mots : Lajesua eth messiach, ce qu’Aquila rend ainsi : « Pour le salut avec votre Christ. » Non que Dieu soit sorti pour sauver son peuple et pour sauver son Christ ; mais il est venu pour le salut du peuple avec son Christ, selon cette parole de l’Évangile : « Mon Père est en moi, et je suis en mon Père, et, en demeurant en moi, mon Père fait lui-mème ses œuvres. » Jn. 14, 10. La cinquième Édition a traduit de même : « Vous êtes sorti pour le salut de votre peuple, pour son salut avec votre Christ. » Mais Théodotion, comme vrai pauvre et ébionite, et Symmaque, de la même secte, s’attachant à un sens pauvre, ont traduit en juifs : « Vous êtes sorti pour le salut de votre peuple, afin de sauver votre Christ ; » et l’autre : « Vous êtes sorti pour sauver votre peuple, pour sauver votre Christ. » Je vais dire une chose incroyable, et vraie cependant. Ces demi-chrétiens ont traduit comme des Juifs, et le juif Aquila a traduit comme un chrétien. La sixième Édition, pour éclaircir le mystère de la rédemption, donne cette version de l’hébreu : « Vous êtes sorti, afin de sauver votre peuple par Jésus votre Christ. » A ce sens, on peut rattacher le fait que le Père est sorti avec le Fils du temple et des cérémonies des Juifs, en disant : « Votre maison vous sera laissée déserte », Luc. 13, 35, et qu’il est venu pour le salut des Gentils, afin de sauver ceux qui croiront par Jésus-Christ son Fils.

Les Septante : « Vous avez envoyé la mort sur la tête des impies. » Qu’on ne croie point qu’il s’agit de cette mort commune dont nous mourons tous, dont mourut Abraham, quand il fut réuni à ses pères, Gen. 25, 1 dont les Prophètes sont morts, et dont est mort Jésus-Christ lui-même ; Jn. 19, 1 ; mais la mort a été envoyée sur les impies, afin que ceux qui vivaient auparavant pour l’iniquité, étant morts au péché, vivent pour la justice. 1Pi. 2, 1. C’est ce qu’âme vise aussi dans sa prière : « Le Seigneur donne la mort et rend la vie. » 1Sa. 2, 6. Il tue les pécheurs, en envoyant la mort sur la tête des impies, afin de les faire vivre pour la justice. Je veux dire une chose plus hardie : Jésus-Christ est venu dans le monde pour jeter la mort sur la tête des impies, afin qu’ils meurent à l’iniquité, comme, il est lui-même mort une fois pour le péché, 1Pi. 2, 1 et qu’ayant été faits participants de sa mort, ils le deviennent aussi de sa vie. Quant au texte hébreu, qui porte : « Vous avez frappé la tête de la maison de l’impie », il faut entendre, je l’ai dit, que cette tête est le prince de ce monde, et que sa maison est le monde même et toute âme de pécheur dont le diable est devenu l’hôte. Or, la tête de la maison de l’impie est frappée, afin que le diable en ayant ainsi été rejeté par ce coup, cette maison devienne la demeure de Dieu, et 5 que la justice y habite et y marche. C’est une croyance digne de Dieu qu’il a daigné sortir pour le salut de son peuple avec son Christ, afin que, la tête de l’impiété étant frappée, Jésus, qui est la tête de tout homme et celle de l’Église, devînt notre tête. Par conséquent, quiconque a conscience d’être encore la maison de l’impie, doit implorer la venue du Fils de Dieu, afin que la tête de l’impiété soit écrasée en lui.

Les Septante : « Vous avez suscité les chaînes jusqu’au cou à jamais. » Le Seigneur a suscité les chaînes de la charité, afin qu’ayant déposé l’ancien fardeau et rejeté le joug pesant qui nous écrasait, nous acceptions le joug léger de Jésus-Christ, et qu’attelés à son char, nous portions le meilleur des conducteurs. Théodotion, prenant le texte en bonne part, le rend ainsi : « Vous avez orné le fondement jusqu’au cou ; » et la cinquième Édition : « Vous avez mis à nu », ou bien, « vous avez dégagé le fondement jusqu’au cou, Sela », c’est-à-dire « pour toujours. » Parce que le fondement de Jésus-Christ, qui ôtait dans l’âme de chacun, avait été couvert de terre par les étrangers, cette terre entassée est retirée, et le meilleur des fondements est mis à nu et orné ensuite, afin que ce qui était caché apparaisse et reçoive la clarté qui lui appartient, et cela à jamais, ou, en hébreu, Sela. Notons en passant que les Septante eux-mêmes, poussés par la nécessité des choses, après avoir constamment interprété Sela par diapsalma, « pause du psaume », l’ont maintenant traduit par « jusqu’à la fin. »


« Vous avez maudit son sceptre et le chef de ses guerriers, qui venaient comme une tempête pour me mettre en poudre. Leur joie était semblable à celle d’un homme qui dévore le pauvre en secret. Vous avez fait un chemin à vos chevaux au travers de la mer, au travers de la fange des grandes eaux. J’ai entendu, et mes entrailles ont été émues ; mes lèvres ont tremblé au son de votre voix. Que la pourriture entre jusqu’au fond de mes eaux, et que les vers fourmillent au-dessous de moi, afin que je sois en repos au jour de mon affliction, et que je me joigne à notre peuple pour marcher avec lui. » [243]. Maintenant encore, j’analyse le texte hébreu seul, pour commenter séparément la version des Septante, parce qu’elle diffère grandement de toutes les autres traductions. « Vous avez maudit son sceptre », c’est-à-dire ses royaumes, qui