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L’Encyclopédie/1re édition/ASTROLOGIE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 780-783).
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ASTROLOGIE, s. f. Astrologia. Ce mot est composé de ἀστὴρ, étoile, & de λόγος, discours. Ainsi l’Astrologie seroit, en suivant le sens littéral de ce terme, la connoissance du ciel & des astres : & c’est aussi ce qu’il signifioit dans son origine. C’est la connoissance du ciel & des astres, qui faisoit l’Astrologie ancienne : mais la signification de ce terme a changé ; & nous appellons maintenant Astronomie ce que les anciens nommoient Astrologie. Voyez Astronomie.

L’Astrologie est l’art de prédire les évenemens futurs par les aspects, les positions, & les influences des corps célestes. Voyez Aspect, Influence, &c.

On divise l’Astrologie en deux branches ; l’Astrologie naturelle, & l’Astrologie judiciaire.

L’astrologie naturelle est l’art de prédire les effets naturels, tels que les changemens de tems, les vents, les tempêtes, les orages, les tonnerres, les inondations, les tremblemens de terre, &c. Voyez Naturel ; voyez aussi Tems, Vent, Pluie, Ouragan, Tonnerre, Tremblement de terre, &c.

C’est à cette branche que s’en est tenu Goad, Auteur anglois, dans l’ouvrage en deux volumes, qu’il a intitulé l’Astrologie. Il prétend que la contemplation des astres peut conduire à la connoissances des inondations, & d’une infinité d’autres phénomenes. En conséquence de cette idée, il tâche d’expliquer la diversité des saisons par les différentes situations & les mouvemens des planetes, par leurs rétrogradation, par le nombre des étoiles qui composent une constelation, &c.

L’Astrologie naturelle est elle-même, à proprement parler, une branche de la Physique ou Philosophie naturelle ; & l’art de prédire les effets naturels, n’est qu’une suite à posteriori, des observations & des phénomenes.

Si l’on est curieux de savoir quels sont les vrais fondemens de l’Astrologie naturelle, & quel cas l’on peut faire de ses prédictions, on n’a qu’à parcourir les articles Air, Atmosphere, Tems, Barometre, Eclipse, Comete, Planete, Hygrometre, Ecoulement, Emission, &c.

M. Boyle a eu raison quand il a fait l’apologie de cette Astrologie dans son histoire de l’air. La génération & la corruption étant, selon lui, les termes extrèmes du mouvement ; & la raréfaction & la condensation, les termes moyens, il démontre conséquemment à ce principe, que les émanations des corps célestes contribuant immédiatement à la production des deux derniers effets, elles ne peuvent manquer de contribuer à la production des deux premiers, & d’affecter tous les corps physiques. Voyez Génération, Corruption, Raréfaction, Condensation, &c.

Il est constant que l’humidité, la chaleur, le froid, &c. (qualités que la nature employe à la production de deux effets considérables, la condensation & la raréfaction) dépendent presque entierement de la révolution des mouvemens, de la situation, &c. des corps célestes. Il n’est pas moins certain que chaque planete doit avoir une lumiere qui lui est propre ; lumiere distincte de celle de tout autre corps ; lumiere qui n’est pas seulement une qualité visible en elle, mais en vertu de laquelle elle est doüée d’un pouvoir spécifique. Le soleil, comme nous le savons, éclaire non-seulement toutes les planetes, mais il les échauffe encore par sa chaleur primordiale, les ranime, les met en mouvement, & leur communique des propriétés qui leur sont particulieres à chacune. Mais ce n’est pas tout : ses rayons prennent sur ces corps une espece de teinture ; ils s’y modifient ; & ainsi modifiés, ils sont refléchis sur les autres parties du monde, & sur-tout sur les parties circonvoisines du monde planétaire. Ainsi selon l’aspect plus ou moins grand que les planetes ont avec cet astre, selon le degré dont elles en sont éclairées, le plus ou moins d’obliquité sous laquelle elles reçoivent ses rayons, le plus ou moins de distance à laquelle elles en sont placées, les situations différentes qu’elles ont à son égard ; ses rayons en ressentent plus ou moins la vertu ; ils en partagent plus ou moins les effets ; ils en prennent, si on peut parler ainsi, une teinture plus ou moins forte : & cette vertu, ces effets, cette teinture, sont ensuite plus ou moins énergiques sur les êtres sublunaires. Voyez Mead, de imperio solis & lunæ, &c.

