Jean part2

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Traités sur saint Jean
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)
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CINQUIÈME SÉRIE. TRAITÉS SUR SAINT JEAN.[modifier]

TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN.[modifier]

SOIXANTE-SEPTIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CE QUE DIT NOTRE-SEIGNEUR, DEPUIS CES MOTS : « QUE, VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ », JUSQU’À CES AUTRES : « JE VIENS DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI AVEC MOI ». (Ch. 14, 1-3.)

TRANQUILLITÉ.[modifier]

Les Apôtres étaient troublés a la pensée de la mort de leur Maître et du sort qui leur était réservé. Tranquillisez-vous, leur dit Jésus, car si je meurs comme homme, comme Dieu je ne puis mourir ; sachez aussi que je vous préparerai une place dans la maison de mon Père, où se trouvent plusieurs demeures, conformes aux mérites de chacun des élus.

1. Il faut élever, mes frères, notre esprit vers Dieu avec une plus grande attention, afin que nous puissions en quelque manière faire pénétrer jusqu’à nos âmes les paroles du saint Évangile, qui viennent de retentir à nos oreilles. Car le Seigneur Jésus dit : « Que votre cœur, ne soit pas troublé ; croyez en Dieu, croyez aussi en moi » : il voulait par là empêcher ses disciples, qui étaient des hommes, de craindre la mort et de se troubler ; il les console donc en leur faisant connaître qu’il est Dieu. « Croyez », dit-il, « en Dieu ; croyez « aussi en moi ». En effet, si vous croyez en Dieu, vous devez aussi croire en moi : cette conséquence ne serait pas juste si Jésus-Christ n’était pas Dieu. « Croyez en Dieu », croyez aussi en celui pour qui ce n’est pas une usurpation, mais un droit naturel, d’être égal à Dieu. Il s’est anéanti lui-même, il est vrai ; mais tout en prenant la forme d’esclave, il n’a point perdu la forme de Dieu. Vous craignez la mort pour cette forme d’esclave[1] : « Que votre cœur ne se trouble point » ; la forme de Dieu la ressuscitera.

2. Mais que signifient les paroles suivantes « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures », sinon que les disciples craignaient pour eux-mêmes ? C’est ce qui avait obligé le Seigneur à leur dire : « Que votre cœur ne soit point troublé ». Et en effet, lequel d’entre eux aurait pu ne pas craindre, quand il avait dit à Pierre, le plus hardi et le plus zélé de tous : « Le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois[2] ? » Ce n’était donc pas sans fondement qu’ils étaient troublés, puisqu’ils croyaient qu’ils le perdraient pour toujours. Mais quand ils entendent : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit : car je vais vous préparer une place », leur trouble s’apaise ; ils se confient en sa parole et sont assurés qu’après les dangers des tentations ils demeureront chez Dieu avec Jésus-Christ. Bien que l’un soit plus fort que l’autre, l’un plus sage que l’autre, l’un plus juste que l’autre, l’un plus saint que l’autre : « dans la maison du Père il y a plusieurs demeures » ; par conséquent aucun d’eux ne sera rejeté de cette maison où chacun recevra la demeure due à son mérite. Sans doute le denier que le Père de famille fait donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne est égal pour tous ; car ce père de famille ne s’inquiète nullement de savoir s’ils ont plus ou moins travaillé[3]. Ce denier représente la vie éternelle, où personne ne vit plus longtemps qu’un autre, puisque la mesure de la vie étant l’éternité, se trouve être la même pour tous. Mais la diversité des demeures indique, dans une même vie éternelle, la diversité des mérites et des récompenses. Autre est la gloire du soleil, autre est la gloire de la lune ; autre est celle des étoiles ; telle étoile diffère de telle autre par son éclat. Ainsi en sera-t-il de la résurrection des morts. Comme les étoiles dans le ciel, les saints occuperont dans le royaume de Dieu des demeures différentes par le nombre et l’éclat. Mais comme le même denier est donné à tous, aucun ne sera exclu et ainsi Dieu sera tout en tous[4]. Et comme Dieu est charité[5], la charité opérera cet effet, que ce que chacun des saints possédera, tous le posséderont pareillement. En effet, n’est-ce pas posséder soi-même que d’aimer dans les autres ce qu’on n’a pas en réalité ? L’inégalité de la clarté ne fera donc naître aucune jalousie, parce qu’entre tous régnera l’union de la charité.

3. Un cœur chrétien doit donc rejeter bien loin de lui ceux qui de ces paroles : « il y a plusieurs demeures », veulent conclure qu’en dehors du royaume des cieux il y aura un lieu où seront heureux les enfants qui meurent sans baptême, parce que sans le baptême ils ne peuvent entrer dans le royaume des cieux. Cette croyance n’est pas la foi, parce qu’elle n’est pas la foi véritable et catholique. O hommes insensés et aveuglés par vos imaginations charnelles ! vous seriez blâmables si vous sépariez du royaume des cieux la demeure, je ne dis pas de Pierre et de Paul, ou de quelque autre Apôtre, mais du moindre enfant baptisé, et vous penseriez n’être pas coupables si vous séparez la maison de Dieu le Père ? Le Seigneur ne dit pas : dans le monde entier, dans toute la création, ou bien dans la vie et le bonheur éternel il y a plusieurs demeures ; mais il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures ». N’est-ce pas cette maison que Dieu nous a construite lui-même, qui n’a pas été faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans le ciel [6] ? N’est-ce pas cette maison dont nous parlons à Dieu quand nous chantons : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ; ils vous loueront dans les siècles des siècles[7]. ? » Je ne dirai pas que cette maison est celle du moindre de nos frères baptisés ; je dirai qu’elle est la maison même de Dieu le Père, car nous sommes tous frères et nous disons à Dieu : « Notre Père, qui êtes dans le ciel[8] ». Or, oserez-vous bien la séparer du royaume des cieux ? oserez-vous la partager de telle façon que quelques-unes de ses demeures se trouvent dans le royaume des cieux, et que quelques autres en soient exclues ? Non, oh non ! ceux qui veulent habiter dans le royaume des cieux ne consentiront jamais à habiter avec vous dans cette extravagance. Non, quand la maison tout entière des enfants de Dieu qui doivent régner avec lui, ne se trouve que dans son royaume, nous ne croirons jamais qu’une partie quelconque de la maison du roi lui-même ne se trouve pas dans son royaume.

4. « Et si je m’en vais », dit-il, « et si je vous prépare une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez où je serai. Vous savez où je vais, et vous en connaissez le chemin ». O Seigneur Jésus, comment allez-vous préparer la place, si déjà il y a plusieurs demeures dans la maison de votre Père, où les vôtres habiteront avec vous ? Et si vous les prenez avec vous, comment pourrez-vous revenir, puisque vous ne vous éloignez pas d’eux ? Mes très-chers frères, comme le discours d’aujourd’hui me paraît déjà assez long, si j’essaie de vous expliquer en peu de mots ces paroles, je me verrai obligé d’abréger ; par cela même elles ne deviendront pas plus claires, et la brièveté y ajoutera une nouvelle obscurité. Renvoyons donc à un autre jour l’accomplissement de ce devoir ; nous nous en acquitterons en temps plus opportun, avec la grâce du commun Père de famille.

SOIXANTE-HUITIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR LA MÊME LEÇON.[modifier]

LES DEMEURES DE LA MAISON DE DIEU.[modifier]

Il y a plusieurs demeures dans la maison de Dieu : préparées en droit par la prédestination, elles nous sont préparées de fait par Jésus-Christ, puisque la maison de Dieu est son royaume, que nous sommes nous-mêmes ce royaume, et que, par la grâce du Sauveur, nous nous préparons à en faire partie ; mais nous ne pouvons y parvenir effectivement qu’autant que Jésus-Christ n’est pas visible au milieu de nous, c’est-à-dire, qu’autant que nous vivons de la foi.

1. Je me reconnais votre débiteur, mes très chers frères, et le temps est venu de m’acquitter de ce que je vous ai promis. Je tâcherai donc de vous montrer qu’il n’y a pas contradiction entre les deux paroles de Notre-Seigneur que nous allons citer. Il dit d’abord « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures ; s’il en était ainsi, je vous aurais dit : Je vais vous préparer une place » ; par là, il montre suffisamment qu’il leur a parlé ainsi parce qu’il y a déjà plusieurs demeures, et qu’il n’a pas besoin d’en préparer. Puis il ajoute : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que vous soyez où je serai ». Comment s’en va-t-il, et prépare-t-il une place, si déjà il y a plusieurs demeures ? Si cela n’était pas, il aurait dit : « Je vais préparer une place » ; ou bien, si cette place devait être préparée, pourquoi n’aurait-il pas eu raison de dire : Je dois la préparer ? Ces demeures existent-elles déjà, et, malgré cela, ont-elles besoin d’être préparées ? Car, si elles n’existaient point, Jésus aurait dit : « Je vais préparer une place ». Cependant, quoique ces demeures existent déjà, et qu’elles exigent d’être préparées, il ne va pas les préparer telles qu’elles sont. Néanmoins, s’il s’en va et qu’il les prépare comme elles doivent être, il reviendra, il prendra ses disciples auprès de lui et ils seront eux-mêmes où il sera. Ces demeures qui sont dans la maison du Père (pas d’autres, mais celles-là), comment existent-elles, sans être comme elles doivent être préparées, et comment n’existent-elles pas encore comme elles doivent être préparées ? Comment le comprendre, sinon en la même manière que le Prophète ? Ne dit-il pas, en effet, que Dieu a fait les choses qui doivent se faire ? Le Prophète ne dit pas : Dieu fera ce qui doit se faire ; mais : « Il a fait ce qui doit se faire[9] ». Donc il a fait ces choses, il doit les faire ; car elles ne sont pas faites, s’il ne les a pas faites ; et elles ne seront pas faites, s’il ne les fait pas plus tard. Il les a donc faites par sa prédestination, et il les fera par son opération ; ainsi en est-il des disciples du Sauveur : l’Évangile nous indique suffisamment à quelle époque Notre-Seigneur les choisit ; ce fut évidemment lorsqu’il les appela[10]; et cependant, dit l’Apôtre, « il nous a choisis avant la création du monde[11] ». En les prédestinant, mais non en les appelant. « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés[12] » ; il les a choisis en les prédestinant avant la création du monde ; il les a choisis en les appelant avant la fin du monde. C’est ainsi qu’il a préparé ces demeures, et qu’il les prépare ; ce ne sont pas d’autres demeures, ce sont celles qu’il a préparées, qu’il prépare ; car il a fait les choses qui doivent se faire, il a préparé ces demeures par sa prédestination, il les prépare par son opération. Elles existent donc déjà comme prédestinées ; autrement, il aurait dit : J’irai et je les préparerai, c’est-à-dire, je les prédestinerai. Mais comme elles n’existent pas encore en tant qu’exécutées, il dit : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, de nouveau je viendrai et vous prendrai avec moi ».

2. Mais ces demeures, il les prépare en quelque sorte par cela même qu’il prépare ceux qui doivent les habiter. En effet, quand il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures », quelle idée nous faisons-nous de cette maison de Dieu ? ne la regardons-nous pas comme le temple de Dieu ? Pour savoir ce qu’est ce temple, interrogez l’Apôtre, et il vous répondra : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple [13] ». C’est encore le royaume de Dieu que le Fils doit donner au Père. Aussi le même Apôtre dit-il encore : « Jésus-Christ d’abord, comme les prémices ; puis ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, et qui ont cru à son avènement : ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père [14] » ; c’est-à-dire, quand il aura remis à son Père, pour le contempler, ceux qu’il aura rachetés de son sang. C’est de ce royaume des cieux qu’il est dit : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème du bon grain dans son champ. Or, ce bon grain, ce sont les enfants du royaume ». Aujourd’hui l’ivraie se trouve mêlée au bon grain ; mais à la fin le roi lui-même enverra ses anges, « et ils enlèveront de son royaume tous les scandales. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père[15] ». Le royaume brillera dans le royaume, lorsque, pour nous qui sommes ce royaume, viendra le royaume que nous demandons maintenant par ces paroles : « Que votre règne arrive[16] ». Dès cette vie déjà nous sommes appelés le royaume de Dieu ; mais ce royaume ne fait encore que se former ; car si nous ne portions pas ce nom, il ne serait pas dit de nous : « On enlèvera de son royaume tous les scandales ». Mais ce royaume ne règne pas encore ; c’est un royaume, en ce sens que lorsque tous les scandales en auront été enlevés, il possédera la royauté ; de la sorte, il en aura non pas seulement le nom, mais encore la puissance. C’est en effet à ce royaume placé à droite, qu’il sera dit à la fin : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume [17] » ; c’est-à-dire, vous qui étiez un royaume, et qui ne régniez pas encore, venez et régnez. Ce que vous n’étiez qu’en espérance, soyez-le en réalité. Mais cette maison de Dieu, ce temple de Dieu, ce royaume de Dieu, ce royaume des cieux, est encore en construction ; il se bâtit, il se prépare, on ne fait qu’en rassembler les éléments. En lui seront les demeures, comme les prépare encore le Seigneur ; en lui sont déjà les demeures, telles que le Seigneur les a prédestinées.

3. Mais qu’est-ce que Notre-Seigneur est allé préparer, puisque c’est nous-mêmes qu’il prépare et puisque, d’ailleurs, il ne nous préparerait pas s’il nous quittait ? Je comprends, Seigneur, autant que je le puis, ce que vous nous indiquez par là : pour que ces demeures soient préparées, le juste doit vivre de la foi[18]. Celui, en effet, qui marche loin du Seigneur, a besoin de vivre de la foi, parce que la foi le prépare à contempler Dieu face à face[19]. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[20] » ; et : « La foi purifie leurs cœurs[21] ». Cette première parole se trouve dans l’Évangile, et la seconde, dans les Actes des Apôtres. Or, la foi qui purifie, pendant leur pèlerinage, les cœurs de ceux qui doivent contempler Dieu, cette foi croit ce qu’elle ne voit pas ; dès lors que tu vois, tu n’as plus la foi. Le croyant amasse des mérites ; celui qui voit en reçoit la récompense. Que le Seigneur aille donc nous préparer une place ; qu’il s’en aille, afin que nous ne le voyions pas ; qu’il se cache, afin que nous croyions en lui. Car une place se prépare pour nous quand nous vivons de la foi. Que la foi nous le fasse désirer, et que nos désirs nous mènent à le posséder ; les désirs de la charité sont la préparation de cette demeure. Ainsi, Seigneur, préparez ce que vous préparez : vous nous préparez pour vous et vous vous préparez pour nous ; vous préparez une demeure pour vous dans nous-mêmes, et pour nous, au dedans de vous. Vous nous avez dit, en effet : « Demeurez en moi, et moi en vous[22] ». Selon que chacun sera entré en participation de vous-même, les uns plus, les autres moins, la diversité des mérites fera la diversité des récompenses : le nombre des demeures se comptera d’après la diversité de ceux qui les habiteront ; mais tous vivront éternellement et tous seront éternellement heureux. Qu’est-ce à dire, que vous vous en allez, et que vous venez ? Si je vous comprends bien, vous ne vous éloignez ni de l’endroit d’où vous partez, ni de celui d’où vous venez ; vous vous en allez quand vous vous cachez ; vous venez quand vous vous montrez. Mais si vous ne restez point pour nous guider afin que nous nous avancions de plus en plus. par une vie sainte, comment se préparera la place où nous pourrons rester toujours et jouir de vous ? En voilà assez sur ce passage de l’Évangile qui nous a été lu et qui va jusqu’à ces paroles de Notre-Seigneur : « Je reviendrai et vous prendrai avec moi » : Pour ce qui suit : « Afin que vous soyez vous-mêmes où je serai, vous savez où je vais et vous en connaissez le chemin », il sera plus opportun de l’expliquer quand nous aurons examiné la question que lui fait immédiatement après un des disciples, et que nous nous serons joints à lui pour interroger le Seigneur.

SOIXANTE-NEUVIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « ET VOUS SAVEZ OU JE VAIS, ET VOUS EN SAVEZ LA VOIE », JUSQU’À CES AUTRES : « PERSONNE NE VIENT AU PÈRE QUE PAR MOI ». (Ch. 14, 4-6.)

LE CHRIST, VOIE, VÉRITÉ ET VIE.[modifier]

Jésus-Christ la Voie, la Vérité et la Vie ; c’est donc par lui que nous irons occuper la place qu’il nous prépare au ciel, et c’est à lui que nous irons : de même son humanité sainte a été élevée au ciel par là puissance du Verbe, et s’est trouvée unie à lui dans le séjour de la gloire.

1. Maintenant, mes très-chers frères, il faut, autant que possible, arriver à comprendre les premières paroles de Notre-Seigneur au moyen des dernières, et celles qu’il a dites auparavant par celles qu’il a prononcées ensuite ; pour cela, nous nous appuierons sur la réponse qui a été faite à l’apôtre Thomas. Un peu auparavant, en parlant des demeures qu’il disait être dans la maison de son Père, le Christ avait affirmé qu’il allait les préparer ; de là, nous avons conclu et que ces demeures existent déjà par la prédestination, et qu’elles se préparent quand la foi purifie les cœurs de ceux qui doivent y habiter ; la raison en est que ces sortes de personnes sont la maison même de Dieu. Et encore, demeurer dans la maison de Dieu, qu’est-ce autre chose, que faire partie du peuple de Dieu, puisque : ce peuple est en Dieu et que Dieu est en lui ? Pour préparer ces demeures, le Seigneur s’en alla donc, et ainsi, en croyant en lui puisqu’on ne le voyait plus, on pouvait préparer par la foi cette demeure où l’on verra éternellement Dieu face à face. C’est pourquoi il avait dit : « Et quand je m’en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez vous-mêmes où je serai. Vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie. Sur cela, Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons où vous allez, et comment pouvons-nous en connaître la voie ? » Le Seigneur avait dit qu’ils savaient l’un et l’autre, et Thomas répond qu’ils ignorent, et le lieu où il va, et la voie qui y conduit. Mais le Seigneur ne sait pas mentir : ils savaient donc ces choses ; mais ils ignoraient qu’ils les savaient. « Jésus lui dit : Je suis la voie, et la vérité, et la vie ». Eh quoi, mes frères ? nous avons entendu la question du disciple, nous avons aussi entendu l’enseignement du Maître et nous n’en comprenons pas encore le sens caché, même après avoir entendu ses paroles retentir à nos oreilles ? Mais qu’est-ce donc que nous ne pouvons comprendre ? Est-ce que ses Apôtres, avec lesquels il parlait, pouvaient lui dire : Nous ne vous connaissons pas ? Si donc ils le connaissaient, puisqu’il est lui-même la voie, ils connaissaient la voie ; s’ils le connaissaient, puisqu’il est lui-même la vérité, ils connaissaient la vérité ; s’ils le connaissaient, puisqu’il est la vie, ils connaissaient la vie. Les voilà donc convaincus de savoir ce qu’ils ignoraient savoir.

2. Pour nous, mes frères, y a-t-il, à votre avis, dans ce discours quelque chose que nous n’ayons pas compris ? N’est-ce pas ce qu’il leur dit : « Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie ? » Et nous venons de voir qu’ils connaissaient la voie, parce qu’ils le connaissaient lui-même, et qu’il est la voie. Mais si la voie est le chemin par lequel on marche, est-elle aussi le lieu où l’on va ? Or, il avait dit qu’ils connaissaient ces deux choses : et où il va, et la voie qui y conduit ; il lui fallait donc dire : « Je suis la voie », pour leur montrer que, puisqu’ils le connaissaient, ils connaissaient la voie qu’ils croyaient ignorer ; mais pourquoi dire : « Je suis la voie, et la vérité et la vie », puisque, étant connu le chemin par lequel il marchait, il ne restait à connaître que l’endroit où il allait, sinon parce qu’il allait à la vérité, à la vie ? Il allait donc à lui-même, par lui-même, et nous, où allons-nous, si ce n’est à lui-même ? et par où y allons-nous, si ce n’est par lui-même ? Il va donc à lui-même par lui-même ; et nous, nous allons à lui-même par lui-même, et c’est aussi par lui-même que, lui et nous, nous allons au Père. Ailleurs en effet il dit de lui-même : « Je vais au Père[23] » ; et ici il dit en parlant de nous : « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi ». Ainsi c’est par lui-même qu’il va à lui-même et au Père, et nous, c’est par lui-même que nous allons à lui-même et au Père. Mais ces choses, qui les comprend ? Celui-là seul qui a le sentiment des choses spirituelles ; et encore, qu’est-ce que comprend à cela, celui-là même qui a le sentiment des choses spirituelles ? Mes frères, pourquoi voulez-vous que je vous explique ces choses ? considérez combien elles sont élevées. Vous voyez ce que je suis ; je vois ce que vous êtes. En nous tous, ce corps de corruption appesantit l’âme, et cette habitation de boue abat l’esprit capable des plus hautes pensées[24]. Croyons-nous pouvoir dire : « J’ai élevé mon âme vers vous, qui habitez dans le ciel[25] ? » Mais accablé par ce pesant fardeau sous lequel nous gémissons, comment élèverai-je mon âme, si celui qui a donné son âme pour moi n’élève la mienne avec moi ? Je dirai donc ce que je pourrai ; que parmi vous comprenne qui pourra. C’est celui par la grâce de qui je parle, qui, par sa grâce, donne l’intelligence à celui qui comprend, et la foi à celui qui ne comprend pas. Car, « si vous ne croyez », dit un Prophète, « vous ne comprendrez pas[26] ».

3. Dites-moi, mon Dieu, ce que je dois dire à vos serviteurs avec lesquels je vous sers moi-même. L’apôtre Thomas, pour vous interroger, vous avait devant lui, et cependant il ne vous aurait pas compris, s’il ne vous avait pas eu au dedans de lui-même. Pour moi, je vous interroge, parce que je sais que vous êtes au-dessus de moi ; je vous interroge, je m’efforce autant qu’il est en moi d’élever mon âme au-dessus de moi, et de pouvoir ainsi entendre, sinon votre parole, du moins vos instructions. Dites-moi, je vous en supplie, comment vous allez à vous-même ? Est-ce que, pour venir à nous, vous vous êtes quitté vous-même ; surtout que vous n’êtes pas venu de vous-même, mais que le Père vous a envoyé ? Je sais que vous vous êtes anéanti ; parce que vous avez pris la forme d’esclave[27], mais non parce que vous vous seriez dépouillé de la forme de Dieu pour avoir besoin d’y revenir, ou que vous l’auriez perdue pour avoir à la reprendre. Vous êtes néanmoins venu : non seulement vous vous êtes montré à des yeux de chair, mais vous vous êtes laissé toucher par des mains d’hommes. Comment cela, sinon par votre chair ? C’est par elle que vous êtes venu, tout en restant où vous étiez ; c’est par elle que, sans nous quitter, vous êtes retourné à l’endroit d’où vous étiez venu. Si donc c’est par votre chair que vous êtes venu et que vous êtes retourné, c’est par elle, assurément, non seulement que vous êtes pour nous la voie par laquelle nous viendrons à vous, mais que pour vous-même vous avez été la voie par laquelle vous êtes venu et retourné. Mais comme vous êtes allé à la vie, que vous êtes vous-même la vie, vous avez conduit de la mort à la vie cette même chair qui était la vôtre. En effet, autre chose est le Verbe de Dieu, autre chose est l’homme. Mais le Verbe s’est fait chair, c’est-à-dire homme. C’est pourquoi autre n’est pas la personne du Verbe, autre la personne de l’homme ; car l’un et l’autre forment Jésus-Christ, qui est une seule personne ; par là, de même que quand en lui la chair est morte, Jésus-Christ est mort, et que quand la chair a été ensevelie, Jésus-Christ a été enseveli (c’est ainsi, en effet, que nous le croyons de cœur pour être justifiés, et que nous le confessons de bouche pour être sauvés[28]) ; de même, quand la chair est passée de la mort à la vie, Jésus-Christ est revenu à la vie. Comme d’ailleurs Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, il est la vie. Ainsi est revenu à lui-même, d’une façon admirable et incompréhensible, celui qui ne s’était ni quitté ni perdu lui-même. Par sa chair, comme il a été dit, Dieu était venu vers les hommes, et la vérité vers les menteurs : car Dieu est vérité, et tout homme est menteur[29]. Lors donc qu’il enleva du milieu des hommes et qu’il éleva sa chair jusqu’au séjour où personne ne ment ; lui-même, puisque le Verbe s’est fait chair par lui-même, c’est-à-dire par sa chair, il est revenu vers la vérité qui est lui-même. Toutefois se trouvant au milieu des menteurs, il garda cette vérité jusque dans les bras de la mort : Jésus-Christ a été en effet mort pendant quelque temps, mais il n’a jamais été séparé de la vérité.

4. Écoutez une comparaison bien éloignée et bien disproportionnée ; mais telle qu’elle est elle servira à vous faire comprendre Dieu, bien qu’elle soit tirée des choses placées immédiatement au-dessous de Dieu. Me voici moi-même, quant à ce qui regarde mon esprit, je suis ce que vous êtes vous-mêmes. Si je me tais, je suis en moi-même : si je vous dis une chose que vous comprenez, je m’avance en quelque sorte vers vous, et je ne me quitte pas moi-même ; mais je m’approche de vous et je ne m’éloigne pas du lieu d’où je viens. Que si ensuite je garde le silence, je reviens d’une certaine façon à moi-même, et en quelque manière je reste avec vous, si vous retenez ce que vous m’avez entendu dire. Mais s’il peut en être ainsi de l’image que Dieu a faite, pourquoi n’en serait-il pas de même de cette image qui n’a pas été faite par Dieu, mais qui, étant l’image de Dieu et Dieu elle-même, est née de Dieu, de cette image dont le corps, par le moyen duquel il est venu à nous, et dans lequel il s’est éloigné de nous, n’est pas comme le son passager sorti de ma bouche, mais demeure où il ne mourra plus, et où la mort n’aura plus d’empire sur lui[30] ? On pourrait et l’on devrait peut-être dire bien d’autres choses sur ces paroles de l’Évangile. Mais il ne faut pas surcharger vos cœurs d’aliments spirituels, si agréables qu’ils vous paraissent ; car si l’esprit est prompt, la chair est faible[31].

SOIXANTE-DIXIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « SI VOUS M’AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ AUSSI CONNU MON PÈRE », JUSQU’A CES AUTRES : « NE CROYEZ-VOUS PAS QUE JE SUIS DANS LE PÈRE, ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ? » (Chap. 14,7-10.)[modifier]

LE FILS SEMBLABLE AU PÈRE.[modifier]

Il est la voie qui conduit au Père, et comme il lui est en tout semblable, puisqu’il a la même nature divine, celui qui le connaît, connaît aussi le Père sans l’avoir vu.


1. Les paroles du saint Évangile, mes frères, ne sont bien comprises qu’autant qu’entre celles qui précèdent et celles qui suivent il y a parfait accord. Quand la vérité parle, il doit y avoir accord entre ce qui précède et ce qui suit. Plus haut, Notre-Seigneur avait dit : « Après que je m’en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez vous-mêmes où je serai ». Ensuite il avait ajouté : « Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie ». Ces paroles ne signifiaient rien autre chose, comme il le montra, que ceci : Ils le connaissaient lui-même. Ce que c’était qu’aller à lui-même par lui-même (et voilà ce qu’il accorde à ses disciples ; il les fait aller à lui-même par lui-même), nous vous l’avons expliqué comme nous avons pu dans le précédent discours. Remarquez le sens de ces mots : « Afin que où je suis moi-même, vous soyez vous aussi » ; où devaient-ils se trouver, sinon en lui-même ? lui-même est en lui-même ; et dès lors qu’ils seront, eux aussi, où il est lui-même, ils seront en lui. Il est donc lui-même la vie éternelle, dans laquelle nous nous trouverons, quand il nous aura reçus auprès de lui. Or, cette vie éternelle, qui est lui-même, est en lui, afin que où il est lui-même, nous soyons nous aussi, c’est-à-dire en lui. « Et comme le Père a la vie en lui-même[32] », et que la vie qu’il a n’est autre chose que lui-même puisqu’il la possède, « de même il a donné au Fils d’avoir en lui-même la vie », puisqu’il est lui-même la vie qu’il a en lui-même. Mais est-ce que nous-mêmes nous serons cette vie qu’il est lui-même, quand nous commencerons à être dans cette vie, c’est-à-dire en lui-même ? Non, certes, parce que lui-même, étant la vie, possède en lui la vie, et il est lui-même ce qu’il a, et ce que la vie est en lui, il l’est lui-même en lui-même. Mais nous, nous ne sommes pas la vie elle-même, nous ne sommes que participants de sa propre vie à lui, et là nous serons de telle sorte, non pas que nous puissions être en nous-mêmes ce qu’il est lui-même, mais que n’étant pas nous-mêmes la vie, nous ayons pour vie Celui qui possède en lui la vie qui est lui-même, parce qu’il est lui-même la vie. Enfin il est dans lui-même sans pouvoir changer, et dans le Père sans pouvoir s’en séparer. Mais nous, si nous voulions être en nous-mêmes, nous nous troublerions en nous-mêmes ; de là cette parole : « Mon âme a été troublée en moi-même [33] », et changés en quelque chose de pire, nous ne pourrions pas rester ce que nous sommes, mais quand par lui-même nous serons venus au Père, ainsi qu’il le dit : « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi » ; dès lors que nous resterons en lui, personne ne pourra nous séparer ni du Père, ni de Lui.
2. Unissant donc les paroles suivantes à ce qui précède, Notre-Seigneur ajoute : « Si vous m’avez connu, assurément vous avez aussi connu mon Père ». C’est la même chose que ce qu’il a dit : « Personne ne vient au Père, sinon par moi ». Il ajoute ensuite :« Et bientôt vous le connaissez et vous l’avez vu ». Mais Philippe, un des Apôtres, ne comprenant pas ce qu’il venait d’entendre, lui dit : « Seigneur, montrez-nous le Père, et il nous suffit ». A quoi le Seigneur répond : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe ? Qui me voit, voit aussi le Père ». Il leur reproche qu’après avoir été si longtemps avec lui, ils ne le connaissaient pas ; mais ne venait-il pas de leur dire : « Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie » ; et comme ils disaient ignorer ces choses, ne les avait-il pas convaincus qu’ils les savaient, en ajoutant ces mots : « C’est moi qui suis la voie, la vérité et la vie ? » Comment maintenant dit-il : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu ? » Car s’ils savaient où il allait, s’ils connaissaient la voie, n’était-ce point parce qu’ils le connaissaient lui-même ? Mais cette difficulté se résout facilement, si l’on dit que certains de ses disciples le connaissaient, que d’autres ne le connaissaient pas, et que parmi ceux-ci se trouvait Philippe. Comprenez-le donc, il adressait ces mots : « Et vous savez où je vais, et vous savez la voie », à ceux qui le connaissaient, et non à Philippe, puisqu’il lui disait : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe ? » Pour ceux qui connaissaient déjà le Fils, il leur adressa cette parole relative au Père : « Et bientôt vous le connaîtrez, et vous l’avez vu ». Notre-Seigneur parlait ainsi, à cause de la ressemblance si parfaite qui existe entre le Père et lui ; et cette ressemblance était si grande, qu’à vrai dire ils connaissaient le Père, puisqu’ils connaissaient le Fils qui est son image parfaite. Si tous ne connaissaient pas le Fils, ceux-là, du moins, le connaissaient, auxquels il dit : « Et vous savez où je « vais, et vous savez la voie u, puisqu’il est lui-même la voie. Mais ils ne connaissaient pas le Père ; c’est pourquoi il leur dit : « Si vous m’avez connu, vous avez aussi connu mon Père ». C’est par moi que vous l’avez connu lui-même. Car autre je suis moi-même, autre est le Père. Mais, pour les empêcher de le croire dissemblable au Père, il ajoute : « Et bientôt vous le connaîtrez, et vous l’avez a vu ». Ils avaient vu en effet son Fils qui lui est entièrement semblable ; mais il fallait les avertir que le Père, qu’ils ne voyaient pas encore, était semblable au Fils qu’ils voyaient. Et c’est ce que signifie ce que Jésus dit ensuite à Philippe. « Qui me voit, voit aussi le Père ». Non pas qu’il fût tout à la fois le Père et le Fils, erreur que la foi catholique condamne dans les Sabelliens, qu’on appelle aussi Patripassiens, mais parce que le Père et le Fils sont à tel point semblables, que qui connaît l’un, les connaît tous les deux. En parlant de deux personnes absolument semblables, voici ce que nous disons à ceux qui voient l’une et veulent savoir quelle est l’autre : En voyant l’une, vous voyez l’autre. C’est en ce sens que Jésus dit : « Qui me voit, voit aussi le Père » ; cela veut dire, non pas, que celui qui est le Fils soit aussi le Père, mais que le Fils ne diffère en rien du Père. Car si le Père et le Fils ne faisaient pas deux, il ne serait pas dit : « Si vous m’avez connu vous avez connu aussi mon Père ». Aussitôt, en. effet, après avoir dit : « Personne ne vient au Père, sinon par moi », il ajoute : « Si vous m’avez connu, vous avez connu aussi mon Père » : parce que moi, par qui on vient au Père, je vous conduirai à lui, afin que vous le connaissiez lui-même. Mais parce que je lui suis tout à fait semblable, « bientôt vous le connaîtrez », puisque vous me connaissez : « et vous l’avez vu », si vous m’avez vu des yeux du cœur.


3. Pourquoi me dis-tu donc, Philippe : « Montrez-nous le Père, et il nous suffit ? Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe ? Qui me voit, voit aussi le Père ». Si c’est encore beaucoup pour toi de comprendre pareille chose, crois, du moins, ce que tu ne comprends pas. Comment me dis-tu : « Montrez-nous le Père ? » Si tu m’as vu, moi qui lui suis parfaitement semblable, tu as vu Celui auquel je ressemble ; et si tu ne peux comprendre encore, « ne crois-tu pas », du moins, « que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? » Ici Philippe aurait pu répondre : Je vous vois, à la vérité, et je vous crois parfaitement semblable au Père ; mais est-il blâmable et mérite-t-il des reproches celui qui de deux personnes semblables aperçoit l’une, et désire aussi voir l’autre ? Je connais l’un des semblables, mais je ne connais encore que l’un sans l’autre ; il ne me suffit pas de connaître l’un, si je ne connais pas l’autre. C’est pourquoi a montrez-nous le « Père, et il nous suffit u. Mais le Maître ne reprenait son disciple, que parce qu’il voyait le cœur de son interlocuteur. Philippe désirait connaître le Père, parce qu’il croyait le Père meilleur que le Fils ; il ne connaissait donc pas même le Fils, puisqu’il s’imaginait qu’il y avait quelque chose de supérieur à lui. C’est pour redresser ses idées à ce sujet que Jésus lui dit : « Qui me voit, voit aussi le Père. Comment dis-tu : montrez-nous le Père ? » Je vois bien comment tu le dis ; tu demandes à voir, non pas une personne qui soit semblable au Fils, mais une personne meilleure que le Fils. « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? » Pourquoi veux-tu voir de la différence dans deux sujets en tout semblables ? pourquoi veux-tu connaître séparément ceux qui sont inséparables ? Ensuite, s’adressant non plus à Philippe, mais à tous les disciples, Notre-Seigneur leur dit des choses qu’il ne faut pas discuter dans le peu de temps qui nous reste ; nous voulons les expliquer avec plus de soin, s’il veut bien nous accorder son secours.

SOIXANTE ET ONZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « LES PAROLES. QUE JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-même », JUSQU’À CES AUTRES : « SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE, EN MON NOM, JE LE FERAI ». (Chap. 14,10-14.)[modifier]

LE FILS ENGENDRÉ DU PÈRE.[modifier]

Le Fils est égal et semblable au Père, c’est pourquoi ils sont inséparables et l’un dans l’autre. Néanmoins, comme le Fils n’est pas de lui-même, puisqu’il a été engendré par le Père, les paroles qu’il dit et les œuvres qu’il fait viennent du Père : ceux qui ont la foi font des œuvres en paroles et en actions aussi grandes et même plus grandes que celles du Fils.


1. Écoutez de toutes vos oreilles et recueillez dans vos esprits, mes très-chers frères, ce que je vais vous dire, mais ce que nous enseigne Celui-là même qui ne s’éloigne pas de nous. Notre-Seigneur dit, comme vous l’avez entendu dans la lecture qu’on vient de vous faire : « Les paroles que je vous adresse, je ne les dis pas de moi-même ; mais mon Père qui demeure en moi fait les œuvres que je fais ». Les paroles sont donc des œuvres ? Oui, il en est ainsi. Car assurément celui qui, en parlant, édifie le prochain, fait une bonne œuvre. Mais que veulent dire ces mots : « Je ne parle pas de moi-même ? » Le voici : moi qui parle je ne suis pas de moi-même. Il attribue ce qu’il fait à celui dont il est lui-même, lui qui agit. En effet, Dieu le Père n’est d’aucun autre ; Dieu le Fils est, sans doute, égal au Père, mais il est de Dieu le Père. Le Père est Dieu, mais non pas de Dieu ; Lumière, mais non pas de lumière ; le Fils, au contraire, est Dieu de Dieu, lumière de lumière.
2. Les hérétiques s’attachent à chacune de ces paroles prononcées par Notre-Seigneur ; à la première : « Je ne parle pas de moi-même » ; à la seconde : « Mais le Père qui demeure en moi, fait les œuvres que « je fais » ; ils partent de là pour s’élever contre nous, et quoique peu d’accord ensemble, mais bien par des chemins opposés, ils s’éloignent également de la voie de la vérité. Les Ariens disent, en effet : Voici bien que le Fils est inégal au Père ; il ne parle pas de lui-même. Les Sabelliens, autrement dit les Patripassiens, disent au contraire : Voici que Celui qui est le Père est aussi le Fils. Car que signifient ces paroles : « Le Père, qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais ? » Je demeure en moi-même, moi qui fais les œuvres. Vous dites ainsi des choses opposées l’une à l’autre, non pas comme le faux est opposé au vrai, mais comme deux choses fausses sont opposées entre elles. Dans votre erreur vous avez pris des routes opposées ; au milieu d’elles se trouve le chemin que vous avez abandonné. Vous êtes bien plus éloignés les uns des autres, que vous ne l’êtes de la voie que vous avez quittée. Vous qui êtes de ce côté, vous qui êtes de cet autre, venez à nous, ne cherchez pas à aller d’un côté à l’autre, mais de chaque côté venez à nous, et vous vous rejoindrez tous. Sabelliens, reconnaissez Celui que vous supprimez ; Ariens, égalez au Père Celui que vous mettez au-dessous de lui, et vous marcherez avec nous dans le vrai chemin. Il y a, en effet, dans les dires de chacun de vous, de quoi vous redresser les uns les autres. Écoute, Sabellien : il est si vrai que le Fils n’est pas le Père, mais bien une autre personne, que les Ariens le proclament inférieur au Père. Écoute, Arien : il est si vrai que le Fils est égal au Père, que les Sabelliens disent qu’il est le même que le Père. Toi, ajoute Celui que tu supprimes ; toi, laisse dans son intégralité Celui que tu diminues, et tous les deux vous serez d’accord avec nous, parce que toi tu – ne supprimes pas ; et toi tu ne diminues pas Celui qui est une autre personne que le Père, contrairement à l’opinion du Sabellien, et qui est égal au Père, contrairement à l’erreur de l’Arien. Aux uns et aux autres il crie, en effet « Le Père et moi nous sommes un [34] ». Quand il dit : « un », que les Ariens l’entendent ; « quand il dit : « Nous sommes », que les Sabelliens l’écoutent, et qu’ils ne tombent pas dans leur vaine erreur, les uns en niant qu’il soit égal au Père, et les autres en niant qu’il soit une personne distincte. Si ces mots de Notre-Seigneur : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même », font penser que le Fils n’est pas égal au Père, comme s’il ne faisait pas ce qu’il veut, écoutez ce qu’il dit ailleurs : « Comme le Père ressuscite « les morts et les vivifie, de même aussi le « Fils vivifie ceux qu’il veut ». Si, encore, parce qu’il a dit : « Le Père, qui demeure en « moi, fait les œuvres que je fais », on s’imagine que autre n’est pas le Père et autre le Fils, on fera bien d’écouter ce qu’il a dit ailleurs : « Toutes les choses que le Père fait, le Fils aussi les fait également [35] ». Par là on verra que le même ne fait pas deux fois une chose, mais qu’il y a deux personnes pour faire une seule et même chose. Mais comme l’un est égal à l’autre, de telle sorte pourtant que l’un vient de l’autre, il ne parle pas de lui-même, parce qu’il n’est pas de lui-même, et le Père, qui demeure en lui, fait les œuvres lui-même, parce que celui par qui et avec qui il les fait, n’est pas d’un autre que de lui. Enfin, Jésus-Christ ajoute : « Ne croyez-vous « pas que je suis dans le Père et que le Père « est en moi ? Au moins, croyez-le à cause « des œuvres que je fais ». Tout à l’heure, Philippe seul recevait une réprimande ; mais il paraît, par ces mots, qu’il ne ; devait pas être seul à se voir réprimandé. « A cause des œuvres que je fais », dit Jésus, « croyez que « je suis dans le Père, et que le Père est en moi ». Car, si nous étions séparés l’un de l’autre, nous ne pourrions en aucune façon agir d’une manière inséparable.
3. Mais que veut dire ce qui suit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, et il en fera aussi de plus grandes, parce que je vais à mon Père. Et toutes les choses que vous demanderez à mon Père en mon nom, je les ferai. Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai ? » Il a donc promis de faire aussi lui-même ces choses plus grandes. Que le serviteur ne s’élève pas au-dessus du Seigneur, et le disciple au-dessus du maître [36]. Il dit qu’ils feront des choses plus grandes que celles qu’il fait lui-même. Mais ce sera lui qui les fera en eux ou par eux, et non pas eux qui les feront comme d’eux-mêmes. C’est à lui que s’adresse le Prophète dans ce passage du psaume : « Je vous aimerai, Seigneur, qui êtes ma force [37] ». Mais enfin, quelles sont donc ces « œuvres plus grandes ? Fait-il allusion aux guérisons de malades qu’opérera plus tard leur ombre quand ils passeront quelque part [38] ? C’est, en effet, un plus grand miracle de les guérir par son ombre que par l’attouchement de sa robe [39]. Notre-Seigneur a fait ce dernier miracle par lui-même, et le premier par ses disciples ; et cependant c’est lui qui les a faits tous les deux. Mais, en réalité, quand il parlait ainsi, il voulait parler des œuvres de ses paroles ; il dit, en effet : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais le Père qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais ». De quelles œuvres voulait-il parler, si ce n’est des paroles qu’il proférait ? Ils l’entendaient et ils croyaient en lui, et le fruit de ses paroles, c’était leur foi ; mais quand les Apôtres annoncèrent l’Évangile, ce ne fut pas un petit nombre comme le leur, mais l’univers, la gentilité tout entière qui crut en lui. Voilà, évidemment, quelles plus grandes choses ils devaient opérer. Et cependant Notre-Seigneur ne dit pas : Vous ferez encore de plus grandes choses ; car il ne voulait pas que nous crussions que les Apôtres seuls devaient les faire ; mais il dit : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que a je fais, et il en fera de plus grandes ». Est-ce à dire que quiconque croit en Jésus-Christ fait ce qu’a fait Jésus-Christ, et opère même des choses plus grandes que les prodiges opérés par Jésus-Christ ? Ce n’est pas là un sujet à traiter en passant et avec précipitation ; la nécessité de finir ce discours nous oblige à remettre la chose à une autre fois.

SOIXANTE-DOUZIÈME TRAITÉ, SUR LA MÊME LEÇON.[modifier]

GRANDES ŒUVRES DES CROYANTS.[modifier]

D’après la parole infaillible de Jésus-Christ, celui qui croit, fait des œuvres aussi grandes et même plus grandes que celles qu’opère le Fils de Dieu, puisque ses fidèles ont converti le monde, fait pratiquer des vertus inouïes, et que ceux qui ont cru en lui se sont changés eux-mêmes, mais avec sa grâce.

1. Que signifie, et en quel sens faut-il entendre ce que dit Notre-Seigneur : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais aussi ? » c’est ce qu’il n’est pas facile de comprendre. Comme si ce passage n’était pas déjà suffisamment obscur par lui-même, le Christ y ajoute d’autres paroles encore plus obscures : « Et il fera de plus grandes choses encore ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous ne trouvions personne capable de faire les œuvres que Jésus-Christ faisait, trouverons-nous quelqu’un pour en faire de plus grandes ? Nous avions déjà dit dans le discours précédent que c’était un plus grand miracle de guérir les malades par sa seule ombre, en passant, comme font fait les disciples [40], que de les guérir par l’attouchement de sa robe, comme l’a fait Notre-Seigneur[41] ; et comme il y eut un plus grand nombre d’hommes pour croire à la prédication des Apôtres que pour croire à celle de Notre-Seigneur lui-même, c’était là, avons-nous dit encore, ce qu’il nous fallait entendre par ces œuvres plus grandes. Il ne faut pas, néanmoins, s’y tromper : ni le disciple n’est plus grand que le maître, ni le serviteur que le Seigneur, ni le fils adopté que le Fils unique, ni l’homme que Dieu lui-même ; mais Jésus daignait faire par eux-mêmes de plus grandes choses ; car il leur dit, en un autre endroit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire [42] ». Effectivement, sans parler de choses qui sont en nombre infini, il a fait ses disciples sans leur intermédiaire : saris eux il a fait le monde, et comme il a daigné se faire homme, il s’est encore fait lui-même sans eux. Pour eux, qu’ont-ils fait sans lui, si ce n’est le péché ? Enfin, ce qui dans ce passage aurait pu nous embarrasser à ce sujet, il le fait bientôt disparaître ; car, après avoir dit : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes », il ajoute aussitôt « Parce que moi je vais au Père, et toutes les choses que vous demanderez à mon Père en mon nom, je les ferai ». Il avait dit : « Il fera » ; il dit ensuite : « Je ferai ». C’est comme s’il disait : Que cela ne vous paraisse pas impossible. Car celui qui croit en moi ne pourra jamais être plus grand que moi ; mais c’est moi qui ferai alors des œuvres plus grandes que celles que je fais maintenant ; je ferai des œuvres plus grandes par celui qui croit en moi, que je n’en ai fait sans lui et par moi-même. Cependant, c’est toujours moi qui agis sans lui, comme c’est toujours moi qui agis par lui ; mais quand j’agirai sans lui, il ne les fera pas lui-même. Quand j’agirai par lui, il ne les fera point par lui-même, mais il les fera lui-même. Or, faire de plus grandes choses par lui que sans lui, ce n’est point de ma part un abaissement, mais une condescendance. Car, qu’est-ce que les serviteurs du Seigneur peuvent lui rendre pour tout le bien qu’il leur a fait[43] ? Entre tous ses dons, le moindre n’est pas d’avoir daigné leur accorder de faire par eux-mêmes des œuvres plus grandes que celles qu’il avait faites sans eux. Le jeune riche, qui lui demandait le moyen d’acquérir la vie éternelle, ne s’éloigna-t-il pas tout triste après l’avoir entendu[44] ? Il l’entendit et s’éloigna. Et cependant, ce qu’un seul n’a pas fait après avoir entendu le Maître lui-même, une foule d’autres l’ont fait, lorsque ce bon maître leur a parlé par ses disciples : méprisé par le riche qu’il avertit lui-même, il a été aimé de ceux qui, étant riches, ont embrassé la pauvreté à la voix de gens pauvres. Ainsi il a fait de plus grandes choses par la prédication de ceux qui ont cru en lui, qu’il n’en a fait par lui-même sur ceux qui l’entendaient.
2. Mais voici encore une difficulté qui m’embarrasse, c’est qu’il a fait ces plus grandes choses par l’entremise de ses Apôtres, et pourtant il ne faisait pas allusion à eux seuls, et n’a pas dit : Vous ferez les œuvres que je fais, et vous en ferez même de plus grandes. Mais il parlait de tous ceux qui appartiennent à sa famille, et il voulait qu’on le comprît bien ; c’est pourquoi il dit : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes encore ». Si donc quiconque croit, fera ces œuvres, il va de soi que celui qui ne les fait pas ne croit pas. Ainsi il dit ailleurs : « Celui qui m’aime garde mes commandements[45] », d’où il suit assurément que celui qui ne les garde pas, ne l’aime pas. De même il dit en un autre endroit : « Celui qui écoute les paroles que je dis et les pratique, je le comparerai à l’homme prudent qui bâtit sa maison sur la pierre[46] ». Donc celui qui n’est pas semblable à cet homme prudent, ou bien entend ces paroles sans les pratiquer, ou bien ne les entend pas du tout. « Celui qui croit en moi », dit-il, « quand il serait mort, vivra [47] ». Celui donc qui ne vivra pas, ne croit pas : c’est évident, il en est de même pour ces paroles : « Celui qui croit en moi, fera les œuvres » ; assurément celui qui ne les fera pas ne croit pas. Mais qu’est-ce que cela veut dire, mes frères ? Faut-il ne point compter au nombre de ceux qui croient en Jésus-Christ celui qui n’a pas fait des œuvres plus grandes que celles de Jésus-Christ ? Ce serait dur, absurde, intolérable ; pour supporter une pareille doctrine, il faut la comprendre. Écoutons donc l’Apôtre : « L’homme qui croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice [48] ». Dans cette œuvre, faisons les œuvres de Jésus-Christ ; car croire en Jésus-Christ, c’est faire l’œuvre de Jésus-Christ. Cette œuvre, il l’opère en nous, mais non pas sans nous. Maintenant donc, écoute et comprends : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais moi-même ». Je les fais d’abord, ensuite il les fera lui-même, parce que je fais en sorte qu’il les fasse. Et quelles sont ces œuvres ? N’est-ce pas de pécheur devenir juste ?
3. « Et il en fera de plus grandes ». De quelles œuvres est-il ici question, je vous le demande ? Est-ce que celui qui opère son salut avec crainte et tremblement fait des œuvres plus grandes que toutes celles de Jésus-Christ[49] ? Cette œuvre du salut, Jésus-Christ la fait lui-même en lui, mais non sans lui. Or, je n’hésite pas à le dire : c’est là une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, et de tout ce que nous voyons dans le ciel et sur la terre. En effet, le ciel et la terre passeront[50], mais le salut et là justification des prédestinés, c’est-à-dire de ceux que Dieu connaît d’avance, demeureront toujours. Dans le ciel et la terre nous voyons l’œuvre de Dieu, mais dans les élus nous voyons l’image de Dieu. Dans le ciel se trouvent les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances ; les Archanges et les Anges, qui sont des œuvres de Jésus-Christ. Fait-il une œuvre plus grande que la création de ces esprits, celui qui, avec la coopération de Jésus-Christ, assure son salut éternel et sa justification ? Je n’ ose pas vous donner une réponse précipitée. Comprenne et décide qui pourra, s’il est plus grand de créer les justes que de justifier les pécheurs. Ce qu’il y a de certain, c’est que si des deux côtés la puissance est égale, dans ce dernier cas la miséricorde l’emporte. « C’est en effet le grand mystère de piété qui a été manifesté dans la chair, justifié dans l’esprit, qui a apparu aux anges, qui a été prêché parmi les nations, cru dans le monde et élevé dans la gloire[51] ! » Mais rien ne nous oblige à croire que Jésus-Christ entend parler de toutes ses œuvres lorsqu’il dit : « Il en fera de plus grandes que celles-ci » : par « celles-ci », il a peut-être voulu nous faire entendre celles qu’il faisait en ce moment. Or, en ce moment il proférait des paroles de foi, et il avait déjà voulu parler de ces œuvres, lorsqu’il disait : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais le Père qui ; demeure en moi, fait les œuvres que je fais ». Alors ses paroles étaient ses œuvres, et assurément il est moins grand de prêcher les paroles de justice, chose que Jésus-Christ a faite sans nous, que de justifier les pécheurs, chose qu’il fait en nous, mais concurremment avec nous. Il nous reste à examiner comment il faut entendre ces mots : « Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai ». Comme les fidèles demandent à Dieu beaucoup de choses qu’ils n’obtiennent pas, il s’élève à ce sujet une difficulté considérable ; mais comme aussi il est temps de terminer ce discours, mieux vaut différer un peu pour traiter et examiner cette question plus à loisir.

SOIXANTE-TREIZIÈME TRAITÉ.[modifier]

ENCORE SUR LA MÊME LEÇON.[modifier]

CONDITIONS ET EFFETS DE LA PRIÈRE.[modifier]

Si l’on a la foi, on obtient tôt ou tard ce qu’on demande, parce qu’on le demande pour une bonne fin et au nom de Jésus-Christ.


1. Le Seigneur promit de grandes choses à ceux des siens qui espèrent en lui, lorsqu’il dit : « Parce que je vais vers le l’ère, tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai ». Il est donc allé vers le Père, de manière cependant à ne pas les laisser dans le besoin, mais à exaucer leurs prières. Mais que veut dire, « tout ce que vous demanderez », puisque nous voyons très-souvent les fidèles demander et ne pas obtenir ? Ne serait-ce point parce qu’ils demandent mal ? C’est en effet le reproche que fait l’apôtre Jacques. Vous demandez et vous ne recevez pas, « parce que vous demandez mal, ne cherchant qu’à satisfaire vos passions [52] ». C’est par un effet de la miséricorde de Dieu qu’on n’obtient pas, si l’on doit mal user de ce qu’on demande. C’est pourquoi, si nous lui demandons des choses qui nous seraient nuisibles, nous devons bien plutôt craindre de voir un effet de sa colère dans l’obtention de ce qu’il nous refuserait dans sa miséricorde. Ne savons-nous pas que les Israélites obtinrent pour leur malheur ce qu’ils demandaient sous l’influence d’une passion coupable ? ils désirèrent manger de la chair [53]. Et pourtant la manne tombait du ciel pour eux, ils étaient dégoûtés de ce qu’ils avaient, et ils demandaient impudemment ce qu’ils n’avaient pas : comme s’il n’eût pas mieux valu peureux demander, non pas que la nourriture qui leur manquait fût accordée à leur désir coupable ; mais que, guéris de leur dégoût ils pussent prendre celle qu’ils avaient. En effet, quand le mal nous réjouit et que le bien ne nous plaît pas, nous devons plutôt demander à Dieu qu’il nous donne le goût des choses bonnes que de nous en accorder de mauvaises. Sans doute, il n’est pas mauvais de se nourrir de chair, ainsi que l’Apôtre le dit à cette occasion : « Toute créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces [54]. Mais, comme dit le même Apôtre : « Il est mal à un homme de manger avec scandale [55] » ; et s’il en est ainsi quand il y a scandale pour l’homme, combien plus en est-il ainsi lorsque Dieu lui-même en est offensé ? Et ce n’était pas, de la part des Israélites, une légère offense à l’égard de Dieu, que de repousser ce que leur donnait la sagesse, et de demander ce que désirait leur appétit déréglé ! Cependant ils ne demandaient pas, mais ils murmuraient au sujet de ce qui leur manquait : par là nous devons apprendre que les créatures de Dieu ne sont pas coupables, mais seulement notre désobéissance et nos désirs déréglés ; ce n’est pas à cause de la viande de porc, mais à cause d’un fruit, que le premier homme ait trouvé la mort [56]. Et Esaü a perdu son droit d’aînesse, non pas pour une poule, mais pour des lentilles [57].
2. Comment donc faut-il entendre ces mots « Tout ce que vous demanderez, je le ferai », si Dieu refuse aux fidèles, même pour leur bien, les choses qu’ils lui demandent ? Devons-nous Croire que cette parole n’a été adressée qu’aux Apôtres ? Loin de nous cette pensée. Ce qui, en effet, a amené le Christ à prononcer cette parole, c’est qu’il avait dit plus haut : « Celui qui croit en moi, fera les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes ». Ç’a été le sujet du précédent discours. Pour nous empêcher de nous attribuer ces œuvres plus grandes, et montrer que c’est encore lui qui les faisait, il ajoute : « Parce que je vais à mon Père, et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai ». Est-ce que les Apôtres sont les seuls qui aient cru en lui ? En disant : « Celui qui croit en moi », il s’adressait à tous ceux au nombre desquels, grâce à lui, nous nous trouvons nous-mêmes, et pourtant, nous ne recevons pas tout ce que nous demandons. Mais, à ne considérer que les bienheureux Apôtres, nous voyons que celui ; qui a travaillé plus que tous les autres, ou du moins avec qui la grâce de Dieu a le plus travaillé [58], a trois fois demandé au Seigneur que l’ange de Satan s’éloignât de lui ; néanmoins il n’a pas obtenu ce qu’il demandait[59]. Que dire, mes très-chers frères ? Penserons-nous que cette promesse ainsi exprimée : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai », n’a pas été accomplie même pour les Apôtres ? À l’égard de qui tiendra-t-il donc ses promesses, s’il a ainsi trompé ses Apôtres ?
3. Éveille-toi, ô homme fidèle, et remarque attentivement la condition exigée ici : « En mon nom » ; il n’est pas dit : « Tout ce que vous demanderez », de quelque manière que ce soit ; mais il est dit : « en mon nom ». Et Celui qui nous a promis un si grand bienfait, comment s’appelle-t-il ? Il s’appelle Jésus-Christ : Christ signifie roi, Jésus signifie Sauveur. Il est sûr que celui qui nous sauvera, ce n’est pas un roi quelconque, ce sera le roi Sauveur. Par conséquent, tout ce que nous demandons contre le bien de notre salut, nous ne le demandons pas au nom du Sauveur. Et cependant il est toujours Sauveur, non seulement quand il fait ce que nous demandons, mais même quand il ne le fait pas. Car dès lors qu’il nous voit demander des choses opposées à notre salut, il se montre vraiment notre Sauveur en ne nous les accordant pas. Dans les demandes des malades, le médecin distingue ce qui est favorable à leur santé, et ce qui peut lui être contraire ; c’est pourquoi, lorsque l’infirme demande ce qui peut lui faire du mal, le médecin le lui refuse dans l’intérêt de sa santé. Ainsi en est-il pour nous : si nous voulons que Notre-Seigneur fasse tout ce que nous demanderons, ne demandons pas d’une manière quelconque, mais demandons en son nom, c’est-à-dire au nom du Sauveur, ne demandons rien qui soit contraire à notre salut : car s’il le faisait, il n’agirait plus comme Sauveur ; et pourtant, voilà ce qu’il est pour ses fidèles. Car, pour les pécheurs, il est leur juge, tandis que pour les fidèles il est assez bon pour être leur Sauveur. Quand donc on croit en lui, tout ce qu’on demandera en ce nom qu’il porte comme Sauveur de ceux qui croient en lui, il le fera parce qu’il le fait comme Sauveur. Mais si celui qui croit en lui demande par ignorance quelque chose qui soit contraire à son salut, il ne demande pas au nom du Sauveur. Car Jésus ne serait pas son Sauveur, s’il faisait ce qui empêcherait le salut de son serviteur. C’est pourquoi il vaut bien mieux qu’il ne fasse pas la chose pour laquelle on l’invoque, et qu’il fasse celle à cause de laquelle il mérite son nom. Aussi Jésus, qui est non seulement un Sauveur, mais encore un bon maître, veut pouvoir faire tout ce que nous demanderons, et, pour cela, dans la prière qu’il nous a enseignée, il nous a appris ce que nous devons demander, afin de nous faire comprendre que nous ne demandons pas au nom du maître, quand ce que nous demandons est au-delà de la règle qu’il nous a laissée.
4. Sans doute, il ne fait pas toujours sur l’heure tout ce que nous demandons en son nom, c’est-à-dire en tant qu’il est notre Sauveur et notre maître, mais cependant il le fait. En effet, même quand nous lui demandons que le règne de Dieu arrive, on ne peut pas dire qu’il ne fait pas ce que nous demandons, parce que tout aussitôt nous ne régnons pas avec lui dans l’éternité. Ce que nous demandons est différé, mais n’est pas refusé. Toutefois, quand nous prions, ne nous lassons pas plus que ceux qui sèment : au temps convenable nous moissonnerons [60]. Et en même temps que nous demandons comme il faut, demandons-lui qu’il ne fasse pas ce que nous ne demandons pas comme il faut ; c’est à cela que se rapporte ce que nous lui disons dans l’oraison dominicale : « Ne nous induisez point en tentation [61] ». Car ce n’est point une petite tentation, que de demander ce qui est contre toi. Mais il ne faut pas manquer de faire attention à ce que Notre-Seigneur ajoute, pour nous empêcher de penser que ce qu’il promet de faire à ceux qui le prieront, il doit le faire sans le Père. Après avoir dit : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai », il ajoute aussitôt : « Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon nom, je le fais ». Ce que fait le Fils, il ne le fait donc pas sans le Père, puisqu’il le fait, afin que le Père soit glorifié en lui. Le Père fait donc ces choses dans le Fils, afin que le Fils soit glorifié dans le Père, et le Fils les fait dans le Père, afin que le Père soit glorifié dans le Fils : car le Père et le Fils sont un.

SOIXANTE-QUATORZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « SI NOUS M’AIMEZ GARDEZ MES COMMANDEMENTS », JUSQU’À CES AUTRES « IL DEMEURERA CHEZ VOUS ET IL SERA EN VOUS ». (Chap. 14,15-17.)[modifier]

LE DON DE L’ESPRIT-SAINT.[modifier]

Pour accomplir le moindre devoir, il faut l’assistance du Saint-Esprit ; mais pour le posséder parfaitement, d’une manière permanente et intime, pour le bien connaître, il est indispensable d’observer les commandements de Jésus-Christ. Nous recevons donc le Saint-Esprit dans une mesure proportionnée à notre fidélité à ses ordres.


1. Nous l’avons entendu, mes frères, dans cette leçon de l’Évangile. Notre-Seigneur nous a dit : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu’il a demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. Mais vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera avec vous et qu’il sera en vous ». Il y a beaucoup de questions à faire sur ce peu de paroles de Notre-Seigneur ; mais c’est pour nous une grande entreprise de chercher à découvrir tout ce qui s’y trouve renfermé, et encore plus de trouver tout ce que nous y chercherons. Cependant, autant que le Seigneur voudra bien nous en faire la grâce, selon notre capacité et aussi selon la vôtre, nous serons attentifs, nous à ce que nous devons dire, et vous à ce que vous devez entendre. Recevez donc par nous, très-chers frères, ce que nous pouvons vous donner ; et ce qu’il nous est impossible de vous expliquer, demandez-le au Seigneur. Jésus-Christ promet à ses Apôtres l’Esprit consolateur ; mais voyons de quelle manière il le leur promet : « Si vous m’aimez », leur dit-il, « gardez mes commandements, et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur, l’Esprit de vérité, afin qu’il demeure éternellement avec vous ». Cet Esprit est évidemment le Saint-Esprit de la Trinité, que la foi catholique reconnaît comme étant consubstantiel et coéternel au Père et au Fils. C’est de lui que l’Apôtre nous dit : « L’amour de Dieu a été « répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné [62] ». Comment donc Notre-Seigneur dit-il : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur » ; puisque cet Esprit-Saint dont il parle est celui-là même sans lequel nous ne pouvons ni aimer Dieu, ni garder ses commandements ? Comment aimerons-nous pour recevoir Celui sans lequel nous ne pouvons rien aimer ? Ou bien, comment garderons-nous les commandements, pour recevoir celui sans lequel nous ne pouvons les garder ? Ou bien, y aurait-il préalablement en nous un amour qui nous ferait aimer Jésus-Christ, de telle sorte qu’en aimant Jésus-Christ et en observant ses commandements, nous mériterions de recevoir le Saint-Esprit, et que l’amour, non pas de Jésus-Christ, puisque cet amour nous l’aurions d’avance, mais l’amour de Dieu le Père serait répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné ? Cette pensée est mauvaise, car celui qui croit aimer le Fils, et n’aime pas le Père, celui-là n’aime pas même le Fils ; il n’aime que le fantôme qu’il s’est forgé à lui-même. D’ailleurs, c’est une parole expresse de l’Apôtre que « personne ne « peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est par le Saint-Esprit [63] ». Et qui peut dire : Seigneur Jésus, de la manière que l’entendait l’Apôtre, sinon celui qui l’aime ? Plusieurs, en effet, le disent de bouche, mais le nient dans leur cœur et par leurs actes. C’est de ceux-là qu’il a dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs œuvres [64] ». Si c’est par les œuvres qu’on le renonce, assurément c’est aussi par les œuvres qu’il faut le confesser. « Personne donc ne dit : Seigneur Jésus » d’esprit, de parole, de fait, de cœur, de bouche et d’action, personne ne dit : Seigneur Jésus, sinon par le Saint-Esprit » ; et personne ne le dit ainsi, à moins de l’aimer. Les Apôtres disaient déjà de la sorte : « Seigneur Jésus », et ils le disaient ainsi sans fiction aucune ; s’ils le confessaient de bouche sans le nier dans leur cœur et par leurs actes ; s’ils le disaient en toute vérité, c’est qu’évidemment ils l’aimaient. Mais comment pouvaient-ils l’aimer, sinon par l’Esprit-Saint ? Pourtant ils doivent d’abord aimer Jésus et garder ses commandements, afin de recevoir le Saint-Esprit, sans lequel ils ne peuvent ni aimer ni garder les commandements.
2. Il faut donc reconnaître que celui qui aime a déjà l’Esprit-Saint, et que l’ayant, il mérite de l’avoir encore à un degré plus éminent et qu’ainsi son amour augmente. Les disciples avaient donc déjà l’Esprit-Saint que le Seigneur leur promettait, et sans lequel ils n’auraient pu l’appeler Seigneur. Mais cependant ils ne l’avaient point encore, dans le sens que le Seigneur le leur promettait. Il est donc vrai de dire qu’ils l’avaient et qu’ils ne l’avaient pas, puisqu’ils ne l’avaient pas encore au degré où ils devaient l’avoir : ils l’avaient bien un peu, mais ils devaient l’avoir davantage. Ils l’avaient d’une manière cachée, ils devaient le recevoir ouvertement. Et ce qui était de nature à augmenter la grandeur du don qui leur était promis, c’est qu’ils devaient savoir pertinemment qu’ils possédaient le Saint-Esprit. C’est de ce don que parle l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Pour nous, nous avons reçu, non pas l’esprit de ce monde, mais l’Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits [65] ». Car ce n’est pas une seule fois, mais deux fois, que Notre-Seigneur répandit l’Esprit-Saint sur ses Apôtres d’une manière visible. En effet, peu après sa résurrection, il leur dit en soufflant sur eux : « Recevez l’Esprit-Saint [66] ». Parce qu’il le leur donna en ce moment, est-ce qu’il ne leur envoya point plus tard celui qu’il leur avait promis ? Ou bien, n’était-ce pas le même qu’il répandit sur eux par son souffle et qu’ensuite il leur envoya du haut du ciel [67] ? C’est donc une nouvelle question de savoir pourquoi cette donation visible du Saint-Esprit a été renouvelée deux fois : ce fut peut-être à cause du double précepte de l’amour de Dieu et du prochain ; comme il voulait nous montrer que ce double amour est l’effet du Saint-Esprit, l’infusion de cet Esprit a été renouvelée deux fois d’une manière apparente. Il peut y avoir de ce fait d’autres raisons, mais nous ne sommes pas au moment de chercher à les connaître ; car nous prolongerions ce discours outre mesure. Tenons seulement pour constant que sans l’Esprit-Saint nous ne pouvons ni aimer Jésus-Christ, ni garder ses commandements, et que nous ferons ces deux choses plus ou moins parfaitement, selon que nous aurons reçu ce même Esprit avec plus ou moins d’abondance. C’est pourquoi ce n’est pas inutilement que l’Esprit-Saint est promis, non seulement à celui qui ne l’a pas, mais même à celui qui le possède déjà : par là, celui qui ne l’a pas encore commencé à l’avoir, et celui qui l’a déjà, le possédera en de plus larges proportions. En effet, si l’Esprit-Saint ne pouvait s’obtenir à un degré moindre par les uns, et à un degré plus élevé par les autres, le saint prophète Élysée n’aurait pas dit au saint prophète Élie : « Que l’esprit qui est en vous soit doublé en moi[68] ».
3. En prononçant ces mots : a Dieu ne donne « pas son Esprit par mesure[69] », Jean-Baptiste parlait du Fils même de Dieu, car l’Esprit-Saint ne lui a pas été donné par mesure, puisque la divinité habite en lui dans toute sa plénitude[70]. En effet, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme[71], n’a jamais été privé de la grâce du Saint-Esprit ; lui-même l’a déclaré ; c’est en lui que s’est accomplie cette prophétie : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, c’est pourquoi il m’a rempli de son onction ; il m’a envoyé évangéliser les pauvres[72] ». Qu’il soit le Fils unique de Dieu, égal au Père, c’est sa nature et non pas un effet de la grâce ; mais qu’il se soit uni un homme pour ne faire avec lui qu’une seule personne qui est celle du Fils unique de Dieu, ce n’est plus sa nature, mais un don de la grâce ; l’Évangile nous en avertit en ces termes : « Cependant l’enfant croissait et se fortifiait, il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui[73] ». Pour les autres hommes, le don de l’Esprit-Saint leur est accordé et augmenté par mesure jusqu’à ce que se comble pour chacun la mesure de la perfection qui lui est propre. C’est pourquoi l’Apôtre nous avertit « de ne pas être plus sages « qu’il ne faut, mais d’être sages avec sobriété selon la mesure de la foi que Dieu a répartie à chacun [74] ». Ce n’est pas que l’Esprit-Saint soit partagé ; mais il partage ses dons. Il y a diversité de dons spirituels ; mais il n’y a qu’un même Esprit[75].
4 Mais quand Jésus dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet », il montre qu’il est lui-même tin Paraclet. Paraclet est un mot qui, en latin, signifie avocat ; or, il est dit de Jésus-Christ : « Nous avons pour avocat auprès du Père Jésus-Christ le juste[76] Ainsi, quand Jésus-Christ a dit que le monde ne pouvait pas recevoir le Saint-Esprit, il a parlé dans le même sens que l’Apôtre en ce passage : « La prudence de la chair est ennemie de Dieu ; car elle n’est pas soumise à la loi et ne peut l’être[77] ». C’est comme si nous disions : L’injustice ne peut être juste. Par le monde, en cet endroit, Jésus entend ceux qui aiment le monde d’un amour qui ne vient pas du Père[78]. C’est pourquoi à l’amour de ce monde, que nous avons tant de peine à diminuer et à détruire en nous, est opposé l’amour de Dieu qui est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. « Le monde ne peut donc recevoir cet Esprit, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît point ». Car l’amour du monde n’est pas doué de ces yeux invisibles par lesquels on voit le Saint-Esprit, parce qu’il ne peut être vu que d’une manière toute spirituelle.
5. « Mais vous », dit Notre-Seigneur, « vous le connaîtrez, parce qu’il restera avec vous et qu’il sera en vous ». Il sera en eux pour y demeurer ; il n’y demeurera pas pour y être ; car il faut être en un lieu avant d’y demeurer. Mais afin que les disciples n’entendent pas ces paroles : « Il demeurera avec vous », en ce sens qu’il demeurerait visiblement auprès d’eux, à la façon dont un étranger demeure chez son hôte, il explique ces mêmes paroles en ajoutant : « Il sera en vous ». Il se voit donc d’une manière invisible ; s’il n’est pas en, noua, nous ne pouvons le connaître ; car ainsi voyons-nous en nousmêmes notre propre conscience. Nous voyons le visage d’un autre, nous ne voyons pas le nôtre ; nous voyons notre conscience, et nous ne voyons pas celle d’autrui. Mais notre conscience ne peut être ailleurs qu’en nous, tandis que l’Esprit-Saint peut très-bien être sans nous ; c’est pourquoi il nous est donné, afin d’être aussi en nous. Mais nous ne pouvons le voir et le connaître comme il veut être vu et connu, que s’il est en nous.

SOIXANTE-QUINZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS-CHRIST : « JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET MOI AUSSI JE L’AIMERAI ET JE ME DÉCOUVRIRAI À LUI ». (Ch. 14, 18-21.)[modifier]

RÉCOMPENSE DE LA FIDÉLITÉ À JÉSUS-CHRIST.[modifier]

Le Sauveur promet à ses Apôtres, s’ils sont fidèles à ses commandements, non seulement de se manifester à eux après sa résurrection, mais aussi de leur communiquer la vie éternelle, et de se faire voir à eux pendant l’éternité.


1. Jésus-Christ avait promis à ses disciples de leur envoyer le Saint-Esprit ; mais, pour les empêcher de croire qu’il voulait l’envoyer à sa place, et qu’il ne serait plus lui-même avec eux, Notre-Seigneur ajouta ces paroles : « Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viendrai a à vous ». Les orphelins sont des pupilles. Le mot grec d’orphelin a la signification de pupille ; car, dans le psaume où nous lisons : « Vous serez le protecteur du pupille [79] », la version grecque porte : protecteur de l’orphelin. Le Fils de Dieu nous a adoptés pour les enfants de son Père, et il a voulu que nous ayons pour Père selon la grâce, celui qui est son Père selon la nature ; et néanmoins, il nous témoigne une tendresse toute paternelle lorsqu’il dit : « Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viendrai à vous ». C’est encore pour cela qu’il nous appelle les enfants de l’Époux, lorsqu’il dit : « L’heure viendra où l’Époux a leur sera enlevé, et alors les enfants de l’Époux jeûneront [80] ». Quel est l’Époux, sinon le Seigneur Jésus-Christ ?
2. Il dit ensuite : « Encore un peu de temps, et le monde ne me voit plus ». Eh quoi ! est-ce qu’alors le monde le voyait ? puisque par le nom de monde il veut désigner ceux dont il a parlé plus haut en ces termes : « Le monde ne peut recevoir le Saint-Esprit, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas ». Le monde, assurément, voyait de lui ce qui pouvait se voir des yeux de la chair ; mais il ne voyait pas le Verbe divin caché sous le voile de la chair : il voyait l’homme, mais ne voyait pas le Dieu ; il voyait le vêtement, mais ne voyait pas celui qui le portait. Après sa résurrection, il laissa voir son corps à ses disciples, il leur permit même de le toucher, mais il ne voulait pas le montrer à ceux qui n’étaient pas du nombre des siens. Aussi est-ce peut-être ce qu’il faut entendre par ces paroles : « Encore un peu de temps, et le monde ne me voit pas ; pour vous, vous me verrez, parce que je vis et que vous vivrez ».
3. Que signifient ces mots : « Parce que je vis et que vous vivrez ? » Pourquoi dit-il qu’il vit lui-même présentement, et que, pour eux, ils vivront plus tard, sinon parce qu’il promettait de leur donner plus tard la vie qui animerait d’abord son corps ressuscité ? Et comme sa résurrection allait avoir bientôt lieu, il en parle au temps présent, pour en montrer la proximité. Mais comme la résurrection de ses disciples devait être différée jusqu’à la fin du monde, il ne dit pas : Vous vivez, mais : « Vous vivrez ». Ces deux résurrections, la sienne qui devait avoir lieu peu après, et la nôtre qui arrivera à la fin du monde, Notre-Seigneur les a ainsi promises d’une façon élégante et brève, par ces deux mots dont l’un regarde le présent et l’autre l’avenir : « Parce que je vis », dit-il, « et vous aussi vous vivrez ». C’est parce qu’il vit que nous vivrons. « Par un homme est venue la a mort, et par un homme viendra la résurrection des morts ; car, comme tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ [81] ». Et comme aucun n’est arrivé à la mort que par Adam, aucun n’arrive à la vie que par Jésus-Christ : parce que nous avons vécu, nous sommes morts ; mais c’est parce qu’il a vécu lui-même, que nous vivrons. Nous sommes morts à Jésus-Christ, quand nous vivons pour nous-même s. Mais parce qu’il est mort pour nous, il vit et pour lui-même et pour nous. C’est en effet parce qu’il vit, que nous vivons. Nous avons bien pu nous donner la mort à nous-mêmes, mais nous ne pouvons, de même, nous rendre la vie.
4. « En ce jour », dit-il, « vous connaîtrez que je suis dans mon Père et que vous êtes en moi, et moi en vous ». En quel jour, sinon en celui auquel il fait allusion en disant : « Et vous vivrez ? » Alors nous pourrons voir ce que nous croyons. Maintenant, sans doute, il est en nous, et nous sommes en lui. Mais ce que nous ne faisons que croire maintenant, alors nous le connaîtrons. Et quoique dès à présent la foi nous l’apprenne, alors notre connaissance aura pour base la contemplation même de la réalité, tant que nous sommes dans un corps pareil au nôtre, c’est-à-dire sujets à la corruption et de nature à appesantir l’âme, nous sommes éloignés du Seigneur, nous marchons à la lueur de la foi et non au flambeau de la claire vue[82]. Mais alors nous marcherons à la claire vue ; car nous le verrons tel qu’il est[83]. Si Jésus-Christ n’était pas en nous, même dès cette vie, l’Apôtre ne dirait pas : « Mais si Jésus-Christ est en nous, le corps est mort à cause du péché, mais l’Esprit est vivant à cause de la justice[84] ». Que nous soyons en lui, même dès cette vie, c’est ce que Notre-Seigneur nous montre quand il dit : « Je suis la vigne, vous êtes les branches [85] ». En ce jour donc, quand nous vivrons de cette vie qui doit absorber la mort, nous connaîtrons qu’il est dans le Père, que nous sommes en lui, et qu’il est en nous : car alors sera achevé ce qu’il a déjà commencé, c’est-à-dire d’être en nous et de nous faire vivre en lui.
5. « Celui qui a mes commandements », dit Notre-Seigneur, « et les garde, c’est celui-là qui m’aime ». Celui qui les a dans la mémoire et qui les garde dans sa manière de vivre, qui les a dans ses discours, et qui les garde en ses mœurs ; qui les a en les écoutant et qui les garde en les pratiquant, ou qui les a en les pratiquant, et qui les garde en y persévérant,« c’est celui-là », dit-il, « qui m’aime ». C’est par les œuvres que l’amour doit se montrer, s’il veut être autre chose qu’un vain nom. « Et celui qui m’aime », continue-t-il, « sera aimé par mon Père ; et moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui ». Que veut dire : « J’aimerai ? » Est-ce qu’il ne commencera qu’alors à nous aimer, tandis que maintenant il ne nous aime pas ? Évidemment non. Comment, en effet, le Père pourrait-il nous aimer sans le Fils, ou comment le Fils pourrait-il nous aimer sans le Père ? Leur opération étant inséparable, pourraient-ils aimer séparément ? Quand Notre-Seigneur dit : « Je l’aimerai », cette parole se rapporte à ce qui suit : « Et je me manifesterai moi-même à lui ». « J’aimerai et je me manifesterai », c’est-à-dire, j’aimerai jusqu’à me manifester. Maintenant l’amour de Jésus-Christ ne va qu’à nous faire croire et pratiquer ce que la foi nous ordonne ; mais alors son amour ira jusqu’à nous faire voir et à nous donner la claire vision pour récompense de notre foi, et nous aussi nous aimons maintenant, parce que nous croyons ce que nous verrons ; mais alors nous aimerons parce que nous verrons ce que nous croyons.

SOIXANTE-SEIZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « JUDE, NON PAS L’ISCARIOTE, LUI DIT », : JUSQU’À CELLES-CI : « LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE, N’EST PAS MA PAROLE, MAIS CELLE DU PÈRE QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap. 14,22-24.)[modifier]

MANIFESTATION DE DIEU.[modifier]

Jésus-Christ se manifeste à ceux qui l’aiment, intérieurement en ce monde, et dans le ciel il se manifestera à eux pour toujours, tandis que les mondains ne verront qu’un instant son humanité au jour du jugement, et jamais ils ne le contempleront dans son essence divine, parce qu’ils ne l’aiment pas.

1. Si les disciples de Jésus l’interrogent et que ce divin Maître leur réponde, nous sommes avec eux pour profiter de ses réponses, puisque nous lisons ou entendons lire le saint Évangile. Notre-Seigneur ayant dit : « Encore « un peu de temps, et le monde ne me voit déjà plus, mais vous me verrez », Jude, non pas celui qui le trahit et qui était surnommé Iscariote, mais celui dont l’épître se lit au même titre que les Epîtres canoniques, l’interrogea à ce sujet : « Seigneur, d’où vient que vous vous manifesterez à nous et non pas au monde ? » Soyons avec les Apôtres comme des disciples qui interrogent leur maître, et Écoutons la réponse qu’il nous fait à tous. Jude le saint, et non pas l’impie, non pas le persécuteur du Seigneur, mais son suivant fidèle, lui demanda pourquoi il devait se manifester, non pas au monde, mais seulement à ses disciples ; pourquoi encore un peu de temps et le monde ne le verrait plus, tandis que ses disciples le verraient.
2. « Jésus lui répondit et lui dit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et « nous ferons en lui notre demeure. Celui qui « ne m’aime point ne garde pas mes paroles ». Voilà bien exposée la raison pour laquelle il doit se manifester aux siens, et non pas aux étrangers qu’il désigne sous le nom de monde ; cette raison, c’est que les siens l’aiment et que les autres ne l’aiment pas. C’est la même raison qui fait chanter au saint Psalmiste : « Jugez-moi, mon Dieu, et séparez ma cause de la nation qui n’est pas sainte[86] ». En effet, ceux qui aiment sont choisis parce qu’ils aiment : pour ceux qui n’aiment pas, quand même ils parleraient toutes les langues des hommes et des anges, ils ne sont qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand même ils auraient le don de prophétie, quand ils auraient pénétré tous les mystères et toute science, quand ils auraient toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, ils ne sont rien. Quand ils auraient distribué tous leurs biens, quand ils auraient livré leur corps pour être brûlé, cela ne leur servirait de rien [87]. C’est l’amour qui distingue les saints d’avec le monde, qui les unit ensemble et fait qu’ils habitent la même maison [88]. Dans cette maison le Père et le Fils font leur demeure, et ils donnent ce même amour à ceux devant qui ils se manifesteront à la fin du monde. C’est au sujet de cette manifestation que le disciple interrogeait le divin Maître ; de cette manière, ceux qui ont entendu sa réponse de sa propre bouche, et nous qui la lisons dans l’Évangile, nous en sommes tous instruits. Le disciple n’avait fait de question qu’au sujet de la manifestation de Jésus-Christ, et le Christ lui a fait une réponse qui a trait à son amour et à sa demeure. Il y a donc une manifestation de Dieu tout intérieure, qu’ignorent absolument les impies, puisque Dieu, le Père et le Saint-Esprit ne se manifestent jamais à eux. Le Fils a pu se manifester à eux, mais dans sa chair, et cette manifestation est bien différente de la manifestation intérieure. Quelle qu’elle soit, elle ne durera pas toujours pour eux : elle ne durera qu’un peu de temps ; et ce sera pour leur jugement, et non pour leur joie ; pour leur châtiment, et non pour leur récompense.
3. Voyons maintenant, autant que Dieu daignera nous le découvrir, comment il faut entendre ces paroles:« Encore un peu de temps « et le monde ne me voit déjà plus ; mais « vous, vous me verrez ». Peu après, sans doute, son corps, que les impies eux-mêmes pouvaient voir, devait être soustrait à leurs yeux, puisqu’après la résurrection aucun d’eux ne l’a vu. Mais comme les anges ont affirmé qu’« il viendra de la même manière que vous l’avez vu monter au ciel[89] » ; comme, d’ailleurs, la foi nous apprend qu’il viendra dans le même corps juger les vivants et les morts ; alors, sans aucun doute, le monde le verra, et sous ce nom de monde sont compris ceux qui sont étrangers à son royaume. Et ainsi ces paroles : « Encore un peu de temps et le monde ne me voit déjà plus », il semble bien plus naturel de les entendre de la fin du monde, c’est-à-dire du moment où il se soustraira à la vue des damnés, tandis qu’il se fera voir pour toujours à ceux en qui son Père et lui font leur demeure à cause de leur amour pour lui. Il dit : « Encore un peu de temps », car ce qui paraît très-long aux hommes est très-court aux yeux de Dieu. C’est en effet de ce temps si court que notre Évangéliste Jean a dit : « Mes petits enfants, voici la dernière heure[90] ».
4. Mais pour ne pas croire que le Père et le Fils seuls doivent, sans le Saint-Esprit, établir leur demeure en ceux qui les aiment, qu’on se rappelle ce qui a été dit plus haut du Saint-Esprit : « Le monde ne peut le recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. Mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’il restera avec vous et qu’il sera en vous[91] ». Le Saint-Esprit est donc avec le Père et le Fils, pour établir sa demeure dans les saints ; il reste dans leur intérieur, comme Dieu dans son temple. Le Dieu Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, viennent à nous, quand nous allons à eux : ils viennent en nous en nous secourant, et nous allons à eux en leur obéissant ; ils viennent en nous en nous éclairant, et nous allons à eux en profitant de leurs lumières ; ils viennent en nous en nous remplissant, et nous allons à eux en les recevant ; par là nous les voyons non pas extérieurement, mais d’une manière intérieure, et leur demeure en nous est, non point passagère, mais éternelle. C’est ainsi que le Fils ne se manifeste pas au monde, car il appelle monde ceux dont il ajoute aussitôt « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ». Voilà quels sont ceux qui ne voient jamais le Père ni le Saint-Esprit : ils voient le Fils un peu de temps, non pour être béatifiés, mais pour être jugés. Et ils le verront, non pas dans sa forme de Dieu, sous laquelle il est invisible en même temps que le Père et le Saint-Esprit, mais dans sa forme d’homme, sous laquelle il a paru méprisable aux hommes pendant sa passion, mais sous laquelle, aussi, il se montrera terrible dans son jugement.
5. Si Jésus ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé », n’en soyons ni étonnés, ni effrayés. Il n’est pas moindre que le Père ; mais il n’est que par le Père ; il n’est pas au-dessous du Père, mais il n’est pas de lui-même ; et il n’a pas menti quand il a dit : « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ». Il dit que ces paroles sont les siennes ; peut-il être opposé à lui-même quand il dit ensuite : « Et la parole que vous « avez entendue n’est pas mienne ? « Peut-être a-t-il voulu établir ici une distinction, comme celle-ci : quand il parle de ses propres paroles », il en parle au pluriel ; et quand il dit que « sa parole » n’est pas la sienne, mais bien celle de son Père, c’est lui-même qu’il veut désigner. « Au commencement, en effet, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu [92] ». Le Verbe n’est pas son Verbe à lui, mais celui du Père ; comme il est non pas sa propre image, mais celle du Père : il n’est pas non plus son Fils à lui, mais celui du Père. C’est donc avec justesse qu’il attribue au Père ce qu’il fait, quoiqu’il lui soit égal, puisque c’est du Père qu’il tient de lui être égal en toutes choses.

SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « JE VOUS AI DIT CES CHOSES DEMEURANT AVEC VOUS », JUSQU’À CES AUTRES : « JE VOUS DONNE MA PAIX ; JE NE VOUS LA DONNE POINT COMME LE MONDE LA DONNE ». (Chap. 14,25-27.)

LE SAINT-ESPRIT ET LA PAIX.[modifier]

En quittant ses Apôtres, le Sauveur leur promet l’assistance du Saint-Esprit, qui les instruira à sa place, comme distributeur de la grâce divine ; ensuite il leur donne la paix, autant qu’une âme fidèle peut la posséder en ce monde, en attendant qu’elle jouisse, dans le ciel, de la paix inaltérable qui est Dieu lui-même ; paix que les mondains ne peuvent goûter les uns avec les autres, loin de Jésus-Christ.

1. Dans le passage du saint Évangile qui précède celui qui vient de nous être lu, le Seigneur Jésus avait dit que le Père et lui viendraient vers ceux qui l’aiment, et qu’ils établiraient en eux leur demeure. Déjà un peu plus haut il avait dit du Saint-Esprit « Mais vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera auprès de vous et qu’il sera en vous[93] ». Ces paroles nous ont fait : comprendre que la Trinité divine demeure tout entière dans les saints comme dans son temple. Maintenant Jésus ajoute : « Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous ». Cette demeure est autre que celle qu’il promet pour l’avenir ; et celle qui doit venir est autre que celle qu’il certifie pour le temps présent. La première est spirituelle et tout intérieure, elle a lieu dans les âmes ; la seconde est corporelle et se manifeste extérieurement aux yeux et aux oreilles. La première béatifie dans l’éternité ceux qui ont été sauvés ; la seconde visite dans le temps ceux qui doivent l’être. Quant à la première, le Seigneur ne s’éloigne jamais de ceux qui l’aiment ; quant à la seconde, il vient et s’éloigne. « Je vous ai dit ces choses », ajoute-t-il, « pendant que je demeure avec vous » ; c’est-à-dire par le fait d’une présence corporelle, qui le leur rendait visible et lui permettait de leur parler.

2. « Mais le Paraclet », continue-t-il, « le Saint-Esprit, que le Père enverra en mon nom, c’est lui qui vous enseignera toutes choses et vous rappellera toutes les choses que je vous ai dites ». Le Fils parle-t-il tandis que c’est le Saint-Esprit qui enseigne ; de telle sorte que, si le Fils parle, nous entendons ses paroles, mais nous ne les comprenons qu’autant que le Saint-Esprit nous en donne l’intelligence ? Le Fils parle-t-il sans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit enseigne-t-il sans le Fils ; ou plutôt, le Fils n’enseigne-t-il pas lui aussi, et le Saint-Esprit ne parle-t-il pas lui-même ? Et quand Dieu nous dit et nous enseigne quelque chose, n’est-ce pas la Trinité elle-même qui parle et qui enseigne ? Mais précisément parce qu’il y a une Trinité, il fallait indiquer chacune de ses personnes, et concevoir chacune d’elles comme étant distincte des autres, tout en comprenant qu’elles sont inséparables les unes des autres. Écoute le Père, c’est lui qui parle en ce passage : « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils[94] ». C’est encore lui qui enseigne en cet autre endroit : « Tout homme qui entend parler le Père et apprend de lui, vient à moi[95] ». Tout à l’heure tu as entendu parler le Fils ; car il a dit de lui-même : « Tout ce que je vous aurai dit ». Si tu veux assurer qu’il enseigne, rappelle-toi le maître dont il est dit : « Vous n’avez qu’un Maître, Jésus-Christ[96] ». Pour le Saint-Esprit, tu sais qu’il enseigne ; car il est dit : « Lui-même vous enseignera toutes choses » ; écoute-le parler en ce passage des Actes des Apôtres, où il est rapporté que le Saint-Esprit dit à saint Pierre : « Va avec eux, parce que c’est moi qui les ai envoyés[97]. C’est donc toute la Trinité qui parle et qui instruit ; mais si chaque personne n’était signalée individuellement, la faiblesse humaine n’aurait pu le comprendre. Car, comme la Trinité est absolument inséparable, nous n’aurions jamais su qu’en elle se trouvent trois personnes, si l’on avait toujours parlé d’elle sans faire de distinction entre ces mêmes personnes. Quand nous disons : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous ne les nommons pas ensemble, quoique cependant ils ne puissent pas n’être pas ensemble. Quant à ce que Jésus ajoute : « Il vous rappellera », nous devons aussi comprendre par là qu’il nous est enjoint de ne pas oublier que ses salutaires enseignements touchent à la grâce, et que la grâce nous rappelle l’Esprit-Saint.

3. « Je vous laisse la paix », continue Jésus, « je vous donne ma paix ». C’est là cette paix par-dessus la paix dont nous parle le Prophète : au moment de partir, il nous laisse la paix ; quand il viendra à la fin des temps, il nous donnera sa paix. Il nous laisse la paix dans ce monde, il nous donnera sa paix dans l’autre vie ; il nous laisse la paix avec laquelle, tant que nous la conservons, nous triomphons de l’ennemi ; il nous donnera sa paix, quand nous régnerons sans craindre désormais l’ennemi. Il nous laisse la paix, afin qu’ici-bas nous nous aimions les uns les autres ; il nous donnera sa paix, quand nous ne pourrons plus avoir de dissentiment les uns avec les autres ; il nous laisse la paix, afin que nous ne jugions pas réciproquement de nos intentions cachées, tant que nous sommes en ce monde ; il nous donnera sa paix, lorsqu’il manifestera les pensées des cœurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due[98]. Mais c’est toujours en lui et par lui que nous avons la paix ; qu’il s’agisse de celle qu’il nous laisse avant d’aller à son Père, ou qu’il soit question de celle qu’il nous donnera en nous conduisant à son Père, peu importe. Mais, en allant à son Père, nous laisse-t-il autre chose que lui-même, puisqu’il ne s’éloigne pas de nous ? Il est lui-même notre paix, car de deux peuples il n’en a fait qu’un[99]. Il est donc lui-même la paix, et quand par la foi nous croyons qu’il est, et quand nous le voyons tel qu’il est[100]. Si, en effet, tandis que nous sommes dans un corps corruptible qui appesantit l’âme, que nous marchons par la foi et non par l’évidence, il ne nous abandonne pas dans notre pèlerinage loin de lui[101], combien moins nous abandonnera-t-il, quand nous serons arrivés à l’évidence elle-même ! Combien plus nous remplira-t-il de lui-même !

4. Mais pourquoi, lorsqu’il a dit : « Je vous laisse la paix », n’a-t-il pas ajouté : « la mienne ? » Et quand il a dit : « Je vous donne », a-t-il ajouté : « ma paix ? » Faut-il sous-entendre le mot « ma » où il n’a pas été dit, et parce qu’il est employé à l’un des deux endroits, se rapporte-t-il aussi à l’autre ? N’y a-t-il pas là quelque chose à lui demander et à rechercher ? Ne devons-nous pas frapper afin qu’il nous ouvre ? Par cette paix qu’il déclare être la sienne, n’a-t-il pas voulu désigner celle qu’il possède lui-même ; et la paix qu’il nous laisse en ce monde n’est-elle pas plutôt la nôtre que la sienne ? Il ne rencontre, en effet, en lui-même aucune opposition au bien, celui qui n’est pas sujet à commettre le péché ; pour nous, notre paix est de telle nature que nous devons dire encore : « Pardonnez-nous nos offenses[102] ». Nous avons donc une certaine paix, parce que nous nous réjouissons dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais cette paix n’est pas entière. Car nous sentons dans nos membres une autre loi qui combat contre la loi de notre esprit[103]. De même la paix se trouve entre nous, parce que nous avons une confiance mutuelle, que nous nous aimons les uns les autres, mais cette paix n’est pas entière, parce que nous ne voyons pas mutuellement les pensées de notre cœur, et certaines choses qui nous concernent et sont en nous, nous les jugeons ou en bien ou en mal. Aussi, et quoiqu’elle nous ait été laissée par Jésus-Christ, cette paix est la nôtre ; et même, telle qu’elle est, nous ne l’aurions pas sans lui. Quant à lui, il ne possède point une paix pareille à la nôtre. Si nous la conservons jusqu’à la fin telle que nous l’avons reçue, il la rendra semblable à la sienne : alors nous ne sentirons plus en nous aucun combat, et dans les cœurs les uns des autres, rien ne nous sera plus caché. Je ne l’ignore pas : on peut entendre ces paroles du Seigneur en ce sens qu’il répéterait deux fois la même chose : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » ; par conséquent, après avoir dit : « la paix », il se répéterait en disant « ma paix » ; et après vous avoir dit : « je vous laisse », il se répéterait encore en disant : « je vous donne ». Que chacun l’entende comme il lui plaira ; pour moi, j’aime et je crois que vous aimez aussi, mes bien chers frères, à considérer cette paix comme celle qui nous fait vaincre l’ennemi avec ensemble, et désirer cette autre paix au sein de laquelle nous n’aurons plus d’ennemi.


5. Quant à ce que le Seigneur ajoute « Je ne vous la donne pas, comme le monde la donne », quel est le sens de ces paroles ? Le voici : je ne vous la donne pas comme la donnent les hommes qui aiment le monde. Ceux-là, en effet, se donnent la paix, afin que, débarrassés des soucis, des procès et des guerres, ils jouissent, non pas de Dieu, mais du monde qui possède leurs affections ; et quand ils donnent la paix aux justes, en cessant de les persécuter, ce n’est pas une paix véritable, car il n’y a pas de véritable accord où les cœurs sont désunis. On appelle consorts, ceux qui unissent leurs sorts ; ceux qui unissent leurs cœurs, doivent donc de même s’appeler concords. Pour nous, mes très-chers frères, Jésus-Christ nous laisse la paix et nous donne sa paix, non pas comme la donne le monde, mais comme la donne celui par qui a été fait le monde ; il nous la donne, afin que nous soyons tous d’accord, que nous soyons unis de cœur et que, n’ayant plus qu’un seul cœur, nous l’élevions en haut et ne le laissions pas se corrompre sur la terre.

SOIXANTE-DIX-HUITIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « QUE VOTRE CŒUR NE SOIT POINT TROUBLÉ ET NE CRAIGNE POINT, ETC. » (Chap. 14,27-28.)[modifier]

JÉSUS-CHRIST, DIEU ET HOMME.[modifier]

Les Apôtres se troublaient de voir le Sauveur s’éloigner d’eux ; mais il les console en leur rappelant que, s’il les quitte, ce n’est pas comme Dieu, et que, en qualité d’homme, il va être glorifié pat son Père. Si donc ils l’aiment, ils doivent plutôt se réjouir que se contrister


1. Nous venons d’entendre, mes frères, ces paroles que Notre-Seigneur adresse à ses disciples : « Que votre cœur ne soit point troublé « et qu’il ne craigne point. Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais et je viens à vous ; si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Bien qu’il leur fît la promesse de revenir à eux ; dès lors qu’il s’éloignait d’eux, leur cœur pouvait se troubler et craindre que pendant l’absence du pasteur le loup vînt ravager le troupeau. Mais ceux dont l’homme s’éloignait, le Dieu ne les quittait pas. Or, Jésus-Christ est, tout ensemble, Dieu et homme ; il s’en allait donc en tant qu’homme, mais il restait en tant que Dieu. Il s’en allait par ce qui, en lui, n’était qu’en un seul lieu : il restait par ce qui, de lui, se trouvait partout. Pourquoi donc leur cœur se troublait-il et craignait-il, au moment où Jésus se dérobait à leurs yeux, sans néanmoins quitter leur cœur ? Dieu ne peut être contenu dans un lieu ; pourtant il se retire du cœur de ceux qui s’éloignent de lui ; il se retire, Don par le mouvement des pieds, mais par l’effet de leurs mœurs, et il vient vers ceux qui se tournent vers lui, non par le visage, mais par la foi, et qui s’approchent de lui, non par le corps, mais par l’esprit. Pour leur faire comprendre que, quand il disait : « Je m’en vais et je viens à vous », il parlait en tant qu’homme, il ajoute aussitôt : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi ». Donc le Fils doit aller au Père par ce en quoi il ne lui est pas égal, et il en viendra de même pour juger les vivants et les morts ; mais en tant que le Fils unique est égal à celui qui l’engendre, il ne s’éloigne pas du Père ; il est tout entier partout avec lui, puisqu’il est Dieu comme lui, et qu’il ne se trouve pas plus que lui circonscrit dans l’espace. Car, comme dit l’Apôtre, a ayant la forme de Dieu, « il n’a pas regardé comme une usurpation a d’être égal à Dieu ». Comment, en effet, aurait-il pu dérober cette nature qu’il avait, non point par usurpation, mais par naissance ? « Il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme d’esclave [104] ». Non pas qu’il ait perdu la première nature, mais parce qu’il s’est revêtu de la seconde. En s’anéantissant ainsi, il paraissait ici-bas plus petit qu’il n’était auprès du Père. La forme d’esclave est survenue, mais la forme de Dieu ne s’est pas retirée ; il a pris l’une sans perdre l’autre. À cause de sa nature d’esclave il dit : « Le Père est plus grand que moi » ; en raison de sa nature divine, il dit: « Le Père et moi nous sommes un [105] ».
2. Que l’Arien y fasse attention, et que cette attention le guérisse de ses contentions vaines et, qui pis est, insensées. C’est par cette forme d’esclave que le Fils de Dieu est plus petit non seulement que le Père, mais aussi que l’Esprit-Saint ; j’ajouterai encore qu’il est plus petit que lui-même. Car dans la forme de Dieu il est plus grand que lui-même. En effet, Jésus-Christ homme est appelé le Fils de Dieu, puisque sa chair toute seule dans le sépulcre a mérité d’être ainsi appelée. Confessons-nous autre chose, lorsque nous disons que nous croyons au Fils unique de Dieu, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate et enseveli ? N’est-ce point sa chair, sans son âme, qui a été ensevelie ? Ainsi, quand nous croyons au Fils de Dieu qui a été enseveli, évidemment nous donnons le nom de Fils de Dieu à sa chair qui seule a été ensevelie. Par conséquent, Jésus-Christ le Fils de Dieu, égal à son Père dans sa forme de Dieu, est plus grand que lui-même, parce qu’il s’est anéanti, non en perdant la forme de Dieu, mais en prenant la forme d’esclave. En effet, la forme de Dieu, qu’il n’a pas perdue, est plus grande que la forme d’esclave qu’il a prise. Y a-t-il donc rien d’étonnant ou d’indigne de lui, si, en parlant dans le sens de cette forme d’esclave, le Fils de Dieu a dit : « Le Père est plus grand que moi », et si, en parlant dans la forme de Dieu, ce même Fils de Dieu a dit encore « Le Père et moi nous sommes un ? » Ils sont un en ce sens que le « Verbe est Dieu » ; le Père est plus grand en ce sens que « le Verbe s’est « fait chair[106] ». J’ajouterai même, ce que ne pourront nier ni les Ariens ni les Eunomiens, selon cette forme d’esclave Jésus-Christ enfant était plus petit que ses parents, lorsque étant enfant, comme il est écrit, « il leur était soumis [107] ». O hérétique, Jésus-Christ étant Dieu et homme, pourquoi, s’il parle comme homme, calomniez-vous le Dieu ? En lui se trouve la nature humaine ; il en donne la preuve, et tu oses, à cause de cela, ravaler sa nature divine ? Infidèle, ingrat, oses-tu bien' diminuer celui qui t’a créé, parce qu’il te fait connaître ce qu’il est devenu à cause de toi ? En effet, le Fils de Dieu, par qui l’homme a été fait, était l’égal du Père, et néanmoins il s’est fait homme pour devenir plus petit que le Père ; sans cela que serait l’homme ?
3. Que notre Seigneur et Maître dise donc ouvertement : « Si vous m’aimiez, assurément vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Écoutons avec les disciples les paroles du Maître, ne prenons pas pour guide, comme les étrangers, la perfidie du séducteur : reconnaissons la double substance de Jésus-Christ, la substance divine par laquelle il est égal au Père, et la substance humaine par laquelle le Père est plus grand que lui ; reconnaissons également que ces deux natures font non pas deux personnes, mais un seul Christ ; autrement nous ferions de Dieu une quaternité, et non pas une trinité. De même que l’âme raisonnable et le corps ne font qu’un seul homme, de même Dieu et l’homme ne sont qu’un seul Christ, et ainsi Jésus-Christ est-il en même temps Dieu, âme raisonnable et corps : nous confessons Jésus-Christ sous tous ces rapports, nous le confessons sous chacun d’eux ; par qui donc le monde a-t-il été fait ? Par Jésus-Christ, mais par Jésus-Christ dans sa forme de Dieu. Qui a été crucifié sous Ponce-Pilate ? C’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ dans sa forme d’esclave. Ainsi en est-il de chaque partie dont en lui se compose l’homme. Qui est-ce qui n’a pas été laissé dans les enfers ? Jésus-Christ, mais Jésus-Christ dans son âme seule. Qui est-ce qui a été renfermé trois jours dans le sépulcre avant de ressusciter ? Jésus-Christ, mais Jésus-Christ dans sa chair seulement. Chacune de ces parties est appelée Jésus-Christ, et leur ensemble ne forme pas deux ni trois Jésus-Christ, mais un seul Jésus-Christ. C’est pourquoi il dit : « Si vous m’aimiez, assurément vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père » ; car il faut féliciter la nature humaine qui a été prise par le Verbe Fils unique de Dieu, d’être devenue immortelle dans le ciel, et, de terre qu’elle était, d’avoir été élevée si haut, qu’elle est devenue incorruptible et s’est assise à la droite du Père. C’est en ce sens que Notre-Seigneur annonce qu’il doit aller au Père ; il est évident qu’il allait à lui en tant qu’il était toujours avec lui. Mais c’était véritablement aller avec lui et s’éloigner de nous, que de changer et de rendre immortel ce corps mortel qu’il avait emprunté à notre nature, et d’élever jusqu’au ciel ce par quoi il était descendu pour nous sur la terre. Qui ne se réjouirait, s’il aime Jésus-Christ, de voir sa nature déjà immortalisée en Jésus-Christ, et de pouvoir espérer que Jésus-Christ le rendra lui-même immortel ?

SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « ET MAINTENANT JE VOUS L’AI DIT AVANT QUE CELA ARRIVE, ETC, JUSQU’À CES AUTRES : « LEVEZ-VOUS, SORTONS D’ICI ». (Ch. 14, 29-31.)

PROPHÉTIE DU CHRIST, SOURCE DE FOI.[modifier]

Le Sauveur, voulant prémunir ses Apôtres contre le scandale de sa passion et corroborer leur foi, leur avait prédit ce qui devait lui arriver de la part du démon, quoiqu’il ne fût pas soumis à sa puissance en raison de son impeccabilité, mais par la volonté du Père.

1. Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ avait dit à ses disciples : « Si vous m’aimiez, a assurément vous vous réjouiriez de ce que je avais au Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Dans ce passage, il parlait de la forme d’esclave, et non pas de la forme de Dieu ; car par celle-ci il est égal à son Père ; la foi nous l’apprend ; j’entends la foi gravée dans les âmes religieuses, et non pas celle qu’ont inventée des esprits menteurs et insensés. Ensuite il ajoute : « Et je vous l’ai dit maintenant avant que cela arrive, afin que vous le croyiez lorsqu’il sera arrivé ». Qu’est-ce que cela signifie ? Ce que l’homme doit croire, ne doit-il pas le croire avant l’événement ? Et tout le mérite de la foi ne consiste-t-il point à croire ce qu’on ne voit pas ? Est-ce chose extraordinaire de croire ce que l’on voit ; et Notre-Seigneur n’a-t-il pas, précisément à cause de cela, adressé à son disciple ce reproche : « Parce que tu as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient[108] ? ». Et je ne sais si l’on peut dire qu’un homme croit ce qu’il voit ; car dans l’Épître adressée aux Hébreux, la foi est ainsi définie : « La foi est la substance des choses que nous devons espérer, et la preuve de celles que nous ne voyons pas[109] » C’est pourquoi, si la foi a pour objet et les choses que l’on croit, et celles qui ne se voient point, qu’est-ce que le Sauveur entend dire par ces mots : « Et maintenant je vous ai dit cette chose avant qu’elle arrive, afin que, lorsqu’elle sera arrivée, vous croyiez ». N’aurait-il pas dû dire plutôt : Et maintenant je vous dis ceci avant qu’il arrive, afin que vous croyiez ce que vous verrez quand il sera arrivé ? Car celui à qui il a été dit : « Parce que tu as vu, tu as cru », n’a pas cru ce qu’il a vu ; autre chose est ce qu’il a vu, autre chose est ce qu’il a cru. Il a vu l’homme, il a cru le Dieu. En effet, il touchait et voyait vivant un corps qu’il avait vu mourir ; et il croyait le Dieu caché dans ce même corps. Il croyait donc dans son âme ce qu’il ne voyait pas, et il était amené à cette foi par la vue de ce qui apparaissait à ses sens. Mais quand même on pourrait dire qu’on croit les choses que l’on voit, ainsi qu’il nous arrive de dire : J’en crois à mes propres yeux, ce n’est cependant pas là cette foi qui est édifiée en nous. Car par les choses que nous voyons nous sommes amenés à croire ce que nous ne voyons pas. C’est pourquoi, mes très-chers frères, ces paroles de Notre-Seigneur dont je vous entretiens maintenant : « Et je vous le dis maintenant avant qu’il arrive, afin que vous le croyiez lorsqu’il sera arrivé » ; ces paroles : « lorsqu’il sera arrivé », signifiaient qu’après sa mort ils le verraient vivant et montant vers le Père, et qu’à cette vue ils croiraient qu’il était bien le Christ Fils du Dieu vivant, puisqu’il aurait pu faire de telles choses après les avoir prédites, et les prédire avant de les faire ; ils devaient le croire non pas d’une foi nouvelle, mais d’une foi augmentée ; non pas d’une foi que sa mort devait affaiblir, mais que sa résurrection devait réparer. Sans doute, auparavant ils ne le croyaient pas Fils de Dieu ; mais quand arriva en lui ce qu’il avait prédit d’avance, cette foi si faible, lorsqu’il leur parlait, et presque nulle au moment de sa mort, revint à la vie et s’accrut.

2. Que dit-il ensuite ? « Désormais je ne vous parlerai plus guère, car voici venir le prince de ce monde ». Quel est ce prince, sinon le diable ? « Et en moi il n’a aucune chose », c’est-à-dire, absolument aucun péché. Il nous montre, par là, que le diable est le prince, non des créatures, mais des pécheurs, qu’il désigne en cet endroit sous le nom de ce monde. Et toutes les fois que le nom de monde est pris en mauvaise part, il ne désigne que ceux qui aiment ce monde dont il est dit ailleurs : « Quiconque voudra être ami de ce monde, se rendra ennemi de Dieu[110] ». Gardons-nous donc de croire que lorsque le diable est appelé prince de ce monde, cela signifie qu’il a un empire absolu sur le monde entier, c’est-à-dire sur le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment de ce monde. Jean a dit, en parlant de Jésus-Christ, Verbe de Dieu : « Et le monde a été fait par lui[111] ». Le monde tout entier, depuis le plus haut des cieux jusqu’aux plus profonds abîmes de la terre, est soumis au Créateur et non à l’ange déserteur ; au Rédempteur et non au destructeur ; au Libérateur, et non au despote ; au Docteur, et non au séducteur. En quel sens devons-nous entendre que le diable est le prince de ce monde ? c’est ce que nous montre clairement l’apôtre Paul. Après avoir dit : « Nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang », c’est-à-dire contre des hommes, il ajoute aussitôt : « Mais contre les principautés et les puissances, et les gouverneurs du monde de ces ténèbres[112] » ; il explique ce qu’il entend par le mot « monde » en ajoutant : « de ces ténèbres » ; pour nous empêcher de penser que par ce mot « monde », il voulait désigner toute la création, dont les anges déserteurs ne sont aucunement les maîtres, l’Apôtre dit : « De ces ténèbres », c’est-à-dire des amateurs de ce monde. Parmi eux cependant ont été choisis, non pour leur mérite, mais par la grâce de Dieu, ceux à qui il est dit : « Vous avez été autrefois ténèbres ; mais vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[113] ». Tous les hommes, en effet, ont été sous la puissance des gouverneurs de ces ténèbres, c’est-à-dire des hommes impies, comme des ténèbres sous d’autres ténèbres. « Mais grâces soient rendues à « Dieu, qui nous a », comme dit le même Apôtre, « arrachés à la puissance des ténèbres et transportés dans le royaume du Fils de son amour[114] », en qui le prince de ce monde, c’est-à-dire de ces ténèbres, n’avait aucune chose. Car Dieu n’était pas venu avec le péché, et sa chair enfantée par une Vierge n’avait aucune part au péché d’origine. Comme on aurait pu lui dire : Pourquoi donc mourez-vous, si vous n’avez pas de péché, puisque la mort est la punition du péché ? Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Mais afin que le monde connaisse que j’aime le Père, et que je fais ainsi que le Père m’a ordonné, levez-vous, sortons d’ici ». Il était encore assis à table avec ses disciples, lorsqu’il parlait ainsi. Et quand il dit : « Sortons », n’était-ce pas pour se rendre à l’endroit où il devait être livré à la mort ? Il n’y avait rien en lui qui méritât la mort ; mais son Père lui commandait de mourir, car il était Celui dont il était prédit : « Ce que je ne devais pas, je l’ai payé [115] ». En effet, il allait payer à la mort ce qu’il ne lui devait pas, et cela pour nous racheter de la mort qui nous était due. Adam avait dérobé le péché quand, aveuglé par la présomption, il porta la main à l’arbre pour s’emparer du nom incommunicable de la divinité qui ne lui était pas due, mais que la nature et non l’usurpation avait accordée au Fils de Dieu.

QUATRE-VINGTIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « JE SUIS LA VRAIE VIGNE ET MON PÈRE EST LE VIGNERON », JUSQU’À CES AUTRES : « DÉJÀ VOUS ÊTES PURS À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE ». (Chap. 15,1-3.)[modifier]

JÉSUS-CHRIST, VIGNE ET VIGNERON.[modifier]

Le Sauveur est, comme homme, la vigne, c’est-à-dire le cher de l’Église, tandis que nous en sommes les branches ou les membres : comme Dieu, il est, aussi bien que le Père, le vigneron qui retranche les bourgeons improductifs et émonde par la parole de la foi ceux qui rapportent du fruit.


1. Cet endroit de l’Évangile, mes frères, où Notre-Seigneur dit à ses disciples qu’il est la vigne et qu’ils en sont les branches, doit s’entendre en ce sens que Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes[116], est le chef de l’Église et que nous sommes ses membres. La vigne et ses branches sont de même nature ; c’est pourquoi, comme il était Dieu et que nous n’avons pas la nature divine, il s’est fait homme, afin que la nature humaine fût en lui comme une vigne, dont nous autres hommes nous pourrions être les branches. Mais que veut dire : « Je suis la vraie vigne ? » En ajoutant le mot « vraie », a-t-il voulu dire qu’il se rapporte à cette vigne d’où la comparaison est tirée ? Il est en effet appelé vigne par comparaison, et non par appropriation, comme il est appelé brebis, agneau, lion, rocher, pierre angulaire et autres choses qui sont vraiment ce que leur nom signifie ; mais qui, dans le cas présent, servent à établir une comparaison et non à indiquer l’existence de propriétés réelles. Aussi, quand Jésus dit : « Je suis la vraie vigne », c’est pour se distinguer de celle à qui il est dit : « Comment as-tu dégénéré jusqu’à devenir une fausse vigne [117] ? » Car peut-on dire qu’elle était une vraie vigne, celle dont on attendait du raisin et qui a produit des épines [118] ?
2. « Je suis la vraie vigne », dit Jésus-Christ, « et mon Père est le vigneron. Il retranchera toutes les branches qui ne portent point de fruit en moi, et il émondera toutes celles qui portent du fruit, afin qu’elles en portent davantage ». Le vigneron et la vigne sont-ils donc la même chose ? Jésus-Christ est la vigne selon la nature qui lui permet de dire : « Le Père est plus grand que moi[119] ». Mais selon la nature qui lui permet de dire : « Le Père et moi nous sommes un[120] », il est lui-même le vigneron ; non pas un vigneron comme ceux qui en travaillant ne peuvent donner que des soins extérieurs, mais un vigneron capable de donner l’accroissement intérieur. « Car ce n’est pas celui qui plante ni celui qui arrose qui « est quelque chose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement ». Or, Jésus-Christ est vraiment Dieu ; car « le Verbe était Dieu », ce qui fait que le Père et lui ne sont qu’un ; et si « le Verbe s’est fait chair[121] », ce qu’il n’était pas, il est cependant resté ce qu’il était. Enfin, après avoir dit du Père, en parlant de lui comme d’un vigneron, qu’il retranchera les branches stériles et qu’il émondera celles qui porteront du fruit, afin de leur en faire porter davantage, il montre qu’il émondera lui-même aussi les branches, et il ajoute aussitôt : « Déjà vous êtes purs, à cause de la « parole que je vous ai dite ». Voilà que lui-même il émonde les branches ; c’est l’office du vigneron, et non celui de la vigne. Il fait même de quelques branches ses coopérateurs. Car bien qu’ils ne donnent pas l’accroissement, ils contribuent néanmoins en quelque chose à le produire, sans toutefois le faire par leur propre puissance. « Parce que sans moi », dit Jésus-Christ, « vous ne pouvez rien faire ». Écoute-les, ils en font eux-mêmes l’aveu. « Qu’est-ce qu’Apollo ? Qu’est-ce que Paul ? Des ministres par qui, δι’ ὧν, vous avez cru et chacun selon le don du Seigneur. Moi, j’ai planté, Apollo a arrosé ; c’est donc selon le don que le Seigneur a fait à chacun, et non de leur propre fonds ». Voyez ce qui suit : Mais « Dieu a donné l’accroissement [122] » ; ce n’est donc point par eux, mais par lui-même, que Dieu l’a fait. Cela, en effet, surpasse la faiblesse humaine, la grandeur même des anges, et n’appartient qu’à la Trinité qui seule est le vigneron. « Déjà vous êtes purs ». Emondés sans doute, mais ayant besoin de l’être encore. S’ils n’avaient pas été taillés, ils n’auraient pu porter de fruit, et cependant quiconque porte du fruit, le vigneron l’émonde pour lui en faire porter davantage. Il porte du fruit parce qu’il est taillé, et pour qu’il en porte davantage, on l’émonde encore. En effet, quel est celui qui en cette vie est assez émondé, pour n’avoir pas besoin de l’être de plus en plus en cette vie, en laquelle, « si nous disons que nous n’avons « pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous ; mais si nous confessons nos péchés, il est quelqu’un de fidèle et de juste qui nous remettra nos péchés et nous purifiera de toute iniquité, [123] ? » Qu’il émonde donc ceux qui sont déjà émondés, c’est-à-dire qui portent des fruits, afin qu’ils portent d’autant plus de fruits qu’ils seront plus émondés.
3. « Déjà vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite ». Pourquoi ne dit-il pas : Vous êtes purs à cause du baptême dont vous avez été lavés, mais bien a à cause de la parole que je vous ai dite ? » Parce que dans l’eau c’est encore la parole qui purifie ? Retranche la parole, et l’eau, que sera-t-elle ? De l’eau. La parole se joint à l’élément, et aussitôt se fait le sacrement qui est comme une parole visible. C’est ce qu’il avait dit en lavant les pieds de ses disciples : « Celui qui est lavé n’a besoin que de se laver les pieds ; car il est pur tout entier [124] ». D’où vient à l’eau cette vertu si grande, qu’en touchant le corps elle purifie le cœur ? Elle lui vient uniquement de la parole ; non parce que l’on prononce cette parole, mais parce que l’on y croit. Car en ce qui concerne la parole elle-même, autre chose est le son qui passe, autre chose est la vertu qui reste. « C’est la parole de la foi que nous vous prêchons », dit l’Apôtre, « parce que si vous confessez de bouche que Jésus est le Seigneur, et si vous croyez de cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvés. Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser de bouche pour obtenir le salut[125] ». Aussi est-il dit dans les Actes des Apôtres : « Purifiant leurs cœurs par la foi[126] ». Pierre dit aussi dans son Epître : « Le baptême vous sauve, non par la purification des souillures de la chair, mais par le témoignage d’une bonne conscience [127]. C’est la parole de la foi que nous vous prêchons », parole qui sanctifie le baptême et lui donne la vertu de purifier ; car Jésus-Christ qui est avec nous la vigne, et avec le Père le vigneron, « a aimé l’Église et s’est livré pour elle ». Lis l’Apôtre et vois ce qu’il ajoute : « Afin de la sanctifier en la purifiant dans le baptême de l’eau par la parole [128] La purification ne serait donc pas l’effet de cet élément fluide et coulant, si on n’y ajoutait « la parole ». Cette parole de foi a tant de force dans l’Église de Dieu, qu’elle purifie même un petit enfant par l’intermédiaire de celui qui croit, qui l’offre, le bénit et le lave dans ces eaux salutaires ; et néanmoins cet enfant ne peut encore ni croire de cœur pour obtenir la justice, ni confesser de bouche pour obtenir le salut. Tout cela se fait par cette parole dont Notre-Seigneur a dit : « Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai dite ».

QUATRE-VINGT-UNIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « DEMEUREZ EN MOI, ET MOI EN VOUS », JUSQU’À CES AUTRES : « TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, VOUS LE DEMANDEREZ ET IL VOUS SERA ACCORDÉ ».(Ch. 15,4-7.)[modifier]

LA VIGNE ET LES BRANCHES.[modifier]

De même que les branches de la vigne ne peuvent avoir de sève et porter de fruit qu’autant qu’elles adhèrent au cep, de même nous ne pouvons rien faire dans l’ordre du salut sans l’union avec Jésus-Christ ; mais, dès lors que nous sommes unis à lui par la grâce et la fidélité à ses commandements, nous pouvons demander tout ce qui est vraiment utile à notre âme, et nous l’obtiendrons.


1. Jésus dit qu’il est la vigne, ses disciples les branches, et son Père le vigneron ; nous l’avons déjà expliqué de notre mieux. Dans la leçon d’aujourd’hui, il continue à dire qu’il est la vigne, et que ses disciples sont les branches ; voici ses paroles : « Demeurez en moi, et moi en vous ». Ils ne sont pas en lui de la même manière qu’il est lui-même en eux. Mais ces deux sortes de demeure sont utiles, non pas à lui, mais à eux. Les branches, en effet, sont dans la vigne de telle manière qu’elles ne lui donnent pas, mais qu’elles en reçoivent la sève qui les fait vivre ; et la vigne est dans les branches, de telle sorte qu’elle leur fournit l’aliment dont elles vivent, sans le recevoir d’elles. De la même manière, Jésus-Christ demeure en ses disciples, et eux demeurent en lui : c’est pour eux un avantage, et non pour lui. Qu’une branche, en effet, soit séparée d’une racine vivante, il peut en pousser une autre ; mais la branche coupée ne peut vivre sans la racine.
2. Enfin il ajoute ces paroles : « De même a que la branche ne peut porter de fruit par elle-même, si elle ne demeure unie à la a vigne ; ainsi en sera-t-il de vous, si vous ne restez pas en moi ». Grande recommandation de la grâce, mes frères, qui instruit le cœur des humbles et ferme la bouche des superbes. Voilà ce à quoi doivent répondre, s’ils l’osent, ceux qui, ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à celle de Dieu [129]. Voilà ce à quoi doivent répondre ceux qui se plaisent à eux-mêmes et qui pensent pouvoir faire le bien sans le secours de Dieu. Ne résistent-ils pas à une pareille vérité, ces hommes à l’esprit corrompu, réprouvés dans leur foi [130], qui parlent et réprouvent d’après leur iniquité, et qui disent : C’est Dieu qui a fait de nous des hommes ; mais c’est à nous-mêmes que nous devons d’être justes ? Que dites-vous, vous qui vous trompez vous-mêmes ? vous n’affirmez pas le libre arbitre, mais vous le précipitez du faîte où veut l’élever votre vaine présomption, jusqu’au fond de l’abîme. Votre parole est que l’homme fait le bien par lui-même : voilà la montagne au sommet de laquelle vous porte votre orgueil. Mais la vérité vous contredit en ces termes : « La branche a ne peut porter de fruit par elle-même, si elle ne demeure unie à la vigne ». Allez maintenant par vos sentiers raboteux, et, sans vous laisser arrêter par rien, laissez-vous emporter par votre vain bavardage. Voilà le vide de votre présomption. Mais voyez ce qui vous attend, et s’il vous reste encore un peu de sens, vous en serez saisis d’horreur. Celui qui pense porter du fruit de lui-même, n’est pas uni à la vigne. Celui qui n’est pas uni à la vigne, n’est pas uni à Jésus-Christ ; celui qui n’est pas uni à Jésus-Christ n’est pas chrétien. Voilà la profondeur de l’abîme où vous tombez.
3. Mais considérez encore ce que la vérité ajoute ensuite : « Je suis la vigne, vous êtes les branches. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits, parce que sans moi vous ne pouvez rien faire ». Il veut nous empêcher de croire que, d’elle-même, la branche peut au moins porter quelque petit fruit ; aussi, après avoir dit : «  Celui-là porte beaucoup de fruit », il n’ajoute pas : sans moi vous ne pouvez faire que peu de chose, mais il dit : « Vous ne pouvez rien faire ». Donc on ne peut faire ni peu ni beaucoup sans celui sans lequel on ne peut rien faire. Bien que la branche n’ait porté que peu de fruit, le vigneron l’émonde afin qu’elle en porte davantage ; mais si elle ne demeure pas unie à la vigne, et si elle ne tire pas sa vie de la racine, elle ne pourra jamais porter de fruit, si petit qu’il soit. Jésus-Christ n’eût pu être la vigne, s’il n’eût été homme ; et, cependant, il ne pourrait communiquer la grâce aux branches, s’il n’était aussi Dieu ; sans cette grâce on ne peut donc vivre, mais la mort reste néanmoins au pouvoir du libre arbitre. Aussi le Christ dit-il : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme une branche coupée ; et il séchera, et on le ramassera, et on le jettera au feu, et il sera brûlé ». Les branches de la vigne sont d’autant plus méprisables, si elles ne restent pas unies à la vigne, qu’elles sont plus glorieuses si elles y restent. Enfin, ainsi que le Seigneur le dit en parlant d’elles par le prophète Ezéchiel, lorsqu’elles sont coupées, elles ne sont d’aucune utilité pour l’usage du vigneron ; elles ne peuvent être employées par le charpentier [131]. Il n’y a que deux choses qui conviennent à ces branches : ou la vigne ou le feu ; si elles sont unies à la vigne, elles ne seront pas jetées au feu ; afin de n’être pas jetées au feu, qu’elles restent donc unies à la vigne.
4. « Si vous restez en moi », dit Notre-Seigneur, « et que mes paroles restent en vous, tout ce que vous voudrez vous le demanderez, et il vous sera accordé ». En demeurant en Jésus-Christ, que peuvent-ils vouloir que ce qui convient à Jésus-Christ ? Que peuvent-ils vouloir, en restant dans le Sauveur, que ce qui n’est pas étranger au salut ? En effet, autre chose est ce que nous voulons en tant que nous sommes en Jésus-Christ, autre chose est ce que nous voulons en tant que nous sommes encore dans ce monde. Par suite de notre demeure en ce monde, il nous arrive parfois de demander ce qui, à notre insu, ne nous est pas avantageux. Mais ne croyons pas que nous serons exaucés à cet égard, si nous restons en Jésus-Christ ; car, lorsque nous le prions, il ne nous accorde que ce qui nous est utile. Mais si nous demeurons en lui, et sises paroles demeurent en nous, nous pouvons lui demander tout ce que nous voudrons, et il nous l’accordera. Car si nous demandons quelque chose et qu’il ne nous l’accorde pas, c’est que nous ne demandons point ce que comporte sa demeure en nous, ni ce que comportent ses paroles qui demeurent en nous ; mais nous demandons ce que nous inspirent la faiblesse et la cupidité de la chair, qui ne demeurent point en lui et en qui ne demeurent point ses paroles. Assurément à ses paroles appartient cette prière qu’il nous a enseignée, et dans laquelle nous disons : « Notre Père qui êtes dans les cieux [132] ». Dans nos demandes ne nous écartons point des paroles et du sens de cette prière, et tout ce que nous demanderons nous sera accordé. Quand nous faisons ce qu’il commande, et que nous aimons ce qu’il promet, on peut dire alors que ses paroles demeurent en nous. Mais quand ses paroles demeurent dans notre mémoire, sans se refléter dans notre conduite, alors la branche n’est plus unie à la vigne, parce qu’elle ne tire pas sa sève de la racine. C’est pour marquer cette différence, qu’il est écrit : « Ils retenaient dans leur mémoire ses commandements, afin de les pratiquer [133] ». Plusieurs, en effet, les gardent dans leur mémoire, mais pour les mépriser, ou bien même pour s’en moquer et les combattre. En ceux-là ne demeurent point les paroles de Jésus-Christ ; ils les touchent, mais ils n’y sont pas attachés ; c’est pourquoi, au lieu de tourner à leur avantage, elles rendront témoignage contre eux, et comme elles sont en eux sans y faire leur demeure, ils ne les possèdent que pour être jugés par elles.

QUATRE-VINGT-DEUXIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « C’EST POUR CELA QUE MON PÈRE A ÉTÉ GLORIFIÉ, AFIN QUE VOUS RAPPORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT », JUSQU’À CES AUTRES : « ET JE DEMEURE DANS SON AMOUR ». (Chap. 15,8-10.)[modifier]

GLOIRE DE DIEU.[modifier]

Le Père est glorifié par nos bonnes œuvres et notre foi ; et c’est afin que nous puissions l’aimer et garder ses commandements qu’il nous a aimés le premier, qu’il nous a donné son Fils ; aimons-le donc, soyons-lui fidèles comme Jésus-Christ, notre médiateur, l’a aimé et lui est resté fidèle.


1. Le Sauveur, faisant de plus en plus à ses disciples l’éloge de la grâce qui nous sauve, leur dit : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez mes disciples ». Qu’il y ait dans le texte « gloire » ou « clarification », peu importe : ces deux mots viennent l’un et l’autre du mot grec goxazein, dont la racine est doxa, qui signifie gloire. J’ai pensé qu’il fallait vous faire cette remarque, parce que l’Apôtre dit : « Si Abraham a été justifié par « ses œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu [134] ». La gloire que l’on a devant Dieu est celle par laquelle Dieu est glorifié et non pas l’homme, lorsque l’homme est justifié non par les œuvres, mais par la foi ; car c’est de Dieu que lui vient le pouvoir de faire le bien ; parce que la branche, comme je l’ai déjà dit, ne peut porter de fruit par elle-même[135]. Si c’est la gloire de Dieu que nous portions plus de fruit, et que nous devenions les disciples de Jésus-Christ, ne nous en faisons pas un titre de gloire, comme si cela nous venait de nous-même s. Cette grâce vient de Dieu ; ce n’est donc pas à nous, mais à lui qu’en revient la gloire. Aussi, comme, dans un autre passage, il avait dit : « : Que votre lumière luise devant les hommes, de manière qu’ils voient vos bonnes œuvre », Jésus-Christ a voulu empêcher ses disciples de se regarder comme les auteurs de leurs bonnes œuvres, et pour cela il a aussitôt ajouté : « Et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux [136] ». En effet, ce qui glorifie le Père, c’est que nous portions plus de fruit et que nous devenions les disciples de Jésus-Christ ; et qu’est-ce qui nous fait disciples de Jésus-Christ, si ce n’est celui dont la miséricorde nous prévient ? Nous sommes l’ouvrage de ses mains, nous avons été créés en Jésus-Christ par les bonnes œuvres[137].
2. « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés : demeurez dans mon amour ». Voilà d’où nous viennent les bonnes œuvres. Car d’où pourraient-elles nous venir, sinon de la foi, qui opère par la charité[138] ? Et comment aimerions-nous, si nous n’étions aimés les premiers ? C’est ce que nous dit très-ouvertement notre Évangéliste dans une de ses Epîtres : « Pour nous, aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier[139] ». Par ces paroles « : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », le Sauveur ne veut pas dire qu’entre notre nature et la sienne il y a la même égalité qu’entre le Père et lui ; mais il nous montre la grâce par laquelle Jésus-Christ homme est médiateur entre Dieu et les hommes[140]. Il montre qu’il est médiateur, lorsqu’il dit : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». Car le Père assurément nous aime lui aussi, mais c’est dans le Fils ; car la gloire du Père est que nous portions du fruit dans la vigne, c’est-à-dire dans le Fils, et que nous devenions ses disciples.
3. « Demeurez », dit-il, « dans mon amour ». Comment y demeurerons-nous ? Écoute ce qui suit : « Si vous gardez mes commandements, vous resterez dans mon amour ». Est-ce l’amour qui fait garder les commandements, ou bien, est-ce la fidélité à les garder qui fait naître l’amour ? Qui peut douter que l’amour précède ? Car celui qui n’aime point n’a pas le moyen d’observer les commandements. Quand Jésus-Christ nous dit : « Si vous gardez mes commandements, « vous demeurerez dans mon amour », il nous montre, non pas ce qui fait naître l’amour, mais ce qui en est la preuve. C’est comme s’il disait : Ne pensez pas que vous demeurez dans mon amour, si vous ne gardez pas mes commandements ; mais si vous les gardez, vous y demeurerez : c’est-à-dire, il paraîtra que vous demeurerez dans mon amour si vous gardez mes commandements. Que personne donc ne se trompe, en disant qu’il aime Dieu, s’il ne garde pas ses commandements. Car mieux nous observons ses commandements, plus aussi nous l’aimons ; et moins bien nous les gardons, moins nous l’aimons. Quoique, par ces paroles : « Demeurez dans mon amour », il ne paraisse pas de que l’amour il a voulu parler, de celui dont nous l’aimons, ou de celui dont il nous aime, nous pouvons néanmoins le savoir par ce qu’il a dit plus haut. En effet, après avoir dit : « Je vous ai aimés », il ajoute aussitôt : « Demeurez dans mon amour » ; c’est donc dans l’amour dont il nous a aimés. Que veut donc dire : « Demeurez dans mon amour ? » Le voici : demeurez dans ma grâce. Et que veulent dire ces paroles : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ? » Vous connaîtrez que vous demeurez dans l’amour dont je vous aime, si vous gardez mes commandements ; donc, pour qu’il nous aime, il ne faut pas que d’avance nous gardions ses commandements ; mais, à moins qu’il nous aime, nous ne pouvons garder ses commandements. C’est là la grâce qui est connue aux humbles, mais qui est cachée aux superbes.
4. Et que signifie ce que Notre-Seigneur ajoute : « Comme j’ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour ? » Ici encore, assurément, il a voulu nous désigner cet amour dont le Père l’a aimé. En effet, après avoir dit : « Comme mon Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », il ajoute aussitôt : « Demeurez « dans mon amour », évidemment dans cet amour dont je vous ai aimés. C’est pourquoi, ce qu’il dit du Père : « Je demeure dans son amour », il faut l’entendre de l’amour dont le Père l’a aimé. Mais ici encore faut-il entendre que c’est par la grâce que le Père aime le Fils, comme c’est par la grâce que le Fils nous aime, puisque nous sommes les enfants de Dieu par grâce et non par nature, tandis que le Verbe est son Fils unique par nature, et non par grâce ? ou bien est-ce au Fils en tant qu’homme qu’il faut rapporter ces paroles ? Oui, sans aucun doute. Par ces mots, en effet : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », il nous montre la grâce du médiateur. Mais Jésus-Christ est médiateur entre Dieu et les hommes, non pas en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Et assurément c’est de Jésus considéré comme homme qu’il est dit : « Et Jésus croisa sait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes [141] ». En ce sens nous pouvons donc le dire en toute vérité bien que la nature humaine n’appartienne pas à la nature divine, cependant la nature humaine appartient à la personne du Fils unique de Dieu par l’effet d’une grâce, et cette grâce est si grande qu’il n’y en a pas de plus grande ni même de pareille. Cette assomption de la nature humaine n’a été, en effet, précédée d’aucun mérite ; mais de cette union sont venus tous ses mérites. Le Fils demeure donc dans l’amour dont le Père l’a aimé, et c’est pour cela qu’il a gardé ses commandements. Qu’est-ce qu’aurait été même cet homme, si Dieu ne se l’était pas uni[142] ? Car le Verbe était Dieu, Fils unique, coéternel à son Père ; mais pour qu’un médiateur nous fût donné, par une grâce ineffable le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous [143].

QUATRE-VINGT-TROISIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE MA JOIE SOIT EN VOUS ET QUE VOTRE JOIE SOIT PLEINE. C’EST MON COMMANDEMENT QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES, COMME JE VOUS AI AIMÉS ». (Chap. 15, 11-12.)[modifier]

LA JOIE, FRUIT DE LA CHARITÉ.[modifier]

La joie que Jésus-Christ ressent de nous voir appelés existait en lui de toute éternité, en raison de sa prescience ; en nous, elle n’a pu commencer qu’au baptême, elle ira en augmentant suivant nos mérites jusqu’au moment où elle se consommera dans le ciel, mais, pour en, arriver là, il nous faut observer le commandement du Sauveur qui est de nous aimer les uns les autres, et quand nous aurons ainsi observé la plénitude de la loi, notre joie sera pleine.


1. Vous avez entendu, mes très-chers frères, que Notre-Seigneur a dit à ses disciples : « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit entière ». En quoi consiste la joie de Jésus-Christ en nous ? En ce qu’il daigne se réjouir de nous. Et en quoi consiste notre joie qui, selon sa parole, doit être entière ? En ce que nous jouissons de sa société ? C’est à cause de cela qu’il avait dit à Pierre : « Si je ne te lave, tu n’auras point de part avec moi [144] ». La joie donc de Jésus-Christ en nous, c’est la grâce qu’il nous a donnée, et cette grâce est aussi notre joie. Cette joie, il s’en est réjoui lui-même de toute éternité, quand il nous a choisis avant la constitution du monde [145], et nous ne pouvons dire avec vérité que sa joie n’était pas entière ; car Dieu ne saurait se réjouir imparfaitement. Mais cette joie qui était la sienne n’était pas en nous ; car nous n’existions pas encore, et, par conséquent, elle ne pouvait se trouver en nous, et quand nous avons commencé d’être, nous n’avons pas d’abord été avec lui. Mais sa joie était toujours en lui, car, dans la vérité très-certaine de sa prescience, il se réjouissait de voir que nous serions à lui. La joie qu’il ressentait à notre occasion était donc déjà parfaite, puisque, par sa prescience et sa prédestination, il se réjouissait en nous effectivement. Il ne pouvait y avoir, dans sa joie, aucune crainte sur l’existence future de ce qu’il prévoyait. Lorsqu’il commença à faire ce qu’il avait résolu de faire, la joie dont il était heureux n’augmenta pas ; autrement, il serait devenu plus heureux, pour nous avoir créés. Loin de nous cette pensée, mes frères : la béatitude de Dieu n’était pas moins grande sans nous ; elle n’est pas devenue plus grande avec nous. La joie qu’il a ressentie de notre salut, joie qui a toujours été en lui, parce qu’il nous à prévus et prédestinés, a commencé d’être en nous, quand il nous a appelés. Et cette joie, nous l’appelons, avec raison, la nôtre, puisqu’elle doit nous rendre bienheureux. Mais cette joie, qui est la nôtre, croît, augmente, et la persévérance la fait arriver à sa perfection. Elle commence par la foi de ceux qui renaissent par le baptême, elle sera amenée à son comble par la rémunération de ceux qui ressusciteront. C’est, je l’imagine, en ce sens qu’il a été dit : « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit entière » ; que « ma » joie soit en vous et que la « vôtre » soit entière. Ma joie était entière, même avant que vous fussiez appelés, puisque je savais d’avance que vous le seriez ; elle ne commence en vous que lorsque vous devenez ce que j’ai prévu de vous. Et « que votre joie soit entière », parce que vous serez bienheureux, tandis que vous ne l’êtes pas encore ; c’est ainsi que vous existez maintenant, tandis que vous n’existiez pas avant d’être créés.
2. « C’est », dit Notre-Seigneur, « mon précepte que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés » ; que ce soit précepte ou commandement, peu importe ; l’un et l’autre mot viennent du mot grec entolh. Notre-Seigneur avait déjà dit la même chose en un autre endroit, et il doit vous souvenir que je vous en ai parlé de mon mieux[146]. En ce passage Notre-Seigneur dit : « Je vous donne un commandement nouveau, « de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés, afin que vous vous aimiez les uns les autres [147] ». Cette répétition du même commandement est une recommandation. Dans le premier cas il dit : « Je vous donne un commandement nouveau », comme si auparavant pareil commandement n’avait jamais été donné ; dans le second passage il dit : « C’est là mon commandement », comme s’il n’en avait point donné d’autre. Dans le premier cas, ce commandement est appelé nouveau, pour que nous ne persévérions pas dans nos vieilles habitudes ; et dans le second cas il dit : « mon commandement », pour que nous ne le méprisions pas.
3. Quant à ce que dit Notre-Seigneur : « C’est là mon commandement », comme s’il n’en existait point d’autres, pensez-vous, mes frères, que Notre-Seigneur n’a voulu nous imposer d’autre commandement que celui de l’amour que nous devons avoir les uns pour les autres ? N’y a-t-il pas un autre commandement plus grand : celui d’aimer Dieu ? ou bien Dieu ne nous commande-t-il que la charité, sans nous prescrire autre chose ? Cependant, il y a trois choses que l’Apôtre nous recommande par ces mots : « Or, la foi, l’espérance et la charité demeurent ; elles sont trois ; mais la charité est la plus grande des trois[148] ». Quoique les deux autres vertus qui nous sont prescrites soient contenues dans la charité, cependant l’Apôtre dit, non pas que la charité est la seule vertu, mais qu’elle est plus grande que les autres. Et en effet les commandements si nombreux qui sont relatifs à la foi et à l’espérance, qui estce qui pourrait les réunir en un seul code et les énumérer ? Mais remarquons ce que dit le même Apôtre : « La plénitude de la loi, c’est, la charité[149]. ». Où est la charité, quelle chose peut manquer ? Mais où la charité manque, quelle chose peut être utile ? Le démon croit[150] et n’aime pas et personne ne peut aimer sans croire. Celui qui n’aime pas, peut, inutilement sans doute, espérer son pardon ; mais si l’on aime, on ne peut désespérer ; là où se trouve l’amour, là sont donc aussi et nécessairement la foi et l’espérance, et là où se trouve l’amour du prochain, là est aussi nécessairement l’amour de Dieu. Celui, en effet, qui n’aime pas Dieu, pourra-t-il aimer le prochain comme lui-même, puisqu’il ne s’aime pas lui-même ? Il est impie et méchant ; mais celui qui aime l’iniquité, n’aime pas son âme, il la déteste[151] Soyons donc fidèles au commandement que Dieu nous fait, de nous aimer les uns les autres ; et tout ce qu’il nous a commandé en surplus, nous l’accomplirons aussi, parce que cet amour renferme tout le reste. Cet amour est différent de celui que les hommes, en tant qu’hommes, ont les uns pour les autres ; et pour les faire discerner, Notre-Seigneur ajoute : « Comme je vous ai aimés ». Et pourquoi Jésus-Christ nous aime-t-il, sinon pour nous rendre capables de régner avec lui ? Il faut donc nous aimer les uns les autres en ce sens, afin que notre amour se distingue de l’amour de ceux qui ne s’aiment pas dans le même but, parce qu’ils ne s’aiment pas véritablement. Mais ceux qui s’aiment dans le dessein de posséder Dieu, s’aiment véritablement. Pour bien s’aimer, ils commencent par aimer Dieu. Cet amour ne se trouve pas dans tous les hommes ; il en est au contraire un bien petit nombre pour s’aimer dans le seul désir que Dieu soit tout en tous[152].

QUATRE-VINGT-QUATRIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « PERSONNE NE PEUT TÉMOIGNER UN PLUS GRAND AMOUR QU’EN DONNANT « SA VIE POUR SES AMIS ». (Chap. 15,13.)[modifier]

LE SACRIFICE DE LA VIE.[modifier]

\v 13 Le Sauveur nous a donné l’exemple, il est mort pour nous : dès lors que nous vivons de lui, nous devons donc l’imiter et faire pour nos frères le sacrifice de notre vie, avec cette différence, néanmoins, que Jésus-Christ étant innocent, nous a sauvés du péché et de la mort éternelle, tandis que, par notre mort, nous ne pouvons accorder â personne le pardon de ses fautes.


1. Le Seigneur, mes bien chers frères, nous a fait connaître la perfection de l’amour que nous devons avoir les uns pour les autres, en disant : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis ». Comme il avait dit auparavant : « C’est là mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés » ; et qu’il ajoute maintenant ce que vous venez d’entendre : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis », il s’ensuit, par une conséquence nécessaire, ce que notre Évangéliste Jean dit dans une de ses épîtres : « Comme Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères [153] » ; nous aimant ainsi les uns les autres, comme il nous a aimés, car il a donné sa vie pour nous. C’est ce que signifie ce que nous lisons aux proverbes de Salomon : « Quand tu seras assis pour manger avec le roi, considère attentivement ce qui est en ta présence, et, en y portant la main, sache qu’il te faudra préparer les mêmes mets [154] ». Cette table d’un roi n’est-elle pas la table où nous sont distribués le corps et le sang de Celui qui a donné sa vie pour nous ? Et que signifie : être assis à cette table, sinon s’en approcher avec humilité ? Et que signifie encore : examiner et comprendre ce qui y est servi, sinon avoir des pensées dignes d’une si grande grâce ? Et que signifie : ne porter la main à ces mets qu’en prenant la résolution d’en préparer de semblables, sinon ce que j’ai déjà dit comme Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères ? C’est ce que nous dit aussi l’apôtre Pierre : « Jésus-Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin qu’e nous suivions ses traces [155] ». Voilà ce que c’est que préparer des mets semblables à ceux que nous avons reçus. C’est ce que les martyrs ont fait avec une ardente charité ; et si ce n’est pas inutilement que nous célébrons leur mémoire, si dans ce festin où ils se sont rassasiés, nous approchons, nous aussi, de la table du Seigneur, il faut qu’à leur exemple nous préparions des mets pareils à ceux qui nous sont servis. Aussi, à cette même table, nous célébrons leur mémoire d’une manière différente de celle dont nous célébrons la mémoire des autres fidèles qui reposent en paix. Nous ne prions pas pour eux, bien loin de là ; nous leur demandons de prier pour nous, afin que nous marchions sur leurs traces ; car ils ont rempli la mesure de cet amour, dont Notre-Seigneur a dit qu’il ne pouvait en exister de plus grand ; ils ont donné pour leurs frères ce qu’ils avaient reçu à la table du Seigneur.
2. Mais il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que nous puissions devenir semblables à Notre-Seigneur Jésus-Christ, en donnant pour lui notre sang dans le martyre. « Il avait, lui, le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre[156] ». Mais pour nous, nous ne vivons pas autant que nous voulons, et nous mourons, même sans le vouloir. Jésus-Christ, en mourant, a tué la mort elle-même ; c’est sa mort qui nous délivre de la mort. Sa chair n’a pas vu la corruption [157] ; après avoir subi la corruption, la nôtre sera, à la fin des siècles, revêtue par lui de l’incorruptibilité. Il n’a pas eu besoin de nous pour nous sauver ; sans lui, nous ne pouvons rien faire. Il s’est donné à nous pour être la vigne, dont nous sommes les branches ; sans lui, nous ne pouvons posséder la vie. Enfin, bien que des frères meurent pour leurs frères, cependant le sang d’aucun martyr n’a été répandu pour la rémission des péchés de ses frères, et c’est ce que Jésus-Christ a fait pour nous. En tant qu’ils ont répandu leur sang pour leurs frères, les martyrs leur ont donc préparé les mets qu’ils avaient goûtés à la table du Seigneur. Mais dans tout ce que j’ai dit, quoiqu’il m’ait été impossible de tout dire, le martyr de Jésus-Christ est bien éloigné de Jésus-Christ. Si quelqu’un osait comparer, je ne dis pas sa puissance à la puissance de Jésus-Christ, mais son innocence à l’innocence du Sauveur ; s’il pensait, non pas qu’il peut guérir son prochain, mais qu’il n’a lui-même aucun péché qui lui soit propre ; celui-là serait plus avide qu’il ne convient à son salut ; ce serait trop pour lui, il ne pourrait tout prendre. Un bon avis lui est donné par cette parole des Proverbes, qui suit immédiatement celle que nous venons d’expliquer : « Si tu es trop avide, garde-toi de convoiter ces viandes ; il vaut bien mieux pour toi n’y pas toucher du tout que d’en prendre plus qu’il ne faut ; car », ajoute le texte sacré, « cela entretient une vie trompeuse », c’est-à-dire l’hypocrisie. Celui, en effet, qui se dit sans péché, ne peut montrer qu’il est juste, il ne peut que simuler la justice ; c’est pourquoi il est dit : « Cela entretient une vie trompeuse ». Un seul a pu avoir un corps d’homme et n’avoir pas de péché. Et c’est avec raison que ce qui suit dans ce même livre nous est recommandé ; et que, pour faire toucher du doigt par un mot, par un seul proverbe la faiblesse humaine, il est dit : « Ne va pas, si tu es pauvre, t’élever contre le riche ». Il est riche, celui qui, ne devant rien ni par la faute de son origine ni par sa propre faute, est juste et justifie les autres. Ne t’élève donc pas contre lui, toi qui es si pauvre. Que tous les jours, comme un mendiant, tu lui demandes dans ta prière la rémission de tes péchés. Mais, continue le livre des Proverbes, défie-toi de toi-même. Qu’est-ce à dire ? d’une présomption trompeuse. Car si Jésus-Christ n’a jamais été coupable, c’est qu’il n’est pas seulement homme, mais qu’il est aussi Dieu. « Si tu diriges ton œil sur lui, il ne se montrera point ». « Si tu diriges ton œil vers lui », c’est-à-dire ton œil humain avec lequel tu regardes les choses humaines, « il ne se montrera pas » ; car il ne peut être vu par des yeux tels que les tiens. « Car il se préparera des ailes comme celles « de l’aigle, et il ira dans les demeures de son chef [158] ». C’est de là qu’il est venu vers nous, mais il ne nous a pas trouvés tels qu’il était lui-même. « Aimons-nous donc les uns les autres, comme Jésus-Christ lui-même nous a aimés, puisqu’il s’est donné lui-même pour nous [159]. Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis ». Et ainsi imitons-le par une pieuse obéissance, et n’ayons pas l’audacieuse présomption de nous comparer à lui.

QUATRE-VINGT-CINQUIÈME TRAITÉ[modifier]

SUR CES PAROLES : « VOUS ÊTES MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE JE VOUS COMMANDE. JE NE VOUS APPELLE PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON MAÎTRE ». (Chap. 15, 14-15.)[modifier]

LE SERVITEUR AMI.[modifier]

Celui qui observe les commandements de Dieu par l’effet d’une crainte chaste, perd son titre de serviteur pour prendre celui d’ami, et il entre ainsi dans les secrets de son Maître, et il sait que son Maître est l’auteur de tout bien.


1. Après nous avoir rappelé l’amour qu’il nous a montré en mourant pour nous, et avoir dit : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis », Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande ». Admirable condescendance ! Un serviteur n’est regardé comme fidèle que s’il exécute les ordres de son maître, et Notre-Seigneur a voulu que nous fussions ses amis, par cela même qui ne pouvait faire de nous que des serviteurs fidèles. Mais, comme je viens de le dire, c’est de sa part la preuve d’une grande bonté, de daigner appeler ses amis ceux qu’il connaît pour ses serviteurs. Vous ne devez pas l’ignorer, c’est pour des serviteurs une obligation rigoureuse de faire ce que le maître commande ; en un autre endroit, ce sont bien ses serviteurs qu’il reprend en ces termes : Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis [160] ? » Puisque vous m’appelez Seigneur, prouvez ce que vous dites en faisant ce que je commande. Et n’est-ce pas au serviteur obéissant qu’il doit lui-même adresser ces paroles « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle dans les petites choses, je t’établirai sur de plus grandes [161] ; entre dans la joie de ton Seigneur ? » Il peut donc être en même temps un serviteur et un ami, celui qui est un serviteur fidèle.
2. Mais faisons attention à ce qui suit. « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ». Comment comprendre que le bon serviteur est en même temps serviteur et ami, puisque Notre-Seigneur dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ? » Il donne le nom d’ami, pour enlever celui de serviteur ; ces deux noms ne peuvent plus s’appliquer ensemble à la même personne ; mais l’un disparaissant, l’autre doit lui succéder. Qu’est-ce que cela veut dire ? Quand nous aurons accompli les ordres du Seigneur, ne serons-nous plus ses serviteurs ? Ne serons-nous plus ses serviteurs, quand nous serons devenus des serviteurs fidèles ? Pourtant, qui est-ce qui peut contredire la Vérité même ? Ne nous dit-elle pas : « Je ne vous appelle plus serviteurs ? » Ne nous en donne-t-elle pas la raison : « Parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ? » Quand un serviteur se montre fidèle et éprouvé, son maître ne lui confie-t-il pas ses secrets ? Que signifient donc ces paroles : « Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ? » J’accorde qu’ « il ignore ce que fait son maître », mais ignore-t-il aussi ce que son maître commande ? Et s’il l’ignore, comment peut-il servir ? Comment peut-il s’appeler serviteur, celui qui ne sert pas ? Et cependant, voici ce que dit Notre-Seigneur « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande ; je ne vous appelle plus serviteurs ». O chose admirable ! nous ne pouvons servir qu’à la condition d’exécuter les commandements du Seigneur ; comment donc, en accomplissant ses commandements, cesserons-nous d’être ses serviteurs ? Si je ne deviens son serviteur en accomplissant ses ordres, et si je n’accomplis ses ordres, je ne pourrai le servir ; donc, en le servant, je ne serai plus son serviteur.
3. Comprenons, mes frères, comprenons ces choses, fasse le Seigneur que nous les comprenions, et que, les ayant comprises, nous les mettions en pratique t Si nous arrivons à les savoir, nous saurons ce que fait Notre-Seigneur, parce que personne autre que le Seigneur ne peut nous faire ses serviteurs, et que c’est pour nous le moyen d’arriver à son amitié. Comme il y a deux craintes qui font deux espèces de craintifs, de même il y a deux espèces de servitudes qui font deux espèces de serviteurs. Il y a une crainte que la charité parfaite chasse dehors [162] ; il y a aussi une autre crainte chaste qui demeure éternellement [163].C’est cette crainte qui ne subsiste pas avec la charité, et que l’Apôtre avait en vue lorsqu’il disait : « Vous n’avez pas reçu l’esprit de servitude [164] », qui vous retienne « encore dans la crainte ». Et c’est la crainte chaste qu’il avait en vue lorsqu’il disait : « Ne sois pas trop sage, mais crains [165] ». Dans cette crainte que la charité chasse dehors, il y a aussi une servitude qu’il faut chasser avec la crainte ; car l’Apôtre a joint l’une avec l’autre, c’est-à-dire la servitude et la crainte, lorsqu’il a dit : « Vous n’avez pas reçu l’esprit de servitude », qui vous retienne « encore dans la crainte ». C’est à cette sorte de servitude qu’appartient le serviteur que Notre-Seigneur voulait désigner lorsqu’il disait : « je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ». Il ne faut pas appliquer ces paroles au serviteur qu’anime la crainte chaste, et auquel il est dit : « Courage, bon serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur » ; elles n’ont trait qu’au serviteur animé par la crainte que la charité doit chasser dehors, et dont il est dit ailleurs : « Le serviteur ne demeure pas toujours dans la maison, mais le fils y demeurera éternellement [166] ». Puisqu’il nous a donné le pouvoir de devenir les enfants de Dieu [167], soyons donc ses enfants et non pas ses serviteurs. Et d’une manière surprenante et ineffable, mais cependant bien véritable, il arrivera qu’en même temps nous serons et nous ne serons pas ses serviteurs. Nous serons ses serviteurs par l’effet de cette crainte chaste qui inspire le serviteur admis dans la joie de son maître, mais nous ne serons pas ses serviteurs par l’effet de cette crainte qu’il faut mettre dehors, et qui anime le serviteur destiné à ne pas demeurer éternellement dans la maison. Mais que nous soyons ainsi serviteurs sans être serviteurs, sachons-le, le Seigneur peut l’opérer en nous, et c’est ce qu’ignore le serviteur qui ne sait ce que fait son maître ; et lorsqu’il fait quelque bien, il s’en élève, comme si ce bien était son œuvre et non pas celle de Dieu. Et il se glorifie en lui-même et non pas dans le Seigneur, et il se trompe lui-même, parce qu’il se glorifie comme s’il n’avait pas tout reçu [168]. Pour nous, mes très-chers frères, afin que nous puissions être les amis du Seigneur, sachons ce qu’il fait. C’est lui qui a fait de nous non seulement des hommes, mais encore des justes ; nous n’en sommes nullement les auteurs. Et qui est-ce qui fait que nous savons ces choses, si ce n’est lui-même ? « Car nous n’avons pas reçu l’esprit de ce monde, mais l’esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions ce que Dieu nous a donné[169] ». C’est par lui que tout ce qui est bon nous est donné ; et par conséquent, comme c’est une bonne chose de savoir de qui vient tout ce qu’il y a de bon, cette science elle-même ne peut nous venir que de lui ; par là, celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur de tous les biens qu’il en a reçus[170]. Pour ce qui suit : « Mais je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître », ces paroles sont si profondes, que, plutôt que d’en écouter l’explication dans ce discours, il vaut mieux la renvoyer au discours prochain.

QUATRE-VINGT-SIXIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « MAIS VOUS, JE VOUS AI APPELÉS AMIS », JUSQU’A CES AUTRES. « AFIN QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM IL VOUS LE DONNE ». (Chap. 15, 15-16.)[modifier]

L’AMITIÉ DE JÉSUS-CHRIST.[modifier]

En raison de son amitié pour nous, Jésus-Christ nous fera connaître dans le ciel tout ce que son Père lui a dit ; mais si nous sommes ses amis, c’est un effet de sa grâce, mais non de notre foi ou de nos bonnes œuvres antécédentes.


1. C’est avec raison qu’on se demande comment il faut entendre ce que dit Notre-Seigneur : « Mais vous, je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j’ai appris « de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Car qui oserait affirmer ou croire qu’il y ait un seul homme capable de savoir tout ce que le Fils unique a appris de son Père ? il n’est personne, en effet, qui comprenne seulement comment le Fils peut entendre la parole du Père, puisqu’il est l’unique parole du Père. Que signifie ce qu’il dit un peu plus bas, dans ce même discours adressé par lui à ses disciples, après la cène qui précéda sa passion : « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant [171] ? » Comment donc comprendre qu’il a fait connaître à ses disciples tout ce qu’il a appris de son Père, puisqu’il se refuse à leur dire beaucoup de choses, par ce motif qu’ils ne peuvent les porter maintenant ? Pour cela, il faut comprendre que ce qu’il doit faire, il dit l’avoir déjà fait ; car il a fait d’avance ce qui doit se faire plus tard[172]. C’est ainsi qu’il dit par le Prophète : « Ils ont percé mes mains et mes pieds[173] » ; il ne dit pas : Ils perceront ; il en parle comme d’événements passés, et il les annonce comme devant arriver plus tard. Ainsi, en cet endroit, il dit avoir fait connaître à ses disciples ce qu’il savait devoir leur faire connaître en leur communiquant cette plénitude de la science dont l’Apôtre a dit : « Mais quand nous serons dans l’état parfait, ce qui est imparfait sera aboli ». Au même endroit, il dit encore : « Maintenant je ne sais qu’en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Nous voyons maintenant par un miroir et en énigme ; mais alors nous verrons face à face [174] ». Ce même apôtre dit que nous avons été sauvés par le baptême de la régénération [175] ; et cependant ailleurs il dit : « C’est par l’espérance que nous avons été sauvés ; or, l’espérance qui voit n’est plus l’espérance. Car, qui espère ce qu’il voit déjà ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience [176]. C’est pourquoi son co-apôtre Pierre nous dit : « Celui en qui vous croyez maintenant, quoique vous ne le voyiez pas, quand vous le verrez, vous tressaillirez d’une joie inénarrable et glorieuse, et vous recevrez pour récompense de votre foi le salut de vos âmes [177] ». Si donc nous sommes maintenant au temps de la foi, et si le salut des âmes est la récompense de la foi, qui doutera qu’il faille achever le jour dans la foi qui opère par la charité [178] pour, à la fin du jour, recevoir comme récompense, non seulement la rédemption de notre corps, dont parle l’apôtre Paul [179], mais encore le salut de nos âmes dont parle l’apôtre Pierre ? Dans le temps et dans cette vie mortelle, ces deux genres de félicités sont possédés en espérance, bien plus qu’en réalité. Mais il y a cette différence, que notre homme extérieur, c’est-à-dire notre corps, se détruit tous les jours, tandis que l’homme intérieur, c’est-à-dire notre âme, se renouvelle de jour en jour[180]. Aussi, de même que nous attendons dans l’avenir l’immortalité de la chair et le salut des âmes, bien qu’on dise que nous sommes déjà sauvés, à cause du gage que nous avons reçu, de même en est-il de la connaissance de toutes les choses que le Fils unique a apprises de son Père ; nous devons l’espérer pour l’avenir, quoique Jésus-Christ dise ici nous l’avoir déjà donnée.
2. « Ce n’est pas vous », dit-il, « qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis ». Voilà une grâce ineffable. Car qu’étions-nous au moment où nous n’avions pas encore choisi Jésus-Christ et où, par conséquent, nous ne l’aimions pas encore ? Comment celui qui ne l’a pas choisi peut-il l’aimer ? Avions-nous alors en nous les sentiments que le Psalmiste manifeste dans ses chants : « J’ai choisi d’être le dernier dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs [181] ? » Évidemment non. Qu’étions-nous donc, sinon des méchants et des hommes perdus ? Nous n’avions pas encore cru en lui, pour qu’il nous choisît ; car si nous avions déjà cru, il ne nous aurait choisis qu’après avoir été choisi lui-même par nous. Pourquoi donc dirait-il : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi », si sa miséricorde ne nous avait prévenus [182] ? C’est ici que se réduit à rien le raisonnement de ceux qui défendent la prescience de Dieu contre sa grâce, et qui disent que si Dieu nous a choisis avant la création du monde [183], c’est parce qu’il a prévu que nous serions bons, et non pas qu’il nous rendrait bons. Ce n’est point là la parole de Celui qui dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ». Car s’il nous avait choisis, parce qu’il a prévu que nous serions bons il aurait prévu en même temps que nous le choisirions les premiers. Nous ne pouvons être bons autrement, à moins qu’on n’appelle bon celui qui ne choisit pas le bien. Qu’a-t-il donc choisi en des hommes qui n’étaient pas bons ? Car ils n’ont pas été choisis parce qu’ils étaient bons, vu qu’ils ne devaient l’être qu’à la condition d’être choisis. Autrement, la grâce n’est plus une grâce, si nous prétendons qu’elle a été précédée par les mérites. C’est, en effet, de ce choix de la grâce que l’Apôtre nous dit : « Ainsi donc, en ce temps-ci, le reste a été sauvé par l’élection de la grâce ». Et aussi il ajoute : « Et si c’est par la grâce, ce n’est donc pas par les œuvres ; autrement, la grâce ne a serait plus la grâce [184] ». Écoute, ingrat, écoute : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis ». Tu ne peux pas dire : J’ai été choisi, parce que je croyais déjà ; car si tu croyais en lui, tu l’avais déjà choisi. Mais écoute : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ». Tu ne peux pas dire non plus : Avant de croire je faisais de bonnes œuvres, c’est pour cela que j’ai été choisi. Car, quelle bonne œuvre peut-il y avoir avant la foi, puisque l’Apôtre dit : « Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché [185] ». Après avoir entendu ces paroles : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi », que pouvons-nous dire, sinon que nous étions méchants et que nous avons été choisis pour devenir bons par la grâce de Celui qui nous a choisis ? Car il n’y aurait plus grâce si les mérites avaient précédé. Or, il y a grâce ; elle ne trouve donc pas les mérites, mais elle les produit.
3. Et voyez, mes bien chers frères, comment il se fait que ceux que Jésus-Christ choisit ne soient pas encore bons, et comment il rend bons ceux qu’il choisit. « C’est moi », dit-il, « qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure ». N’est-ce pas là ce fruit dont il avait déjà dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire[186] ? » Il nous a donc choisis et établis, pour que nous allions et que nous portions du fruit. Nous n’avions donc produit aucun fruit en considération duquel il pût nous choisir. « Pour que vous alliez », dit-il, « et que vous portiez du fruit ». Nous allons pour porter du fruit, et il est lui-même la voie par laquelle nous marchons, et dans laquelle il nous a placés pour que nous allions. C’est pourquoi en toutes choses sa miséricorde nous prévient. « Et que votre fruit », dit-il, « demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne ». Que la charité demeure donc ; c’est là notre fruit. Cette charité n’existe que dans nos désirs ; elle ne peut encore être rassasiée, et tout ce que, par nos désirs, nous demandons au nom du Fils unique, le Père nous l’accorde. Mais tout ce qu’il n’est pas utile à notre salut de recevoir, n’allons pas nous imaginer que nous le demandons au nom du Sauveur. Ce que nous demandons au nom du Sauveur, c’est ce qui peut aider à notre salut.

QUATRE-VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS-CHRIST : « CE QUE JE VOUS COMMANDE, C’EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MONDE ; C’EST POURQUOI LE MONDE VOUS HAIT ». (Chap. 15,17-19.)[modifier]



AMOUR D’AUTRUI.[modifier]

Si Dieu nous a choisis, c’est afin que nous produisions des fruits de salut, c’est-à-dire, et principalement, afin que nous nous aimions les uns les autres, et même le monde, notre ennemi, non en tant que mauvais, mais en tant que créé par Dieu.


1. Dans la leçon de l’Évangile qui a précédé celle-ci, le Seigneur avait dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis, et qui vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne ». Il vous souvient que nous vous avons dit sur ces paroles ce que le Seigneur nous a donné de vous dire. Dans la leçon dont vous venez d’entendre la lecture, il dit : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres ». Par là, devons-nous comprendre que c’est là notre fruit dont il a dit : « Je vous ai choisis afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure ? » Enfin, il ajoute « Afin que tout ce que vous demanderez au Père, il vous le donne » ; il nous le donnera assurément, si nous nous aimons les uns les autres ; et cet amour mutuel, c’est lui qui nous le donnera, car il nous a choisis alors que nous ne portions point de fruit. Ce n’est pas nous, en effet, qui l’avons choisi, et il nous a établis pour que nous portions du fruit, c’est-à-dire pour que nous nous aimions les uns les autres ; sans lui nous ne pouvons pas plus porter ce fruit que les branches séparées du cep ne peuvent produire de raisin. Notre fruit n’est donc autre que la charité ; l’Apôtre la définit : « Le fruit d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère [187] ». Par elle, nous nous aimons les uns les autres ; par elle nous aimons Dieu. Car nous ne nous aimerions pas les uns les autres d’un véritable amour, si nous n’aimions pas Dieu. Quiconque aime Dieu, aime le prochain comme soi-même ; mais celui qui n’aime pas Dieu ne s’aime pas lui-même. Dans ces deux préceptes de la charité sont renfermés toute la loi et les Prophètes [188]. C’est là notre fruit, c’est celui que Notre-Seigneur nous ordonne de porter, quand il nous dit : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres ». C’est pourquoi l’apôtre Paul, voulant recommander le fruit de l’Esprit à l’encontre des œuvres de la chair, commence par là : « Le fruit de l’Esprit », dit-il, « c’est la charité ». Il rapporte ensuite les autres vertus dont la charité est la source à laquelle elles se rattachent. « Ce sont la joie, la paix, la longanimité, la douceur, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence [189] ». Qui est-ce qui peut se réjouir convenablement, s’il n’aime le bien qui seul peut réjouir ? Où trouver la véritable paix, si ce n’est en celui qu’on aime véritablement ? Est-il possible d’avoir la : longanimité nécessaire pour persévérer dans le bien, si l’on n’aime pas avec ardeur ? Qui sera bienfaisant, s’il n’aime celui qu’il assiste ? Qui est bon, s’il ne le devient en aimant ? Comment avoir la foi qui sauve, si l’on n’a pas celle qui opère par la charité ? Qui est-ce qui est doux d’une manière utile, si la charité ne règle passa douceur ? Et qui peut s’abstenir de ce qui déshonore, sans aimer ce qui honore ? C’est donc avec raison que notre bon Maître nous recommande si souvent la charité, comme la seule vertu qui doive être commandée, puisque sans elle les autres biens ne peuvent servir de rien, et qu’on ne peut l’avoir sans avoir les autres biens qui communiquent à l’homme la bonté.
2. Mais pour cette charité nous devons supporter patiemment même les rancunes du monde ; car il faut que le monde nous haïsse, puisqu’il voit repousser ce qu’il aime. Mais Notre-Seigneur nous donne par son exemple une grande consolation. Après avoir dit : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres », il ajoute aussitôt : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant, vous ». Pourquoi les membres s’élèveraient-ils au-dessus de la tête ? Tu refuses de faire partie du corps, si tu ne veux pas t’exposer, comme ton modèle, à la haine du monde. « Si vous étiez du monde », dit-il, « le monde aimerait ce qui serait à lui ». Il adresse évidemment ces paroles à toute l’Église ; car elle se trouve souvent elle-même désignée sous le nom de monde, comme en cet endroit : « Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde [190] » ; et en cet autre passage. « Le Fils de l’homme n’est « pas venu pour juger le monde, mais pour a que le monde fut jugé par lui[191] ». Jean dit dans une de ses épîtres : « Nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le Juste ; il est la victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde[192] ». Tout le inonde, c’est donc l’Église, et tout le monde hait l’Église. Le monde hait donc le monde ; le monde ennemi hait le monde réconcilié ; le monde damné hait le monde sauvé ; le monde corrompu liait le monde qui a été purifié.
3. Mais ce monde que Dieu se réconcilie en Jésus-Christ, qui est sauvé par Jésus-Christ et à qui tout péché est remis par Jésus-Christ, ce monde a été choisi dans le monde ennemi, condamné et corrompu. De cette masse qui avait péri tout entière en Adam sont tirés des vases de miséricorde, et ces vases d’élection constituent le monde qui appartient à la réconciliation ; et voilà le monde que déteste cet autre monde tiré de la même masse, mais contenu dans des vases de colère destinés à la perdition[193]. Enfin, après avoir dit : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui », Notre-Seigneur ajoute incontinent :« Mais parce que vous n’êtes point du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, le monde vous hait ». Ils étaient donc du monde, mais ils en avaient été tirés, pour n’en faire plus partie, et ils n’en avaient été tirés ni par leurs mérites, car ils n’avaient préalablement accompli aucune bonne œuvre, ni par leur nature qui avait été viciée tout entière jusque dans sa racine, par le libre arbitre ; ils en avaient été tirés par une grâce toute gratuite, c’est-à-dire par une véritable grâce. Celui qui a tiré le monde du monde l’a fait digne d’être élu, mais il ne l’a pas trouvé tel, « parce que le reste a été sauvé par une élection de la grâce ». « Or », dit l’Apôtre, « si c’est par la grâce, ce n’est « donc pas par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus la grâce [194]. »
4. Mais, demandera quelqu’un, ce monde de la perdition qui hait le monde de la rédemption, comment s’aime-t-il lui-même ? Il s’aime, saris doute, mais d’un amour faux et non d’un amour véritable ; ainsi, à proprement parler, il se hait et ne s’aime pas véritablement. « Car, celui qui' aime l’iniquité, hait son âme[195] ». Cependant, on dit que le monde s’aime, parce qu’il aime l’iniquité qui le rend méchant. On dit de même qu’il se hait, parce qu’il aime ce qui lui nuit. Il hait donc sa nature ; il aime le vice. Il hait ce qu’il est devenu par un effet de la bonté de Dieu ; il aime ce qu’il a fait lui-même en lui par sa libre volonté. C’est pourquoi, si nous voulons bien le comprendre, il nous est défendu, et, en même temps, commandé de l’aimer. Il nous est défendu de l’aimer par ces paroles : « Gardez-vous d’aimer le monde[196] ». Nous avons ordre de l’aimer, car Jésus-Christ nous a dit : « Aimez vos ennemis[197] ». Ces ennemis, c’est le monde qui nous hait. Nous avons donc défense d’aimer dans le monde ce qu’il aime en lui-même, et nous avons ordre d’aimer en lui ce qu’il hait en lui-même, c’est-à-dire l’ouvrage de Dieu et les différentes consolations de sa bonté. Nous avons donc défense d’aimer en lui le vice et ordre d’aimer la nature, puisqu’en lui-même il aime le vice et qu’il hait la nature. Ainsi l’aimerons-nous et le haïrons-nous comme il convient, puisqu’il s’aime et se hait d’un amour désordonné.