sont évidemment les impies, dont il a été dit naguère : « Vous avez frappé la tête de la maison de l’impie ; vous avez dépouillé son fondement jusqu’au cou. » L’impie, c’est, ou Nabuchodonosor, ou tout adversaire du peuple de Dieu. Et non-seulement vous avez maudit ses sceptres, mais aussi le chef clés guerriers que vous aviez frappés, et qui étaient venus pour me disperser, c’est-à-dire pour renverser Israël et l’emmener captif en des pays divers. Ils faisaient éclater leur joie en dévorant Israël pauvre et foulé aux pieds, comme s’ils commettaient ce forfait en secret, comme s’ils nous dévoraient à votre insu. Vous êtes donc venu au combat pour votre peuple, et lançant vos chars du milieu des eaux, c’est-à-dire contre des nations innombrables, vous leur avez fait un chemin au travers de la boue des grandes eaux, c’est-à-dire, vous avez foulé aux pieds nos ennemis, et vous les avez broyés sous le sabot de vos chevaux et sous la roue de vos chars, comme de la boue. Pour ce qui suit : « J’ai entendu, et mes entrailles ont été émues ; mes lèvres ont tremblé au son de votre voix. Que la pourriture entre jusqu’au fond de mes os, et qu’elle fourmille de vermine au-dessous de moi, afin que je me repose au jour de la tribulation, et que je me joigne à notre peuple pour être prêt à marcher avec lui », en voici le sens : Maintenant, nous souffrons volontiers les afflictions, et votre menace nous fait trembler de crainte jusqu’au fond des entrailles. Maintenant mes lèvres tremblent, l’épouvante de mon âme pleine d’angoisse se trahit sur mon visage ; et, non content de cela, de moi-même, je demande plus, de moi-même, je désire plus : que la pourriture pénètre jusqu’au fond de mes os et qu’elle sème la vermine au-dessous de moi ; c’est-à-dire, j’endure volontiers ce que Job a souffert ; je désire que, non-seulement mes chairs, mais la moelle de mes os tombe en pourriture, et que mon grabat, souillé de la pourriture de mon corps, soit rempli d’une fourmilière de vers, afin qu’après avoir enduré ici-bas toutes ces afflictions pour mes péchés, je me repose au jour de l’amertume, au jour de la tribulation, au jour de la nécessité et de l’angoisse, et que je monte vers notre peuple en armes, c’est-à-dire fort, plein de bravoure et prêt au combat. Belle expression que celle-ci : « Que je monte ; » on monte toujours pour se joindre au peuple prêt au combat. « Notre » est aussi plein d’élégance : celui qui a été affligé, qui a supporté volontiers ces afflictions, et qui a compensé par les maux présents les récompenses futures, peut hardiment dire « notre », en sorte qu’à l’exemple d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, il s’endorme, lui aussi, dans une bonne vieillesse, plein de jours et qu’il soit réuni à ses pères. – Mais, s’écriera-t-on, voilà qu’en expliquant la lettre, vous êtes, sans le savoir, tombé dans les filets de l’allégorie, et que vous avez mêlé la tropologie à l’histoire. – Je réponds que la métaphore appliquée à l’histoire n’est pas toujours la môme chose que le sens figuré des Écritures : bien souvent l’histoire elle-même est présentée métaphoriquement, et, sous l’image d’une femme ou d’un seul homme, c’est de tout un peuple qu’il s’agit. Maintenant donc nous pouvons aussi prêter au peuple ce langage : Je subis volontiers la captivité, j’endure ces maux sans murmure, je supporte patiemment le joug écrasant des Babyloniens, et je souffrirai avec joie jusqu’aux derniers coups de la plus dure nécessité, pourvu que je puisse me reposer au temps où vous maudirez les sceptres de l’impie, et où vos chevaux fouleront aux pieds la boue des grandes eaux, afin que je retourne ensuite dans la terre de répromission avec vos saints, Zorobabel et Jésus, fils de Josédec, et le prêtre Esdras et Néhémie. Jusqu’ici, pour ne point paraître tout à fait omettre l’histoire, j’ai en quelque manière fait violence au sens et appliqué de force à la captivité un ordre d’idées qui ne s’y rattachent pas rigoureusement ; je reviens maintenant à la version des Septante et au développement du sens spirituel.

Les Septante : « Vous avez divisé dans la stupeur les têtes des puissants. » Comme Jésus-Christ est la tète de l’Église et de tout homme, [244] la tête de tous les démons qui font rage dans ce monde est Béelzébut, leur prince, et chacune de leurs légions a sa tête et son prince. Par exemple, les esprits de fornication ont leur préfet, les esprits d’avarice ont leur capitaine, les esprits de vaine gloire, les esprits de mensonge, les esprits d’infidélité ont les chefs de leur milice. Dieu donc, plein débouté, après avoir envoyé la mort sur les têtes des impies, et qui leur avait suscité des chaînes jusqu’au cou, à la fin divise les têtes des puissants dans la stupeur, afin de séparer les princes de leurs sujets, de retrancher en quelque sorte la tète du corps, et là où il y avait une tête mauvaise, d’y remettre la tête par excellence. Prenons un exemple, afin de rendre notre langage plus clair. S’il arrive qu’un tyran soit massacré, on dépose aussi ses images et ses statues, dont on enlève la tète, que l’on remplace par celle de son vainqueur, en sorte que le corps