L’Astrologie judiciaire à laquelle on donne proprement le nom d’Astrologie, est l’art prétendu d’annoncer les évenemens moraux avant qu’ils arrivent. J’entends par évenemens moraux, ceux qui dépendent de la volonté & des actions libres de l’homme ; comme si les astres avoient quelque autorité sur lui, & qu’il en fût dirigé. Voyez Volonté, Action, &c.

Ceux qui professent cet Art prétendent que « le ciel est un grand livre où Dieu a écrit de sa main l’histoire du monde, & où tout homme peut lire sa destinée. Notre Art, disent-ils, a eu le même berceau que l’Astronomie. Les anciens Assyriens qui joüissoient d’un ciel dont la beauté & la sérénité favorisoient les observations astronomiques, s’occuperent des mouvemens & des révolutions périodiques des corps célestes : ils remarquerent une analogie constante entre ces corps & les corps terrestres ; & ils en conclurrent que les astres étoient réellement ces parques & ce destin dont il étoit tant parlé, qu’ils présidoient à notre naissance, & qu’ils disposoient de notre état futur ». V. Horoscope, Naissance, Maison, Parque, Destinée, &c. Voilà comment les Astrologues défendoient jadis leur Art. Quant à présent, l’occupation principale de ceux à qui nous donnons ce titre, est de faire des almanachs & des calendriers. Voyez Calendrier & Almanach.

L’Astrologie judiciaire passe pour avoir pris naissance dans la Chaldée, d’où elle pénétra en Egypte, en Grece, & en Italie. Il y a des auteurs qui la font Egyptienne d’origine, & qui en attribuent l’invention à Cham : quant à nous, c’est des Arabes que nous la tenons. Le peuple Romain en fut tellement infatué, que les Astrologues ou Mathématiciens, car c’est ainsi qu’on les appelloit, se soûtinrent dans Rome malgré les édits des Empereurs qui les en bannissoient. Voyez Généthliaques.

Quant aux autres contrées ; les Brames ou Bramines qui avoient introduit cet art prétendu dans l’Inde, & qui l’y pratiquoient, s’étant donnés pour les dispensateurs des biens & des maux à venir, exercerent sur les peuples une autorité prodigieuse. On les consultoit comme des oracles, & on n’en obtenoit des réponses qu’à grands frais : ce n’étoit qu’à très haut prix qu’ils vendoient leurs mensonges. Voyez Brachmane.

Les anciens ont donné le nom d’Astrologie apotelesmatique ou sphere barbarique, à cette science pleine de superstition, qui concerne les effets & les influences des astres. Les anciens Juifs, malgré leur religion, sont tombés dans cette superstition, dont les Chrétiens eux-mêmes n’ont pas été exempts. Les Grecs modernes l’ont portée jusqu’à l’excès, & à peine se trouve-t-il un de leurs auteurs, qui, en toute occasion, ne parle de prédictions par les astres, d’horoscopes, de talismans ; ensorte qu’à peine, si on veut les en croire, il y avoit une seule colonne, statue ou édifice dans Constantinople & dans toute la Grece, qui ne fût élevée suivant les regles de l’Astrologie apotelesmatique ; car c’est de ce mot ἀποτέλεσμα, qu’a été formé celui de talisman.

Nous avons été infectés de la même superstition dans ces derniers siecles. Les historiens François observent que l’Astrologie judiciaire étoit tellement en vogue sous la reine Catherine de Médicis, qu’on n’osoit rien entreprendre d’important sans avoir auparavant consulté les astres : & sous les regnes de Henri III. & de Henri IV. il n’est question dans les entretiens de la cour de France, que des prédictions des Astrologues.