QUATRE-VINGT-HUITIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES MOTS DE JÉSUS-CHRIST : « SOUVENEZ-VOUS DE MA PAROLE, ETC. », JUSQU’A CES AUTRES : « MAIS ILS VOUS FERONT TOUTES CES CHOSES, PARCE QU’ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap. 15, 20-21.)

PERSÉCUTION DU MONDE.[modifier]

Quiconque aime Dieu et le sert avec une crainte pure, est en butte à la haine du monde, car le monde déteste Jésus-Christ et ses serviteurs, et il les persécute à cause de leur justice, que ses vices ne sauraient souffrir.

1. Le Seigneur, pour exhorter ses serviteurs à supporter avec patience les haines du monde, n’a rien ni de plus grand ni de meilleur à leur proposer que son exemple ; car, comme dit l’apôtre Pierre, « Jésus-Christ a souffert, nous laissant un exemple, afin que « nous suivions ses traces[198] ». Et si nous le faisons, c’est avec le secours de Celui qui a dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire ». Enfin, après avoir dit : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous », il ajoute ce que vous venez d’entendre dans ce qui vous a été lu de l’Évangile : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : le serviteur a n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre ». En disant : le serviteur n’est pas plus grand que son Maître, ne nous montre-t-il pas avec évidence comment nous devons entendre ce qu’il avait dit peu auparavant : « Je ne vous appelle plus serviteurs[199] ? » Maintenant il les appelle serviteurs, puisqu’il leur dit : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître : s’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ». Il est donc manifeste qu’il s’agit du serviteur qui ne reste pas dans la demeure pour toujours[200] et qui est animé de la crainte que la charité met dehors[201], lorsque Jésus-Christ dit : a Je ne vous appelle plus serviteurs ». Mais quand il dit, comme ici : « Le serviteur n’est pas plus que son maître ; s’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront », il veut parler du serviteur à crainte chaste, qui demeure dans les siècles des siècles [202] ; car ce serviteur doit s’entendre dire « Courage, bon serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur[203] ».

2. « Mais », continue le Sauveur, « ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas Celui « qui m’a envoyé ». Quelles sont toutes ces choses, sinon ce qu’il vient de dire : « Ils vous haïront et vous persécuteront et mépriseront votre parole ? » Car s’ils se contentaient de ne pas garder leur parole sans les haïr et sans les persécuter, ou bien si, tout en les haïssant, ils ne les persécutaient pas, alors il ne serait pas vrai de dire : ils vous feront toutes ces choses. « Mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom » ; n’est-ce pas dire : c’est moi qu’ils haïront en vous, moi qu’ils persécuteront en vous, et parce que votre parole et ma parole ils ne la garderont pas ? « Car ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom », non à cause du vôtre, mais « à cause du mien ». Ceux qui font ces aloses à cause de mon nom, sont d’autant plus malheureux que sont plus heureux ceux qui les souffrent à cause de ce même nom ; comme dit Notre-Seigneur lui-même dans un autre endroit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution à cause de la justice[204] », c’est-à-dire à cause de moi, ou bien « à cause de mon nom » ; car, suivant l’enseignement de l’Apôtre : « Jésus-Christ nous a été donné de Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[205] ». Il est vrai que les méchants font aussi ces choses aux méchants, mais ce n’est pas à cause de la justice ; c’est pourquoi ils sont tous malheureux, et ceux qui les font, et ceux qui les souffrent. Les bons les font aussi aux méchants : mais quoique les bons les fassent pour la justice, cependant les méchants ne les souffrent point pour ce motif.
3. Mais, dira quelqu’un, si, quand les méchants persécutent les bons à cause du nom de Jésus-Christ, les bons souffrent pour elle ; assurément, c’est aussi à cause de la justice que les méchants leur font ces choses : et s’il en est ainsi, quand les bons persécutent les méchants à cause de la justice, il s’ensuit que les méchants souffrent aussi pour la justice. Car si les méchants peuvent persécuter les bons à cause du nom de Jésus-Christ, pourquoi ne pourraient-ils pas souffrir de la part des bons une persécution à cause du nom de Jésus-Christ, c’est-à-dire à cause de la justice ? Le motif pour lequel les bons font ces choses n’est pas celui pour lequel les méchants les souffrent, puisque les bons les font à cause de la justice, et que les méchants les souffrent à cause de l’injustice ; le motif pour lequel les méchants font ces choses ne peut donc être celui pour lequel les bons les souffrent, puisque les méchants agissent à cause de l’injustice, et que les bons souffrent à cause de la justice. Comment donc pourra être vraie cette parole : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom », puisqu’ils les font non pas à cause de son nom, c’est-à-dire à cause de la justice, mais à cause de leur iniquité ? Cette question se trouvera résolue, si nous entendons ces paroles : « Ils vous feront toutes ces choses à « cause de mon nom n, en ce sens que tout se rapporte aux justes, comme s’il était dit : Vous souffrirez de leur part toutes ces choses à cause de mon nom, et alors : « ils vous feront ces choses », signifie : vous souffrirez ces choses. Mais si ces paroles : « à cause de mon nom », doivent s’entendre comme s’il disait, à cause de mon nom qu’ils haïssent en vous (et on peut dire aussi à cause de la justice qu’ils haïssent en vous), alors quand les bons font souffrir persécution aux méchants, on peut dire avec raison qu’ils le font à cause de la justice, pour l’amour de laquelle ils persécutent les méchants, et à cause de l’iniquité qu’ils haïssent dans les méchants ; de la sorte on peut dire aussi que les méchants souffrent et à cause de l’iniquité qui se trouve punie en eux, et à cause de la justice qui s’exerce à les châtier.
4. Autre question : les méchants persécutent aussi leurs pareils ; par exemple, les rois et les juges impies, tout en persécutant les fidèles, punissaient aussi les homicides, les adultères et tous les scélérats qui, à leur connaissance, agissaient contre les lois publiques. Alors, comment expliquer ce que dit le Seigneur : « Si vous étiez du monde, le monde assurément aimerait ce qui serait à lui [206] ». Or, le monde n’aime pas ceux qu’il punit ; et cependant nous voyons qu’il punit le plus souvent tous ces crimes, à moins que le monde soit et dans ceux qui punissent ces crimes et aussi dans ceux qui les aiment. Donc ce monde, qui se compose des méchants et des impies, nuit à ce qui lui appartient par l’intermédiaire des hommes qui punissent les scélérats, et il aime ce qui lui appartient par le ministère des hommes qui favorisent ceux dont ils partagent les crimes. Donc, quand le Sauveur dit : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom », ces paroles signifient : ou bien vous souffrirez à cause de mon nom, ou bien ils feront ces choses à cause de mon nom, parce que en vous persécutant, ils persécutent ce qu’ils haïssent en vous, et il ajoute : « parce qu’ils ne connaissent point Celui qui m’a envoyé » ; ce qui doit s’entendre de cette science dont il est écrit : « Vous connaître, c’est la sagesse parfaite [207] ». Ceux qui connaissent de la sorte le Père qui a envoyé le Christ, ne persécutent en aucune façon ceux que Jésus-Christ est venu recueillir ; car ils sont eux-mêmes recueillis par lui.

QUATRE-VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « SI JE N’ÉTAIS PAS VENU, ET SI JE NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ », JUSQU’À CES AUTRES : « QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE ». (Chap. 15, 22-23.)[modifier]

L’INFIDÉLITÉ, CAUSE DE PERDITION.[modifier]

Sous le nom de monde persécuteur, Jésus-Christ entendait les Juifs opiniâtrement aveugles, qui l’avaient vu sans vouloir le reconnaître, et qui ne pouvaient pas plus s’excuser de leur incrédulité, que ceux qui périssent pour ne l’avoir pas du tout connu ou pour n’avoir pas eu le courage de se soumettre à lui.


1. Le Seigneur avait dit plus haut à ses disciples : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi : s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre, mais ils vous feront toutes ces choses à cause de a mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas : « Celui qui m’a envoyé ». Si nous voulons savoir de qui il parlait de la sorte, nous trouvons qu’il prononça ces paroles aussitôt après avoir dit : « Si le monde vous hait, sachez a qu’il m’a haï avant vous ». Ce qu’il ajoute ici : « Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais parlé, ils n’auraient point de péché », montre plus clairement qu’il parle des Juifs. C’est donc des Juifs qu’il, disait les paroles que nous avons rapportées ; cela ressort de la liaison du discours. En effet, ceux dont il dit : « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais a parlé, ils n’auraient point de péché », sont les mêmes que ceux dont il a dit :« S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi ; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre ; mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé ». En effet, immédiatement après ces paroles Notre-Seigneur ajoute : « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n’auraient point de péché ». Or, les Juifs ont persécuté Jésus-Christ, l’Évangile le dit formellement : c’est donc des Juifs, et non pas des gentils, que parle le Sauveur : ce sont les Juifs qu’il a voulu désigner sous le nom de ce monde qui hait le Christ et ses disciples ; mais ils ne sont pas seuls à former ce monde, car le Christ nous a montré que ses disciples eux-mêmes en font partie. Or, que signifient ces paroles : « Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais parlé, ils n’auraient a point de péché ? » Est-ce que les Juifs étaient sans péché, avant que Jésus-Christ vint à eux dans sa chair ? Qui serait assez insensé pour le dire ? Par le nom général de péché dont se sert Notre-Seigneur, il faut entendre, non pas toute espèce de péché, mais un certain péché énorme. C’est ce péché qui retient tous les autres péchés ; et quiconque ne l’a pas, tous les autres péchés lui seront remis : voici en quoi consiste le péché, c’est qu’ils n’ont pas cru en Jésus-Christ ; car il était venu pour qu’on crût en lui : par conséquent, si Jésus-Christ n’était pas venu, ils n’auraient point commis ce péché. Autant sa venue en ce monde a été salutaire pour ceux qui ont cru en lui, autant elle a été funeste pour ceux qui n’ont point cru ; et comme il était le chef et le prince des Apôtres, on peut dire de lui ce qu’ils ont dit d’eux-mêmes : « Pour les uns, il a été une odeur de vie pour la vie, et pour d’autres une odeur de mort pour la mort [208] ».
2. Il ajoute : « Maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché » ; ces paroles pourraient nous embarrasser et nous faire demander si ceux vers lesquels Jésus-Christ n’est pas venu, et auxquels il n’a pas parlé, peuvent tirer de là une excuse de leur péché. S’ils n’en ont point, pourquoi Jésus-Christ dit il, en cet endroit, que les Juifs n’ont point d’excuse, précisément parce qu’il est venu et qu’il leur a parlé ? Mais s’ils en ont une, cette excuse les exemptera-t-elle de tout châtiment, ou bien adoucira-t-elle seulement leur peine ? Avec l’assistance de Dieu, je répondrai de mon mieux à ces questions. Ceux vers lesquels Jésus-Christ n’est pas venu, et auxquels il n’a pas parlé, auront une excuse non pas de tout péché, mais du péché de n’avoir pas cru en lui : de ce nombre ne sont pas ceux vers lesquels il est venu par ses disciples et auxquels il a parlé par ses disciples, comme il le fait maintenant. Car, par son Église, il est venu vers les nations, et par elle il leur parle. À cela se rapporte ce qu’il dit : « Qui vous reçoit me reçoit [209], et qui vous méprise me méprise[210] ». « Voulez-vous », dit l’apôtre Paul, « éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi[211] ? »
3. Il reste à savoir si ceux qui ont été ou qui sont prévenus par la mort avant l’arrivée de Jésus-Christ par son Église, ou avant d’entendre prêcher son Évangile, pourront avoir cette excuse. Ils pourront assurément l’avoir, mais ils n’éviteront point, pour cela, la damnation. « Tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi[212] » ? Comme le mot « périr » est plus terrible que le mot être jugé, ces paroles de l’Apôtre semblent montrer que, loin de les aider, cette excuse ne fera qu’aggraver leur peine. Car ceux qui voudront s’excuser sur ce qu’ils ne l’ont pas entendu annoncer, « périront sans la loi ? »
4. Mais on se demande avec raison : Ceux qui, ayant entendu la loi, l’ont méprisée, ou même lui ont résisté non seulement en les combattant, mais en poursuivant de leur haine ceux qui la leur prêchaient, doivent-ils être rangés dans le nombre de ceux à qui l’Apôtre annonce un sort moins sévère, lorsqu’il dit « qu’ils seront jugés par la loi ». Mais si autre chose est de périr sans la loi et autre chose d’être jugé par la loi ; si, d’ailleurs, le premier cas est beaucoup plus à redouter que le second ; sans aucun doute, ceux dont nous parlons ne doivent certainement pas subir la peine plus légère, indiquée par l’Apôtre ; ce n’est pas sous la loi qu’ils ont péché, mais ils n’ont voulu en aucune manière recevoir la loi de Jésus-Christ ; autant que cela dépendait d’eux, ils ont donc voulu qu’elle fût anéantie. Ceux-là pèchent sous la loi, qui sont sous la loi, c’est-à-dire, qui la reçoivent et la reconnaissent comme sainte, qui regardent ses commandements, comme saints, justes et bons[213]. C’est par faiblesse qu’ils n’accomplissent pas ce qu’elle leur commande, sans qu’ils doutent le moins du monde de la justice de ses prescriptions. On peut en quelque manière distinguer ces sortes de gens de ceux dont il est dit qu’ils périront sans la loi ; si cependant ce que dit l’Apôtre : « Ils seront jugés par la loi », devait s’entendre comme s’il disait : ils ne périront pas, je m’étonnerais qu’il en fût ainsi ; car, pour qu’il parlât en ce sens, il ne s’agissait ni des infidèles, ni des fidèles, mais seulement des gentils et des Juifs. Or, à moins de trouver leur salut dans ce Sauveur qui est venu chercher ce qui était perdu [214], les uns et les autres seront indubitablement réservés à la perdition. On peut néanmoins dire, que cette perdition sera plus complète pour les uns et moins pénible pour les autres, c’est-à-dire que, dans leur perte, les uns souffriront des peines plus graves et les autres des peines plus légères. Quel qu’il soit, il périt pour Dieu, celui qui par son supplice est privé de la béatitude que Dieu donne à ses saints ; et comme il y a diversité de péchés, non moins grande est la diversité des supplices. Comment s’établit cette proportion ? C’est ce que la sagesse divine juge avec plus de profondeur que l’homme ne peut l’imaginer par ses conjectures, ou (exprimer par ses paroles. Ce qui est certain, c’est que ceux vers lesquels Jésus-Christ est venu, et auxquels il a parlé, ne pourront pas s’excuser du grand péché d’infidélité, en disant : Nous ne l’avons pas vu, nous ne l’avons pas entendu, soit que cette excuse soit tout à fait rejetée par Celui dont les jugements sont impénétrables, soit qu’il l’accepte, sinon pour les délivrer de toute condamnation, au moins pour les condamner moins sévèrement.
5. « Celui qui me hait », dit Notre-Seigneur, a hait aussi mon Père ». Quelqu’un nous dira peut-être : Qui est-ce qui peut haïr celui qu’il ne connaît pas ? Or, avant de dire : « Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais parlé, « ils n’auraient point de péché », Jésus avait dit à ses disciples : « Ils vous feront ces choses, parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé ». Comment donc, s’ils l’ignorent, peuvent-ils le haïr ? Car si ce qu’ils prennent pour lui, n’est pas lui, mais bien je ne sais quelle autre chose, ce n’est pas lui qu’ils haïssent, mais bien le fantôme qu’ils imaginent, ou plutôt dont ils supposent faussement l’existence. Cependant si l’on ne pouvait haïr ce que l’on ne connaît pas, la Vérité même ne nous aurait pas dit de son Père, qu’on ne le connaît pas et en même temps qu’on le hait. Mais comment cela se peut-il faire ? C’est ce que, avec l’aide de Dieu, nous essaierons de vous montrer ; mais ce ne sera pas aujourd’hui, car il est temps de finir ce discours.

QUATRE-VINGT-DIXIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE ». (Chap. 15, 23.)[modifier]

LA VÉRITÉ HAÏE SANS ÊTRE CONNUE.[modifier]

Comment les Juifs ont-ils pu haïr le Père, puisqu’ils ne le connaissaient pas ? Une comparaison va le faire comprendre. Nous ne pouvons lire dans le cœur d’autrui, et si nous aimons la vertu et que nous haïssions le vice, il peut se faire que nous aimions sans le savoir un homme bon que nous croyons mauvais, ou que nous détestions un homme méchant qui nous semble bon. Ainsi les Juifs détestaient les peines infligées à leur conduite blâmable par la Vérité, sans savoir si c’était la Vérité qui les condamnait ; ils ne la connaissaient donc pas, et ils baissaient, par conséquent, sans le connaître, le Père de la Vérité.


1. Vous avez entendu dire au Seigneur « Celui qui me hait, hait aussi mon Père » ; il avait dit plus haut : « Ils vous feront ces choses parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé n. De là naît une difficulté qu’il ne faut pas éluder, la voici : Comment peuvent-ils haïr celui qu’ils ne connaissent pas ? Car s’ils supposent ou croient que Dieu est, non pas ce qu’il est, mais je ne sais quelle autre chose, et si c’est cela qu’ils haïssent, alors ce n’est pas lui qu’ils haïssent, mais bien ce dont ils se font l’idée dans leur supposition trompeuse ou leur vaine crédulité ; mais si, au contraire, ils se représentent Dieu tel qu’il est réellement, comment peut-on dire qu’ils ne le connaissent pas ? Quand il s’agit des hommes, il peut se faire que souvent nous aimions ceux que nous n’avons jamais vus ; et, par contre, il n’est pas impossible que nous haïssions aussi ceux que nous n’avons jamais vus. La renommée nous parlant de quelqu’un en bien ou en mal, il en résulte naturellement que nous aimons ou que nous haïssons un inconnu. Mais si la renommée dit vrai, comment pouvons-nous donner le nom d’inconnu à celui sur le compte duquel nous avons appris la vérité ? Est-ce parce que nous n’avons pas vu son visage ? Il ne le voit pas lui-même, et cependant il ne peut être plus connu à personne qu’à lui-même. Ce n’est donc pas par la vue du visage extérieur que nous acquérons la connaissance de quelqu’un ; mais nous le connaissons quand nous savons quelle est sa vie et quelles sont ses mœurs. Autrement personne ne pourrait même se connaître, puisque personne ne peut voir son propre visage. Cependant chacun se connaît lui-même mieux que les autres ne le connaissent ; il se connaît d’autant plus sûrement qu’il peut mieux considérer son intérieur, voir ce qu’il pense, ce qu’il désire, comment il vit ; lorsque tout cela nous est connu dans un homme, cet homme lui-même nous est vraiment connu. Aussi, comme toutes ces choses nous sont rapportées sur les absents ou sur les morts, soit pur la renommée, soit par les lettres, il arrive souvent que nous aimons ou que nous haïssons des hommes dont nous n’avons jamais vu le visage (mais qui cependant ne nous sont pas tout à fait inconnus).
2. En cela, le plus souvent notre bonne foi se trouve trompée, car quelquefois l’histoire et encore plus la renommée sont mensongères. Mais comme nous ne pouvons scruter la conscience des hommes, c’est à nous de veiller, pour n’être pas induits en erreur par une dangereuse opinion, à avoir de ces choses une connaissance vraie et certaine. Je m’explique. Nous ignorons si cet homme ou cet autre est chaste ou impudique, mais nous devons haïr l’impureté et aimer la chasteté ; nous ne savons si tel ou tel est juste ou injuste, toutefois, nous devons aimer la justice et haïr l’injustice, non pas telles que nous pourrions nous les représenter par une fausse imagination, mais telles que nous les voyons dans la vérité de Dieu, afin de suivre les règles de l’une et d’éviter l’autre ; par là, nous rechercherons en toutes choses ce que nous devons y chercher, nous éviterons ce que, nous devons éviter, et ainsi mériterons-nous que Dieu nous pardonne, si parfois, et même souvent, nous nous trompons sur les dispositions secrètes des hommes. Ce dernier point me semble appartenir à cette tentation humaine, sans laquelle la vie ne saurait se passer et dont parle l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Que la tentation ne vous saisisse pas, sinon celle qui est humaine [215] ». En effet, y a-t-il rien de plus conforme à la nature humaine que de ne pouvoir connaître le cœur humain et de n’en point sonder tous les replis, et par suite de soupçonner tout autre chose que ce qui s’y passe ? Comme, en raison de ces ténèbres des choses humaines, c’est-à-dire des pensées des hommes, nous ne pouvons éclaircir nos soupçons parce que nous sommes hommes, nous devons nous abstenir de jugements, c’est-à-dire d’opinions arrêtées et définitives, et ne nous prononcer sur rien avant le temps de la venue du Seigneur. Alors il éclairera les choses cachées dans les ténèbres, et il manifestera les pensées du cœur ; alors aussi chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due [216] ». Quand donc on ne se trompe pas sur les choses et qu’avec justice on condamne le vice et on approuve la vertu, si l’on se trompe sur les hommes, ce n’est qu’une tentation humaine toute vénielle.
3. Mais à cause de ces ténèbres qui enveloppent le cœur humain, il arrive une chose également surprenante et douloureuse. Parfois l’homme que nous regardons comme méchant est juste, et nous aimons la justice qui réside en lui sans que nous le sachions ; c’est pourquoi nous l’évitons, nous le méprisons, nous lui défendons de nous approcher, nous ne voulons rien avoir de commun avec lui dans les usages de la vie, et même, lorsque l’obligation de maintenir la discipline nous y force, et que nous voulons l’empêcher de nuire aux autres ou le forcer à devenir plus régulier, nous le traitons avec une salutaire sévérité ; et cet homme qui est bon, nous l’affligeons comme s’il était mauvaise, tout en l’aimant sans le savoir. C’est ce qui arrive quand, par exemple, un homme réellement chaste est regardé par nous comme impudique. Dès lors, en effet, que j’aime celui qui est chaste, et que cet homme a la vertu de chasteté en partage, je l’aime évidemment, mais sans m’en douter. Comme, d’ailleurs c’est l’impudique que je hais, je ne hais donc pas cet homme, puisqu’il n’est pas ce que je déteste. Néanmoins, à cet homme, objet de mon affection, avec qui mon âme se trouve sans cesse unie dans l’amour de la chasteté, je lui fais injure sans le savoir, parce que si je ne me trompe pas dans le discernement des vertus et des vices, je m’égare dans les ténèbres du cœur humain. Il peut donc se faire qu’un homme de bien haïsse, sans le savoir, un autre homme de bien, ou plutôt qu’il l’aime sans le savoir (car il l’aime en aimant le bien, et ce qu’est cet homme est précisément ce qu’il aime). Il peut arriver aussi que, sans le savoir, il haïsse, non ce qui est réellement son semblable, mais ce qu’il le croit : de même peut-il se faire qu’un homme injuste haïsse un homme juste, et que cependant il pense aimer une personne injuste et semblable à lui ; il aime donc sans le savoir quelqu’un de juste ; mais en celui qu’il croit injuste, il n’aime pas la réalité, il n’aime que ce qu’il croit y rencontrer. Ce qui arrive pour les hommes, arrive aussi pour Dieu. Si, en effet, on avait demandé aux Juifs s’ils aimaient Dieu, qu’auraient-ils pu répondre, sinon qu’ils l’aimaient ? En cela, ils n’auraient pas eu l’intention de mentir, mais ils se seraient trompés dans leur opinion. Car, comment pourraient-ils aimer le Père de la vérité, ceux qui haïraient la vérité ? Ils ne veulent pas que leurs actions soient condamnées, et la vérité veut que de telles actions soient condamnées. Leur haine pour la vérité est donc en proportion de la haine qu’ils ressentent pour les châtiments que la vérité inflige à de telles gens. Mais, dans leur opinion, ce n’était pas la vérité qui condamnait des hommes pareils à eux ; ils haïssaient la vérité sans la connaître, et en la haïssant, ils ne pouvaient que haïr celui de qui la vérité est née. Et comme ils ignorent que la vérité, qui les juge et les condamne, est née de Dieu le Père, ils ne connaissent pas Dieu non plus, et ils le haïssent. O les misérables ! Ils veulent être méchants, et ils ne veulent pas de la vérité qui les condamne. Ils ne veulent pas qu’elle soit ce qu’elle est, quand ils devraient ne vouloir plus être ce qu’ils sont ; quand ils devraient se changer eux-mêmes et désirer que la vérité restât ce qu’elle est, afin de ne pas être condamnés par elle, quand elle viendra les juger.

QUATRE-VINGT-ONZIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « SI JE N’AVAIS PAS FAIT AU MILIEU D’EUX DES OEUVRES QUE NUL N’A FAITES, « ILS N’AURAIENT POINT DE PÉCHÉ, ETC. » (Chap. 15, 24, 25.)[modifier]

LES MIRACLES DE JÉSUS-CHRIST.[modifier]

Par leur incrédulité, les Juifs rendaient irrémissibles leurs autres péchés : en effet, Jésus-Christ avait fait devant eux par lui-même, en leur faveur, des miracles si nombreux et si merveilleux, qu’en réalité ils étaient inexcusables de ne pas croire en lui et même de le haïr sans sujet.


1. Le Seigneur avait dit : « Qui me hait, hait aussi mon Père ». Assurément, celui qui hait la vérité doit haïr celui de qui elle est née : nous vous avons déjà donné l’explication de ce passage, autant que Dieu nous en a fait la grâce. Ensuite il ajouta ces paroles dont il nous reste à parler aujourd’hui : « Si je n’avais pas fait au milieu d’eux des œuvres que nul n’a faites, ils n’auraient point de péché », c’est-à-dire ce grand péché dont le Seigneur avait déjà dit : « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n’auraient pas de péché » ; ceci doit s’entendre du péché qu’ils ont commis en ne croyant ni à ses paroles, ni à ses œuvres, car ils n’étaient pas sans péché, avant qu’il leur eut parlé, et qu’il eut opéré ses œuvres merveilleuses au milieu d’eux ; mais le péché, dont ils se sont rendus coupables en ne croyant point en lui, il le rappelle ici, parce qu’en lui sont renfermés tous les autres. En effet, s’ils n’avaient point eu ce péché, ils auraient cru en lui, et les autres péchés leur auraient été remis.
2. Mais pourquoi le Seigneur, après avoir dit : « Si je n’avais pas fait au milieu d’eux des œuvres », ajoute-t-il aussitôt, « que nul autre n’a faites ? » Entre les œuvres de Jésus-Christ, aucune ne paraît plus grande que la résurrection des morts ; or, cette œuvre, les Prophètes anciens, nous le savons, l’avaient déjà accomplie. Élie l’avait accomplie [217], Elisée l’accomplit et pendant qu’il vivait[218], et même alors qu’il gisait couché dans son tombeau. Quelques hommes portaient un mort ; les ennemis s’étant précipités sur eux, ils prirent la fuite, laissant le corps sur le tombeau ; et aussitôt il ressuscita [219]. Cependant Jésus-Christ a fait des œuvres due nul autre n’a faites ; par exemple, lorsqu’avec cinq pains il rassasia cinq mille hommes, et qu’avec quatre pains, il nourrit sept mille hommes[220] ; lorsqu’il marcha sur les eaux, et qu’il y fit marcher l’apôtre Pierre [221] ; lorsqu’il changea l’eau en vin [222], : lorsqu’il ouvrit les yeux de l’aveugle-né [223] ; et opéra beaucoup d’autres prodiges qu’il serait trop long d’énumérer. Mais peut-être nous répondra-t-on que d’autres ont fait des œuvres que Jésus-Christ lui-même n’a pas faites, et que personne autre n’a faites. Quel autre en effet que Moïse a frappé les Égyptiens de tant et de si grandes plaies[224], conduit tout un peuple à travers lamer [225], fait descendre du ciel la manne pour calmer sa faim[226] et tiré l’eau de la pierre pour apaiser sa soif [227] ? Quel autre que Jésus Navé a divisé les eaux du Jourdain pour y faire passer son peuple[228], et par une prière adressée à Dieu, a arrêté le soleil dans sa course et l’a rendu immobile [229] ? Quel autre que Samson a fait sortir de la mâchoire d’un âne mort une fontaine pour étancher sa soif [230] ? quel autre qu’Élie a été enlevé au ciel sur un char de feu[231] ? quel autre qu’Elisée, ainsi que je viens de le rappeler, a rendu la vie à un mort, par le seul attouchement de son corps enseveli dans le tombeau ? quel autre que Daniel a vécu enfermé au milieu des lions affamés sans éprouver aucun mal [232] ? quel autre que les trois jeunes hébreux, Ananias, Azarias et Mizaël, s’est promené sans être consumé au milieu des flammes d’une fournaise ardente [233] ?
3. J’en omets bien d’autres ; mais ce que je viens de rapporter suffit, je pense, pour montrer que plusieurs saints ont aussi fait des œuvres merveilleuses, que nul autre n’a faites. Cependant, nous ne voyons personne qui, avant Jésus-Christ, ait, avec une puissance si grande, délivré les hommes de tant de maux. Passons sous silence tous ceux qui se présentaient à lui, et qu’il guérit d’une seule parole ; ne citons que ce passage de Marc l’Évangéliste : « Le soir étant arrivé et le soleil étant couché, on lui amenait tous les malades et tous les possédés ; et toute la ville était assemblée devant la porte, et il guérit un grand nombre de malades de plusieurs maladies, et il chassa plusieurs démons[234] ». Matthieu ayant rapporté la même chose, ajoute en ces termes le témoignage des Prophètes : « Afin que s’accomplit la parole du prophète Isaïe : Il a pris nos infirmités, et il a porté nos maladies[235] ». Marc dit encore dans un autre passage : « Et en quelque endroit qu’il entrât, soit dans les bourgs, soit dans les villages, soit dans les villes, on plaçait les malades sur les places publiques, et on le priait de leur laisser toucher seulement le bord de son vêtement ; et tous ceux a qui le touchaient étaient guéris[236] ». Voilà ce que nul autre n’a fait pour les Juifs ; car ces deux mots : « Sur eux », ne doivent pas signifier qu’il a fait ces choses au milieu d’eux ou devant eux, mais qu’il les faisait pour eux, puisqu’il les guérissait. Il ne s’agit pas, en effet, de prodiges faits seulement pour attirer l’admiration, mais, bien de miracles destinés à procurer évidemment le salut des Juifs ; c’étaient là des bienfaits destinés à attirer leur amour et non pas leur haine. Ce qui surpasse tous les miracles opérés par d’autres hommes, c’est qu’il est né d’une Vierge, c’est qu’il a été conçu dans le sein de sa mère et qu’il en est sorti sans donner atteinte à sa virginité ; mais ce miracle n’a été fait ni sur les Juifs, ni en leur présence. Car si les Apôtres sont arrivés à connaître la vérité de ce miracle, ce n’a pas été par une notion qui leur fût commune avec les Juifs, mais parce que leur qualité de disciples les avait séparés d’eux. Si vous ajoutez que, le troisième jour après sa mort, il a lui-même fait sortir vivante du sépulcre cette chair dans laquelle il était mort, et qu’avec elle il est monté au ciel pour ne plus mourir, je vous dirai que voilà le plus grand de tous ses miracles ; mais ce miracle-là n’a pas été fait sur les Juifs, ni devant eux, et il ne les avait pas encore opérés lorsqu’il disait : « Si je n’avais fait sur eux des œuvres que nul autre n’a faites ».
4. Ces œuvres sont donc les miracles qu’il a faits pour guérir leurs malades, et personne n’en avait fait en si grand nombre au milieu d’eux. Les Juifs les ont vues, et il le leur reproche quand il ajoute : « Mais maintenant ils les ont vues et ils m’ont haï, moi et mon Père ; mais c’est pour que soit accomplie la parole qui est écrite dans leur loi : Ils m’ont haï sans sujet ». Il dit : « leur loi », non pas qu’ils en soient les auteurs, mais parce qu’elle leur a été donnée ; comme nous appelons « notre pain quotidien, ce pain que nous demandons à Dieu en lui disant : « Donnez-nous notre pain [237] ». Il hait sans sujet celui qui par sa haine ne recherche aucun avantage ou ne se garantit d’aucune incommodité ; c’est ainsi que les impies haïssent Dieu, c’est ainsi que les justes l’aiment, c’est-à-dire gratuitement, sans attendre d’autres biens que lui-même ; car il sera tout en tous. Mais quiconque voudra faire une attention plus particulière à ces paroles de Jésus-Christ : « Si je n’avais pas, fait au milieu d’eux des œuvres que nul autre n’a faites », (quand même le Père ou le Saint-Esprit aurait fait ces œuvres, il serait encore vrai de dire que nul autre que lui ne les a faites, parce que la Trinité tout entière n’est que d’une substance), quiconque approfondira ces paroles trouvera que c’est encore Jésus-Christ seul qui a fait ces œuvres, lors même qu’elles auraient été faites par quelque homme de Dieu. Jésus-Christ, en effet, peut faire toutes choses en lui-même et par lui-même, et sans lui personne ne peut rien. Car Jésus-Christ, et le Père, et le Saint-Esprit, sont non pas trois dieux, mais un seul Dieu dont il est écrit « Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël, qui seul a fait des choses admirables [238] ». Donc nul autre n’a fait les œuvres qu’il a faites sur les Juifs ; car si un homme en a fait quelques-unes, il les a faites par la puissance du Christ, tandis que le Christ a fait les siennes par sa propre puissance et sans la coopération de personne.

QUATRE-VINGT-DOUZIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « MAIS QUAND SERA VENU LE CONSOLATEUR QUE JE VOUS ENVERRAI DE LA PART DU PÈRE, ESPRIT DE VÉRITÉ, ETC. » (Chap. 15, 26-27.)[modifier]

LE TÉMOIGNAGE DU SAINT-ESPRIT.[modifier]

Les Juifs avaient résisté au témoignage des miracles de Jésus-Christ ; mais le Saint-Esprit devait, à la Pentecôte, venir à la rescousse ; les Apôtres eux-mêmes, Pierre en particulier, se déclareraient publiquement pour lui et ouvriraient les yeux à beaucoup d’incrédules.


1. Jésus venait d’achever son dernier repas, sa passion était proche, il allait quitter ses disciples et les priver de sa présence sensible ; car, par sa présence spirituelle, il devait rester avec eux tous jusqu’à la consommation des siècles : en ce moment suprême, il leur adressa donc un discours où il les exhortait à supporter les persécutions des impies, qu’il désignait sous le nom de monde ; il les avait, dit-il, tirés de ce monde pour en faire ses disciples, et ils devaient le savoir, c’était par la grâce de Dieu qu’ils étaient ce qu’ils étaient aujourd’hui ; tandis que leurs propres vices les avaient faits ce qu’ils étaient auparavant. Ensuite il leur annonça clairement que les Juifs devaient être leurs persécuteurs et les siens, et par là il devait paraître avec évidence qu’ils faisaient partie de ce monde damnable, qui persécute les saints. Quand il leur eut dit que les Juifs ne connaissaient pas Celui qui l’avait envoyé et que cependant ils haïssaient et le Fils et le Père, c’est-à-dire Celui qui avait été envoyé et Celui qui l’avait envoyé (choses dont nous avons parlé dans nos discours précédents), il en vint à ce qui suit « C’est afin que soit accomplie la parole qui a est écrite dans leur loi : Ils m’ont haï sans a sujet ». Ensuite il ajoute comme conséquence ces paroles que nous entreprenons d’expliquer aujourd’hui : « Mais quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père, cet Esprit de vérité qui procède du Père rendra témoignage de moi ; et vous aussi vous en rendrez témoignage, parce que depuis le commencement vous êtes avec moi ». Quel rapport ces paroles ont-elles avec ce qu’il vient de dire : « Or, maintenant ils ont vu, et ils me haïssent moi et mon Père ; mais c’est afin que soit accomplie la parole qui est écrite dans leur loi : Ils m’ont haï sans sujet ». Quand le Paraclet est venu, cet Esprit de vérité a-t-il convaincu par un témoignage plus évident ceux qui avaient vu et qui le haïssaient ? Il a fait plus, en se manifestant à eux il a converti à la foi qui opère par la charité plusieurs de ceux qui avaient vu et qui le haïssaient encore. Pour le bien comprendre, rappelons-nous ce qui s’est passé. Au jour de la Pentecôte, le Saint – Esprit est descendu sur cent-vingt hommes réunis ensemble, et au nombre desquels se trouvaient tous les Apôtres : dès qu’ils furent remplis de cet Esprit, ils se mirent à parler toutes sortes de langues. Plusieurs de ceux qui avalent haï Notre-Seigneur furent frappés d’un si grand miracle, surtout quand ils virent que Pierre prenait la parole et rendait à Jésus-Christ un si grand et si divin témoignage, qu’ils durent reconnaître comme ressuscité et vivant celui qu’ils avaient tué et qu’ils croyaient relégué pour toujours parmi les morts ; le cœur touché de componction, ils se convertirent et ils reçurent le pardon du crime qu’ils avaient commis, en versant avec tant d’impiété et de cruauté un sang si précieux ; car le sang même qu’ils avaient répandu les avait rachetés [239]. De fait, le sang de Jésus-Christ a été de telle manière répandu pour la rémission de tous les péchés, qu’il a pu effacer même le péché de ceux qui l’avaient répandu. C’est ce que Notre-Seigneur avait en vue lorsqu’il disait : « Ils m’ont haï sans sujet ; mais quand sera venu le Paraclet, il rendra témoignage de moi ». C’est comme s’il eût dit : Ils m’ont haï et ils m’ont mis à mort, pendant qu’ils me voyaient parmi eux ; mais le Paraclet rendra de moi un tel témoignage, qu’il les obligera à croire en moi, même quand ils ne me verront plus.
2. « Et vous », ajoute Notre-Seigneur, « vous rendrez aussi témoignage, parce que depuis le commencement vous êtes avec moi ». L’Esprit-Saint rendra témoignage, et vous aussi. Comme vous êtes avec moi depuis le commencement, vous pouvez annoncer ce que vous avez appris ; et si vous ne le faites pas dès à présent, c’est que la plénitude de l’Esprit-Saint n’est pas encore descendue en vous. « Il rendra donc témoignage de moi, et vous aussi vous rendrez témoignage ». Car la charité répandue dans vos cœurs par l’Esprit-Saint, qui vous sera donné[240], vous inspirera, la confiance de rendre ce témoignage. Elle manquait à Pierre, celte confiance, lorsque, effrayé par la question d’une simple servante, il ne put rendre témoignage à la vérité ; sa terreur fut si grande qu’elle le poussa à renier trois fois son Maître[241], en dépit de la promesse qu’il lui avait faite. Or, cette crainte n’existe pas dans la charité ; au contraire, la charité parfaite met dehors la crainte [242]. Enfin, avant la passion de Notre-Seigneur, la crainte servile de Pierre fut interrogée par une servante : mais après la résurrection du Seigneur, son libre amour fut interrogé par le prince de la liberté [243]. Aussi dans le premier cas fut-il troublé, tandis que, dans le second, il fut plein de calme ; c’est qu’alors il avait renié celui qu’il aimait et qu’en ce moment il aimait celui qu’il avait renié. Cependant cet amour lui-même resta encore faible et étroit, jusqu’à ce que le Saint-Esprit l’eut fortifié et dilaté. Mais quand, par une grâce plus abondante, cet Esprit eut été répandu en lui, son cœur si froid fut enflammé pour rendre témoignage à Jésus-Christ, et sa bouche qui, dans sa frayeur, avait trahi la vérité, fut ouverte, et bien que tous ceux sur lesquels le Saint-Esprit était descendu parlassent toutes sortes de langues, Pierre fut le plus prompt et le seul de tous à rendre, devant la foule des Juifs assemblés, un témoignage éclatant de Jésus-Christ, et à confondre ses meurtriers par la preuve de sa résurrection. Si quelqu’un veut se donner la joie de voir un si doux et si saint spectacle, qu’il lise les Actes des Apôtres[244]. Il y verra avec admiration Pierre prêchant Celui qu’il a eu la douleur de lui voir renier ; il y verra cette langue, après avoir passé de la crainte à la confiance, et de la servitude à la liberté, décider à confesser le Christ une foule immense de langues, dont une seule avait suffi à pousser la sienne à le renier. Que dire de plus ? En cet Apôtre apparaissait un tel éclat de la grâce, une plénitude si complète de l’Esprit-Saint ; de sa bouche sortaient des vérités si précieuses et d’un si grand poids, qu’il mit en la disposition de mourir pour Jésus-Christ cette multitude immense des ennemis et des meurtriers du Sauveur, dont il craignait d’être victime avec son Maître. Voilà les effets que produisit l’Esprit-Saint envoyé alors, mais promis à l’avance. Voilà les grands et admirables bienfaits que Notre-Seigneur prévoyait lorsqu’il disait : « Et ils ont vu, et ils m’ont haï moi et mon Père, afin que s’accomplisse la parole qui a été écrite dans leur loi : Ils m’ont haï sans sujet ; mais quand sera venu le Paraclet, que je vous enverrai de la part de mon Père, cet Esprit de vérité, qui procède du Père, rendra témoignage de moi, et vous « aussi vous en rendrez témoignage ». Car cet Esprit, en rendant témoignage et en faisant des Apôtres des témoins inébranlables, a enlevé toute crainte aux amis de Jésus-Christ et a changé en amour la haine de ses ennemis.

QUATRE-VINGT-TREIZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES LES DE NOTRE-SEIGNEUR : « JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ POINT SCANDALISÉS », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE, QUAND LEUR HEURE SERA VENUE, VOUS VOUS SOUVENIEZ QUE JE VOUS LES AI DITES ». (Chap. 16,1-4.)[modifier]

PRÉDICTION DE MALHEURS.[modifier]

Jésus-Christ ne voulait pas voir ses Apôtres exposés, sans préparation, aux épreuves qui les attendaient : aussi, pour les préserver de tout scandale, il leur annonce qu’on les chassera des synagogues, qu’on ira jusqu’à les faire mourir : tant seront grands les succès de leur ministère ! et que quiconque les tuera croira encore travailler à la gloire de Dieu.


1. Dans ce qui précède ce chapitre de notre Évangile, le Seigneur voulait confirmer ses disciples dans la disposition de supporter la haine de leurs ennemis. Il les y préparait en leur proposant son exemple : en l’imitant ils devaient devenir plus forts ; il y ajoutait la promesse du Saint-Esprit qui devait venir et rendre témoignage de lui ; enfin il leur annonçait qu’ils lui rendraient eux-mêmes témoignage sous l’influence du Saint-Esprit. Voici ce qu’il dit : « Il rendra témoignage de moi, et vous aussi vous en rendrez témoignage ». Assurément, c’est parce que le Saint-Esprit rendra témoignage, que vous rendrez témoignage vous-même s. Il rendra témoignage dans vos cœurs, et vous, ce sera par vos paroles. Il vous inspirera, et vous, vous parlerez afin que puisse s’accomplir ce qui est dit : « Leur voix s’est répandue par « toute la terre [245] ». C’eût été peu de les encourager par son exemple, s’il ne les eût encore remplis de son esprit. L’Apôtre avait entendu ces paroles de Notre-Seigneur : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi[246] ». Et il en voyait déjà l’accomplissement, et si l’exemple avait pu suffire pour cela, il aurait dû imiter la patience de son Maître ; mais il succomba et lerenia, car il ne pouvait souffrir ce qu’il lui voyait souffrir lui-même. Mais quand il eut reçu le don du Saint-Esprit, il annonça celui qu’il avait renié, et Celui qu’il avait craint de reconnaître pour son Maître, il ne craignit pas de le proclamer tel. D’abord l’exemple du Christ l’avait instruit en lui montrant ce qu’il devait faire ; pourtant il n’avait pas encore reçu cette vertu qui devait le fortifier et lui faire exécuter ce qu’il savait ; il avait appris ce qu’il fallait pour rester debout, mais il n’avait pas encore été assez affermi pour ne pas tomber. Comme dans la suite il fut affermi par le Saint-Esprit, il prêcha jusqu’à la mort Celui qu’il avait renié par crainte de la mort. C’est pourquoi le Seigneur commence le chapitre dont j’ai maintenant à vous parler, par les paroles suivantes : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés ». Nous chantons en effet dans le psaume : « Paix profonde à ceux qui aiment votre loi ; rien n’ébranlera leur fidélité [247] ». C’est donc avec raison qu’après avoir promis à ses Apôtres le Saint-Esprit qui leur ferait rendre témoignage de lui, Jésus ajoute : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez point scandalisés ». Quand la charité est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné [248], il se fait une grande paix, car alors nous aimons la loi de Dieu, et pour de telles gens il n’y a point de scandale possible.
2. Il leur annonce ensuite ce qu’ils doivent souffrir, et il leur dit : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Quel malheur pour les Apôtres d’être chassés des synagogues juives, puisqu’ils s’en seraient eux-mêmes séparés, quand même personne ne les en eût chassés ? Le Seigneur voulait par là leur annoncer que les Juifs ne recevraient pas Jésus-Christ, dont ils ne devaient pas eux-mêmes se séparer ; ils devaient donc s’attendre à être chassés avec lui par ceux qui ne voulaient pas rester en lui, quoiqu’ils ne pussent rester sans lui. Comme il n’y avait point d’autre peuple de Dieu que cette postérité d’Abraham, s’ils avaient reconnu et reçu Jésus-Christ, ils auraient été entés sur lui comme des branches naturelles sont entées sur l’olivier franc [249], et nous n’aurions pas vu, d’un côté les Églises du Christ, et de l’autre les synagogues des Juifs ; elles eussent été confondues ensemble, si elles avaient voulu se réunir en lui. Mais puisqu’elles ne l’ont pas voulu, que restait-il à attendre ? C’est que ceux qui demeuraient séparés de Jésus-Christ mettraient hors des synagogues ceux qui ne voulaient pas l’abandonner. Après avoir reçu le Saint-Esprit, les Apôtres rendirent donc témoignage à Jésus-Christ, et ainsi furent-ils bien éloignés de ressembler à ceux dont il est dit : « Plusieurs princes des Juifs crurent en lui ; mais par crainte des Juifs, ils n’osaient pas le confesser, de peur d’être chassés des synagogues ; « car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu[250] ». Ils crurent donc en lui, mais non pas comme l’entend Celui qui a dit : « Comment pouvez-vous croire, vous qui cherchez la gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul [251] ? » Les disciples crurent donc en lui, remplis de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire du don de la grâce de Dieu ; ils ne furent ni du nombre de ceux a qui, ignorant la justice a de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à celle de Dieu [252] » ; ni du nombre de ceux dont il est dit : « Ils « ont mieux aimé la gloire des hommes que « celle de Dieu ». C’est à eux que s’applique cette prophétie, puisqu’en eux elle se trouve accomplie : « Seigneur, ils marcheront dans la lumière de votre visage ; ils se réjouiront tout le jour en votre nom et ils seront a élevés dans votre justice, parce que c’est vous qui êtes la gloire de leur vertu [253] ». C’est donc avec raison qu’il leur dit : « Ils vous mettront hors des synagogues, ceux qui ont dit zèle pour Dieu, mais dont le zèle n’est pas selon la science » ; c’est pourquoi, « ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice[254], ils chassent ceux qui s’enorgueillissent non de leur propre justice, mais de la justice de Dieu et qui, chassés par les hommes, n’en rougissent nullement, parce que c’est Dieu lui-même qui est la gloire de leur vertu.
3. Enfin, ayant ainsi parlé, Jésus ajoute « Mais l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira être agréable à Dieu : et ils vous feront ces choses, parce qu’ils n’ont connu ni mon Père, ni moi » ; c’est-à-dire, ils n’ont connu ni Dieu, ni son Fils, auquel ils croient se rendre agréables en vous mettant à mort. Le Seigneur ajoute ceci, pour consoler ses disciples de ce que les Juifs les chasseront de leurs synagogues. D’avance il leur annonce les maux qu’ils souffriront pour lui rendre témoignage : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Et il ne dit pas : Et l’heure vient où quiconque vous tue croira obéir à Dieu ; que dit-il donc ? « Mais l’heure vient » : comme si par ces paroles il voulait leur annoncer une compensation à tous ces maux. Que signifient donc ces mots : « Ils vous mettront hors des synagogues ; mais l’heure vient ? » C’est comme s’il voulait leur dire : Ils vous disperseront, mais je vous réunirai ; ou bien : Ils vous disperseront, mais voici venir l’heure de votre joie. Et cependant, que veut dire cette parole : « Mais a l’heure vient n, qui semble leur promettre des consolations à la suite de leurs tribulations ? Ne semble-t-il pas qu’il eût dû employer cette expression démonstrative : Et l’heure vient ? Pourtant il ne dit pas : Et l’heure vient, quoiqu’en réalité il leur annonce tribulations sur tribulations, au lieu de leur prédire une consolation à titre de récompense pour leurs peines. Cette expulsion hors des synagogues devait-elle les troubler au point d’aimer mieux mourir que de vivre séparés de l’assemblée des Juifs ? Ah 1 qu’ils étaient loin de se laisser ainsi troubler, puisqu’ils recherchaient la gloire de Dieu, et non celle des hommes ! Que signifient donc ces mots : « Ils vous mettront hors des synagogues ; mais l’heure vient » ; quand il semble que Jésus aurait dû dire plutôt : Et l’heure vient, « où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu ? » Il ne dit pas non plus : Mais l’heure vient où ils vous tueront ; comme pour leur annoncer que la mort les consolerait de cette séparation, il dit : « Mais l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu ». Notre-Seigneur n’a pas voulu leur marquer et leur faire entendre autre chose que la joie qu’ils ressentiraient après avoir été chassés des assemblées des Juifs. Vous gagnerez tant de fidèles à Jésus-Christ, veut-il leur dire, qu’il ne leur suffira plus de vous chasser, il leur faudra vous faire mourir, de peur que par votre prédication vous ne convertissiez tout le inonde à Jésus-Christ, et que vous ne le détourniez de la pratique du judaïsme, qu’ils regardent comme la vérité divine. Car évidemment c’est des Juifs qu’il veut parler ici, comme c’est d’eux qu’il a dit : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Sans doute, certains témoins, c’est-à-dire certains martyrs de Jésus-Christ ont été mis à mort par les païens. Mais, remarquez-le, ces païens, en les mettant à mort, croyaient rendre hommage non à Dieu, mais à leurs faux dieux. Or, ceux d’entre les Juifs qui mettaient à mort les prédicateurs de Jésus-Christ, croyaient rendre hommage à Dieu ; car ils s’imaginaient que c’était abandonner le Dieu d’Israël que se convertir à Jésus-Christ. Telle fut en effet la raison qui les poussa à faire mourir Jésus-Christ lui-même. Car ce sont eux qui ont prononcé ces paroles : « Vous voyez que tout le monde court après lui[255] ! Si nous le laissons faire, les Romains viendront et ils ruineront et notre ville et notre nation ». Caïphe n’a-t-il pas dit encore : « Il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas[256] ? » Dans ce discours, Notre-Seigneur encourageait donc ses disciples par son exemple en leur disant : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi[257] », et comme en me mettant à mort ils croiront rendre hommage à Dieu, il en sera de même pour vous.
4. Voici donc le sens de ces paroles : « Ils vous mettront hors des synagogues » ; mais n’ayez pas peur de vous trouver seuls ; car à peine séparés de leur assemblée, vous réunirez un si grand nombre d’hommes en mon nom, que craignant de voir leur temple désert et tous les sacrements de l’ancienne loi abandonnés, ils vous mettront à mort et, en répandant votre sang, ils croiront rendre hommage à Dieu. C’est là ce que l’Apôtre nous dit à leur sujet : « Ils ont le zèle de Dieu, mais leur zèle n’est pas selon la science [258] » ; car ils croient rendre hommage à Dieu en mettant à mort ses serviteurs. O égarement horrible ! Eh quoi ! pour plaire à Dieu tu fais mourir ceux qui lui plaisent et tu détruis par la mort le temple vivant de Dieu, dans la crainte de voir son temple de pierre abandonné ! O aveuglement exécrable ! Mais une partie d’Israël y est tombée, afin que la plénitude des nations entrât dans l’Église. Je dis une partie d’Israël, et non pas Israël tout entier ; car toutes les branches n’ont pas été brisées ; il n’y a eu de rompus que quelques rameaux à la place desquels a été greffé le sauvageon[259]. En effet, lorsque les disciples de Jésus-Christ furent remplis du Saint-Esprit, ils se mirent à parler toutes sortes de langues, lorsque par eux furent accomplis un grand nombre de miracles divins, et qu’ils répandirent partout la parole de Dieu, Jésus quoique crucifié fut tellement aimé que ses disciples, après avoir été chassés de l’assemblée des Juifs, réunirent même d’entre les Juifs une grande multitude, et ne craignirent pas d’être seuls[260]. Pour ceux qui restèrent réprouvés et aveugles, ayant le zèle de Dieu, mais non selon la science, ils croyaient rendre hommage à Dieu en faisant mourir ses Apôtres ; mais Celui qui était mort pour eux les rassemblait ; avant sa mort il les avait instruits de ce qui devait leur arriver, car il ne voulait pas que ces maux inattendus et imprévus pussent, malgré leur peu de durée, jeter le trouble dans leurs esprits ignorants et nullement préparés à pareille épreuve. Connues d’avance et endurées patiemment, ces tribulations devaient au contraire les conduire aux biens éternels. Que telle ait été la cause de cette prédiction, c’est ce que nous indique Notre-Seigneur quand il ajoute : « Mais je vous ai dit ces choses, afin que l’heure en étant venue, vous vous rappeliez que je vous les ai dites ». Heure de ténèbres, heure nocturne. « Mais le Seigneur qui a signalé sa miséricorde dans le jour, l’a encore signalée dans la nuit [261] » ; quand la nuit des Juifs a repoussé loin d’elle le jour des chrétiens sans pouvoir l’obscurcir, et qu’elle a fait mourir leurs corps sans être à même de plonger leur foi dans les ténèbres.

QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « MAIS JE NE VOUS AI PAS DIT CES CHOSES DÈS LE COMMANDEMENT, PARCE QUE J’ÉTAIS AVEC VOUS », JUSQU’A CES MOTS : « MAIS SI JE M’EN VAIS JE VOUS L’ENVERRAI ». (Chap. 16,5-7.)[modifier]

L’ESPRIT CONSOLATEUR.[modifier]

Pendant que Jésus-Christ était avec ses Apôtres, il pouvait les consoler ; une fois éloigné d’eux, il devait leur envoyer le Paraclet pour remplir cet office à leur égard : devenus alors moins charnels, ils seraient plus à même d’avoir en eux le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et d’en éprouver la divine influence. L’Esprit-Saint, en les fortifiant au milieu de leurs épreuves, devait aussi convaincre de péché les ennemis du Sauveur.


1. Lorsque le Seigneur Jésus eut prédit à ses disciples les persécutions qu’ils auraient à souffrir après qu’il se serait séparé d’eux, il ajouta ces paroles : « Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j’étais avec vous ; mais maintenant je vais à Celui qui m’a envoyé ». Il faut d’abord voir s’il ne leur avait pas prédit auparavant les persécutions qu’ils devaient endurer. Les trois autres Évangélistes semblent indiquer qu’il les leur avait prédites avant la Cène[262]. Selon Jean, c’est après le repas qu’il leur fit cette observation : « Mais je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j’étais avec vous ». Pour résoudre cette difficulté, ne pourrait-on pas dire que les Évangélistes représentent Jésus-Christ comme étant sur le point de souffrir, au moment où il parlait ainsi ? Il ne les leur avait donc pas dites, lorsqu’il avait commencé d’être avec eux, puisqu’il ne les leur dit qu’au moment de s’en éloigner et de retourner à son Père. Ainsi donc, même selon ces Évangélistes, se trouve vraie cette parole qu’il dit ici : « Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement ». Mais alors, comment pourrons-nous ajouter foi à l’Évangile de Matthieu ? D’après lui le Seigneur n’attendit pas, pour annoncer ces choses, l’approche de sa passion, lorsqu’il allait célébrer la Pâque avec ses disciples, il les avait prédites dès le commencement, lorsqu’il choisit par leur nom ses douze Apôtres et qu’il les envoya exercer le divin ministère [263]. Que veulent donc dire ces paroles : « Mais je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j’étais avec vous ? » Le voici : Ce qu’il leur dit maintenant du Saint-Esprit, à savoir qu’il viendrait en eux et rendrait témoignage au moment où ils auraient à souffrir les maux qu’il leur annonçait, il ne le leur avait pas dit dès le commencement, parce qu’il était avec eux.
2. Ce consolateur ou avocat (car le mot grec de Paraclet veut dire l’un et l’autre) n’était donc nécessaire qu’après le départ de Jésus-Christ ; aussi ne leur en avait-il point parlé lorsqu’il avait commencé d’être avec eux, parce qu’il les consolait lui-même par sa présence. Mais comme il se trouvait sur le point de s’éloigner d’eux, il devait leur annoncer la venue de Celui qui, en répandant la charité dans leurs cœurs, leur ferait prêcher avec confiance la parole de Dieu ; en rendant témoignage à Jésus-Christ dans leurs cœurs, il leur ferait rendre aussi témoignage extérieurement, et les empêcherait de se scandaliser quand les Juifs ennemis les chasseraient de leurs synagogues et les mettraient à mort, croyant rendre hommage à Dieu : le motif de tout cela était que la charité supporte tout [264] et qu’elle devait être répandue dans leurs cœurs par le don du Saint-Esprit [265]. Le sens de tout ce passage est donc celui-ci : Parle don du Saint-Esprit, il ferait de ses disciples ses martyrs, c’est-à-dire ses témoins ; en conséquence de son opération, ils supporteraient donc les persécutions les plus cruelles, et enflammés par ce feu divin, jamais ils ne sentiraient se refroidir leur ardeur pour la prédication : « Je vous ai donc dit ces choses », ajoute-t-il, « afin que quand l’heure en sera venue, vous vous rappeliez que je vous les ai dites [266] ». Je vous ai dit ceci, c’est-à-dire, non seulement vous souffrirez ces choses, mais aussi quand le Paraclet sera venu, il rendra témoignage de moi, de peur que, redoutant ces persécutions, vous gardiez le silence ; de là il résultera que vous aussi vous rendrez témoignage de moi. « Mais je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j’étais avec vous » et que je vous consolais par ma présence corporelle, en me manifestant à vos sens d’une manière proportionnée à leur faiblesse.
3. « Mais maintenant je m’en vais à Celui qui m’a envoyé, et aucun de vous », ajoute-t-il, « ne me demande : Où allez-vous ? » Il veut dire qu’il s’en ira, mais qu’aucun d’eux n’aura besoin de lui demander où il va, parce qu’ils le verront de leurs propres yeux. Tout à l’heure ils lui avaient demandé où il devait aller, et il leur avait répondu qu’où il devait aller ils ne pouvaient le suivre maintenant[267]. Ici il promet qu’il s’en ira, mais qu’ils n’auront pas besoin de lui demander où il va. En effet, quand il s’éleva du milieu d’eux, une nuée le reçut, et ils n’eurent pas besoin de le questionner pour savoir s’il allait au ciel ; ils l’y conduisirent du regard[268].
4. « Mais parce que je vous ai dit ces choses », ajoute Notre-Seigneur, « la tristesse a rempli votre cœur ». Il voyait en effet ce que ses paroles devaient produire dans leurs cœurs. Comme ils n’avaient pas encore intérieurement la consolation que devait leur procurer l’Esprit-Saint, ils craignaient de perdre la présence visible de Jésus-Christ ; et ne pouvant douter qu’ils allaient bientôt le perdre, puisqu’il le leur disait et qu’il ne leur avait jamais rien dit que de vrai, leur tendresse humaine pour lui était contristée ; car le chagrin de ne plus le voir de leurs yeux oppressait leur cœur. Pour lui, il savait ce qui leur était plus avantageux ; il savait que bien préférable est la vue intérieure dont le Saint-Esprit devait les doter pour leur consolation, non pas en se montrant à leurs yeux avec un corps humain, mais en se répandant lui-même dans leurs cœurs par la foi. Enfin il ajoute : « Mais je vous dis la vérité, il vous est utile que je m’en aille ; car si je ne m’en vais point, le Consolateur ne viendra point en vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai ». C’est comme s’il disait : Il est utile pour vous que cette forme d’esclave soit enlevée d’auprès de vous. Verbe fait chair, j’habite au milieu de vous, sans doute ; mais je ne veux plus que vous m’aimiez d’une manière charnelle, et que contents de ce lait, vous désiriez être toujours des enfants. « Il vous est utile que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas à vous ». Si je ne vous enlève pas les aliments délicats dont je vous ai nourris jusqu’à présent, vous n’aurez pas faim d’un aliment plus solide. Si, dans les sentiments d’un amour charnel, vous vous attachez à la présence de mon corps, vous serez incapables de m’aimer selon l’Esprit. Car quel est le sens de ces paroles : « Si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai ? » Tout en restant ici, ne pouvait-il pas l’envoyer ? Qui oserait le dire ? En effet, Jésus ne s’était pas éloigné du séjour qu’habitait le Consolateur, et s’il était venu du Père, il n’avait point, pour cela, quitté le sein du Père. Bien qu’en restant ici-bas, n’aurait-il pas pu l’envoyer ? Mais au moment du baptême du Christ, nous avons vu l’Esprit-Saint descendre du ciel et se reposer sur sa tête [269]. Je ne dis pas assez : Jamais ils n’ont pu être séparés l’un de l’autre. Que signifient donc ces mots : « Si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous ? » Le voici : Vous ne pouvez recevoir l’Esprit-Saint tant que vous continuerez à ne connaître le Christ que selon la chair. C’est pourquoi l’Apôtre, qui alors avait reçu le Saint-Esprit, nous dit : « Et si nous avons connu « Jésus-Christ selon la chair, maintenant « nous ne le connaissons plus ainsi [270] ». Car il ne connaît pas selon la chair la chair même de Jésus-Christ, celui qui connaît selon l’Esprit le Verbe fait chair ; c’est ce que voulait nous apprendre le bon Maître quand il disait : « Si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai ».
5. Quand Jésus-Christ se fut éloigné corporellement de ses disciples, ils jouirent spirituellement, non seulement de la présence du Saint-Esprit, mais de celle du Père et du Fils. Car si Jésus-Christ s’était éloigné d’eux de manière à ce que le Saint-Esprit demeurât en eux à sa place et non pas avec lui, que serait devenue la promesse qu’il leur avait faite : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[271] » ; et cette autre : « Le Père et moi nous viendrons vers lui et nous ferons en lui notre demeure[272] ? » il promettait donc de leur envoyer le Saint-Esprit de telle sorte qu’il serait lui-même toujours avec eux. Ainsi, comme de charnels et de grossiers ils devaient devenir spirituels, ils devaient aussi devenir plus capables de posséder en eux le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Nous devons le croire, le Père ne peut se trouver en n’importe qui sans le Fils et le Saint-Esprit ; le Père et le Fils ne le peuvent non plus sans le Saint-Esprit, le Fils ne le peut pas davantage sans le Père et le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit, sans le Père et le Fils, en est incapable, et de même en est-il du Père et du Saint-Esprit sans le Fils. Car où est l’un d’eux, là se trouve la Trinité tout entière, un seul Dieu. Mais il fallait ainsi parler de la Trinité, afin que, sans qu’il y ait diversité de substance, la distinction des personnes fût clairement exprimée. Ceux qui l’entendent comme il faut, n’admettent aucune distinction de nature.
6. Voici ce qui suit : « Et quand il sera venu, il convaincra le monde touchant le péché, touchant la justice et touchant le jugement. Touchant le péché, parce qu’ils ne croient point en moi ; touchant la justice, parce que je m’en vais au Père et que vous ne me verrez plus, et touchant le jugement, parce que le prince de ce monde est jugé [273] ». Jésus-Christ parle ici comme s’il n’y avait de péché qu’à ne pas croire en lui ; comme si la justice consistait à ne point voir Jésus-Christ, et comme s’il n’y avait pas d’autre jugement que celui où le prince de ce monde, c’est-à-dire le diable, a été jugé. Question très-obscure qu’il n’est pas possible de développer dans ce discours ; car, en voulant l’abréger, on l’obscurcirait davantage. Remettons à un autre discours, pour l’expliquer autant que Dieu nous y aidera.

QUATRE-VINGT-QUINZIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES DE LA LEÇON PRÉCÉDENTE : « QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE TOUCHANT LE PÉCHÉ ET TOUCHANT LA JUSTICE, ETC. » (Chap. 16,8-11.)[modifier]

LE MONDE CONVAINCU.[modifier]

Jésus-Christ avait par lui-même convaincu le monde de péché, mais le Saint-Esprit devait le faire plus spécialement par les Apôtres, en les remplissant de charité et en les délivrant de toute crainte. Il devait convaincre les Juifs et les infidèles à cause de leur incrédulité en elle-même et comparée à la foi des justes qui croient sans voir Jésus-Christ homme. Il devait aussi les convaincre que le démon et tous ses imitateurs sont jugés depuis longtemps et condamnés de Dieu.


1. Au moment où il promettait d’envoyer l’Esprit-Saint, Jésus dit ces paroles : « Lorsqu’il sera venu, il convaincra le monde touchant le péché, touchant la justice et touchant le jugement ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que le Seigneur Jésus-Christ n’a pas convaincu le monde touchant le péché, lorsqu’il a dit : « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n’auraient pas eu de péché ; mais maintenant ils n’ont point d’excuses pour leur péché ? » Mais afin que personne ne puisse dire que ces dernières paroles regardent exclusivement les Juifs et ne concernent nullement le monde, n’a-t-il pas dit dans un autre endroit : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui[274] ? » Ne l’a-t-il pas convaincu touchant la justice, quand il a dit : « Père juste, le monde ne vous a pas connu [275] ? » Ne l’a-t-il pas convaincu touchant le jugement, puisqu’il assure qu’il dira à ceux qui seront placés à sa gauche : « Allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges [276] ? » Il y a dans l’Évangile beaucoup d’autres passages où Jésus-Christ convainc le monde touchant toutes ces choses ; d’où vient donc qu’il attribue cette action au Saint-Esprit comme une action qui lui est propre ? Ne serait-ce point parce que Jésus-Christ, ayant parlé exclusivement à la nation des Juifs, ne semble pas avoir convaincu le monde ; car on ne regarde comme convaincu que celui qui entend celui qui le convainc ? Mais le Saint-Esprit, par l’organe des disciples répandus dans tout l’univers, a convaincu, non pas une seule nation, mais le monde entier. C’est ce que Notre-Seigneur leur dit un peu avant de remonter au ciel : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui descendra sur vous, et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem, et dans toute la Judée, et dans Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre [277] ». C’est là convaincre le monde. Mais qui osera dire que l’Esprit-Saint convainc le monde par les disciples de Jésus-Christ, et que Jésus-Christ ne le convainc pas lui-même, lorsque l’Apôtre s’écrie : « Voulez-vous éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi [278] ? » Ceux que convainc l’Esprit-Saint, Jésus-Christ les convainc donc aussi lui-même. Mais le Saint-Esprit devait répandre dans leurs cœurs [279] la charité qui chasse dehors la crainte [280], crainte qui aurait pu les empêcher de convaincre un monde frémissant de rage et disposé à les persécuter. C’est pour cela, j’imagine, que Notre-Seigneur a dit : « C’est lui qui convaincra le monde » ; n’était-ce pas dire, en d’autres termes : C’est lui qui répandra dans vos cœurs la charité ; et par là toute crainte ayant disparu, vous aurez la liberté de convaincre ? Nous vous l’avons dit souvent : Les œuvres de la Trinité ne sont pas plus imputables à une de ses personnes qu’à une autre[281] ; mais chaque personne doit être distinguée des autres de telle sorte que nous n’introduisions aucune division dans leur unité, ni aucune confusion dans leur Trinité.
2. Le Seigneur explique ensuite ce qu’il a voulu dire par ces mots : « Touchant le péché, et touchant la justice, et touchant le jugement. Touchant le péché », dit-il, « parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Il place ce péché avant tous les autres, et comme s’il n’y en avait pas d’autre. En effet, tant que celui-là subsiste, les autres demeurent, mais s’il disparaît, les autres sont remis. « Touchant la justice », continue-t-il, « parce que je vais au Père, et bientôt vous ne me verrez plus ». Ici il faut d’abord examiner si chacun doit être convaincu touchant le péché de la même manière qu’il doit être convaincu touchant la justice. En effet, si le pécheur doit être convaincu précisément parce qu’il est pécheur, faut-il penser que le juste sera convaincu parce qu’il est juste ? Loin de là. Car si parfois le juste est convaincu, c’est qu’il le mérite. Il est écrit en effet : « Il n’est point de juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche point ». C’est pourquoi, lorsque le juste est convaincu, il est convaincu touchant le péché, et non touchant la justice. Quand nous lisons dans les divines Écritures : « Gardez-vous de devenir juste à l’excès [282] », il ne s’agit pas de la justice du sage, mais de l’orgueil du présomptueux. Celui donc qui devient trop juste, devient par là même trop injuste. Celui qui se fait trop juste est celui qui se dit sans péché, ou qui pense devoir attribuer sa justice, non pas à la grâce de Dieu, mais à la suffisance de sa volonté ; tout en vivant dans la droiture, il n’est pas juste, mais il est enflé d’orgueil, puisqu’il croit être ce qu’il n’est pas. De quelle façon le monde sera-t-il donc convaincu touchant la justice ? Il le sera touchant la justice de ceux qui croient ; il est convaincu touchant le péché, parce qu’il ne croit pas en Jésus-Christ ; et il est convaincu touchant la justice de ceux qui croient. Car, pour être condamnés, il suffira aux infidèles d’être comparés aux fidèles. C’est ce qui ressort de l’explication donnée à ce sujet par Notre-Seigneur. En effet, pour donner plus de clarté à ce qu’il vient de dire, il ajoute : « Touchant la justice, parce que je vais au Père et que bientôt vous ne me verrez plus ». Il ne dit pas : Et ils ne me verront plus, car, en parlant d’eux, il venait de dire : « Parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Lorsqu’il explique ce qu’il appelle péché, c’est d’eux qu’il parle en ce passage : « Parce qu’ils n’ont pas cru en « moi ». Mais quand il définit la justice touchant laquelle le monde doit être convaincu, il se tourne vers ceux à qui il parlait et leur dit : « Parce que je vais au Père et que bientôt vous ne me verrez plus ». Ainsi, le monde est convaincu touchant son propre péché, et touchant la justice d’autrui de la même manière que les ténèbres sont convaincues touchant la lumière. « Car », dit l’Apôtre, « tout ce qui est répréhensible est manifesté par la lumière [283] ». Combien grand est le péché de ceux qui ne croient pas, c’est ce qui peut se voir non seulement par le péché lui-même, mais encore par la vertu de ceux qui croient. Et comme les infidèles ont l’habitude de dire : Comment pouvons-nous croire ce que nous ne voyons pas, il a fallu faire connaître la justice de ceux qui croient, par ces mots : « Parce que je vais au Père, et que bientôt vous ne me verrez plus ». Bienheureux, en effet, ceux qui ne voient pas et qui croient [284]. Ceux qui ont vu Jésus-Christ n’ont pas été félicités de leur foi pour avoir cru ce qu’ils voyaient, c’est-à-dire le Fils de l’Homme ; mais pour avoir cru ce qu’ils ne voyaient pas, c’est-à-dire le Fils de Dieu. Mais lorsque sa forme d’esclave se fut elle-même dérobée à leurs yeux, alors se trouva parfaitement accomplie cette parole : « Le juste vit de la foi[285] ». « Car la foi », telle que la définit l’Epître aux Hébreux, « est la substance des choses que nous devons espérer, et la preuve de celles que nous ne voyons point ».
3. Mais pourquoi dire : « Désormais vous ne me verrez plus ? » Il ne dit pas : Je vais au Père et vous ne me verrez pas, comme s’il eût voulu indiquer le temps plus ou moins long, mais défini, pendant lequel ils seraient privés de le voir ; mais en disant : « Désormais vous ne me verrez plus », lui qui est la vérité, semble annoncer d’avance qu’ils ne le verront jamais plus. La justice consiste-t-elle donc à ne voir jamais Jésus-Christ et à croire néanmoins en lui ? Pourtant, la foi dont vit le juste n’est louée que parce qu’elle croit voir un jour Jésus-Christ qu’elle ne voit pas maintenant – Enfin, d’après cette notion de la justice, ne devrions-nous pas dire que l’apôtre Paul n’était pas juste, puisqu’il avoue avoir vu Jésus-Christ après son ascension dans le ciel [286] ; ce qui est bien le temps dont il dit : « Désormais vous ne me verrez plus ? » D’après cette notion de la justice, il n’était donc pas juste le très-glorieux Étienne qui s’écria, lorsqu’on le lapidait : « Je vois le ciel ouvert et le Fils de l’Homme se tenant à la droite de Dieu [287] ? » Que signifie donc ce passage : « Je vais au Père et désormais vous ne me verrez plus ? » Vous ne me verrez plus tel que je suis en ce moment où je me trouve avec vous. Alors, en effet, il était encore mortel et revêtu d’une chair semblable à celle du péché [288], il pouvait éprouver la faim et la soif, être fatigué et dormir. Voilà Jésus-Christ tel qu’il était et tel qu’ils ne devaient plus le voir lorsqu’il aurait passé de ce monde à son Père. En cela consiste la vraie justice de la foi, dont parle l’Apôtre : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant ». Ce sera donc par votre justice, continue Notre-Seigneur, que le monde sera convaincu, « parce que je vais au Père, et que désormais vous a ne me verrez plus » ; car vous croirez en moi, bien que vous ne me voyiez plus ; et quand vous me verrez tel que je serai, vous ne me verrez pas tel que je suis maintenant au milieu de vous : vous me verrez non pas humilié, mais exalté ; vous me verrez non pas mortel, mais éternel ; vous me verrez non pas sur le point d’être jugé, mais prêt à juger, et par cette foi qui sera la vôtre, c’est-à-dire par votre justice, l’Esprit-Saint convaincra le monde d’incrédulité.
4. Il le convaincra aussi « touchant le jugement, parce que le prince de ce monde a été jugé ». Quel est ce prince du monde ? Évidemment celui dont il dit en un autre endroit : « Voici que le prince du monde vient, et il ne trouvera rien en moi [289] » ; c’est-à-dire rien qui lui donne droit sur moi, rien qui lui appartienne ; c’est-à-dire encore, aucun péché. C’est par le péché seul, en effet, que le diable est prince du monde. Car le diable n’est le prince ni du ciel, ni de la terre, ni de tout ce qu’ils renferment, s’il s’agit du monde entendu dans le sens dans lequel l’Évangéliste emploie ce mot, quand il dit : « Et le monde a été fait par lui » Le diable est le prince du monde ; oui, mais de ce monde à l’endroit duquel l’Évangéliste ajoute : « Et le monde ne l’a pas connu [290] » ; car il veut désigner par là les hommes infidèles dont le monde entier est rempli, au milieu desquels gémit le monde fidèle ou ceux qu’a choisis d’entre le monde Celui par qui le monde a été fait, et dont il dit lui-même : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour juger le monde, mais pour que le monde fût sauvé par lui [291] ». Le monde est jugé et condamné par lui ; le monde est secouru et sauvé par lui. Car comme un arbre est couvert de feuilles et de fruits, comme une aire est remplie de paille et de grains, ainsi le monde est plein d’infidèles et de fidèles. Le prince de ce monde, c’est donc le prince de ces ténèbres, c’est-à-dire des infidèles, du milieu desquels est arraché le monde de ceux à qui il est dit : « Vous avez été autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur [292] ». C’est le prince de ce monde dont il est dit ailleurs : « Maintenant, le prince de ce monde a été jeté dehors [293] ». Certainement il a été jugé, et par suite de son jugement il a été irrévocablement destiné au feu éternel. C’est touchant ce jugement par lequel a été jugé le prince de ce monde, que le Saint-Esprit convaincra le monde ; car il sera jugé avec son prince, qu’il imite dans son orgueil et son impiété. « Car si Dieu », comme dit l’apôtre Pierre, « n’a point épargné les anges qui ont péché, mais en les repoussant dans les prisons ténébreuses de l’enfer, il a voulu les conserver pour les juger et les punir [294] » ; comment le Saint-Esprit ne convaincrait-il pas le monde de ce jugement, quand c’est par l’inspiration du Saint-Esprit lui-même que l’Apôtre a ainsi parlé ? Que les hommes croient donc en Jésus-Christ, afin de n’être pas convaincus touchant le péché de leur infidélité, qui retient tous les autres péchés : qu’ils passent au nombre des fidèles, afin de n’être pas convaincus touchant leur justice, qu’ils n’auront pas imitée ; qu’ils prennent garde au jugement à venir, afin de n’être point jugés avec le prince de ce monde, qu’ils imitent, quoiqu’il ait été jugé. Car pour empêcher le funeste orgueil des hommes de croire qu’on lui pardonnerait, il a fallu l’effrayer par le supplice des anges superbes.

QUATRE-VINGT-SEIZIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « J’AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE ; MAIS VOUS NE POUVEZ LES PORTER MAINTENANT : MAIS QUAND CET ESPRIT DE VÉRITÉ SERA VENU, IL VOUS ENSEIGNERA TOUTE VÉRITÉ ». (Chap. 16, 12-13.)[modifier]

IMPOSSIBILITÉ DE TOUT COMPRENDRE.[modifier]

Jésus avait des choses à dire à ses Apôtres ; mais ils ne pouvaient encore les porter : était-ce parce qu’ils n’étaient pas encore assez courageux pour mourir en faveur de la foi ? Quelles étaient ces choses ? Nous n’en savons rien, et ce serait de notre part une impardonnable témérité de prétendre le deviner et le dire. Contentons-nous d’avoir en nous l’esprit de charité qui nous disposera, pour le jour de l’éternité, à voir Dieu face à face dans le ciel, et à contempler ce que nous ne pouvons porter maintenant.