demeurant et la tète retranchée, il n’y a qu’un changement de tête. Il m’est permis d’appliquer cela aux conciliabules des hérétiques : Quand les chefs des hérésies ont été séparés du reste des peuples hérétiques, ceux-ci, à leur place, ont pour tète Jésus-Christ. La précision du langage de l’Écriture sainte est à remarquer : elle ne dit pas : Vous avez retranché ou coupé les têtes des puissants ; elle dit : Vous avez divisé, parce que ce qu’on divise est moins retranché et perdu, que séparé en parties. De même que dans la construction de la tour, [245], la langue, qui avait été unie pour le mal, est séparée en plusieurs, et la plus impie des alliances morcelée par une utile division, de môme ces têtes qui, avec leurs corps, paraissaient avoir une certaine union entre elles – car il y a plusieurs têtes des hérétiques qui, bien qu’elles aient des yeux différents, aboient, pour ainsi dire, dans une même langue blasphématoire contre l’Église, – ont été divisées en parties et séparées de leurs corps, trompés par elle, pour être toutes remplacées par la bonne tête. On peut appliquer ce verset, lorsqu’on voit leurs rois et leurs chefs verser le sang chrétien, et qu’ensuite la vengeance du Seigneur les atteint, ce qui est arrivé naguère pour Julien et avant lui pour Maximien, et antérieurement pour Valérien, Dèce, Domitien, Néron ; c’est alors le cas de chanter au Seigneur, avec joie et action de grâces, dans le Cantique : « Vous avez divisé dans la stupeur les têtes des puissants », c’est-à-dire pour l’admiration des fidèles, ou au grand étonnement de tontes les nations, qui ne pensaient pas qu’ils pussent tomber si vite. Alors que j’étais encore enfant, que je me formais dans une classe de grammaire, et que toutes les villes ôtaient souillées du sang des victimes, quand tout à coup, au plus fort de la persécution, on annonça la mort de Julien : « Comment », s’écria élégamment un païen, « les chrétiens peuvent-ils prétendre que leur Dieu est patient et bon ? Rien de plus marqué au coin de la colère, rien de plus précipité que ce trait de rage : il n’a pu contenir sa vengeance même le plus petit instant. » Libre à lui d’avoir dit cela en se jouant ; mais l’Église de Jésus-Christ fit éclater ce chant de joie : « Vous avez divisé dans la stupeur les têtes des puissants. » J’oserai moi-même dire quelque chose de semblable : Divisez, Seigneur, pour l’étonnement de tous, Achab et Jézabel. Je ne suis point Élie, il est vrai ; mais néanmoins cet Achab et cette Jézabel ont mis à mort Naboth ; ils lui ont ravi sa vigne, [246] et ils en ont fait le jardin de leur luxure. Qu’il se trouve quelque Abdias, votre serviteur, qui nourrisse votre pauvre qui mendie ; que le sang de l’impure soit donné aux chiens ; que l’impie et avare Achab tombe sous la flèche du Seigneur. [247].

Les Septante : « Elles seront ébranlées en elles, elles ouvriront leurs freins comme le pauvre qui mange en secret. » Ces têtes, quand elles auront été divisées d’avec leurs corps, et divisées dans la stupeur, en grec ἐν ἐκστάσει, d’où l’accord ἐν αὐτῆ, « en elle », ouvriront aussi leurs freins ou les freins des corps – on peut entendre l’un et l’autre, – afin que l’empire qu’elles exerçaient auparavant sur les corps qui leur étaient soumis, se relâchant, elles cèdent la place, au cavalier et au conducteur meilleur qu’elles. Elles agiront ainsi comme des pauvres qui mangent en secret, n’ayant ni la liberté de manger, ni l’abondance des mets, mais un maigre aliment qu’ils engloutissent à la dérobée, avec le désir que personne ne voie ce qu’ils font. Autre interprétation : Ces têtes, quand elles auront été divisées dans la stupeur, comme retranchées du reste du corps, ouvriront leur bouche, où avait été passé, en quelque sorte, le mors de la condamnation, et, comme ceux qui mangent, ils feront jouer leurs mâchoires, dont les dents seront brisées, essayant de manger, mais n’ayant pas la force de mordre l’aliment. On comprend qu’après l’avènement de Jésus-Christ, les têtes des démons, séparées des nations qui leur étaient auparavant assujetties, veulent exercer de nouveau leur ancienne puissance. Mais comme elles ont été séparées de leurs corps, elles n’ont pas une entière liberté de manger : elles mangent comme les pauvres, et non-seulement elles sont pauvres, mais pauvres honteux qui se cachent. Elles sont pauvres, parce qu’elles ont perdu leurs richesses d’autrefois ; elles mangent en secret, parce qu’elles sont toujours en embuscade, pour mettre à mort l’innocent dans les lieux cachés. Ces têtes ont les mêmes dents que les flèches. Et quoique elles aient dit avant : Je monterai au-dessus des astres des cieux, je mettrai mon nid dans le lieu le plus élevé, et je tiendrai dans ma main l’univers entier comme des œufs d’oiseaux, elles seront néanmoins arrachées des hauteurs, et, perdant leur richesse d’autrefois et comme toutes les ressources de leur maison, à peine essaieront-elles, comme les pauvres, démanger et de mordre à la dérobée. Je sais que le texte hébreu est en grand désaccord avec ce qui vient d’être dit ; mais qu’y puis-je faire, puisque j’ai Écritures qui ont été publiées dans le monde entier ?