Barclay a fait dans le second livre de son Argenis, une satyre ingénieuse du préjugé singulier qu’on avoit pris dans cette cour. Un Astrologue qui s’étoit chargé de prédire au roi Henri l’évenement d’une guerre dont il étoit menacé par la faction des Guises, donna occasion à la satyre de Barclay. « Vous dites, devin prétendu, dit Barclay, que c’est de l’influence des astres qui ont présidé à notre naissance, que dépendent les différentes circonstances heureuses ou malheureuses de notre vie & de notre mort ; vous avoüez d’un autre côté que les cieux ont un cours si rapide, qu’un seul instant suffit pour changer la disposition des astres : comment concilier ces deux choses ? & puisque ce mouvement si prompt qu’on ne peut le concevoir, entraîne avec lui tous les corps célestes ; les promesses ou les menaces qui y sont attachées, ne doivent-elles pas aussi changer selon leurs différentes situations : pour lors comment fixer les destinées ? Vous ne pouvez savoir (connoissance pourtant, selon vous, nécessaire) sous quel astre une personne sera née ; vous croyez peut-être que le premier soin des sages femmes est de consulter à la naissance d’un enfant toutes les horloges, de marquer exactement les minutes, & de conserver à celui qui vient de naître ses étoiles comme son patrimoine : mais souvent le péril des meres ne laisse pas lieu à cette attention. Quand on le pourroit ; combien y en a t-il qui négligent de la faire, étant au-dessus de pareilles superstitions ? En supposant même qu’on ait étudié ce moment, l’enfant peut ne pas paroître dans l’instant ; certaines circonstances peuvent laisser un long intervalle : d’ailleurs les cadrans sont ils toûjours justes & exacts ? les horloges, quelque bonnes qu’elles soient, ne se démentent-elles pas souvent par un tems ou trop sec ou trop humide ? qui peut donc assûrer que l’instant auquel des personnes attentives auront placé la naissance d’un enfant, soit le véritable moment qui réponde à son étoile ?

« Je suppose encore avec vous qu’on ait trouvé ce point juste, l’étoile qui a présidé, sa situation, sa force ; pourquoi considérer entre les étoiles celles qui dominoient pendant que le fruit s’animoit dans le ventre de la mere, plûtôt que celles qui paroissoient pendant que le corps encore tendre & l’ame ignorante d’elle-même apprenoit dans sa prison à supporter patiemment la vie.

« Mais laissant toutes ces difficultés, je vous accorde que l’état du ciel étoit bien connu au moment de la naissance : pourquoi faire émaner des astres un pouvoir absolu, je ne dis pas seulement sur les corps, mais aussi sur les volontés ? il faut donc que ce soit d’eux que j’attende mon bonheur ; que ma vie & ma mort en dépendent. Ceux qui s’engagent dans le parti des armes, & qui périssent dans une même bataille, sont-ils nés sous la même constellation ? & peut-on dire qu’un vaisseau qui doit échoüer, ne recevra que ceux que leurs mauvaises étoiles auront condamnés en naissant à faire naufrage ? L’expérience nous fait voir tous les jours que des personnes nées dans des tems bien différens, se livrent au combat, ou montent un vaisseau où ils périssent, n’ayant de commun que l’instant de la mort. Tous ceux qui viennent au monde sous la même disposition du ciel, ont-ils pour cela une même destinée pour la vie & pour la mort ? Vous voyez ici le Roi ; croyez-vous que ceux qui sont nés sous la même étoile, possedent des royaumes, ou pour le moins des richesses, qui prouvent l’heureuse & favorable influence des astres dans leur naissance ? croyez-vous même qu’ils ayent vécu jusqu’à présent ? Voilà M. de Villeroy ; ceux qui sont nés sous la même planete, ont-ils sa sagesse en partage ? sont-ils comme lui honorés de la faveur du prince ? Et ceux qui sont nés dans le même instant que vous, sont-ils tous Astrologues, pour ne rien dire de pis ? Que si quelqu’un périt par la main d’un voleur, son sort, dites-vous, exigeoit qu’il fût tué par la main de ce misérable. Quoi donc ces mêmes astres qui avoient destiné le voyageur dans le moment de sa naissance, à être un jour exposé au fer d’un assassin, ont aussi donné à l’assassin, peut-être long-tems avant la naissance du voyageur, l’intention & la force pour vouloir & pouvoir exécuter son mauvais dessein ? car les astres, à ce que vous prétendez, concourent également à la cruauté de celui qui tue, & au malheur de celui qui est tué. Quelqu’un est accablé sous les ruines d’un bâtiment ; est-ce donc parce qu’il est condamné par sa destinée à être enseveli dans sa propre maison, que les murs en sont tombés ? On doit raisonner de même à l’occasion des dignités où l’on n’est élevé que par suffrages. La planete ou les astres qui ont présidé à la naissance d’une personne, & qui dans vos principes lui ont destiné des grandeurs, ont-ils pû aussi étendre leur pouvoir jusque sur d’autres hommes qui n’étoient pas encore nés, de qui dépendoient toutefois tous les effets de ces heureuses influences ?