1. Dans ce chapitre du saint Évangile, où le Seigneur dit à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », la première question à examiner est celle-ci : Comment, après avoir dit plus haut : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître [295] », peut-il dire en cet endroit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ? » Comment il a pu parler de ce qu’il n’avait pas encore fait comme d’une chose faite, à la manière dont le Prophète témoigne que Dieu agit pour les choses à venir, lorsqu’il dit : « Il a fait les choses qui doivent arriver[296] », c’est ce que nous vous avons exposé, comme nous avons pu, en expliquant ces paroles de Notre-Seigneur. Maintenant vous voulez, sans doute, savoir quelles sont ces choses que les Apôtres ne pouvaient pas encore porter. Mais qui de nous osera se dire capable de comprendre ce que les Apôtres ne pouvaient comprendre ? N’attendez donc pas de moi que je vous dise des choses que je ne comprendrais peut-être pas, si un autre me les disait ; et que vous ne pourriez comprendre vous-mêmes, lors même que je serais assez capable pour vous dire des choses aussi élevées au-dessus de vous. Sans doute, il peut se trouver parmi vous des personnes capables de comprendre ce que les autres ne peuvent pas saisir. Et si elles ne peuvent comprendre toutes les choses auxquelles le divin Maître faisait allusion quand il disait : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire » ; peut-être en comprendront-elles quelques-unes. Mais quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n’a pas dites ? Il serait téméraire de vouloir les deviner et les dire. Les Apôtres n’étaient pas encore capables de mourir pour Jésus-Christ, au moment où il leur disait : « Vous ne pouvez me suivre maintenant ». Aussi le premier d’entre eux, Pierre, qui eut la présomption de croire qu’il le pouvait, fit tout le contraire de ce qu’il pensait [297] ; et cependant, dans la suite, et des hommes et des femmes, et des enfants et des jeunes filles, des jeunes gens et des vierges, des vieillards et des adolescents innombrables ont reçu la couronne du martyre, et il s’est trouvé que les brebis ont pu ce que les pasteurs ne pouvaient pas porter, quand le Seigneur leur parlait ainsi. Fallait-il, au moment où ces brebis se trouvaient obligées de combattre jusqu’à la mort pour la vérité, et de répandre leur sang pour le nom et la doctrine de Jésus-Christ, fallait-il donc leur dire : Qui d’entre vous osera se croire propre au martyre, puisque Pierre n’en était pas encore capable, même lorsque le Christ l’instruisait de sa propre bouche ? Ainsi, me dira quelqu’un, aux fidèles chrétiens qui désirent savoir quelles sont ces choses dont le Seigneur disait alors : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », il ne faut pas répondre : Si les Apôtres ne pouvaient pas les porter, encore moins le pouvez-vous ; car peut-être plusieurs pourront entendre ce que Pierre ne pouvait encore entendre ; de même que plusieurs peuvent souffrir le martyre, ce que Pierre ne pouvait pas encore souffrir : ils le pourront d’autant mieux que le Saint-Esprit est venu en eux, tandis qu’il n’avait pas encore été envoyé alors, et que Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Mais quand sera venu cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité ». Par là, en effet, il leur montrait que s’ils ne pouvaient porter ce qu’il avait à leur dire, c’est que l’Esprit-Saint n’était pas encore venu en eux.
2. Maintenant, le Saint-Esprit est descendu sur les fidèles ; donc accordons pour un instant qu’ils peuvent porter les choses que les disciples ne pouvaient porter, avant d’avoir reçu le Paraclet : en sommes-nous pour cela plus avancés ? En savons-nous mieux quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n’a pas voulu dire ? Sans doute, nous les saurions s’il nous les avait dites, et si, par conséquent, nous les lisions ou les entendions lire. Car autre chose est de savoir si vous ou moi nous pouvons les porter ; autre chose est de savoir ce qu’elles sont, qu’elles puissent ou ne puissent pas être portées. Et comme Notre-Seigneur a gardé le silence, qui de nous pourra dire : C’est telle ou telle chose ? ou si quelqu’un ose le dire, comment le prouvera-t-il ? Qui est assez vain ou téméraire, quand il aurait dit des choses vraies à qui il aura voulu et comme il aura voulu, pour affirmer, sans s’appuyer sur aucun témoignage divin, que ce sont bien réellement les choses qu’alors le Seigneur a voulu taire ? Qui de nous osera agir ainsi ? Ne serait-ce pas nous rendre coupables d’une très-grande témérité, puisqu’en nous ne se trouve l’autorité ni des Prophètes, ni des Apôtres ? En effet, il ne nous suffirait pas de l’avoir lu dans les livres revêtus de l’autorité canonique, qui ont été écrits après l’ascension du Seigneur ; ce ne serait rien de l’avoir lu ; il y faudrait encore lire en même temps que c’est là une de ces choses que le Seigneur ne voulut pas alors dire à ses disciples, parce qu’ils ne pouvaient les porter. Prenons pour exemple ce que nous lisons au commencement de cet Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était a en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était au commencement en Dieu [298] » ; et ce qui suit. Ces paroles ont été écrites après sa mort ; il n’est pas dit que le Seigneur Jésus les ait prononcées pendant qu’il était sur cette terre ; mais un de ses Apôtres les a écrites sous l’inspiration du Saint-Esprit ; si je disais que ces paroles sont de celles que le Seigneur n’a pas voulu dire alors, parce que ses disciples ne pouvaient les porter, qui est-ce qui en écouterait parler avec une telle témérité ? Mais si l’Apôtre lui-même l’affirme en rapportant ces paroles, qui est-ce qui refuserait de croire à un témoignage pareil ?
3. Il est aussi, ce me semble, singulièrement absurde de dire que les disciples ne pouvaient alors porter ce que nous trouvons sur les choses invisibles et sublimes dans les lettres écrites par les Apôtres après l’Ascension, et dont il n’est pas rapporté que c’est le Seigneur qui les leur a apprises, pendant qu’il était avec eux. Pourquoi alors n’auraient-ils pas pu porter des choses que chacun peut lire dans leurs livres, que chacun peut porter, quand même il ne les comprendrait pas ? À la vérité, il y a, dans les saintes Écritures, plusieurs choses que les infidèles ne peuvent comprendre lorsqu’ils les lisent ou les entendent, et qu’ils ne peuvent porter lorsqu’ils les ont lues ou entendues. Ainsi les païens ne peuvent comprendre que le monde a été fait par un crucifié ; ainsi les Juifs ne comprennent pas que Celui qui n’observe pas le sabbat, comme eux, soit le Fils de Dieu ; ainsi les Sabelliens ne comprennent pas que la Trinité est Père, Fils et Saint-Esprit ; les Ariens, que le Fils est égal au Père, et le Saint-Esprit égal au Père et au Fils ; les Photiniens, que Jésus-Christ est non pas seulement un homme semblable à nous, mais encore Dieu égal à Dieu le Père ; les Manichéens, que Jésus-Christ, par qui doit s’opérer notre délivrance, a daigné naître de la chair et dans la chair ; et tous les autres hommes engagés dans des sectes perverses et différentes ne peuvent supporter tout ce qui, dans les saintes Écritures et dans la foi catholique, se trouve contraire à leurs erreurs : ainsi en est-il de nous ; nous ne pouvons supporter leurs vanités sacrilèges ni leurs folies mensongères. Qu’est-ce, en effet, que ne pouvoir porter une chose ? C’est ne pas la regarder d’une âme égale ! Mais tout ce qui, après l’ascension du Seigneur, a été écrit avec la vérité et l’autorité canonique, où est le fidèle, où est le catéchumène privé encore de l’Esprit-Saint, puisqu’il ne l’a pas encore reçu par le baptême, qui ne le lise ou ne l’entende lire avec plaisir ; bien qu’il ne le comprenne pas encore comme il faut ? Comment les Apôtres, même avant de recevoir le Saint-Esprit, n’auraient-ils pas pu porter quelqu’une des choses qui ont été écrites après l’ascension du Seigneur, puisque maintenant les catéchumènes les portent toutes, même avant de recevoir le Saint-Esprit ? Car, si on ne leur explique pas les mystères révélés aux fidèles, ce n’est point qu’ils ne puissent les porter ; mais en voilant ces mystères à leurs yeux et en les enveloppant d’un secret respectueux, on veut leur inspirer un désir plus ardent de les connaître.
4. C’est pourquoi, mes très-chers, ne vous attendez pas à ce que nous vous parlions des choses que le Seigneur n’a pas voulu alors dire à ses disciples, parce qu’ils ne pouvaient encore les porter ; avancez-vous plutôt dans « la charité répandue en vos cœurs par l’Esprit-Saint qui vous a été donné[299] » ; par là, votre esprit se remplira de ferveur, votre cœur aimera les choses spirituelles ; ainsi pourrez-vous saisir cette lumière et cette voix spirituelles, que les hommes charnels ne peuvent supporter, qui ne brille nullement aux yeux du corps, qui ne fait entendre aucun bruit aux oreilles du corps, mais qui se manifeste à la vue et à l’ouïe intérieures de l’âme ; car on n’aime pas ce qu’on ignore entièrement. Mais comme on aime ce que l’on connaît même faiblement, l’amour fait qu’on en vient à connaître mieux et plus entièrement. Si donc vous faites des progrès dans la charité que l’Esprit-Saint répand dans vos cœurs, « il vous enseignera toute vérité » ; ou selon que portent d’autres textes, « il vous conduira dans toute vérité ». C’est pourquoi il a été dit : « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité[300] ». Et ainsi vous n’aurez point pour maîtres des personnes qui vous parlent extérieurement pour vous apprendre ce que le Seigneur n’a pas voulu dire alors ; Dieu lui-même vous instruira[301]. De la sorte, tout ce que vos lectures et les discours dont vos oreilles ont retenti, vous ont appris, et tout ce que vous avez cru touchant la nature de Dieu, qui n’est ni corporelle, ni renfermée enun lieu, ni étendue comme une grande masse dans des espaces infinis, mais qui est tout entière partout et parfaite et infinie, vous pourrez vous en faire une idée, salis avoir recours ni à l’éclat des couleurs, ni aux figures formées par des lignes, ni aux sons des lettres, ni à une suite de syllabes ; vous pourrez le comprendre par l’intermédiaire seul de votre intelligence. Mais ce que je vous dis est peut-être du nombre des choses que le Christ n’a pas voulu dire à ses Apôtres, et cependant, vous l’avez reçu ; et non seulement vous avez pu le porter, mais vous l’avez entendu avec plaisir. Lorsqu’il parlait encore extérieurement à ses disciples, le Christ leur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant » ; pourtant, si ce maître intérieur voulait nous dire ce que je viens de dire sur la nature incorporelle de Dieu, et nous le dire intérieurement comme il le dit aux saints anges, qui voient toujours la face du Père [302], nous ne pourrions pas encore le porter. Aussi, je ne pense pas que cette parole : « Il vous enseignera toute vérité », ou bien, « il vous conduira dans toute vérité », puisse s’accomplir en cette vie dans l’âme de chacun. (Car, quel homme vivant dans ce corps qui se corrompt et qui appesantit l’âme[303], peut connaître toute vérité, puisque l’Apôtre nous dit : « Nous ne connaissons qu’en partie ? ») Mais par le Saint-Esprit, dont nous recevons le gage dès à présent[304], nous parviendrons un jour à la plénitude parfaite de la science dont nous parle le même Apôtre, lorsqu’il dit : « Mais alors nous verrons Dieu face à face », et encore : « Maintenant je ne le connais qu’en partie, mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui [305] ». Paul voulait dire qu’en cette vie nous ne savons pas tout ; c’est là un degré de perfection que le Seigneur nous a promis pour l’avenir, comme un effet de la charité de l’Esprit-Saint ; car il nous a dit : « Il vous enseignera toute vérité » ; ou bien : « Il vous conduira dans toute vérité ».
5. Cela étant, mes très-chers frères, je vous avertis, dans la charité de Jésus-Christ, d’éviter les séducteurs impurs et les sectes saturées de turpitude dont l’Apôtre dit : « Mais ce qu’ils font en secret, il est honteux de le dire[306] ». Après vous avoir enseigné ces impuretés horribles, que les oreilles humaines, quelles qu’elles soient, ne peuvent souffrir, ils pourraient nous dire que ce sont les choses dont le Seigneur a dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ». Ils seraient capables de prétendre que c’est par l’influence du Saint-Esprit qu’on peut supporter ces choses immondes et indicibles. Il y a des choses mauvaises que la pudeur humaine, toute petite soit-elle, ne peut supporter ; il y a aussi des choses bonnes que le sens humain ne peut porter, parce qu’il est écourté. Les premières se rencontrent dans les corps impudiques, les dernières se trouvent éloignées de toute espèce de corps : les unes sont commises par la chair impure, les autres sont à peine comprises par les purs esprits. « Renouvelez-vous donc dans l’esprit de votre âme [307], et comprenez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait [308], afin qu’enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de ce mystère, et connaître aussi la charité de Jésus-Christ qui surpasse toute science, afin que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu [309] ». Le Saint-Esprit vous enseignera toute vérité, en répandant de plus en plus la charité dans vos cœurs.

QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR LA MÊME LEÇON.[modifier]

SE DÉFIER DES FAUX DOCTEURS.[modifier]

Qui est-ce qui peut comprendre Dieu ? Personne. Nous pouvons en approcher plus ou moins, mais nous ne le verrons tel qu’il est qu’au ciel. Par conséquent, mettons-nous en garde contre les discours de gens gâtés, qui n’en savent pas plus que nous et qui cherchent à porter atteinte à notre foi et à nos mœurs.


1. Le Sauveur promit à ses disciples de leur envoyer le Saint-Esprit : c’était lui qui devait leur enseigner toutes les vérités, même celles qu’ils ne pouvaient pas porter au moment où il leur parlait ; c’est de lui que l’Apôtre nous a dit que « nous en recevons maintenant les arrhes [310] », pour nous faire comprendre que la plénitude nous en est réservée dans l’autre vie ; c’est ce même Esprit-Saint qui enseigne aux fidèles les choses spirituelles, autant que chacun peut les porter ; c’est lui qui enflamme leurs cœurs d’un plus vif désir, et leur fait faire des progrès dans cette charité qui fait aimer ce qu’on connaît, et désirer ce qu’on ne connaît pas assez ; néanmoins, ce que nous connaissons maintenant, n’importe à quel degré, nous devons savoir que nous ne le connaissons pas comme nous le connaîtrons dans cette vie que 1'œil n’a point vue, que l’oreille n’a point entendue et que le cœur de l’homme n’a point conçue [311]. Si le maître intérieur voulait dès maintenant nous dire ces choses, comme nous les comprendrons plus tard, c’est-à-dire les découvrir et les montrer à notre âme, la faiblesse humaine ne pourrait les porter. Votre charité doit se rappeler ce que je vous ai dit, lorsque j’ai expliqué ces paroles que le Sauveur nous adresse dans le saint Évangile : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ». Dans ces paroles du Seigneur nous ne devons pas soupçonner je ne sais quels secrets cachés que le maître aurait bien pu dire, mais que les disciples n’auraient pu porter ; nous devons y voir seulement ces vérités de la doctrine chrétienne, que tout le monde connaît, que nous lisons, que nous écrivons, que nous Écoutons et que nous répétons ; et ces vérités, si Jésus-Christ voulait nous les dire de la manière dont il les dit aux saints anges, en lui-même, Verbe unique du Père et coéternel au Père, personne ne pourrait les porter, fût-on spirituel autant que les Apôtres l’étaient peu, lorsque le Seigneur leur adressait ces paroles, et autant qu’ils le devinrent par l’effet de la descente du Saint-Esprit. Évidemment, tout ce qu’on peut savoir de la créature est au-dessous du Créateur lui-même ; car il est Dieu souverain, véritable et immuable. Or, qui est-ce qui tait son nom ? Ce nom ne se trouve-t-il point sur les lèvres de ceux qui lisent et de ceux qui disputent, de ceux qui interrogent et de ceux qui répondent, de ceux qui louent et de ceux qui chantent des cantiques ; en un mot, de tous ceux qui parlent et enfin même de ceux qui blasphèment ? Toutefois, quoique personne ne taise son nom, quel est celui qui le comprend comme il doit être compris, bien qu’il se rencontre dans la bouche et dans les oreilles de tous les hommes ? Quel est l’homme dont l’esprit, même en ce qu’il a de plus pénétrant, puisse en approcher ? Où est l’homme capable de savoir qu’il est Trinité, s’il n’avait voulu se faire connaître sous ce rapport ? Quoique personne ne taise le nom de la Trinité, quel est l’homme qui comprenne la Trinité comme la comprennent les anges ? Les choses que tous les jours et publiquement on ne cesse de dire sur l’éternité, sur la vérité et sur la sainteté de Dieu, sont donc bien comprises par les uns et mal comprises par les autres. Ou plutôt, elles sont comprises par les uns et non comprises par, les autres. Celui en effet qui comprend mal, ne comprend réellement pas ; et même chez ceux qui comprennent bien, la vivacité de l’esprit fait que les uns voient mieux et les autres moins bien ; et, en tous cas, nul homme ne comprend comme comprennent les anges. Donc dans l’âme elle-même, c’est-à-dire dans l’homme intérieur, s’opère un certain accroissement en vertu duquel non seulement il passe du lait à une nourriture plus solide, mais il prend cette nourriture en quantité toujours plus grande. Il ne croît pas en volume et en dimension, mais en intelligence lumineuse ; car cette nourriture est une lumière de l’âme. Si donc vous voulez croître et comprendre Dieu, si vous voulez d’autant plus le comprendre que vous croîtrez davantage, vous devez le demander et l’attendre non d’un maître qui parle à vos oreilles, c’est-à-dire qui par son travail extérieur plante et arrose, mais de celui qui donne l’accroissement [312].
2. Aussi, comme je vous en ai avertis, dans le discours précédent, prenez bien garde, vous surtout qui êtes de petits enfants et qui avez besoin d’être nourris de lait, prenez garde à ces hommes qui, trompés par ces paroles du Seigneur : « J’ai encore beaucoup de choses « à vous dire, mais vous ne pouvez les porter « maintenant n, prennent de là occasion, de tromper les autres ; ne leur prêtez pas une oreille curieuse d’apprendre des choses inconnues, car vos esprits sont trop faibles pour discerner le vrai du faux ; défiez-vous d’eux, particulièrement à cause des turpitudes pleines d’obscénité que Satan a apprises à ces âmes chancelantes et charnelles. Dieu a permis qu’il en fût ainsi d’elles, afin que partout ses jugements devinssent un sujet – de crainte et qu’en comparaison de ces impures iniquités la douceur de la pure discipline fût goûtée par tous ; c’était aussi afin de donner bonheur, crainte ou confusion à celui qui, soutenu par lui, n’est pas tombé dans ces abîmes, ou qui, relevé par lui, a pu en sortir. Prenez garde, craignez et priez ; par là vous éviterez le malheur de vous voir appliquer cette parabole de Salomon : « Une femme folle et audacieuse, n’ayant plus de pain », appelle les passants en disant « Prenez avec plaisir des pains cachés et goûtez la douceur des eaux dérobées[313] ». Cette femme, c’est la vanité des impies qui, malgré leur ignorance profonde, s’imaginent savoir quelque chose ; car il est dit d’elle qu’elle n’a point de pain : « n’ayant « point de pain n, elle promet cependant du pain ; c’est-à-dire qu’elle ignore la vérité et qu’elle promet néanmoins de donner la science de la vérité. Elle promet des pains cachés, et, à l’entendre, on les prend avec plaisir ; elle promet la douceur des eaux dérobées, afin qu’on écoute et qu’on fasse avec plus de plaisir et de douceur ce qu’il est publiquement défendu, dans l’Église, de dire et de croire. C’est par ce secret que ces docteurs d’iniquité assaisonnent pour ainsi dire les poisons qu’ils donnent aux curieux ; par là ceux-ci croient apprendre quelque chose d’important, puisqu’il mérite qu’on en fasse mystère, et ils avalent avec plus de plaisir une folie qu’ils considèrent comme une science dont ils dérobent en quelque sorte la connaissance prohibée.
3. Ainsi la science des arts magiques rend ses abominables rites eux-mêmes recommandables aux hommes qu’elle a séduits ou qu’elle veut séduire par une curiosité sacrilège. De là ces divinations illicites par l’inspection des entrailles des animaux qu’ils égorgent, par les cris et le vol des oiseaux, ou par d’autres signes de toute espèce que les démons leur enseignent et dont ces hommes perdus chatouillent les oreilles de ceux qu’ils veulent perdre. C’est à cause de ces mystères illicites et répréhensibles que cette femme est appelée non seulement insensée, mais encore audacieuse. Car ces choses sont étrangères non seulement à la réalité, mais au nom même de notre religion. Que dire donc de cette femme insensée et audacieuse qui, sous le nom de Christianisme, a produit tant de détestables hérésies et imaginé tant de fables impies ? Plût à Dieu que ces fables fussent de même nature que celles qu’on représente sur le théâtre par le chant, par la danse ou par une mimique bouffonne. Si seulement ce qu’ils ont pu imaginer contre Dieu n’était point de caractère à nous empêcher de savoir s’il faut plaindre leur folie ou admirer leur audace ! Or, tous les hérétiques, même les plus insensés, veulent garder le nom de chrétiens, et pour colorer l’audace de leurs impostures, dont le sentiment humain a horreur, ils se servent de ce passage de l’Évangile, où le Seigneur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant » ; comme si c’était leur doctrine que les disciples ne pouvaient porter alors et que le Saint-Esprit eût enseigné ces choses que l’Esprit immonde, malgré son audace, n’ose pas enseigner et prêcher ouvertement.
4. Ce sont ces hérétiques que l’Apôtre, éclairé du Saint-Esprit, voyait à l’avance et dont il a dit : « Car un temps viendra où ils ne souffriront point la saine doctrine, mais ils assembleront des maîtres selon leurs désirs, qui chatouilleront leurs oreilles ; et ils détourneront leur attention de la vérité, et ils se tourneront vers les fables[314] ». Ce souvenir de mystère et de larcin, amené par ces mots : « Prenez avec plaisir des pains cachés et goûtez la douceur des eaux dérobées », fait naître dans l’oreille de ceux qui tombent dans la fornication spirituelle, une démangeaison pareille au prurit voluptueux qui fait perdre dans la chair l’intégrité de la chasteté. Écoute l’Apôtre, voici comme il prévoyait ces choses et nous conseillait sage ment de les éviter : « Evitez », dit-il, « les paroles nouvelles et profanes ; car elles conduisent bien loin dans l’impiété, et leur doctrine s’étend comme un chancre [315] ». Et il ne dit pas : les paroles nouvelles ; mais il ajoute : « et profanes ». Car il y a des paroles nouvelles qui conviennent à la doctrine de la religion. Ainsi peut-on dire qu’il en a été du nom de chrétiens, quand il a commencé à s’établir : Ce fut à Antioche que les disciples, après l’ascension du Seigneur, furent pour la première fois appelés chrétiens ; c’est ce que nous apprennent les Actes des Apôtres [316]. Les hôpitaux et les monastères furent dans la suite appelés de noms nouveaux ; mais les choses elles-mêmes existaient avant les noms ; elles s’appuient sur la vérité de la religion, qui nous aide à les défendre contre les méchants. Contre l’impiété des hérétiques ariens on a formé le nom de consubstantiel (homousion) au Père ; mais par ce nom on n’a pas désigné une chose nouvelle. On appelle, en effet, consubstantiel, ce qui est d’une seule et même substance : « Le Père et moi, nous sommes une seule chose [317] ». De fait, si toute nouveauté était profane, le Seigneur n’aurait pas dit : « Je vous donne un commandement nouveau [318] » ; son Testament ne serait pas appelé nouveau, et par toute la terre on ne chanterait pas un cantique nouveau. Mais les nouveautés profanes, ce sont les paroles que dit cette femme insensée et audacieuse : « Prenez avec plaisir des pains cachés, et goûtez la douceur des eaux dérobées ». L’Apôtre nous prémunit contre ces promesses de fausse science, lorsqu’il dit : « O Timothée, garde le dépôt en évitant les nouveautés profanes de paroles et les contradictions d’une science faussement nommée science. Quelques-uns l’ayant promise, se sont écartés de la foi [319] ». Car ces hérétiques n’aiment rien tant que promettre la science et se moquer comme d’une sottise de la foi aux choses vraies que doivent croire les enfants.

5. Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas certains points de doctrine que les hommes spirituels taisent aux hommes charnels, et qu’ils enseignent aux hommes spirituels ? Si je réponds non, aussitôt on m’objectera les paroles que nous lisons dans l’épître de l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes encore charnels. Comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non une nourriture plus solide. Car vous ne pouviez pas la supporter. À présent même vous ne le pouvez pas encore, car vous êtes encore charnels [320] ». On m’objectera aussi ce passage : « Nous prêchons la sagesse au milieu « des parfaits » ; et cet autre : « Aux hommes spirituels nous donnons les choses spirituelles ; mais l’homme animal ne conçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ; c’est pour lui une folie[321] ». Quoi qu’il en soit, il ne faut point profiter non plus de ces paroles de l’Apôtre, pour chercher des mystères sous les nouveautés profanes des mots ; on ne doit pas dire que les hommes charnels ne peuvent porter ce que tout homme chaste d’esprit et de corps doit éviter : c’est ce qu’il nous faudra, si Dieu nous l’accorde, montrer dans un autre discours, car il est grand temps de terminer celui-ci.

QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR LA MÊME LEÇON.[modifier]

LAIT ET ALIMENTS SOLIDES.[modifier]

L’enseignement catholique est le même pour tous, mais tous ne le saisissent pas de la même manière ; les uns le comprennent mieux, les autres ne le comprennent pas aussi parfaitement. Ce que les uns comprennent s’appelle la nourriture des spirituels, des parfaits : ce que les autres ne comprennent guère se nomme le lait des enfants, des charnels ; à ce défaut d’intelligence, ils suppléent par la foi. On leur dit des choses relevées pour leur prêcher la croyance Catholique, mais on ne peut s’y appesantir dans la crainte de les surcharger, tandis qu’aux spirituels on peut en parler à l’aise. Il n’y a donc aucune opposition entre un enseignement moins haut et une doctrine plus élevée, si tous deux restent conformes à la foi ce à quoi il faut faire attention de part et d’autre.

1. De ce passage où Notre-Seigneur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », est née une difficulté sérieuse que je me souviens d’avoir remise, pour la traiter plus à loisir ; car la longueur de mon précédent discours m’avait obligé de le terminer là. C’est donc le moment de tenir ma promesse : je tâcherai de le faire comme Dieu m’en fera la grâce, puisqu’il a mis dans mon cœur la pensée de l’entreprendre. Voici la question Les hommes spirituels ont-ils dans leur doctrine des maximes qu’ils cachent aux hommes charnels et qu’ils découvrent aux hommes spirituels ? Si nous disons : ils n’en ont point ; on nous répondra : Que signifie donc ce que disait l’Apôtre dans son épître aux Corinthiens : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ; mais comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non une nourriture plus forte ; car vous ne pouviez encore les supporter ; et même maintenant vous ne le pouvez pas, car vous êtes encore charnels [322] ? » Si, au contraire, nous répondons oui, il est à craindre et il faudrait y prendre garde, qu’on en prenne occasion d’enseigner en secret des choses mauvaises ; sous le nom de spirituelles on les ferait passer pour des choses placées bien au-dessus des hommes charnels, et, par ce moyen, non seulement on les justifierait, mais on les glorifierait en les annonçant.
2. D’abord, votre charité doit le savoir, c’est de Jésus-Christ crucifié que l’Apôtre affirme avoir nourri ces petits enfants comme d’un lait proportionné à leur faiblesse. Or, son corps, qui est véritablement mort après avoir été criblé de blessures, son sang qui s’est échappé de ses plaies, les hommes charnels ne s’en font pas la même idée que les hommes spirituels : pour ceux-là, son humanité n’est encore que du lait ; pour ceux-ci, elle est une nourriture solide ; car, bien qu’à son sujet ils n’en entendent pas plus que les autres, ils y comprennent néanmoins davantage. En chacun l’âme ne perçoit pas d’une manière égale ce que la foi donne à tous dans une égale mesure. Aussi Jésus crucifié et prêché par les Apôtres a-t-il été pour les Juifs un scandale, pour les Gentils une folie, et pour ceux qui étaient appelés soit juifs, soit gentils, la force et la sagesse de Dieu [323]. Pareils à des enfants, les hommes charnels recevaient leurs enseignements uniquement par la foi qu’ils y ajoutaient : les spirituels étant plus capables les considéraient en même temps avec les yeux de leur intelligence. Pour les premiers, c’était une sorte de lait ; pour les autres, c’était une nourriture solide. Non pas que ces vérités aient été prêchées publiquement aux uns, et annoncées secrètement aux autres. Mais ce que tous entendaient également, puisqu’on le leur prêchait en public, chacun le comprenait selon sa capacité particulière. Jésus-Christ a été crucifié et il a répandu son sang pour la rémission des péchés, et cette passion du Fils unique de Dieu nous montre le prix de la grâce divine. Personne donc ne doit se glorifier dans l’homme ; mais comment comprenaient-ils Jésus crucifié, ceux qui disaient : « Moi je suis de Paul[324] ? » Le comprenaient-ils de la même manière que Paul lui-même ? Cet Apôtre disait : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ[325] ! » De Jésus-Christ crucifié il tirait donc une nourriture solide pour lui-même et selon sa capacité, et il nourrissait les Galates d’un lait proportionné à leur faiblesse. Enfin, il savait que ce qu’il écrivait aux Corinthiens pourrait être compris d’une manière par les spirituels, par les plus capables, et d’une autre par ceux qui étaient plus faibles ; aussi leur dit-il, « Si quelqu’un parmi vous pense être prophète ou spirituel, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est le commandement du Seigneur. Mais si quelqu’un veut l’ignorer, il sera ignoré lui-même[326] ». Il voulait donc que la science des spirituels fût solide et qu’ils eussent non seulement la foi, mais encore une connaissance certaine. Ainsi les hommes charnels croyaient les mêmes choses que les spirituels, sans en avoir, comme eux, l’intelligence. « Celui qui l’ignore », dit-il, « sera ignoré » ; parce qu’il ne lui a pas encore été donné de comprendre ce qu’il croit. Lorsque pareille chose arrive dans l’âme de l’homme, on dit que cet homme est connu de Dieu, parce que Dieu lui fait la grâce de le connaître, ainsi qu’il est dit ailleurs : « Mais maintenant connaissant Dieu, ou plutôt connu par Dieu [327] ». Car ce n’est pas d’alors que Dieu les connaissait, puisqu’il les avait connus et élus avant la création du monde [328]; mais alors il se faisait connaître d’eux.
3. Nous le savons donc déjà, les vérités que les spirituels et les charnels entendent en même temps, ils les prennent chacun selon sa capacité, ceux-ci comme des petits enfants, ceux-là comme des hommes faits ; ceux-ci comme un lait qui les nourrit, ceux-là comme un aliment solide ; il n’y a, par conséquent, aucune nécessité de tenir secrètes quelques parties de la doctrine et de les cacher aux fidèles peu avancés, pour les faire connaître exclusivement à ceux qui sont plus grands, c’est-à-dire plus avancés. N’allez pas croire qu’il faille agir ainsi à cause de ce que dit l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des spirituels, mais comme à des charnels ». En effet, s’il a dit de lui-même qu’il ne savait parmi eux que Jésus, et Jésus crucifié[329], il n’a pu le leur dire comme à des hommes spirituels ; il l’a dit comme à des hommes charnels, parce qu’ils ne pouvaient le comprendre en hommes spirituels. Mais tous ceux d’entre eux qui étaient des hommes spirituels, saisissaient avec une intelligence spirituelle ce que les autres entendaient comme hommes charnels. Aussi, lorsqu’il dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels », il faut entendre ces paroles en ce sens : Ce que je vous ai dit, vous n’avez pu le comprendre comme des hommes spirituels, mais seulement comme des hommes charnels. « L’homme animal », c’est-à-dire celui qui juge humainement des choses, (il est appelé animal à cause de son âme, et charnel à. cause de son corps, parce que l’homme tout entier se compose d’une âme et d’un corps) ; « l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu[330] ». , c’est-à-dire ce que la croix de Jésus-Christ confère en fait de grâce à ceux qui ont la foi. Car il pense que le seul effet produit par cette croix consiste à nous faire imiter l’exemple du Sauveur, et combattre pour la vérité jusqu’à la mort. En effet, si ces hommes qui ne veulent être que des hommes, savaient que Jésus-Christ crucifié « nous a été donné de Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[331] », assurément ils ne se glorifieraient pas dans un homme, et ils ne diraient pas en hommes charnels : « Moi je suis de Paul, moi je suis d’Apollo, et moi je suis de Céphas » ; mais, en hommes spirituels, ils diraient : « Moi, je suis de Jésus-Christ[332] »
4. Mais ce qui fait encore une difficulté, c’est ce que nous lisons dans l’épître aux Hébreux : « Vous qui devriez être maîtres, depuis le temps qu’on vous parle, vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers éléments de la parole de Dieu, et vous êtes devenus tels que vous avez besoin de « lait et non d’une nourriture solide ; car quiconque n’est nourri que de lait, est incapable d’entendre la doctrine de la justice ; car il est encore enfant ; mais la nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien du mal[333] ». Ces paroles de l’Apôtre nous indiquent bien en quoi consiste la nourriture solide des parfaits. Il tient le même langage en écrivant aux Corinthiens : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits ». Et pour faire comprendre ce qu’en cet endroit il entend par les parfaits, il ajoute : « Ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien du mal ». Donc ceux dont l’esprit n’est ni assez fort ni assez exercé pour faire cette distinction, à moins qu’ils ne soient retenus comme par le lait de la foi, qui leur fait croire les choses invisibles qu’ils ne voient point et les choses trop élevées qu’ils ne comprennent point, on les entraînera facilement à des fables vaines et sacrilèges, par la promesse de la science : on leur fera croire que le bien et le mal ne sont que des substances corporelles ; que Dieu lui-même n’est qu’un corps et que le mal est une substance : pourtant, le mal est plutôt le défaut qui sépare les substances muables de la substance immuable, laquelle, immuable, souveraine, Dieu en un mot, les a créées de rien. Pour ceux qui croient ces vérités et qui les comprennent, les perçoivent et les savent après y avoir appliqué les sens intérieurs de leur esprit, il n’y a rien à craindre, ils ne se laisseront pas séduire par ceux qui disent que le mal est une substance que Dieu n’a point faite, et qui font de Dieu lui-même une substance changeante tels sont les Manichéens et les autres pestes qui peuvent partager leurs égarements.
5. Pour les faibles d’esprit, que l’Apôtre appelle charnels, qu’il faut nourrir de lait et qui ne saisissent point la doctrine catholique, toute parole tendant à leur faire croire, comprendre et savoir ces vérités, est un insupportable fardeau ; elle les accable plutôt qu’elle ne les nourrit. De là vient que les spirituels ne taisent pas entièrement ces vérités aux charnels, puisqu’il faut prêcher à tous la foi catholique ; cependant ils ne leur en parlent pas d’une manière détaillée ; car, en voulant les introduire dans une intelligence qui est au-dessus d’eux, ils arriveraient à rendre fastidieux leur discours sur la vérité, au lieu de faire saisir la vérité par leur discours. C’est ce qu’a voulu dire l’Apôtre dans son épître aux Colossiens : « Quoique je sois absent de « corps, je suis avec vous en esprit, me réjouissant et voyant l’ordre qui règne parmi « vous et la fermeté de votre foi en Jésus-Christ [334] ». Et dans celle aux Thessaloniciens : « Nuit et jour », dit-il, « priant de plus en plus afin de voir votre face et de suppléer ce qui manque à votre foi[335] ». De là, il faut conclure qu’en les instruisant pour la première fois, il les avait nourris de lait et non d’une nourriture plus forte ; c’est de ce lait qu’en écrivant aux Hébreux il rappelle la fécondité à ceux qu’il voulait nourrir dorénavant.d'une viande plus solide. « C’est pourquoi », leur dit-il, « laissant les instructions que l’on donne aux novices dans la foi de Jésus-Christ, élevons-nous à ce qu’il y a de plus parfait, sans jeter de nouveau les fondements de la foi en Dieu et de la ; pénitence des œuvres mortes, de la doctrine du baptême et de l’imposition des mains, de la « résurrection des morts et du jugement éternel [336] ». Voilà ce lait si riche sans lequel ne peuvent vivre ceux qui ont assez l’usage de la raison pour pouvoir croire, quoiqu’ils soient encore incapables de discerner le bien du mal, non pas par la foi, mais par l’intelligence. (Cette faculté appartient exclusivement à. ceux qui font usage d’une nourriture plus forte). Toute la doctrine que l’Apôtre a rappelée sous le nom de lait, est celle qu’enseignent le symbole et l’oraison dominicale.
6. Mais loin de nous la pensée qu’il y ait rien de contraire à ce lait dans cette nourriture plus forte réservée uniquement à l’intelligence assez ferme pour comprendre les choses spirituelles, et qui devait être donnée aux Colossiens et aux Thessaloniciens, puisqu’elle leur faisait défaut. Or, en ajoutant ce qui manque, on ne condamne nullement ce qui existait déjà. S’il est question des aliments que nous prenons, la nourriture plus forte est si peu opposée au lait, qu’elle se change en lait elle-même, afin de devenir propre aux enfants, auxquels elle arrive par le sein de la mère ou de la nourrice. Ainsi, la sagesse même, notre mère, est la nourriture solide des anges au plus haut des cieux, et pourtant elle a daigné en quelque sorte se changer en lait pour ses petits enfants, « lorsque le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous[337] ». Mais le même Jésus-Christ homme, qui dans sa vraie chair, sa vraie croix, sa vraie mort et sa vraie résurrection ; est un lait pur pour les petits enfants, les hommes spirituels qui le comprennent bien, le reconnaissent pour le Seigneur des Anges. C’est pourquoi les enfants ne doivent pas être tellement nourris de lait, qu’ils ne sachent jamais que Jésus-Christ est Dieu ; ils ne doivent pas, non plus, être sevrés au point de ne plus le regarder comme un homme ; en d’autres termes, il ne faut ni les nourrir de lait, à tel point qu’ils ne comprennent pas que Jésus-Christ est le créateur ; ni les en sevrer si complètement qu’ils arrivent à ne plus le regarder comme médiateur. En cela la comparaison tirée du lait maternel et de la nourriture plus solide cesse d’être juste ; il faut lui préférer la comparaison tirée du fondement sur lequel on bâtit. En effet, quand un enfant est sevré et qu’il abandonne la nourriture de son premier âge, il prend des aliments plus substantiels, mais il ne redemande pas le sein de sa mère ; mais Jésus-Christ crucifié est en même temps un lait pour les petits enfants, et une viande pour ceux qui sont plus avancés en fait d’intelligence. La comparaison du fondement est donc plus appropriée à ce que nous disons ; car pour achever une construction, on n’arrache pas le fondement déjà posé, on y ajoute seulement ce que l’on bâtit au-dessus.
7. Puisqu’il en est ainsi, je dirai à tous ceux d’entre nous qui sont enfants en Jésus-Christ, et sans doute le nombre en est grand Approchez-vous de cette nourriture solide de l’esprit, et non de l’estomac. Progressez et apprenez à discerner le bien du mal ; attachez-vous de plus en plus au médiateur, il vous délivrera du mal, non pas en l’éloignant de vous extérieurement, mais en le guérissant au dedans de vous-même s. Et si l’on vous dit Ne croyez point que Jésus-Christ est un vrai homme, ou bien que le vrai Dieu a créé le corps des hommes et des animaux, que le vrai Dieu ne nous a pas donné l’Ancien Testament, et autres semblables choses ; si l’on ajoute que ces choses ne vous ont pas été enseignées plus tôt, c’est-à-dire quand vous étiez nourris de lait, parce que votre cœur n’était pas encore assez robuste pour porter toute la vérité, sachez-le, cet homme vous offre non pas une viande solide, mais un poison. C’est pourquoi le bienheureux Apôtre, s’adressant à ceux qui se regardaient comme parfaits, leur dit qu’il était lui-même imparfait, et ajoute : « Nous tous donc qui voulons être parfaits, ayons ce sentiment ; si vous avez d’autres pensées, Dieu vous éclairera ». Mais il veut les empêcher de se laisser séduire par ceux qui voudraient les détourner de la foi en leur promettant la science de la vérité ; il veut les empêcher de croire que c’était ce qu’il avait prétendu dire par ces mots : « Dieu vous éclairera ». Il ajoute aussitôt : « Toutefois, tenons-nous-en aux vérités que nou connaissons [338] ». Si donc tu découvres quelque chose qui ne soit pas contraire à la règle de la foi catholique, à laquelle tu t’es attaché comme à la voie qui conduit à la patrie ; si, d’ailleurs, tu comprends que de cette vérité ta foi ne doit aucunement souffrir, ajoute-la à l’édifice que tu construis, mais n’en abandonne pas le fondement. Lors donc que ceux qui sont plus avancés instruisent ceux qui le sont moins, ils doivent se garder de dire que Jésus-Christ Notre-Seigneur, et les Prophètes et les Apôtres qui étaient bien plus éclairés qu’ils ne le sont eux-mêmes, n’ont rien dit contre la vérité. Vous devez éviter d’abord ces diseurs de riens, qui pour séduire les âmes racontent des choses fausses et extravagantes, et dans tous leurs vains mensonges promettent une haute science à l’encontre de la règle de la foi catholique que vous avez embrassée ; vous devez éviter aussi ceux qui raisonnent avec vérité sur l’immutabilité de la nature de Dieu, sur la créature incorporelle et même sur le Créateur, et appuient ce qu’ils disent sur des raisons et des preuves certaines, mais qui cherchent cependant à vous détourner du seul Médiateur entre Dieu et les hommes ; vous devez les fuir comme une peste plus dangereuse encore que les autres. Voilà ceux dont l’Apôtre a dit : « Ils connaissaient Dieu, et ils ne l’ont point glorifié comme Dieu [339] ». À quoi sert, en effet, d’avoir une vraie connaissance du bien immuable, si l’on ne s’attache pas à Celui qui délivre du mal ? Que cet avertissement du bienheureux Apôtre ne sorte donc point de votre cœur : « Si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème [340] ». Il ne dit pas : quelque chose de plus que ce que vous avez reçu ; mais : « un Évangile différent de celui que vous avez reçu » ; car, s’il l’eût dit, il se serait condamné lui-même, puisqu’il désirait venir vers les Thessaloniciens, pour compléter ce qui manquait à leur foi. Or, celui qui complète, ajoute ce qui manque, mais n’enlève pas ce qui existe déjà. Mais celui qui transgresse la règle de la foi, ne marche pas dans la voie ; au contraire, il s’en éloigne.
8. Lors donc que Notre-Seigneur dit à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », il voulait dire qu’il avait à ajouter des choses qu’ils ignoraient, mais non pas à détruire celles qu’ils avaient déjà apprises ; comme je l’ai expliqué dans le discours précédent, il pouvait parler ainsi, car l’infirmité humaine à laquelle ils se trouvaient encore réduits, ne leur permettait point de porter les choses mêmes qu’il leur avait déjà apprises, dans le cas où il voudrait les leur faire concevoir de la manière dont les Anges les conçoivent. Tout ce que peut faire un homme, si spirituel qu’il soit, c’est d’enseigner à un autre ce qu’il sait lui-même ; si le Saint-Esprit rend cet autre plus capable en lui faisant faire des progrès, car celui qui enseigne n’a rien pu apprendre lui-même que par cet Esprit divin de la sorte, tous les deux sont enseignés de Dieu [341]. Entre les spirituels eux-mêmes, il en est de plus éclairés et de meilleurs les uns que les autres ; aussi l’un d’eux est-il arrivé à connaître des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de raconter. À cette occasion quelques hommes pleins de vanité ont imaginé dans leur folle présomption, une Apocalypse de Paul, pleine de je ne sais quelles fables que la sainte Église ne reçoit pas ; à les entendre, il veut en parler lorsqu’il dit avoir été ravi au troisième ciel et y avoir entendu des paroles ineffables « qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter [342] ». Leur audace serait peut-être supportable, si l’Apôtre avait dit avoir entendu des paroles « qu’il n’est pas encore permis à l’homme de rapporter ». Mais comme il a dit : « qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter », qui sont-ils pour oser les rapporter avec tant d’impudence et si peu de succès ? Mais il est temps que je mette fin à ce discours par le souhait que je fais de vous voir prudents dans le bien et exempts de tout mal.

QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME, MAIS IL DIRA TOUT CE QU’IL ENTENDRA ». (Chap. 16, 13.)[modifier]

PROCESSION DU SAINT-ESPRIT.[modifier]

Jésus-Christ dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ». Ces paroles ne peuvent s’entendre dans le même sens que celles que le Sauveur prononçait sur lui-même en tant qu’homme, puisque le Saint-Esprit ne s’est uni à aucune nature créée. Quoique l’âme humaine ait des points de, ressemblance avec Dieu, elle ne peut non plus servir de terme de comparaison pour les opérations intérieures de la divinité. En Dieu:- la science, c’est l’être, et comme le Saint-Esprit procède du Père, ce qu’il apprend, ce qu’il sait, il le tient, non de lui-même, mais du Père. Mais pourquoi Jésus-Christ dit-il que le Saint-Esprit procède du Père, sans dire qu’il procède aussi du Fils ? C’est que le Fils a été engendré par le Père, et que le Père a donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme du Père.


1. Que signifie ce que le Seigneur dit du Saint-Esprit, lorsqu’après avoir promis à ses disciples qu’il viendrait à eux et qu’il leur enseignerait toute vérité, ou bien qu’il les conduirait à toute vérité, il ajoute : « Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Cette parole revient à ce que Jésus-Christ avait déjà dit de lui-même : « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge[343] ». Lorsque nous avons expliqué ce passage, nous avons dit qu’il pouvait s’entendre selon l’humanité[344]. De la sorte, cette obéissance en vertu de laquelle il a été soumis jusqu’à la mort de la croix[345], le Fils semblait nous annoncer qu’il l’aurait encore dans la circonstance où il jugera les vivants et les morts ; car il ne jugera les hommes que parce qu’il est le Fils de l’Homme. C’est pourquoi il a dit : « Le Père ne juge personne ; mais il a remis tout jugement au Fils ». Car, dans le jugement, ce qui paraîtra, ce sera non pas la forme de Dieu par laquelle il est égal au Père, et qui ne peut être vue par les impies, mais la forme d’homme, par laquelle il a été abaissé un peu au-dessous des Anges ; et, bien qu’alors il doive venir dans la gloire et non dans son humiliation première, il, se fera voir néanmoins et par les bons et par les méchants. Voilà pourquoi il dit encore : « Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est Fils de l’Homme[346] ». Par ces paroles on voit clairement que la forme présentée au jugement ne sera pas celle sous laquelle il n’a pas regardé comme une usurpation de se dire égal à Dieu, mais celle dont il s’est revêtu lorsqu’il s’est anéanti lui-même. Il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur [347] : forme sous laquelle il semble nous avoir annoncé que se manifestera son obéissance pour faire le jugement ; car il dit : « Je ne puis rien faire de moi-même : comme j’entends, je juge ». Adam, par la seule désobéissance de qui tant d’hommes ont été faits pécheurs, Adam n’a pas jugé comme il a entendu ; au contraire, le commandement qu’il avait entendu, il l’a violé, et il a fait de lui-même le mal qu’il a fait, parce qu’il a fait non pas la volonté de Dieu, mais la sienne. Mais Celui par l’obéissance duquel seul un grand nombre sont rendus justes [348], a été obéissant jusqu’à la mort de la croix à laquelle il a été condamné par des morts, quoiqu’il eût la vie ; il a même fait plus, il nous a promis de se montrer obéissant jusque sur le tribunal où il jugera les vivants et les morts ; il a dit, en effet : « Je ne puis rien faire de moi-même ; mais comme j’entends, je juge ». Pour ce qui a été dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra », oserons-nous l’entendre selon l’homme, ou selon quelque autre créature qu’il se serait unie ? Le Fils est la seule des trois personnes divines qui ait pris la forme d’esclave, et cette forme lui a été adjointe dans l’unité de personne, c’est-à-dire que le Fils de Dieu et le Fils de l’Homme neforment qu’un seul Jésus-Christ ; sans cela ce ne serait pas une Trinité, mais une quaternité que nous prêcherions : que Dieu nous en préserve ! Comme il y a en Jésus-Christ une seule personne composée de deux natures, la nature divine et là nature humaine, tantôt il parle en tant qu’il est Dieu, comme quand il dit : « Le Père et moi, nous sommes une même chose [349] » ; tantôt il parle entant qu’il est homme, comme quand il dit : « Parce que le Père est plus grand que moi [350] ». Voilà en quel sens nous avons entendu le passage dont il est question : « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge ». Mais pour la personne du Saint-Esprit, comment entendrons-nous ce qu’il en dit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Comme, dans cette personne, il n’y a pas deux natures, la nature divine et la nature humaine ou tout autre nature créée, de là naît une grande difficulté.

2. Sans doute, le Saint-Esprit s’est fait voir sous la forme corporelle d’une colombe[351], mais ce ne fut que passagèrement et pour un instant. Nous pouvons en dire autant du moment où il est descendu sur les disciples : ils virent comme des langues de feu qui se séparèrent et vinrent se reposer sur chacun d’eux[352]. Celui donc qui dirait que la colombe fut unie au Saint-Esprit dans l’unité de sa personne, en sorte que la personne du Saint-Esprit se composerait de la colombe et de Dieu (puisque le Saint-Esprit est Dieu), celui-là serait obligé d’en dire autant du feu ; et par là il doit comprendre qu’il ne faut dire ni l’un ni l’autre. Ces formes destinées à manifester comme il le fallait la substance divine, se présentèrent aux sens corporels des hommes et ne firent que passer ; car elles avaient été tirées par Dieu, et pour un moment, de la créature toujours soumise, et non pas de la nature souveraine, laquelle est stable en elle-même, et meut ce qu’elle veut ; laquelle est immuable en elle-même, et change ce qu’elle veut. Il en est de même de cette voix qui perça les nues et vint frapper les oreilles corporelles et ce sens du corps qu’on appelle l’ouïe[353] ; et il ne faut pas croire que c’était le Verbe de Dieu son Fils unique. En effet, s’il est appelé Parole, il ne se termine point avec les syllabes et les sons ; car toutes les syllabes ne peuvent résonner en même temps lorsque l’on parle. Les sons naissants succèdent, chacun à son tour, aux sons qui s’évanouissent, et, ainsi ce que nous disons ne se complète que par la dernière syllabe. Dieu nous garde de dire que le Père parle ainsi à son Fils, c’est-à-dire à son Verbe qui est Dieu. Mais ceux-là seuls peuvent le comprendre, autant que l’homme en est capable, qui n’en sont plus au lait, mais qui usent d’une nourriture plus solide. Puis donc que le Saint-Esprit ne s’est pas fait homme en prenant la nature humaine, puisqu’il ne s’est pas fait ange, en prenant la nature angélique, puisqu’il ne s’est pas fait créature en se revêtant de quelque nature créée ; comment peut-on entendre ce que le Sauveur dit de lui : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Question difficile, trop difficile. Que le Saint-Esprit m’assiste lui-même, afin que je puisse vous l’expliquer comme il m’est donné de la concevoir, et qu’elle arrive à votre intelligence en proportion de mes humbles facultés.

3. Et d’abord, il y a une chose certaine que ceux qui le peuvent doivent comprendre et que ceux qui né le pourront pas doivent au moins croire, c’est que la substance de Dieu n’est pas comme les substances corporelles où les sens sont distribués en places différentes ; ainsi, dans la chair mortelle de tous les animaux, ailleurs est la vue, ailleurs l’ouïe, ailleurs le goût, ailleurs l’odorat, et par tout le corps le toucher. Dieu nous garde de penser qu’il en est de même dans sa nature incorporelle et immuable. Pour elle, entendre et voir c’est la même chose. Il est même question d’un odorat en Dieu, car l’Apôtre a dit : « Ainsi que Jésus-Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime d’agréable odeur [354] ». On peut entendre aussi que c’est par le goût que Dieu hait ceux qui lui causent de l’amertume, et qu’il vomit de sa bouche ceux qui ne sont ni froids ni chauds, mais tièdes [355]. Jésus-Christ, qui est Dieu, dit aussi : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé [356] ». Il existe aussi un toucher divin dont l’épouse dit, en parlant de son époux : « Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite m’embrassera [357] ». Mais ces choses ne sont pas en Dieu à divers endroits d’un corps. Car quand on dit de Dieu qu’il sait, on parle de.tout, cela en même temps, c’est-à-dire qu’il voit, qu’il entend, qu’il sent, qu’il goûte et qu’il touche, sans aucun changement de sa substance, sans aucune étendue plus considérable dans une partie et moindre dans une autre. Celui qui aurait de Dieu cette idée, fût-il un vieillard, raisonnerait comme un enfant.

4. Il ne faut pas t’étonner que la science ineffable en vertu de laquelle Dieu tonnait toutes choses soit, selon les différentes manières de parler des hommes ; appelée des noms de tous les sens corporels : il en est de même de, notre âme, c’est-à-dire de l’homme intérieur ; c’est elle seule qui juge des différentes choses que lui annoncent, comme autant de messagers, les cinq sens du corps. Ainsi, quand elle comprend, choisit et aime l’immuable vérité et qu’elle voit la lumière dont il est dit : « Il était la vraie lumière » ; quand elle entend la Parole dont il est, dit : « Au commencement était le Verbe [358] » ; quand elle perçoit l’odeur dont il est dit : « Nous courrons après l’odeur de vos parfums [359] » ; quand elle boit à la fontaine dont il est écrit : « En vous est la source de vie [360] » ; quand elle jouit de ce toucher dont il est dit : « Pour moi, il m’est bon de m’attacher à Dieu [361] » ; c’est, non pas une chose ou une autre, mais l’intelligence seule qui est désignée sous les noms de tous ces sens. Lors donc qu’il est dit du Saint-Esprit : « Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il, entendra », il faut alors, plus que jamais, concevoir, ou du moins croire que sa nature est simple, puisqu’elle est simple par essence et qu’elle surpasse de beaucoup en hauteur et en largeur la nature de notre âme. Notre âme, en effet, est sujette au changement, puisqu’en apprenant elle reçoit ce qu’elle ne savait pas, et qu’en oubliant elle perd ce qu’elle savait ; elle est trompée par la vraisemblance, au point de prendre le faux pour le vrai, et l’obscurité où la plongent les ténèbres qui l’enveloppent, l’empêche de parvenir au vrai. Cette substance n’est donc pas vraiment simple, puisque, pour elle, être n’est pas la même chose que connaître ; elle peut, en effet, être et ne pas connaître. Mais la substance divine ne peut pas être et ne pas connaître, parce qu’elle est ce qu’elle a. Et elle n’a pas la science de telle manière qu’en elle autre chose soit la science qui lui donne de connaître, et autre chose l’essence qui la fait exister. L’une et l’autre ne sont qu’une même chose. Il ne faut même pas dire l’une et l’autre, puisqu’il n’y a qu’une seule et indivisible chose. « Comme le Père a la vie en lui-même », et il n’est autre chose lui-même que la vie qui est en lui, « il a aussi donné au « Fils d’avoir la vie en lui-même [362] », c’est-à-dire, il à engendré le Fils qui lui-même devait être la vie. Ainsi devons-nous entendre ce qui est dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il a entendra ». Nous devons comprendre qu’il n’est pas de lui-même. Le Père seul n’est d’aucun autre ; car le Fils est né du Père et le Saint-Esprit procède du Père. Mais le Père n’est né ni ne procède d’aucun autre. Toutefois, que l’esprit humain ne se figure aucune inégalité dans cette Trinité souveraine. Car le Fils est égal à Celui dont il est né, et le Saint-Esprit est égal à Celui dont il procède. Quelle différence y a-t-il entre procéder et naître ? Il faudrait un long discours pour chercher à le savoir et pour le discuter ; et après l’avoir discuté, on serait téméraire de vouloir le définir ; car il est très-difficile à l’âme humaine de le comprendre, et bien qu’elle puisse y comprendre quelque chose, il est très-difficile à la langue de l’expliquer, quel que soit le docteur qui parle, et quel que soit celui qui écoute. « Il ne parlera donc pas de lui-même », parce qu’il n’est pas de lui-même ; « mais il dira tout ce qu’il entendra » ; il l’entendra de Celui dont il procède. Pour lui, entendre, c’est savoir, et savoir, c’est être ; je l’ai expliqué tout à l’heure. Donc, comme il est non pas de lui-même, mais de Celui dont il procède, sa science lui vient de Celui dont il tient son essence ; c’est donc de celui-là qu’il entend, ce qui n’est pas, pour lui, autre chose que savoir.

5. Et ne soyez point surpris que le verbe soit placé au temps futur. Il n’est pas dit, en effet ; « Il dira » tout ce qu’il a entendu, ou tout ce qu’il entend, mais bien « tout ce qu’il entendra » : Cette action d’entendre est éternelle, comme l’est aussi la science. Or, dans ce qui est éternel, sans commencement et sans fin, à quelque temps que soit le verbe, qu’il soit employé au passé ou au présent, ou au futur, peu importe ; il est employé sans mensonge. Bien que l’immutabilité ineffable de cette nature ne permette pas de dire qu’elle a été ou qu’elle sera, mais seulement qu’elle est ; en effet, elle est véritablement, parce qu’elle ne peut changer, et à elle seule il convenait de dire : « Je suis Celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous [363] » ; cependant, à cause de la mutabilité du temps dans lequel se trouvent circonscrites notre mortalité et notre changeante nature, nous disons certainement sans mensonge : Il a été, il sera et il est. 2 a été dans les siècles passés, il est dans le présent, il sera dans les siècles à venir. Il a été, parce qu’il n’a jamais cessé d’être ; il sera, parce qu’il ne cessera jamais d’exister ; il est, parce qu’il est toujours. En effet, il ne meurt point avec les choses passées, et n’est pas comme s’il n’était déjà plus ; il ne passe pas avec les choses présentes, comme il passerait s’il ne demeurait pas toujours le même ; il n’apparaîtra pas avec les choses de l’avenir, comme il apparaîtrait s’il n’avait pas toujours existé. Comme la parole humaine change selon les révolutions des temps, on peut se servir de tous les temps en parlant de Celui qui n’a pu, ne peut et ne pourra manquer dans aucun temps. Le Saint-Esprit entend donc toujours, parce qu’il sait toujours. Donc il a su, et il sait, et il saura, et par là même il a entendu, et il entend, et il entendra ; car, comme je l’ai déjà dit, pour lui, entendre c’est savoir, et pour lui, savoir c’est être. Donc il a entendu, il entend et il entendra de Celui dont il est, et il est de Celui dont il procède.
6. Ici quelqu’un me demandera peut-être si le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Car le Fils est Fils du Père seul, et le Père est Père du Fils seul. Mais le Saint-Esprit est l’Esprit non pas de l’un des deux, mais de tous les deux. Tu as la parole de Notre-Seigneur pour t’instruire, car il a dit : « Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous[364] ». Tu as aussi celle de l’Apôtre ; la voici : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs[365] ». Est-ce qu’il y a deux esprits, l’un du Père, et l’autre du Fils ? À Dieu ne plaise. « Un seulCorps », dit l’Apôtre ; pour nous représenter l’Église, et il ajoute aussitôt : « Et un seul Esprit ». Et vois comme il complète la Trinité : « Comme vous êtes appelés », dit-il, « en une seule espérance de votre vocation, il n’y a qu’un seul Seigneur ». Ici c’est Jésus-Christ qu’il a voulu désigner ; il ne reste plus qu’à nommer le Père. Il continue donc : « Une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est sur tous, parmi tous et dans nous tous [366] ». Comme il n’y a qu’un seul Père, un seul Seigneur, c’est-à-dire un seul Fils, il n’y a non plus qu’un seul Esprit ; il est donc l’Esprit des deux. En effet, tandis que Jésus-Christ dit lui-même : « L’Esprit de votre Père qui parle en vous » ; l’Apôtre dit aussi : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs ». Dans un autre endroit, le même Apôtre dit : « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous ». Assurément il veut dire ici l’Esprit du Père. Et cependant c’est encore de lui qu’il dit ailleurs : « Quiconque n’a pas l’Esprit de Jésus-Christ, n’est pas à lui [367] ». Beaucoup d’autres témoignages montrent ainsi évidemment que Celui qui dans la Trinité est appelé l’Esprit-Saint est en même temps l’Esprit du Père et du Fils.
7. Ce n’est pas, je crois, pour une autre raison qu’on l’appelle proprement l’Esprit ; bien que, si l’on nous demande ce que sont le Père et le Fils, nous ne puissions que répondreIls sont l’un et l’autre Esprit, car Dieu est Esprit[368] ».  ; c’est-à-dire, Dieu n’est pas un corps, mais un Esprit. Ce qui était le nom commun des deux autres devait donc devenir le nom propre de Celui qui n’était ni l’un ni l’autre des deux premiers, mais Celui en qui paraissait l’union commune de tous les deux. Pourquoi alors ne croirions-nous pas que le Saint-Esprit procède aussi du Fils, puisqu’il est l’Esprit du Fils comme celui du Père ? S’il ne procédait pas du Fils, quand Jésus-Christ se fit voir à ses disciples après sa résurrection, il n’aurait pas soufflé sur eux en disant : « Recevez le Saint-Esprit[369] ». Que signifiait cette insufflation ? Que le Saint-Esprit procède aussi de lui. À cela se rapporte encore ce qu’il dit de la femme qui souffrait d’une perte de sang : « Quelqu’un m’a touché ; car j’ai senti une«  vertu sortir de moi [370] ». Or, le Saint-Esprit est aussi désigné sous le nom de vertu, cela ressort clairement de ce passage où Marie ayant dit : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » l’ange lui répondit : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre [371] ». Notre-Seigneur lui-même, promettant le Saint-Esprit à ses disciples, leur dit : « Mais vous, demeurez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la vertu d’en haut [372] » ; et encore : « Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui surviendra en vous, et vous me servirez de témoins [373] ». Nous devons le croire, c’est de cette vertu que parlait l’Évangéliste lorsqu’il disait : « Une vertu sortait de lui et les guérissait tous [374] ».
8. Si le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi donc le Fils dit-il : « Il procède du Père[375] ? » Pourquoi ? parce qu’il a coutume de rapporter ce qui est de lui-même à celui dont il est lui-même. De là cette parole : « Ma doctrine n’est pas ma doctrine, mais la a doctrine de Celui qui m’a envoyé[376] ». Si donc nous reconnaissons que cette doctrine est bien la sienne, quoiqu’il dise qu’elle n’est pas la sienne, mais celle du Père ; à combien plus forte raison devons-nous reconnaître que le Saint-Esprit « procède de lui-même », puisque, en disant qu’il procède du Père, il ne dit pas qu’il ne procède pas de lui-même ? Or, Celui dont le Fils a reçu la nature divine (car il est Dieu de Dieu), lui a donné encore que le Saint-Esprit procède aussi de lui ; et le Saint-Esprit tient aussi du Père de procéder du Fils, comme il procède du Père lui-même.
1. Par là nous pouvons comprendre, autant que des hommes tels que nous en sont capables, pourquoi on ne dit pas que le Saint-Esprit est né, mais qu’il procède. Car s’il était, lui aussi, appelé Fils, il serait appelé le fils de tous les deux, ce qui est le comble de l’absurdité. Car on est le fils, non pas de deux pères, mais seulement d’un père et d’une mère. Or, loin de nous la pensée de supposer quelque chose de semblable entre Dieu le Père, et Dieu le Fils. Car même un homme ne procède pas en même temps de son père et de sa mère. Lorsqu’il procède du père dans la mère, alors il ne procède pas de la mère ; et lorsqu’il procède de la mère pour paraître au jour, alors il ne procède pas du père. Le Saint-Esprit ne procède pas du Père dans le Fils, et du Fils il ne procède pas dans la créature qu’il doit sanctifier ; mais il procède en même temps de l’un et de l’autre : quoique le Père ait donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède du Père. Nous ne pouvons point dire que le Saint-Esprit n’est point la vie, puisque le Père est la vie et que le Fils l’est aussi. Et ainsi, comme le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d’avoir la vie en lui ; de même le Père a donné au Fils que la vie procède de lui, comme elle procède du Père. Mais voici les paroles que Notre-Seigneur ajoute : « Et les choses qui doivent venir, il vous les annoncera. Il me glorifiera, car il recevra du mien et vous l’annoncera. Toutes les choses qu’a le Père sont miennes ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il recevra du mien et vous l’annoncera ». Comme ce discours est déjà trop long, il faut renvoyer l’explication de ce passage à un autre jour.


CENTIÈME TRAITÉ.
SUR LES DERNIÈRES PAROLES DE LA MÊME LEÇON. (Chap. 16, 13-15.)


LA VRAIE GLOIRE.

Le Saint-Esprit faisant connaître Jésus-Christ et donnant aux Apôtres le courage de l’annoncer, le glorifiera véritablement, car il ne peut se tromper ni sur la personne du Sauveur ni sur quoi que ce soit : gloire pure et solide, bien différente de celle que peuvent se procurer les hommes sujets à errer. Le Saint-Esprit ne se trompe pas, car, procédant du Père et du Fils, il reçoit de l’un la science de l’autre.

1. Lorsque Notre-Seigneur promit à ses disciples que le Saint-Esprit viendrait en eux, il leur dit : « Il vous enseignera toute vérité » ; ou bien, comme nous lisons dans quelques exemplaires : « Il vous conduira dans toute « vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, « mais il dira tout ce qu’il entendra ». Sur ces paroles de notre Évangile, nous avons déjà exposé ce qu’il a plu au Seigneur de nous révéler. Maintenant, portez votre attention sur celles qui suivent : « Et il vous annoncera », dit Notre-Seigneur, « les choses à venir ». Il n’y a rien ici qui doive nous arrêter, parce que tout est facile à comprendre ; il ne s’y trouve aucune difficulté dont on puisse nous demander l’explication. Mais quant à ce qu’il ajoute : « C’est lui qui me glorifiera, parce qu’il recevra du mien, et il vous l’annoncera », il ne faut pas le laisser passer sans une grande attention. « C’est lui qui me glorifiera ». Ces paroles peuvent s’entendre en ce sens, qu’en répandant la charité dans le cœur des fidèles et en faisant d’eux des hommes spirituels, il leur a fait connaître que le Fils est égal au Père, tandis qu’ils ne le connaissaient auparavant que selon la chair et croyaient qu’il était un homme comme les autres hommes. On peut encore, et sans craindre de se tromper, entendre ces paroles en ce sens, qu’après avoir puisé dans la charité une grande confiance et avoir répudié toute crainte, ils annoncèrent Jésus-Christ aux hommes et qu’ainsi sa renommée s’est répandue dans tout l’univers. Par conséquent, lorsqu’il dit : « C’est lui qui me glorifiera », c’est comme s’il disait : C’est lui qui vous enlèvera toute crainte et vous inspirera pour moi un amour si vif que vous m’annoncerez avec plus d’ardeur, que vous répandrez par toute la terre la bonne odeur de ma gloire, et que vous propagerez l’honneur de mon nom. Ce qu’ils devaient faire dans le Saint-Esprit, il dit que le Saint-Esprit le fera lui-même en eux ; car il s’exprime encore ainsi en un autre endroit : « Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous[377] ». Le verbe grec δοξἀσει, qui se trouve employé ici, les interprètes latins l’ont traduit, les uns par « clarifiera », les autres par « glorifiera » ; car le mot grec δοζα, racine du verbe δοξἀσει, signifie tout à la fois clarté et gloire ; mais comme la gloire produit l’éclat, et que l’éclat produit aussi la gloire, il s’ensuit que ces deux expressions signifient la même chose. Or, les plus célèbres des anciens auteurs latins ont défini la gloire un grand renom accompagné de louanges. Lorsque la gloire de Jésus-Christ se fut répandue dans le monde, il ne faut pas croire qu’elle procura un avantage quelconque à Jésus ; tout l’avantage fut pour le monde. Lorsqu’on loue le bien, l’avantage n’est pas pour le bien qui est louange, mais pour ceux qui le louent.

2. Remarquez-le toutefois : il y a aussi une fausse gloire ; elle est fausse quand tous ceux qui louent se trompent soit pour les choses, soit pour les hommes, soit pour les hommes et les choses. Ils se trompent pour les choses, quand ils regardent comme bon ce qui est mauvais ; ils se trompent dans les hommes, quand ils regardent comme bon celui qui est mauvais ; ils se trompent dans les uns et les autres, quand ils regardent comme vertu ce qui est vice, et que l’homme bon ou mauvais auquel on prodigue des louanges, parce qu’on lui suppose cette fausse vertu, ne la possède pas réellement. Par exemple : donner son bien aux histrions, c’est un grand vice et non une vertu : et, vous le savez, on ne tarit pas en éloges pompeux sur le compte de ceux qui le font. Car il est écrit : « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et celui a qui fait le mal est béni [378] ». Ici, les louangeurs se trompent non pas relativement aux hommes, mais par rapport aux choses ; car ce qu’ils croient bon est mauvais. Et ceux qui se livrent à ces honteuses largesses sont bien tels que les soupçonnent et les voient évidemment ceux qui les louent. Supposé, au contraire, quelqu’un qui feint d’être juste et ne l’est pas, puisqu’il n’agit pas pour Dieu, c’est-à-dire pour la vraie justice, et que dans tout ce qu’il paraît faire de louable devant les hommes, il ne cherche et n’aime que la gloire qui vient des hommes ; si ceux qui parlent de lui fréquemment avec louanges pensent qu’il vit uniquement pour Dieu d’une manière aussi honorable, ceux-là se trompent, non sur la chose, mais sur le compte de l’homme. Ce qu’ils croient bon, est bon en effet ; mais celui qu’ils croient bon, n’est pas bon réellement. Mais si, par exemple, on regardait comme bonne la connaissance de la magie, et si un homme passait pour avoir délivré sa patrie par le moyen de cet art, bien que, dans le fait, il l’ignore entièrement, et que par là il acquît auprès des impies une réputation élogieuse, c’est-à-dire la gloire ; ceux qui le loueraient ainsi se tromperaient sur la chose et sur l’homme ; sur la chose, car ce qu’ils regardent comme bon est réellement mauvais ; sur l’homme, car il n’est pas ce qu’ils pensent : aussi la gloire acquise de ces trois manières est-elle fausse. Mais lorsqu’il s’agit d’un homme juste par Dieu et pour Dieu, c’est-à-dire véritablement juste et qu’on en parle avec louanges à cause de sa justice, sa gloire est – véritable ; cependant il ne faut pas croire que ces louanges font le bonheur du juste ; ceux qu’il faut féliciter, ce sont ceux-là mêmes qui le louent ; car ils jugent sainement des choses et ils aiment la justice. À bien plus forte raison, la gloire du Seigneur Jésus a profité, non pas à lui, mais à ceux auxquels a profité sa mort.
3. Toutefois la gloire dont il jouit parmi les hérétiques n’est pas véritable, bien que ceux-ci semblent souvent parler de lui avec louanges ; ce n’est pas une vraie gloire, parce qu’ils se trompent et sur la chose et sur la personne ; en effet, ils regardent comme bon ce qui ne l’est pas, et, à leurs yeux, Jésus est ce qu’il n’est pas réellement. Que le Fils unique ne soit pas égal au Père, ce n’est pas Une bonne chose ; comme ce n’est pas une bonne chose que le Fils unique de Dieu ne soit qu’un homme et ne soit pas Dieu, que la chair de la Vérité ne soit pas une vraie chair. De ces trois propositions que je viens d’énoncer, la première est soutenue par les Ariens, la seconde par les Photiniens, et la troisième par les Manichéens. Mais comme rien de tout cela n’est bon, et que Jésus-Christ n’est rien de tout cela, ils se trompent et sur la chose et sur la personne. Et ils ne donnent pas une vraie gloire à Jésus-Christ, quoique parmi eux on semble souvent parler de lui avec éloge. Tous les hérétiques, et il serait trop long de les énumérer, qui n’ont pas des sentiments vrais sur Jésus-Christ, se trompent, parce qu’ils n’ont pas non plus des idées justes sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. Les païens, quoique plusieurs d’entre eux aient loué Jésus-Christ, se trompent également sur la personne et sur la chose, car ils parlent, non pas selon la vérité de Dieu, mais bien plutôt selon leur propre opinion ; ils disent qu’il était un homme, un habile magicien. Ils méprisent les chrétiens comme des ignorants, et ils louent Jésus-Christ comme un magicien ; ainsi montrent-ils ce qu’ils aiment, mais ils n’aiment pas Jésus-Christ ; car ce qu’il n’était pas, c’est ce qu’ils aiment. Ils se trompent donc et sur la personne et sur la chose, puisque c’est mal d’être magicien et que Jésus-Christ ne l’était pas, puisqu’il est bon. Comme nous n’avons rien à dire ici de ceux qui méprisent et blasphèment Jésus-Christ, puisque nous parlons de la gloire dont il a été honoré dans le monde, nous dirons que le Saint-Esprit ne l’a glorifié de sa vraie gloire que dans la sainte Église catholique. Hors de là, en effet, c’est-à-dire chez les hérétiques et même chez certains païens, sa vraie gloire n’a pu se trouver sur la terre, pas même là où l’on semblait parler souvent de lui avec éloge. Aussi, la vraie gloire qu’il trouve dans l’Église catholique est ainsi chantée par le Prophète : « Mon Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux, et que votre gloire soit sur toute la terre[379] ». Qu’après son exaltation le Saint-Esprit dût venir et le glorifier, c’est ce qu’annonçait le Psalmiste, c’est ce qu’avait promis Jésus-Christ lui-même ; nous en voyons maintenant l’accomplissement.

4. Quant à ce que dit le Sauveur : « Il recevra du mien et vous l’annoncera », écoutez-le avec des oreilles catholiques, comprenez-le avec des esprits catholiques. Il ne s’ensuit pas, en effet, comme l’ont pensé quelques hérétiques, que le Saint-Esprit soit moindre que le Fils ; comme si le Fils recevait du Père, et le Saint-Esprit du Fils, en raison de différences qui existeraient dans leur nature. Loin de nous de le croire ; loin de nous de le dire ; loin de tout cœur chrétien même de le penser. Du reste, Notre-Seigneur tranche lui-même la difficulté et nous explique aussitôt ce qu’il a voulu dire : « Toutes les choses », dit-il, « qu’a le Père, sont miennes ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il recevra du mien et vous l’annoncera ». Que voulez-vous de plus ? Le Saint-Esprit reçoit donc du Père et le Fils aussi ; parce que dans cette Trinité, le Fils est né du Père, et que le Saint-Esprit en procède. Celui qui n’est pas né d’un autre et qui ne procède de personne, c’est le Père seul. Mais dans quel sens le Fils unique a-t-il dit : « Toutes les choses que le Père a, sont miennes ? » Certes, ce n’est pas dans le sens dans lequel il a été dit à ce fils non unique, mais l’aîné des deux : « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi[380] ». Nous le constaterons avec soin, si le Seigneur nous en fait la grâce, à l’occasion de ce passage où le Fils dit au Père : « Et tout ce qui est à moi est à vous, et ce qui est à vous est à moi[381] ». Il faut, en effet, terminer ce discours ; ce qui suit demandant, pour être traité, un exorde différent.

CENT UNIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET EN CE JOUR VOUS NE ME DEMANDEREZ RIEN ». (Chap. 16, 16-23.)

LA VIE PRÉSENTE ET LA VIE FUTURE.[modifier]

Entre le moment de la mort du Christ et celui de sa résurrection devaient déjà se vérifier ces paroles : « Encore un peu de temps, etc. » Mais elles ont particulièrement trait, d’abord à la vie présente, où nous gémissons, et ensuite à la vie éternelle, où nous saurons tout et où rien ne nous manquera.

1. Ces paroles de Notre-Seigneur à ses disciples : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais à mon Père », étaient pour eux si obscures, avant l’accomplissement de ce qu’elles annonçaient, qu’ils se demandaient entre eux ce qu’il voulait dire, et qu’ils avouaient n’y rien comprendre. L’Évangile, en effet, ajoute : « Quelques-uns donc des disciples se dirent entre eux : Qu’est-ce qu’il nous dit : Encore un peu de temps et vous me verrez, et encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, parce que je vais à mon Père ? Ils disaient donc : Qu’est-ce qu’il nous dit : Encore un peu de temps ? Nous ne savons ce qu’il dit ». Ce qui les embarrassait, c’est qu’il disait : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez pas, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Auparavant il leur avait dit, non pas : « Encore un peu de temps » ; mais seulement : « Je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus[382] ». Il semblait alors leur parler clairement, et entre eux ils ne se demandèrent rien à ce sujet. Mais ce qui leur était alors caché et leur fut découvert peu après, nous est maintenant connu. Peu après, en effet, Jésus-Christ souffrit, et ils ne le virent plus ; et encore un peu après, il ressuscita, et ils le virent de nouveau. Par le mot « plus » il voulait leur faire comprendre qu’ils ne le verraient plus à l’avenir, et nous avons déjà expliqué que c’est le sens qu’il faut donner à ces paroles : « Vous ne me verrez plus » ; car, à l’occasion de cet autre passage : « L’Esprit-Saint accusera le monde touchant la justice, parce que je vais au Père, et vous ne me verrez plus[383] », nous avons dit qu’ils ne le verraient plus dans un corps mortel.

2. « Mais Jésus », continue l’Évangéliste, « connut qu’ils voulaient l’interroger, et il leur dit : Vous vous demandez entre vous ce que j’ai dit : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez pas ; et encore un peu de temps, et vous me verrez. En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et vous gémirez, vous, et le monde se réjouira ; vous serez contristés, mais votre tristesse se changera en joie ». Ces paroles peuvent s’entendre en ce sens que les disciples furent contristés par la mort de Notre-Seigneur et réjouis aussitôt après par sa résurrection. Mais le monde, et par là il faut entendre ses ennemis, c’est-à-dire ceux qui le mirent à mort, le monde s’est réjoui de la mort de Jésus-Christ, pendant que ses disciples en étaient contristés. Par le mot « monde », on peut entendre la malice de ce monde, c’est-à-dire des hommes qui aiment le monde. C’est pourquoi l’apôtre saint Jacques dit dans son épître : « Quiconque voudra être ami de ce monde se rend ennemi de Dieu[384] ». Inimitiés contre Dieu en raison desquelles on n’a pas épargné même son Fils unique.

3. Le Seigneur ajoute ensuite : « Une femme, lorsqu’elle enfante, est dans la tristesse, parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de sa douleur à cause de sa joie, parce qu’un homme est né au monde. Et vous, vous avez maintenant de la tristesse ; mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie ». Cette comparaison ne paraît pas difficile à comprendre. L’explication en est toute trouvée, puisque Notre-Seigneur nous l’a donnée lui-même. L’enfantement est comparé à la tristesse, et la délivrance à la joie, qui est d’ordinaire plus grande lorsque, au lieu d’une fille, c’est un garçon qui vient au monde. Quant à ces mots : « Personne ne vous ravira votre joie », comme Jésus lui-même est leur joie, ils nous sont expliqués par ce que dit l’Apôtre : « Jésus-Christ ressuscitant d’entre les morts ne mourra plus, et la mort n’exercera plus jamais sur lui son empire[385] ».

4. Jusque-là, nous n’avons fait que courir dans cette partie de l’Évangile que nous expliquons aujourd’hui, tant chaque chose est facile à comprendre ; mais ce qui suit demande une attention bien plus profonde. Que veulent dire en effet ces paroles : « Et en ce jour vous ne me demanderez rien ? » Le mot ici employé, rogare, ne signifie pas seulement demander, il signifie encore interroger. Et l’Évangile grec, dont celui-ci est la traduction, emploie lui aussi un mot qui présente les deux sens. Ainsi le grec ne peut nous aider à découvrir le sens précis du mot latin ; et quand il pourrait le faire, toute difficulté n’aurait pas disparu. Car nous voyons qu’après sa résurrection Notre-Seigneur a été interrogé et prié. Ses disciples l’ont interrogé, au moment où il montait au ciel, pour savoir quand il reviendrait et rétablirait le royaume d’Israël[386]. Il était déjà dans le ciel, quand il fut prié par saint Étienne de vouloir bien recevoir son âme[387]. Où est l’homme assez osé pour penser ou dire qu’il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd’hui qu’il est assis au plus haut des cieux, puisqu’on le priait lorsqu’il était sur la terre ? qu’il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd’hui qu’il est immortel, puisqu’il fallait le prier quand il était mortel ? Ah ! mes très-chers frères, prions-le plutôt de vouloir bien résoudre lui-même cette difficulté, en faisant briller sa lumière dans nos cœurs, pour nous faire comprendre ce qu’il a voulu dire.

5. Je le pense, ces paroles : « De nouveau je vous verrai et votre cœur se réjouira, et personne ne vous enlèvera votre joie », doivent se rapporter non pas au temps où, après sa résurrection, il leur donna sa chair à voir et à toucher[388], mais plutôt à ce temps dont il avait déjà dit : « Celui qui m’aime sera aimé par mon Père, et je l’aimerai, et je me montrerai à lui [389] ». Déjà, en effet, Jésus-Christ était ressuscité, déjà il s’était montré dans sa chair à ses disciples, déjà il était assis à la droite du Père, quand l’apôtre Jean, dont nous expliquons l’Évangile, disait dans une de ses épîtres : « Mes bien-aimés, maintenant nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’est point encore apparu ; nous savons que, quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est [390] ». Cette vision n’est pas pour cette vie, mais pour la vie future ; elle est, non pas du temps, mais de l’éternité. « C’est », dit celui qui est la vie, « c’est vie éternelle, de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé [391] ». Au sujet de cette vision et de cette connaissance, l’Apôtre nous dit : « Nous ne voyons rien maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures ; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je ne le connais qu’imparfaitement, mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui [392] ». Ce fruit de tout son travail, l’Église l’enfante aujourd’hui par ses désirs ; alors elle le produira en le voyant. Maintenant elle l’enfante en gémissant, alors elle le produira en se réjouissant ; maintenant elle l’enfante en priant, alors elle le produira en louant. Et c’est un garçon ; car c’est à ce fruit de là contemplation que se rapportent toutes les œuvres de l’action. Seul il est libre ; car il est désiré pour lui-même et il ne se rapporte à rien autre chose. C’est lui que sert toute action, c’est à lui que se rapporte tout ce qui se fait de bien, parce que le bien se fait pour lui ; on n’entre en possession de lui, et on ne le possède que pour lui-même, et ce n’est point pour autre chose. Il est la fin qui nous doit suffire : il est donc éternel ; car la seule fin qui puisse nous suffire est celle qui n’a pas de fin. C’est ce qui était inspiré à Philippe, lorsqu’il disait : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». En promettant de le lui montrer, le Fils lui fait la promesse de se montrer lui-même : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi [393] ? » C’est donc avec raison que nous entendons ces paroles : « Personne ne vous enlèvera votre joie », la joie de l’objet qui nous suffit.

6. Parce que nous venons de dire, il nous est, ce me semble, possible de mieux saisir ces paroles : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Ce peu de temps dont parle Notre-Seigneur, c’est tout l’espace qui renferme le temps présent. C’est pourquoi notre Évangéliste dit encore dans une de ses épîtres : « C’est la dernière heure[394] ». Et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Parce que je vais à mon Père », doit se rapporter à la première phrase : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus » ; et non pas à la seconde, où il dit : « et encore un peu de temps et vous me verrez ». Dès lors qu’il devait aller au Père, ils ne devaient plus le voir. Il ne dit donc pas qu’il devait mourir, et que jusqu’à sa résurrection il serait soustrait à leur vue ; mais il dit qu’il devait aller au Père ; ce qu’il fit après sa résurrection, lorsqu’après avoir conversé avec eux pendant quarante jours, il monta au ciel [395]. Il dit donc « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus ». Et il le dit à ceux qui le voyaient corporellement, parce qu’il devait aller au Père, et qu’ils ne le verraient plus comme homme mortel, et tel qu’il était lorsqu’il leur disait ces choses. Quant à ce qu’il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous me verrez », c’est à toute l’Église qu’il le promet ; comme c’est à toute l’Église qu’il a fait cette autre promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles [396] ». Le Seigneur ne retardera pas l’accomplissement de sa promesse : Encore un peu de temps, et nous le verrons, mais dans un état où nous n’aurons pas à le prier ni à l’interroger, parce qu’il ne nous restera rien à désirer ni rien de caché à apprendre. Ce peu de temps nous paraît long, parce qu’il n’est pas encore passé ; mais quand il sera fini, nous comprendrons combien il était court. Que notre joie ne ressemble donc pas à celle du monde dont il est dit : « Mais le monde se réjouira » ; et néanmoins, pendant l’enfantement du désir de l’éternité, que notre tristesse ne soit pas sans joie ; car, dit l’Apôtre : « Joyeux en espérance, patients en tribulations[397] ». En effet, la femme qui enfante, et à laquelle nous avons été comparés, ressent plus de joie à mettre au monde un enfant, qu’elle ne ressent de tristesse à souffrir sa douleur présente. Mais finissons ici ce discours. Ce qui suit offre en effet une difficulté très-épineuse ; il faut ne pas le circonscrire dans le peu de temps qui nous reste, afin de pouvoir l’expliquer avec plus de loisir, s’il plaît au Seigneur de nous en faire la grâce.

CENT DEUXIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS LE DIS, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA », JUSQU’À CES AUTRES : « DE NOUVEAU JE LAISSE LE MONDE ET JE VAIS AU PÈRE ». (Chap. 16,23-28.)

L’HOMME SPIRITUEL.[modifier]

Pour obtenir du Père ce qu’on lui demande, il faut d’abord connaître Jésus-Christ tel qu’il est et ne rien demander qui ne se rapporte au salut. Mais, pour cela, il faut être spirituel, et c’est ce que le Sauveur promet à ses Apôtres de leur obtenir de la part du Père ; car il les aime.

1. Il nous faut maintenant expliquer ces paroles de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera ». Déjà, dans les premières parties de ce discours de Notre-Seigneur, et à l’occasion de ceux qui demandent certaines choses au Père au nom de Jésus-Christ et ne les reçoivent pas, nous avons dit que demander quelque chose de contraire au salut[398], ce n’est pas demander au nom du Sauveur ; car lorsque Jésus a dit : « En mon nom », il a voulu faire allusion, non pas au bruit que font les lettres et les syllabes, mais à ce que ce son signifie et représente réellement. Ainsi celui qui pense de Jésus-Christ ce qu’il ne doit pas penser du Fils unique de Dieu, ne demande pas en son nom, bien qu’il prononce les lettres et les syllabes qui composent son nom ; il demande au nom de celui dont il se fait l’idée au moment où il formule sa demande. Pour celui qui pense de Jésus-Christ ce qu’il en doit penser, il demande en son nom, et il reçoit ce qu’il demande, si d’ailleurs il ne demande rien de contraire à son salut éternel. Mais il le reçoit quand il doit le recevoir. Il est certaines choses qui ne sont pas refusées, mais qui sont différées, pour être données dans un temps opportun, il faut donc entendre que, par ces paroles. « Il vous donnera, à vous », Notre-Seigneur a voulu désigner les bienfaits particuliers à ceux qui les demandent. Tous les saints, en effet, sont toujours exaucés pour eux-mêmes, mais ils ne le sont pas toujours pour tous, pour leurs amis, leurs ennemis, ou les autres ; car Notre-Seigneur ne dit pas absolument : « il donnera » ; mais : « il vous donnera à vous ».