Les Septante : « Et vous avez conduit au-dessus la mer vos chevaux, qui ont troublé les grandes eaux. » Après avoir envoyé la mort sur la tête des impies, et divisé les têtes des puissants, qu’il avait brisées dans la mer, puisqu’il est écrit dans les psaumes : « Vous avez écrasé les têtes du dragon,[248], les princes étant mis à mort et réduits en poudre, et le fort étant vaincu, Dieu vient à sa maison et il s’empare de toutes ses richesses. [249]. Or, par richesses et maison du fort, et vases du prince, que pouvons-nous entendre, si ce n’est la mer de ce monde, dans laquelle habite le dragon ? Dieu donc, cavalier émérite et conducteur sans rival, conduit contre la mer de ce monde ses chevaux, les anges et les vertus sublimes, afin qu’ils troublent les grandes eaux, les démons et les puissances ennemies. Que si l’on veut interpréter ce verset sur l’avènement de Jésus-Christ, conformément à ce qui est écrit dans l’Apocalypse,[250] que la parole de Dieu est assise sur un cheval blanc et suivie de toute une armée montée sur des chevaux blancs, on verra comment Jésus-Christ est monté sur ses apôtres, en disant : « Voilà que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation du siècle… « Allez, partez, baptisez toutes les nations, », etc. ; [251] ; et comment, plus tard, il monta sur un seul cheval blanc, qui n’est autre, à mon avis, que l’apôtre Paul, sur lequel il a parcouru tout l’univers. La parole de Dieu monta sur ses chevaux, afin que les grandes eaux soient troublées ; soit un grand nombre de peuples, qui étaient auparavant dans la mer, et que le dragon tenait en servitude, « car la voie large et spacieuse est celle qui conduit à la mort », [252], mais qui, ayant été troublés, et ayant abandonné leur erreur d’autrefois, recevront dans leur trouble le cavalier à sa venue ; soit afin que les bataillons des démons, dont j’ai déjà parlé, n’aient plus de domination sur la mer, et reculent dans leur trouble, redoutant les blessures faites par le cavalier qui les combat. Fasse le ciel que la parole de Dieu monte aussi sur moi, et que, par la lance de sa bouche, il mette à mort celui qui règne sur les grandes eaux, afin qu’en présence delà mort du roi, les eaux qui lui étaient soumises se troublent et présentent le cou à mon cavalier, et que, réunis en un seul et même attelage, nous devenions les Chérubins du Seigneur, ce qui s’interprète « multitude de la science. » Et, en effet, il ne saurait y avoir cavalier aussi richement orné que le cavalier de ceux que réunissent l’abondance de la science et les rênes de la sagesse. Les Septante : « J’ai gardé, et mes entrailles se sont émues de crainte à la voix de la prière de mes lèvres ; et la frayeur a pénétré jusque dans mes os, et ma force a été troublée au-dessous de moi. » Ma force, ou mon attitude ; car les exemplaires diffèrent sur ce mot. Ce langage peut être mis dans la bouche du prophète, en le rattachant à ce qui précède : Parce que vous avez envoyé, Seigneur, la mort sur les têtes des impies, que vous leur avez suscité des chaînes jusqu’au cou, que vous avez divisé dans la stupeur les têtes des puissants, et que vous avez conduit contre la mer vos chevaux pour troubler les grandes eaux, j’ai fait la garde la plus vigilante sur mon cœur, car j’avais tremblé d’effroi jusqu’en mes entrailles, et ma force ou mon attitude avait été ébranlée, dans la crainte où j’étais de maux semblables. Ce texte peut être aussi regardé comme une sorte de début, le prophète racontant sa crainte, comment il avait tremblé d’avoir péché en quelque chose, et comment, averti par la voix de la prière de ses lèvres, il avait craint Dieu au point que le frisson en avait pénétré jusque dans ses os ; comment, enfin, placé sous la haute main du Seigneur, il avait été ébranlé dans la force ou dans l’assiette habituelle de son âme. Cette expression : « Le frisson a pénétré jusque dans mes os », doit être entendue comme emphatique, afin qu’on voie la crainte excessive de Dieu pénétrant l’âme tout entière, et remuant tout l’homme, dans l’appréhension qu’il a de faire quoi que ce soit qui déplaise à Dieu. Et puis l’Écriture, sous l’allégorie des membres du corps, donne des membres à l’âme : dans les entrailles que remue la frayeur, il faut voir cette faculté de l’âme qui reçoit les aliments spirituels ; les lèvres de l’âme sont celles avec lesquelles elle se parle à elle-même ; ses os sont les dogmes forts et solides qui affermissent toute sa charpente. J’ai donné ces explications en peu de mots : Si quelqu’un en trouvait de plus habiles et de plus vraies, on devrait dé préférence se ranger à son opinion.

Les Septante : « Je me reposerai au jour de mon affliction, afin de monter vers le peuple de mon voyage. » Parce que j’ai exercé une garde assidue sur mon cœur, que mes entrailles ont frémi de crainte à la voix de la prière de mes lèvres, que le frisson a pénétré jusque dans mes os, que ma force ou mon assurance a été troublée au-dessous de moi, et que, grâce à ma vigilance la plus rigoureuse, je suis devenu étranger aux péchés, je m’écrie maintenant avec confiance : Je me reposerai au jour de l’affliction, pour monter vers Je peuple de mon pèlerinage, c’est-à-dire, qui a comme moi été voyageur en ce monde. Je monterai étant exilé en bas, et comme faisant effort pour m’élever du fond d’une vallée vers les plus, hauts sommets, j’appliquerai tous mes désirs à n’avoir que le souci de mon ascension, pendant que les antres sont dans la tribulation et l’angoisse, et à trouver les moyens pour me reposer sur les lieux les plus élevés, avec le peuple de mon pèlerinage. Quant au jour de la tribulation, c’est, je pense, la fin du monde, selon la parole d’Isaïe : « Le jour sans lendemain de la fureur et de la colère du Seigneur, où il réduira toute la terre en un vaste désert, et où il perdra les pécheurs. » [253].