« Ce qu’il pourroit y avoir de vrai, en supposant la réalité des influences des corps célestes, c’est que comme le soleil produit des effets différens sur les choses différentes de la terre, quoique ce soit toûjours les mêmes rayons & la même lumiere, qu’il échauffe & entretient quelques semences, qu’il en fait mourir d’autres, qu’il desseche de petites herbes, tandis que d’autres qui ont plus de suc résistent davantage ; de même aussi plusieurs enfans qui naissent en même tems ressemblent à un champ préparé de différentes manieres, selon la différence du naturel, du tempérament & des habitudes de ceux à qui ils doivent le jour. Cette puissance des astres qui est une pour tous ces enfans, ne doit point dans tous produire les mêmes effets. Si le naturel de l’enfant a quelque rapport avec cette puissance, elle y dominera : s’il est opposé, je doute même qu’elle le corrige. De façon que pour juger sainement quel doit être le caractere d’un enfant, il ne faut pas s’arrêter seulement à considérer les astres, il faut encore remonter aux parens, faire attention à la condition de la mere pendant qu’elle étoit enceinte, & à beaucoup d’autres choses qui sont inconnues.

« Enfin, je vous demande, Chaldéen, si cette influence que vous regardez comme la cause du bonheur ou du malheur, demeurera toûjours au ciel jusqu’au tems marqué, pour descendre ensuite sur terre, & y faire agir des instrumens propres à ce que les astres avoient arrêté ; ou si renfermée dans l’enfant, entretenue & croissant avec lui, elle doit en certaines occasions se faire jour pour accomplir les decrets irrévocables des astres ? Si vous prétendez qu’elle demeure au ciel, il y a dans vos principes une contradiction manifeste ; car puisque le bonheur ou le malheur de celui qui vient au monde, dépend de la maniere dont les astres étoient joints dans le moment de sa naissance, le cours de ces mêmes astres semble avoir détruit cette premiere forme, & en avoir donné une autre peut-être entierement opposée. Dans quelle partie du ciel se sera conservée cette premiere puissance, qui ne doit paroître & joüer, pour ainsi dire, son rôle, que plusieurs années après, comme lorsque l’enfant aura quarante ans ? De croire d’un autre côté que le destin, qui ne doit avoir son effet, que quand cet enfant sera parvenu à un age plus avancé, lui soit attaché dès son enfance, c’est une impertinente rêverie. Quoi-donc, ce sera lui, qui, dans un naufrage où il doit périr, sera cause que les vents s’éleveront, ou que le pilote, s’oubliant lui-même, ira échoüer contre des bancs ? Le laboureur, dans la campagne, aura été l’auteur de la guerre qui l’appauvrit, ou d’un tems favorable qui doit lui donner une moisson abondante ?

« Il est vrai, que quelques-uns parmi vous, publient hautement des oracles, que l’évenement a justifiés : mais ces évenemens justifiés par l’expérience, sont en si petit nombre, relativement à la multitude des faux oracles que vous avez prononcés vous & vos semblables, qu’ils démontrent eux-mêmes le peu de cas qu’on en doit faire. Vous faites passer un million de mensonges malheureux, à la faveur de sept ou huit autres qui vous ont réussi. En supposant que vous agissez au hasard, vous avez conjecturé tant de fois, que s’il y avoit à s’étonner de quelque chose, ce seroit peut-être de ce que vous n’avez pas rencontré plus souvent. En un mot, vous qui prévoyez tout ce qui doit arriver à la Sicile, comment n’avez-vous pas prévû ce qui vous arrive à vous-même aujourd’hui ? Ignoriez-vous que je devois vous traverser dans votre dessein ? Ne deviez-vous pas, pour faire valoir votre art, prévenir le roi, que telle personne, qui seroit présente, chercheroit à vous troubler ? Puisqu’enfin votre science vous découvre si le roi doit triompher de ses ennemis, dites-nous auparavant s’il ajoûtera foi à vos oracles ».