2. « Jusqu’à présent », dit Notre-Seigneur, « vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit entière. Cette joie qu’il appelle une joie pleine, n’est pas une joie charnelle, mais une joie spirituelle, et quand elle sera si grande qu’on ne pourra plus rien y ajouter, alors elle sera pleine. Donc tout ce que nous demandons pour nous aider à obtenir cette joie, il faut le demander au nom de Jésus-Christ, si nous comprenons bien la grâce divine, et si nous demandons vraiment la vie bienheureuse. Demander tout autre chose, c’est ne rien demander hors de là. Sans doute, il y a autre chose ; mais en comparaison d’une si grande chose, tout ce que nous pourrions désirer n’est rien. On ne peut pas dire, en effet, que l’homme n’est rien, et cependant l’Apôtre dit de lui : « Il pense être quelque chose, et il n’est rien [399] ». Car, en comparaison de l’homme spirituel qui sait que c’est par la grâce de Dieu qu’il est ce qu’il est, celui qui s’abandonne à de vains sentiments de lui-même n’est rien. Ainsi on peut très-bien entendre que, dans ces paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera », Notre-Seigneur, par ces mots, « quelque chose », a voulu parler, non pas de toute sorte de choses, mais de quelque chose dont on ne puisse dire que ce n’est rien en comparaison de la vie éternelle. Ce qui suit : « Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom », peut s’entendre de deux manières. Ou bien vous n’avez pas demandé en mon nom, parce que vous n’avez pas connu mon nom comme il doit être connu ; ou bien vous n’avez rien demandé, parce qu’en comparaison de ce que vous deviez demander, ce que vous avez demandé doit être regardé comme rien. Aussi, pour les exciter à demander en son nom, non pas rien, mais une joie pleine (car s’ils demandent autre chose, cette autre chose n’est rien), il leur dit : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine » ; c’est-à-dire, demandez en mon nom que votre joie soit pleine, et vous le recevrez. Car les saints qui demandent avec persévérance ce bien-là, la miséricorde divine ne les trompera pas.
3. Notre-Seigneur continue : « Je vous ai dit ces choses en paraboles : l’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père ». Je pourrais dire que cette heure dont parle Notre-Seigneur doit s’entendre du siècle futur, où nous verrons ouvertement ce que l’apôtre Paul appelle face à face ; ainsi ces mots : « Je vous ai dit ces choses en paraboles », semblent n’être autre chose que ce que dit le même Apôtre : « Nous voyons maintenant par miroir en énigme[400]. Je vous parlerai ouvertement », parce que c’est par le Fils que le Père se fera voir, selon ce qu’il dit lui-même ailleurs : « Et personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui auquel le Fils voudra le révéler[401] ». Mais ce sens paraît opposé à ce qui suit : « En ce jour vous demanderez en mon nom ». Car dans le siècle futur, quand nous serons arrivés à ce royaume, où nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est [402], que pourrons-nous demander, puisqu’au milieu de tous les biens nos désirs seront satisfaits [403] ? C’est pourquoi il est dit dans un autre psaume : « Je serai rassasié, quand votre gloire paraîtra [404] ». Une demande, en effet, est la preuve d’une certaine indigence ; or, nulle indigence ne peut exister là où il y aura satiété complète.
4. Autant que je puis m’en rapporter à mon jugement, il n’y a donc plus qu’une chose à faire, c’est de croire que Jésus a voulu promettre à ses disciples de les rendre spirituels, de charnels et grossiers qu’ils étaient ; sans les rendre néanmoins tels que nous serons, quand notre corps lui-même sera spiritualisé, mais en les rendant tels qu’était celui qui disait : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits[405] » ; et encore : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels[406] » ; et encore : « Nous n’avons pas reçu l’esprit de ce monde, mais l’esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données par Dieu ; choses que nous annonçons, non avec les doctes paroles de la sagesse humaine, mais avec les doctes paroles de l’esprit : appropriant les choses spirituelles aux spirituels ; car l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu[407] ». L’homme animal ne percevant pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu, tout ce qu’il entend sur la nature de Dieu, il l’entend de telle sorte qu’il ne peut s’imaginer qu’il soit autre chose qu’un corps, aussi grand, aussi étendu que vous voudrez, aussi lumineux, aussi beau que vous le supposez, mais enfin toujours un corps. Toutes les paroles de la Sagesse sur la substance incorporelle et immuable sont donc pour lui des paraboles : non qu’il les regarde comme telles ; mais parce qu’il se fait des idées comme ceux qui entendent les paraboles et ne les comprennent pas. Mais l’homme spirituel commence à juger toutes choses et à n’être jugé par personnes, quoique dans cette vie il voie encore par miroir et en partie, néanmoins, sans l’intermédiaire d’aucun sens du corps et sans le secours de cette imagination qui reçoit ou produit les images des corps, mais bien par la très certaine intelligence de son âme, il comprend que Dieu n’est pas un corps, mais un esprit. À la manière si positive dont le Fils nous parle du Père, on comprend qu’il est la même nature avec celui qui l’annonce. Alors ceux qui demandent, demandent en son nom ; parce que par le son de son nom ils ne comprennent pas autre chose que ce qui est désigné par ce nom, et la vanité ou la faiblesse de leur esprit ne leur fait pas imaginer que le Père est dans un lieu et que le Fils se trouve dans un autre, qu’il est debout devant lui et qu’il le prie pour nous : ils ne s’imaginent pas non plus que le Père et le Fils aient des corps, que ces corps occupent des places différentes, et que le Verbe adresse à celui dont il est le Verbe des paroles qui auraient à traverser l’espace interposé entre la bouche de celui qui parle et les oreilles de celui qui écoute ; ils ne se représentent pas davantage des choses semblables à celles que forgent dans leurs cœurs les hommes charnels et grossiers. Pour les hommes spirituels, lorsqu’ils pensent à Dieu, tout ce que l’habitude de voir et de toucher des corps leur rappelle de matériel, ils le renient et le repoussent, comme on chasse des mouches importunes ; ils l’éloignent des yeux de leur âme ; ils acquiescent à la vérité de cette lumière dont le témoignage et le jugement leur prouvent que ces images corporelles qui se présentent aux yeux de leur esprit, sont absolument fausses. Ceux-là peuvent en quelque manière se représenter Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tant qu’homme intercédant pour nous auprès du Père, et en tant que Dieu nous exauçant avec le Père. C’est, j’imagine, ce que Jésus a voulu nous faire comprendre quand il a dit : « Et je ne vous dis point que je prierai le Père pour vous ». Mais l’œil spirituel de l’âme peut seul parvenir à comprendre comment le Fils ne prie pas le Père, et comment le Père et le Fils exaucent par ensemble ceux qui les prient.
5. « Car le Père lui-même », dit Notre-Seigneur, « vous aime parce que vous m’avez aimé ». Le Père nous aime-t-il parce que nous l’aimons, ou bien ne l’aimons-nous point parce qu’il nous aime ? Notre Évangéliste va nous répondre dans son épître : « Nous aimons », dit-il, « parce qu’il nous a aimés le premier [408] ». Le motif qui nous le fait aimer, c’est donc qu’il nous a aimés le premier ; c’est donc un don de Dieu que d’aimer Dieu. Il nous a donné de l’aimer, car avant d’être aimé, il nous a aimés. Nous lui déplaisions, et il nous a aimés, afin qu’il y eût en nous de quoi lui plaire. Car nous n’aimerions pas le Fils, si nous n’aimions aussi le Père. Le Père nous aime parce que nous aimons le Fils ; mais c’est du Père et du Fils que nous avons reçu la grâce d’aimer et le Père et le Fils ; la charité, en effet, a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit des deux [409] ; et cet Esprit nous fait aimer et le Père et le Fils, et avec le Père et le Fils il se fait aimer lui-même. Ce pieux amour dont nous honorons Dieu, c’est Dieu lui-même qui l’a fait naître en nous, et il a vu qu’il était bon ; c’est pourquoi il a aimé ce qu’il avait fait lui-même. Mais il n’aurait pas fait en nous ce qu’il y aime, si, avant de le faire, il ne nous avait pas aimés.
6. « Et vous avez cru », continue Notre-Seigneur, « que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père ». Nous l’avons cru entièrement, et, certes, ce n’est pas difficile à croire, parce qu’en venant dans ce monde il est sorti du Père sans abandonner le Père ; et il retourne au Père en laissant le monde, mais sans quitter le monde. Il est sorti du Père, parce qu’il est du Père ; il est venu dans le monde, parce qu’il a montré au monde le corps qu’il avait pris dans le sein d’une vierge. Il a laissé le monde en s’éloignant de lui corporellement ; il est retourné au Père par l’ascension de son humanité. Mais il n’a pas quitté le monde, car il y est présent par sa providence.

CENT TROISIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CE QUI EST DIT DEPUIS CES MOTS : « SES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI QUE MAINTENANT VOUS PARLEZ OUVERTEMENT », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS AYEZ CONFIANCE, MOI J’AI VAINCU LE MONDE ». (Chap. 16,29-33.)[modifier]

LA FOI DES APÔTRES.[modifier]

Les disciples de Jésus ne le comprenaient pas encore et croyaient néanmoins le comprendre ; ils voyaient briller en lui l’omniscience et, en conséquence, ils croyaient en lui. Cependant le Sauveur leur prédit que, eu dépit de leur foi, ils le quitteront, mais seulement pour un temps.


1. À plusieurs indices répandus dans tout l’Évangile, on reconnaît ce qu’étaient les disciples de Jésus-Christ, lorsque, leur parlant avant sa passion, il leur disait de bien grandes choses : ils étaient pourtant bien petits, mais cependant il s’adressait à eux comme il le fallait pour dire de grandes choses à des petits ; car ils n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit comme ils le reçurent après sa résurrection, au moment où Jésus souffla sur eux, ou bien lorsque l’Esprit-Saint descendit du ciel sur eux, et par conséquent ils goûtaient plutôt les choses humaines que les choses divines ; voilà pourquoi ils disaient ce que nous lisons dans la leçon d’aujourd’hui. L’Évangéliste, en effet, continue : « Ses disciples lui disent : Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles. Maintenant nous savons que vous connaissez toutes choses, et il est inutile que quelqu’un vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu ». Notre-Seigneur avait dit lui-même peu auparavant : « Je vous ai dit ces choses en paraboles ; l’heure vient où je ne vous parlerai pas en paraboles ». Comment donc lui disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles ? » L’heure était-elle venue où, selon sa promesse, il ne devait plus leur parler en paraboles ? Mais la suite de ses paroles montre bien que cette heure n’avait pas encore sonné. Voici, en effet, ce qu’il dit : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, mais l’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, je vous parlerai alors ouvertement de mon Père. En ce jour, vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous ; car le Père lui-même vous aime, parce que vous m’avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père [410] ». Par toutes ces paroles, il promet encore cette heure où il ne parlera plus en paraboles, mais où il leur parlera ouvertement de son Père ; heure où ils demanderont en son nom, et ou il ne priera pas le Père pour eux ; car le Père les aime parce qu’ils ont eux-mêmes aimé Jésus-Christ ; parce qu’ils ont cru qu’il était sorti du Père pour venir dans le monde, et que maintenant il allait laisser le monde pour retourner à son Père. Puisqu’il leur promet encore cette heure où il doit parler sans paraboles, pourquoi les disciples disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement et vous ne dites point de paraboles ? » Évidemment, en voici la raison les choses que Jésus savait être des paraboles pour eux qui ne les comprenaient pas, ils les comprenaient si peu qu’ils ne voyaient pas même qu’ils ne les comprenaient point. Ils étaient encore de petits enfants, et ils ne pouvaient juger spirituellement de ce qui se disait, non par rapport au corps, mais par rapport à l’esprit.
2. Enfin, pour les avertir de leur âge, qui, selon l’homme intérieur, était encore peu avancé et bien faible, « Jésus leur répondit : Vous croyez maintenant ; voici venir l’heure, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de votre côté, et vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi ». Un peu auparavant, il avait dit : « Je laisse le monde et je vais à mon Père » ; maintenant il dit : « Le Père est avec moi ». Comment aller à celui qui est avec lui ? Voilà une parole claire pour celui qui comprend, une parabole pour celui qui ne comprend pas. Néanmoins, ce que les enfants sont maintenant incapables de comprendre, ils peuvent le sucer, et s’il ne leur fournit pas une alimentation solide, qu’ils ne pourraient supporter, du moins il ne les prive pas d’un lait qui leur sert de nourriture. Aux Apôtres, cet aliment donnait de savoir que Jésus connaissait toutes choses et qu’il n’avait pas besoin que quelqu’un l’interrogeât ; aussi l’on peut demander pourquoi ils s’expriment ainsi. Il semble, en effet, qu’il eût fallu dire : Vous n’avez pas besoin d’interroger quelqu’un, et non pas : « Que quelqu’un vous interroge ». Ils venaient de dire : « Nous savons que vous connaissez toutes choses » ; or, évidemment, ceux qui ignorent, interrogent d’ordinaire celui qui connaît tout, afin d’apprendre de lui ce qu’ils cherchent à savoir. Mais celui qui connaît tout n’interroge pas comme s’il voulait apprendre quelque chose. Par conséquent, puisqu’ils savaient qu’il connaissait toutes choses, et qu’ils auraient dû lui dire : Vous n’avez besoin d’interroger personne, pourquoi ont-ils cru devoir lui dire : « Vous n’avez pas besoin que quelqu’un vous interroge ? » Pourquoi cela, quand nous voyons que l’un et l’autre ont été faits, c’est-à-dire que Notre-Seigneur a interrogé et qu’il a été lui-même interrogé ? La solution de cette difficulté est facile à trouver. Ce n’était pas lui qui avait besoin de les interroger et d’être interrogé par eux ; c’étaient eux-mêmes. Car s’il les interrogeait, il voulait non pas apprendre d’eux quelque chose, mais bien plutôt les instruire ; et puisque ceux qui l’interrogeaient voulaient apprendre quelque chose de lui, ils avaient assurément besoin de l’interroger, pour apprendre quelque chose de Celui qui connaissait tout. Il n’avait donc pas besoin que quelqu’un l’interrogeât. Pour nous, quand ceux qui veulent apprendre quelque chose de nous nous interrogent, il nous est facile de comprendre, d’après leurs questions, ce qu’ils veulent savoir. Nous avons donc besoin d’être interrogés par ceux à qui nous voulons apprendre quelque chose, afin de connaître ; les questions auxquelles nous aurons à répondre. Mais Jésus, qui connaissait tout, n’avait pas même besoin de cela ; il n’avait pas besoin qu’on lui fît des questions pour connaître ce que chacun voulait apprendre de lui, parce qu’avant d’être interrogé, il connaissait la volonté de celui qui devait l’interroger. Néanmoins, il se laissait interroger afin de montrer quels étaient ceux qui l’interrogeaient, soit à ceux qui étaient présents, soit à ceux qui devaient en entendre raconter ou lire le récit : c’était encore afin de nous faire ainsi connaître quels pièges on lui tendait sans pouvoir l’y faire tomber, et aussi par quels moyens on s’approchait de lui. Prévoir les pensées des hommes et ainsi n’avoir nul besoin d’être interrogé, ce n’était pas chose difficile pour Dieu, mais c’était une grande chose aux yeux de disciples peu spirituels, comme étaient les siens ; car ils lui dirent : « En cela, nous croyons que « vous êtes sorti de Dieu ». Une chose bien plus difficile à comprendre était celle à l’intelligence de laquelle il voulait les amener et les élever, lorsqu’après les avoir entendus lui dire, et lui dire avec vérité : « Vous êtes « sorti de Dieu » ; il leur répondit : « Le Père est avec moi », pour ne point leur laisser croire que le Fils était sorti du Père, de façon à le quitter.
3. Enfin, pour terminer ce grand et long discours, le Christ ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez des afflictions ; mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde ». Cette affliction devait avoir le commencement dont il leur avait parlé plus haut, quand pour leur montrer qu’ils n’étaient que de petits enfants qui ne comprenaient pas encore, qui prenaient une chose pour une autre et qui regardaient comme des paraboles les choses élevées et divines qu’il leur adressait, il leur dit : « Maintenant vous croyez ? Voici venir l’heure, et elle est déjà venue, où vous vous disperserez chacun de votre côté ». Voilà le commencement de leur affliction ; mais elle ne devait pas durer toujours de cette façon ; s’il leur dit : « Et vous me laisserez seul », il ne veut pas que pendant la persécution qui doit suivre et qu’ils auront à souffrir dans le monde après son ascension, ils le laissent seul ; mais il veut qu’ils demeurent en lui et qu’ils y trouvent la paix. Lorsque, en effet, il eut été pris par les Juifs, non seulement ils abandonnèrent corporellement son humanité, mais leur âme elle-même abandonna la foi en lui. C’est à cela que se rapportent ces paroles : « Maintenant vous croyez ? Voici venir l’heure où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez ». C’était, en d’autres termes, leur dire : Alors vous serez tellement troublés, que vous laisserez même ce que vous croyez maintenant. Ils en vinrent en effet à un désespoir inouï, et pour ainsi dire à une sorte d’anéantissement de leur foi première. Cléophas en fut une preuve vivante ; car, s’entretenant avec Jésus sans le connaître après la résurrection, et lui racontant ce qui lui était arrivé, il lui disait : « Nous espérions qu’il rachèterait Israël[411] ». Voilà comment ils l’avaient laissé : ils avaient abandonné même la foi qu’ils avaient eue en lui. Mais dans la persécution qu’ils souffrirent après sa glorification et après la descente du Saint-Esprit, ils ne l’abandonnèrent plus : sans doute, ils s’enfuirent de ville en ville, mais ils ne s’éloignèrent plus de lui ; mais, afin de trouver la paix en lui-même au milieu de la persécution, ils ne s’éloignèrent pas de lui comme des transfuges ; ils le prirent, au contraire, pour leur refuge. Quand ils eurent reçu le Saint-Esprit, alors s’accomplit en eux ce qu’il leur dit maintenant. « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde ». Ils ont eu confiance et ils ont vaincu. En qui ? En lui, évidemment. Car lui n’aurait pas vaincu le monde, si ses membres s’étaient laissé vaincre parle monde. Aussi l’Apôtre dit-il : « Rendons grâces à Dieu, qui nous donne la victoire », et ajoute-t-il aussitôt : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ[412] ». Car le Sauveur avait dit à ses disciples : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde ».

CENT QUATRIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR LES PAROLES SUIVANTES : « JÉSUS PARLA AINSI, ET AYANT LEVÉ LES YEUX AU CIEL IL DIT : « PÈRE, L’HEURE EST VENUE, GLORIFIEZ VOTRE FILS, AFIN QUE LE FILS VOUS GLORIFIE ». (Chap. 17, 1.)[modifier]

LES SOUFFRANCES, SOURCE DE GLOIRE.[modifier]

Tout ce que Jésus avait dit, fait et disposé à l’égard de ses Apôtres, n’avait pour but que de leur faire trouver la paix en lui, même au milieu de leurs épreuves. Pour terminer, il s’adresse à son Père, et il lui demande, puisque l’heure fixée par lui pour ses souffrances est venue, de donner à son humanité la gloire qu’elles lui mériteront.

1. Avant ces paroles, qu’avec l’aide de Dieu nous allons expliquer, Jésus avait dit : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi ». Ceci a trait non seulement à ce qu’il venait de leur dire à l’instant, mais encore à tout ce qu’il leur avait dit, soit depuis le moment où il les avait choisis pour ses disciples, soit au moins depuis le moment où, après la cène, il avait commencé ce long et admirable discours. Il leur rappelle en effet la cause pour laquelle il leur a parlé il voulait leur faire rapporter à cette fin, ou bien tout ce qu’il leur avait dit jusqu’alors, ou bien, et surtout, les dernières paroles qu’il leur avait adressées avant de mourir pour eux, et depuis que le traître était sorti du saint banquet. Il leur rappela donc que la fin de tous ses discours, c’était qu’ils eussent la paix en lui ; c’est à elle que se rapportent toutes les circonstances de notre vie de chrétiens. Cette paix n’aura point de fin ; mais elle doit être la fin de toutes nos pieuses intentions et de toutes nos actions. C’est pour elle que nous sommes munis des sacrements : pour elle nous sommes instruits par se : œuvres et ses discours admirables ; pour elle nous avons reçu le gage de son Esprit ; pouf elle nous croyons et espérons en lui ; poux elle, enfin, nous sommes enflammés de son amour, autant qu’il nous en fait la grâce. C’est elle qui nous console dans toutes nos afflictions, qui nous délivre de toutes nos peines, c’est pour elle que nous supportons courageusement toutes les tribulations, afin qu’en elle nous régnions heureusement sans tribulation aucune. C’est avec raison que Notre-Seigneur a terminé par elle ces paroles qui, pour ses disciples encore peu éclairés, étaient des paraboles, et qu’ils devaient comprendre seulement après la venue du Saint-Esprit, qu’il leur avait précédemment promis, en ces termes : « Je vous aie dit ces choses lorsque j’étais encore au milieu de vous ; mais le Saint-Esprit consolateur, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et il vous rappellera tout ce que je vous dis [413] ». Cette heure était assurément celle où il leur avait promis de ne plus parler en paraboles, mais de parler ouvertement du Père. Ces mêmes paroles de Jésus-Christ devaient cesser d’être des paraboles pour ceux qui les comprendraient, grâce à la révélation du Saint-Esprit. Cependant, quand le Saint-Esprit parlerait dans leur cœur, le Fils unique ne devait pas se taire, car il vient de dire qu’à cette heure il leur parlerait ouvertement du Père, et comme ils devaient comprendre désormais, ce ne serait plus pour eux des paraboles. Mais en cela même, c’est-à-dire dans la manière dont le Fils de Dieu et le Saint-Esprit, et même la Trinité tout entière qui opère indivisiblement, parlent au cœur des hommes spirituels, se trouve une parole pour ceux qui comprennent, et une parabole pour ceux qui ne comprennent pas.
2. Quand donc il leur eut déclaré pourquoi il leur avait dit toutes ces choses, quand il leur eut dit que c’était pour leur faire trouver la paix en lui, au moment où le monde les persécuterait ; quand il les eut exhortés à avoir confiance, puisqu’il avait vaincu le monde, il se trouva avoir achevé ce qu’il avait à leur dire, il s’adressa dès lors à son Père, et commença à prier. L’Évangéliste, en effet, poursuit en ces termes : « Jésus prononça ces paroles, et ayant levé les yeux au ciel, il dit : Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils ». Notre-Seigneur, Fils unique du Père et coéternel à lui, pouvait, dans sa forme d’esclave et par elle, prier en silence, s’il l’avait jugé nécessaire ; mais il a voulu être auprès de son Père notre intercesseur, de manière toutefois à ne pas oublier qu’il était aussi notre maître. Par conséquent, la prière qu’il a faite pour nous, il l’a faite pour nous instruire. Car un si grand maître devait édifier ses disciples, non seulement en leur adressant ses leçons, mais encore en priant son Père en leur faveur. Et si ces paroles étaient à l’avantage de ceux qui devaient les entendre prononcer, elles devaient être aussi avantageuses à nous qui devions les lire dans son Évangile. Ainsi donc, quand il dit : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils », il montre que le temps tout entier, et tout ce qu’il faisait ou laissait faire, était à la disposition de Celui qui n’est pas soumis au temps. En effet, tout ce qui doit arriver à n’importe quelle époque, a sa cause efficiente dans la sagesse de Dieu, en qui ne se trouve aucun temps. Gardons-nous donc de croire que cette heure soit venue, amenée par la fatalité ; elle est venue uniquement par l’ordre de Dieu. La connexion des astres n’a pas non plus nécessité la passion de Jésus-Christ ; loin de nous la pensée que les astres puissent forcer à mourir le Créateur des astres. Le temps n’a donc pas contraint Jésus-Christ à mourir ; mais Jésus-Christ a choisi son temps pour mourir ; car il a fixé avec le Père dont il est né en dehors du temps, le temps où il est né de la Vierge. C’est d’accord avec cette vraie et saine doctrine que l’apôtre Paul a dit : « Mais quand est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils [414] ». Dieu dit aussi par le Prophète : « Au temps favorable je t’ai exaucé, et au jour du salut je t’ai aidé [415] ». L’Apôtre dit encore : « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut [416] ». Que Jésus dise donc : « Père, l’heure est venue » ; car, avec le Père, il a disposé toutes les heures ; c’est comme s’il disait : « Père, elle est venue », l’heure que nous avons fixée ensemble pour me glorifier à cause des hommes et devant les hommes, « glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour ».
3. À entendre quelques-uns, le Père a glorifié le Fils, en ce que, au lieu de l’épargner, il l’a livré pour nous [417]. Mais si le Christ a été glorifié par sa passion, combien plus ne l’a-t-il pas été par sa résurrection ? Dans sa passion, en effet, son humilité se manifeste bien plus que sa gloire ; l’Apôtre lui-même s’en porte garant dans ce passage : « Il s’est humilié lui-même, en se rendant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix ». Ensuite il continue et, au sujet de sa glorification, il dit : « C’est pourquoi aussi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père ». Voilà la glorification de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; elle a pris naissance dans sa résurrection. Dans le discours de l’Apôtre, il est question de son humilité depuis cet endroit : « Il s’est anéanti lui-même, acceptant la forme d’esclave », jusqu’à ces mots : « A la mort de la croix », et de sa gloire depuis ce passage : « C’est pourquoi aussi Dieu l’a exalté », jusqu’à ces mots : « Il est dans la gloire de Dieu le Père [418] ». Car, à examiner les exemplaires en langue grecque d’après lesquels on a fait la traduction latine, dans les Épîtres des Apôtres, à la place du mot latin Gloria, gloire, on lit en grec doxa: c’est la racine du verbe grec doxason, que l’interprète latin a traduit par le mot clarifica; il aurait pu le traduire par celui de glorifica, qui signifie la même chose. Aussi, dans l’Épître de l’Apôtre où se trouve le mot gloria, gloire, on aurait pu mettre claritas, manifestation ; car alors la signification serait la même. Mais on n’a pas voulu s’écarter de la consonance des mots ; comme du mot claritas vient le mot clarificatio, du mot gloria vient le mot glorificatio. Pour être honoré ou glorifié, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ Homme, s’est d’abord anéanti dans sa passion ; car il ne serait pas ressuscité d’entre les morts, s’il n’était pas mort ; ses abaissements lui ont mérité la gloire, et la gloire a été pour lui la récompense de ses abaissements ; mais tout cela s’est fait dans sa forme de serviteur, car dans sa forme de Dieu, il a toujours été, il sera toujours la gloire. Bien plus, il n’a jamais été comme s’il ne l’était plus, et jamais il ne sera comme s’il ne l’était pas encore, mais sans commencement et sans fin il est toujours la gloire. Aussi, quand il dit : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils », il faut entendre ses paroles comme s’il disait : Voici l’heure de semer l’abaissement, ne différez pas d’amener le fruit de la gloire. Mais que veut dire ce qui suit : « Afin que votre Fils vous glorifie à son tour ? » Dieu le Père a-t-il, lui aussi, supporté l’abaissement de l’incarnation et de la passion, et devait-il être, en conséquence de cela, glorifié ? Comment donc le Fils pouvait-il le glorifier, puisque sa gloire éternelle n’aurait pu ni paraître plus petite sous la forme humaine, ni être plus grande dans sa forme divine ? Mais je ne veux point traiter cette question dans ce discours, car je craindrais, ou de l’allonger trop, ou d’écourter la réponse.

CENT CINQUIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « AFIN QUE VOTRE FILS VOUS GLORIFIE », JUSQU’À CES AUTRES : « DE LA GLOIRE QUE J’AI EUE EN VOUS, AVANT QUE LE MONDE FUT ». (Chap. 17,1-5.)[modifier]

GLORIFICATION DU FILS ET DU PÈRE.[modifier]

Le Sauveur prie son Père de le glorifier comme homme en le ressuscitant, afin que lui-même glorifie son Père, en communiquant aux prédestinés la vie éternelle, c’est-à-dire, la connaissance de Dieu, et qu’en conséquence le Père place son Verbe fait homme à sa droite dans le ciel, comme il l’avait décidé de toute éternité.


1. Que le Père ait glorifié le Fils selon sa forme d’esclave, en la ressuscitant d’entre les morts et en la plaçant à sa droite, c’est ce que l’événement nous a prouvé, c’est ce dont aucun chrétien ne doute. Mais comme notre Seigneur ne se contente pas de dire : « Père, glorifiez votre Fils » ; et qu’il ajoute : « Afin que votre Fils vous glorifie à son tour », on se demande avec raison comment le Fils a glorifié le Père, d’autant plus que l’éternelle gloire du Père n’a pas été diminuée par l’union avec la forme humaine, et n’aurait pu être augmentée dans sa perfection divine ? En elle-même, sans doute, la gloire du Père ne peut ni augmenter ni diminuer ; mais, parmi les hommes, elle était assurément moins étendue, quand Dieu n’était connu que dans la Judée [419], et que, de l’Orient à l’Occident, les enfants ne louaient pas encore le nom du Seigneur [420] : comme c’est au moyen de l’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ que le Père a été par le Fils annoncé aux nations, il est évident que le Fils, lui aussi, a glorifié le Père. Si le Fils était mort sans ressusciter ensuite, il n’aurait pas été glorifié par le Père ; et, à son tour, il n’aurait pas glorifié le Père. Mais maintenant que le Père l’a glorifié en le ressuscitant, il glorifie le Père par la prédication de sa résurrection. C’est ce que nous découvre la suite même de ces paroles : « Glorifiez », dit-il, « votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour » ; c’était dire Ressuscitez-moi, afin que par moi vous soyez connu de l’univers entier.
2. Ensuite il fait de plus en plus connaître la manière dont le Fils glorifie le Père, et il ajoute : « Comme vous lui avez donné puissance sur toute chair, afin qu’il communique la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés » ; il dit toute chair, pour dire tout homme, car il prend la partie pour le tout. C’est ainsi que l’homme tout entier est désigné parla partie supérieure de lui-même, dans ces paroles de l’Apôtre : « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures [421] ». Que veulent dire ces mots : « Toute âme ? » tout homme. Si la puissance sur toute chair a été donnée à Jésus-Christ par le Père, il faut entendre que c’est selon son humanité ; car, selon sa divinité, « toutes choses ont été faites par lui [422], et en lui toutes choses ont été créées au ciel et sur la terre, les choses visibles et les invisibles [423] ». Il dit donc : « Comme vous lui avez donné puissance sur toute chair », qu’ainsi votre Fils vous glorifie, c’est-à-dire qu’il vous fasse connaître à toute chair, puisque vous la lui avez donnée. Vous la lui avez donnée, en effet, de telle sorte « qu’il communique la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés ».
3. « Mais », continue Notre-Seigneur, « voici quelle est la vie éternelle, c’est qu’ils connaissent pour le seul vrai Dieu, vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé ». L’ordre des paroles est celui-ci : « Que vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ, ils vous connaissent pour le seul vrai Dieu ». Naturellement, il faut sous-entendre le Saint-Esprit ; il est, en effet, l’Esprit du Père et du Fils, puisqu’il est l’amour substantiel et consubstantiel des deux. Car le Père et le Fils ne sont pas deux dieux ; le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux ; mais la Trinité elle-même est le seul et unique vrai Dieu. Et cependant le Père n’est pas le même que le Fils, le Fils n’est pas le même que le Père, et le Saint-Esprit n’est pas le même que le Père et le Fils ; puisqu’ils sont trois, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; mais la Trinité elle-même est un seul Dieu. Si donc le Fils vous glorifie de la manière « dont vous a lui avez donné la puissance sur toute chair », et si vous la lui avez donnée de telle sorte, « que ceux que vous lui avez donnés, il leur « donne la vie éternelle », et « que cette vie éternelle soit de vous connaître », il s’ensuit que le Fils vous glorifie en vous faisant connaître à tous ceux que vous lui avez donnés. Donc, si la vie éternelle n’est autre chose que la connaissance de Dieu, plus nous avançons dans cette connaissance, plus nous tendons vers la vie. Or, nous ne mourrons pas dans la vie éternelle ; la connaissance de Dieu sera donc parfaite, quand il n’y aura plus de mort à subir. Alors aura lieu la souveraine glorification de Dieu ; car, alors sera sa souveraine gloire, qui en grec se dit doxa. C’est pourquoi il est dit ici : doxason,ce que les Latins ont traduit, les uns par le mot clarifica, et d’autres par le mot glorifica. « La gloire », c’est-à-dire, ce qui rend les hommes glorieux, a été définie ainsi par les anciens : La gloire est une grande renommée accompagnée de louanges. Mais si on loue un homme parce qu’on s’en rapporte sur son compte à la renommée, comment louera-t-on Dieu, lorsqu’on le verra lui-même ? C’est pourquoi il est écrit : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre demeure, ils vous loueront dans les siècles des siècles [424] ». On louera Dieu sans fin, là où on le connaîtra parfaitement ; et parce qu’il y aura pour nous une parfaite connaissance de Dieu, il y aura pour lui une souveraine manifestation ou glorification.
4. Mais Dieu est d abord glorifié ici-bas, lorsqu’on l’annonce pour le faire connaître aux hommes, et que, par leur foi, les croyants le prêchent au monde. C’est pourquoi Jésus dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que vous m’avez donnée à faire » ; il ne dit pas : que vous m’avez commandée, mais : « que vous m’avez donnée à « faire ». Ici, il est évidemment question de la grâce ; car la nature humaine, même dans son Fils unique, a-t-elle quelque chose qu’elle n’ait pas reçu ? Pour elle, n’est-ce pas un privilège de ne faire aucun mal et de faire tout le bien possible, et ce privilège ne lui a-t-il pas été accordé, lorsque le Verbe, qui a fait toutes choses, se l’est associée en unité de personne ? Mais comment a-t-il achevé l’œuvre qu’il avait reçu mission d’accomplir, quand il reste encore à faire l’expérience de cette passion, par laquelle il a surtout donné à ses martyrs un exemple à suivre ; ce qui a fait dire à l’apôtre Pierre : « Jésus-Christ a souffert pour nous, nous laissant a son exemple afin que nous suivions ses traces [425] ? » Parce qu’il a pu dire qu’il avait achevé ce qu’il savait certainement devoir achever. C’est ainsi que, longtemps avant l’événement, il se servait, dans les prophéties, de verbes au temps passé, quand ce qu’il annonçait ne devait arriver que bien des années après : « Ils ont percé », dit-il, « mes mains « et mes pieds ; ils ont compté tous mes os [426] » ; il ne dit pas : Ils perceront, ils compteront. Dans notre Évangile même, il dit : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître [427] », quoiqu’en s’adressant ensuite aux mêmes hommes, il leur dise« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant [428] ». En effet, pour celui qui, par des causes certaines et immuables, a prédestiné tout ce qui doit arriver, on peut dire que déjà il a fait ce qu’il doit faire. Aussi un Prophète a-t-il dit de lui : « C’est lui qui a fait les choses à venir[429] ».
5. C’est encore en ce sens qu’il ajoute : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi aussi en vous-même, de la gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde fût ». Plus haut il avait dit : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour ». Cet ordre de parole montrait que le Père devait d’abord glorifier le Fils, afin que le Fils glorifiât ensuite le Père. Maintenant, au contraire, il dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que vous m’avez donnée à faire ; et maintenant glorifiez-moi », comme s’il avait été le premier à glorifier le Père, à qui il demande de le glorifier lui-même à son tour. Il faut donc admettre que, dans le premier passage, il s’est servi de ces deux mots pour marquer ce qui devait arriver, et dans l’ordre où cela devait arriver : Glorifiez le Fils, afin que le Fils vous glorifie. Dans le dernier passage, au contraire, il s’est servi d’un verbe au temps passé, pour marquer une chose future ; il dit effectivement : « Je vous ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que vous m’avez donnée à faire ». Puis il ajoute : « Et maintenant, Père, glorifiez-moi en vous-même » ; de là, il semble résulter qu’il ne devait être glorifié parle Père qu’après l’avoir glorifié lui-même. Par ces paroles, que veut-il donc nous faire entendre ? Le voici, c’est qu’en disant plus haut : « Je vous ai glorifié sur la terre », il parlait comme s’il avait déjà fait ce qu’il ne devait faire que plus tard, et demandait que le Père fit ce par quoi le Fils devait faire ce qu’il disait, c’est-à-dire que le Père glorifiât le Fils, de cette glorification dont le Fils, lui aussi, devait glorifier le Père. Enfin, si nous employons le futur pour des choses à venir, tandis que, dans le même cas, Notre-Seigneur a employé le temps passé, toute obscurité disparaîtra ; ce sera comme s’il avait dit : Je vous glorifierai sur la terre ; j’achèverai l’œuvre que vous m’avez donnée à faire ; et maintenant, vous aussi, Père, glorifiez-moi en vous-même. De cette manière tout devient aussi clair que dans le passage où il dit : « Glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour ». C’est absolument la même pensée, à cela près que, dans un endroit, il explique le mode de cette glorification, et que dans l’autre il le passe sous silence ; il voulait peut-être apprendre à ceux que cela pouvait toucher, comment le Père devait glorifier le Fils, et surtout comment le Fils devait glorifier le Père. En disant, en effet, que le Père était glorifié par lui sur la terre, mais qu’il était à son tour glorifié par le Père en lui-même, il montre bien le mode dont s’opère chacune de ces glorifications. Il a glorifié le Père sur la terre, en le prêchant aux nations ; et le Père l’a glorifié en lui-même, en le plaçant à sa droite, mais lorsqu’en parlant ensuite de la glorification du Père, il dit : « Je vous ai glorifié », il a préféré employer le verbe au temps passé, pour montrer comme accompli dans la prédestination, et pour faire regarder comme déjà fait ce qui devait être très-sûrement fait. En d’autres termes : Glorifié par le Père dans le Père, le Fils devait glorifier le Père sur la terre.
6. Mais cette prédestination dans la glorification dont le glorifia le Père, Notre-Seigneur nous la découvre bien plus manifestement dans ce qu’il ajoute : « De la gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde fût ». L’ordre des paroles est bien celui-ci : « Que j’ai eu en vous avant que le monde fût ». C’est à ceci que se rapporte ce qu’il avait dit : « Et maintenant glorifiez-moi », c’est-à-dire Comme vous m’avez glorifié alors, glorifiez-moi maintenant. Comme alors vous m’avez glorifié en prédestination, maintenant glorifiez-moi en réalité. Faites dans le monde ce qui était déjà fait en vous avant l’existence du monde ; faites en son temps ce que vous aviez arrêté avant tous les temps. À en croire quelques-uns, il faut entendre ces paroles en ce sens que la nature humaine, prise par le Verbe, se changerait en Verbe, et que l’homme se transformerait en Dieu ; et même, si nous examinons plus attentivement leur opinion, que l’homme s’anéantirait en Dieu. Personne n’oserait dire que par ce changement de l’homme, le Verbe de Dieu se doublerait ou qu’il y en aurait deux au lieu d’un, et que le Verbe serait plus grand qu’il n’était. Mais si la nature humaine est changée et convertie au Verbe, et que le Verbe de Dieu reste ce qu’il était et aussi grand qu’il était, que deviendra l’homme ? Ne périra-t-il pas ?
7. Mais rien ne nous oblige d’admettre cette opinion, car, ce me semble, elle ne s’accorde pas avec la vérité, si par ces paroles du Fils : « Et maintenant vous, Père, glorifiez – moi en vous-même de la gloire que j’ai eue « en vous, avant que le monde fût n, nous entendons la prédestination à la gloire de la nature humaine qui est en lui et qui se réunira au Père, quand de mortelle elle sera devenue immortelle ; si, d’ailleurs, nous supposons déjà accompli dans la prédestination et avant la création du monde ce qui devait se faire dans le monde à son temps. En effet, si l’Apôtre a pu dire de nous : « Comme il nous a élus en lui-même avant la constitution du monde [430] », pourquoi regarderait-on comme faux que le Père ait glorifié notre chef, au moment où il nous élisait en lui-même pour être ses membres ? Comme nous avons été élus, ainsi il a été glorifié ; car, avant que le monde fût, nous n’étions pas nous-mêmes, et Jésus-Christ homme, médiateur de Dieu et des hommes [431], n’était pas non plus. Mais Celui qui par lui-même, en tant qu’il est son Verbe, « a fait même les choses « futures et appelle les choses qui ne sont pas comme si elles étaient [432] », assurément, en tant qu’il est homme médiateur de Dieu et des hommes, Dieu le Père l’a glorifié pour nous avant la constitution du monde, puisqu’alors il nous a choisis en lui. En effet, que dit l’Apôtre ? « Mais nous savons qu’à ceux qui aiment Dieu, toutes choses tournent à bien, oui, à ceux qui selon son dessein ont été appelés ; car ceux qu’il a prévus, il les a aussi prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils, afin qu’il fût lui-même le premier-né au milieu de plusieurs frères ; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés [433] ».
8. Mais peut-être craindrons-nous de dire de Notre-Seigneur qu’il a été prédestiné ? L’Apôtre semble, en effet, ne parler que de nous lorsqu’il dit qu’il nous fallait devenir conformes à son image. Mais le chrétien qui suit fidèlement la règle de la foi, peut-il nier que le Fils de Dieu ait été prédestiné, puisqu’on ne peut nier qu’il soit homme ? Sans doute, il est juste qu’on ne lui donne pas le nom de prédestiné en tant qu’il est le Verbe de Dieu, Dieu en Dieu. Pourquoi aurait-il été prédestiné, puisque ce qu’il était, il l’était déjà, c’est-à-dire, éternel, sans commencement et sans fin ? Mais ce qui devait être prédestiné, c’est ce qu’il n’était pas encore, c’est ce qu’il devait devenir en son temps, comme avant tous les temps il avait été prédestiné qu’il deviendrait. Quiconque nie que le Fils de Dieu ait été prédestiné, nie aussi qu’il soit le fils de.l'homme. Mais à cause de ces chicaneurs, Écoutons encore ici ce que l’Apôtre dit au commencement de ses Épîtres. Dans la première, qui est celle aux Romains, et tout au commencement, nous lisons : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l’apostolat, choisi pour l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis d’avance par ses Prophètes dans les saintes Écritures au sujet de son Fils, Fils qui lui a été fait selon la chair de la race de David, qui a été prédestiné Fils de Dieu en la puissance, selon l’esprit de sanctification, par sa résurrection d’entre les morts [434] ». Donc, même en raison de cette prédestination, il a été glorifié avant que le monde fût, afin que sa gloire vînt, auprès du Père, à la droite duquel il est assis, de sa résurrection d’entre les morts. Quand donc il vit que le temps de la gloire qui lui était prédestinée était venu, et qu’allait s’accomplir en réalité ce qui avait été fait en prédestination, il fit cette prière : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi en vous de la gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût ». C’était dire, en d’autres termes : Cette gloire que j’ai eue en vous, c’est-à-dire, cette gloire que j’ai eue en vous dans votre prédestination, il est temps que je l’aie aussi en vous en vivant à votre droite. Mais comme l’examen de cette question nous a retenus longtemps, nous traiterons de ce qui suit dans un autre discours.

CENT SIXIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « J’AI MANIFESTÉ VOTRE NOM AUX HOMMES », JUSQU’À CES AUTRES : « ET ILS ONT CRU QUE VOUS M’AVEZ ENVOYÉ ». (Chap. 17,6-8.)[modifier]

LA MANIFESTATION DU PÈRE.[modifier]

Qu’il s’agisse des seuls disciples du Sauveur ou de tous les fidèles, toujours est-il que, en qualité d’homme, Jésus les avait reçus de Dieu et qu’il devait leur communiquer la connaissance de la sainte Trinité, et la foi en ce que le Père avait dit au Fils en l’engendrant.


1. Nous parlerons dans ce discours, selon que le Seigneur nous en fera la grâce, sur ces paroles qu’ajouta Notre-Seigneur : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde ». Si ces paroles s’adressaient seulement aux disciples avec lesquels il avait fait la cène, et auxquels il avait dit tant de choses avant de commencer sa prière, elles ne se rapporteraient pas à cette illustration, ou, comme tant d’autres traduisent, à cette glorification dont il parlait tout à l’heure, et par laquelle le Fils célèbre ou glorifie le Père. Quelle gloire, quelle grande gloire y aurait-il eu, pour le Père, d’être connu de douze ou plutôt de onze hommes mortels ? Mais si, par ces paroles : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde », le Christ a voulu désigner tous ceux qui, croyant en lui, devaient appartenir à sa grande Église, composée de toutes les nations et dont il est dit au Psaume : « Dans une grande Église [435] je vous confesserai », assurément, voilà bien la glorification dont le Fils glorifie le Père, lorsqu’il fait connaître son nom à toutes les nations et à tant de générations d’hommes. Et ce qu’il dit ici : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde », signifie la même chose que ce qu’il avait dit un peu auparavant : « Je vous ai glorifié sur la terre [436] ». Il a mis ici et là le passé pour le futur, car il savait bien qu’il était décidé d’avance que cela se ferait, et par conséquent il dirait avoir fait ce qu’il devait faire très certainement.
2. Cependant, que ce soit de ceux qui étaient déjà ses disciples, et non de tous ceux qui devaient croire en lui, que Notre-Seigneur ait dit : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde », c’est ce que rendent plus croyable les paroles qui suivent. En effet, après avoir dit ces mots, il ajoute : « Ils étaient vôtres, et vous me les avez donnés, et ils ont gardé votre parole. « Maintenant ils ont connu que tout ce que « vous m’avez donné, vient de vous ; car les paroles que vous m’avez données, je les leur ai données ; et ils les ont reçues, et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que vous m’avez envoyé ». Sans doute il aurait pu dire toutes ces choses de tous les fidèles futurs ; car elles étaient déjà accomplies en espérance, quoiqu’elles ne dussent réellement s’accomplir que plus tard ; mais ce qui prouve davantage qu’il ne voulait point faire par là allusion seulement à ses disciples d’alors, c’est ce qu’il dit peu après : « Lorsque j’étais avec eux, je les gardais en votre nom ; ceux que vous m’avez donnés, je les ai gardés et aucun d’eux n’a péri, sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture s’accomplit ». Il indiquait ainsi le traître Judas, car, des douze, Apôtres, il a été le seul qui ait péri. Ensuite il ajoute : « Mais maintenant je viens à vous ! » De là, il ressort évidemment qu’il faisait allusion à sa présence corporelle, quand il disait : « Lorsque j’étais avec eux, je les gardais u. On croirait, à l’entendre, que déjà il avait cessé de se trouver corporellement présent parmi eux. Ainsi a-t-il voulu indiquer son ascension qui devait avoir lieu prochainement, et de laquelle il dit : « Mais maintenant je viens à vous ». Il devait, en effet, aller s’asseoir à la droite du Père, d’où, selon la règle de la foi et la saine doctrine, il doit venir avec le même corps juger les vivants et les morts. Par sa présence spirituelle, il devait rester avec eux, même après son ascension, et doit rester avec toute son Église en ce monde jusqu’à la consommation des siècles [437]. On ne comprendrait pas bien de qui il a dit : « Lorsque j’étais avec eux, je les gardais », si on n’appliquait ces paroles qu’à ses disciples d’alors ; comme ils croyaient en lui, il avait commencé à les garder corporellement, et il devait les abandonner corporellement, afin de les garder avec le Père d’une manière spirituelle. Il parle ensuite des autres qui sent aussi à lui, lorsqu’il dit : « Or, je prie non pas pour ceux-là seulement, mais aussi pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole ». Ceci montre bien clairement qu’il ne parlait pas de tous ses disciples lorsqu’il disait : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés », mais seulement de ceux qui l’écoutaient lorsqu’il prononçait ces mots.
3. Au commencement même de son discours, il avait élevé les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils afin que votre Fils vous glorifie ». Depuis ce moment jusqu’à celui où il prononça ces mots : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi de la gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde existât », Notre-Seigneur a voulu parler de tous ceux à qui il ferait connaître le Père, pour le glorifier. En effet, après avoir dit : « Afin que votre Fils vous glorifie », il montra comment la chose devait se faire ; car il s’exprima en ces termes : « Comme vous lui avez donné pouvoir sur toute chair, afin qu’à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle. Or, la vie éternelle, c’est de vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ[438] ». Le Père, en effet, ne peut être glorifié par la connaissance des hommes, s’ils ne connaissent aussi celui par qui il est glorifié, c’est-à-dire par qui les peuples le connaissent. Cette glorification du Père ne se borne pas aux seuls Apôtres, elle s’étend à tous les hommes, qui sont les membres dont Jésus-Christ est le chef. On ne peut entendre des seuls Apôtres ces paroles : « Comme vous lui avez donné pouvoir sur toute chair, afin qu’à tous ceux quevous lui avez donnés, il donne la vie éternelle », il faut évidemment les entendre, de tous ceux qui, croyant en lui, obtiennent la vie éternelle.
4. Voyons donc maintenant ce qu’il dit de ses disciples qui l’entendaient. « Alors j’ai manifesté », dit-il, « votre nom aux hommes que vous m’avez donnés ». Ils ne connaissaient donc pas le nom de Dieu, pendant qu’ils étaient Juifs ? Que devient alors ce que nous lisons : « Dieu est connu dans la Judée ; son nom est grand dans Israël [439] ? » Donc « j’ai manifesté votre nom à ces hommes que vous m’avez donnés au milieu du monde », et qui m’entendent prononcer ces paroles ; je leur ai manifesté, non pas ce nom par lequel on vous appelle Dieu, mais celui par lequel on vous appelle mon Père ; et ce nom ne pouvait être manifesté sans que le Fils fût manifesté lui-même, car le nom par lequel il est appelé le Dieu de toute créature, n’a pu rester tout à fait inconnu à toutes les nations, même avant qu’elles crussent en Jésus-Christ. Telle est la force de la vraie divinité, qu’elle ne peut être ni absolument ni entièrement cachée à toute créature raisonnable qui a l’usage de sa raison. Excepté, en effet, un petit nombre d’hommes en qui la nature s’est trouvée trop dépravée, le genre humain tout entier confesse que Dieu est l’auteur de ce monde. En tant donc qu’il a fait ce monde composé du ciel et de la terre, Dieu était connu de toutes les nations, même avant qu’elles fussent imbues de la foi de Jésus-Christ. En tant qu’il ne doit pas être adoré avec les faux dieux d’un culte insultant pour lui, Dieu est connu dans la Judée. Mais en tant qu’il est le Père de ce Jésus-Christ, par qui il enlève les péchés du monde, ce nom précédemment caché à tous, Jésus-Christ l’a maintenant manifesté à ceux que le Père lui-même lui a donnés au milieu du monde. Pourtant, comment l’a-t-il manifesté, si elle n’est pas encore venue, cette heure dont il disait « qu’il viendra une heure, où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père [440] ? » Faut-il regarder comme ouvertement annoncé ce qui se dit en paraboles ? Mais pourquoi dire : Je vous parlerai ouvertement, sinon parce que ce n’est point parler ouvertement que parler en paraboles ? Ne pas cacher ce qu’on dit sous des paraboles, mais le manifester par ses paroles, c’est ce qui s’appelle parler ouvertement. Comment donc Notre-Seigneur a-t-il manifesté ce qu’il n’a pas encore dit ouvertement ? Il faut reconnaître qu’en cet endroit il emploie le temps passé pour le futur, comme il avait déjà fait en cet autre : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître [441] ». En réalité, il ne l’avait pas encore fait, mais il parlait comme s’il l’avait fait, parce qu’il savait que, d’après la prédestination, il le ferait certainement.
5. Mais que signifient ces mots : « Que vous m’avez donnés au milieu du monde ? » Il a dit des Apôtres qu’ils n’étaient pas du monde : c’est là un effet de leur régénération, et non pas de leur naissance. Que signifie aussi ce qui suit : « Ils étaient à vous et vous me les avez donnés ? » Y a-t-il eu un temps où ils appartenaient au Père, sans appartenir aussi à son Fils unique, et le Père a-t-il jamais eu quelque chose, sans que le Fils l’eût aussi ? Loin de nous cette pensée. Néanmoins, pendant une certaine époque, le Fils a eu, comme Dieu, ce qu’il n’avait pas comme homme ; car, avant de recevoir d’une mère la vie humaine, il possédait déjà toutes choses avec le Père. Aussi, quand il dit : « Ils étaient à vous », il n’a pas voulu se mettre de côté, puisqu’il était le Fils de Dieu et que le Père n’a jamais rien possédé sans lui ; mais bien qu’il puisse tout, il attribue d’habitude tout ce qu’il peut à Celui qui l’a engendré ; car il tient son pouvoir de Celui dont il a reçu l’être, et il a toujours possédé en même temps l’être et le pouvoir, car il a toujours existé et toujours le pouvoir a été inhérent à son être. Donc, tout ce que le Père a pu, le Fils l’a toujours pu avec lui ; parce que le Fils, qui a toujours existé et n’a jamais été privé du pouvoir, n’a jamais non plus été sans le Père, comme aussi le Père n’a jamais été sans lui. Et ainsi, de même que le Père éternel est tout-puissant, de même le Fils qui lui est coéternel est tout-puissant ; et s’il est tout-puissant, comme le Père, il tient tout dans sa main. Ainsi devons-nous traduire, si nous voulons rendre exactement le mot grec pantokrator: ce mot veut dire qui contient tout ; or, les nôtres ne l’auraient pas traduit par tout-puissant, si ces deux mots ne signifiaient pas la même chose. Mais si l’Éternel contient tout, Celui qui lui est coéternel et qui contient aussi tout, peut-il posséder quelque chose de moins que lui ? Quand Jésus dit : « Et vous me les avez donnés », il montre donc que c’est en qualité d’homme qu’il a reçu la puissance de les posséder, parce que Celui qui a toujours été tout-puissant n’a pas toujours été homme. Il semble glorifier plus particulièrement le Père de ce qu’il les lui a donnés, parce que tout ce qu’il est, il le tient de Celui de qui il est. Cependant, il se les est donnés à lui-même ; c’est-à-dire, Jésus-Christ Dieu a, conjointement avec le Père, donné les hommes à Jésus-Christ homme, mais homme sans le Père. Enfin, celui qui dit en cet endroit : « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés », avait déjà dit plus haut aux mêmes disciples : « C’est moi qui vous ai choisis du monde [442] ». Que toute pensée charnelle soit ici anéantie et disparaisse. Le Fils dit que le Père lui a donné du monde des hommes auxquels il dit ailleurs : « C’est moi qui vous ai choisis du monde ». Ceux que le Fils a, comme Dieu, choisis du monde conjointement avec le Père, le même Fils les a, comme homme, reçus du monde ; car le Père les lui a donnés. Le Père ne les aurait pas donnés au Fils, s’il ne les avait pas choisis ; et comme le Fils n’a pas voulu se séparer du Père quand il a dit : « C’est moi qui vous ai choisis du monde », parce que le Père les a choisis en même temps ; de même encore il n’a pas voulu se séparer du Père lorsqu’il a dit : « Ils étaient à vous », parce qu’ils étaient également au Fils. Il faut donc dire que le même Fils a, comme homme, reçu ceux qui n’étaient pas à lui, parce que, comme Dieu, il a reçu la forme d’esclave qui n’était pas à lui.
6. Notre-Seigneur continue et dit : « Et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils ont appris que toutes les choses que vous m’avez données viennent de vous », c’est-à-dire, ils ont appris que je viens de vous. En même temps qu’il engendrait celui qui devait avoir toutes choses, le Père lui a donc donné toutes choses. « Parce que », continue-t-il, « les paroles que vous m’avez données, je les leur ai données, et ils les ont reçues » ; c’est-à-dire, ils les ont comprises et retenues. On reçoit, en effet, une parole, quand on la perçoit par l’esprit. « Et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que vous m’avez envoyé ». Ici il faut sous-entendre « vraiment ». Après avoir dit : « Ils ont connu vraiment », il a voulu l’expliquer, en ajoutant : « Et ils ont cru ». Ils ont donc cru « vraiment » ce qu’ils ont connu « vraiment » ; car ces mots : « Je suis sorti de vous », ont le même sens que ceux-ci : « Vous m’avez envoyé ». Il avait donc dit : « Ils ont connu vraiment » ; mais afin de ne point laisser supposer que cette connaissance était le résultat d’une vue claire et non celui de la foi, il ajoute comme explication : « Et ils ont cru », de telle sorte que nous devons sous-entendre « vraiment », et comprendre que ces mots : « Ils ont connu vraiment », signifient : « Ils ont cru vraiment » ; en d’autres termes, ils n’ont pas cru de la manière à laquelle il faisait allusion lorsque, peu auparavant, il leur disait : « Maintenant croyez-vous ? L’heure vient, et elle est déjà venue, « où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez seul ». Mais « ils ont cru vraiment [443] », comme il faut croire d’une foi inébranlable, ferme, stable et courageuse ; ils ne devaient plus retourner chez eux et abandonner Jésus-Christ. Ses disciples n’étaient pas encore tels qu’il les disait, en se servant du temps passé, comme si déjà ils l’étaient devenus ; mais il annonçait ce qu’ils deviendraient après avoir reçu le Saint-Esprit, qui devait, selon sa promesse, leur enseigner toutes choses. Avant d’avoir reçu cet Esprit, comment gardèrent-ils sa parole ? Notre-Seigneur le leur dit, comme s’ils l’avaient déjà fait ; le premier d’entre eux ne l’a-t-il pas, en effet, renié trois fois[444], quoiqu’il eût entendu de sa bouche même ce qui devait arriver à l’homme qui le renierait devant les hommes[445] ? Suivant son expression même, il leur donna donc les paroles que lui avait données le Père ; mais quand ils les reçurent spirituellement dans leurs cœurs, et non pas seulement extérieurement dans leurs oreilles, c’est alors qu’ils les reçurent véritablement, parce qu’alors ils les connurent véritablement ; et ils les connurent véritablement, parce qu’ils les crurent véritablement.

7. Mais comment le Père a-t-il donné ces paroles au Fils lui-même ? Par quelles paroles l’homme pourra-t-il l’expliquer ? Sans doute, la question est plus facile, si l’on croit qu’il a reçu ces paroles du Père en tant que Fils de l’homme ; et toutefois, qui racontera quand et comment celui qui est né d’une vierge a appris ces paroles ? car, même sa génération dans le sein d’une Vierge, qui la racontera ? Mais si l’on croit qu’il a reçu du Père ces paroles, en tant qu’il est son Fils et qu’il lui est coéternel, on doit faire abstraction du temps ; par conséquent, on ne peut supposer qu’il ai} existé un seul instant sans les avoir, ou qu’il les ait reçues de manière à avoir ce qu’il n’avait pas auparavant. En effet, tout ce que Dieu le Père a donné à Dieu le Fils, il le lui a donné en l’engendrant. Car le Père a donné au Fils ce sans quoi il ne pourrait être le Fils, comme il lui a donné d’être. Comment pourrait-il donner autrement quelques paroles à son Verbe, puisque c’est en lui qu’il a dit toutes choses d’une manière ineffable ? Pour ce qui suit, il faut attendre à un autre discours.

CENT SEPTIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « MOI JE PRIE POUR EUX », JUSQU’À CES AUTRES : « AFIN QU’ILS AIENT MA JOIE ACCOMPLIE EN eux-mêmes ». (Chap. 17,9-13.)

REMISE DES APÔTRES À LA GARDE DU PÈRE.[modifier]

Le Sauveur prie pour ses disciples qui sont dans le monde, mais qu’en qualité d’homme il a reçus de la part de Dieu, du milieu du monde. Le Père va le glorifier, il est sur le point de les quitter ; c’est donc au Père de veiller sur eux et de leur communiquer la plénitude de la paix et de la joie.

1. En parlant à son Père de ceux qu’il avait déjà pour disciples, le Sauveur lui dit entre autres choses : « Moi, je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que vous m’avez donnés ». Par monde, il veut ici qu’on entende ceux qui vivent selon la concupiscence du monde, et ne sont pas à tel point privilégiés de la grâce qu’ils soient par lui choisis du milieu du monde. Aussi dit-il qu’il prie, non pour le monde, mais pour ceux que le Père lui a donnés. En effet, par cela même que le Père les lui a déjà donnés, ils n’appartiennent plus à ce monde, pour lequel il ne prie pas.

2. Il ajoute ensuite : « Parce qu’ils sont à vous ». De ce que le Père les a donnés au Fils, il ne suit pas qu’il les ait perdus ; car le Fils continue et dit : « Et tout ce qui est à moi vous appartient, et tout ce qui est à vous est à moi ». Par là, il paraît assez comment sont au Fils unique toutes les choses qui appartiennent au Père : c’est qu’il est Dieu lui-même et que, né du Père, il lui est égal. Il ne faut donc pas entendre ces paroles de la manière dont il a été dit à l’un des deux fils, c’est-à-dire à l’aîné : « Toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi[446] ». Dans le premier cas, il est question de toutes les créatures placées au-dessous de la créature sainte et raisonnable, et qui sont soumises à l’autorité de l’Église ; or, dans cette Église universelle se trouvent compris ces deux fils, l’aîné et le plus jeune, avec tous les saints Anges, auxquels nous serons égaux dans le royaume de Jésus-Christ et de Dieu[447]. Mais voici ce qu’a dit Jésus-Christ : « Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ». Ces paroles s’appliquent donc à la créature raisonnable elle-même, à cette créature qui n’est inférieure, qu’à Dieu et qui tient sous sa dépendance tout ce qui se trouve au-dessous d’elle. Cette créature raisonnable appartient à Dieu le Père, mais elle n’appartiendrait pas en même temps au Fils, si le Fils n’était pas égal au Père. C’est d’elle qu’il entendait parler, lorsqu’il disait : « Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que vous m’avez donnés ; parce qu’ils sont à vous, et que tout ce qui est à moi est à vous ; et que tout ce qui est à vous est à moi ». Et il est impossible que les saints dont il dit ces choses, appartiennent à d’autres qu’à celui qui les a créés et sanctifiés. Par conséquent, tout ce qui est à eux doit aussi nécessairement appartenir à Celui à qui ils appartiennent eux-mêmes. Donc, comme ils appartiennent et au Père et au Fils, c’est la preuve que le Père et le Fils sont égaux, puisqu’ils leur appartiennent également. Ce qu’il disait, en parlant du Saint-Esprit : « Tout ce que le Père possède est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il recevra de ce qui est à moi et vous l’annoncera[448] » ; il le disait des choses qui appartiennent à la divinité même du Père, et dans lesquelles il lui est égal, puisqu’il a tout ce que le Père a lui-même. Car le Saint-Esprit ne devait pas recevoir d’une créature soumise au Père et au Fils ce qu’il veut indiquer par ces mots : « Il recevra du mien » ; mais il le reçoit du Père dont il procède, et de qui le Fils lui-même est né.

3. « Et », ajoute Notre-Seigneur, « j’ai été glorifié en eux ». Maintenant, il parle de sa glorification comme si elle était déjà accomplie, quoiqu’elle ne doive s’accomplir que plus tard. Tout à l’heure il demandait à son Père qu’elle s’accomplît. Mais il faut voir si c’est bien là cette glorification dont il avait dit : « Et maintenant, vous, Père, glorifiez-moi de cette glorification que j’ai eue en vous, avant que le monde fût[449] ». Oui, voilà ce qu’il faut voir. Si c’est « en vous », comment est-ce « en eux ? » Ou bien, lorsqu’il s’est fait connaître à eux, ne lui ont-ils pas servi à le faire connaître à tous ses témoins qui les ont crus ? Nous pouvons parfaitement admettre qu’en ce sens Notre-Seigneur avait été glorifié dans ses Apôtres. En parlant de cela comme d’un fait déjà accompli, il montre que c’était une chose prédestinée, et il veut qu’on regarde comme certain ce qui ne devait néanmoins arriver que plus tard.

4. « Et déjà », continue Notre-Seigneur, « je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde ». Si vous ne faites attention qu’au moment où il parle, ils étaient encore dans le monde, les uns et les autres, Notre-Seigneur et ceux dont il parlait. Mais ces paroles, nous ne pouvons ni ne devons les entendre des dispositions de leur cœur et de leur conduite, en ce sens que les disciples étaient encore dans le monde, parce qu’ils aimaient encore les choses du monde, tandis que Jésus-Christ n’était déjà plus dans le monde, parce qu’il goûtait les choses divines. Il se trouve là un mot qui nous empêche absolument de les interpréter ainsi. Il ne dit pas, en effet : Je ne suis pas dans le monde ; mais bien : « Déjà, je ne suis plus dans le monde ». Et il montre par là qu’il avait été dans le monde, et qu’il n’y était déjà plus. En conséquence, nous serait-il permis de croire qu’il avait, pendant quelque temps, aimé les choses du monde, et que, délivré de cette erreur, il ne les aimait plus ? Qui est-ce qui pourrait admettre un sens si impie ? Voici donc ce qui nous reste à admettre : Il annonce qu’il n’est déjà plus dans le monde, dans le sens dans lequel il s’y était trouvé, c’est-à-dire corporellement. Il faisait donc connaître qu’il allait bientôt s’éloigner du monde, tandis que ses disciples ne s’en éloigneraient que plus tard, et, pour l’indiquer, il dit qu’il n’est déjà plus dans le monde et qu’ils y sont encore, quoiqu’ils y soient encore également les uns et les autres. Il a parlé ainsi, comme un homme qui s’adresse à des hommes, et selon le langage habituel des hommes. Ne disons-nous pas tous les jours : Il n’est déjà plus là, en parlant de quelqu’un qui doit partir bientôt ? C’est surtout de ceux qui vont mourir qu’on parle ainsi. Toutefois, Notre-Seigneur prévoyait que ces paroles pourraient embarrasser ceux qui liraient ceci ; car il ajoute :« Et je viens à vous », expliquant en quelque sorte pourquoi il a dit : « Déjà je ne suis plus dans ce monde ».

5. Notre-Seigneur recommande donc au Père ceux qu’il allait en quelque sorte abandonner par son absence corporelle : « Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m’avez donnés ». Comme homme, il prie Dieu pour les disciples qu’il a reçus de Dieu ; mais faites bien attention à ce qui suit : « Afin qu’ils soient un comme nous ». Il ne dit pas : afin qu’ils soient un avec nous, ni afin que nous et eux nous soyons un, comme nous-mêmes nous sommes un ; mais il dit : « Afin qu’ils soient un comme nous ». C’est-à-dire qu’ils soient un dans leur nature, comme nous sommes un dans la nôtre. Chose qui assurément ne serait pas vraie, s’il ne la disait pour montrer que c’est comme Dieu, et non comme homme, qu’il est de même nature que le Père, comme il le dit ailleurs : « Le Père et moi, nous sommes un[450] ». Car, en tant qu’homme, il dit : « Le Père est plus grand que moi [451] ». Mais comme, en lui, le Dieu et l’homme ne forment qu’une seule personne, nous le voyons homme quand il prie ; et nous le voyons Dieu, quand il ne fait qu’un avec celui qu’il prie. Mais, dans ce qui suit, nous trouverons un passage où nous traiterons ce sujet avec plus de soin.

6. Maintenant, il continue : « Lorsque j’étais avec eux, je les gardais en votre nom ». Et comme je viens à vous, gardez-les en votre nom, ce nom dans lequel je les gardais lorsque j’étais avec eux. En tant qu’homme, le Fils gardait ses disciples au nom du Père, lorsque son humanité était présente au milieu d’eux. Mais le Père, lui aussi, gardait au nom du Fils ceux qu’il exauçait quand ils le priaient en son nom. C’est à eux-mêmes que le même Fils avait dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera[452] ». Nous ne devons cependant pas donner à cela un sens charnel, comme si le Père et le Fils nous gardaient, chacun à son tour, la protection de l’un succédant à celle de l’autre, et le premier arrivant au moment où le second s’éloigne. Nous sommes gardés en même temps et par le Père, et par le Fils, et par le Saint-Esprit ; car ils ne forment tous trois qu’un seul Dieu véritable et bienheureux. Mais l’Écriture ne nous élève qu’autant qu’elle descend jusqu’à nous, de la même manière que le Verbe, en se faisant chair, est descendu pour nous élever, mais n’est pas tombé à terre pour y rester. Si nous connaissons Celui qui est descendu vers nous, élevons-nous avec lui puisqu’il veut nous élever. Et comprenons-le bien, lorsqu’il parle ainsi, il distingue les personnes, mais il n’établit pas plusieurs natures. Quand donc le Fils gardait corporellement ses disciples, le Père, pour les garder, n’attendait pas que le Fils s’éloignât, afin de lui succéder ; mais tous les deux les gardaient de leur puissance spirituelle. Et quand le Fils leur enleva sa présence corporelle, il continua avec le Père sa garde spirituelle. Lorsqu’en tant qu’homme le Fils reçut la mission de les garder, il ne les enleva pas à la garde du Père ; et quand le Père les donna à garder au Fils, il ne les donna pas séparément de Celui à qui il les donnait ; il les donna au Fils en tant qu’homme, mais il n’agit pas séparément de son Fils en tant que Dieu.

7. Le Fils continue donc et dit : « Ceux que vous m’avez donnés, je les ai gardés, et aucun d’eux n’a péri, si ce n’est le fils de perdition, afin que l’Écriture fût accomplie ». Celui qui est appelé fils de perdition, c’est celui qui a trahi Jésus-Christ ; il était prédestiné à la perdition, selon l’Écriture, car elle a prophétisé de lui surtout au psaume cent huitième.

8. « Mais maintenant », dit Notre-Seigneur, « je viens à vous, et je dis ces choses dans le « monde, afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie ». Voilà qu’il dit : je parle dans le monde, et pourtant, un peu auparavant il avait dit : « Déjà je ne suis plus dans le monde ». Pourquoi l’a-t-il dit ? C’est ce que nous avons alors expliqué ; et même nous avons montré qu’il l’expliquait lui-même. Donc, comme il n’était pas encore parti, il était encore là, et comme il devait bientôt partir, il n’y était en quelque sorte déjà plus. Mais quelle est cette joie dont il dit : « Afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie ? » C’est ce qu’il a exprimé plus haut en disant : « Afin qu’ils soient un comme nous ». Cette joie qui est la sienne, c’est-à-dire qu’il a mise en eux, il veut qu’elle y soit complète ; voilà pourquoi il dit qu’il a parlé dans le monde. Cette joie, c’est la paix et la béatitude de la vie future ; et pour l’obtenir il faut vivre en celle-ci avec tempérance, justice et piété.

CENT HUITIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « JE LEUR AI DONNÉ MA PAROLE », JUSQU’À CES MOTS : « AFIN QU’ILS SOIENT, EUX AUSSI, SANCTIFIÉS EN VÉRITÉ ». (Chap. 17,14-19.)

SANCTIFICATION DES APÔTRES.[modifier]

Notre-Seigneur prie son Père de préserver du mal ses disciples et de les sanctifier dans la vérité, mais non de les retirer du monde : ainsi pourra-t-il les envoyer dans le monde, comme il y a été lui-même envoyé.

1. Notre-Seigneur s’adressant encore au Père et priant pour ses disciples, dit : « Je leur ai donné votre parole, et le monde les a pris en haine ». Ils n’avaient pas encore éprouvé cette haine par les souffrances qui les attendaient dans la suite ; mais selon sa coutume, Notre-Seigneur annonçait ces choses et indiquait par un temps passé ce qui était encore à venir ; il ajoute ensuite la cause pour laquelle le monde les déteste : « Parce qu’ils ne sont pas de ce monde, comme moi-même je ne suis pas de ce monde ». Cette grâce leur avait été conférée par la régénération : car par leur naissance ils étaient du monde ; c’est pourquoi il leur avait déjà dit : « Je vous ai choisis du monde [453] ». Il leur avait donc été accordé de n’être pas plus du monde, que lui-même, qui les avait délivrés du monde. Pour lui, il n’a jamais été du monde ; car, même selon la forme d’esclave, il est né du Saint-Esprit qui leur a communiqué la grâce de renaître. En effet, si les disciples ne sont plus du monde, parce qu’ils ont puisé dans le Saint-Esprit une seconde vie, Notre-Seigneur n’a jamais été du monde, puisqu’il est né du Saint-Esprit.
2. « Je ne prie pas », continue-t-il, « pour que vous les enleviez du monde, mais pour que vous les préserviez du mal ». En effet, quoiqu’ils ne fussent plus du monde, ils avaient besoin d’y demeurer encore. Il répète la même pensée. « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde, sanctifiez-les dans la vérité ». Ainsi, en effet, seront-ils préservés du mal ; voilà ce que tout à l’heure déjà il demandait pour eux. On peut faire cette question : Comment n’étaient-ils plus du monde, s’ils n’étaient pas encore sanctifiés dans la vérité ; ou bien, s’ils l’étaient déjà, pourquoi Jésus-Christ demande-t-il qu’ils le soient ? N’est-ce pas parce que, étant déjà sanctifiés, ils font des progrès dans cette sainteté et deviennent encore plus saints ? Mais si leur sainteté se perfectionne, la grâce de Dieu est loin d’y être étrangère ; car celui qui en a consacré le commencement, en consacre aussi le perfectionnement. Aussi l’Apôtre dit-il : « Celui qui en vous a commencé la bonne œuvre, la perfectionnera jusqu’au jour de Jésus-Christ[454] ». C’est pourquoi les héritiers du Nouveau Testament sont sanctifiés dans la vérité, dont les sanctifications de l’Ancien Testament n’étaient que les ombres ; et quand ils sont sanctifiés dans la vérité, assurément ils le sont en Jésus-Christ, qui a dit avec vérité : « C’est moi qui suis la voie, la vérité et la vie [455] ». De même en est-il quand il dit : « La vérité vous délivrera » ; car, pour expliquer ensuite ce qu’il a voulu dire, il ajoute peu après : « Si le Fils vous délivre, alors vous serez vraiment libres [456] ». 2 voulait montrer par là que ce qu’il appelait la vérité était ce que plus loin il appelait le Fils. Que veut-il donc dire en cet endroit : « Sanctifiez-les dans la vérité », sinon : sanctifiez-les en moi ?
3. Enfin Notre-Seigneur continue, et il ne cesse de faire entendre la même chose plus clairement : « Votre parole est la vérité ». Était-ce dire autre chose que ceci : Je suis la vérité ? Le texte grec de l’Évangile porte le mot logos, qui se lit aussi au passage où il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et nous avons reconnu que le Verbe était le Fils unique de Dieu, « qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous[457] ». C’est pourquoi on aurait pu mettre ici, et on le trouve dans quelques exemplaires : Votre Verbe est la vérité ; de même que dans quelques exemplaires il est écrit : « Au commencement était la Parole ». En grec, on lit invariablement ici et là: Logos. C’est pourquoi le Père sanctifie dans la vérité, c’est-à-dire dans son Verbe, dans son Fils unique, ses héritiers et les cohéritiers de celui-ci.
4. Mais le Sauveur parle encore des Apôtres, car il continue en ces termes « Comme vous m’avez envoyé dans le monde, et moi aussi je les ai envoyés dans le monde ». Qui a-t-il envoyé, sinon ses Apôtres ? Le nom même d’Apôtres, qui est un nom grec, ne signifie pas, en latin, autre chose qu’envoyés. Dieu a donc envoyé son Fils, non pas dans une chair de péché[458], mais sous la ressemblance de la chair du péché ; et son Fils a envoyé ceux qui, étant nés dans la chair du péché, ont été par lui purifiés de la tache du péché.
5. Mais par cela même que le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme est devenu le chef de l’Église, les Apôtres sont ses membres ; c’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute ce qui suit : « Et pour eux, je me sanctifie moi-même ». Qu’est-ce à dire : « Et pour eux, je me sanctifie moi-même ? » Le voici : Je les sanctifie en moi-même, puisqu’ils ne sont autre chose que moi-même. Car, comme je viens de le dire, ceux dont il parle sont ses membres ; et la tête et le corps ne forment qu’un seul Christ. C’est la doctrine de l’Apôtre, car il dit en parlant de la race d’Abraham : « Mais si vous êtes de Jésus-Christ, donc vous êtes la race d’Abraham ». Il avait dit plus haut : « Il ne dit pas à plusieurs de la race, mais à un seul de sa race, lequel est Jésus-Christ [459] ». Si donc la race d’Abraham n’est autre que Jésus-Christ, qu’a-t-on voulu dire à ceux auxquels l’Apôtre adressait ces paroles : « Donc vous êtes la race d’Abraham ? » Ceci évidemment : Donc vous êtes Jésus-Christ. Telle est la base du raisonnement que le même Apôtre fait dans un autre endroit : « Maintenant je me réjouis en mes souffrances pour vous, et j’accomplis ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ en ma chair [460] ». Il ne dit pas : à mes souffrances ; mais, aux « souffrances de Jésus-Christ », parce qu’il était an membre de Jésus-Christ ; et, par ses souffrances semblables à celles que Jésus-Christ devait endurer dans tout son corps, l’Apôtre accomplissait, pour sa part, ce qui manquait à celles de Jésus-Christ. Veux-tu te convaincre que tel est le sens de ces paroles de Notre-Seigneur ? Écoute ce qui suit. Après avoir dit : « Et c’est pour eux que je me sanctifie moi-même », pour nous faire entendre qu’il parlait ainsi parce qu’il les sanctifiait en lui-même, le Sauveur ajoute aussitôt : « Afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité » ; ce qui veut dire, en moi-même, puisque la vérité c’est le Verbe, Dieu dès le commencement. C’est en ce même Verbe que le Fils de l’homme lui-même a été sanctifié dès le commencement de sa création, au moment où le Verbe s’est fait chair ; car le Verbe et l’homme se sont réunis en une seule personne. Alors il s’est sanctifié lui-même, en lui-même, c’est-à-dire, lui homme, en lui Verbe ; parce que le Verbe et l’homme sont un seul Jésus-Christ qui sanctifie l’homme dans le Verbe. « Et pour eux », dit-il, c’est-à-dire pour leur avantage, parce qu’ils sont moi, comme il m’a été avantageux en moi-même parce que je suis homme sans eux : « Et je me sanctifie moi-même » ; c’est-à-dire, je les sanctifie en moi, comme moi-même, parce que en moi ils sont moi-même. « Afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité ». Que signifient ces mots : « eux aussi », sinon, comme moi ? et, « dans la vérité », sinon ce que je suis moi-même ? Ensuite, il parla non plus seulement de ses Apôtres, mais de ses autres membres. Avec la grâce de Dieu, nous expliquerons dans un autre discours la suite de ses paroles.

CENT NEUVIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « OR, JE NE PRIE PAS SEULEMENT POUR CEUX-LÀ, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI PAR LEUR PAROLE CROIRONT EN MOI ». (Chap. 17, 20.)[modifier]

JÉSUS PRIE POUR TOUS LES CROYANTS.[modifier]

Le Sauveur prie pour tous ceux qui doivent croire en lui, en acceptant la foi qu’il est venu apporter au monde, et que ses Apôtres doivent prêcher.


1. À l’approche de sa passion, le Seigneur Jésus avait prié pour ses disciples, pour ceux qu’il avait nommés ses Apôtres ; il avait fait avec eux la dernière cène, et le traître Judas, désigné par le morceau de pain, était sorti avant qu’il priât pour eux ; le Sauveur s’entretint alors avec eux de beaucoup de choses, puis il en vint à ceux qui devaient croire en lui, et il dit à son Père : « Or, je ne prie pas « seulement pour ceux-là u, c’est-à-dire pour les disciples qui étaient alors avec lui, « mais « pour ceux », ajouta-t-il, « qui par leur parole croiront en moi ». Par là il voulait désigner tous les siens, c’est-à-dire, non seulement ceux qui vivaient alors, mais ceux qui devaient exister plus tard. En effet, tous ceux qui, dans la suite, ont cru en lui, y ont évidemment cru sur la parole des Apôtres ; et c’est sur la même parole qu’ils y croiront, jusqu’à ce qu’il vienne ; il leur avait dit en effet : « Et vous me rendrez témoignage, parce que depuis le commencement vous êtes avec moi [461] ». C’est par eux que l’Évangile a été apporté aux hommes, même avant d’être écrit ; et, certes, quiconque croit en Jésus-Christ, croit à l’Évangile. Donc, par ceux qu’il annonce comme devant croire en lui par la parole des Apôtres, il ne faut pas entendre seulement ceux qui ont entendu les Apôtres pendant qu’ils vivaient encore sur la terre ; mais ceux qui ont vécu après leur mort, et nous-mêmes qui sommes nés longtemps après, car c’est par leur parole que nous avons cru en Jésus-Christ. Ceux qui étaient alors avec lui ont prêché aux autres la doctrine qu’ils avaient recueillie de sa propre bouche ; leur parole, qui devait nous faire croire, est ainsi parvenue jusqu’à nous et partout où se trouve son Église, et elle parviendra de même à ceux qui nous suivront et croiront en lui, n’importe qui ils soient et où ils se trouvent.
2. Si nous n’examinions avec soin les paroles prononcées par Notre-Seigneur dans le cours de cette prière, il pourrait sembler qu’il exclut de cette prière quelques-uns des siens. En effet, comme nous l’avons démontré, il a prié d’abord pour ceux qui étaient alors avec lui, et ensuite pour ceux qui devaient croire en lui par la parole de ses Apôtres ; mais on pourrait dire qu’il ne pria point pour ceux qui n’étaient pas avec lui quand il prononçait ces paroles, et ne devaient pas croire en lui par la parole des Apôtres, mais qui avaient déjà cru en lui, soit par l’intermédiaire des Apôtres, soit par quelque autre moyen. En effet, Nathanaël était-il alors avec lui ? était-il avec lui, ce Joseph d’Arimathie qui réclama son corps à Pilate et que notre Évangéliste Jean dit lui-même avoir été déjà au nombre de ses disciples[462] ? Étaient-elles avec lui, Marie, sa Mère, et les autres femmes qui, comme nous le lisons dans l’Évangile, étaient déjà ses disciples ? Étaient-ils avec lui, ceux dont le même Évangéliste Jean nous dit : « Beaucoup crurent en lui[463] ? » D’où était donc cette multitude qui, des rameaux à la main, le précédait et le suivait lorsqu’il s’avançait assis sur un âne, et criaient : « Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ? » D’où étaient ces enfants au sujet desquels, suivant lui, a été faite cette prédiction : « De la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle, vous avez parfait ma louange[464] ? » D’où étaient ces cinq cents frères auxquels il ne se fût pas montré après sa résurrection[465], si déjà ils n’avaient cru en lui ? D’où étaient ces cent neuf disciples qui, réunis aux onze Apôtres, formaient cette assemblée de cent vingt, qui après son ascension attendirent et reçurent le Saint-Esprit qu’il leur avait promis[466] ». D’où étaient-ils tous ? Du nombre de ceux dont il a été dit : « Beaucoup crurent en lui ». Le Sauveur ne pria donc pas alors pour eux, puisqu’il pria pour ceux qui étaient avec lui et pour les autres qui par la parole des Apôtres devaient croire, mais n’avaient pas encore cru en lui. Or, tous ceux dont nous parlons n’étaient pas alors avec lui, et déjà auparavant ils avaient cru en lui. J’omets de parler du vieillard Siméon, qui crut en lui lorsqu’il n’était encore qu’un petit enfant ; d’Anne la Prophétesse [467], de Zacharie et d’Élisabeth, qui l’annoncèrent avant qu’il naquît d’une Vierge[468] ; de leur fils Jean, son Précurseur, l’ami de l’Époux qui le reconnut dans le Saint-Esprit, le prêcha absent, et quand il fut présent, le fit reconnaître aux autres en le leur montrant[469]. Je les passe sous silence, parce qu’on pourrait me répondre qu’il n’avait pas à prier pour eux, vu qu’ils étaient morts ; qu’ils étaient sortis de cette vie avec des mérites si grands et que, reçus dans l’autre vie, ils y reposaient. On pourrait faire la même réponse pour les justes de l’ancienne loi. Car lequel d’entre eux aurait pu échapper à la damnation de tout le genre humain, opérée par un seul homme, s’il n’avait cru, par la révélation de l’Esprit-Saint, au seul Médiateur de Dieu et des hommes qui devait venir dans la chair ? Mais Jésus a-t-il dû prier pour les Apôtres et ne pas le faire pour tous ceux en grand nombre qui, encore vivants, n’étaient pas alors avec lui et avaient néanmoins déjà cru en lui ? Qui oserait le dire ?
3. Il nous faut donc comprendre qu’ils ne croyaient pas encore en lui comme il voulait qu’on y crût ; et en effet, Pierre lui-même, auquel Notre-Seigneur avait rendu un si grand témoignage après cette confession : « Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant », Pierre était plus disposé à croire qu’il ne mourrait pas, qu’à croire qu’il ressusciterait après sa mort. C’est pourquoi peu après Notre-Seigneur l’appela Satan [470]. Ceux qui étaient déjà morts, mais qui, par la révélation du Saint-Esprit, n’avaient nullement clouté de la résurrection du Christ, étaient donc plus fidèles que ceux qui, après avoir cru qu’il rachèterait Israël, perdirent toute confiance en lui quand il fut mort. Aussi il me paraît plus raisonnable d’admettre ceci : Après sa résurrection, Notre-Seigneur ayant donné le Saint-Esprit à ses Apôtres pour les instruire, les confirmer et les établir docteurs dans l’Église, les autres ont, par le moyen de leur parole, cru comme il fallait croire en Jésus-Christ, c’est-à-dire qu’ils ont cru à sa résurrection. Et, par là, ceux qui semblaient avoir déjà cru en lui étaient réellement au nombre de ceux pour lesquels il pria en disant : « Je ne prie pas seulement pour ceux-là », mais « je prie aussi pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi ». Pour éclaircir encore plus cette question, il nous reste à répondre à l’objection qu’on pourrait tirer du bienheureux apôtre Paul et du larron égaré dans les voies du crime, qui devint fidèle seulement sur la croix. En effet, l’apôtre Paul nous dit qu’il a été fait apôtre non par les hommes, ni par un homme, mais par Jésus-Christ même. Et, parlant de son Évangile, il dit : « Et je ne l’ai reçu ni appris d’aucun homme, mais par la révélation que m’en a faite Jésus-Christ [471] ». Comment donc se trouvait-il au nombre de ceux dont il est dit : « Par leur parole ils croiront en moi ? » Le larron eut la foi au moment même où, quelle qu’elle fût, elle vint à manquer dans les docteurs eux-mêmes. Ainsi ce n’est point par leur parole qu’il crut en Jésus-Christ, et cependant sa foi fut telle qu’il confessa non seulement la résurrection future, mais même le règne à venir de Celui qu’il voyait attaché à la croix. « Souvenez-vous de moi, lorsque « vous serez arrivé dans votre royaume [472] ».
5. Si nous devons croire que dans cette prière le Seigneur Jésus s’occupa de tous les siens alors existants ou destinés à se trouver plus tard dans cette vie qui est une « tentation sur la terre[473] », il nous reste à entendre ces mots : « Par leur parole », de la parole même de la foi qu’ils ont prêchée dans le monde. Cette parole a été appelée leur parole, parce qu’ils en ont été les premiers et les principaux prédicateurs. Ils le prêchaient déjà sur la terre lorsque, par une révélation de Jésus-Christ, Paul reçut leur parole. C’est pourquoi il annonça l’Évangile, conjointement avec eux, dans la crainte d’avoir couru ou de courir en vain, et ils lui donnèrent les mains, parce qu’en lui ils trouvèrent leur parole, quoiqu’ils ne la lui eussent pas confiée eux-mêmes ; car c’était celle qu’ils prêchaient ; c’était sur elle qu’ils étaient établis [474]. Au sujet de cette parole de la résurrection de Jésus-Christ, le même apôtre Paul nous dit : « Que ce soit moi, que ce soit eux, c’est ainsi que nous prêchons et c’est ainsi que vous avez cru[475] » ; et encore : « Telle est la parole de la foi que nous prêchons : Si vous confessez de bouche que Jésus est le Seigneur, et si vous croyez de cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvé[476] ». Dans les Actes des Apôtres, nous lisons qu’en Jésus-Christ Dieu a donné la foi à tous, en le ressuscitant d’entre les morts[477]. Parce que cette parole de la foi a été premièrement et principalement prêchée par les Apôtres qui y avaient adhéré, elle a été appelée leur parole. Elle ne cesse pas d’être la parole de Dieu pour être appelée la parole des Apôtres, puisque le même Apôtre nous dit que les Thessaloniciens l’ont reçue de lui, « non comme la parole des hommes, mais comme elle est réellement, pour la parole de Dieu[478] ». C’est la parole de Dieu, parce que c’est Dieu qui l’a donnée ; c’est la parole des Apôtres, parce que c’est aux Apôtres que Dieu a premièrement et principalement confié la mission de la prêcher. Et ainsi, le larron lui-même avait dans sa foi la parole des Apôtres ; en effet, elle s’appelait leur parole parce que leur office principal et premier était de la prêcher. Enfin, lorsque parmi les veuves des Grecs il s’éleva des murmures à propos du service des tables, Paul n’avait pas encore cru en Jésus-Christ ; mais les Apôtres, qui s’étaient attachés dès le commencement au Seigneur, répondirent : « Il n’est pas bon que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des tables[479] ». Alors ils s’occupèrent d’ordonner des diacres pour n’être pas eux-mêmes détournés du devoir de prêcher la parole. C’est donc avec raison qu’on a appelé leur parole cette parole de la foi par laquelle tous ont cru en Jésus-Christ ou croiront en lui, n’importe d’où elle soit venue ou d’où elle vienne. Donc, dans sa prière, notre Rédempteur s’est occupé de tous ceux qu’il a rachetés, soit qu’ils fussent alors vivants dans leur chair, soit qu’ils ne dussent le devenir que plus tard. Car, en priant pour les Apôtres qui étaient alors avec lui, il y a joint ceux qui, par leur parole, devaient croire en lui. Mais ce que Notre-Seigneur dit ensuite mérite d’être traité à part dans un autre discours.