« Car le figuier ne fleurira plus, et les vignes ne pousseront plus ; l’olivier trompera l’attente de ses fruits, et les campagnes ne porteront pins de grain pour la nourriture ; les brebis seront enlevées des bergeries, et il n’y aura plus de bœufs dans les étables. » [254]. Les Septante : « Parce que le figuier ne portera plus de fruits, et il n’y aura plus de bourgeons dans les vignes ; l’olivier trompera ceux qui attendaient ses fruits, et les champs ne feront plus de grain pour la nourriture ; les brebis ont manqué, parce qu’on les a mangées, et il n’y a plus de bœufs dans les étables. » Selon le texte hébreu, où nous avons lu plus haut : « Que la pourriture pénètre dans mes os et que les vers se multiplient au-dessous de moi, afin que je me repose au jour de la tribulation, et que je monte vers notre peuple prêt au combat », ce qui précède doit être ainsi relié à ce qui suit : J’ai voulu supporter l’affliction dans le temps présent, et ensuite m’élever jusqu’au peuple fort, parce que viendra le jour de la tribulation et de la nécessité, et que les autres étant plongés dans l’angoisse, je me réjouirai dans votre majesté : « Car le figuier ne fleurira plus, et il m’y aura aucun bourgeon dans les vignes ; l’olivier trompera celui qui attendait son fruit, et les campagnes ne porteront plus du grain pour nourrir, etc. » Gomme ici les Septante ne diffèrent guère de l’hébreu, je discuterai les deux textes ensemble. Lorsque viendra le jour de la tribulation, je monterai aussi vers le peuple qui a autrefois fait le voyage de la vie comme moi ; ou assurément, quand viendra le jour du renversement des Juifs et du premier peuple, et que la fille de Sion sera abandonnée, comme une tente au milieu d’une vigne, comme une cabane dans un champ de concombres, et comme une ville prise d’assaut, moi qui, sur le point de périr, ai été élu pour faire partie du peuple, dont il a été dit : « Si le Seigneur ne nous avait réservé quelques-uns de notre race, nous aurions été comme Sodome, et nous serions devenus semblables à Gomorhe », [255], je m’unirai aux disciples de Jésus-Christ, et comme il les instruit sur la montagne, laissant au bas les foules et les faibles, je monterai vers les sommets. Car il n’a pas donné de fruit, le figuier vers lequel vint Notre-Seigneur qui avait faim, et ne trouvant pas de figues sur lui, il le frappa de cette malédiction : « Tu ne porteras plus de fruit jusqu’à la fin du siècle. » [256]. Arrêtons-nous attentivement à ces paroles : « Tu ne porteras plus de fruit jusqu’à la fin du siècle. » Il ne dit pas jusque dans les siècles des siècles ; mais lorsque ce siècle sera passé, et que la plénitude des nations sera entrée, alors aussi ce figuier portera ses fruits, et tout Israël sera sauvé. Ce figuier est celui vers lequel le père de famille vient pour la troisième fois, et qu’il veut arracher comme rie faisant pas de fruit ; le colon, à qui le soin en avait été confié, demande grâce pour lui, afin qu’on lui accorde le temps, et il dit : « Seigneur, laissez-le encore cette année, afin que je laboure au pied, et que j’y mette du fumier ; après cela, nous verrons s’il porte du fruit ; si non vous le ferez couper. » [257]. Ce vigneron, c’est Gabriel, ou c’est Michel, à qui, a été confié le peuple juif, et qui prie Notre-Seigneur dans la passion : Seigneur, dit-il, donnez-leur le temps de la pénitence, et ne les arrachez point, pour voir s’ils porteront des fruits ; sinon, vous les arracherez alors. S’ils portent du fruit, le texte ne dit pas ce qu’ils endureront, et il ne dit pas non plus qu’ils resteront comme ils étaient ; mais s’ils portent du fruit, la sentence demeure en suspens, en sorte qu’on sous-entende : Vous les transporterez dans l’Église des Gentils, vous les transplanterez dans une autre vigne. Le Seigneur vient pour la troisième fois, et il ne trouve pas du fruit sur ces figuiers. Il leur a donné d’abord la loi par Moïse, puis il leur a parlé par les prophètes, et en troisième lieu, il est descendu lui-même ; et après la Passion, quarante-quatre ans leur ayant ôté accordés pour faire pénitence, comme ils ne portèrent pas de fruits, en quatrième lieu ils ont été arrachés. Ceci pourtant est laissé à notre sagacité : la parabole mentionne simplement la prière du vigneron, et ne dit pas ce que fit ensuite le père de famille. D’où nous devons induire que les rejetons de ce figuier qui ont fait du fruit, ont été transférés au peuple des Gentils, vers lequel monte le prophète lui-même, quand il dit : « Je me reposerai au jour de la tribulation, pour monter vers le peuple de mon pèlerinage ; » et que ceux qui n’ont pas donné de fruits ont été arrachés. C’est cela même que signifie la parole de Jean dans l’Évangile : « Voilà que la hache a été posée à la racine des arbres. Tout arbre qui ne porte pas de fruit sera coupé et jeté au feu.

Nous avons montré que le figuier, c’est le peuple juif ; expliquons-nous sur la vigne. La parabole en est facile pour celui qui a lu dans Isaïe : « Une vigne a été plantée pour mon bien-aimé dans la force, dans un lieu fertile ; » [258] ; et plus loin : « J’ai attendu qu’elle portât du fruit, elle a porté des épines, et, au lieu de la justice, la clameur » ; [259] ; et dans Jérémie : « Pour moi, je vous avais plantée comme une vigne féconde, toute de bon plant ; comment donc êtes-vous devenue une vigne étrangère aux fruits amers ? » [260] ; et dans le psaume plus clairement encore : « Vous avez transporté la vigne hors de l’Égypte, vous avez chassé les nations et vous l’avez plantée. » [261]. Cette vigne vers laquelle le père de famille avait souvent envoyé ses serviteurs,[262] afin d’en retirer ce vin qui réjouit le cœur de l’homme, parce qu’elle a été changée en amertume, et qu’en dernier lieu elle a osé mettre à mort le fils du père de famille, ne portant pas des raisins, mais des épines, et non la justice, mais cette clameur : « Crucifiez, crucifiez-le !