Quoique l’Astrologie judiciaire ait été solidement combattue tant par Barclay, que par d’autres auteurs célebres, qui en ont démontré la vanité ; on ne peut pas dire qu’ils ayent entierement déraciné cette ridicule prévention ; elle regne encore, & particulierement en Italie. On a vû sur la fin du siecle dernier, un Italien envoyer au pape Innocent XI. une prédiction, en maniere d’horoscope, sur Vienne alors assiegée par les Turcs, & qui fut très-bien reçûe. De nos jours le comte de Boulainvilliers, homme d’ailleurs de beaucoup d’esprit, étoit infatué de l’Astrologie judiciaire, sur laquelle il a écrit très-sérieusement. (G)

Tacite au VIe. livre de ses Annales, ch. xxj. rapporte que Tibere, dans le tems qu’il étoit exilé à Rhodes, sous le regne d’Auguste, se plaisoit à consulter les devins sur le haut d’un rocher fort élevé au bord de la mer ; & que si les réponses du devin donnoient lieu à ce prince de le soupçonner d’ignorance ou de fourberie, il le faisoit à l’instant précipiter dans la mer par un esclave. Un jour ayant consulté dans ce même lieu un certain Thrasyllus fort habile dans cet art, & ce devin lui ayant promis l’empire, & toutes sortes de prospérités : Puisque tu es si habile, lui dit Tibere, pourrois-tu me dire combien il te reste de tems à vivre ? Thrasyllus, qui se douta apparemment du motif de cette question, examina, ou fit semblant d’examiner, sans s’émouvoir, l’aspect & la position des astres au moment de sa naissance : bientôt après, il laissa voir au prince une surprise qui ne tarda pas à être suivie de frayeur ; & il s’écria, qu’autant qu’il en pouvoit juger, il étoit à cette heure même menacé d’un grand peril. Tibere, charmé de cette réponse, l’embrassa, le rassûra, le regarda dans la suite comme un oracle, & le mit au nombre de ses amis.

On trouve dans ce même historien, l’un des plus grands génies qui furent jamais, deux passages qui font voir que quand un préjugé est général, les meilleurs esprits ne peuvent s’empêcher de lui sacrifier, mais ne le font pourtant qu’avec plus ou moins de restriction, &, pour ainsi dire, avec une sorte de répugnance. Le premier de ces passages se lit dans le livre VI. ch. xxij. où après avoir fait des réflexions sur les différens sentimens des philosophes au sujet de l’Astrologie, il ajoûte ces paroles : Coeterum plerisque mortalium non eximitur, quin primo cujusque ortu ventura destinentur : sed quædam secus quam dicta sint cadere, fallaciis ignara dicentium ; ita corrumpi fidem artis, cujus proeclara documenta, & antiqua ætas & nostra tulerit. Ce qu’on peut traduire ainsi : « il ne paroît pas douteux, que tout ce qui doit nous arriver ne soit marqué dès le premier moment de notre naissance : mais l’ignorance des devins les induit quelquefois en erreur dans les prédictions qu’ils nous font ; & par-là elle decrédite en quelque maniere un art, dont la réalité est clairement prouvée par l’expérience de notre siecle, & par celle des siecles précédens ».

L’autre passage se trouve dans le IV. liv. des annales, ch. lviij. « Tibere étant sorti de Rome, dit Tacite, les Astrologues prédirent qu’il n’y reviendroit jamais. Cette prédiction occasionna la perte de plusieurs citoyens, qui en conclurrent que ce prince n’avoit plus que peu de tems à vivre, & qui furent assez imprudens pour le publier. Car ils ne pouvoient se douter qu’en effet Tibere vivroit encore onze ans sans rentrer dans Rome, & dans une espece d’exil volontaire. Mais au bout de ce tems, ajoûte l’historien, on apperçut les limites étroites, qui, dans la science des devins, séparoient l’art de la chimere ; & combien de nuages y obscurcissoient la vérité : car la prédiction qu’ils firent que Tibere ne reviendroit point à Rome, n’étoit pas faite au hasard & sans fondement, puisque l’évenement la vérifia : mais tout le reste leur fut caché, & ils ne pûrent prévoir que ce prince parviendroit à une extrème vieillesse sans rentrer dans la ville, quoiqu’il dût souvent s’en approcher de fort près ». Mox patuit breve confinium artis & falsi ; veraque quàm obscuris tegerentur. Nain in urbem non venturum, haud sorte dictum : coeterorum nescii egere, cum propinquo rure aut littore, & sæpe moenia urbis adsidens, extremam senectam compleverit. Il me semble voir dans ce passage un grand génie qui lutte contre le préjugé de son tems, & qui pourtant ne sauroit totalement s’en défaire. (O)