CENT DIXIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « AFIN QUE TOUS SOIENT UN, ETC. », JUSQU’À CES MOTS : « ET VOUS LES AVEZ AIMÉS, COMME VOUS M’AVEZ AIMÉ MOI AUSSI ». (Chap. 17,21-23.)

L’UNION ENTRE LES FIDÈLES.[modifier]

Pour nous, comme pour les fidèles, Jésus demande l’union avec Dieu par la foi, et entre nous par la charité, et comme fruit de cette union, la connaissance de ce que nous croyons, la vue de la gloire de Jésus-Christ. Afin de nous élever à ce degré de science, il nous faut la grâce qui nous égale aux anges, et le Christ la demande aussi pour nous.

1. Quand le Seigneur Jésus eut prié pour ceux de ses disciples qu’il avait alors avec lui, il y joignit aussi les autres par ces mots : « Je ne prie pas seulement pour ceux-là, mais aussi pour ceux qui, parleur parole, doivent croire en moi ». Et comme si nous lui avions demandé pourquoi il priait en leur faveur, il ajoute aussitôt : « Afin que tous ils soient un, comme vous, Père, vous êtes en moi et moi en vous, que de même ils soient un en nous[480] ». Déjà, lorsqu’il priait pour les disciples qu’il avait avec lui, il disait : « Père saint, gardez en votre nom ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils soient un comme nous-mêmes ». Il demande donc maintenant pour nous ce qu’il demandait alors pour ses autres disciples, à savoir que tous, eux et nous, nous ne soyons qu’un ; et ici il faut remarquer avec soin que Notre-Seigneur ne dit pas que nous soyons un, mais bien : « Que tous soient un, comme vous, mon Père, en moi et moi en vous » ; sous-entendu, nous sommes un. Il le dit, du reste, ensuite plus ouvertement ; déjà il avait dit en parlant des disciples qui étaient avec lui : « Afin qu’ils soient un comme nous ». Le Père est dans le Fils et le Fils est dans le Père, de telle sorte qu’ils ne sont qu’un, parce qu’ils ne sont qu’une seule substance. Pour nous, nous pouvons être en eux, mais nous ne pouvons être un avec eux, parce que nous n’avons pas avec eux une seule substance ; en effet, le Fils est Dieu avec le Père ; en tant qu’homme, il est de la même substance que nous. Mais ici il veut plutôt faire allusion à ce qu’il a dit en un autre endroit : « Le Père et moi nous sommes un[481] ». Par là, il montre que le Père et lui ont la même nature. Aussi, quand le Père et le Fils, et même le Saint-Esprit, sont en nous, nous ne devons pas penser qu’ils aient avec nous la même nature. Ils sont en nous ou bien nous sommes en eux, de façon qu’ils sont un dans leur nature et que nous sommes un dans la nôtre. En effet, ils sont en nous comme Dieu est dans son temple, et nous sommes en eux comme la créature dans son Créateur.
2. Ensuite, après avoir dit : « Qu’eux aussi ils soient en nous », il ajoute : « Afin que le monde croie que vous m’avez envoyé ». Qu’est-ce à dire ? Le monde ne croira-t-il que quand nous serons tous un dans le Père et le Fils ? N’est-ce pas en cela que consiste cette paix perpétuelle qui est plutôt la récompense de la foi que la foi elle-même ? Car nous serons un, non pour croire, mais parce que nous aurons cru. Et même dans le cours de cette vie, quoique, en raison de notre foi commune, nous tous qui croyons en une même chose nous soyons un, selon cette parole de l’Apôtre : « Car vous tous vous êtes un en Jésus-Christ [482] », nous sommes un non pour croire, mais parce que nous croyons. Que signifient donc ces mots : « Que tous a soient un, afin que tout le monde croie ? » Car, « tous », c’est le monde qui croit. Autres, en effet, ne sont pas ceux qui seront un, et autre le monde qui croira, parce qu’ils seront un. Évidemment ceux dont il dit : « Que tous soient un », sont les mêmes que ceux dont il a dit : « Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais encore pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi » ; et il ajoute aussitôt : « Je prie afin que tous soient un ». Mais ces « tous », qui sont-ils ? Le monde ; non pas le monde ennemi, mais le monde fidèle. Car, après avoir dit : « Je ne prie pas pour le monde [483] », il prie afin que le monde croie. C’est qu’il y a un monde dont il est écrit : « Ne soyons pas damnés avec ce monde [484] ». Pour ce monde-là, Notre-Seigneur ne prie pas ; car il n’ignore pas à quoi il est prédestiné. Mais il y a aussi un autre monde dont il est écrit : « Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui [485] ». L’Apôtre conclut de là : « Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde à lui-même [486] ». C’est pour ce monde qu’il prie, quand il dit : « Afin que le monde croie que vous m’avez envoyé ». Lorsque le monde croit au Christ qui a été envoyé de Dieu, cette foi le réconcilie à Dieu. Comment donc comprendrons-nous ces paroles : « Qu’eux aussi croient en nous, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé ? » Notre-Seigneur n’a pas voulu dire que la cause pour laquelle le monde devait croire en lui, serait leur union, comme si le monde devait croire parce qu’il les verrait unis. En effet, le monde se compose de tous ceux qui, par leur foi, deviennent un. Mais c’est par forme de prière qu’il dit : « Que le monde croie » ; comme c’est par forme de prière qu’il a dit : « Que tous soient un » ; comme c’est par forme de prière qu’il a dit : « Qu’eux aussi soient un en nous ». En effet, ces paroles : « Que tous soient un », sont la même chose que celles-ci : « Que le monde croie », parce que c’est en croyant qu’ils deviennent un d’une manière parfaite ; car, bien qu’ils fussent un par leur nature, ils avaient eux-mêmes cessé d’être un en s’éloignant de celui qui est un. Par conséquent, si nous entendons, au troisième membre de cette phrase, cette parole de Notre-Seigneur : « Je prie », ou plutôt, ce qui sera plus complet, si nous la plaçons partout, l’explication la plus claire sera celle-ci : « Je prie pour que tous soient un, comme vous, mon Père, êtes en moi et moi en vous ; je prie pour qu’eux aussi soient un en nous ; je prie pour que le monde croie que vous m’avez envoyé ». Notre-Seigneur ajoute ces mots : « En nous », afin que si nous devenons un par l’effet d’une charité fidèle, nous sachions qu’il faut l’attribuer à la grâce de Dieu et non à nous-même s. C’est ainsi qu’après ces paroles : « Vous avez a été autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière », l’Apôtre ajoute : « Dans le Seigneur [487] », afin qu’ils n’attribuent pas ce résultat à eux-mêmes.
3. Notre Sauveur, en priant son Père, montrait qu’il était homme ; et maintenant il montre qu’il fait lui-même ce qu’il demande, parce qu’il est Dieu avec le Père. « Et moi », dit-il, « je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée ». Quelle gloire, sinon l’immortalité que la nature humaine devait recevoir en lui ? À la vérité, il n’avait pas encore lui-même reçu cette immortalité ; mais selon sa coutume, à cause de l’immutabilité de la prédestination, il annonce, par des verbes employés au temps passé, ce qui doit arriver, à savoir qu’il sera glorifié, c’est-à-dire ressuscité par le Père, et qu’à la fin il doit lui-même nous ressusciter pour cette gloire. Ceci ressemble à ce qu’il dit ailleurs « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, de même aussi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Qui sont ceux qu’il vivifie ? Ceux-là mêmes que le Père vivifie. En effet, « toutes les choses que fait le Père, ce sont les mêmes choses et non pas d’autres » que fait le Fils ; et il « ne les fait pas différemment, mais d’une manière tout à fait semblable[488] ». C’est donc lui qui s’est ressuscité lui-même. De là, cette parole : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai[489] ». De là il faut le conclure, bien qu’il ne le dise pas, il s’est donné lui-même la gloire de l’immortalité qu’il dit lui avoir été donnée par le Père. Souvent, en effet, il dit que le Père fait seul ce qu’il fait lui-même avec le Père, afin d’attribuer au Père, de qui il est, tout ce qu’il est. Mais quelquefois aussi, sans parler du Père, il dit qu’il fait lui-même ce que cependant il fait avec le Père : c’est afin de nous faire comprendre qu’il ne faut pas séparer le Fils de l’opération du Père, lorsque, sans parler de lui-même, il dit que le Père agit ; comme aussi le Père ne doit pas être séparé de l’opération du Fils, lorsque, sans parler du Père, le Fils dit qu’il agit lui-même ; car ils opèrent tous les deux également. Quand donc il s’agit de l’œuvre du Père et que le Fils passe sous silence sa propre opération, il nous recommande l’humilité, il veut nous être plus utile. Et quand ensuite, dans ce qu’il fait, il passe sous silence l’opération du Père, il fait ressortir son égalité avec son Père pour nous empêcher de croire qu’il lui soit inférieur. Ainsi donc, dans ce passage, il ne se donne pas comme étranger à l’œuvre du Père, quoiqu’il ait dit : « La clarté que vous m’avez donnée », parce qu’il se l’est aussi donnée à lui-même ; il ne donne pas non plus le Père comme étranger à ce qu’il fait lui-même, quoiqu’il dise : « Je la leur ai donnée » ; car le Père la leur a aussi donnée. En effet, non seulement les opérations du Père et du Fils, mais encore celles du Saint-Esprit, sont inséparables ; il a lui-même voulu la réalisation de ce qu’il demande à son Père pour les siens, c’est-à-dire, « que tous soient un » ; de même en est-il de ce qu’il a dit à son propre avantage « La clarté que vous m’avez donnée, je la leur ai donnée » ; il l’a aussi voulu, car il ajoute aussitôt : « Afin qu’ils soient un, comme nous sommes un nous-mêmes ».

4. Notre-Seigneur ajoute ensuite : « Je suis en eux et vous êtes en moi, afin qu’ils soient consommés en un ». Par ces quelques mots, il se fait connaître pour Médiateur entre Dieu et les hommes. Cela n’est pas dit en ce sens que le Père ne soit pas en nous ou que nous ne soyons pas dans le Père, puisqu’en un autre endroit il dit : « Nous viendrons vers lui et nous établirons en lui notre demeure [490] ». Il ne faut pas l’entendre non plus en ce sens qu’il n’ait pas dit : « Je suis en eux et vous êtes en moi », puisqu’il vient de le dire, ou bien : Ils sont en moi et moi en vous ; mais bien : Vous êtes en moi, et moi en vous et eux en nous. Les paroles qui suivent maintenant : « Je suis en eux et vous êtes en moi », doivent donc s’entendre de la personne du Médiateur, selon ce que dit l’Apôtre : « Vous êtes de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ est de Dieu [491] ». Quant à ce que Notre-Seigneur ajoute : « Afin qu’ils soient consommés en un », il montre par là que la réconciliation opérée par le Médiateur va jusqu’à nous faire jouir d’une béatitude si parfaite qu’il sera impossible d’y rien ajouter. De là vient que les paroles qui suivent : « Afin que le monde connaisse que c’est vous qui m’avez envoyé », ne doivent pas, à mon avis, être entendues dans le même sens que s’il répétait : « Afin que le monde croie ». Quelquefois, en effet, le mot connaître s’emploie pour le mot croire, comme dans le passage précité où Notre-Seigneur s’exprime ainsi : « Et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que c’est vous qui m’avez envoyé [492] ». Ce qu’il dit en dernier lieu par le mot : « ils ont cru », est la même chose que ce qu’il avait déjà dit par le mot : « Ils ont connu ». Mais comme il parle ici de consommation, la connaissance à laquelle il fait allusion est, nous devons le comprendre, celle qui s’acquerra par la claire vue et non celle qui, comme maintenant, s’acquiert par la foi. Notre-Seigneur semble avoir gardé un certain ordre en tout ce qu’il a dit tout à l’heure : « Afin que le monde croie », et en ce qu’il dit maintenant « Afin que le monde connaisse ». Car bien qu’il ait dit en premier lieu : « Afin que tous soient un », et « qu’ils soient un en nous », il ne dit pas cependant : « Qu’ils soient consommés en un » ; mais il ajoute : « Afin que le monde croie que c’est vous qui m’avez envoyé ». Dans le second passage, au contraire, il dit : « Afin qu’ils soient consommés en un », et il n’ajoute pas : « Afin que le monde croie » ; mais bien : « Afin que le monde connaisse que c’est vous qui m’avez envoyé ». En effet, tant que nous croyons ce que nous ne voyons pas, nous ne sommes point encore consommés en science comme nous le serons quand nous aurons mérité de voir ce que nous croyons. C’est donc avec une singulière justesse d’expression qu’il dit d’abord : « Afin que le monde croie » ; et ensuite : « Afin que le monde connaisse », et ici et là,« que c’est vous qui m’avez envoyé ». Par là, il veut nous apprendre qu’il appartient à l’amour inséparable du Père et du Fils de nous faire croire maintenant ce que notre foi tend à nous faire connaître. S’il disait Afin qu’ils connaissent que c’est vous qui m’avez envoyé, ce serait la même chose que ce qu’il dit : « Afin que le monde connaisse ». Car c’est d’eux que se compose le monde, non pas le monde persévéramment ennemi de Dieu, qui est prédestiné à la damnation, mais le monde devenu son ami après avoir été son ennemi, et à cause duquel Dieu était en Jésus-Christ se réconciliant le monde à lui-même. Voilà pourquoi il dit : « Je suis en eux et vous en moi » ; c’est comme s’il disait : Je suis en ceux vers lesquels vous m’avez envoyé, et vous êtes en moi vous réconciliant le monde par moi.
5. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute ce qui suit : « Et vous les avez aimés comme vous m’avez aimé moi-même ». C’est dans le Fils que le Père nous aime, parce que c’est en lui qu’il nous a élus avant la constitution du monde [493]. Celui en effet qui aime son Fils unique, aime aussi assurément les membres de ce Fils qu’il a adoptés en lui et par lui. Toutefois, de ce qu’il a dit : « Vous les avez aimés comme moi-même », il ne suit nullement que nous soyons semblables au Fils unique qui nous a créés et régénérés. Car en disant : telle chose est comme telle autre, on ne veut pas toujours dire qu’il y ait une égalité parfaite entre les deux. Quelquefois on veut seulement dire : Telle chose existe à cause de telle autre, ou bien : Telle chose existe, afin que telle autre existe aussi. Qui oserait dire, par exemple, que les Apôtres ont été envoyés dans le monde par Jésus-Christ de la même manière que Jésus-Christ y a été envoyé par son Père ? Je ne veux signaler d’autre différence que celle-ci, car il serait trop long d’énumérer les autres. Au moment où le Sauveur envoyait ses Apôtres, ils étaient déjà hommes ; or, Notre-Seigneur a été envoyé pour devenir homme ; n’a-t-il pas dit pourtant un peu plus haut : « Comme vous m’avez envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde [494] ? » C’était donc dire en d’autres termes : Parce que vous m’avez envoyé, je les ai envoyés. De même en est-il de ce passage : « Vous les avez aimés, comme vous m’avez aimé moi-même » ; ces paroles ne signifient que ceci : Vous les avez aimés, parce que vous m’avez aimé moi-même. Car celui qui aime le Fils doit nécessairement aimer ses membres, et le seul motif pour lequel le Père aime les membres du Fils, c’est qu’il aime le Fils lui-même. Mais il aime le Fils en tant que Dieu, parce qu’il l’a engendré semblable à lui ; il l’aime aussi en tant qu’homme, parce que son Verbe, qui est son Fils unique, s’est fait chair, et qu’à cause du Verbe la chair du Verbe est l’objet de ses affections. Pour nous, il nous aime, parce que nous sommes les membres de Celui qu’il aime, et afin que nous devenions ses membres, il nous a aimés avant que nous fussions.
6. C’est pourquoi l’amour que Dieu nous porte est incompréhensible et immuable. Car ce n’est pas du moment que nous lui avons été réconciliés par le sang de son Fils, que date son amour pour nous, mais il nous a aimés avant la constitution du monde pour que, conjointement avec son Fils unique, nous fussions aussi ses fils ; alors nous n’étions rien. De ce que la mort de son Fils nous a réconciliés avec lui, nous ne devons pas conclure qu’après nous avoir haïs, le Père ait commencé de nous aimer seulement au moment de notre réconciliation ; il aurait, en cela, imité la conduite d’un ennemi qui se réconcilie avec son ennemi, de manière à être désormais des amis, de manière à s’aimer mutuellement, après s’être réciproquement détestés. Nous avons été réconciliés à un Dieu qui nous aimait déjà et avec qui nous nous trouvions en inimitié à cause du péché. En parlant ainsi, ai-je dit la vérité ? l’Apôtre en est témoin : « Dieu », dit-il, « certifie son amour envers nous, parce que quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous [495] ». Il avait donc de l’amour pour nous, même lorsque nous exercions contre lui notre inimitié en commettant l’iniquité. Et cependant c’est en toute vérité qu’il lui a été dit : « Vous haïssez, Seigneur, tous ceux qui commettent l’iniquité [496] ». Par conséquent il nous aimait d’une manière admirable et toute divine, même au moment où il nous haïssait. Il nous haïssait parce que nous n’étions pas tels qu’il nous avait faits ; mais comme notre iniquité n’avait pas entièrement détruit son ouvrage, il savait tout à la fois, en chacun de nous, haïr ce que nous avions fait et aimer ce qu’il avait fait. En toutes choses, voilà ce qu’on peut croire de lui, puisqu’il est dit de lui en toute vérité : « Vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait [497] ». Car tout ce qu’il déteste, il voudrait ne pas le voir exister ; ou bien il faudrait dire qu’une chose existe à l’encontre de la volonté du Tout-Puissant, à moins que ce qu’il déteste ne se trouve, sous certains rapports, digne de son amour. C’est avec justice qu’il hait le vice et le réprouve comme contraire aux règles de son art ; et cependant, même dans les vicieux, il aime sa bonté en les guérissant, ou sa justice en les condamnant. Ainsi Dieu ne hait aucune des choses qu’il a faites. Créateur des natures et non des vices, il hait le mal, mais il ne l’a pas fait, et du mal lui-même il tire le bien qu’il fait, soit en guérissant ce mal par sa miséricorde, soit en le réglant par sa justice. Puisqu’il ne hait aucune des choses qu’il a faites, qui donc pourra exprimer dignement combien il aime les membres de son Fils unique et combien plus il aime ce Fils unique lui-même en qui ont été créées toutes les choses visibles et invisibles qui sont coordonnées chacune en son rang et aimées selon toutes les règles de la justice ? Or, les membres de son Fils unique, il les élève par l’abondance de sa grâce jusqu’à la hauteur des saints anges. Mais comme le Fils unique est le Seigneur de toutes choses, il est évidemment aussi le Seigneur des anges, car par sa nature qui le fait Dieu, il est égal, non pas aux anges, mais à son Père. Et par la grâce qui le fait homme, ne surpasse-t-il pas en excellence tous les anges, puisqu’en lui l’homme et le Verbe ne forment qu’une seule personne ?
7. Il en est cependant qui nous préfèrent même aux anges ; car, disent-ils, c’est pour nous et non pour les anges que Jésus-Christ est mort. Mais qu’est-ce que cela ? ce n’est autre chose que vouloir se glorifier de son impiété. Car « Jésus-Christ », dit l’Apôtre, « est mort dans le temps pour les impies [498] ». C’est la preuve, non pas de notre mérite, mais de la miséricorde divine. Car n’est-ce pas se montrer étrangement aveugle que de vouloir tirer du mérite de ce qu’on a, par sa faute, contracté une maladie assez détestable pour ne pouvoir être guérie que par la mort du médecin ? Cette mort, loin de rehausser nos mérites, manifeste les maladies auxquelles elle a servi de remède. Mais nous préférons-nous aux anges, parce que, les anges ayant péché, le remède capable de les guérir ne leur a pas été accordé ? Dieu leur a-t-il accordé un mince secours, tandis qu’il nous en aurait octroyé un plus considérable ? Quand même il en serait ainsi, il faudrait encore savoir si Dieu a voulu agir ainsi parce que notre état primitif était plus excellent, ou bien parce que notre chute était plus profonde. Mais puisque le Créateur de tous les biens n’a accordé aucune grâce pour relever les mauvais anges, pourquoi n’en concluons-nous pas que leur faute a été jugée d’autant plus condamnable que leur nature était plus élevée ? En comparaison de nous, ils étaient d’autant plus obligés à ne pas pécher, qu’ils étaient meilleurs que nous. Or, en offensant leur Créateur, ils ont montré pour ses bienfaits une ingratitude d’autant plus exécrable, que dans leur création ils avaient reçu un plus grand bienfait. Néanmoins, il ne leur a pas suffi d’avoir abandonné Dieu, ils ont encore voulu nous tromper. Celui qui nous a aimés comme il a aimé Jésus-Christ, nous accordera donc un grand bienfait, puisqu’en considération de Celui dont il a voulu que nous soyons les membres, il nous rendra égaux aux saints anges [499] ; par nature, en effet, nous avons été créés inférieurs aux anges, et par notre péché nous étions devenus plus indignes d’être, d’une manière quelconque, admis en leur société.

CENT ONZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « PÈRE, CEUX QUE VOUS M’AVEZ DONNÉS, JE VEUX QUE LA OU JE SUIS, ILS SOIENT AUSSI AVEC MOI », JUSQU’À CES AUTRES : AFIN QUE L’AMOUR « DONT VOUS M’AVEZ AIMÉ SOIT EN EUX ET MOI EN EUX ». (Chap. 17,24-26.)

LE CIEL ET LA VISION INTUITIVE.[modifier]

Jésus, voie, vérité et vie, demande le ciel pour ceux qu’il a reçus et choisis du monde, la conviction des choses qui ne se voient point, et enfin, comme moyen d’y parvenir, la foi et l’espérance.

1. L’espérance que le Seigneur Jésus donne aux siens est singulièrement élevée dans son objet, et l’on ne saurait imaginer rien de plus grand. Écoutez et puisez dans votre espérance une immense joie : voici pourquoi vous devez non pas aimer, mais supporter la vie présente ; écoutez, afin de vous montrer patients au milieu de ses tribulations[500]. Écoutez, dis-je, et considérez attentivement jusqu’où s’élève notre espérance. C’est Jésus-Christ qui parle ; c’est le Fils unique de Dieu, coéternel et égal à son Père ; c’est celui qui s’est fait homme pour nous, mais qui n’est pas devenu menteur comme tout homme[501] ; c’est celui qui est la voie, la vie et la vérité[502] ; c’est celui qui a vaincu le monde[503], et il parle de ceux en faveur desquels il a remporté la victoire. Écoutez, croyez, espérez, désirez ce qu’il dit. « Père, je désire que là où je suis, ceux que vous m’avez donnés soient aussi avec moi ». Quels sont ceux dont il dit que le Père les lui a donnés ? Ne sont-ce pas les mêmes dont il dit ailleurs : « Personne ne vient à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire [504] ? » Comment fait-il lui-même avec le Père ce qu’il nous dit être l’œuvre du Père seul ? Nous le savons déjà, si nous avons profité de l’explication de cet Évangile. Ce sont ceux qu’il a reçus du Père, ceux qu’il a lui-même choisis du monde pour qu’ils ne soient plus du monde, comme lui-même n’en est pas ; mais pour qu’ils soient ce monde qui croit et connaît que Jésus-Christ a été envoyé par Dieu le Père, afin de délivrer le monde du monde et empêcher le monde, qui doit être réconcilié avec Dieu, d’être condamné avec le monde qui est son ennemi acharné. Voici, en effet, ce qu’il dit au commencement de cette prière : « Vous lui avez donné pouvoir sur toute chair », c’est-à-dire sur tout homme, « afin qu’à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle[505] ». Par là il montre qu’il a reçu pouvoir sur tout homme ; en conséquence, et puisqu’il jugera les vivants et les morts, il délivrera ceux qu’il voudra et condamnera aussi ceux qu’il voudra ; par là, il montre encore que le Père lui a donné tous ceux auxquels il donnera la vie éternelle. Il dit en effet : « Afin qu’à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle ». C’est pourquoi ceux à qui il ne donnera pas la vie éternelle, ne lui ont pas été donnés. Pourtant il a reçu pouvoir sur eux, puisque pouvoir lui a été donné sur toute chair, c’est-à-dire sur tout homme. Ainsi le monde réconcilié sera délivré du monde ennemi, lorsque exerçant sur celui-ci son pouvoir Jésus l’enverra à la mort éternelle ; mais le premier il le fera sien et lui donnera la vie éternelle. La récompense promise par ce bon pasteur à toutes ses brebis, et par ce chef élevé à tous ses membres, c’est qu’où il est lui-même, là nous serons aussi avec lui. Cette promesse ne peut manquer de s’accomplir, puisque c’est le Fils tout-puissant qui dit au Père tout-puissant que telle est sa volonté. En cela aussi se trouve la volonté de l’Esprit-Saint, également éternel, également Dieu, Esprit unique des deux et la substance de leur volonté. De ces paroles que le Sauveur prononça au moment de sa passion : « Non ce que je veux, mais ce que vous voulez, Père[506] », il semblerait résulter qu’il y avait eu ou qu’il y avait encore de la différence entre la volonté du Père et la volonté du Fils ; mais ce n’était là qu’un écho, écho fidèle néanmoins, de notre faiblesse, que notre chef transfigura en lui-même, lorsqu’il se chargea de nos péchés. Cependant, une est la volonté du Père et du Fils, et aussi de l’Esprit-Saint, qui par son adjonction forme avec eux la Trinité ; si notre faiblesse ne nous permet pas de le comprendre, notre piété nous fait du moins un devoir de le croire.

2. Autant que nous l’a permis la brièveté de notre discours, nous vous avons dit à qui Notre-Seigneur a fait cette promesse et combien elle est assurée : il nous reste donc à comprendre de notre mieux ce qu’il a bien voulu nous promettre. « Ceux que vous m’avez donnés », dit-il, « je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi ». Relativement à la créature dans laquelle il est né de la race de David selon la chair [507] ». Notre-Seigneur n’était pas encore où il devait se trouver plus tard. Cependant il a pu dire : « Où je suis », de manière à nous faire comprendre que bientôt il monterait au ciel, et qu’il se considérait comme étant déjà là où il devait être peu après. Il a pu aussi parler alors dans le même sens que lorsqu’il avait dit à Nicodème : « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est du ciel[508] ». Dans ce passage il ne dit pas : qui sera ; mais bien : « qui est », à cause de l’unité de personne par laquelle il est Dieu-homme et homme-Dieu ; il a donc promis de nous faire aller au ciel : c’est là qu’a été élevée la forme d’esclave qu’il a prise dans le sein de la Vierge ; c’est là qu’elle est placée à la droite du Père. Dans l’espérance de posséder plus tard un si grand bien, l’Apôtre lui-même a dit : « Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, et, lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a vivifiés ensemble par Jésus-Christ, par la grâce duquel nous avons été sauvés, et en même temps il nous a ressuscités et nous a fait asseoir dans les célestes demeures en Jésus-Christ[509] ». Voici donc quel peut être le sens de ces paroles du Sauveur : « Que là où je suis, ils soient aussi avec moi ». Notre-Seigneur dit lui-même qu’il est déjà au ciel. Pour nous, il dit qu’il veut que nous y soyons avec lui ; mais il montre que nous n’y sommes pas encore. Ce que Notre-Seigneur dit vouloir faire, l’Apôtre en parle comme si cela était déjà fait ; il ne dit pas en effet : Il nous ressuscitera et nous fera asseoir dans les célestes demeures ; mais bien : « Il nous a ressuscités et fait asseoir dans les célestes demeures ». Car ce n’est pas en vain, mais avec certitude qu’il regarde comme déjà fait ce dont l’accomplissement futur ne lui inspire aucun doute. Si, au contraire ; nous voulons comprendre ces mots : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi », dans le sens de la nature de Dieu qui le rend égal au l’ère, éloignons de notre esprit toute pensée d’images corporelles. Que notre esprit écarte son attention ou sa contemplation de toute idée de longueur, de largeur, d’épaisseur et de couleur corporelles, de diffusion en des lieux ou en des espaces finis ou infinis qu’on ne se demande pas où se trouve le Fils qui est égal au Père ; car personne n’a encore découvert l’endroit où il ne serait pas. Mais que quiconque veut demander, demande plutôt à être avec lui ; non pas à être partout comme lui, mais à être n’importe où il soit. Jésus dit au larron, crucifié en punition de ses crimes, mais sauvé en récompense de sa foi : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis[510]. En tant qu’il était homme, son âme devait être le jour même aux enfers, et son corps dans le tombeau. Mais en tant qu’il était Dieu, il était évidemment dans le paradis. Aussi l’âme du larron, lavée de ses crimes et béatifiée par la munificence du Christ, ne pouvait être partout comme lui ; mais le jour même elle put être avec lui dans le paradis, d’où il ne s’était pas éloigné puisqu’il est toujours partout. C’est pour cela, sans doute, qu’il ne lui a pas suffi de dire : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi », mais qu’il a ajouté : « avec moi ». Être avec lui, c’est un grand bien. Les malheureux peuvent être où il est, parce que n’importe où ils soient, il y est aussi. Mais les bienheureux seuls peuvent être avec lui ; car ils ne peuvent être heureux que par lui. C’est donc en toute vérité qu’il a été dit à Dieu : « Si je monte au ciel, vous y êtes ; si je descends aux enfers, vous y êtes présent [511] ». Et Jésus-Christ n’est-il pas la sagesse de Dieu, cette sagesse « qui atteint partout, à cause de sa pureté [512] ? » Mais la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne la comprennent pas [513] ». Prenons pour exemple quelconque une chose visible, quoiqu’elle offre des différences sensibles. Quoiqu’un aveugle se trouve où est la lumière, il n’est cependant pas avec la lumière ; mais, malgré la présence de la lumière, il est lui-même absent par rapport à elle. Ainsi en est-il de l’infidèle et de l’impie, et même de l’homme fidèle et pieux qui n’est pas encore propre à contempler la lumière de la sagesse ; quoiqu’ils ne puissent jamais être en un lieu où ne soit pas Jésus-Christ, ils ne sont cependant pas avec Jésus-Christ, à moins qu’ils y soient comme en image ; car l’homme pieux et fidèle est sûrement avec Jésus-Christ par la foi. C’est pourquoi Notre-Seigneur dit : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi[514] ». Mais lorsqu’il disait à Dieu le Père « Ceux que vous m’avez donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi », il parlait de cette image dans laquelle nous le verrons tel qu’il est[515].

3. Que personne ne vienne obscurcir par les nuages de la contradiction le sens très clair que nous venons de donner ; les paroles qui suivent viennent prêter leur témoignage à celles qui précèdent. Notre-Seigneur, en effet, avait dit : « Je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi » ; il continue et ajoute aussitôt : « Afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée, parce que vous m’avez aimé avant la constitution du monde ». Il dit : « Afin qu’ils voient », et non pas : afin qu’ils croient. C’est là, en effet, la récompense de la foi, et non la foi elle-même ; car si la foi est avec raison définie, dans l’épître aux Hébreux : « Une conviction des choses qui ne se voient pas[516] » ; pourquoi la récompense de la foi ne serait-elle pas définie : La vision des choses que l’on a crues et espérées ? Quand nous verrons la gloire que le Père a donnée à son Fils, et supposons qu’il s’agisse seulement ici de la gloire qu’il a donnée à son Fils fait homme après sa mort sur la croix, et non pas de celle que le Père lui a donnée, en tant que son égal, quand il l’a engendré ; quand nous verrons cette gloire du Fils, assurément alors se fera le jugement des vivants et des morts ; alors l’impie sera enlevé, afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur[517]. Quelle gloire ? Celle par laquelle il est Dieu. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[518] ». Les impies n’ont pas le cœur pur, c’est pourquoi ils ne verront pas Dieu. Alors ils iront au supplice éternel ; et c’est ainsi que l’impie sera enlevé, afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur. Mais les justes iront à la vie éternelle[519]. Or, en quoi consiste la vie éternelle ? « A vous connaître », dit Notre-Seigneur, « vous, le seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ[520] ». Elle consiste à le connaître, non pas de la manière dont il sera connu de ceux qui, sans avoir le cœur pur, auront pu cependant le voir juger les hommes dans sa forme d’esclave glorifiée, mais de la manière dont il doit être connu par ceux qui ont le cœur pur, comme seul vrai Dieu, Fils avec le Père et le Saint-Esprit, puisque la Trinité est le seul vrai Dieu. Si nous le considérons en tant qu’il est Fils de Dieu, Dieu lui-même égal et coéternel au Père, voici le sens que nous devons donner à ces paroles : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi ». Nous serons dans le Père avec Jésus-Christ ; mais il y sera à sa manière et nous à la nôtre, n’importe où nous nous trouvions corporellement. S’il faut appeler lieu ce qui ne contient pas de corps, et que le lieu d’une chose soit celui où elle est, le Père est dans le lieu éternel, où se trouve toujours Jésus-Christ, et le lieu où se trouve le Père n’est autre que le Fils ; « car », dit-il, « je suis dans le Père et le Père est en moi[521] ». Et dans la présente prière, il dit aussi : « Comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous ». Ils sont eux-mêmes le lieu de notre habitation ; car il ajoute : « Afin qu’eux aussi soient un en nous [522] ». Oui, nous sommes le lieu où Dieu réside, parce que nous sommes son temple. Ainsi, celui qui est mort et qui vit pour nous, prie afin que nous soyons un en eux : « Parce que son habitation a été établie dans la paix, et sa demeure dans Sion [523] ». Et nous sommes nous-mêmes cette demeure. Mais ces lieux et les choses qui s’y trouvent, comment se les représenter sans capacités étendues, et sans dimensions corporelles ? Néanmoins, ce n’est pas à beaucoup près une imperfection de nier, de repousser et de réprouver tout ce qui, sous les images, se présente à l’œil de notre cœur. Et la lumière à l’aide de laquelle nous voyons que ces choses doivent être niées, repoussées et réprouvées, il faut nous l’imaginer de notre mieux, reconnaître combien elle est certaine, l’aimer pour nous élever ensuite et nous approcher des choses intérieures. Et puisque notre âme, faible et moins pure que ces choses, ne peut les pénétrer, qu’elle ne s’en laisse pas éloigner sans pousser un gémissement d’amour et sans verser des larmes de désir, qu’elle attende avec patience le moment où elle sera purifiée par la foi, et qu’elle se prépare par des mœurs saintes à y habiter un jour.

4. Comment donc ne serions-nous pas avec Jésus-Christ, où il est, quand nous serons avec lui dans le Père, dans le sein duquel il est ? Aussi, quoique nous ne soyons pas encore en possession de la réalité, et que nous en nourrissions seulement l’espérance, l’Apôtre n’a pas voulu nous le taire, et il nous dit : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cherchez les choses qui sont en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu. Ayez du goût pour les choses qui sont en haut, et non pour celles qui sont sur la terre. Car vous êtes morts », ajoute-t-il, « et votre vie a été cachée avec Jésus-Christ en Dieu ». Ainsi donc, en attendant, par la foi et l’espérance notre vie se trouve où se trouve Jésus-Christ, elle est avec lui. Et voilà comment déjà s’est accompli ce que Notre-Seigneur demandait dans sa prière : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi ». Mais maintenant nous n’y sommes que par la foi. Quand y serons-nous en réalité pour le voir à découvert ? « Quand Jésus-Christ, qui est votre vie », dit l’Apôtre, « vous aura apparu, alors vous apparaîtrez, vous aussi, avec lui dans la gloire [524] ». Alors nous apparaîtrons ce qu’alors nous serons. Car alors nous verrons que nous n’avons ni cru ni espéré inutilement ces choses avant de les posséder. C’est ce que fera Celui à qui le Fils dit : « Afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée », et qui ajoute incontinent« Parce que vous m’avez aimé avant la Constitution du monde ». Car, en lui, il nous a aimés nous aussi avant la constitution du monde, et alors il a prédestiné ce qu’il ferait à la fin du monde.

5. « Père juste », continue Notre-Seigneur, le monde ne vous a pas connu ». C’est parce que vous êtes juste qu’il ne vous a pas connu. Et c’est avec raison que ce monde prédestiné à la damnation ne l’a pas connu. Mais si le monde qu’il s’est réconcilié par Jésus-Christ l’a connu, ce n’est point par son propre mérite, mais par l’effet de la grâce. Qu’est-ce, en effet, que le connaître, sinon la vie éternelle ? Il ne l’a pas donnée au monde damné, mais il l’a donnée au monde réconcilié. Le monde ne vous a donc pas connu précisément parce que vous êtes juste, et en agissant de manière à ce qu’il ne vous connût pas, vous avez agi selon ses mérites ; mais si le monde réconcilié vous a connu, c’est parce que vous êtes miséricordieux, et pour l’aider à vous connaître, vous lui êtes venu en aide, non pas à cause de son mérite, mais par l’effet de votre grâce. Notre-Seigneur ajoute ensuite : « Mais moi, je vous ai connu ». Jésus-Christ comme Dieu est la source de la grâce ; mais comme homme, il est né du Saint-Esprit et de la Vierge par une grâce ineffable. Enfin, c’est à cause de lui, car la grâce de Dieu nous vient par Jésus-Christ Notre-Seigneur ; « et ceux-ci », ajoute-t-il, « ont connu que vous m’avez envoyé ». Voilà le monde réconcilié. Mais comme ils l’ont connu parce que vous m’avez envoyé, c’est donc par un don de la grâce qu’ils l’ont connu.

6. « Et je leur ai fait connaître votre nom, et je le leur ferai connaître encore ». Je le leur ai fait connaître par la foi, je le leur ferai connaître par la claire vision. Je le leur ai fait connaître dans le cours de leur pèlerinage ici-bas ; je le leur ferai connaître dans leur royaume éternel. « Afin », continue Notre-Seigneur, « que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que moi aussi je sois en vous ». Cette locution : Dilectio quam dilexisti me, n’est pas en usage ; il faudrait dire : Dilectio qua dilexisti me. La première est tirée du grec ; cependant il y en a de semblables en latin ; car nous disons Fidelem servitutem servivit, strenuam militiam militavit, (il a servi avec fidélité, il a fait la guerre avec courage), tandis qu’il aurait fallu dire ; Fideli servitute servivit, strenua militia militavit. L’Apôtre a imité cette manière de parler: Dilectio quam dilexisti me, car il a employé une locution pareille, quand il a dit : Bonum certamen certavi[525], « j’ai combattu un bon combat ». Il ne dit pas : Bono certamine, ce qui eût été plus conforme à l’usage et aussi à la règle. Mais comment l’amour dont le Père aime le Fils est-il en nous ? Parce que nous sommes ses membres et que nous sommes aimés en lui ; car il est aimé tout entier, et comme chef et comme corps. C’est pourquoi il a ajouté : « Et moi en eux », comme s’il disait : parce que je suis, moi aussi, en eux. Car autre est là manière dont il est en nous comme dans son temple, autre est la manière dont il est en nous en tant que nous sommes lui-même, puisque, comme il s’est fait homme pour devenir notre chef, nous sommes devenus son corps. La prière du Sauveur est finie ; sa passion commence ; finissons donc aussi ce discours : dans les suivants, nous dirons sur sa passion ce qu’il nous inspirera.

CENT DOUZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « JÉSUS AYANT DIT CES CHOSES, SORTIT AVEC SES DISCIPLES », JUSQU’A CES AUTRES : « ILS SAISIRENT JÉSUS ET LE LIÈRENT ». (Chap. 18,1-12.)[modifier]

JÉSUS AU JARDIN DES OLIVES.[modifier]

Arrivé au jardin des Olives, le Sauveur y est bientôt suivi par les Juifs et Judas. D’un mot, il les renverse et guérit Malchus que Pierre a blessé. Avant sa guérison, Malchus était la figure de la servitude, et après, celle de la liberté, comme sa blessure était l’emblème du renouvellement de l’intelligence.


1. À la suite du beau et long discours qu’après la cène et avant de répandre son sang le Sauveur adressa à ceux de ses disciples qui étaient avec lui, à la suite de la prière qu’il adressa à son Père, l’Évangéliste Jean commence en ces termes le récit de sa passion : « Jésus ayant dit ces choses sortit avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron, où était un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples. Or, Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu-là, parce que Jésus y était souvent venu avec ses disciples ». L’Évangéliste raconte que Notre-Seigneur entra dans le jardin avec ses disciples ; mais cela n’arriva pas aussitôt après la prière dont il est écrit : « Jésus ayant dit ces choses ». Dans l’intervalle eurent lieu quelques événements que notre Évangéliste a passés sous silence et qui se lisent dans les autres Évangiles. De même aussi nous trouvons dans celui de Jean le récit de beaucoup d’événements dont les autres Évangélistes ne parlent pas. Pour ceux qui voudraient savoir comment ils s’accordent entre eux et comment la vérité émise par l’un n’est pas combattue par l’autre, ils l’apprendront, non pas dans ces discours, mais dans d’autres traités d’un pénible travail que j’ai composés sur ce sujet ; qu’ils les étudient non debout et en écoutant, mais assis et en les lisant ou bien en prêtant une oreille et un esprit très-attentifs à celui qu’ils chargeront de les lire. Néanmoins, soit qu’ils puissent en cette vie arriver à cette science, soit qu’ils en soient empêchés par quelque obstacle, ils doivent croire dès à présent qu’il n’y a dans aucun Évangile, dans ceux du moins que D’autorité de l’Église reçoit comme canoniques, rien de contraire à 'ce qui se trouve dans les autres ; car ils sont tous doués de la même véracité. Pour le moment, voyons, sans le comparer à celui des autres, le récit de Jean que nous avons entrepris d’expliquer ; nous passerons brièvement sur les choses qui sont claires, et, quand le sujet le demandera, nous pourrons nous arrêter plus longtemps. Et maintenant, quoiqu’il soit dit : « Jésus ayant « dit ces choses sortit avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron, où était un jardin dans lequel il entra lui et ses disciples », il ne faut pas entendre ce passage en ce sens qu’aussitôt après avoir fini de parler, Notre-Seigneur entra dans le jardin. Mais ces paroles : « Jésus ayant dit ces choses », doivent seulement nous faire comprendre qu’il n’entra pas dans le jardin avant d’avoir fini son discours.
2. « Or, Judas qui le trahissait connaissait ce lieu ». L’ordre des mots est celui-ci : « Il connaissait ce lieu, lui qui le trahissait, parce que », ajoute l’Évangéliste, « Jésus y était venu souvent avec ses disciples ». C’est donc là que ce loup, couvert d’une peau de brebis et supporté au milieu des brebis par un dessein profond du Père de famille, savait pouvoir disperser pour un peu de temps le troupeau, en dressant des embûches au Pasteur. « Judas, ayant accepté une cohorte et des serviteurs envoyés par les princes et les Pharisiens, vint en ce lieu avec des lanternes, et des torches, et des armes ». La cohorte était composée, non de juifs, mais de soldats. Elle était envoyée par le gouverneur, comme pour s’emparer d’un coupable ; par là, ils respectaient l’ordre des pouvoirs légitimes afin que personne n’osât leur résister, quand ils le tiendraient. D’ailleurs, ils avaient rassemblé une si grande troupe et l’avaient armée de telle sorte, qu’elle devait suffire à effrayer ou à disperser ceux qui auraient osé défendre Jésus-Christ. Sa puissance était tellement cachée, et sa faiblesse était si visible, que toutes ces précautions parurent aux yeux de ses ennemis nécessaires à employer contre lui ; car ils ignoraient qu’ils ne pouvaient lui faire que ce qu’il voulait lui-même. Car il était bon, et il faisait un bon usage du mal, et il tirait le bien du mal pour rendre bons les méchants et séparer les bons d’avec les autres.
3. « Or », continue l’Évangéliste, « Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur dit. Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi, et Judas qui le trahissait était debout au milieu d’eux. Aussitôt donc que Jésus leur eut dit : C’est moi, ils s’en allèrent à la renverse et tombèrent par terre ». Où est donc maintenant la cohorte de soldats ? où sont les serviteurs des prêtres et des Pharisiens ? où est cette terreur et ce grand déploiement d’armes ? Une seule parole : « C’est moi », a suffi, sans le secours d’aucune arme, pour frapper, repousser et renverser une foule si nombreuse, transportée de haine et rendue redoutable par ses armes. Le Dieu se dérobait sous le voile de l’humanité, et le jour éternel se trouvait tellement éclipsé sous les membres humains, que les ténèbres le cherchaient avec des lanternes et des torches pour le tuer. Il dit : « C’est moi », et il renverse ces impies. Que fera-t-il quand il viendra pour juger, puisqu’il fait de telles choses au moment où il va être jugé ? Quelle sera sa puissance quand il régnera, s’il peut ainsi agir quand il va tomber sous les coups de la mort ? Et maintenant, par le moyen de l’Évangile, Jésus-Christ dit partout : « C’est « moi a, et les Juifs attendent l’antéchrist, pour retourner en arrière et tomber à terre ; car ils abandonnent les choses célestes et n’aiment que les choses terrestres. Certes, les persécuteurs sont venus avec Celui qui le trahissait, pour saisir Jésus ; ils ont trouvé Celui qu’ils cherchaient, ils ont entendu : « C’est moi ». Pourquoi ne l’ont-ils pas saisi ? Pourquoi, au contraire, se sont-ils en allés à la renverse et sont-ils tombés ? parce qu’ainsi l’a voulu Celui qui peut tout ce qu’il veut. Mais s’il ne leur permettait jamais de le saisir, ils ne lui feraient pas ce pour quoi ils sont venus, et il ne ferait pas lui-même ce pour quoi il est descendu sur la terre. Dans leur fureur, ils le cherchaient pour le mettre à mort ; mais il nous cherchait lui-même en mourant. C’est pourquoi il leur a montré son pouvoir et l’impuissance où ils étaient de le saisir, bien qu’ils le voulussent ; qu’ils le prennent maintenant, afin qu’il le fasse servir, à leur insu, à l’accomplissement de sa volonté.
4. « Il leur demanda donc de nouveau : Qui cherchez-vous ? ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. C’était afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : Ceux que vous m’avez donnés, je n’en ai perdu aucun. Si c’est moi que vous cherchez », dit Notre-Seigneur, « laissez aller ceux-ci ». Il parle à des ennemis, et cependant ils font ce qu’il ordonne, ils laissent aller ceux qu’il ne veut pas voir périr. Mais ne devaient-ils pas mourir dans la suite ? Pourquoi donc, s’ils mouraient maintenant, les perdrait-il ? parce qu’ils ne croyaient pas encore en lui de la manière dont croient tous ceux qui ne périssent pas.
5. « Or, Simon Pierre ayant un glaive, le tira et frappa un serviteur du prince des prêtres, et lui coupa l’oreille droite. Or, le nom de ce serviteur était Malchus ». Seul notre Évangéliste a fait connaître le nom de ce serviteur : comme aussi Luc a été seul pour dire que Notre-Seigneur toucha son oreille et la guérit [526]. Or, Malchus signifie qui doit régner. Que signifie donc cette oreille coupée pour le Seigneur et guérie par lui, sinon le renouvellement de l’intelligence qui se dépouille de ses anciens errements, afin de se trouver dans la nouveauté de l’esprit, et non plus dans l’ancienneté de la lettre[527] ? Celui qui a reçu de Jésus-Christ un tel bienfait ne doit-il pas évidemment régner avec Jésus-Christ ? Malchus a été un esclave, et par conséquent il symbolise cet Ancien Testament qui engendre pour la servitude, et dont la figure est Agar[528]. Mais quand est advenue la santé, alors a été figurée la liberté. Notre-Seigneur blâma l’action de Pierre et lui défendit de passer outre : « Remets ton glaive dans le fourreau ; le calice que le Père m’a donné, ne le boirai-je pas ? » Par son action, ce disciple ne voulait que défendre son Maître, il ne songeait nullement à ce que signifiait sa conduite. C’est pourquoi il a fallu que le Sauveur l’exhortât à la patience, et que cela fût écrit pour être compris de nous. Notre-Seigneur dit que c’est le Père qui lui a donné le calice de sa passion ; assurément, c’est aussi ce que veut dire l’Apôtre par ces mots : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous [529] ». Cependant, Celui qui a bu ce calice, l’a aussi préparé. Aussi le même Apôtre nous dit-il : « Jésus-Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime d’agréable odeur [530] ».
6. « La cohorte, et le tribun, et les satellites des Juifs, saisirent Jésus et le lièrent ». Ils se saisirent de Celui dont ils n’approchèrent même pas. Car il est le jour, et ils restèrent ténèbres, et ils n’entendirent pas cette parole : « Approchez-vous de lui et soyez éclairés[531] ». S’ils s’en étaient approchée de la sorte, ils l’auraient saisi non avec leurs mains pour le mettre à mort, mais avec leur cœur pour le recevoir. Hélas ! en le saisissant comme ils le faisaient, ils s’en éloignèrent davantage. Et ils lièrent Celui par qui ils auraient dû plutôt vouloir être délies. Et peut-être y en eut-il parmi eux pour le charger alors de leurs chaînes, et qui, délivrés par lui dans la suite, s’écrièrent : « Vous avez brisé mes liens[532] ». C’est assez pour aujourd’hui ; si Dieu le permet, nous traiterons ce qui suit dans un autre discours.

CENT TREIZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « ET ILS LE CONDUISIRENT D’ABORD VERS ANNE », JUSQU’À CES AUTRES : « PIERRE LE NIA ENCORE UNE FOIS, ET AUSSITÔT LE COQ CHANTA ». (Chap. 18, 13-27.)[modifier]

JÉSUS CHEZ ANNE ET CHEZ CAÏPHE.[modifier]

Le Sauveur, trahi par Judas, traîné chez Anne, y est renié trois fois, par Pierre : ensuite, on le conduit chez Caïphe, un assistant le soufflette, et il répond à cette injure avec une dignité et un calme qui doivent nous servir d’exemple.


1. Les persécuteurs de Notre-Seigneur, après que Judas le leur eut livré, le saisirent et le lièrent ; car il nous a aimés, il s’est livré lui-même pour nous [533], et le Père ne l’a pas épargné, mais il l’a livré pour nous tous [534]. Mais il ne faut pas croire que Judas soit à louanger pour le bien que nous avons tiré de sa trahison, il n’a mérité que la condamnation due à un si grand crime. « Ils le conduisirent », nous raconte l’Évangéliste Jean, d’abord chez « Anne ». Et il nous en donne la raison. « Car », dit-il, « il était beau-père de Caïphe qui était le Pontife de cette année. « Caïphe », continue-t-il, « était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est utile qu’un seul homme meure pour tout le peuple ». Matthieu, qui a voulu raconter plus brièvement le fait, rapporte que Notre-Seigneur fut conduit vers Caïphe [535]. Car s’il fut conduit d’abord vers Anne, c’est qu’Anne était le beau-père de Caïphe ; de là nous devons conclure que Caïphe avait voulu qu’il en fût ainsi.
2. L’Évangéliste continue : « Or, Simon Pierre et un autre disciple suivaient Jésus ». Quel est cet autre disciple ? Le dire serait parler témérairement, puisqu’on ne nous l’apprend pas ; remarquez-le, néanmoins. C’est ainsi que Jean se désigne ordinairement lui-même en ajoutant « que Jésus l’aimait[536] ». Aussi, est-ce peut-être lui. Mais, quel qu’il soit, voyons ce qui suit : « Ce disciple était connu du grand prêtre, et il entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre. Or, Pierre se tenait dehors à la porte. Mais cet autre disciple qui était connu du grand prêtre sortit, parla à la portière et fit entrer Pierre. Or, cette servante, la portière, dit à Pierre : Et toi, n’es-tu pas aussi des disciples de cet homme ? « Il lui répondit : Je n’en suis point ». Cette colonne qui se croyait si ferme, la voilà ébranlée jusque dans ses fondements par le moindre souffle du vent. Où est l’audace de cet homme qui promettait tant de choses et présumait si fort de lui-même ? Où sont ces paroles qu’il avait prononcées : « Pourquoi ne puis-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous[537] ? » Nier qu’on soit le disciple de son maître, est-ce le suivre ? Donne-t-on sa vie pour son maître, quand, par crainte de mourir, on tremble à la voix d’une servante ? Mais faut-il nous étonner si les prédictions de Dieu sont infaillibles, et si les présomptions de l’homme sont trompeuses ? D’après ce que l’Évangile a commencé de nous dire du reniement de l’apôtre Pierre, nous devons le remarquer, on renie Jésus-Christ, non seulement en disant qu’il n’est pas le Christ, mais encore en soutenant qu’on n’est pas chrétien, quand on l’est. Notre-Seigneur n’a pas dit à Pierre Tu nieras que tu es mon disciple ; mais : « Tu me nieras [538] » ; il l’a donc nié lui-même, quand il a nié qu’il fût son disciple. Et en niant qu’il fût son disciple, qu’a-t-il nié, sinon qu’il fût chrétien ? Sans doute, les disciples de Jésus-Christ n’étaient pas encore appelés de ce nom ; ils ne furent pour la première fois appelés chrétiens, que quelque temps après. l’ascension, à Antioche[539]. Mais déjà existait le motif qui devait leur faire donner ce nom-là ; déjà existaient les disciples qui plus tard furent appelés chrétiens ; et ils ont transmis à leur postérité ce nom qui leur était commun, comme la foi qui leur était commune. Celui donc qui niait être disciple de Jésus-Christ, niait la chose que l’on désigne par le nom de chrétien. Dans la suite, combien de personnes se sont montrées capables de ce que n’a pu faire ce disciple qui tenait les clefs du royaume des cieux[540] ? Ici, je ne parle ni de vieillards ni de vieilles femmes à qui le dégoût de la vie a pu inspirer plus facilement le mépris de la mort endurée pour confesser Jésus-Christ ; je ne parle pas non plus de jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, car on est en droit d’exiger de cet âge la force et le courage ; mais je parle de petits garçons et de petites filles, et de cette troupe innombrable de saints martyrs qui sont entrés par force et par violence dans le royaume des cieux. Aussi, quand Celui qui nous a rachetés de son sang se livra pour nous, il dit : « Laissez ceux-là s’en aller », afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : « Ceux que vous m’avez donnés, je n’en ai pas perdu un seul ». En effet, si Pierre était mort après avoir renié Jésus-Christ, n’aurait-il pas été perdu ?
3. « Les serviteurs et les ministres se tenaient auprès du feu, car il faisait froid, et ils se chauffaient ». On n’était pas en hiver, et cependant il faisait froid, comme il arrive d’ordinaire à l’équinoxe du printemps. « Or, Pierre était aussi avec eux et se chauffait. Le Pontife donc interrogea Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine. Jésus lui répondit : J’ai publiquement parlé au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret ; pourquoi m’interrogez-vous ? interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit : ils savent ce que je leur ai dit ». Ici se présente une question qu’il ne faut point passer sous silence : comment le Seigneur Jésus a-t-il pu dire : « J’ai publiquement parlé au monde » ; et surtout : « Je n’ai rien dit en secret ? » Dans le dernier discours qu’il a adressé à ses disciples après la cène, ne leur a-t-il pas dit : « Je vous ai dit ces choses en paraboles ; mais voici venir l’heure où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais je vous parlerai ouvertement de mon Père [541] ? » Si donc à ses disciples qui lui étaient le plus attachés il ne parlait pas ouvertement, s’il se contentait de leur promettre l’heure où il leur parlerait ouvertement, comment a-t-il parlé ouvertement au monde ? De plus, comme nous l’apprend l’autorité des autres Évangélistes, il parlait beaucoup plus ouvertement à ses disciples qu’à tous autres, lorsqu’il était seul avec eux et éloigné de la foule. Que signifient donc ces paroles : « Je n’ai rien dit en secret ? » Il faut donc comprendre qu’il a dit : « J’ai parlé ouvertement au monde », en ce sens : Beaucoup m’ont entendu. En effet, et dans un sens il parlait ouvertement, et dans un autre il ne parlait pas ouvertement : il parlait ouvertement, parce que plusieurs l’entendaient ; et il ne parlait pas ouvertement, parce qu’ils ne comprenaient pas. D’ailleurs, encore, ce qu’il disait à part à ses disciples, il ne le disait pas en secret. Car peut-on dire que celui-là parle en secret, qui parle devant tant d’hommes ? N’est-il pas écrit : « Que dans la bouche de deux ou trois témoins toute parole soit stable [542] ? » et surtout, ce qu’il dit à un petit nombre, ne veut-il pas que ce petit nombre le publie devant tous ? Notre-Seigneur l’a dit à ses disciples qui se trouvaient alors en petit nombre autour de lui : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière ; et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits [543] ». Donc, même ce qui semblait dit secrètement, d’une certaine façon n’était pas dit en secret ; car Jésus le disait, non pas afin que ceux à qui il parlait gardassent le silence, mais au contraire pour qu’ils le répandissent partout. Ainsi donc une même chose peut être en même temps dite ouvertement et non ouvertement, ou bien en secret et non en secret, comme il est écrit : « Afin que voyant, ils voient et ne voient pas [544] ». Comment « peuvent-ils voir ? » parce que la chose est publique et non secrète ; et comment les mêmes « ne voient-ils pas ? » parce que la chose n’est pas publique, mais secrète. Néanmoins, les choses qu’ils avaient entendues et n’avaient pas comprises étaient de telle nature qu’elles ne pouvaient être incriminées avec justice et vérité. Aussi chaque fois qu’ils l’interrogèrent pour trouver dans ses réponses un motif de l’accuser, il leur répondit de manière à dépister leur ruse et à renverser leurs projets de calomnies. C’est pourquoi il leur disait : « Pourquoi m’interrogez-vous ? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit ; ceux-là savent ce que j’ai dit ».
4. « Quand il eut dit ces paroles, un des ministres qui était là donna un soufflet à Jésus, en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au Pontife ? Jésus lui répondit : Si j’ai mal parlé, rends témoignage du mal que j’ai dit ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » Quoi de plus vrai, de plus doux et de plus juste que cette réponse ? Elle vient de celui dont le Prophète avait dit à l’avance : « Entreprends, et marche en prospérant, et règne pour la vérité, la douceur et la justice[545] ». Si nous considérons la qualité de celui qui a reçu ce soufflet, ne voudrions-nous pas que celui qui l’a ainsi frappé fût consumé par le feu du ciel ou englouti par la terre entr’ouverte, ou saisi par le démon et roulé par lui, ou, enfin, frappé de quelque châtiment semblable, sinon plus grave encore ? Lequel de ces tourments n’aurait pu ordonner dans sa puissance Celui par qui le monde a été fait ? Mais il a préféré nous enseigner la patience qui triomphe du monde. Mais, dira quelqu’un : Pourquoi Jésus n’a-t-il pas fait ce qu’il avait lui-même commandé[546] ? Il ne devait pas répondre ainsi à celui qui le frappait, mais lui présenter l’autre joue. Eh quoi ! n’a-t-il pas répondu avec vérité, douceur et justice ? N’a-t-il pas fait plus que tendre l’autre joue à celui qui le frappait, et n’a-t-il pas donné tout son corps à ceux qui devaient le clouer à la croix ? Ainsi nous a-t-il appris ce qu’il était surtout important de nous apprendre, à savoir, que ces grands préceptes de la patience devaient s’accomplir non par l’ostentation du corps, mais par la préparation du cœur. Il peut se faire, en effet, qu’un homme tende extérieurement l’autre joue et garde sa colère. Que Notre-Seigneur fait bien mieux, en répondant avec calme la vérité, et en se préparant avec tranquillité à supporter des traitements encore plus cruels ! Bienheureux est celui qui, dans tout ce qu’il souffre injustement pour la justice, peut dire avec vérité : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt [547] » ; alors s’accomplissent les paroles qui suivent : « Je chanterai et je psalmodierai ». Voilà ce que Paul et Barnabé ont pu faire, lorsqu’ils étaient chargés de chaînes.
5. Mais revenons à la suite du récit évangélique. « Et Anne l’envoya lié à Caïphe qui était pontife ». C’était vers lui, comme le dit Matthieu, qu’on le conduisait d’abord, parce que Caïphe était, cette année-là, le prince des prêtres. Il faut le remarquer, il y avait, à cette époque, deux pontifes, c’est-à-dire deux princes des prêtres qui exerçaient alternativement chaque année. C’étaient Anne et Caïphe ; ainsi le rapporte l’Évangéliste Luc, lorsqu’il raconte en quel temps Jean, le précurseur de Notre-Seigneur, commença de prêcher le royaume des cieux et de rassembler des disciples. Voici ce qu’il dit : « Sous les princes des prêtres, Anne et Caïphe, la parole du Seigneur descendit sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert[548] ». Et le reste. Ces deux pontifes faisaient donc chacun son année ; et celle où Jésus souffrit était l’année de Caïphe. C’est pourquoi, lorsqu’ils eurent saisi Jésus, ils le conduisirent, selon Matthieu, chez Caïphe, et, selon Jean, ils vinrent avec Jésus d’abord vers Anne, non parce qu’il était son collègue, mais parce qu’il était son beau-père. Il faut croire que cela se fit d’après la volonté de Caïphe, ou bien parce que leurs demeures étaient situées de manière à ce que, en passant devant celle d’Anne, ils ne purent se dispenser d’y entrer.
6. Après avoir dit qu’Anne envoya Jésus lié à Caïphe, notre Évangéliste revient à l’endroit de sa narration où il avait laissé Pierre, pour expliquer ce qui arriva dans la maison d’Anne, au sujet de son triple reniement. « Cependant », dit-il, « Simon Pierre était là et se chauffait ». Il rappelle ainsi ce qu’il avait déjà dit. Il ajoute ensuite ce qui arriva : « Ils lui dirent donc : N’es-tu pas aussi de ses disciples ? Et il le nia, et il dit : Je n’en suis point ». Il l’avait déjà renié une première fois ; celle-ci est donc la seconde. Ensuite, pour que s’accomplît son triple reniement, « un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui dont Pierre avait coupé l’oreille, lui dit : Est-ce que je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? Pierre le nia de nouveau, et aussitôt le coq chanta ». Voilà la prédiction du médecin accomplie et la présomption du malade avérée. Car ce qui est arrivé est, non pas ce que Pierre avait dit : « Je donnerai ma vie pour vous », mais ce que Jésus avait prédit : « Tu me renieras trois fois [549] ». Mais le triple reniement de Pierre étant achevé, achevons aussi ce discours. En commençant le discours suivant, nous examinerons ce qui arriva à Notre-Seigneur chez le gouverneur Ponce-Pilate.

CENT QUATORZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES MOTS : « ILS CONDUISIRENT DONC JÉSUS À CAÏPHE, DANS LE PRÉTOIRE », JUSQU’À CES AUTRES : « AFIN QUE LA PAROLE DE JÉSUS FUT ACCOMPLIE, PAROLE QU’IL AVAIT DITE, INDIQUANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR ». (Chap. 18,28-32.)[modifier]

LE SAUVEUR AU TRIBUNAL DE PILATE.[modifier]

On amène Jésus à Pilate, mais ses ennemis n’entrent pas dans le prétoire. Les hypocrites ! Ils craignaient de se souiller en pénétrant dans un tribunal étranger, et ils ne craignaient pas de se souiller par un crime.


1. Voyons aujourd’hui, d’après le récit de l’Évangéliste Jean, ce qui fut fait avec Notre-Seigneur ou relativement à Notre-Seigneur Jésus-Christ, chez le président Ponce-Pilate. Jean reprend, en effet, sa narration où il l’avait laissée, pour expliquer le reniement de Pierre. Il avait déjà dit : « Et Anne l’envoya lié à Caïphe, souverain pontife [550] ». Puis, il était revenu à Pierre qu’il avait laissé se chauffant auprès du feu, dans le vestibule ; enfin, après avoir raconté dans tous ses détails son triple reniement, il dit : « Ils conduisent donc Jésus vers Caïphe, dans le prétoire ». Il avait déjà dit qu’il était envoyé à Caïphe par Anne, son collègue et son beau-père. Mais s’il est envoyé à Caïphe, pourquoi dans le prétoire ? Le prétoire ne peut, en effet, signifier autre chose que le lieu où habitait Pilate le président ; ou bien, de la maison d’Anne où ils s’étaient réunis tous les deux pour entendre Jésus, Caïphe s’était rendu, pour une cause urgente, au prétoire du président et avait laissé à son beau-père le soin d’entendre Jésus, ou bien Pilate avait établi son prétoire dans la maison de Caïphe. Cette demeure était si grande que, d’un côté, elle formait l’habitation de son maître, et, de l’autre, le tribunal du juge.
2. « Or, c’était le matin, et ceux-là », c’est-à-dire ceux qui conduisaient Jésus, « n’entrèrent pas dans le prétoire », c’est-à-dire dans cette partie de la maison qu’occupait Pilate, si toutefois c’était là aussi la maison de Caïphe. L’Évangéliste fait connaître la raison pour laquelle ils n’entrèrent pas. « C’était », dit-il, « afin qu’ils ne fussent pas souillés, mais pour qu’ils pussent manger la pâque ». Ils étaient déjà, en effet, entrés dans le jour des azymes ; et, en ces jours, c’était pour eux une souillure de pénétrer dans la demeure d’un étranger. O aveuglement impie ! ils seraient souillés par la demeure d’un étranger, et ils ne le seraient point par leur propre crime ! Ils craignaient d’être souillés par le prétoire d’un juge étranger, et ils ne craignaient pas de l’être par le sang de leur frère innocent ! et je ne dis que cela, pour montrer où en était leur mauvaise conscience. Car si Celui que, dans leur impiété, ils conduisaient à la mort, était leur Seigneur, s’ils faisaient mourir l’auteur de la vie, il faut le reprocher, non à leur conscience, mais à leur ignorance.
3. « Pilate alla donc dehors vers eux et dit : Quelle accusation apportez-vous contre cet homme ? Ils répondirent et lui dirent : « Si cet homme n’était pas un malfaiteur, nous ne vous l’eussions pas livré ». Qu’on interroge ceux qu’il a délivrés des esprits immondes, les malades qu’il a guéris, les lépreux qu’il a purifiés, les sourds qui entendent, les muets qui parlent, les aveugles qui voient, les morts ressuscités et, ce qui surpasse tout le reste, les fous devenus sages, et ils répondront si Jésus est un malfaiteur. Mais ils disaient ce que Notre-Seigneur avait prédit par son Prophète : « Ils me rendaient le mal pour le bien [551] ».
4. « Pilate leur dit donc : Prenez-le, et jugez-le selon votre loi. Mais les Juifs lui dirent : Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ». Que veut dire leur folle cruauté ? Ne mettaient-ils pas à mort celui qu’ils livraient pour le faire mettre à mort ? La croix ne fait-elle pas mourir ? Ainsi deviennent insensés ceux qui attaquent la sagesse, au lieu de la suivre. Mais que signifient ces mots : « Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu’un ? » S’il est un malfaiteur, pourquoi cela ne leur est-il pas permis ? Est-ce que leur loi ne leur ordonne pas de ne point épargner le malfaiteur, surtout ceux qui, comme ils le croyaient de lui, cherchaient à séduire le peuple et à l’éloigner de son Dieu [552] ? Mais il faut le croire, ils voulaient dire qu’il ne leur était pas permis de mettre quelqu’un à mort à cause de la sainteté de la fête qu’ils avaient commencé de célébrer. Déjà, pour ce motif, ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire. Etes-vous endurcis à ce point, ô faux israélites ? Votre trop grande malice vous a-t-elle fait perdre le sentiment, au point que vous ne vous croyiez pas souillés par le sang d’un innocent, par cette raison que vous le faites répandre par un autre ? Cet homme que vous livrez à Pilate pour qu’il le mette à mort, Pilate le fera-t-il mourir de ses propres mains ? Si vous n’avez pas voulu qu’il fût mis à mort, si vous ne lui avez pas dressé des embûches, si vous n’avez pas obtenu à prix d’argent qu’il vous fût livré, si vous ne l’avez pas saisi, chargé de chaînes et emmené de force, si de vos propres mains vous ne l’avez pas offert pour être mis à mort, si, par vos cris, vous n’avez pas demandé sa mort, alors vous pourrez vous vanter de ne l’avoir pas tué vous-même s. Mais si, en outre de toutes ces choses que vous avez faites, vous avez crié : « Crucifiez, crucifiez [553] », écoutez ce qu’à son tour le Prophète crie contre vous : « Enfants des hommes, vos dents sont des armes et des flèches, et votre langue est une épée tranchante [554] ». Voilà avec quelles armes, avec quelles flèches et quelle épée vous avez tué le juste, quand vous avez dit qu’il ne vous était pas permis de faire mourir quelqu’un. Aussi, bien que, pour saisir Jésus, les princes des prêtres ne fussent pas venus eux-mêmes,, mais qu’ils eussent envoyé leurs satellites, dans ce même endroit de son récit l’Évangéliste Luc dit : « Mais Jésus dit aux princes des prêtres, aux magistrats du temple et aux vieillards qui étaient venus vers lui : Vous êtes venus comme pour un voleur [555] ». Et le reste. Ainsi, les princes des prêtres, au lieu de venir en personne, avaient envoyé des émissaires pour s’emparer de Jésus ; mais n’étaient-ils pas venus eux-mêmes par suite de l’ordre qu’ils avaient donné ? De même ceux qui, élevant leur voix impie ont crié pour faire crucifier Jésus-Christ, l’ont mis à mort, non par eux-mêmes, sans doute, mais par celui que leurs cris ont poussé à ce crime.
5. Notre Évangéliste Jean ajoute : « Afin que s’accomplît la parole que Jésus avait dite, indiquant de quelle mort il devait mourir ». Si dans ces paroles nous voulons voir une allusion à la mort de la croix, en sorte que les Juifs auraient dit : « Il ne nous est permis de faire mourir personne », parce que autre chose est d’être mis à mort, autre chose est d’être crucifié, je ne vois pas comment cela pourrait s’expliquer raisonnablement. Les Juifs ne font, en effet, que répondre à ces paroles de Pilate : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». Ne pouvaient-ils pas le prendre et le crucifier eux-mêmes, si, en infligeant un semblable supplice, ils pensaient, selon leur désir, ne se rendre coupables de la mort de personne ? Mais, on le voit facilement, il serait absurde qu’il leur fût permis de crucifier quelqu’un, tandis qu’il ne leur serait point permis de le mettre à mort. D’ailleurs, Notre-Seigneur parlant de sa mort, c’est-à-dire de sa mort sur la croix, ne dit-il pas qu’on le mettra à mort ? C’est en effet ce que nous lisons en Marc : « Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils et ils se moqueront de lui, et ils lui cracheront au visage, et ils le flagelleront, et ils le tueront, et le troisième jour il ressuscitera[556] ». Notre-Seigneur, par ces paroles, montra donc de quelle mort il devait mourir, non qu’il voulût indiquer ici sa mort sur la croix, mais bien que les Juifs le livreraient aux Gentils, c’est-à-dire aux Romains. Car Pilate était romain, et c’étaient les Romains qui l’avaient envoyé comme gouverneur en Judée ; cette parole de Jésus devait donc s’accomplir, c’est-à-dire, les Gentils devaient faire mourir Jésus après qu’on le leur aurait livré : c’était ce que le Sauveur avait prédit. Aussi, quand Pilate, qui était juge romain, voulut le rendre aux Juifs, afin qu’ils le jugeassent selon leur loi, ils refusèrent de l’accepter, en disant : « Il ne nous est permis de tuer personne ». Et ainsi fut accomplie la parole que Jésus avait dite d’avance sur sa mort, à savoir que les Juifs livreraient Jésus aux Gentils et que ceux-ci le mettraient à mort. En cela, ils devaient être moins coupables que les Juifs, car, en agissant comme ils l’ont fait, les Juifs ont voulu paraître étrangers à sa mort, et ils n’ont réussi qu’à fournir la preuve, sinon de leur innocence, du moins de leur folie.

CENT QUINZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES MOTS : « PILATE ENTRA DONC DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE », JUSQU’A CES AUTRES : « OR, BARABBAS ÉTAIT UN VOLEUR ». (Chap. 18,33-40.)[modifier]

BARABBAS PRÉFÉRÉ À JÉSUS.[modifier]

Pilate dit à Jésus : « Es-tu roi ? » – « Oui », répond le Sauveur, « mais mon royaume n’est pas de ce monde ». Le gouverneur propose donc au périple d’acquitter le Christ : mais le peuple demande Barabbas.


1. Ce que Pilate dit à Jésus-Christ, et ce que Jésus-Christ répondit à Pilate, voilà ce que nous examinerons et traiterons dans ce discours. Après qu’il eut dit aux Juifs : « Prenez-le et jugez-le selon votre loi », les Juifs lui répondirent : « Il ne nous est permis de faire mourir personne. Pilate entra alors de nouveau dans le prétoire, et il appela Jésus et lui dit : Es-tu le roi des Juifs ? Et Jésus lui répondit : Dis-tu cela de toi-même, ou bien les autres te l’ont-ils dit de moi ? » Certes, Notre-Seigneur savait et ce qu’il demandait lui-même, et ce que Pilate allait lui répondre. Et cependant il a voulu que cela fût dit, non pour le savoir lui-même, mais pour qu’on écrivît ce qu’il voulait nous apprendre. « Pilate répondit : Est-ce que je suis Juif ? Ta nation et les Pontifes t’ont livré à moi ; qu’as-tu fait ? Jésus répondit : Mon royaume n’est point de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes ministres combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais maintenant mon royaume n’est point d’ici ». Voilà ce que le bon Maître voulait nous faire savoir. Mais auparavant il fallait nous démontrer combien était vaine l’opinion qu’avaient de son royaume et les Gentils, et les Juifs qui avaient appris à Pilate ce qu’il disait. Fallait-il le punir de mort, parce qu’il prétendait à une royauté à laquelle il n’avait pas droit, ou bien comme si les rois avaient coutume d’en vouloir aux autres rois, et que sa royauté dût être funeste aux Romains ou aux Juifs ? Ce que dit Notre-Seigneur« Mon royaume n’est pas de ce monde », etc., il aurait pu le répondre à cette première question du Gouverneur : « Es-tu le roi des Juifs ? » Mais, en l’interrogeant à son tour et en lui demandant s’il disait cela de lui-même, ou bien s’il l’avait appris des autres, il a voulu, par sa propre réponse, montrer que les Juifs lui en avaient fait un reproche comme d’un crime auprès du gouverneur. Il découvrait ainsi « la vanité des pensées des hommes [557] », qu’il connaissait d’avance. Et après la réponse de Pilate, il répondait bien plus convenablement et avec plus d’opportunité et aux Juifs et aux Gentils : « Mon royaume n’est pas de ce monde ». S’il avait répondu sur-le-champ à la première question de Pilate, il n’aurait semblé répondre qu’aux seuls Gentils, qui pensaient ainsi de lui, et non pas aux Juifs. Mais maintenant, en répondant. « Est-ce que je suis juif ? ta nation et les pontifes t’ont livré à moi », Pilate empêche de soupçonner et de croire qu’il a dit de lui-même que Jésus était le roi des Juifs, et il montre bien que les Juifs le lui ont dit. Ensuite, en disant : « Qu’as-tu fait ? » il montre assez que c’était là le crime qu’on lui imputait ; c’était dire, en d’autres termes : Si tu ne dis pas que tu es roi, qu’as-tu donc fait pour qu’on t’ait livré à moi ? Comme s’il était tout naturel de livrer au juge, pour être puni, Celui qui se disait roi ; mais s’il ne se disait pas roi, il fallait lui demander quelle autre chose il avait faite pour mériter d’être livré au juge.
2. Écoutez donc, Juifs et Gentils ; écoutez, hommes circoncis ; écoutez, hommes incirconcis ; écoutez tous, royaumes de la terre. Je n’empêche pas votre domination sur ce monde : « Mon royaume n’est pas dans ce monde ». Ne craignez pas de cette crainte insensée dont fut saisi Hérode l’ancien, lorsqu’on lui annonça la naissance de Jésus-Christ et que, sous l’impression de la crainte bien plus que de la colère, il fit massacrer tant d’enfants [558] afin de ne pas manquer de le faire mourir lui-même. Mais, dit Jésus, « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Que voulez-vous de plus ? Venez à un royaume qui n’est pas de ce monde. Venez-y parla foi et ne devenez pas cruels par la crainte. Il est vrai que, dans une prophétie, Notre-Seigneur dit en parlant de Dieu le Père : « Pour moi, j’ai été par lui établi roi sur Sion, sa montagne sainte[559] ». Mais cette Sion et cette montagne ne sont pas de ce monde. Qu’est-ce, en effet, que son royaume ? Ce sont ceux qui croient en lui et auxquels il dit : « Vous n’êtes pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde ». Et cependant, il veut qu’ils soient dans le monde. C’est pourquoi, en parlant d’eux il dit à son Père : « Je ne prie pas pour que vous les enleviez du monde, mais pour que vous les préserviez du mal[560] ». C’est aussi pourquoi il ne dit pas ici : « Mon royaume n’est pas dans ce monde, mais n’est pas de ce monde ». Et quand il le prouve en ajoutant : « Si mon royaume était de ce monde, mes ministres assurément combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs », il ne dit pas : « Mais maintenant mon royaume » n’est pas ici, mais bien n’est pas d’ici ». Ici, en effet, se trouve son royaume jusqu’à la fin du monde, et il renferme dans son sein de l’ivraie mêlée au bon grain jusqu’à ce que vienne la moisson. La moisson ; c’est la fin du monde ; car alors les moissonneurs, c’est-à-dire les anges, viendront et enlèveront de son royaume tous les scandales [561] ; assurément, cela ne pourrait se faire si son royaume n’était ici. Cependant il n’est pas d’ici ; car il est comme un voyageur en ce monde. C’est à son royaume qu’il dit« Vous n’êtes pas du monde, mais moi je vous ai tirés du monde [562] ». Ils étaient donc du monde, quand ils n’étaient pas encore son royaume et qu’ils appartenaient au prince du monde. Ils sont du monde tous les hommes créés à la vérité par le vrai Dieu, mais engendrés de la souche corrompue et damnée d’Adam ; ils sont devenus ce royaume qui n’est plus de ce monde tous ceux qui, venus de là, ont été régénérés en Jésus-Christ. C’est ainsi que Dieu nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour [563]. C’est de ce royaume qu’il dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde » ; ou bien : « Mon royaume n’est pas d’ici ».
3. « C’est pourquoi Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis, oui, je suis roi ». Il ne craignit pas d’avouer qu’il était roi. Mais par ces mots : « Tu le dis », il conserve toute sa liberté. Il ne nie pas qu’il soit roi (car il est roi d’un royaume qui n’est pas de ce monde) et il n’avoue pas qu’il soit roi d’un royaume qui passe pour être de ce monde. C’est ce que pensait celui qui disait : « Donc tu es roi », et à qui il fut répondu : « Tu le dis, oui, je suis roi ». Notre-Seigneur emploie ces mots. « Tu le dis », comme pour dire : Tu es un homme charnel et tu parles d’après les sentiments de la chair.
4. Notre-Seigneur ajoute ensuite : « Je suis né et je suis venu au monde pour rendre témoignage à la vérité ». Le pronom dont se sert le texte latin : in hoc natus sum, ne doit pas s’entendre en ce sens : Je suis né dans – cette chose ; mais bien : Je suis né pour cela, tout comme il est dit : « C’est pour cela que je suis venu dans le monde ». Dans le texte grec il n’y a aucune ambiguïté. Par là il a manifestement voulu, en cet endroit, rappeler cette naissance temporelle par laquelle, après s’être incarné, il est venu dans le monde, et non pas cette naissance sans commencement par laquelle il était le Dieu par qui le Père a créé le monde. Il dit donc qu’il est né et qu’il est venu en ce monde, qu’il est né d’une Vierge pour cela, c’est-à-dire pour cette fin, pour rendre témoignage à la vérité. Mais comme la foi n’appartient pas à tous [564], il ajoute : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix », c’est-à-dire l’entend intérieurement ; c’est-à-dire encore, obéit à ma voix ; c’est la même chose que s’il disait : Croit en moi. Quand Jésus-Christ rend témoignage à la vérité, il se rend évidemment témoignage à lui-même ; c’est lui, en effet, qui a dit : « Je suis la vérité [565] », et en un autre endroit il dit : « Moi, je rends témoignage de moi-même [566] ». Par ces autres paroles : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix », il nous fait souvenir de la grâce par laquelle il nous appelle selon son bon plaisir. C’est de ce bon plaisir que l’Apôtre nous dit : « Nous savons qu’à ceux qui aiment Dieu, toutes choses tournent à bien, à ceux qui ont été appelés selon la volonté de Dieu [567] », selon la volonté de Celui qui appelle, et non pas de ceux qui sont appelés. Ceci est plus clairement exprimé en un autre endroit : « Collaborez à l’Évangile selon la puissance de Dieu qui nous sauve et noua appelle par sa sainte vocation, non d’après nos œuvres, mais d’après sa volonté et sa grâce [568] ». Si nous supposons qu’il s’agisse de la nature dans laquelle nous avons été créés, comme la vérité nous a tous créés, qui est-ce qui ne serait pas de la vérité ? Mais ce n’est pas à tous que la vérité a donné d’entendre la vérité, c’est-à-dire d’obéir à la vérité et de croire à la vérité ; et cela sans aucun mérite antécédent, de peur que la grâce ne soit plus une grâce. Si Notre-Seigneur avait dit : Quiconque entend ma voix est de la vérité ; alors celui-là serait regardé comme étant de la vérité, qui obtempérerait à la vérité. Mais il n’a pas parlé ainsi ; il a dit : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix ». Par conséquent, il n’est pas de la vérité, parce qu’il entend sa voix.; mais il entend sa voix, parce qu’il est de la vérité, c'est-à-dire parce que ce don lui a été accordé par la vérité. Qu'est-ce que cela veut dire? Rien que ceci : Il croit en Jésus-Christ par un don de Jésus-Christ.
5. « Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité ? » Et il n'attendit pas pour entendre sa réponse; mais, « ayant dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs, et leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui. Mais c'est pour vous une coutume que je vous délivre un criminel à Pâques : voulez-vous donc que je vous délivre le roi des Juifs?» Je crois qu'aussitôt que Pilate eut dit : « Qu'est-ce que la vérité », il lui revint en mémoire cette coutume qu'avaient les Juifs de se faire remettre un criminel à Pâques. Aussi il n'attendit pas que Jésus lui fit connaître, par sa réponse, ce que c'est que la vérité ; car il s'était rappelé la coutume en vertu de laquelle il pouvait le leur remettre pour Pâques ; évidemment il le désirait beaucoup et ne voulait apporter à cette mesure aucun retard. Cependant, on ne put l'empêcher de croire que Jésus-Christ était le roi des Juifs ; on aurait dit que la vérité, sur la nature de laquelle il questionnait Jésus, avait gravé cette inscription dans son coeur, comme il la fit lui-même graver sur la croix. Mais, « en entendant cela, tous crièrent de nouveau et dirent : Non pas celui-ci, mais Barabbas. Or, Barabbas était un larron». Nous ne vous blâmons pas, ô Juifs, de ce que pour Pâques vous délivrez un coupable, mais nous vous condamnons parce que vous tuez un innocent. Et cependant, s'il n'en était pas ainsi, la vraie Pâque n'aurait pas lieu. Mais les Juifs, dans leur erreur, retenaient une ombre de la vérité et, par une admirable disposition de la sagesse divine, la vérité de cette même ombre était réalisée par ces hommes menteurs. Car, pour l'accomplissement de la vraie Pâque, Jésus-Christ était immolé comme une brebis. Suit maintenant le récit des traitements injurieux que Pilate et sa cohorte firent subir à Jésus-Christ; nous l'expliquerons dans un autre discours.