… nous n’avons d’autre roi que César » ; [263] ; – cette vigne, à cause de cela, a été exterminée par le sanglier de la forêt, et toute bête fauve s’en est repue. » [264]. L’olive apparaîtra aussi clairement comme la figure du peuple de la synagogue, à quiconque lira dans l’Apôtre,[265] qui sont les branches coupées de l’olivier, et, comment de l’olivier sauvage, nous avons été greffés sur l’olivier franc, en sorte que nous comprenions qu’avec les branches, la multitude des Juifs a été coupée, et que, dans les racines, a été conservée l’élection des Apôtres, sur qui nous avons été greffés et nous demeurerons, si nous portons du fruit, et il sera dit de nous : « Vos enfants sont autour de votre table comme les rejetons de l’olivier. » [266]. Beaucoup de commentateurs pensent que le figuier, la vigne et l’olivier, sont la figure du mystère delà Trinité, et ils voient dans le figuier, à cause de la douceur de ses fruits, le Saint-Esprit ; dans la vigne, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a dit : « Je suis la vigne », [267], et dans l’olivier, Dieu le Père Tout-Puissant, qui illumine toutes choses, de qui sort la lumière, et à qui nous pouvons dire : O olivier, « dans votre lumière nous verrons la lumière », [268], c’est-à-dire dans le Fils nous verrons le Saint-Esprit. C’est vers ces arbres féconds et cette vigne la plus fertile que viennent, dans le livre des Juges, les arbres stériles, [269] qui les prient de régner sur eux. Mais jamais sur les arbres des forêts réservés au feu, ne règne l’olivier et la vigne et le figuier ; c’est plutôt le prunellier plein d’épines, semblable à l’hérétique, qui habite dans Babylone et vit sans cesse dans les fosses. Cet arbuste n’a pas seulement des épines, mais aussi du feu, sa blessure brûlant tout ce qu’elle atteint. C’est pourquoi le feu est sorti, et il a dévoré les arbres des forêts. D’ailleurs, pour qu’on voie bien, selon le sens où nous avons plus haut appliqué à la synagogue les mots : « Le figuier ne portera pas de fruit, et il n’y aura plus de bourgeons dans les vignes », qu’il s’agit non pas des fruits, mais des bonnes œuvres, l’énigme est entièrement dévoilée à propos de l’olivier, quand il est dit : « L’œuvre de l’olivier sera mensongère. » Les fruits que devaient porter les Juifs sont manifestés dans leurs œuvres ; or, l’œuvre de l’olivier sera le mensonge, puisqu’il promet une chose et qu’il en fait une autre ; qu’ils disent à Moïse : « Tout ce que le Seigneur dira, nous le ferons », [270], et qu’ils ne veulent pas croire en celui qui a été prédit par Moïse. Les campagnes aussi ne porteront pas de fruit. Il est à remarquer que Jérusalem, qui était autrefois située sur les montagnes et environnée de montagnes, [271] et « dont les fondements étaient dans les montagnes saintes », [272], est appelée maintenant une humble et plate campagne, qui non-seulement ne nourrit pas les hommes, c’est-à-dire les animaux raisonnables, mais même les troupeaux et les bœufs, dont Salomon parle aussi dans les Proverbes : « Donnez votre soin aux contrées de la plaine, et faites tondre les prés et recueillir le foin, afin d’avoir des brebis pour vous nourrir. » [273]. Il n’y aura plus de bœufs dans les étables, parce que la force du bœuf parait clairement où les granges sont pleines. [274]. Le bœuf est bon à l’œuvre ; le bœuf porte le joug du Seigneur ; celui qui sème sur les traces du bœuf est heureux. Tous ces biens seront ôtés au peuple, parce qu’il s’est conduit injustement envers Dieu, son Créateur. Que si l’on veut, par jour delà tribulation, entendre le jour de la consommation, on appliquera tout ce texte à ceux qui se disent de l’Église, et qui n’ont pas les œuvres de justice. Le figuier et la vigne et l’olivier, c’est-à-dire le mystère de la Trinité, ne portera pas en eux son fruit, et non-seulement ils n’ont pas dans leurs champs les blés qui donnent la nourriture des animaux raisonnables, mais même les pâturages des brebis et des bestiaux ; leurs granges sont vides, et, au lieu de vivre sur les montagnes élevées, ils habitent dans les lieux plats et bas.


« Mais pour moi, je me réjouirai dans le Seigneur, je tressaillirai de joie en Dieu mon Sauveur. Le Seigneur Dieu est ma force, et il rendra mes pieds comme ceux des cerfs ; et, après avoir vaincu mes ennemis, il me ramènera sur mes montagnes, au son des cantiques que je chanterai. » [275]. Les Septante : « Pour moi, je tressaillirai de joie dans le Seigneur ; je me réjouirai à cause de Dieu, mon salut. Le Seigneur Dieu est ma force, et il affermira mes pieds jusqu’à la consommation ; il m’établira au-dessus des hauts lieux, afin que je sois vainqueur dans son Cantique. » Le figuier et la vigne et l’olivier, dans le sens qui a été marqué, ne donnant pas leur fruit, et les champs des Juifs ne portant pas des aliments, les troupeaux ayant été en outre retranchés de leur bergerie et les bestiaux de leurs étables, après que le Seigneur leur eut dit : « Votre maison vous sera laissée déserte », [276], le peuple enfin ayant été livré à la captivité et dispersé dans tout l’univers, le prophète, sorti de ce même peuple des Juifs, et dont le nom veut dire « embrassement », parce qu’il aime le Seigneur, et qu’il s’attache et s’unit intimement à lui, s’écrie au nom des apôtres et du peuple qui croit en Jésus-Christ : « Pour moi, je me réjouirai dans le Seigneur, et je tressaillirai de joie dans Jésus mon Dieu ; » ce que les Septante ont traduit par : « Dans mon Sauveur », d’après l’interprétation de l’ange Gabriel : « Et il sera appelé Jésus, car c’est lui-même qui sauvera son peuple. » [277], Dieu mon Seigneur est ma force ; je n’aurai d’autre vertu que celle qui est en Jésus-Christ, et je regarderai comme des ordures toutes lies justices de la loi. « Il rendra mes pieds comme ceux des cerfs », afin que je foule aux pieds l’aspic et le basilic, et que comme un petit enfant, mettant la main dans le trou, j’en retire le serpent et je me joue de lui : « car mon bien-aimé est semblable à un chevreuil et à un faon de biche. » [278]. Comme il est cerf lui-même, il m’a accordé d’être cerf à mon tour, aux cornes hautes, au pied bifide, ruminant les aliments et mettant à mon odeur les serpents en fuite. Aussi est-il écrit dans le psaume dix-sept ; « Il a parfait mes pieds comme ceux des cerfs, et il m’établira sur les montagnes ; » et dans le psaume vingt-huit : « C’est la voix du Seigneur qui parfait les cerfs. » Il affermira donc mes pieds parmi ses autres cerfs, et il me conduira jusqu’aux célestes demeures, afin que, parmi les anges, je chante la gloire du Seigneur, et que j’annonce la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Je chanterai sa victoire, et le triomphe et les trophées de la croix. Tout cela, d’après le texte hébreu et la Cinquième Édition, appliquons-le au temps de la ruine des Juifs et à l’avènement du Seigneur.

Si l’on veut entendre ce texte de la fin du monde, il faut le développer ainsi ; De même que dans l’Exode, lorsque l’Égypte fut frappée, [279] que Dieu frappa ses vignes et ses figuiers, qu’il fit périr les premiers-nés des hommes et des animaux par la grêle, et que le ver et la sauterelle dévorèrent les fruits de ce pays, le figuier en Égypte ne porta plus de fruit, et il n’y avait plus de bourgeons sur les vignes, et l’œuvre de l’olivier était trompeuse, si toutefois cet arbre croissait quelque part dans cette contrée, et les champs des Égyptiens ne donnaient pas de quoi les nourrir, et leurs troupeaux périssaient, parce qu’ils n’avaient aucune pâture, et il n’y avait plus de bœufs dans les étables, tandis que le peuple d’Israël tressaillait de joie dans le Seigneur, et se réjouissait en Dieu, son salut ; de même à la fin du monde, lorsque, l’iniquité s’étant multipliée, la charité se sera refroidie, [280] que le figuier ne portera plus de fruits, que les vignes n’auront plus de raisins, que l’œuvre de l’olivier sera mensongère, que les champs ne porteront pas de nourriture, et le reste ; alors le juste, quiconque aura été trouvé digne de l’élection de Dieu, s’écriera plein d’allégresse : « Pour moi, je tressaillirai de joie dans le Seigneur, je me réjouirai en Dieu, mon salut, car le Seigneur est ma force ; » et comme établi par Dieu au-dessus de la ruine du siècle, afin de s’élever ensuite vers les hauteurs et d’être conduit par Dieu jusqu’au faîte, il ajoutera : « Et il affermira mes pieds au-dessus de la consommation, il m’établira sur les hauts sommets » du ciel, afin que lorsque l’agonothète Jésus, qui a le premier vaincu dans la lice, proposera le prix aux chanteurs, je remporte la victoire dans le chant de ses louanges, que mes mains tirent de mélodieux accords de la cithare, de la harpe et de toutes sortes d’instruments, et que j’écrive le panégyrique du triomphateur. Et moi qui d’abord avais dit : « Jusques à quand crierai-je sans que vous m’entendiez ? et pousserai-je de hauts cris vers vous, dans la violence qui m’opprime, sans que vous me sauviez ? » et qui ai témérairement accusé sa justice et ses décrets, je louerai ensuite son équité, et mes chants surpasseront les chants de tous mes rivaux.