CENT SEIZIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « ALORS DONC, PILATE SAISIT JÉSUS ET LE FLAGELLA ». JUSQU’À CES AUTRES « OR, ILS PRIRENT JÉSUS ET L’EMMENÈRENT ». (Chap. 19,1-16.)[modifier]

JÉSUS CONDAMNÉ À MORT.[modifier]

Pour assouvir la rage des Juifs, Pilate fait flageller Jésus ; les Juifs redoublent de fureur : « Il s’est dit le Fils de Dieu, il s’est fait roi : si tu l’acquittes, tu n’es pas l’ami de César ». À ces mots, le faible gouverneur craint pour sa place, et il livre le Christ à ses ennemis.


1. Les Juifs s’étaient écriés qu’ils voulaient voir Pilate leur délivrer, pour la Pâque, non point Jésus, mais Barabbas, le larron ; non point le Sauveur, mais un meurtrier ; non point le distributeur de la vie, mais celui qui l’avait enlevée à autrui. « Alors Pilate saisit Jésus et le flagella ». En cela, l’unique dessein de Pilate était, sans doute, d’assouvir la rage des Juifs par le spectacle de ses tourments, de les forcer ainsi à se déclarer satisfaits, et de les amener à ne point pousser la cruauté jusqu’à le faire mourir. Voilà pourquoi le même gouverneur permit encore à sa cohorte de faire ce qui suit. Peut-être aussi l’ordonna-t-il, quoique l’Évangéliste n’en dise rien. Il dit en effet ce que firent ensuite les soldats, mais il ne dit pas que Pilate l’ait ordonné. « Et les soldats », continue-t-il, « tressant une couronne d’épines la placèrent sur sa tête et ils l’enveloppèrent d’un vêtement de pourpre, et ils venaient vers lui et ils disaient : « Salut, roi des Juifs, et ils lui donnaient des soufflets ». Ainsi s’accomplissait tout ce que Jésus-Christ avait prédit de lui-même. Ainsi il formait les martyrs à supporter tout ce que les persécuteurs voudraient leur faire endurer. Ainsi, en voilant pour un temps sa puissance redoutable, il leur faisait d’avance imiter sa patience. Ainsi ce royaume, qui n’était pas de ce monde, triomphait du monde superbe, non par la force de ses armes, mais par l’humilité de ses souffrances. Ainsi ce grain qui devait multiplier était semé au milieu d’outrages horribles, pour fructifier au sein d’une gloire admirable.
2. « Pilate sortit de nouveau et leur dit : Voilà que je vous l’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve aucune cause en lui. Jésus sortit donc, portant une couronne d’épines et un vêtement de pourpre, et il leur dit : Voilà l’homme ». Il paraît par là que les soldats ne l’avaient pas ainsi traité à l’insu de Pilate ; il l’avait commandé, ou du moins permis, à cette fin, comme nous l’avons indiqué plus haut, que ses ennemis bussent à longs traits ses outrages et n’eussent désormais plus soif de son sang. Jésus sort devant eux portant une couronne d’épines et un vêtement de pourpre ; il ne brillait pas de l’éclat du pouvoir, mais il apparaissait couvert d’opprobres, et on leur dit : « Voilà l’homme ». Si c’est au roi que vous portez envie, maintenant épargnez-le ; vous le voyez jeté à bas, il a été flagellé, couronné d’épines, revêtu d’un habit de théâtre ; il a été moqué, accablé d’outrages amers et souffleté : son ignominie est complète, que votre colère s’apaise. Mais loin de s’apaiser, leur rage s’enflamme et prend de nouvelles proportions.
3. « Lors donc que les pontifes et les ministres l’eurent vu ils criaient : Crucifie ! Crucifie-le ! Pilate leur dit : Prenez-le, et le « crucifiez, car je ne trouve point de cause en lui. Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon la loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait le Fils de Dieu ». Voilà un second motif de haine bien plus grand que le premier. Car c’était peu de chose à leurs yeux, d’avoir illicitement osé se déclarer roi ; et cependant, dans les deux cas, Jésus n’a rien usurpé frauduleusement. On ne saurait en douter : il est le Fils unique de Dieu, et par Dieu il a été établi roi au-dessus de Sion sa montagne sainte ; et l’un et l’autre seraient maintenant démontrés, s’il n’aimait mieux se montrer d’autant plus patient qu’il était plus puissant. 4. Quand donc Pilate eut entendu cette parole, il craignit davantage et il entra de nouveau dans le prétoire et dit à Jésus. « D’où es-tu ? Mais Jésus ne lui donna point de réponse ». Ce silence de Notre-Seigneur Jésus-Christ n’eut pas lieu qu’une seule fois. Si, en effet, nous comparons les récits de chaque Évangéliste, nous verrons qu’il se produisit et chez les princes des prêtres, et chez Hérode, où, comme le raconte Luc, Pilate l’avait envoyé pour être interrogé, et chez Pilate lui-même[569]. Ainsi se vérifiait la prophétie où il avait été dit de lui : « Comme l’agneau devant celui qui le tond reste sans voix, ainsi il n’a pas ouvert la bouche [570] ». Elle se réalisa évidemment quand il ne répondit pas à ceux qui l’interrogeaient. Quoiqu’il ait assez souvent répondu à certaines questions, cependant, à cause des circonstances où il n’a pas voulu répondre, il a été comparé à un agneau, afin que son silence le fit reconnaître non comme coupable, mais comme innocent. Toutes les fois que, dans le cours de son jugement, il a gardé le silence, c’est en qualité d’agneau qu’il n’a pas ouvert la bouche ; en d’autres termes, s’il se taisait, ce n’était point comme un coupable qui se serait vu convaincre de ses crimes, mais comme un agneau plein de douceur immolé pour les péchés des autres.
5. « Pilate lui dit donc : Tu ne me parles point ? Tu ne sais donc pas que j’ai le pouvoir de te crucifier et que j’ai le pouvoir de te renvoyer ? Jésus lui répondit : Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous avait été donné d’en haut. C’est pourquoi celui qui m’a livré à vous a un plus grand péché ». Voilà qu’il répond ; mais toutes les fois qu’il ne répond pas, il agit non pas à la manière d’un coupable ou d’un trompeur, mais à la manière d’un agneau, c’est-à-dire d’un homme simple et innocent qui n’ouvre pas la bouche. Aussi, quand ne répondait pas, il se taisait comme une brebis ; quand il répondait, il enseignait comme un pasteur. Apprenons donc ce qu’il nous dit, et ce qu’il nous a encore enseigné par l’Apôtre : « Qu’il n’y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu[571] » ; et que celui qui, par envie, livre au pouvoir un innocent pour le faire mettre à mort, est plus coupable que le pouvoir lui-même, s’il le met à mort par crainte d’un pouvoir plus grand. Pilate avait reçu de Dieu son pouvoir, mais il était toujours sous la puissance de César. C’est pourquoi Notre-Seigneur lui dit : « Tu n’aurais contre moi aucun pouvoir », c’est-à-dire, si petit que soit celui que tu possèdes, « si ce pouvoir », quel qu’il soit, « ne t’avait été donné d’en haut ». Mais je sais ce qu’il est, il n’est pas grand au point de te rendre tout à fait indépendant ; « c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi a un plus grand péché ». Celui-là, en effet, m’a livré à ton pouvoir par envie, et toi, tu n’exerces sur moi ce même pouvoir que par crainte. Sans doute, la crainte ne doit pas porter un homme à faire mourir son semblable, surtout quand celui-ci est innocent ; mais c’est un plus grand mat de le faire mourir par envie que de le faire mourir par crainte. Aussi le Maître de vérité ne dit pas : « Celui qui m’a livré à toi » a un péché, comme si, en cela, Pilate n’en avait pas lui-même ; mais il dit : « Il a un plus grand péché », afin de lui faire comprendre qu’il en avait aussi un ; car ce péché n’est pas réduit à rien parce que l’autre est plus grand.
6. « Dès lors Pilate cherchait à le délivrer ». Que signifient ces mois « dès lors ? » Ne l’avait-il pas déjà cherché auparavant ? Lis ce qui précède, et tu verras que dès auparavant il cherchait à renvoyer Jésus. Par ces mots : « dès lors », il faut entendre à cause de cela, c’est-à-dire, pour ne pas commettre le péché de mettre à mort l’innocent qui lui avait été livré, quoique son péché fût moindre que celui des Juifs, qui le lui, avaient livré pour le faire mourir. « Dès lors », c’est-à-dire, pour ne pas faire ce péché, « il cherchait », non seulement depuis ce moment, mais depuis le commencement, « à le renvoyer ».
7. « Mais les Juifs criaient : Si vous le renvoyez, vous n’êtes pas ami de César, car quiconque se fait roi se déclare contre César ». En lui faisant peur de César, pour le décider à faire mourir Jésus-Christ, ils crurent inspirer à Pilate une frayeur plus grande qu’en lui disant : « Nous avons une loi, et d’après la loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait le Fils de Dieu ».

Il n’avait pas craint leur loi jusqu’à le mettre à mort ; il craignit davantage le Fils de Dieu, qu’il ne voulait pas faire mourir. Mais il n’eut pas ici le courage de mépriser César, l’auteur de son pouvoir, comme il avait méprisé la loi d’une nation étrangère.
8. L’Évangéliste continue en disant : « Mais Pilate ayant entendu ces paroles, conduisit Jésus dehors et s’assit à son tribunal, au lieu appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha ; or, c’était le jour de la préparation de la Pâque, environ vers la sixième heure ». Quant à l’heure où Notre-Seigneur fut crucifié, il se présente une grande difficulté à cause du témoignage d’un autre Évangéliste qui dit : « Il était la troisième heure et ils le crucifièrent [572] ». Lorsque nous en serons au passage où l’on raconte son crucifiement, nous la discuterons, comme nous pourrons, si Dieu nous en fait la grâce. Quand donc Pilate fut assis à son tribunal, « il dit aux Juifs : Voici votre roi ; mais ils criaient : mort ! mort ! crucifie-le. Pilate leur dit : « Je crucifierai donc votre roi ? » Il s’efforce encore de surmonter la crainte qu’ils lui ont inspirée en prononçant le nom de César ; il essaie, en leur disant : « Je crucifierai donc votre roi ? » de toucher par leur propre confusion ceux que n’a pu toucher l’ignominie de Jésus-Christ ; mais bientôt il se laisse vaincre par la, crainte.
9. Car « les pontifes répondirent : Nous n’avons de roi que César. Alors il le leur livra pour être crucifié ». En effet, il eût semblé aller ouvertement contre César, si au moment où les Juifs déclaraient n’avoir point d’autre roi que César, il eût voulu admettre un autre roi ; c’est ce qu’il aurait fait en renvoyant, sans le punir, un homme qu’on lui avait livré et dont on demandait la mort, précisément parce qu’il avait osé se dire roi. « Il le leur livra donc, afin qu’il fût crucifié ». Mais, tout à l’heure, désirait-il autre chose quand il leur disait : « Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez » ; ou bien encore : « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le selon votre loi[573] ? » Pourquoi les Juifs refusèrent-ils alors si obstinément et dirent-ils : « Il ne nous est permis « de faire mourir personne[574] ? » Pourquoi font-ils maintenant de si vives instances pour qu’il soit mis à mort, non par eux, mais par le président ? Pourquoi refusaient-ils alors de l’accepter pour le mettre à mort, tandis que maintenant ils consentent à ce qu’il soit mis à mort ? Ou bien, s’il n’en est pas ainsi, pourquoi est-il dit : « Alors il le leur livra pour qu’il fût crucifié ? » Y a-t-il quelque différence ? Oui, il y en a une grande ; car il n’est pas dit : « alors il la leur livra pour qu’ils le crucifiassent ; mais, pour qu’il fût crucifié » ; c’est-à-dire, pour qu’il fût crucifié en vertu du jugement et du pouvoir du président. L’Évangéliste nous dit qu’il leur fut livré, pour montrer qu’ils étaient complices du crime auquel ils s’efforçaient de se montrer étrangers ; car Pilate n’eût pas agi ainsi, s’il n’avait vu que c’était là leur désir. Pour les paroles qui suivent : « Mais ils prirent Jésus et l’emmenèrent », elles peuvent se rapporter aux soldats, appariteurs du président ; car plus loin il est dit plus clairement : « Quand donc les soldats l’eurent crucifié ». Cependant, si l’Évangéliste attribue tout aux Juifs, c’est avec justice ; car il est vrai de dire qu’ils ont pris eux-mêmes ce qu’ils ont demandé avec tant d’empressement, et qu’ils ont fait eux-mêmes ce qu’ils ont extorqué ; mais nous traiterons ce qui suit dans un autre discours. ==CENT DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.==

DEPUIS CES PAROLES : « ET PORTANT SA CROIX, IL VINT AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE », JUSQU’À CES AUTRES : « PILATE RÉPONDIT : CE QUE J’AI ÉCRIT, JE L’AI ÉCRIT ». (Chap. 19,17-22.)[modifier]

JÉSUS, ROI DES JUIFS.[modifier]

Quoi qu’il en soit de l’heure précise du crucifiement, toujours est-il que le Sauveur fut attaché à la croix sur le Calvaire et entre deux voleurs, et que le titre refusé à Jésus par les Juifs, mais imposé par Pilate, fut affiché à l’instrument du supplice pour leur instruction et leur confusion.


1. Pilate ayant jugé et condamné Notre-Seigneur Jésus-Christ à son tribunal, les soldats le saisirent et l’emmenèrent vers la sixième heure ; « et Jésus, portant sa croix, vint au lieu appelé Calvaire, en hébreu Golgotha, et là ils le crucifièrent ». Que signifie donc ce que dit l’Évangéliste Marc : « Or, il était la troisième heure, et ils le crucifièrent[575] ? D Le voici : ce fut à la troisième heure que Notre-Seigneur fut crucifié par les langues des Juifs, et à la sixième par la main des soldats. Il faut comprendre que la cinquième heure était déjà passée et la sixième commencée, quand Pilate s’assit à son tribunal ; Jean l’indique par ces mots : « Environ la sixième heure » ; pendant qu’on l’emmenait, qu’on l’attachait au bois de la croix avec deux voleurs, et que se passait auprès de la croix tout ce que racontent les Évangiles, la sixième heure s’écoula tout entière, et c’est à partir de cette sixième heure jusqu’à la neuvième que, le soleil s’étant obscurci, les ténèbres se firent, comme nous l’atteste l’autorité des trois Évangélistes Matthieu, Marc et Luc[576]. Mais comme les Juifs ont essayé de rejeter sur les Romains, c’est-à-dire sur Pilate et ses soldats, le crime d’avoir tué Jésus-Christ, Marc passe sous silence l’heure où Jésus fut crucifié par les soldats, et qui a commencé vers la sixième heure ; il ne s’est rappelé que la troisième heure, et il l’a désignée de préférence, afin de faire comprendre que c’était à cette heure que les Juifs avaient crié devant Pilate : « Crucifiez-le, crucifiez-le [577] ». On devait aussi reconnaître par là que ceux qui avaient crucifié Jésus-Christ, ce n’étaient pas seulement les soldats, qui, à la sixième heure, l’avaient cloué au bois de la croix, mais que c’étaient aussi les Juifs, puisque, pour le faire crucifier, ils avaient crié vers la troisième heure.
2. Mais il y a encore une autre solution à cette difficulté, il suffit pour cela de ne pas prendre cette heure pour la sixième heure du jour. En effet, Jean ne dit pas : Or, il était comme la sixième heure du jour ; il ne dit pas non plus, comme la sixième heure ; mais il dit : « Or, c’était le jour de là préparation de la Pâque, environ vers la sixième heure [578] ». Pour dire préparation, il se sert du mot « parasceve » ; c’est un mot grec dont se servent plus habituellement pour indiquer leurs cérémonies, même ceux des Juifs qui parlent plus volontiers latin que grec : c’était donc la préparation de la Pâque. Et « notre Pâque », comme dit l’Apôtre, « c’est Jésus-Christ qui a été immolé [579] ». Or, si nous faisons partir la préparation de cette Pâque de la neuvième heure de la nuit, (et c’est alors que les Princes des prêtres semblent avoir prononcé la condamnation du Sauveur, en disant : « Il mérite la mort [580] », lorsqu’on l’interrogeait dans la demeure du grand prêtre ; c’est donc avec raison que nous pouvons faire commencer la préparation de la vraie Pâque, dont la Pâque des Juifs n’était que la figure, c’est-à-dire de l’immolation de Jésus-Christ, au moment où les prêtres s’écrièrent qu’il fallait l’immoler) : assurément, à partir de cette heure de la nuit, que l’on conjecture avoir été la neuvième, jusqu’à la troisième heure du jour, où l’Évangéliste Marc atteste que Jésus fut crucifié, il y a six heures, trois heures de nuit et trois heures de jour ; de là il suit que, depuis le commencement de cette préparation (Parasceve) de la Pâque, c’est-à-dire de l’immolation de Jésus-Christ, qui avait commencé à la neuvième heure de la nuit, il s’était écoulé à peu près six heures, c’est-à-dire la cinquième était écoulée et la sixième se trouvait commencée, quand Pilate monta à son tribunal. Alors durait encore cette préparation qui avait commencé à la neuvième heure de la nuit, et ne devait se terminer qu’au moment où se consommerait l’immolation de Jésus-Christ qui se préparait. D’après Marc, cette immolation s’accomplit à la troisième heure, non pas de sa préparation, mais du jour ; et à la sixième heure, non pas du jour, mais de sa préparation. Il y a, en effet, six heures bien comptées depuis la neuvième heure de la nuit jusqu’à la troisième heure du jour. De ces deux solutions d’une question difficile, que chacun choisisse celle qu’il voudra. Celui qui lira la dissertation que nous avons faite avec le plus grand soin dans le livre De l’accord des Évangélistes, pourra néanmoins juger plus sûrement du sentiment qu’il faut choisir[581]. Si l’on peut découvrir d’autres solutions, elles serviront à défendre de plus en plus la fermeté de la vérité de l’Évangile contre les vaines calomnies des infidèles et des impies. Après avoir traité ce sujet aussi brièvement que possible, revenons maintenant au récit de l’Évangéliste Jean.
3. « Ils prirent donc », dit-il, « Jésus, et l’emmenèrent ; et, portant sa croix, il vint au lieu appelé Calvaire, en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent ». Jésus allait donc, en portant sa croix, au lieu où il devait être crucifié. Grand spectacle ! aux yeux de l’impiété, grande risée ! aux yeux de la piété, grand mystère ! aux yeux de l’impiété, grande preuve d’ignominie ! aux yeux de la piété, grand soutien de la foi ! Si l’impiété regarde, elle rit de voir un roi portant pour sceptre le bois de son supplice ; si la piété considère, elle voit un roi portant une croix à laquelle il doit être placé lui-même, mais qu’il doit aussi placer sur le front des rois ; il était méprisable aux yeux des impies, par cela même qui devait le faire glorifier des saints. En effet, Jésus lui-même, portant sa croix sur ses épaules, la recommandait à Paul et lui faisait dire : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ [582] ». Il plaçait sur le chandelier cette lampe ardente qui ne devait pas être placée sous le boisseau [583]. « Portant donc sa croix, il vint au lieu appelé Calvaire, en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent ; et deux autres avec lui, l’un d’un côté, l’autre de l’autre, et Jésus au milieu ». Ces deux autres, comme nous l’apprend le récit des autres Évangélistes, étaient des voleurs, avec lesquels Jésus fut crucifié, et au milieu desquels il fut placé[584] ; c’est d’eux que le Prophète avait dit d’avance : « Il a été compté au nombre des scélérats [585] ».
4. « Mais Pilate fit une inscription et la plaça sur la croix ; et il y était écrit : Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Or, cette inscription, « beaucoup de Juifs la lurent, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville ; et il y était écrit en hébreu, en grec et en latin : Roi des Juifs ». Ces trois langues l’emportaient alors sur les autres à Jérusalem. L’hébreu, à cause des Juifs qui se glorifiaient de la loi de Dieu ; le grec, à cause des philosophes, des gentils ; le latin, à cause des Romains, qui commandaient déjà à presque tous les peuples de la terre.
5. « Les Pontifes des Juifs disaient donc à Pilate : N’écris pas : Roi des Juifs ; mais qu’il a dit : Je suis le roi des Juifs. Pilate répondit : Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ». O ineffable puissance de l’opération divine, même dans le cœur de ceux qui l’ignorent ! N’est-ce pas une voix secrète qui, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, faisait entendre au fond du cœur de Pilate, et par un silence éloquent, ce qui avait été si longtemps à l’avance annoncé dans les inscriptions des Psaumes : « Ne change pas l’inscription du titre[586] » Voilà qu’il ne change pas l’inscription du titre : ce qu’il a écrit, il l’a écrit. Mais les Pontifes eux-mêmes voulaient changer ce titre. Que disaient-ils donc ? « N’écris pas : Roi des Juifs ; mais qu’il a dit lui-même : Je suis le roi des Juifs ». Que dites-vous, hommes insensés ? pourquoi venez-vous contredire ce qu’en aucune façon vous ne pouvez changer ? En sera-t-il moins vrai que Jésus ait dit : « Je suis le roi des Juifs ? » Vous ne pouvez changer ce que Pilate a écrit, et vous pourriez changer ce qu’a dit la Vérité même ? Mais Jésus est-il le roi des Juifs seuls ? n’est-il pas aussi le roi des Gentils ? Oui, il est surtout le roi des Gentils. Eu effet, il a dit par son Prophète : « Pour moi, il m’a établi roi sur sa sainte montagne de Sion, pour y prêcher le commandement du Seigneur » ; et afin que ces mots : « la montagne de Sion », ne fissent pas supposer qu’il avait été établi roi seulement sur les Juifs, il a ajouté aussitôt : « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage et pour ta possession jusqu’aux extrémités de la terre [587] ». C’est ce qu’il nous apprend de sa propre bouche, car en s’adressant aux Juifs, il leur dit : « J’ai d’autres brebis qui ne « sont pas de ce bercail, il me faut les amener, et elles écouteront ma voix, et il y aura « un seul troupeau et un seul pasteur [588] ». Pourquoi donc voulons-nous voir un si grand mystère dans cette inscription qui portait : « Roi des Juifs », si Jésus-Christ est aussi le roi des Gentils ? L’olivier sauvage a été fait participant de la sève onctueuse de l’olivier franc, et l’olivier franc ne participe nullement de l’âcreté de l’olivier sauvage [589]. Dans ce titre qui a été écrit relativement au Sauveur, il est appelé en toute vérité « roi des Juifs ». Qui faut-il entendre par le mot Juif, sinon la race d’Abraham, les fils de la promesse qui sont aussi les fils de Dieu ? « Car », dit l’Apôtre, « ce ne sont pas les fils de la chair qui sont les fils de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse, qui sont regardés comme étant de la race[590] ». C’était aux Gentils que l’Apôtre disait : « Mais si vous êtes à Jésus-Christ, vous êtes donc de la race d’Abraham et ses héritiers selon la promesse[591] ». Jésus-Christ est donc le roi des Juifs, mais des Juifs circoncis de cœur par l’esprit et non par la lettre, qui tirent leur gloire de Dieu[592] et non des hommes, qui appartiennent à la libre Jérusalem, notre mère éternelle et céleste, à cette Sara spirituelle qui chasse de la maison de la liberté la servante et ses fils[593]. Si donc Pilate a écrit ce qu’il a écrit, c’est que le Seigneur a dit ce qu’il a dit.

CENT DIX-HUITIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR CES PAROLES : « APRÈS AVOIR CRUCIFIÉ JÉSUS, LES SOLDATS PRIRENT SES VÊTEMENTS ». (Chap. 19, 23-24.)[modifier]

LES VÊTEMENTS DU SAUVEUR.[modifier]

Malgré la discordance apparente des Évangélistes, tous s’accordent à dire que les soldats firent quatre parts des vêtements de Jésus, et qu’ils jetèrent les sorts pour savoir à laquelle échoirait la robe sans couture. Les quatre parts symbolisent les quatre parties du monde, comme la robe sans couture représente leur mutuelle union : les sorts figurent la grâce, et les soldats eux-mêmes ont, en dépit de leur malice, un sens caché, de même que la croix, malgré son ignominie, a le sien propre.


1. Expliquons maintenant, avec l’aide de Dieu, ce qui s’est passé auprès de la croix du Sauveur pendant qu’il y était attaché.« Après avoir crucifié Jésus, les soldats prirent ses vêtements et ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat ; ils prirent aussi sa tunique. Or, sa tunique était sans couture, et d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas. Ils se dirent donc les uns aux autres : Ne la coupons point, mais tirons au sort à qui elle appartiendra ; afin que cette prophétie de l’Écriture fût accomplie : Ils ont partagé entre eux mes vêtements et tiré ma robe au sort ». Ce que les Juifs ont voulu est arrivé ; sans doute, ils n’ont pas eux-mêmes crucifié Jésus, ce sont les soldats qui obéissaient à Pilate, et Pilate l’a condamné à mort ; néanmoins, si nous nous rappelons la vivacité de leurs désirs, les embûches qu’ils ont tendues au Sauveur, tous les mouvements auxquels ils se sont livrés, la trahison de Judas, les cris séditieux qu’ils ont proférés pour extorquer sa condamnation, nous le verrons sans pouvoir en douter ; les Juifs ont été les principaux auteurs de la mise de Jésus en croix.
2. Quant au partage et au tirage au sort de ses vêtements, il ne faut point en parler comme par manière d’acquit. Quoique les quatre Évangélistes aient fait mention de ce fait, Jean est de tous celui qui en a donné le plus de détails ; le récit des trois autres est obscur ; celui de Jean est nettement précis. Voici ce qu’en dit Matthieu : « Après qu’ils l’eurent crucifié, ils partagèrent ses vêtements, les tirant au sort [594] ». Marc dit à son tour : « Et après l’avoir crucifié, ils partagèrent ses habits, les tirant au sort, afin de savoir ce que chacun aurait pour sa part[595] ». Selon l’Évangéliste Luc : « Ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort[596] ». Mais Jean nous raconte combien de parts ils firent avec les vêlements de Jésus ; ils en firent quatre pour les donner ensuite à chacun d’eux ; de là on peut conclure qu’il y avait quatre soldats pour accomplir la sentence du gouverneur et crucifier Jésus. Car cet Évangéliste dit clairement : « Après avoir crucifié Jésus, les soldats prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chaque soldat, et aussi la tunique ». Il faut sous-entendre : ils prirent, en sorte que voici le sens de la phrase : Ils prirent ses vêtements, en firent quatre parts, une pour chaque soldat ; ils prirent aussi sa tunique. Nous le voyons d’après ces paroles : Ils ne tirèrent pas au sort les autres vêtements. Quant à la tunique qu’ils avaient prise avec les autres vêtements, ils se la partagèrent, mais d’une manière différente. Jean nous explique, en continuant, quel moyen ils employèrent pour cela : « Or, la tunique était sans couture et d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas ». Il nous fait ensuite connaître le motif pour lequel ils la tirèrent au sort. « Ils se dirent donc les uns aux autres : Ne la coupons pas, mais tirons au sort à qui elle appartiendra ». Par conséquent, ils eurent tous quatre une part égale dans les autres vêtements, et il leur fut inutile de les tirer au sort : pour la tunique, ils ne purent la partager, à moins de la couper en morceaux ; mais à quoi auraient pu leur servir de pareils lambeaux ? Afin de ne pas la morceler ainsi inutilement, ils préférèrent l’attribuer par le sort à l’un d’entre eux. Avec ce récit de l’Évangile concorde parfaitement le témoignage d’un Prophète, cité immédiatement après par Jean lui-même : « Afin », dit-il, « que cette parole de l’Écriture fût accomplie : Ils ont partagé entre eux mes vêtements et tiré ma robe au sort ». Le Prophète ne dit pas qu’ils ont tiré au sort, mais qu’ils se sont partagé ; il ne dit pas non plus qu’ils se sont partagé les autres vêtements sans les tirer au sort ; il ne fait aucune allusion au tirage au sort pour les autres vêtements ; mais il ajoute : « Et ils ont tiré ma robe au sort » ; ces paroles ont trait à la tunique qui restait seule à partager. Je dirai à cet égard ce que Dieu m’inspirera ; mais, auparavant, je trancherai la difficulté qui pourrait surgir de la discordance apparente des Évangélistes entre eux, et je ferai voir clairement que le récit de Jean n’est contredit par celui d’aucun des trois autres.
3. Par ces paroles : « Après l’avoir crucifié, ils partagèrent ses vêtements en les tirant au sort », Matthieu a voulu faire entendre que la tunique sur laquelle ils ont jeté le sort a été partagée en même temps que tous les autres vêtements, parce qu’en partageant tous ces vêtements au nombre desquels elle se trouvait, ils l’ont tirée au sort. Luc tient un langage analogue : « En partageant ses vêtements, ils jetèrent les sorts ». En faisant leurs partages, ils en vinrent à la tunique sur laquelle ils jetèrent les sorts, afin de compléter entièrement le partage de tous ses vêtements. Quelle différence y a-t-il entre ces paroles de Luc : « En partageant ils jetèrent les sorts », et ces autres de Matthieu : « Ils partagèrent en jetant le sort ? » Une seule, la voici. En disant « les sorts », Luc emploie le pluriel au lieu du singulier. L’emploi de ce mot n’est pas insolite dans les Écritures ; néanmoins, quelques exemplaires portent : « Le sort », au lieu de : « des sorts ». Marc seul paraît donc avoir donné lieu à une petite difficulté, en s’exprimant ainsi : « Et jetant le sort sur eux, afin de savoir ce que chacun aurait pour sa part », il semble dire que le sort a été jeté, non pas seulement sur la tunique, mais encore sur tous les autres vêtements. Mais ici encore, à force de concision, le récit devient obscur, car voici ses paroles : « En jetant le sort sur eux » ; c’était dire, en d’autres termes : En jetant le sort pendant qu’ils partageaient les vêtements ; c’est ce qui eut lieu. En effet, le partage de tous les vêtements du Sauveur n’aurait pas été complet si le sort n’avait pas désigné celui à qui échoirait aussi la tunique ; c’était le seul moyen de mettre un terme aux chicanes des partageurs, ou plutôt de les empêcher d’éclater. « Afin que chacun sût ce qu’il devait avoir pour sa part » ; ces paroles se rapportent au sort qui fut jeté, et non à tous les vêtements qui furent partagés. Ils jetèrent le sort, afin de savoir qui aurait la tunique. Parce que l’Évangéliste a omis de dire ce qu’était cette tunique, comment elle s’était trouvée en surplus après le partage égal des autres vêtements ; parce qu’il avait omis de dire qu’on la tirait au sort pour ne pas la déchirer, il a ajouté à dessein cette observation : « Afin que chacun sût ce qu’il devait avoir », c’est-à-dire, qui aurait cette tunique. De cette façon, telle aurait été sa pensée : Ils partagèrent ses vêtements en jetant le sort sur eux, afin de savoir auquel des quatre échoirait cette tunique qui se trouvait de reste, après partage égal.
4. Quelqu’un me demandera peut-être ce que signifient le partage des vêtements de Jésus en quatre lots et la mise des sorts sur sa tunique. La division en quatre parts des vêtements de Notre-Seigneur Jésus-Christ était la figure de celle de l’Église, qui se trouve disséminée dans les quatre parties du monde et partagée également, c’est-à-dire équitablement entre toutes ces parties. C’est pourquoi il est dit ailleurs que Dieu enverra ses anges pour réunir ses élus des quatre vents [597]. Que signifient ces quatre vents, sinon l’Orient, l’Occident, l’Aquilon et le Midi ? Et cette tunique tirée au sort représente l’ensemble de toutes ces parties de l’Église, unies les unes aux autres par les liens de la charité. Pour parler de la charité, l’Apôtre s’exprime en ces termes : « Je vous montrerai une voie beaucoup plus excellente encore[598] ». Il dit en un autre endroit : « Et connaître l’amour de Jésus-Christ envers nous, qui surpasse toute connaissance [599] » ; ailleurs encore « Mais surtout avec la charité, qui est le lien de la perfection [600] ». Si la charité a une voie plus excellente encore, si elle surpasse la science, si elle est commandée par-dessus toutes choses, il n’est pas étonnant que la tunique qui en était la figure ait été d’un seul tissu, depuis le haut jusqu’en bas. Elle était sans couture, pour qu’on ne pût jamais la découdre ; elle est échue à un seul des quatre soldats, parce que de tous les chrétiens elle ne fait qu’un cœur et qu’une âme. Ainsi en a-t-il été pour les Apôtres : ils étaient au nombre de douze, c’est-à-dire de trois fois quatre. Lorsque le Sauveur les interrogea, Pierre fut seul pour répondre : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant » ; et le Christ lui dit : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux [601] », comme s’il donnait à Pierre seul le pouvoir de lier et de délier ; cependant il avait parlé au nom de tous, et s’il avait reçu ce pouvoir, c’était comme représentant du collège apostolique, et tous l’avaient reçu comme lui. Seul, il représentait tous les autres, parce que tous ne faisaient qu’un. Aussi, après avoir dit qu’ « elle était d’un seul tissu depuis le haut », Jean a-t-il ajouté : « jusqu’en bas ». Si nous nous reportons à ce que figurait cette tunique, nous verrons que quiconque appartient au tout, en fait partie ; de ce tout, comme l’indique le grec, l’Église catholique tire son nom. Que représente le sort, si ce n’est la grâce divine ? Le sort fut chose agréable à tous, parce que la tunique échut à tous dans la personne d’un seul ; de la même manière la grâce de Dieu se répand sur tous, parce qu’elle se répand sur l’ensemble ; de plus, quand on jette le sort, ce qui décide le succès, ce n’est ni la personne ni le mérite de l’un ou de l’autre, c’est le secret jugement de Dieu.
5. De ce que ce partage a été fait par des méchants, c’est-à-dire par des gens qui, au lieu de suivre le Christ, l’ont poursuivi, personne n’est en droit de conclure que leur conduite n’a rien pu figurer de bon. Que dirons-nous, en effet, de la croix elle-même, qui a été certainement préparée et attachée à la personne du Christ par des ennemis et des impies ? Néanmoins, c’est avec raison qu’on voit en elle, suivant l’expression de l’Apôtre, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur[602] ». Sa largeur se trouve dans le bois transversal destiné à tenir étendus les bras du crucifié : elle représente l’étendue de la charité qui opère les bonnes œuvres. Sa longueur va depuis le bois transversal jusqu’à terre : le dos et les pieds du Sauveur y sont attachés ; elle est l’emblème de la persévérance pendant le temps, jusqu’à l’éternité. Sa hauteur consiste dans le sommet qui dépasse le bois transversal ; elle signifie le but céleste auquel se rapportent toutes nos actions ; car tout ce qui se fait en longueur et en largeur, selon la règle du bien et avec persévérance, doit se faire en vue de la hauteur des récompenses divines. Sa profondeur se rencontre dans cette partie qui s’enfonce en terre ; elle est cachée, on ne la voit pas en cet endroit : c’est de là qu’elle sort néanmoins pour s’élever et apparaître aux regards ; ainsi, toutes nos bonnes œuvres sortent des profondeurs de la grâce divine, qu’on ne peut ni comprendre ni juger. Et quand la croix du Christ n’aurait d’autre signification que celle que lui attribue l’Apôtre : « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés[603] », de quel bien elle serait encore l’emblème ! Un esprit bon luttant contre la chair est seul capable d’agir de la sorte, bien que ce soit l’ennemi, l’esprit mauvais, qui a préparé cette croix au Sauveur. Enfin, quel est le signe du Christ ? Tous le savent, c’est sa croix. Sans ce signe, il est impossible d’accomplir n’importe quelle cérémonie sacrée ; il faut le faire et sur le front des croyants, et sur l’eau même qui doit servir à les régénérer, et sur l’huile mêlée de baume dont on les oint, et sur le sacrifice qui leur sert de nourriture. Peut-on dire que les actions des méchants ne signifient rien de bon, quand, dans la célébration des sacrements, tout le bien qu’ils nous procurent nous vient par le signe de la croix du Christ, faite de la main même des mécréants ? Mais arrêtons-nous ici ; un autre jour, avec la grâce de Dieu, nous expliquerons ce qui suit.

CENT DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR LES PAROLES SUIVANTES : « ET LES SOLDATS FIRENT AINSI », JUSQU’A CES AUTRES : « ET, AYANT INCLINÉ LA TÊTE, IL RENDIT L’ESPRIT ». (Chap. 19,24-30.)[modifier]

LES DERNIERS MOMENTS DE JÉSUS.[modifier]

Après le partage de ses vêtements, Jésus légua sa Mère à l’apôtre Jean, pour donner aux enfants un exemple de piété filiale, et Jean la reçut pour en prendre soin. Puis le Sauveur se plaignit de la soif, et on lui tendit, au bout d’un roseau, une éponge imbibée de fiel, de vinaigre et d’hysope. Le roseau était l’emblème de l’Écriture ; le fiel et le vinaigre, de la méchanceté des Juifs ; l’hysope, de l’humilité du Christ. À peine Jésus en eut-il goûté, qu’il mourut.
1. L’Évangéliste Jean nous raconte ce qui se passa aux pieds de la croix du Sauveur, après que ses vêtements eurent été partagés, même par la voie du sort ; voyons son récit : « Les soldats firent ainsi. Or, la Mère de Jésus et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine, étaient debout près de sa croix. Jésus donc, voyant sa Mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils. Après, il dit au disciple : Fils, voilà ta mère. Et depuis cette heure-là, le disciple la reçut chez lui ». Voilà bien l’heure dont Jésus parlait, quand, au moment de changer l’eau en vin, il disait à sa Mère : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? mon heure n’est point encore venue [604] ». Il prédisait cette heure qui n’était pas encore venue, cette heure où, sur le point de mourir, il devait reconnaître celle qui lui avait donné la vie du corps. Alors il se préparait à faire une œuvre divine ; aussi semblait-il lie pas connaître la Mère, non de sa divinité, mais de son humanité, et la repoussait-il. Maintenant, il souffre dans son corps, et dans les sentiments d’une humaine affection, il recommande celle dans le sein de laquelle il s’est fait homme. Alors, il connaissait Marie en vertu de sa puissance, puisqu’il l’avait créée ; maintenant, Celui que Marie a mis au monde est attaché à la croix.
2. Nous trouvons ici un sujet d’instruction. Le Sauveur fait lui-même ce qu’il nous enseigne ; précepteur plein de bonté, il apprend à ses disciples, par son exemple, tout le soin que des enfants pieux doivent prendre des auteurs de leurs jours. Le bois auquel se trouvaient cloués ses membres mourants était comme une chaire où notre Maître se faisait entendre et nous donnait ses leçons. C’était à cette source de saine doctrine que l’apôtre Paul avait puisé, quand il disait : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et surtout de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi et il est pire qu’un infidèle [605] ». Y a-t-il des personnes plus proches les unes des autres que les parents ne le sont de leurs enfants, ou les enfants de leurs parents ? Le maître à l’école de qui se forment les saints, nous donnait donc en lui-même l’exemple pour confirmer un de ses plus précieux commandements ; car s’il pourvoyait à l’avenir de Marie en lui donnant un autre fils qui tiendrait sa place, il n’agissait pas comme Dieu à l’égard d’une servante créée et gouvernée par lui, mais comme homme à l’égard d’une Mère qui lui avait donné le jour et qu’il laissait en cette vie. Pourquoi a-t-il agi de la sorte ? Ce qui suit nous l’apprend ; car, parlant de lui-même, l’Évangéliste ajoute : « Et, depuis ce moment, le disciple la reçut chez lui ». D’ordinaire, Jean ne se désigne pas autrement qu’en disant que Jésus l’aimait ; le Sauveur affectionnait tous ses disciples, mais il chérissait davantage encore celui-ci ; il était même si familier avec lui qu’à la Cène il lui permit de s’appuyer sur sa poitrine[606] ; c’était sans doute pour l’aider à imprimer sur l’Évangile qu’il devait prêcher en son nom, le sceau de sa divine excellence.
3. Mais en quel chez lui Jean reçut-il la Mère du Sauveur ? Il était certainement du nombre de ceux qui lui avaient dit : « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre », et, comme les autres, il avait entendu cette réponse : Quiconque aura abandonné tout cela à cause de moi, recevra le centuple en cette vie [607]. Ce disciple avait donc reçu le centuple de ce qu’il avait quitté ; c’était assez pour y recevoir la Mère de Celui qui lui en avait fait don. Mais, au moment où le bienheureux Jean avait reçu ce centuple, il faisait partie d’une société où nul ne possédait rien en propre, et où toutes choses étaient mises en commun, suivant ce qui est écrit dans les Actes des Apôtres ; car les disciples de Jésus étaient comme n’ayant rien et possédant tout [608]. Comment donc le disciple et le serviteur a-t-il reçu la Mère de son Maître et Seigneur chez lui, puisque personne parmi les Apôtres ne s’attribuait rien en propre ? Nous lisons un peu plus loin dans le même livre : « Tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et apportaient le prix de ce qui était vendu, et ils le déposaient aux pieds des Apôtres, et on le distribuait à chacun selon qu’il en avait besoin [609] ». Ces paroles signifient-elles qu’on le distribua à ce disciple d’après ses besoins, en lui tenant compte de la présence, chez lui, de la bienheureuse Marie, comme si elle était sa mère ? Par conséquent, devons-nous entendre ces mots : « Et à partir de ce moment, le disciple la reçut chez lui », en ce sens qu’il devait prendre soin de tout ce qui serait nécessaire à Marie ? Il la reçut donc chez lui, c’est-à-dire, non dans ses propriétés, puisqu’il n’en possédait aucune en propre, mais dans ses attributions ; car il devait en prendre soin, par suite de l’obligation qu’il avait personnellement acceptée.
4. L’Évangéliste ajoute : « Ensuite Jésus, sachant que tout était consommé, afin que l’Écriture fût accomplie, dit : J’ai soif. Un vase plein de vinaigre était là. Et les soldats lui présentèrent à la bouche une éponge pleine de vinaigre, qu’ils avaient attachée à un bâton d’hysope. Lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est consommé. Et ayant incliné la tête, il rendit l’esprit ». Qui est-ce qui agit comme il le veut, de la même manière que cet homme a souffert comme il l’a voulu ? Mais cet homme était le Médiateur entre Dieu et les hommes ; c’est à lui que s’applique cette prédiction des livres saints : C’est un homme, et qui est-ce qui le reconnaîtra ? En effet, les hommes qui servaient d’instruments pour le faire mourir n’apercevaient point sa divinité à travers le voile de son humanité. Comme homme, il se laissait voir, mais il ne se laissait point reconnaître comme Dieu. Celui qui endurait toutes ces souffrances, c’était l’homme qu’on voyait. Celui qui en réglait l’ordre et la nature, c’était ce Dieu qui se cachait. Il vit donc que tout ce qui devait avoir lieu avant qu’il prit le vinaigre et rendît l’esprit, était consommé ; il voulut aussi accomplir ce qu’avait dit l’Écriture : « Et dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre [610] ». Il dit donc : « J’ai soif », ou, en d’autres termes : Vous m’avez donné ce vinaigre ; c’est trop peu : donnez-moi ce que vous êtes. Les Juifs, en effet, étaient du véritable vinaigre ; les Patriarches et les Prophètes étaient du vin. Mais eux avaient dégénéré ; ils étaient remplis de l’iniquité de ce monde comme de la surabondance d’un vase qui déborde, et leur cœur, pareil à une éponge, recelait la duplicité méchante dans ses profonds et tortueux recoins. L’hysope à laquelle ils avaient attaché l’éponge pleine de vinaigre, est une plante de très-médiocre grandeur et qui purge le corps humain ; elle est le parfait emblème de l’humilité du Christ ; ils l’enveloppèrent avec l’éponge, et ils crurent avoir réussi à circonvenir Jésus. Voilà pourquoi le Psalmiste a dit : « Arrosez-moi avec l’hysope, et je serai purifié[611] ». De fait, l’humilité du Christ nous purifie, car s’il ne s’était point humilié lui-même en se faisant obéissant jusqu’à la mort de la croix[612], son sang n’aurait certainement pas été répandu pour la rémission de nos péchés, c’est-à-dire pour notre purification.

5. Ne soyons point surpris de ce qu’on a pu approcher une éponge des lèvres d’un homme élevé sur la croix à une certaine hauteur au-dessus de terre ; Jean n’en a pas fait mention, mais les autres Évangélistes l’ont raconté : c’est à l’aide d’un roseau[613] qu’on a pu faire parvenir dans une éponge, jusqu’au sommet de la croix, un pareil breuvage. Ce roseau était l’emblème de l’Écriture, qui se trouvait accomplie par ce fait. Comme tout ce que profère la langue porte le nom de langue grecque, de langue latine ou de toute autre, qui laisse échapper des sons qui ont un sens ; de même, on peut donner le nom de roseau à toute Écriture formée au moyen de roseau. Suivant la manière la plus ordinaire de s’exprimer, on appelle langue les sons pourvus de sens qu’émet la voix humaine ; il n’est guère d’usage de désigner l’Écriture parle nom de roseau : aussi cette façon de parler n’est-elle que l’indice plus certain d’un grand mystère. Un peuple impie se livrait à ces voies de fait ; plein de miséricorde, le Christ les supportait. Celui qui agissait ne savait ce qu’il faisait ; mais celui qui souffrait n’ignorait ni ce qui avait lieu, ni la cause pour laquelle ces événements se passaient : je dirai plus, il tirait le bien du mal que faisaient ses bourreaux.
6. « Lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est consommé ». Quoi ? ce que les Prophètes avaient annoncé si longtemps d’avance. Rien ne restait plus à accomplir avant sa mort ; celui qui avait le pouvoir de quitter son âme et de la reprendre à nouveau[614], semblait attendre que tout ce qui devait avoir lieu s’accomplît : « ayant » donc « incliné la tête, il rendit l’esprit ». Qui est-ce qui s’endort à son gré, comme Jésus est mort au moment qu’il a choisi ? Qui est-ce qui se dépouille d’un vêtement quand il le veut, comme Jésus s’est dépouillé de son corps à l’heure voulue par lui ? Qui est-ce qui s’en va selon son désir, comme Jésus est sorti de ce monde lorsqu’il y a consenti ? Et si, en mourant, il a manifesté une pareille puissance, combien nous devons craindre ou désirer les effets de celle qu’il déploiera en venant nous juger !

CENT VINGTIÈME TRAITÉ.[modifier]

SUR LES PAROLES SUIVANTES : « PARCE QUE C’ÉTAIT LA VEILLE DU SABBAT, LES JUIFS », JUSQU’À CES AUTRES : « CAR ILS NE SAVAIENT PAS ENCORE CE QUE DIT L’Écriture, QU’IL LUI FALLAIT RESSUSCITER D’ENTRE LES MORTS ». (Chap. 19, 31-42 ; 20, 1-9.)[modifier]

APRÈS LA MORT DE JÉSUS.[modifier]

Lorsque le Sauveur eut rendu le dernier soupir, les soldats ne lui rompirent point les jambes, mais l’un deux lui perça le côté : Adam et l’Arche d’alliance avaient été la figure du Christ. Sur la demande de Joseph d’Arimathie, Pilate rendit le corps de Jésus : on le mit dans un sépulcre neuf, mais, le premier jour de la semaine, Madeleine et quelques autres disciples ne l’y trouvèrent plus.


1. Tout ce que le Sauveur prévoyait comme devant avoir lieu avant sa mort, ayant été accompli, il rendit l’esprit au moment choisi par lui. L’Évangéliste nous raconte ce qui arriva ensuite ; voici son récit : « Les Juifs, parce que c’était la veille du sabbat, afin que les corps ne demeurassent point sur la croix le jour du sabbat (car le sabbat était un jour très-solennel), prièrent Pilate de faire rompre les jambes aux criminels et de les enlever ». D’enlever non pas les jambes, mais les criminels, à qui l’on brisait les jambes pour les faire mourir et les détacher de la croix : on agissait ainsi, afin de ne point prolonger le supplice des crucifiés, et de ne point attrister par le spectacle de leurs tourments un grand jour de fête.
2. « Les soldats vinrent donc et rompirent les jambes de ceux qu’on avait crucifiés avec lui ; et, s’approchant de Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes, mais un des soldats lui ouvrit le côté d’un coup de lance ; et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ». L’Évangéliste se sert d’une expression choisie à dessein : il ne dit pas qu’on a frappé ou blessé le côté du Sauveur, ou qu’on a fait quelque autre chose semblable ; mais : « on l’a ouvert ». Effectivement, la porte de la, vie devait s’ouvrir à l’endroit où ont pris naissance les Sacrements de l’Église ; sans lesquels il est impossible d’arriver à la vie, qui est la seule véritable. Ce sang a été répandu pour la rémission des péchés ; cette eau est un salutaire liquide, car elle nous sert de bain et de breuvage. Dieu annonçait d’avance cet événement [615], en donnant à Noé l’ordre d’ouvrir, au flanc de l’arche, une porte par laquelle devaient entrer les animaux destinés à ne point périr sous les eaux du déluge ; ces animaux préfiguraient l’Église. Voilà encore pourquoi la première femme a été tirée du côté d’Adam, pendant qu’il dormait[616] ; voilà pourquoi elle a reçu le nom de vie et de mère des vivants [617]. même avant l’incalculable mal de sa prévarication, elle a été ainsi l’annonce d’un bien infini. Le second Adam, Jésus-Christ, ayant baissé la tête, s’est endormi sur la croix, pour qu’une épouse lui fût donnée, et, pendant son sommeil, cette épouse est sortie de son côté. O mort, qui fait revivre les morts ! Y a-t-il rien de plus pur que ce sang ? Quoi de meilleur pour guérir nos plaies ?
3. « Et celui qui l’a vu a rendu témoignage, et son témoignage est véritable, et il sait qu’il dit vrai, afin que vous aussi vous croyiez ». Jean ne dit pas : Afin que vous aussi, vous sachiez ; mais : afin que vous croyiez ; car celui qui a vu, sait, et celui qui n’a pas vu, doit croire à son témoignage. Le propre de la foi est plutôt de croire que de voir. Qu’est-ce, en effet, que croire une chose, sinon y conformer sa foi ? « Car cela a été fait pour accomplir ces paroles de l’Écriture : Vous ne briserez aucun de ses os. L’Écriture dit encore : Ils verront quel est celui qu’ils ont percé ». Il tire des Écritures deux témoignages à l’appui des différents faits dont il raconte l’accomplissement. Il avait dit : « Et s’étant approchés de Jésus, ils virent qu’il était déjà mort, et ils ne lui rompirent point les jambes ». À ce passage se rapporte le témoignage suivant : « Vous ne briserez aucun de ses os ». Voilà l’ordre donné à tous ceux qui, sous l’ancienne loi, devaient célébrer la Pâque par l’immolation de l’agneau ; cette immolation était l’ombre antécédente de la passion du Sauveur. C’est pourquoi « Jésus-Christ, notre Agneau pascal, a été immolé [618] ». Le prophète Isaïe avait dit d’avance à son sujet : « Il a été conduit à la mort comme une brebis[619] ». De même encore l’Évangéliste avait ajouté : « Mais l’un des soldats ouvrit son côté d’un coup de lance ». À cela se rapporte l’autre témoignage : « Ils verront quel est celui qu’ils ont percé ». Voilà la promesse de la venue du Christ avec le même corps que celui avec lequel il a été crucifié.
4. « Or, après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu’il craignait les Juifs, demanda à Pilate la permission d’enlever le corps de Jésus, et Pilate le permit. Il vint donc et enleva le corps de Jésus. Et Nicodème, celui qui s’était d’abord rendu près de Jésus pendant la nuit, vint aussi, portant un mélange de myrrhe et d’aloès, du poids d’environ cent livres ». Il ne faut pas séparer les membres de phrase, de manière à dire : « Portant d’abord un mélange de myrrhe », le mot « d’abord » se rapporte à la phrase précédente. Car Nicodème était venu d’abord près de Jésus pendant la nuit ; Jean avait déjà mentionné ce fait au commencement de son Évangile[620]. Voici donc comment il faut comprendre ce passage : Nicodème ne vint pas alors seulement près de Jésus, mais il y vint pour la première fois ; il y vint ensuite fréquemment pour l’écouter et se faire son disciple : aujourd’hui, presque tous les peuples en voient une preuve convaincante dans la découverte du corps du bienheureux Étienne. « Ils prirent donc le corps de Jésus et l’enveloppèrent de linges avec des aromates, selon la coutume d’ensevelir usitée parmi les Juifs ». À mon avis, ce n’est pas sans motif que l’Évangéliste a dit : « Selon la coutume d’ensevelir usitée parmi les Juifs » ; si je ne me trompe, il a voulu, par là, nous dire que pour les devoirs à remplir à l’égard des morts, il faut suivre la coutume du pays où l’on se trouve.
5. « Or, au lieu où il avait été crucifié se trouvait un jardin, et, dans ce jardin, un sépulcre neuf, où personne n’avait encore été mis ». Comme dans le sein de la Vierge Marie, personne avant lui, personne après lui n’a été conçu, ainsi, personne avant lui comme personne après lui n’a été enseveli dans ce monument. « Comme c’était la veille du sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils y déposèrent Jésus ». L’Évangéliste veut nous faire entendre qu’on se hâta d’ensevelir Jésus, afin de ne pas être surpris par le soir ; car il n’était point alors permis de se livrer à une pareille occupation à cause de la veille du sabbat, à laquelle les Juifs donnent plus communément en latin le nom de Cène pure.
6. « Mais à un jour de la semaine, Marie-Madeleine vint, dès le matin, lorsque les ténèbres régnaient encore, et elle vit la pierre du sépulcre ôtée ». Sous ce nom : « Un jour de la semaine », se trouve désigné le jour que les chrétiens ont l’habitude d’appeler le dimanche à cause de la résurrection du Seigneur ; de tous les Évangélistes, Matthieu est le seul qui l’appelle le premier jour de la semaine [621]. « Elle courut donc vers Simon Pierre, et vers cet autre disciple que Jésus « aimait, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où on l’a mis ». Certains exemplaires, même grecs, portent : « On a enlevé mon Seigneur ». Ces paroles peuvent, ce semble, avoir été dites sous l’impression d’un vif sentiment d’affection inspiré par la charité ou l’habitude de servir le Sauveur ; mais nous ne trouvons pas cette version dans les exemplaires que nous tenons en nos mains.
7. « Pierre sortit donc, et cet autre disciple avec lui, et ils vinrent au sépulcre. Ils couraient tous deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre, et il arriva le premier au sépulcre ». Il faut remarquer ici et ne point passer sous silence cette récapitulation. L’Évangéliste revient à ce qu’il avait omis, et cependant il en fait mention comme si c’était la conséquence de ce qu’il a dit auparavant. Après avoir raconté « qu’ils vinrent au sépulcre », il retourne sur ses pas pour nous dire comment ils y vinrent : « Ils couraient tous deux ensemble », etc. Il marque en ce passage que cet autre disciple (lui-même évidemment, mais désigné comme s’il était un personnage différent) courut plus vite et arriva le premier au sépulcre.

8. « Et s’étant baissé, il vit les linceuls à terre ; cependant il n’entra pas. Simon Pierre, qui le suivait, vint et entra dans le sépulcre et il vit les linceuls à terre, et le suaire mis sur sa tête, séparé des linceuls, était plié en un autre lieu ». Pensons-nous que tout cela ne signifie rien ? Ce n’est pas du tout mon avis. Mais nous nous hâtons de passer à d’autres endroits, sur lesquels il faudra nous arrêter en raison de leur obscurité ou des difficultés auxquelles ils donnent lieu. Pour les passages qui sont clairs par eux-mêmes, c’est un saint plaisir de chercher leur signification jusque dans les moindres détails ; mais ce plaisir appartient aux gens désœuvrés, et nous ne le sommes pas.

9. « Alors donc entra aussi cet autre disciple, qui était arrivé le premier au sépulcre ». Il était arrivé le premier et il entra le dernier. Ce fait a certainement son importance ; ce qui suit ne m’en semble pas non plus dénué. « Et il vit, et il crut ». Plusieurs, examinant avec peu de soin ces paroles, s’imaginent que ce que Jean a cru alors, c’est que Jésus était ressuscité ; mais la suite ne le fait nullement supposer. Que signifie en effet ce qu’ajoute l’Évangéliste ? « Ils ne savaient pas encore ce qui est dans l’Écriture ; qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts ». Jean n’a donc pu croire que Jésus fût ressuscité, puisqu’il ignorait qu’il dût ressusciter. Qu’a-t-il donc vu ? Qu’a-t-il cru ? Il a vu que le sépulcre était vide, et il a cru ce que lui avait dit la femme, c’est-à-dire qu’on l’avait enlevé du sépulcre. « Ils ne savaient pas encore ce qui est dans l’Écriture, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts ». Quand il leur en parlait lui-même, le Sauveur avait beau s’exprimer de manière à ne leur laisser à cet égard aucun doute ; ils étaient tellement habitués à l’entendre parler en paraboles, qu’ils ne le comprenaient pas, et qu’à leur sens il les entretenait de tout autre chose. Mais, dans un autre discours, nous vous expliquerons ce qui suit.

CENT VINGT-ET-UNIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CET ENDROIT : « LES DISCIPLES RETOURNÈRENT DONC CHEZ EUX », JUSQU’À CET AUTRE « BIENHEUREUX CEUX QUI N’ONT POINT VU ET QUI ONT CRU ». (Chap. 20,10-29.)[modifier]

APRÈS LA RÉSURRECTION DE JÉSUS.[modifier]

Pierre et Jean étant retournés chez eux, Marie-Madeleine revint, en pleurant, au tombeau du Sauveur. Elle y vit deux anges, et, en se retournant, elle aperçut le Christ sous la forme d’un jardinier. « Ne me touche pas », lui dit Jésus : alors, elle figurait l’Église des Gentils, ou ceux qui ne touchent pas spirituellement Notre-Seigneur. Ensuite, elle revint annoncer aux Apôtres ce qu’elle avait vu, et Jésus lui-même leur apparut plusieurs fois pour les convaincre, eux et Thomas surtout, de la réalité de sa résurrection.

1. Le Seigneur a été enlevé du sépulcre ! Telle fut la nouvelle apportée à ses disciples, Pierre et Jean, par Marie-Madeleine ; ils vinrent à l’endroit où Jésus avait été enseveli, et ne trouvèrent que les linceuls dans lesquels le corps avait été enveloppé ; purent-ils croire alors autre chose que ce qu’elle leur avait annoncé, que ce qu’elle avait cru elle-même ? « Les disciples retournèrent donc chez eux de nouveau », c’est-à-dire à la maison qu’ils habitaient et qu’ils avaient quittée pour courir au sépulcre. « Mais Marie se tenait hors du sépulcre, pleurant ». Les hommes s’en retournant chez eux, le sexe le plus faible se trouvait comme cloué à la même place par un sentiment d’amour plus fort que lui. Les yeux qui avaient cherché à le découvrir sans réussir à le voir, se mouillaient de pleurs et versaient plus de larmes sur son enlèvement du sépulcre, que sur sa mort au Calvaire : la raison en était qu’après avoir ôté la vie à ce maître si grand, on lui enlevait le moyen même de survivre dans la mémoire des siens. La douleur attachait donc cette femme au sépulcre de son Dieu. « Et, pendant qu’elle pleurait, elle se baissa et porta ses regards dans le sépulcre ». Pourquoi agissait-elle de la sorte ? Je n’en sais rien. Car elle ne l’ignorait pas : celui qu’elle cherchait n’était pas là : elle avait même annoncé à ses disciples qu’on l’en avait enlevé ; et ceux-ci étaient venus au sépulcre, et non seulement ils y avaient regardé, mais ils y étaient entrés pour trouver le corps du Sauveur, et ils n’y avaient rien vu. Pourquoi donc, pendant qu’elle pleurait, Marie-Madeleine s’est-elle baissée pour regarder encore une fois dans le tombeau ? Pensait-elle que ce qu’elle déplorait si amèrement, ni les yeux des autres ni les siens ne pourraient y croire aisément ? Ou plutôt, regarda-t-elle dans le tombeau sous l’influence d’une inspiration intérieure et divine ? Elle porta donc ses regards dans le sépulcre, et « elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à l’endroit où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à la tête, l’autre aux pieds ». Pourquoi l’un de ces anges était-il assis à la tête et l’autre aux pieds ? Le mot grec ange se traduit en latin par le mot messager ; ces anges ainsi placés signifiaient-ils que l’Évangile du Christ devait être annoncé, en quelque sorte, depuis la tête jusqu’aux pieds ; c’est-à-dire depuis le commencement jusqu’à la fin ? « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis ». Les anges voulaient l’empêcher de pleurer ; mais comment lui annonçaient-ils d’une certaine façon, qu’elle n’aurait bientôt plus qu’à se réjouir ? Ils lui avaient adressé ces paroles : « Pourquoi pleures-tu ? » comme pour lui dire : Ne pleure pas. S’imaginant qu’ils ne savaient rien et qu’ils l’interrogeaient en raison de leur ignorance, elle leur fait connaître la cause de son chagrin. « Parce que », dit-elle, « on a enlevé mon Seigneur ». Elle appelait son Seigneur le corps inanimé de Jésus ; elle prenait la partie pour le tout : nous reconnaissons de la même manière pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, qui est en même temps Verbe, âme et corps ; et, pourtant, nous disons qu’il a été crucifié et enseveli, quoique son corps seul ait été mis au tombeau. « Et je ne sais où on l’a mis ». La cause principale de sa douleur, c’était qu’elle ignorait où elle porterait ses pas pour y apporter un remède. Mais déjà était venu le moment où la joie succéderait aux larmes, comme les anges l’avaient, en quelque sorte, annoncé à Marie-Madeleine pour l’empêcher de pleurer.

2. Enfin, « lorsqu’elle eut dit cela, elle se retourna et vit Jésus debout, et elle ne savait pas que ce fût lui. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, croyant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et je l’emporterai. Jésus lui dit : Marie. Elle se retourna et lui dit : Rabboni ! Ce qui signifie « mon Maître ! » Que personne ne fasse à cette femme un reproche d’avoir appelé le jardinier son Seigneur, et Jésus son Maître. Elle priait l’un et reconnaissait l’autre ; elle donnait un signe de respect à l’homme à qui elle demandait un renseignement, et elle honorait comme docteur celui qui lui apprenait à connaître les choses divines et humaines. Elle donnait le nom de Seigneur à celui dont elle n’était point la servante, afin d’arriver, par son intermédiaire, au Seigneur qu’elle servait. Le mot Seigneur n’avait donc pas, dans son idée, le même sens, quand elle disait : « On a enlevé mon Seigneur », que lorsqu’elle disait : « Seigneur, si tu l’as enlevé ». Les Prophètes eux-mêmes ont donné à de simples hommes le nom de Seigneur ; mais c’était dans un sens bien différent qu’ils appelaient de ce nom celui dont il est écrit : « Le Seigneur est son nom[622] ». Cette femme s’était déjà retournée pour voir Jésus au moment où elle croyait avoir fait la rencontre d’un jardinier, et s’entretenait avec lui ; mais comment peut-on dire qu’elle s’est retournée de nouveau pour lui dire : « Rabboni ? » Le voici évidemment. Elle s’était d’abord corporellement retournée et avait cru voir ce qu’il n’était pas ; ensuite, elle a fait un retour de cœur, et elle a reconnu ce qu’il était réellement.

3. « Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père, mais va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Nous trouvons, dans ces paroles, matière à une explication courte, mais toute spéciale. En lui répondant ainsi, Jésus enseignait la foi à cette femme qui le reconnaissait et lui donnait le nom de maître : comme un jardinier ferait dans son jardin, il semait dans le cœur de Marie-Madeleine le grain de sénevé. Quel est donc le sens de ces paroles : « Ne me touche pas ? » Et comme si on cherchait la cause de cette défense, il ajouta : « Car je ne suis pas encore monté vers mon Père ». Qu’est-ce que cela ? Si on ne peut le toucher pendant qu’il est sur la terre, quand il sera assis sur son trône dans le ciel, comment les hommes le toucheront-ils ? Il est sûr, pourtant, qu’avant de remonter au ciel, il s’est présenté à ses disciples et leur a offert de le toucher ; car, l’Évangéliste Luc en est témoin, il leur a dit : « Touchez et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai [623] ». N’a-t-il pas dit encore au disciple Thomas : « Porte ici ton doigt et regarde mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté ? » Qui serait assez dépourvu de sens pour prétendre que Jésus a permis à ses disciples de le toucher avant qu’il remontât vers son Père, et qu’il n’a accordé cette faveur à des femmes qu’après son ascension vers son Père ? Mais quand un homme voudrait ainsi délirer, on ne lui en laisserait pas le loisir. En effet, nous lisons que des femmes mêmes ont touché Jésus ressuscité, même avant qu’il fût monté vers son Père ; de ce nombre était Marie-Madeleine elle-même ; car Matthieu nous dit que « Jésus se présenta devant elles, et leur dit : « Je vous salue. Alors, elles s’approchèrent et embrassèrent ses pieds, et l’adorèrent [624] ». Jean a omis cette circonstance, mais Matthieu a dit la vérité. Il y a donc évidemment, dans ces paroles, un sens caché : que nous le découvrions, que nous ne puissions pas le découvrir, il nous est impossible d’en douter. Ces paroles : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore monté vers mon Père », doivent être entendues en ce sens que cette femme était la figure de l’Église, formée par les Gentils, et qui a cru en Jésus-Christ seulement après son ascension ; ou bien, le Sauveur a voulu, par elles, faire entendre qu’il faut croire en lui comme faisant une seule et même chose avec le Père, c’est-à-dire qu’il faut le toucher spirituellement. Le Christ ne monte-t-il pas d’une certaine manière au ciel, pour celui qui profite en lui au point de le reconnaître égal au Père ? Cette sorte d’ascension n’est aperçue que par le sens intime d’un tel homme. On n’a que ce moyen de le toucher véritablement, ou, en d’autres termes, on ne peut vraiment croire en lui, si l’on ne croit pas ainsi. La foi de Marie-Madeleine pouvait se borner à croire en lui, tout en le reconnaissant comme inférieur au Père ; cependant, elle en avait reçu la défense par ces paroles : « Ne me touche pas » : Car c’était lui dire : Ne crois pas en moi, d’après les idées que tu nourris encore en toi ; ne te borne pas à voir en moi ce que je suis devenu à cause de toi, sans élever tes pensées jusqu’à cette nature supérieure qui, en moi, t’a fait sortir du néant. Pouvait-il, en effet, se faire qu’elle ne crût pas encore d’une manière charnelle en Jésus, puisqu’elle le pleurait comme homme ? « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers mon Père ». Tu me toucheras dès lors que tu reconnaîtras en moi un Dieu parfaitement égal au Père. « Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père ». Le Sauveur ne dit pas : notre Père. Il est le mien d’une manière, il est le vôtre d’une autre ; il est le mien par nature, il est le vôtre par sa grâce. « Et vers mon Dieu et votre Dieu ». Ici encore, il ne dit pas : Et notre Dieu. Si donc il est mon Dieu, il l’est aussi sous un certain rapport, et s’il est le vôtre, il l’est sous un autre. Il est mon Dieu, car, en qualité d’homme, je lui suis moi-même inférieur ; il est le vôtre, et je suis immédiatement entre vous et lui.

4. « Marie-Madeleine vint, annonçant aux disciples : J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit ces choses. Quand le soir du même jour fut venu, et c’était le premier jour de la semaine, et les portes du lieu, où les disciples étaient assemblés à cause de la crainte des Juifs, étant fermées, Jésus vint et se tint debout au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ; et lorsqu’il eut ainsi parlé, il leur montra ses mains et a son côté ». Car les clous avaient percé ses mains, et la lance avait ouvert son côté. Pour guérir des cœurs rongés par le doute, Jésus avait conservé la marque de ses plaies. Les portes étaient fermées ; ce ne fut pas néanmoins un obstacle au passage d’un corps où la divinité résidait, car celui qui était venu au monde sans porter la moindre atteinte à la virginité de sa mère, pouvait très bien entrer en un lieu dont les portes n’étaient pas ouvertes. « Les disciples donc se réjouirent à la vue du Seigneur. Il leur dit de nouveau : La paix soit avec vous ». Répéter une chose, c’est lui donner un nouveau degré d’assurance, et le Seigneur, par la bouche du Prophète, ajoute la paix à la paix qu’il accorde[625]. « Comme mon Père m’a envoyé », dit Jésus, « je vous envoie moi-même ». Nous savons que le Fils est égal au Père, mais, ici, nous le reconnaissons à son langage comme notre médiateur. Le Père m’a envoyé, et moi je vous envoie. « Après qu’il eut dit ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez le Saint-Esprit ». En soufflant sur eux, il montra que le Saint-Esprit n’est pas seulement l’Esprit du Père, mais qu’il est aussi le sien. « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». La charité de l’Église, que l’Esprit-Saint répand en nos cœurs, remet les péchés de ses membres, mais elle retient les péchés de ceux qui ne lui appartiennent pas. Aussi, après avoir dit : « Recevez l’Esprit-Saint », le Sauveur a-t-il immédiatement parlé de la remise et de la retenue des péchés.

5. « Thomas, l’un des douze, appelé Dydime, n’était pas avec eux quand Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur répondit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la plaie des clous, et ma main dans son côté, je ne croirai point. Et huit jours après, comme ses disciples étaient encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées, et il se tint debout au milieu d’eux et dit : La paix soit avec vous ! Il dit ensuite à Thomas : Porte ici ton doigt, et regarde mes mains; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais fidèle. Thomas répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu! » Il voyait et touchait l’homme; il confessait le Dieu qu’il ne voyait ni ne touchait; mais parce qu’il voyait et touchait, il se débarrassait de ses doutes et croyait à ce qu’il ne pouvait ni voir ni toucher. « Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu as cru ». Il ne dit point : Tu m’as touché; mais : « tu m’as vu », parce que le sens de la vue appartient en quelque sorte à toutes les parties du corps ; il se dit, en effet, des quatre autres sens ; car ne s’exprime-t-on pas ainsi : Écoute et vois que cette musique est harmonieuse ! sens et vois combien ce parfum est délicieux; goûte et vois comme cette saveur est agréable ; touche et vois comme cet objet est chaud. En ces différents cas, tu as dit : vois ; mais, par là, tu n’as point prétendu soutenir que les yeux ne sont point l’organe propre de la vue. Voilà pourquoi le Sauveur s’exprime lui-même ainsi : « Porte ici ton doigt, et vois mes mains ». Était-ce dire autre chose que ceci : Touche et vois ? Cependant, Thomas n’avait pas d’yeux au doigt. « Parce que », soit en me regardant, soit en me touchant, « tu m’as vu, tu as cru ». Quoique le Sauveur offrit à son disciple de le toucher, on ne peut néanmoins dire que celui-ci n’osa pas le faire; car il n’est pas écrit que Thomas le toucha. Mais qu’en le regardant ou en le touchant, Thomas ait vu son Maître et ait cru, peu importe ; ce qui suit a particulièrement trait à la foi des Gentils, et lui donne du prix : « Bienheureux ceux qui n’ont pas a vu et qui ont cru ». L’Évangéliste s’est, en ces paroles, servi du prétérit, parce que, d’après les desseins de sa providence, le Seigneur regardait déjà comme fait ce qui devait avoir lieu plus tard. Mais nous ne devons point donner à ce discours une plus grande étendue; un autre jour, Dieu nous fera la grâce d’expliquer ce qui reste.

CENT VINGT-DEUXIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : JÉSUS À FAIT PLUSIEURS AUTRES MIRACLES », JUSQU’A CES AUTRES : « MALGRÉ LEUR GRAND NOMBRE, LE FILET NE ROMPIT POINT ». (Chap. 20, 30-31 ; 21, 1-11.)[modifier]

LA SECONDE PÊCHE MIRACULEUSE.[modifier]

Quelques jours après l’apparition du Sauveur à Thomas, les Apôtres allèrent pêcher : et en retournant ainsi à leur premier métier, ils ne péchèrent pas ; car c’était une occupation permise en elle-même, et, d’ailleurs, s’il est permis aux prédicateurs de l’Évangile de vivre de l’Évangile, à plus forte raison ne leur est-il pas défendu de ne pas grever leurs ouailles. Jésus se présenta alors à eux ; sur son ordre, ils jetèrent leurs filets à droite de la barque, prirent cent cinquante-trois gros poissons, et les amenèrent au rivage dans les filets, sans que ceux-ci se rompissent. La première pêche miraculeuse était la figure de l’Église du temps : pour bien des raisons, celle-ci symbolisait l’Église de l’éternité. Le nombre des poissons indiquait l’accomplissement de la loi par l’opération du Saint-Esprit, et leur grosseur, ceux qui enseignent et observent les commandements et qui feront, à cause de cela, partie des élus.