  1. Zac. 9, 1
  2. Zac. 12, 1
  3. Hab. 1, 2 et seqq.
  4. Isa. 45, 1; Jer. 18, 1; Rom. 9,1
  5. 1Co. 14, 1
  6. Dan. 14, 1
  7. Hab. 1, 2
  8. Psa. 72, 2
  9. Id. 11-12
  10. Rom. 11, 1
  11. 1Sa. 16, 1
  12. Eph. 3, 13
  13. Psa. 33, 1
  14. Mat. 10, 22
  15. Hab. 1, 3-4
  16. 2Ro. 24, 1
  17. 2Ro. 23, 1
  18. Dan. 3, 1
  19. Dan. 5, 1
  20. Gen. 4, 1
  21. Gen. 28, 1
  22. Jn. 19, 1
  23. Jn. 18, 1
  24. Hab. 1, 5
  25. Hab. 1, 6 et seqq.
  26. Eze. 29, 18
  27. Mat. 7, 13
  28. Luc. 16, 1
  29. Amo. 6, 4
  30. 1Co. 6, 20
  31. Mat. 12, 44
  32. 1Ti. 1, 1
  33. Jn. 12, 1
  34. Mat. 4, 9
  35. 2Co. 10, 4-5
  36. Hab. 1, 12
  37. Hab. 1, 13-14
  38. Jer. 12, 1-2
  39. Jon. 2, 1
  40. Luc. 18, 1
  41. Rom. 7, 23
  42. Phi. 3, 13
  43. 1Co. 13, 9
  44. Phi. 3, 15
  45. 1Co. 4, 6
  46. Mat. 18, 1
  47. Psa. 33, 1
  48. Hab. 1, 15
  49. Dan. 3, 1
  50. Mat. 17, 1
  51. Rom. 5, 19
  52. 1Co. 15, 1
  53. Psa. 103, 21
  54. Hab. 2, 1
  55. Hab. 1, 12
  56. Id. 13
  57. Zac. 1, 9
  58. Psa. 84, 9
  59. Hab. 2, 2 et seqq
  60. Isa. 65, 24
  61. 2Co. 3, 2-3
  62. Pro. 3, 3
  63. Isa. 1, 13
  64. 1Ti. 6, 11
  65. Rom. 12, 13
  66. 1Co. 14, 1
  67. Isa. 49, 8
  68. 1Jn. 2, 18
  69. Eze. 19, 1
  70. Rom. 1, 17
  71. Hab. 2, 5 et seqq
  72. Jer. 38, 22
  73. Jn. 19, 6
  74. Mrc. 13, 1
  75. Mat. 24, 1
  76. Luc. 18, 8
  77. 1Jn. 2, 18
  78. Hab. 2, 9-11
  79. Psa. 8, 3
  80. Mat. 21, 9, 16
  81. Mat. 16, 11
  82. Psa. 21, 7
  83. Psa. 101, 8
  84. Hab. 12, et seqq
  85. Luc. 12, 49
  86. Psa. 18, 1
  87. Psa. 31, 1
  88. Mat. 23, 1
  89. Mat. 27, 25
  90. Isa. 1, 15
  91. Hab. 2, 15 et seqq.
  92. 1Ro. 25, 1 ; Jer. 39, 1
  93. Jer. 2, 18
  94. Psa. 123, 5
  95. 1Ro. 17, 1
  96. Psa. 109, 7
  97. Mat. 26, 39
  98. Ibid, 1
  99. 1Th. 5, 7
  100. Mat. 21, 1
  101. Isa. 2, 18-19
  102. 1Sa. 24, 1
  103. 1Ro. 19, 1
  104. Exo. 33, 1
  105. Isa. 32, 16
  106. Psa. 74, 9
  107. Psa. 108, 7
  108. Hab. 2, 18
  109. Dan. 3, 1
  110. Deu. 27, 15
  111. Luc. 12, 42
  112. Psa. 106, 43
  113. Rom. 8, 35
  114. Hab. 2, 19-20
  115. 1Co. 3, 16
  116. 1Co. 6, 19
  117. Jn. 14, 10
  118. Act. 17, 28
  119. Osé. 4, 12
  120. Luc. 11, 24
  121. Psa. 24, 7
  122. Hab. 3, 1
  123. Hab. 2, 6
  124. Id. 12
  125. Id. 15
  126. Id. 19.
  127. Isa. 1, 5
  128. Isa. 6, 1
  129. Exo. 25, 1
  130. Isa. 6, 1
  131. Luc. 12, 49
  132. Hab. 3, 1
  133. 2Co. 6, 2
  134. Jn. 17, 6
  135. Psa. 79, 6
  136. Hab. 3, 1
  137. Psa. 12, 1
  138. Rom. 1, 18
  139. Hab. 3, 3
  140. Can. 4, 16
  141. Can. 1, 6
  142. Gen. 18, 1
  143. Gen. 43, 1
  144. Lev. 20, 26
  145. Jn. 14, 23
  146. Hab. 3, 4
  147. Luc. 2, 14
  148. Psa. 8, 2, 10
  149. Psa. 18, 5
  150. Phi. 3, 6 et seqq
  151. Mat. 26, 38
  152. Id. 39
  153. Luc. 23, 46
  154. 1Co. 1, 24
  155. 1Co. 1, 30
  156. Gen. 3, 19
  157. Heb. 1, 1
  158. 2Co. 5, 16
  159. Jn. 1, 3
  160. Jn. 17, 5
  161. Dan. 7, 1
  162. Pro. 21, 1
  163. Isa. 5, 1
  164. Psa. 12 et 91
  165. Psa. 43, 6
  166. Hab. 3, 5
  167. Mat. 12, 1
  168. Mat. m, 17
  169. Hab. 3, 6
  170. Jer. 30, 1
  171. 1Sa. 22, 1
  172. Lev. 26, 12
  173. Hab. 3, 7
  174. Psa. 73, 14
  175. Hab. 3, 8-9
  176. Psa. 45, 4
  177. Jn. 4, 1
  178. Eze. 19, 1
  179. Psa. 79, 12
  180. Rom. 11, 33
  181. Psa. 129, 1
  182. Psa. 103, 25-26
  183. Mrc. 4, 39
  184. Zac. 3, 2
  185. 2Ti. 4, 2
  186. Psa. 113, 1
  187. Can. 1, 8
  188. Exo. 4, 1
  189. Psa. 72, 23
  190. Exo. 15, 1
  191. 2Ro. 6, 1
  192. Psa. 79, 2
  193. 2Ro. 2, 1
  194. Zac. 1, 1
  195. Apo. 6, 1
  196. Psa. 75, 7
  197. Psa. 32, 17
  198. Jer. 18, 1
  199. Hab. 3, 10
  200. Gen. 26, 1
  201. Psa. 107, 33-36
  202. Jn. 9, 39
  203. Hab. 3, 11 et seqq
  204. Isa. 26, 17-18
  205. Mat. 5, 8
  206. Psa. 35, 7
  207. Psa. 12, 8
  208. Psa. 81, 17
  209. Luc. 8, 1
  210. Gen. 1, 2
  211. Gen. 7, 11
  212. Ecc. 1, 2
  213. Phi. 2, 1
  214. Dan. 2, 1
  215. Psa. 41, 1
  216. Isa. 30, 26
  217. Rom. 8, 1
  218. Phi. 3, 1
  219. Exo. 34, 2
  220. Isa. 49, 2-3
  221. Can. 2, 5
  222. 1Ro. 10, 1
  223. Eph. 6, 1
  224. Mat. 5, 14
  225. Psa. 119, 1
  226. Psa. 31, 4
  227. Isa. 6, 1
  228. Psa. 104, 14-15
  229. 1Ch. 1, 16
  230. Exo. 30, 1
  231. Lev. 8, 1
  232. 1Sa. 16, 1
  233. 2Ro. 9, 1
  234. Isa. 45, 1
  235. 1Ro. 19, 1
  236. Psa. 44, 8
  237. 1Jn. 2, 20
  238. Ibid, 26-27
  239. Lev. 14, 1
  240. 1Ro. 5, 12, 1
  241. Psa. 44, 8
  242. Mic. 1, 3
  243. Hab. 3, 14-16
  244. 1Co. 11, 1
  245. Gen. 12, 1
  246. 1Ro. 21, 1
  247. 1Ro. 18, 1
  248. Psa. 73, 14
  249. Mrc. 3, 1
  250. Apo. 16, 1
  251. Mat. 28, 19-20
  252. Mat. 7, 13
  253. Isa. 14, 6-7
  254. Hab. 3, 17
  255. Isa. 1, 9
  256. Mat. 21, 19
  257. Luc. 13, 8-9
  258. Isa. 5, 1
  259. Id. 2
  260. Jer. 2, 21
  261. Psa. 79, 9
  262. Mat. 21, 1
  263. Jn. 19, 6-15
  264. Psa. 79, 14
  265. Rom. 11, 1
  266. Psa. 126, 3
  267. Jn. 15, 1
  268. Psa. 35, 10
  269. Jdt. 9, 1
  270. Exo. 24, 7
  271. Psa. 124, 1
  272. Psa. 86, 1
  273. Pro. 27, 25-26
  274. Pro. 14, 4
  275. Hab. 3, 18-19
  276. Mat. 23, 38
  277. Mat. 2, 21
  278. Can. 2, 9
  279. Exo. 9, 1
  280. Mat. 24, 1