1. Le Sauveur avait montré au disciple Thomas les plaies de son corps, et lui avait offert de les toucher ; celui-ci vit donc ce qu’il ne voulait pas croire et il crut. Après nous avoir raconté cette circonstance, l’Évangéliste Jean intercale ces paroles : « Jésus a fait, en présence de ses disciples, plusieurs autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom ». Ce chapitre semble indiquer la fin du livre ; toutefois, l’écrivain sacré raconte encore ici la manière dont le Christ se manifesta sur le bord de la mer de Tibériade, et donna, dans la pêche miraculeuse, une mystérieuse image de ce que doit être l’Église quand les morts ressusciteront à la fin du monde. Je trouve un motif particulier d’y faire attention dans ce fait, que ce qui devait être le prélude du récit suivant et donner à ce passage une importance plus marquée, a été placé après le chapitre précédent comme s’il en était le complément naturel. Le récit en question commence par ces mots : « Ensuite Jésus se manifesta de nouveau à ses disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et il se manifesta ainsi. Simon Pierre et Thomas, appelé Dydime, Nathanaël, qui était de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples de Jésus étaient ensemble. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Et ils lui dirent : Nous allons aussi avec toi ».
2. À l’occasion de cette pêche des disciples, on cherche d’habitude à savoir pourquoi Pierre et les fils de Zébédée sont redevenus ce qu’ils étaient avant d’être choisis par le Seigneur. Car ils étaient pêcheurs, quand il leur dit : « Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes [626] ». Alors ils le suivirent et abandonnèrent tout ce qu’ils possédaient pour s’attacher à lui en qualité de disciples ; en voici la preuve : Quand un jeune homme riche s’éloigna tristement de Jésus pour lui avoir entendu dire : « Va, vends tout ton bien, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens et suis-moi », Pierre dit au Sauveur« Voilà que nous avons tout quitté et que « nous vous avons suivi[627] ». Pourquoi donc, après avoir en quelque sorte abandonné l’apostolat, redeviennent-ils maintenant ce qu’ils étaient autrefois ? Pourquoi reviennent-ils à ce dont ils s’étaient séparés, comme s’ils avaient oublié ce qu’ils ont entendu : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est point propre au royaume de Dieu [628] ? » Si, après que Jésus eut rendu le dernier soupir, et avant sa résurrection d’entre les morts, ses disciples avaient agi de la sorte ; mais ils ne le pouvaient, parce que toute leur attention avait été absorbée par les événements du jour, depuis le moment où il fut crucifié jusqu’à sa mise au tombeau qui eut lieu avant le soir : le jour suivant était le sabbat ; à pareil jour, d’après l’usage de leur pays qu’ils observaient, il leur était défendu de travailler ; au troisième jour, le Sauveur ressuscita et leur rendit, par là, l’espérance qu’ils avaient déjà commencé à ne plus avoir ; cependant, s’ils étaient alors retournés à leurs filets, nous croirions devoir en attribuer la cause au désespoir dans lequel ils étaient tombés. Mais aujourd’hui, le Christ, sorti du tombeau, leur a été rendu plein de vie ; la vérité s’est présentée à eux avec la dernière évidence, et ils ont pu, non seulement la considérer de leurs yeux, mais la toucher et la palper de leurs mains ; ils ont si bien examiné la trace de ses plaies que l’apôtre Thomas en a confessé la réelle existence, après avoir dit qu’il croirait à cette seule condition ; le Sauveur a soufflé sur eux et leur a donné son saint Esprit ; il leur a, de sa propre bouche, adressé ces paroles : « Comme mon Père m’a envoyé, moi « aussi je vous envoie ; ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus[629] ». Et tout à coup ils deviennent ce qu’ils étaient auparavant ; ils deviennent, non pas des pêcheurs d’hommes, mais des pêcheurs de poissons.
3. Voici la réponse à faire aux personnes étonnées d’une pareille conduite. Il n’était point défendu aux disciples de demander à un métier permis et autorisé le moyen de vivre, s’ils ne portaient d’ailleurs aucune atteinte à l’intégrité de leur apostolat et se trouvaient dans l’impossibilité de se procurer autrement les aliments qui leur étaient nécessaires. Oserait-on, par hasard, penser ou dire que l’apôtre Paul n’était pas du nombre des hommes parfaits, qui ont tout abandonné pour suivre le Christ, parce qu’afin de n’être à charge à aucun de ceux auxquels il prêchait l’Évangile, il gagnait son pain avec son travail manuel[630] ? Il a travaillé pour vivre ; la preuve en ressort plus particulièrement de ces paroles : « J’ai travaillé plus que tous les autres ; néanmoins », ajoute-t-il aussitôt, « non par moi, mais la grâce de Dieu avec moi[631] ». L’Apôtre voulait, par là, faire voir que s’il avait pu spirituellement et corporellement travailler plus que les autres, de manière à prêcher continuellement l’Évangile, sans vivre comme eux de l’Évangile, il le devait à la grâce divine. Effectivement, il en répandait les enseignements bien plus loin et avec plus de fruit au milieu d’une foule de nations qui n’avaient pas entendu parler du nom du Christ. Il montrait ainsi que les Apôtres ont reçu, je ne dirai pas l’ordre, mais le pouvoir de vivre de l’Évangile, ou, en d’autres termes, de tirer leur nécessaire de sa prédication. Ce pouvoir, le même Apôtre en fait mention dans le passage suivant : « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous a recueillions un peu de vos biens temporels ? Si d’autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi n’en userions-nous pas plutôt qu’eux ? Cependant », ajoute-t-il, « nous n’avons pas usé de ce pouvoir ». Immédiatement après, il dit encore : « Ceux qui servent à l’autel ont part aux oblations de l’autel ; ainsi, le Seigneur ordonne que ceux qui annoncent l’Évangile vivent de l’Évangile ; mais moi, je n’ai usé d’aucun de ces droits ». C’est donc un point bien établi qu’il a été, sinon commandé, du moins permis aux Apôtres de ne vivre que de l’Évangile et de demander leur nourriture à ceux parmi lesquels ils répandraient les biens spirituels par la prédication évangélique, c’est-à-dire qu’il leur était loisible d’exiger les aliments du corps et de recevoir la paie nécessaire, comme s’ils étaient les soldats du Christ et que les fidèles en fussent les sujets. Voilà pourquoi le même Apôtre, ce noble soldat, avait dit un peu auparavant : « Qui est-ce qui fait la guerre à ses frais [632] ? » C’était, néanmoins, ce que faisait Paul ; car il travaillait plus que tous les autres. Le bienheureux Paul ne voulut pas, comme les autres prédicateurs de l’Évangile, user du pouvoir qu’il avait reçu comme eux ; il voulut combattre à ses propres dépens, afin de ne point donner à des nations qui ne connaissaient nullement le Christ, l’occasion de se scandaliser d’une doctrine vénale en apparence ; il apprit un métier à la pratique duquel son éducation était restée étrangère ; et, parle travail de ses mains, le maître était nourri sans imposer à ses disciples aucun sacrifice. S’il en fut ainsi de Paul, le bienheureux Pierre, qui avait déjà été pécheur, et qui, par conséquent, faisait ce qu’il savait, n’eut-il pas un droit plus réel encore d’agir comme lui, si, pour le moment, il n’avait pas à sa disposition un autre moyen de pourvoir à sa nourriture ?
4. Mais, dira quelqu’un, comment ce moyen lui a-t-il manqué ? Le Seigneur n’a-t-il pas fait cette promesse : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît [633] ? » Il est sûr que Pierre et ses compagnons ont trouvé l’accomplissement de la promesse divine dans leur métier de pêcheurs. N’est-ce pas Dieu seul ; en effet, qui a conduit les poissons sous le filet de ses disciples ? N’est-ce point pour nous une obligation de croire que le Sauveur les a mis dans une si grande pénurie de toutes choses, uniquement pour les forcer à aller à la pêche et pour avoir lui-même l’occasion d’opérer un miracle ? Dans ses desseins, ce prodige devait pourvoir à la nourriture des prédicateurs de l’Évangile, et l’Évangile lui-même devait puiser une autorité nouvelle dans le sens vraiment mystérieux du nombre des poissons recueillis. C’est maintenant pour nous un devoir de dire, au sujet de ce miracle, ce que nous suggérera la grâce.
5. Simon Pierre dit donc : « Je vais pêcher ». Ceux qui étaient avec lui « répondirent : Nous allons aussi avec toi, et ils sortirent, et ils montèrent dans une barque, et ils ne prirent rien de cette nuit-là. Le matin venu, Jésus parut sur le rivage, les disciples, néanmoins, ne s’aperçurent point que c’était lui. Jésus donc leur dit : « Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. Ils le jetèrent donc, et ils ne pouvaient le tirer, tant il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait, dit à Pierre : C’est le Seigneur. Pierre, entendant que c’était le Seigneur, prit sa tunique, car il était nu, et il se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent avec la barque, traînant le filet plein de poissons, car ils n’étaient éloignés que de deux cents coudées environ. Quand ils furent descendus à terre, ils virent des charbons allumés et du poisson dessus, et du pain. Jésus leur dit : Apportez quelques poissons de ceux que vous avez pris à l’instant. Simon Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois gros poissons, et, quoiqu’ils fussent si considérables, le filet ne se rompit point »
6. Voilà un admirable mystère dans l’admirable Évangile de Jean : pour lui concilier toute notre attention, l’écrivain sacré en a fait mention à la fin de son livre. Au moment de cette pêche, les disciples étaient au nombre de sept, savoir : Pierre, Thomas, Nathanaël, les deux fils de Zébédée, et deux autres dont l’Évangile ne cite pas les noms. Ce nombre sept signifie la consommation du temps, car le temps, pour toute son étendue, est circonscrit dans l’espace de sept jours. à cela se rapporte ce fait que, le matin venu, Jésus parut sur le rivage, puisque le rivage est ainsi le terme de la mer, et que, par conséquent, il est l’emblème de la consommation des temps : Pierre a aussi tiré le filet sur la terre, c’est-à-dire sur le rivage : autre circonstance qui signifie encore la même chose. Le Sauveur nous l’apprend lui-même en un autre endroit, lorsque, tirant une comparaison du filet jeté à la mer, il dit : « Et ils l’amenèrent sur le rivage ». Qu’était-ce que ce rivage ? il nous l’explique en ces termes : « Il en sera ainsi à la fin des siècles [634] ».
7. Dans ce passage nous trouvons une parabole en paroles, et non en fait ; mais si nous en venons au fait même de la pêche, en cette dernière circonstance le Sauveur annonce ce que sera plus tard l’Église, comme dans la circonstance analogue précédente il nous a instruits de çe qu’elle est maintenant. Ce qu’il a fait au commencement de sa prédication, il l’a fait encore après sa résurrection ; par les poissons pris à la première pêche, il a voulu nous indiquer les bons et les méchants dont se compose aujourd’hui l’Église : par ceux qui ont été pris en second lieu, il ne nous représente que les bons, dont elle se composera pendant l’éternité, lorsqu’à la fin des siècles la résurrection des morts aura parfait le nombre de ses membres. Autrefois, enfin, Jésus ne s’était pas, comme aujourd’hui, arrêté sur le rivage pour commander aux Apôtres de prendre des poissons ; mais « il entra dans une des barques, qui était à Simon, et le pria de le conduire à quelque distance de la terre, et s’asseyant, il instruisait de là le peuple. Et quand il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en pleine mer et jette les filets pour pêcher ». Alors, ce que les Apôtres prirent de poissons fut mis dans les barques, tandis que dans l’occasion présente ils conduisirent leurs filets jusqu’au rivage. Ces faits, et tous ceux qu’on a pu remarquer en outre, représentent l’Église, les uns telle qu’elle est maintenant, les autres telle qu’elle sera à la fin des temps c'est pourquoi ceux-là ont eu lieu avant, et ceux-ci après la résurrection du Sauveur : dans le premier cas, le Christ a fait allusion à notre vocation ; dans le second, à notre résurrection. Là, on ne jette les filets, ni à droite, dans la crainte dune figurer que les bons, ni à gauche, dans la crainte de ne figurer que les méchants ; on les jette à la première place venue : « Jetez les filets pour pêcher », dit le Sauveur, pour nous faire comprendre que les bons et les méchants sont aujourd’hui mêlés ensemble ; ici, voici comment il s’exprime : « Jetez le filet à la droite de la barque », pour montrer que les bons étaient seuls à la droite. Dans le premier cas, la rupture du filet marquait les schismes ; mais, pour le second, l’Évangéliste a eu le droit de dire : « Et quoiqu’ils fussent si considérables », c’est-à-dire si grands,« le filet ne se rompit point », parce. qu’après les siècles, dans la profonde paix des saints, il n’y aura plus de schismes. Jean semblait considérer la déchirure du premier filet, et profiter de ce malheur pour faire mieux comprendre l’avantage réservé au second. Autrefois, les disciples prirent une si grande quantité de poissons, que deux barques en furent remplies, et qu’elles sombraient [635], c’est-à-dire, qu’elles menaçaient de sombrer sous la charge ; car si elles ne furent pas englouties, elles coururent néanmoins le danger de l’être. Pourquoi avons-nous à gémir sur une foule de scandales qui désolent l’Église ? C’est qu’on y voit entrer une immense multitude dont les mœurs sont tout opposées aux exemples des saints, c’est qu’on ne peut l’empêcher d’y pénétrer et d’exposer la discipline au danger presque certain d’un naufrage. Aujourd’hui, les Apôtres ont jeté le filet du côté droit, et « ils ne pouvaient le tirer tant il y avait de poissons ». Qu’est-ce à dire : « ils ne pouvaient le tirer ? » Le voici Ceux qui jouiront de la résurrection de la vie, c’est-à-dire, qui seront à la droite, ceux qui, au sortir de cette vie, se trouveront enfermés dans le filet du nom chrétien, ne seront connus que sur le rivage, ou, pour mieux dire, à la consommation des siècles. Aussi n’ont-ils pu tirer leurs filets de manière à déverser dans leurs barques les poissons qu’ils avaient pris, comme ils avaient fait jadis avec ceux qui avaient rompu leur filet et presque submergé leur nacelle. Après cette vie, plongés dans le sommeil de la paix comme dans les profondeurs de la mer, ces chrétiens de la droite attendent, au sein de l’Église, que le filet parvienne au rivage vers lequel on le tirait à la distance d’environ deux cents coudées. Les deux barques de la première pêche étaient l’emblème de la circoncision et du prépuce : les deux cents coudées dont il est question dans le récit de la seconde pêche, ont, à mon avis, la même signification : elles ont trait aux élus de l’une et de l’autre catégorie, c’est-à-dire aux circoncis et aux incirconcis, également représentés par le nombre cent ; car, par son total, ce chiffre regarde la droite. Enfin, l’Évangéliste n’indique pas la quantité des poissons recueillis, lors de la première pêche, comme si ce miracle était l’accomplissement des paroles du Prophète : « J’ai annoncé et j’ai parlé, et ils se sont multipliés au-delà de toute mesure[636] ». Pour la seconde pêche, le nombre des poissons n’a pas été sans mesure, il est nettement déterminé : cent cinquante-trois ; nous allons, avec l’aide de Dieu, en expliquer la portée.
8. Quel nombre établir qui représente la loi ? Aucun, si ce n’est le nombre dix ; car, nous le savons à n’en pas douter, Dieu d’abord a écrit, de son propre doigt, sur deux tables de pierre, le Décalogue de la loi, c’est-à-dire les dix commandements bien connus qui la composent[637]. Mais, quand la loi n’est pas aidée de la grâce, elle fait des prévaricateurs et n’existe qu’à l’état de lettre : voilà surtout pourquoi l’Apôtre a dit : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie[638] ». Il faut donc que l’esprit vienne s’adjoindre à la lettre, pour que la lettre ne tue pas celui que ne vivifie point l’esprit et, aussi, afin que nous accomplissions les préceptes de la loi, non avec nos seules forces, mais avec la grâce du Sauveur. Quand la grâce vient en aide à la loi, c’est-à-dire, quand l’esprit s’unit à la lettre, le nombre sept s’ajoute, en une certaine façon, au nombre dix ; car ce nombre sept est l’emblème de l’Esprit-Saint, les lettres sacrées en fournissent de remarquables preuves. La sainteté ou l’action de sanctifier appartient en propre au Saint-Esprit [639] ; quoique le Père soit esprit et le Fils également, par la raison que Dieu est esprit ; quoique le Père soit saint, et le Fils aussi, néanmoins, l’Esprit de l’un et de l’autre s’appelle proprement le Saint-Esprit. Sous l’empire de la loi, quel temps fut le premier sanctifié, sinon le septième jour ? En effet, Dieu n’a sanctifié ni le premier jour, puisqu’alors il a créé la lumière ; ni le second, puisqu’il a fait le firmament ; ni le troisième, car à cette époque le Seigneur a séparé la mer de la terre, et celle-ci a commencé à produire de l’herbe et des arbres ; ni le quatrième : en ce jour, en effet, les astres sont sortis du néant ; ni le cinquième, qui a vu naître les habitants des eaux et les habitants des airs ; ni le sixième, où sont nés les animaux qui vivent sur terre, et l’homme lui-même ; mais le Seigneur a sanctifié le septième, où il s’est reposé de tous ses travaux[640]. C’est donc à juste titre que le nombre sept représente le Saint-Esprit. Le prophète Isaïe s’exprime dans le même sens : « L’Esprit de Dieu », dit-il, « se reposera sur lui », et il compte jusqu’à sept le nombre de ses opérations ou de ses dons : « Esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété ; et l’esprit de la crainte du Seigneur le remplira[641] ». Que lisons-nous dans l’Apocalypse ? N’y est-il point parlé des sept Esprits de Dieu [642] ? Et, pourtant, il n’y a qu’un seul et même Esprit qui partage ses dons aux uns et aux autres selon son bon plaisir [643]. Le Saint-Esprit, qui a inspiré l’écrivain sacré, a lui-même désigné, sous le nom de sept Esprits, les sept manières dont opère le même Esprit. Le Saint-Esprit s’adjoignant à la loi, et ajoutant ainsi le nombre sept au nombre dix, il en résulte le nombre dix-sept. Si tu comptes tous les nombres depuis un jusqu’à dix-sept, et les additionnes ensemble, tu arriveras au chiffre total de cent cinquante-trois. À un, ajoute deux, et tu auras trois ; ce nombre, plus trois et quatre, fait la somme de dix : joins-y tous les nombres qui suivent jusqu’à dix-sept, tu trouveras pour total le nombre précité ; c’est-à-dire, depuis un jusque quatre, tu as dix ; dix et cinq font quinze ; quinze et six vingt-un ; vingt-un et sept, vingt-huit ; vingt-huit et huit, et neuf, et dix, cinquante-cinq ; cinquante-cinq et onze, et douze et treize quatre-vingt-onze ; quatre-vingt-onze et quatorze, et quinze et seize, cent trente-six ; enfin, à ce nombre, ajoute celui qui reste et dont il s’agit, c’est-à-dire dix-sept, et tu obtiendras le chiffre total des poissons. Ce nombre ne représente pas uniquement les élus qui ressusciteront pour la vie éternelle, et ne veut pas dire qu’ils seront seulement cent cinquante-trois : il représente aussi les milliers de saints qui vivent sous l’empire de la grâce de l’Esprit : cette grâce s’accorde avec la loi de Dieu comme avec un adversaire ; ainsi, l’Esprit vivifie et la lettre ne tue pas ; ce que la lettre commande s’accomplit avec le secours de l’Esprit, et si on ne l’observe point parfaitement, cette omission est pardonnée. Tous ceux qui se trouvent soumis à l’influence de cette grâce, ce nombre les figure donc, c’est-à-dire qu’il les représente figurativement il est composé de trois fois cinquante, plus trois, qui représentent le mystère de la Trinité : le nombre cinquante est formé par le résultat de sept multiplié par sept, auquel on ajoute un ; car sept fois sept font quarante-neuf. On y ajoute un, pour signifier que celui qui est symbolisé par sept à cause de ces sept opérations, est un : nous le savons, le Saint-Esprit a été envoyé le cinquantième jour après la résurrection du Sauveur, il avait été promis aux disciples, et ils avaient reçu l’ordre de l’attendre[644].
9. L’Évangéliste n’a pas indiqué sans raison le nombre et la grosseur des poissons recueillis, ou, en d’autres termes, il n’a pas dit sans motif qu’il y en avait cent cinquante-trois, et qu’ils étaient énormes. En effet, voici comment il s’exprime : « Et il tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois poissons ». Le Sauveur avait dit : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir », car il devait donner l’Esprit, avec l’aide duquel la loi pourrait être accomplie, et par là il devait, en quelque sorte, ajouter sept à dix ; puis, après quelques autres réflexions, il avait ajouté : « Celui qui violera l’un de ces moindres commandements, et qui enseignera ainsi les hommes, sera le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera et enseignera, sera appelé grand dans le royaume des cieux ». Celui-ci peut être du nombre des gros poissons. Pour le premier, qui viole en action ce qu’il enseigne en paroles, il peut faire partie de cette Église représentée par les poissons de la première pêche, et composée de bons et de méchants ; car elle porte aussi le nom de royaume des cieux. Jésus ne dit-il pas, en effet : « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer, et qui renferme toutes sortes de poissons[645] ? » Par ces paroles, il veut nous faire entendre qu’il est question des bons et des méchants ; il dit encore qu’on les séparera les uns des autres sur le rivage, c’est-à-dire à la fin des temps. Il veut ensuite montrer que ces plus petits, qui enseignent le bien par leurs paroles et en violent les règles dans leur conduite, sont les réprouvés, qu’ils ne seront pas dans la vie éternelle, même au dernier rang, et qu’ils n’y entreront jamais. Aussi, après avoir dit : « Celui-là sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux », le Sauveur ajoute immédiatement : « Car je vous le dis. si votre justice n’est plus parfaite que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux[646] ». Voilà bien, sans doute, les Scribes et Les Pharisiens qui sont assis sur la chaire de Moïse, et dont il a dit : « Faites ce qu’ils disent ; mais ce qu’ils font, ne le faites pas ; car ils disent et ne font pas[647] ». Par leurs discours, ils enseignent ce qu’ils foulent aux pieds par leurs mœurs. Conséquemment, le plus petit dans le royaume des cieux qui représente l’Église du temps, n’entrera pas dans le royaume des cieux qui est l’Église de l’éternité ; car s’il enseigne ce qu’il viole, il n’appartiendra pas à la société de ceux qui font ce qu’ils enseignent : il ne sera donc point du nombre des gros poissons, parce que « celui qui fera et enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux ». Et parce que celui-ci sera grand, il ne se trouvera pas à la même place que le plus petit ; en effet, les élus seront bien grands dans le royaume des cieux, car le plus petit y sera plus grand que celui qu’on ne peut surpasser ici-bas[648]. Ceux qui sont grands sur la terre, c’est-à-dire ceux qui font le bien et l’enseignent ensuite dans le royaume des cieux figuré par le filet rempli de bons et de mauvais poissons, seront les plus grands dans le royaume éternel des cieux, parce que les poissons recueillis à droite figurent ceux qui doivent ressusciter pour la vie. Il nous reste à vous entretenir, avec le secours de Dieu, du repas que Jésus fit avec les sept disciples, des paroles qu’il leur adressa ensuite, et, finalement, de ce qui termine l’Évangile de Jean ; mais le cadre trop étroit de ce discours ne me permet pas de le faire aujourd’hui.

CENT VINGT-TROISIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « VENEZ, MANGEZ », JUSQU’À CES AUTRES : « OR, IL DIT CELA, MARQUANT PAR QUELLE MORT IL DEVAIT GLORIFIER DIEU ». (Chap. 21,12-19.)

LE GRAND DEVOIR DES PASTEURS.[modifier]

Après la pêche miraculeuse, Jésus se mit à table avec les sept disciples : d’abord, on servit du poisson rôti et du pain, emblèmes de l’aliment céleste qui fait notre nourriture à la sainte Table. Ensuite, Jésus demanda par trois fois à Pierre, s’il l’aimait, et sur la réponse affirmative de celui-ci, il lui confia ses brebis et ses agneaux. La triple protestation d’amour de Pierre, était une réparation de son triple reniement : c’était aussi, pour tous les pasteurs, une leçon ; car, pour paître réellement le troupeau du Christ qui leur est confié, ils doivent aimer Dieu plus qu’eux-mêmes, et l’aimer, s’il le faut, jusqu’à mourir pour lui.

1. Le bienheureux apôtre Jean termine son Évangile en faisant le récit de la troisième apparition du Christ à ses disciples après sa résurrection : nous avons donné, de notre mieux, l’explication de la première partie de ce récit, jusqu’à l’endroit où il est dit que les disciples, auxquels il s’était alors manifesté, avaient pris cent cinquante-trois poissons, sans que, malgré leur nombre et leur grosseur, le filet vint à se rompre. Il nous reste à examiner ce qui suit, et, avec l’aide de Dieu, à en disserter autant que la chose nous semblera l’exiger. La pêche terminée, « Jésus leur dit : Venez, mangez. Et aucun de ceux qui étaient assis n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? car ils savaient que c’était le Seigneur ». S’ils le savaient, à quoi bon l’interroger ? Et s’ils n’avaient pas besoin de le faire, pourquoi Jean a-t-il dit : « Ils n’osaient pas ? » comme s’ils en éprouvaient le besoin sans oser le faire, parce qu’ils auraient été retenus par un sentiment de crainte. Voici le sens de ce passage : l’apparition de Jésus à ses disciples était revêtue de signes de vérité si évidents, qu’aucun d’eux n’osait ni la nier, ni même la révoquer en doute ; si, en effet, quelqu’un d’entre eux en doutait, c’était, pour lui, un devoir de s’en assurer par une question. L’Évangéliste a donc dit : « Personne n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? » pour dire personne n’osait douter de ce qu’il était.

2. « Et Jésus vint, et il prit du pain et leur en donna, ainsi que du poisson ». Voilà bien le menu de leur repas : si nous y prenons part, nous en dirons nous-mêmes quelque chose de suave et de salutaire. D’après le récit antérieur de l’écrivain sacré, quand les disciples descendirent à terre, « ils y virent des charbons allumés et du poisson dessus, et du pain ». On ne doit point comprendre ce passage en ce sens que le pain ait été aussi placé sur les charbons ; il faut sous-entendre Ils virent. Si maintenant nous mettons ce mot à la place où il faut le sous-entendre, la phrase pourra être celle-ci : Ils virent des charbons allumés et du poisson dessus, et ils aperçurent du pain ; ou mieux encore : lis virent des charbons allumés et du poisson dessus ; ils aperçurent aussi du pain. Sur l’ordre du Sauveur, ils apportèrent encore quelques-uns des poissons qu’ils avaient pris quoique Jean n’ait point relaté ce fait d’une manière expresse, il est sûr, néanmoins, qu’il n’a point passé sous silence l’ordre donné par le Christ ; car Jésus dit : « Apportez quelques-uns des poissons que vous avez pris tout à l’heure[649] ». Est-il, en effet, possible de croire qu’ils n’auraient point exécuté ses ordres ? Tels furent donc les mets dont se composa le repas donné par le Sauveur à ses Sept disciples ; le poisson qu’ils avaient vu sur les charbons ardents, et auquel ils avaient ajouté quelques-uns de ceux qu’ils venaient de prendre ; puis le pain que, suivant le récit évangélique, ils avaient aussi aperçu. Le poisson rôti, c’est le Christ mort en croix ; il est encore le pain descendu du ciel [650]. L’Église lui est incorporée pour entrer en participation de la béatitude éternelle. « Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre ». Nous tous, qui nourrissons dans nos cœurs cette espérance, nous devons le comprendre à ces paroles ; nous participons à cet ineffable sacrement dans la personne des sept disciples, qu’on peut considérer ici comme nous figurant tous ; par là même nous sommes en eux associés à ce bonheur. Tel fut le repas que le Sauveur prit avec ses disciples ; c’est par là que Jean a terminé son Évangile, quoiqu’il eût à raconter encore beaucoup d’autres choses, et des choses, à mon avis, très-importantes ; car il avait vu des événements extrêmement dignes de fixer notre attention.

3. « Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples après sa résurrection ». Ceci a trait, non pas aux manifestations du Sauveur, mais aux jours où elles ont eu lieu ; c’est-à-dire, au jour de la résurrection ; puis à celui où, après une semaine, Thomas vit et crut ; enfin, au jour où Jésus opéra ce qu’on vient de raconter de la pêche miraculeuse ; combien de temps après la résurrection ce miracle eut-il lieu ? L’écrivain sacré ne l’a pas dit. Le premier jour, en effet, le Sauveur se montra plusieurs fois, comme l’attestent les témoignages des quatre Évangélistes. Mais, suivant la remarque que nous en avons faite, il faut compter les manifestations de Jésus d’après les jours ; autrement, celle-ci ne serait pas la troisième. N’importe combien de fois et à combien de personnes Jésus se soit montré le jour de sa résurrection, comme toutes ces apparitions ont eu lieu le même jour, elles ne doivent compter que pour une seule et même apparition, qui serait la première ; la seconde s’est faite huit jours après, ensuite la troisième dont nous parlons ; enfin, toutes celles qu’il lui plut de faire jusqu’au quarantième jour où il monta au ciel, et dont le texte saint ne fait pas mention.

4. « Après donc qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Oui, Seigneur, lui répondit-il, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis. « Il lui dit une seconde fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre lui répondit : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre fut, contristé de ce qu’il lui demandait pour la troisième fois : M’aimes-tu ? Il lui dit : Seigneur, vous connaissez tout ; vous savez que je vous aime. Il lui dit : Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis ; lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas. Or, il dit cela, marquant par quelle mort il devait glorifier Dieu ». Ainsi devait finir l’homme qui avait renié son maître, et qui l’aimait si vivement, cet homme élevé par sa présomption, jeté à terre par son reniement, purifié par ses larmes, éprouvé par sa confession, couronné à cause de ses souffrances ; oui, il devait finir, en mourant victime de son amour sans bornes pour celui avec qui un empressement coupable lui avait fait promettre de mourir. Affermi par la résurrection de son Maître, puisse-t-il accomplir ce qu’il avait prématurément promis, lorsqu’il était faible ! Il fallait que le Christ mourût d’abord pour le salut de Pierre, et qu’ensuite Pierre mourût pour annoncer le Christ. Ce que l’humaine témérité avait conduit à un commencement d’exécution, devait se faire ensuite ; car la Vérité éternelle avait préparé cet enchaînement régulier des événements. Pierre croyait donner sa vie pour le Christ [651], pour son libérateur, et c’était lui qui devait être délivré ; car le Christ était venu mourir pour toutes ses brebis, et Pierre était du nombre ; c’est ce qui a déjà eu lieu. Maintenant soyons fermement décidés à souffrir la mort pour le nom du Seigneur, et cette fermeté réelle, puisons-la dans le secours de la grâce, et ne l’attendons pas d’une présomption trompeuse, car elle ne serait que de la faiblesse ; voici le moment de ne point craindre la fin violente de la vie présente : en ressuscitant, le Sauveur nous a donné la preuve exemplaire d’une autre vie. O Pierre, c’est aujourd’hui que vous ne devez plus redouter de mourir ; car celui-là est vivant, dont la mort vous faisait pleurer, et que vous vouliez, par un sentiment d’affection charnelle, empêcher de mourir pour nous [652]. Vous n’avez pas craint de prendre le pas sur votre guide, et la vue de son ennemi vous a fait trembler ; le prix de votre rachat a été versé, c’est maintenant à vous de suivre votre Rédempteur, et de le suivre même jusqu’à la mort de la croix. Vous êtes sûr de sa véracité, vous avez entendu ses paroles ; il vous avait prédit que vous le renieriez ; il vous prédit aujourd’hui que vous souffrirez.

5. Mais, auparavant, le Sauveur demande à Pierre une fois, deux fois, trois fois, ce qu’il sait déjà, c’est-à-dire s’il l’aime ; et trois fois Pierre ne lui répond que par une protestation d’amour, et trois fois il ne fait à Pierre d’autre recommandation que celle de paître ses brebis. À un triple reniement succède une triple confession : ainsi la langue de Pierre n’obéit pas moins à l’affection qu’à la crainte, et la vie présente du Sauveur lui fait prononcer autant de paroles, que la mort imminente de son Maître lui en avait arrachées. Si, en reniant le pasteur, Pierre donna la preuve de sa faiblesse, qu’il donne la preuve de son affection en paissant le troupeau du Seigneur. Quiconque fait paître les brebis du Christ, de manière à vouloir en faire, non pas les brebis du Christ, mais les siennes propres, celui-là est, par là même, convaincu de s’aimer lui-même et de n’aimer pas le Christ : il prouve qu’il se laisse conduire par le désir de la gloire, de la domination, de l’agrandissement temporel, et non par un élan du cœur, qui le porte à obéir, à se dévouer et à plaire à Dieu ; contre de telles gens s’élève la parole prononcée trois fois de suite par le Christ : ce sont de telles gens, que l’Apôtre gémit de voir chercher leur avantage, au lieu de chercher celui de Jésus-Christ[653]. Que signifient, en effet, ces paroles : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ? » N’est-ce pas dire, en d’autres termes : Si tu m’aimes, ne songe point à te nourrir toi-même, mais pais mes brebis, et pais-les, non pas comme les tiennes, mais comme les miennes ; travaille à les faire concourir à ma gloire, et non à la tienne ; étends sur elles mon empire, et non le tien ; cherche en elles, non ton profit, mais uniquement mon avantage : par là, tu ne seras point de ceux qui aiment cette vie si dangereuse, qui fixent leurs affections sur eux-mêmes et sur tout ce qui se rattache à ce monde, source de tous les maux. Immédiatement après avoir dit : « Il y aura des hommes amateurs d’eux-mêmes », l’Apôtre continue en ces termes : « Avares, fiers, superbes, médisants, désobéissant à leurs pères et à leurs mères, ingrats, impies, irréligieux, dénaturés, sans foi et sans parole, calomniateurs, intempérants, inhumains, ennemis des gens de bien, traîtres, insolents, enflés a d’orgueil, ayant plus d’amour pour la volupté que pour Dieu, qui auront l’apparente de la piété, mais qui n’en auront pas la réalité[654] ». Tous ces maux dérivent, comme de source, du premier que Paul indique : « Amour de soi-même ». Aussi Jésus dit-il à Pierre : « M’aimes-tu ? » Et celui-ci répondit : « Je vous aime » ; et entend-il ces paroles : « Pais mes agneaux ». Voilà pourquoi ces demandes et ces réponses se renouvellent une seconde et une troisième fois. Ce passage est aussi la preuve que l’amour et la dilection sont une seule et même chose ; car, à la fin, le Sauveur ne dit plus : « As-tu pour moi de la dilection ? » Mais : « As-tu pour moi de l’amour ? Ne nous aimons donc pas nous-mêmes ; aimons Jésus, et, à paître ses brebis, cherchons son avantage et non pas le nôtre. Je ne sais comment il se fait que quiconque s’aime au lieu d’aimer Dieu, ne s’aime pas lui-même, et que celui qui aime Dieu au lieu de s’aimer, s’aime en réalité lui-même. Quand on aime celui qui donne la vie, ne pas s’aimer, c’est s’aimer véritablement : si, alors, on ne s’aime pas, c’est uniquement pour reporter ses affections sur celui qui nous donne la vie. Ils ne doivent donc pas être amateurs d’eux-mêmes, ceux qui paissent les brebis du Christ, afin de les paître, non comme les leurs, mais comme les siennes, et comme s’ils voulaient en retirer leur propre avantage à la manière « des amateurs de l’argent ». Ils ne doivent ni les commander comme « des superbes », ni s’enorgueillir des honneurs qu’elles leur procurent, comme des hommes « bouffis d’amour-propre », ni chercher à réussir jusqu’à devenir hérétiques, comme « des blasphémateurs », ni résister aux saints pères, comme des enfants « rebelles à leurs parents » ; ni rendre le mal pour le bien, « comme des ingrats », à ceux qui veulent les corriger pour les empêcher de périr ; ni donner le coup de la mort à leur âme et à celle des autres, comme « des assassins » ; ni déchirer le sein de l’Église, leur mère, comme « des gens sans religion » ; ni rester insensibles aux douleurs humaines, comme « des personnes dénaturées » ; ni s’efforcer de salir la réputation des saints, comme « des calomniateurs » ; ni se laisser entraîner sans résistance aux penchants les plus désordonnés, comme « des intempérants » ; ni susciter des chicanes, comme « des hommes sans douceur » ; ni refuser de secourir les malheureux, comme « des gens privés de sentiments d’humanité » ; ni faire connaître aux ennemis des vrais chrétiens, ce qu’ils savent destiné à rester inconnu, comme « des traîtres » ; ni blesser l’honnêteté naturelle par des procédés honteux, comme « des libertins » ; ni n’entendre ce qu’ils disent et ce qu’ils affirment[655], comme « des personnes aveuglées » ; ni préférer les plaisirs charnels aux joies spirituelles, comme « ceux qui ont plus d’amour pour la volupté que pour Dieu ». Qu’ils soient tous ensemble le partage du même homme, ou qu’ils appartiennent ceux-ci à l’un, ceux-là à l’autre, tous ces vices et leurs pareils sortent d’une certaine manière de la même racine, c’est-à-dire « de l’amour exclusif » des hommes « pour eux-mêmes ». Ce vice de l’égoïsme, voilà ce que doivent, avant tout, éviter ceux qui font paître les brebis du Christ, afin de ne pas rechercher leur avantage préférablement à celui de Jésus-Christ, et de ne point faire servir à la satisfaction de leurs convoitises ceux en faveur desquels le Sauveur a répandu son sang. Celui qui paît les brebis du Christ, doit avoir pour lui un amour si vif et porté à un si haut point, qu’il devienne supérieur à la crainte naturelle de la mort, qui nous saisit et nous épouvante, lors même que nous désirons vivre avec notre Rédempteur. En effet, l’apôtre Paul assure qu’il éprouve un ardent désir d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ[656]. Néanmoins, il gémit comme écrasé sous le poids de son corps, et il souhaite, non pas d’en être dépouillé, mais d’être revêtu par-dessus, en sorte que ce qu’il y a de mortel soit absorbé par la vie[657]. Et Jésus dit à Pierre qui l’aimait : « Lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas. Or, il dit cela, marquant par quelle mort il devait glorifier Dieu. Tu étendras tes mains », c’est-à-dire, tu seras crucifié. Pour cela faire, « un autre te ceindra, et te conduira », non pas où tu voudras, mais « où tu ne voudras pas ». Le Sauveur dit d’abord ce qui devait avoir lieu, puis la manière dont la chose se ferait. Si Pierre a été conduit où il ne voulait pas, c’est évidemment quand il a été conduit au supplice de la croix, et non quand il y a été attaché : une fois crucifié, il est allé, non où il ne voulait pas, mais bien plutôt où il voulait ; car il désirait être délivré de son corps et se trouver avec le Christ ; il souhaitait d’entrer dans la vie éternelle sans éprouver, si c’était possible, la pénible épreuve de la mort : cette épreuve, il l’a subie malgré lui, mais il en est sorti de son plein gré : il a été amené à l’endurer, en dépit de ses répugnances ; mais il en a volontiers triomphé, en se dépouillant de ce sentiment de faiblesse qui rend la mort odieuse à tous, et qui nous est naturel au point d’avoir subsisté dans le bienheureux Pierre malgré les nécessités de la vieillesse et ces paroles du Sauveur : « Lorsque tu seras devenu vieux », on te conduira « où tu ne voudras pas ». C’est pour nous consoler, que le Christ a transformé en sa personne ce sentiment de faiblesse, au moment où il a dit : « Père, si c’est possible, que ce calice passe loin de moi[658] ». Certainement, il était venu pour subir la mort : sa mort devait être l’effet, non de la nécessité, mais de sa volonté il devait donner sa vie par un acte de sa puissance, comme la même puissance devait la lui rendre. Mais si amère que puisse être pour nous l’épreuve de la mort, la vivacité de notre amour pour Celui qui a bien voulu mourir en notre faveur, bien qu’il fût notre vie, doit nous en rendre victorieux. Si cette épreuve ne nous était point pénible, ou si elle était facile à supporter, l’auréole de gloire des martyrs ne serait point si brillante ; mais puisque après avoir donné sa vie pour ses brebis[659], le bon pasteur s’est choisi, parmi elles, un si grand nombre de martyrs, qu’à bien plus forte raison doivent lutter jusqu’à la mort pour la vérité, et résister au péché jusqu’au sang, les hommes a qui il confie le soin de paître son troupeau, c’est-à-dire de l’instruire et de le gouverner ! Puisqu’il nous a d’abord donné l’exemple de ses souffrances, il est facile de le voir, c’est pour les pasteurs une obligation d’autant plus stricte d’imiter le bon pasteur, que beaucoup de brebis ont suivi ses traces ; car s’il n’y a qu’un pasteur et un troupeau, les pasteurs eux-mêmes sont, à son égard, de véritables brebis. Dès lors qu’il a souffert pour tous, tous sont devenus ses brebis ; et afin de souffrir pour tous, il est devenu lui-même brebis.

CENT VINGT-QUATRIÈME TRAITÉ.[modifier]

DEPUIS CES PAROLES : « ET LORSQU’IL EUT AINSI PARLÉ, IL LUI DIT : SUIS-MOI », JUSQU’À LA FIN DE L’Évangile. (Chap. 21,19-25.)[modifier]

LES DEUX VIES.[modifier]

À la fin de sa troisième apparition, le Sauveur dit à Pierre : « Suis-moi », et, en parlant de Jean : « Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne ». Certains interprètes supposent, d’après ces dernières paroles, et d’après certains faits plus ou moins avérés, que l’apôtre Jean n’est pas mort et ne mourra pas avant la fin du monde. Mais l’explication la plus plausible de ce passage est celle-ci. Pierre représenté la vie du temps, vie de peines et de tourments, où l’amour de Dieu est plus vif ; parce qu’on y désire plus ardemment l’heure de la délivrance : Jean figure la vie du ciel, où l’on est heureux, et par ce motif, moins aimant : de là, il suit que Pierre était moins aimé du Sauveur, et que Jean l’était davantage.


1. Pourquoi, au moment où il se montra pour la troisième fois à l’apôtre Pierre, le Sauveur lui adressa-t-il ces paroles : « Suis-moi », tandis qu’en parlant de l’apôtre Jean, il dit : « Je veux que celui-ci demeure jusqu’à ce que je vienne ; que t’importe ? » C’est là une difficulté peu facile à résoudre. Autant que Dieu nous le permettra, nous consacrerons, à la traiter ou à la résoudre, notre dernière instruction sur cet ouvrage. Après avoir annonce d’avance à Pierre le genre de mort par lequel il glorifierait Dieu, Jésus lui dit : « Suis-moi. Pierre, se retournant, vit ce disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant la cène, s’était reposé sur son sein et lui avait dit : Seigneur, qui vous trahira ? Pierre donc, l’ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, qu’arrivera-t-il à celui-ci ? Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que t’importe ? Toi, suis-moi. Le bruit se répandit parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas ». Et Jésus ne dit pas : « ne mourra pas » ; mais : Je veux qu’il demeure a ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que t’importe ? » Ainsi se pose, dans cet Évangile, la difficulté en question ; par sa profondeur, elle n’embarrasse pas peu l’esprit de celui qui cherche à en pénétrer le mystère. Pour quel motif le Sauveur dit-il à Pierre : « Suis-moi », sales le dire à tous ceux qui étaient là avec lui ? Évidemment, ils le suivaient en qualité de disciples, comme leur maître. Si nous trouvons que ce passage a trait à sa passion, pouvons-nous dire que Pierre seul a souffert pour défendre la vérité chrétienne ? N’y avait-il pas, au nombre de ces sept Apôtres, un autre fils de Zébédée, frère de Jean, qui, après l’ascension du Sauveur, a été certainement mis à mort par Hérode [660] ? Mais, dira quelqu’un, puisque Jacques n’a pas été crucifié, c’est avec raison que Jésus a dit à Pierre : « Suis-moi ». Car il a subi, non seulement la mort, mais aussi la mort de la croix, comme le Christ. Supposons qu’il en soit de la sorte, si nous ne pouvons trouver aucune autre explication plus plausible ; pourquoi donc le Sauveur a-t-il dit de Jean : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que t’importe ? » tandis qu’il a plusieurs fois adressé à Pierre ces paroles : « Toi, suis-moi » ; comme si celui-là ne devait pas le suivre, parce que le Maître voulait qu’il demeurât ainsi jusqu’à sa venue ? Est-il possible d’attribuer à ces paroles un sens différent de celui qu’y attachaient les frères alors présents ; c’est-à-dire, que ce disciple devait, non pas mourir, mais rester en cette vie jusqu’à la venue de Jésus ? Jean nous a lui-même interdit une interprétation en ce sens, car il nous a formellement déclaré que le Sauveur n’a pas dit cela. En effet, pourquoi a-t-il ajouté : « Jésus ne dit point : Il ne meurt pas ? » C’est évidemment afin de ne pas laisser l’erreur se glisser dans l’esprit des hommes.
2. L’on peut néanmoins, si on le trouve bon, faire une nouvelle objection : reconnaître comme vrai le récit de Jean et avouer que le Sauveur n’a pas dit que ce disciple ne mourrait pas, mais n’attribuer aux paroles citées par l’écrivain sacré que le sens qui en ressort naturellement, et, en conséquence, soutenir que l’apôtre Jean vit toujours ; car, dans son sépulcre à Ephèse, il est plutôt plongé dans un sommeil que dans un réel état de mort. Pour preuve, on peut citer ce fait, qu’à son tombeau, la terre remue d’une manière sensible et paraît presque bouillonner sous l’effort de sa respiration, et soutenir cela constamment et avec opiniâtreté. Il est sûr que plusieurs y ajoutent foi, puisque quelques-uns regardent Moïse lui-même comme vivant encore ; car il est écrit que son sépulcre est inconnu [661], qu’il a apparu sur la montagne avec le Sauveur [662], et qu’on y a vu, en même temps, Élie, signalé, par l’Écriture, non comme mort, mais comme enlevé au ciel[663]. Cette opinion ferait supposer que le corps de Moïse n’a pu être ni placé en un lieu si dérobé qu’il fût impossible aux hommes de le découvrir, ni rappelé pour un moment à la vie par l’action de la Divinité, afin d’apparaître avec Élie à côté du Christ : les corps d’un grand nombre de saints n’ont-ils pas ressuscité pour quelques instants, au moment de la mort du Sauveur, et, après sa résurrection, n’ont-ils pas apparu à un grand nombre de personnes dans la ville sainte, comme l’atteste l’Écriture [664] ? Néanmoins, selon que je l’ai dit en commençant, certaines gens nient le fait de la mort de Moïse, malgré le témoignage positif de l’Écriture elle-même, qui l’affirme à l’endroit où elle dit qu’on n’a jamais pu découvrir nulle part la trace de son tombeau ; à plus forte raison, y a-t-il des personnes pour soutenir que Jean vit encore, et dort au sein de la terre, à cause de ces paroles du Sauveur : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ». Au dire de certaines personnes, et certaines Écritures, quoique apocryphes, mentionnent le fait, quand cet Apôtre donna l’ordre de préparer son sépulcre, il assistait plein de santé au travail des ouvriers : immédiatement après que la fosse eut été creusée, et qu’on eut mis la dernière main à la préparer, il s’y coucha comme dans un lit, et mourut. Si vous en croyez ceux qui interprètent en ce sens les paroles précitées du Christ, Jean n’était pas réellement mort, mais ressemblait seulement à un mort, au moment où il s’était couché dans sa tombe ; il dormait, quand on l’ensevelit, et l’on s’imaginait qu’il était privé de vie : ainsi demeurera-t-il, jusqu’à ce que vienne le Christ, et toujours il fera voir qu’il n’est pas mort par la poussière qui sortira de son tombeau, et cette poussière, à ce que l’on croit, il la soulèvera en dormant, par le souffle de sa respiration, de manière à la faire monter des profondeurs de sa fosse jusqu’au-dehors. J’estime qu’il serait oiseux de réfuter une pareille opinion. C’est à ceux qui connaissent le lieu de la sépulture de l’Apôtre de voir si la terre y remue et s’y tourmente, comme on veut bien le prétendre ; quoi qu’il en soit, des hommes graves nous ont affirmé la réalité du fait.
3. En attendant, ne nous opposons point à cette opinion, pour ne pas voir surgir une difficulté nouvelle, et ne pas être obligés de dire pourquoi la terre qui recouvre un corps mort semble vivre et respirer. Pour répondre à cette grave question ne peut-on pas dire Par un grand prodige, tel que le Tout-Puissant peut en opérer, un corps vivant n’est-il pas capable de dormir sous terre jusqu’à la consommation des siècles ? Mais alors se présente un autre embarras, une difficulté plus grande ; la voici : Jésus aimait Jean bien plus vivement que tous les autres disciples ; aussi lui permit-il de reposer sur sa poitrine ; pourquoi alors lui accorder, comme une insigne faveur, un long sommeil corporel, tandis que, par un très-glorieux martyre, le bienheureux Pierre fut délivré du poids de son corps et obtint la grâce après laquelle soupirait l’apôtre Paul, quand il prononçait et écrivait ces paroles : « Je désire être dégagé des liens de mon corps, et me trouver avec le Christ [665] ? » Supposé, au contraire, que, suivant l’opinion commune, Jean ait affirmé que le Sauveur a dit : « Il ne meurt pas », pour empêcher de donner à ces paroles de son Évangile un tel sens ; supposé aussi que son corps ait été aussi réellement privé de vie au moment où il fut mis dans le tombeau ; supposé enfin que ce qui se dit soit bien vrai, à savoir, que sur ce corps la terra se soulève et se gonfle, on peut toujours donner cette explication du fait : ou bien, il se produit pour faire connaître combien la mort de Jean a été précieuse devant Dieu, bien que le persécuteur ne l’ayant point fait mourir pour la défense de la foi, il ne se soit point illustré par le martyre ; ou bien, ce fait a lieu pour quelque autre motif inconnu de nous. Reste maintenant à savoir pourquoi Jésus, parlant d’un homme destiné à mourir, a dit : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ».
4. Autre question à élucider, elle concerne les apôtres Pierre et Jean : y aurait-il quelqu’un pour ne pas chercher à l’éclaircir ? Pourquoi Jean a-t-il été l’objet des prédilections du Sauveur, tandis que Pierre a aimé le Christ plus que les autres ? N’importe en quel endroit Jean parle de lui-même, il ne se nomme pas ; mais, pour se faire reconnaître, il dit que Jésus l’aimait, comme si le Sauveur n’aimait que lui ; par ce signe il se distinguait des autres disciples que le Christ affectionnait certainement aussi. Alors, s’il ne voulait point se faire connaître comme l’objet des prédilections de Jésus, que voulait-il dire en parlant de la sorte ? Il est sûr qu’il ne mentait pas. Maintenant, Jésus pouvait-il donner à Jean un témoignage plus sensible de sa prédilection, que celui de le laisser seul reposer sur son cœur, quand ses collègues profitaient comme lui des bienfaits du Sauveur ? Que Pierre ait aimé son Maître plus que tes autres disciples, on peut en fournir des preuves en grand nombre ; mais il serait trop long de les citer toutes, bornons-nous à celle que nous présente une précédente leçon. Vous avez entendu cette leçon, il y a peu de temps ; elle avait pour thème la troisième apparition du Sauveur : la preuve en question ressort avec évidence de ce passage où le Sauveur adresse à Pierre cette demande : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Le Christ savait certainement quelles étaient les dispositions de son Apôtre ; néanmoins, il a voulu l’interroger, afin que nous, qui lisons l’Évangile, nous connaissions aussi, par les questions de l’un et les réponses de l’autre, l’amour de Pierre pour son maître. Pierre a répondu : « Je vous aime », sans ajouter Plus que ceux-ci ; et ce qu’il disait était conforme à ce qu’il savait de lui-même. Dans l’impossibilité de voir ce qui se passait dans le cœur d’autrui, était-il, en effet, à même de savoir jusqu’à quel point les autres l’aimaient ? En prononçant les paroles précitées : « Oui, Seigneur, vous le savez[666] », il a suffisamment déclaré lui-même qu’eu l’interrogeant le Christ savait ce qu’il lui demandait. Jésus n'ignorait donc ni que Pierre l’aimait, ni qu’il l’aimait plus que les autres Apôtres. Toutefois, si nous cherchons à savoir lequel vaut le mieux de celui qui aime plus ou de celui qui aime moins Jésus-Christ, pourrons-nous hésiter un instant de répondre que c’est celui qui l’aime davantage ? Si, d’autre part, nous nous demandons lequel est le meilleur de celui que le Seigneur aime le plus ou de celui qu’il aime le moins, nous nous prononcerons, sans aucun doute, en faveur du premier. Dans la première hypothèse, nous préférerons Pierre à Jean, et nous donnerons à Jean la préférence sur Pierre, dans la seconde. Nous faisons maintenant une troisième question : Quel est le meilleur des deux disciples ? Est-ce celui qui aime moins vivement que son condisciple le Sauveur Jésus, et qui pourtant est l’objet des prédilections du Christ ? Ou bien, est-ce celui que Jésus aime davantage, sans rencontrer en lui autant d’affection que dans l’autre ? Ici, la réponse est embarrassante à faire, et la question se complique. À mon avis, cependant, je pourrais répondre que celui qui aime plus le Christ est le meilleur, et que celui qui en est aimé davantage est le plus heureux ; mais, pour cela, il me faudrait connaître, aussi bien que je la défendrais, la justice que montre notre Libérateur à aimer moins celui qui l’affectionne plus ardemment et aimer davantage celui qui l’affectionne d’une manière moins vive.
5. Avec le secours de ce Dieu, dont la miséricorde est évidente et dont la justice se voile à nos yeux, je tâcherai, autant qu’il voudra bien me le permettre, d’élucider cette question si obscure ; elle a été, jusqu’à présent, proposée à nos investigations, mais nous ne l’avons pas encore résolue. Pour cela faire, voici quel moyen préliminaire nous emploierons : nous nous rappellerons que nous traînons une vie misérable dans un corps qui se corrompt et appesantit notre âme [667]. Mais, parce que le Médiateur nous a rachetés et que nous avons reçu le gage de l’Esprit-Saint, nous avons dans le cœur l’espérance d’une vie bienheureuse, quoique nous n’en jouissions pas encore en réalité. Si nous voyions l’objet de nos espérances, nous n’espérerions plus ; car est-il possible d’espérer ce qu’on voit de ses yeux ? Dès lors donc que nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience [668]. La patience est indispensable pour endurer le mal, et non pour jouir du bien. De cette vie il a été écrit : « Est-ce que la vie de « l’homme sur la terre n’est pas un combat[669] ? » Pendant sa durée nous sommes chaque jour obligés de crier vers Dieu et de lui dire : « Délivrez-nous du mal[670] ». Par conséquent, celui même qui a obtenu la rémission de ses péchés est forcé d’en endurer les peines ; c’est le premier péché qui l’a fait tomber en cet abîme de maux ; et la punition dure plus que la faute, car on estimerait celle-ci peu grave, si celle-là finissait en même temps que sa cause. C’est donc pour nous convaincre de notre propre misère, c’est pour rendre meilleure cette vie si facilement coupable, c’est pour nous exercer à l’indispensable vertu de patience, qu’en ce monde est puni celui-là même dont les fautes ne sont plus un titre au supplice éternel. Nous devons donc déplorer, mais il ne nous faut point blâmer ce triste état, cette malheureuse existence, qui nous condamne à passer ici-bas de si mauvais jours, et où, néanmoins, nous souhaitons voir des jours meilleurs. Cette condition pénible est un effet de la juste colère de Dieu, dont nous parle en ces termes la sainte Écriture : « L’homme né de la femme vit peu de jours, et il est accablé de la colère divine[671] ». Mais la colère de Dieu n’est point, comme celle de l’homme, le trouble d’un esprit surexcité c’est l’exécution tranquille d’un jugement équitable. Dans le mouvement de sa colère le Seigneur, selon qu’il est écrit, n’enchaîne pas ses miséricordes[672] ; outre les autres adoucissements qu’il ne cesse d’accorder au genre humain pour l’aider à supporter ses épreuves, il a envoyé son Fils unique [673] dans la plénitude des temps, au moment où il savait qu’il opérerait cette œuvre de miséricorde : il a envoyé Celui par qui il a créé toutes choses, afin que, restant Dieu, il se fît homme et devînt médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme[674]. En croyant en lui, les hommes seraient délivrés ; par le baptême de la régénération, de tous leurs péchés ; d’abord du péché originel qu’entraîne à sa suite notre première naissance, et contre laquelle principalement la seconde a été établie ; ensuite, de toutes les autres fautes dont leur mauvaise vie les a rendus coupables ; par là ils seraient préservés de la damnation éternelle, et vivraient dans la foi, l’espérance et la charité, sur cette terre d’exil, au milieu des tentations, des peines et des dangers qu’on y rencontre ; enfin, ils s’avanceraient vers le trône de Dieu, soutenus par ses consolations corporelles et spirituelles, et suivant la voie droite qui est le Christ ; car il est devenu notre vie. Et comme, même en marchant en lui, l’homme se souille toujours de ces péchés qui échappent à la faiblesse humaine, le Seigneur lui a donné, dans l’aumône, un remède salutaire à ses maux, un appui vraiment précieux pour prier ; car il leur a enseigné à dire : « Remettez-nous nos dettes comme nous remet « tons nous-mêmes à nos débiteurs [675] ». Voilà ce que l’espérance du bonheur fait faire à l’Église au milieu des tribulations de ce monde, et l’apôtre Pierre, à cause de la prééminence de son apostolat, représentait l’Église et figurait, en sa personne, la totalité de ses membres. À ne considérer que lui-même, on ne pouvait voir en lui qu’un homme par l’effet de la nature, qu’un chrétien par l’effet de la grâce, qu’un apôtre par l’effet d’une grâce plus abondante ; mais une fois que le Christ lui a eu dit : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délie dans le ciel », il représentait cette Église universelle, que toutes sortes d’épreuves, pareilles à des pluies, à des torrents, à des tempêtes, ne cessent d’assaillir sans jamais la renverser, parce qu’elle est fondée sur la pierre : c’est de là que Pierre a pris son nom. Car ce n’est point de Pierre que vient le nom de la pierre ; mais le nom de Pierre vient de celui de la pierre ; comme le nom du Christ ne dérive pas du mot chrétien ; mais le mot chrétien dérive du nom du Christ. Le Sauveur a dit : « Et sur cette pierre je bâtirai mon Église », parce que Pierre avait dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant[676] ». C’est donc sur cette pierre, dont tu as reconnu l’existence, que je bâtirai mon Église. En effet, la pierre était le Christ, et Pierre lui-même avait été établi sur ce fondement[677]. « Car personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, et ce fondement, c’est Jésus-Christ [678] ». L’Église, qui est fondée sur le Christ, a donc reçu de lui, dans la personne de Pierre, les clefs du royaume des cieux, c’est-à-dire le pouvoir de retenir et de remettre les péchés. Ce que l’Église est par nature dans le Christ, Pierre l’est en figure dans la pierre ; par là, nous voyons que le Christ c’est la pierre, et que Pierre, c’est l’Église. Tout le temps que cette Église, représentée par Pierre, se trouve plongée dans la tribulation, elle en sort victorieuse en aimant et en suivant le Christ, et elle le suit particulièrement dans la personne de ceux qui combattent jusqu’à la mort pour la vérité ; mais à la masse des hommes, rachetée au prix du sang du Christ, il est dit : « Suis-moi » ; et le même Pierre dit du Christ : « Il a souffert pour nous, nous laissant un grand exemple afin que nous marchions sur ses pas [679] ». Voilà pourquoi le Sauveur lui a adressé ces paroles : « Suis-moi ». Mais il y aune autre vie celle-là est immortelle ; on y est préservé de tous maux nous y verrons face à face ce que nous ne voyons ici que comme dans un miroir et sous des images obscures [680]. Alors nous trouverons notre bonheur à contempler la vérité. L’Église connaît donc deux vies, parce que Dieu lui en a parlé et les lui a fait connaître, l’une qui consiste à croire ; l’autre à voir distinctement ; l’une qui s’écoule dans ce triste pèlerinage, l’autre qui demeurera pendant l’éternité ; l’une, qui se passe dans les agitations, l’autre, où l’on se reposera ; l’une, qui appartient à notre voyage ici-bas, l’autre, dont on jouira dans la patrie ; l’une, occupée par le travail, l’autre, récompensée par la claire vue de Dieu ; dans l’une, on évite le mal et l’on fait le bien, dans l’autre, il n’y a aucun mal à éviter, et l’on y jouit d’un bonheur sans limites : l’une consiste à lutter contre l’ennemi, l’autre, à régner sans rencontrer d’adversaire ; dans l’une, on se montre fort contre l’adversité, dans l’autre, rien de pénible ne nous tourmentera ; ici, il faut dompter les convoitises charnelles, là, on sera plongé dans un océan de délices spirituelles ; l’une est troublée par la difficulté de vaincre, l’autre est tranquille parce qu’elle jouit de la paix de la victoire ; au milieu des épreuves, la première a besoin de secours, la seconde ne rencontre aucune difficulté et puise la joie en celui-là même qui aide les malheureux ; dans l’une, on vient au secours des indigents, dans le séjour de l’autre, on ne trouve aucun infortuné ; ici, on pardonne aux autres leurs péchés, afin d’obtenir d’eux indulgence pour les siens ; là, on ne souffre rien qu’on doive pardonner, on ne fait rien qui exige l’indulgence d’autrui ; dans l’une, on est accablé de maux pour que la prospérité n’engendre pas l’orgueil ; dans l’autre, on est comblé d’une telle abondance de grâces, qu’on est à l’abri de tout mal et qu’on s’attache au souverain bien sans éprouver le moindre sentiment d’orgueil ; l’une est témoin du bien et du mal, l’autre ne voit que du bien ; l’une est donc bonne, mais malheureuse, l’autre est meilleure et bienheureuse ; la première a été figurée par l’apôtre Pierre, la seconde par l’apôtre Jean ; l’une s’écoule tout entière ici-bas, elle s’étendra jusqu’à la fin des temps et y trouvera son terme ; l’autre ne recevra sa perfection qu’à la consommation des siècles, mais dans le siècle futur elle n’aura pas de fin.; aussi dit-on à l’une « Suis-moi », et à l’autre : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que t’importe ? Suis-moi ». Que veulent dire ces paroles ? À mon sens, à mon avis, elles n’ont pas d’autre signification que celle-ci : Suis-moi en m’imitant, en supportant comme moi les épreuves de la vie ; pour lui, qu’il demeure jusqu’au moment où je viendrai mettre les hommes en possession des biens éternels. Traduisons cette pensée en termes plus clairs : Suis-moi par une vie active, parfaite et modelée sur l’exemple de ma passion : pour celui qui a commencé à me contempler, qu’il continue jusqu’à ce que je vienne, et quand je viendrai, je porterai à la perfection son habitude de me voir. Celui-là, en effet, marche sur les traces du Christ, qui persiste jusqu’à la mort dans les sentiments d’une entière et pieuse patience ; quant à la plénitude de la science, elle demeure jusqu’à ce que vienne le Christ, et alors elle se montrera au grand jour. Ici, dans la terre des morts, nous avons à supporter les maux de ce monde ; là, dans la terre des vivants, nous contemplerons les biens ineffables du Seigneur. Car ces paroles « Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne », nous ne devons pas y attacher le sens de rester ou de demeurer toujours, mais celui d’attendre, parce que la vie, dont l’apôtre Jean est la figure, se réalisera, non pas maintenant, mais seulement lorsque le Christ sera venu. Mais ce que figure l’Apôtre à qui Jésus a dit : « Suis-moi », doit avoir lieu dès maintenant ; s’il n’en est pas ainsi, nous ne parviendrons jamais à ce que nous attendons. Dans cette vie active, plus vivement nous aimons le Christ, plus facilement nous sommes délivrés de nos maux ; mais tels que nous sommes maintenant, il nous aime moins ; aussi nous délivre-t-il de nos maux, afin que nous ne restions pas dans le même état ; mais, dans l’autre vie, il nous aimera davantage, parce qu’il n’y aura rien en nous qui lui déplaise et qu’il doive faire disparaître ; et s’il nous aime ici-bas, ce n’est que pour nous guérir et nous débarrasser de ce qu’il n’y aime pas. En ce lieu, où il ne veut pas que nous restions, il nous affectionne donc moins ; mais il nous affectionnera davantage dans ce séjour où il veut que nous allions, et d’où il ne veut pas que nous sortions jamais. Que Pierre l’aime donc, afin que nous soyons délivrés de notre condition mortelle ; que Jean soit aimé de lui, afin que nous soyons toujours en possession de l’immortalité future.
6. Le motif ci-dessus indiqué nous fait voir pourquoi le Christ a aimé Jean plus que Pierre, mais il ne nous laisse pas supposer pourquoi l’affection de Pierre pour Jésus a été plus vive que celle de Jean. De ce que, dans le siècle futur, où nous régnerons éternellement avec lui, le Christ nous aimera bien plus qu’il ne nous aime dans ce monde dont nous sortirons pour nous unir à lui d’une manière indissoluble dans le ciel, il ne suit nullement que nous l’aimerons moins, parce qu’alors nous serons devenus meilleurs ; car nous ne pouvons devenir tels, qu’à la condition de l’aimer davantage. Comment donc Jean l’affectionnait-il moins vivement que Pierre, s’il était la figure de cette vie où il faut aimer le Christ bien plus qu’ailleurs ? Le voici : Jésus a dit : « Je veux qu’il demeure », c’est-à-dire qu’il attende, « jusqu’à ce que je vienne », parce que nous ne sommes pas encore animés de cet amour qui atteindra ses dernières limites dans le ciel, et que nous attendons le moment où le Sauveur viendra pour l’aimer parfaitement. En effet, le même Apôtre a écrit dans son épître : « Ce que nous serons un jour ne paraît pas encore : nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à a lui, parce que nous le verrons tel qu’il est [681] ». Ce que nous verrons alors, nous l’aimerons davantage. Pour le Seigneur, il sait ce que sera plus tard en nous notre vie, et comme conséquence anticipée de notre prédestination, il nous aime, dès maintenant, davantage, afin de nous conduire par là à la jouissance de cette vie. Comme la miséricorde et la vérité du Seigneur nous enseignent la sagesse [682], nous connaissons notre misère présente, parce que nous en supportons le fardeau ; aussi, aimons-nous plus vivement cette miséricorde divine, que nous voudrions voir nous délivrer de nos maux, et chaque jour nous la demandons mieux et nous en recevons des preuves plus abondantes pour la rémission de nos péchés : cette vie, Pierre plus aimant, mais moins aimé, la représentait en sa personne, parce que le Christ nous porte moins d’affection lorsque nous sommes plongés dans le malheur, qu’il ne nous aimera quand nous serons heureux. Quant à voir la vérité comme nous la verrons plus tard, nous y tenons moins, parce que nous ne savons encore ce que c’est, et que nous ne jouissons pas maintenant de ce bonheur : la vie qui consistera à contempler Dieu a été figurée par Jean. Il aimait moins, et il attendait la venue du Seigneur pour admirer la vérité et l’aimer comme elle le mérite ; mais il était plus aimé, car ce qu’il figurait procure l’éternel bonheur.
7. Que personne, toutefois, ne sépare l’un de l’autre ces deux illustres Apôtres ; car ils étaient tous deux ce que représentait Pierre, et tous deux ils devaient être ce que représentait Jean. Comme figure, l’un suivait le Christ, l’autre demeurait ; et par la foi ils souffraient également des misères de cette malheureuse vie, et ils attendaient de même les biens à venir de l’éternelle béatitude. Mais ce n’est pas d’eux seuls qu’il en est ainsi : il en est de même de la sainte Église, de l’Epouse du Christ ; car elle souffre au milieu de pareilles tentations, elle est réservée à un bonheur semblable. Pierre et Jean ont figuré ces deux vies, celui-ci l’une, celui-là l’autre : en ce monde, pendant le cours de leur existence mortelle, ils ont marché, d’un même pas, dans le chemin de la foi, et pendant l’éternité en l’autre monde, ils jouiront également de la claire vue de Dieu. Pour gouverner, au milieu des tempêtes innombrables de cette vie, tous les saints qui sont inséparablement unis au corps du Christ, le prince des Apôtres, Pierre, a reçu les clefs du royaume des cieux, et il a le pouvoir de lier et de délier leurs péchés ; et afin d’ouvrir à ces mêmes élus la source où l’on puise dans le sein de la paix la plus profonde, cette vie éternelle dont l’homme ne se fait aucune idée, l’Évangéliste Jean a reposé sur le cœur de son Maître. Pierre n’est pas seul à retenir et à remettre les péchés :1'Église universelle le fait comme lui ; ce n’a pas été non plus un privilège particulièrement réservé à Jean, de puiser au cœur de Jésus, comme à une source, ce qu’il dirait, en annonçant que le Verbe était au commencement, qu’il était Dieu de Dieu ; en faisant connaître tant d’autres choses admirables sur la divinité du Christ, sur la trinité et l’unité de Dieu, et tous ces mystères que nous contemplerons face à face dans le royaume céleste, et qu’il nous faut voir, en attendant la venue du Sauveur, comme dans un miroir et en énigme ; en effet, Jésus-Christ en a disposé ainsi pour le monde entier : tous ses fidèles peuvent boire à la fontaine de l’Évangile, chacun selon ses facultés personnelles. Parmi les commentateurs de la sainte parole, plusieurs, et ce ne sont pas des hommes dont on puisse mépriser les opinions, plusieurs pensent que si le Christ a aimé l’Apôtre Jean d’un amour de prédilection, c’est parce que celui-ci n’a jamais été marié, et que, dès sa plus tendre enfance, il a vécu dans la pratique de la plus délicate pureté[683]. Nous n’en trouvons pas de preuve évidente dans les Écritures canoniques ; ce qui semble, néanmoins, venir à l’appui d’un tel sentiment et en démontrer la convenance, c’est que Jean a été la figure de la vie céleste pendant laquelle ne se célébrera aucune noce.
8. « C’est ce disciple, qui rend témoignage de ces choses, et qui écrit ceci, et nous savons que son témoignage est véridique. Il y a encore beaucoup d’autres choses que fit Jésus ; et si elles étaient rapportées en détail, je ne crois pas que le monde puisse contenir les livres où elles seraient écrites ». On doit bien l’imaginer ; si le monde ne pouvait contenir ces livres, ce ne serait pas faute de place ; car comment les y écrire, s’il était incapable de les supporter ? Il s’agit donc peut-être de la capacité intellectuelle des lecteurs, qui ne pourraient saisir tant de choses : tout en ne portant aucune atteinte à l’idée qu’on doit avoir des choses, les paroles semblent souvent dire plus ou moins : ceci a lieu, non pas quand on explique une chose obscure ou douteuse par sa cause et sa raison d’être, mais quand on ajoute à une chose claire ou qu’on en retranche un point, sans néanmoins s’écarter du sens exact de la vérité à insinuer : en effet, les paroles vont au-delà de la chose dont il est question, de manière à manifester la volonté de la personne qui parle sans intention de tromper, qui sait ce qu’on doit penser, mais qui, par ses paroles, s’en tient plus ou moins loin, soit en y retranchant, soit en y ajoutant. En grec, cette manière de s’exprimer s’appelle hyperbole : les maîtres en littérature grecque et latine lui donnent ce nom ; dans quelques autres livres des saintes Écritures, comme ici, on en trouve des exemples, ainsi : « Ils ont placé leur bouche contre le ciel[684] ». « Le sommet des cheveux de ceux qui marchent dans la voie de leurs péchés [685] ». Il y a beaucoup d’autres exemples de ce genre dans les saints livres : comme les tropes, autres façons de parler. Je m’étendrais davantage sur ce sujet ; mais comme l’Évangéliste termine ici son livre, je me trouve moi-même obligé de mettre fin à mon discours.

  1. Phi. 2, 6-7
  2. Jn. 13, 38
  3. Mat. 20, 9
  4. 1Co. 15, 41-42, 28
  5. 1 Jn. 4, 8
  6. 2Co. 5, 1
  7. Psa. 83, 5
  8. Mat. 6, 9
  9. Isa. 45, 11, suiv. les Septante
  10. Lc. 6, 13
  11. Eph. 1, 4
  12. Rom. 8, 30
  13. 1Co. 3, 17
  14. Id. 15, 23-24
  15. Mat. 13, 24.38-43
  16. Id. 6, 10
  17. Mat. 25, 31
  18. Rom. 1, 17
  19. 2Co. 5, 6-8
  20. Mat. 5, 8
  21. Act. 15, 9
  22. Jn. 15, 4
  23. Jn. 16, 10
  24. Sag. 9, 15
  25. Psa. 122, 1
  26. Isa. 7, 9, suiv. les septante
  27. Phi. 2, 7
  28. Rom. 10, 10
  29. Id. 3, 4
  30. Rom. 6, 9
  31. Mat. 26, 41
  32. Jn. 5, 26
  33. Ps. 41, 7
  34. Jn. 10, 30
  35. Id. 5, 21, 19
  36. Jn. 13, 16
  37. Ps. 17, 2
  38. Act. 5, 15
  39. Mt. 14, 36
  40. Act. 5, 15
  41. Mat. 14, 36
  42. Jn. 15, 5
  43. Ps. 115, 12
  44. Mt. 19, 16-22
  45. Jn. 14, 21
  46. Mt. 7, 24
  47. Jn. 11, 25
  48. Rom. 4, 5
  49. Phil. 2, 12
  50. Mt. 24, 35
  51. 1 Tim. 3, 16
  52. Jac. 4, 3
  53. Nb. 11, 32
  54. 1 Tim. 4, 4
  55. Rom. 14, 20
  56. Gen. 3, 6
  57. Id. 25, 34
  58. 1 Cor. 15, 10
  59. 2 Cor. 12, 8
  60. Gal. 6, 9
  61. Mt. 6, 9-13
  62. Rom. 5, 5
  63. 1 Cor. 12, 3
  64. Tit. 1, 16
  65. 1 Cor. 11, 12
  66. Jn. 20, 22
  67. Act. 2, 4
  68. 2 R. 11, 9
  69. Jn. 3, 34
  70. Col. 2, 9
  71. 1 Tim. 2, 5
  72. Lc. 4, 18-21
  73. Id. 2, 40
  74. Rom. 12, 3
  75. 1 Cor. 12, 4
  76. 1 Jn. 2, 1
  77. Rom. 8, 7
  78. 1 Jn. 2, 16
  79. Ps. 9, 14
  80. Mt. 9, 15
  81. 1 Cor. 15, 21-22
  82. 2 Cor. 5, 6
  83. 1 Jn. 3, 2
  84. Rom. 8, 10
  85. Jn. 15, 5
  86. Ps. 42, 1
  87. 1 Cor. 13, 1-3
  88. Ps. 67, 7
  89. Act. 1, 11
  90. Jn. 11, 18
  91. Jn. 14, 17
  92. Jn. 1, 1
  93. Jn. 14, 17
  94. Psa. 2, 7
  95. Jn. 6, 45
  96. Mat. 23,10
  97. Act. 5, 20
  98. 1Co. 4, 5
  99. Eph. 2, 14
  100. 1Jn. 3, 2
  101. 2Co. 5,6-7
  102. Mat. 6, 12
  103. Rom. 7, 22-23
  104. Phil. 2, 6-7
  105. Jn. 10, 30
  106. Jn. 1, 1, 14
  107. Lc. 2, 51
  108. Jn. 20, 29
  109. Héb. 11, 1
  110. Jac. 4, 4
  111. Jn. 1, 10
  112. Eph. 6, 12
  113. Id. 5, 8
  114. Col. 1,12-13
  115. Ps. 68, 5
  116. 1 Tim. 2, 5
  117. Jer. 2, 21
  118. Isa. 5, 4
  119. Jn. 14, 28
  120. Id. 10, 30
  121. Id. 1, 1, 14
  122. 1 Cor. 3, 5-7
  123. 1 Jn. 1, 8-9
  124. Jn. 13, 10
  125. Rom. 10, 8-10
  126. Act. 15,9
  127. 1 Pi. 3, 21
  128. Eph. 5, 25, 26
  129. Rom. 10, 3
  130. 2 Tim. 3, 8
  131. Ez. 15, 5
  132. Mt. 6, 9
  133. Ps. 102, 18
  134. Rom. 4, 2
  135. Traité 81, n. 2
  136. Mt. 5, 16
  137. Eph. 2, 10
  138. Gal. 5, 6
  139. 1 Jn. 4, 19
  140. 1 Tim. 2, 5
  141. Lc. 2, 52
  142. Ps. 3, 4
  143. Jn. 1, 1, 14
  144. Jn. 13, 8
  145. Eph. 1, 4
  146. Traité LXV
  147. Jn. 13, 34
  148. 1 Cor. 13, 13
  149. Rom. 13, 10
  150. Jac. 2,19
  151. Ps. 10, 6
  152. 1 Cor. 15, 28
  153. Jn. 3, 18
  154. Prov. 23, 1, 2
  155. 1 Pi. 2, 21
  156. Jn. 10, 18
  157. Act. 2, 31
  158. Prov. 23, 3-5
  159. Gal. 2, 20
  160. Lc. 6, 46
  161. Mt. 25, 21
  162. 1 Jn. 4, 18
  163. Ps. 18, 10
  164. Rom. 8, 15
  165. Id. 11, 20
  166. Jn. 8, 35
  167. Id. 1, 12
  168. 1 Cor. 4, 7
  169. Id. 2, 12
  170. Id. 1, 31
  171. Jn. 16, 12
  172. Isa. 45, 11
  173. Ps. 21, 18
  174. 1 Cor. 13, 10, 12
  175. Tit. 3, 5
  176. Rom. 8, 24-25
  177. 1 Pi. 1,8-9
  178. Gal. 5, 6
  179. Rom. 8, 23
  180. 2 Cor. 4,16
  181. Ps. 83, 11
  182. Id. 58, 11
  183. Eph. 1, 4
  184. Rom. 11, 5, 6
  185. Rom. 14, 23
  186. Jn. 15, 5
  187. 1 Tim. 1, 5
  188. Mt. 22, 40
  189. Gal. 5, 22
  190. 2 Cor. 5, 19
  191. Jn. 3, 16
  192. 1 Jn. 2, 1-2
  193. Rom. 9, 21-23
  194. Rom. 11, 5-6
  195. Ps. 10, 6
  196. 1 Jn. 2, 15
  197. Lc. 6, 27
  198. 1Pi. 2, 21
  199. Jn. 15, 5 ; 18, 15
  200. Id. 8, 35
  201. 1Jn. 4, 18
  202. Psa. 18, 10
  203. Mat. 25, 21
  204. Id. 5, 10
  205. 1Co. 1, 30, 31
  206. Jn. 15, 19
  207. Sag. 6, 16
  208. 2 Cor. 2, 16
  209. Mt. 10, 40
  210. Lc. 10,10
  211. 2 Cor. 13, 3
  212. Rom. 2, 12
  213. Id. 7, 12
  214. Lc. 19, 10
  215. 2 Cor. 10, 13
  216. Id. 4, 5
  217. 1 R. 17, 21-22
  218. 2 R. 4, 35
  219. Id. 13, 21
  220. Mt. 14, 15-21 ; 15, 32-38
  221. Id. 14, 25, 29
  222. Jn. 2, 9
  223. Id. 9, 7
  224. Ex. 7-12
  225. Ex. 14, 21-29
  226. Id. 16
  227. Id. 17, 6
  228. Jos. 3,1 et suiv.
  229. Id. 10, 12-14
  230. Jug. 15, 19
  231. 2 R. 2, 11
  232. Dan. 6, 22
  233. Id. 3, 93
  234. Mrc. 1, 32-34
  235. Mat. 8, 17
  236. Mrc. 6, 56
  237. Mt. 6, 11
  238. Ps. 71, 18
  239. Act. 2, 2
  240. Rom. 5, 5
  241. Mt. 26, 69-74
  242. 1 Jn. 4, 18
  243. Jn. 21, 15
  244. Act. 2-5
  245. Ps. 18, 5
  246. Jn. 15, 20
  247. Ps. 118, 165
  248. Rom. 5, 5
  249. Rom. 11, 17
  250. Rom. 5, 5
  251. Id. 5, 41
  252. Rom. 10, 3
  253. Ps. 88, 16-18
  254. Rom. 10, 2, 3
  255. Jn. 12, 19
  256. Id. 11, 48, 50
  257. Id. 15,20
  258. Rom. 10, 2
  259. Id. 11, 25, 17
  260. Act. 2-4
  261. Ps. 41, 9
  262. Mt. 24, 9 ; Marc, 13, 9-13 ; Luc, 21, 12-17
  263. Mt. 10, 17
  264. 1 Cor. 13, 7
  265. Rom. 5, 5
  266. Jn. 16, 4
  267. Id. 13, 36
  268. Act. 1, 9-11
  269. Jn. 1, 32
  270. 2 Cor. 5, 16
  271. Mt. 28, 20
  272. Jn. 14, 23
  273. Jn. 16, 8-11
  274. Jn. 15, 22, 19
  275. Id. 17, 25
  276. Mt. 25, 41
  277. Act. 1, 7, 8
  278. 2 Cor. 13, 3
  279. Rom. 5, 5
  280. Jn. 4, 18
  281. Traité XX
  282. Eccl. 7, 21, 17
  283. Eph. 5, 13
  284. Jn. 20, 29
  285. Rom. 1, 17 ; Habac. 2, 4 ; Hébr. 10, 1
  286. 1 Cor. 15, 8
  287. Act. 7, 55
  288. Rom. 8, 3
  289. Jn. 14, 31
  290. Id. 1, 10
  291. Id. 3, 17
  292. Eph. 5, 8
  293. Jn. 12, 31
  294. 2 Pi. 2, 4
  295. Jn. 15, 15
  296. Isa. 45, 11, suiv. les Septante
  297. Jn. 13, 36-38
  298. Jn. 1, 1, 2
  299. Rom. 5, 5; Jean, 6, 45
  300. Ps. 85, 11
  301. Jn. 6, 45
  302. Mt. 18, 10
  303. Sag. 9, 15
  304. 2 Cor. 1, 22
  305. 1 Cor. 13, 9, 12
  306. Eph. 5, 12
  307. Eph. 4, 23
  308. Rom. 12, 2
  309. Eph. 3, 17-19
  310. 2 Cor. 1, 22
  311. 1 Cor. 2, 9
  312. 1 Cor. 6, 6
  313. Prov. 9, 13-17
  314. 2 Tim. 4, 3-4
  315. 2 Tim. 2, 16, 17
  316. Act. 11, 26
  317. Jn. 10, 30
  318. Id. 13, 34
  319. 1 Tim. 6, 20
  320. 1 Cor. 3, 1-2
  321. Id. 2, 6, 13-14
  322. 1 Cor. 3, 1, 2
  323. 1 Cor. 1, 23-24
  324. Id. 12
  325. Gal. 6, 14
  326. 1 Cor. 14, 37-38
  327. Gal. 4, 9
  328. Eph. 1, 4
  329. 1 Cor. 2, 2
  330. 1 Cor. 2, 14
  331. Id. 1, 30-31
  332. Id. 12
  333. Héb. 5, 12-14
  334. Col. 2, 5
  335. 1 Thes. 3 10
  336. Héb. 6, 1, 2
  337. Jn. 1, 1, 14
  338. Phil. 3, 15, 16
  339. Rom. 1, 21
  340. Gal. 1, 9
  341. Jn. 6, 45
  342. 2 Cor. 12, 2, 4
  343. Jn. 5, 30
  344. Traité 19, XXII
  345. Phil. 2, 8
  346. Jn. 5, 22, 27
  347. Phil. 2, 6, 7
  348. Rom. 5, 19
  349. Jn. 10, 30
  350. Id. 14, 28
  351. Mat. 3,16
  352. Act. 2, 3
  353. Luc. 9, 35
  354. Eph. 5, 2
  355. Apo. 3, 16
  356. Jn. 4, 34
  357. Can. 2, 6
  358. Jn. 1, 9, 1
  359. Can. 1, 3
  360. Psa. 35, 10
  361. Id. 72, 28
  362. Jn. 5, 26
  363. Ex. 3, 14
  364. Mt. 10, 20
  365. Gal. 4, 6
  366. Eph. 4, 4-6
  367. Rom. 8, 11, 9
  368. Jn. 4, 24
  369. Id. 20, 22
  370. Lc. 8, 46
  371. Id. 1, 34, 35
  372. Id. 24, 49
  373. Act. 1, 8
  374. Lc. 6, 19
  375. Jn. 15, 26
  376. Id. 7, 16
  377. Mat. 10, 20
  378. Ps. 9, 3
  379. Psa. 107, 6
  380. Luc. 15, 31
  381. Jn. 17, 10
  382. Jn. 16, 10
  383. Traité XCV
  384. Jac. 4, 4
  385. Rom. 6, 9
  386. Act. 1, 6
  387. Id. 7, 58
  388. Jn. 20, 27
  389. Jn. 14, 21
  390. 1 Jn. 3, 2
  391. Jn. 17, 3
  392. 1Co. 13, 12-13
  393. Jn. 14, 8-10
  394. Jn. 2, 18
  395. Act. 1, 3, 9
  396. Mat. 28, 20
  397. Rom. 12,12
  398. Traité LXXIII
  399. Gal. 6, 3
  400. 1 Cor. 13, 12
  401. Mt. 11, 27
  402. 1 Jn. 3, 2
  403. Ps. 102, 5
  404. Id. 16, 15
  405. 1 Cor. 2, 6
  406. Id. 3, 1
  407. Id. 2, 12-15
  408. Jn. 4, 10
  409. Rom. 5, 5,
  410. Jn. 16, 25-28
  411. Luc. 24, 21
  412. 1Co. 15, 57
  413. Jn. 11, 25, 26
  414. Gal. 4, 4
  415. Isa. 49, 8
  416. 2 Cor. 6, 2
  417. Rom. 8, 32
  418. Phil. 2, 7-11
  419. Ps. 75, 2
  420. Id. 112, 3, 1
  421. Rom. 13, 1
  422. Jn. 1, 3
  423. Col. 1, 16
  424. Ps. 83, 5
  425. 1 Pi. 2, 21
  426. Ps. 21, 17, 18
  427. Jn. 15, 15
  428. Id. 16, 12
  429. Isa. 45, 11, suiv. les Septante
  430. Eph. 1, 4
  431. 1 Tim. 2, 5
  432. Rom. 4, 17
  433. Id. 8, 28-30
  434. Rom. 1, 1-4
  435. Ps. 34, 18
  436. Jn. 17, 4
  437. Mt. 28, 20
  438. Jn. 17, 1-20
  439. Ps. 75, 2
  440. Jn. 16, 25
  441. Jn. 15, 15
  442. Jn. 15, 19
  443. Jn. 16, 31, 32
  444. Mat. 26, 63-74
  445. Mat. 10, 33
  446. Luc. 15, 31
  447. Mat. 22, 30
  448. Jn. 16, 15
  449. Jn. 17, 1, 5
  450. Jn. 10, 30
  451. Id. 14, 28
  452. Jn. 16, 23
  453. Jn. 15, 19
  454. Phil. 1, 6
  455. Jn. 14, 6
  456. Id. 8, 32, 36
  457. Id. 1,1,14
  458. Rom. 8, 3
  459. Gal. 3, 29,16
  460. Col. 1, 24
  461. Jn. 15, 27
  462. Id. 19, 38
  463. Jn. 2, 23 ; 4, 39 ; 7, 31 ; 8, 30 ; 10, 42
  464. Mt. 21, 7, 16 ; Ps. 8, 3
  465. 1 Cor. 15, 6
  466. Act. 1, 15 ; 2, 4
  467. Lc. 2, 25-38
  468. Id. 1, 41-45, 67-79
  469. Jn. 1, 19-36 ; 3, 26-36
  470. Mt. 16, 16, 23
  471. Gal. 1, 1, 12
  472. Lc. 23, 42
  473. Job. 7, 1
  474. Gal. 2, 2, 9
  475. 1 Cor. 15, 11
  476. Rom. 10, 8-9
  477. Act. 17, 31
  478. 1 Thes. 2, 13
  479. Act. 6, 1-4
  480. Jn. 17, 11
  481. Jn. 10, 30
  482. Gal. 3, 28
  483. Jn. 17, 9
  484. 1 Cor. 11, 32
  485. Jn. 3, 17
  486. 2 Cor. 5, 19
  487. Eph. 5, 8
  488. Jn. 5, 21, 19
  489. Id. 2, 19
  490. Jn. 14, 23
  491. 1 Cor. 3, 23
  492. Jn. 17, 8
  493. Eph. 1, 4
  494. Jn. 17, 18
  495. Rom. 5, 8, 9
  496. Ps. 5, 7
  497. Sag. 11, 25
  498. Rom. 5, 6
  499. Lc. 20, 36
  500. Rom. 12, 12
  501. Ps. 115, 11
  502. Id. 16, 33
  503. Jn. 14, 6
  504. Id. 6, 44
  505. Jn. 17, 2
  506. Mat. 26, 39
  507. Rom. 1, 3
  508. Jn. 3, 13
  509. Eph. 2, 4-6
  510. Luc. 23, 43
  511. Psa. 138,8
  512. Sag. 7,24
  513. Jn. 1, 5
  514. Mt. 12, 30
  515. 1 Jn. 3, 2
  516. Héb. 11, 1
  517. Isa. 26,10
  518. Mat. 5, 8
  519. Id. 25, 46
  520. Jn. 17, 3
  521. Id. 14, 10
  522. Id. 17, 21
  523. Psa. 75, 3
  524. Col. 3, 1-4
  525. 2Ti. 4, 7
  526. Lc. 22, 51
  527. Rom. 7, 6
  528. Gal. 4, 24
  529. Rom. 8, 31, 32
  530. Eph. 5, 2
  531. Ps. 33, 6
  532. Id. 115, 16
  533. Eph. 5, 2
  534. Rom. 8, 32
  535. Mt. 25, 57
  536. Jn. 13, 23 ; 19, 26
  537. Id. 13, 37
  538. Mt. 26, 34
  539. Act. 11, 26
  540. Mt. 16, 19
  541. Jn. 16, 25
  542. Deut. 19, 15
  543. Mt. 10, 27
  544. Mc. 4, 12
  545. Ps. 44, 5
  546. Mt. 5, 39
  547. Ps. 56, 8
  548. Lc. 3,2
  549. Jn. 13, 38
  550. Jn. 18, 24
  551. Ps. 34, 12
  552. Deut. 13, 5
  553. Jn. 19, 6
  554. Ps. 56, 5
  555. Lc. 22, 52
  556. Mc. 10, 33, 31
  557. Ps. 93, 11
  558. Mt. 2, 3, 16
  559. Ps. 2, 6
  560. Jn. 17, 16
  561. Mt. 13, 38, 41
  562. Jn. 15, 19
  563. Col. 1, 13
  564. 2 Thes. 3, 2
  565. Jn. 14, 6
  566. Id. 8, 18
  567. Rom. 8, 18
  568. 2 Tim. 1, 8, 9
  569. Mt. 26, 63 ; 27, 14 ; Marc, 14, 61 ; 15, 5 ; Luc, 23, 7-9 ; Jean, 19, 9
  570. Isa. 53, 7
  571. Rom. 13, 1
  572. Mc. 15, 25
  573. Jn. 18, 31
  574. Id. 14, 23
  575. Mc. 15, 25
  576. Mt. 27, 45, Marc, 15, 33 ; Luc, 23, 44
  577. Jn. 19,6
  578. Jn. 19, 14
  579. 1 Cor. 5, 7
  580. Mt. 26, 66
  581. De l’accord des Évangiles, livre 3, c. 13, n. 40-50,
  582. Gal. 6, 14
  583. Mt. 5, 15
  584. Id. 27, 38 ; Marc, 15, 27 ; Luc, 23, 12, 33
  585. Isa. 53, 12
  586. Tit. des Ps. 56-57
  587. Ps. 2, 6-8
  588. Jn. 10, 16
  589. Rom. 11, 17
  590. Id. 9, 7-8
  591. Gal. 3, 29
  592. Rom. 2, 29
  593. Gal. 4, 22-31
  594. Mt. 27, 35
  595. Mc. 15, 34
  596. Lc. 23, 34
  597. Mt. 24, 31
  598. 1 Cor. 12, 31
  599. Eph. 3, 19
  600. Col. 3,14
  601. Mt. 16, 15-16, 19
  602. Eph. 3, 18
  603. Gal. 5, 21
  604. Jn. 2, 4
  605. 1 Tim. 5, 8
  606. Jn. 13, 23
  607. Mt. 19, 27, 29
  608. 2 Cor. 6, 10
  609. Act. 4, 32-35
  610. Psa. 68, 22
  611. Id. 50, 8
  612. Phi. 2, 8
  613. Mat. 28, 48 ; Marc, 15, 36
  614. Jn. 10, 18
  615. Gen. 6, 16
  616. Id. 2, 22
  617. Id. 3, 20
  618. 1 Cor. 5, 7
  619. Isa. 53, 7
  620. Jn. 3, 1, 2
  621. Mt. 28, 1
  622. Ps. 67, 5
  623. Luc. 24, 39
  624. Mat. 28, 9
  625. Isa. 26, 5
  626. Mt. 4, 19
  627. Id. 19, 21-22, 27
  628. Lc. 9, 62
  629. Jn. 20, 21-23
  630. 2 Thes. 3, 8
  631. 1 Cor. 15, 10
  632. 1 Cor. 9, 11-15
  633. Mt. 6, 33
  634. Mt. 13, 48, 49
  635. Lc. 5, 3-7
  636. Ps. 39, 6
  637. Deut. 9, 10
  638. 2 Cor. 3,6
  639. Jn. 4, 24
  640. Gen. 1, 2-3
  641. Isa. 11, 2-3
  642. Apoc. 3, 1
  643. 1 Cor. 12, 11
  644. Act. 2, 2-4 ; 1, 4
  645. Mat. 12, 47
  646. Id. 5, 17-20
  647. Id. 23, 2-3
  648. Mat. 11, 11
  649. Jn. 21, 9-10
  650. Jn. 6, 41
  651. Jn. 13, 37
  652. Mat. 16, 21, 22
  653. Phi. 2, 21
  654. 2Ti. 3, 1-5
  655. 1Ti. 1,7
  656. Phi. 1, 23
  657. 2Co. 5, 4
  658. Mat. 26, 39
  659. Jn. 10, 18, 11
  660. Act. 12, 2
  661. Deut. 34, 6
  662. Mt. 17, 3
  663. 2 R. 2, 11
  664. Mt. 27, 52, 53
  665. Phil. 1, 23
  666. Jn. 21, 15-16
  667. Sag. 9, 15
  668. Rom. 8, 21, 25
  669. Job. 7, 1
  670. Mt. 6, 13
  671. Job. 14, 1
  672. Ps. 76, 10
  673. Gal. 4, 4
  674. 1 Tim. 2, 5
  675. Mt. 6, 12
  676. Id. 16, 16-19
  677. 1 Cor. 10, 4
  678. 1 Cor. 3, 11
  679. 1 Pi. 2, 21
  680. 1 Cor. 13, 12
  681. Jn. 3, 2
  682. Ps. 24, 10
  683. Jérôme, livre premier, contre Jovinien
  684. Ps. 72, 9
  685. Id. 67, 22