L’Encyclopédie/1re édition/BREBIS

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 408-409).
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BREBIS, ovis, sub. f. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede femelle, dont le bélier est le mâle ; cependant c’est du nom de la femelle qu’on a dérivé les noms génériques oviaria & oviarium pecus, troupeaux de brebis. Voyez Bélier. Il y a des brebis qui ont de petites cornes : mais la plûpart n’en ont point. On a distingué plusieurs sortes de brebis, par la différence du poil ou de la laine : on les a aussi désignées par les noms des pays où elles se trouvoient. M. Linnæus a réduit toutes celles dont il est fait mention dans plusieurs auteurs, à trois especes principales.

La brebis domestique, & celle qui a une très-grande queue, sont comprises sous la premiere espece. Voy. Mouton.

La seconde est celle du Strepsiceros de Crete ou de Candie, qui a les cornes droites & entourées par une gouttiere dirigée en spirale ; au reste, elle ne differe guere des nôtres. Bellon dit qu’il y en a de grands troupeaux sur le mont Ida.

La troisieme espece comprend les brebis de Guinée ou d’Angole ; elles sont plus grandes que les nôtres ; le derriere de la tête est plus saillant, les oreilles sont pendantes, & les cornes petites & recourbées en-bas jusqu’aux yeux : ces brebis ont une criniere qui descend plus bas que le cou, des poils courts comme ceux du bouc au lieu de laine, & un fanon sous la gorge comme le bœuf. Voyez Mouton, Quadrupede. Ray, synop. anim. quadrup. Linnæi, syst. nat. (I)

* Choix des brebis. Le profit qu’on tire d’un troupeau, dépend principalement de la bonté des brebis. Une bonne brebis a le corps grand, les yeux de même, & fort éveillés ; la queue, les jambes, & les tétines longues ; le ventre grand & large ; la démarche libre & alerte ; les jambes bas jointées ; la tête, le dos & le cou, garnis de laine longue, soyeuse, déliée, luisante & blanche. La brebis noire n’est pas si estimée que la blanche : la grise & la tachetée de différentes couleurs, l’est encore moins.

Age de la brebis. Que votre brebis ne soit ni trop jeune ni trop vieille. Celle de deux ans sera bonne à garder : laissez celle qui en aura plus de trois.

L’âge d’une brebis se connoît à ses dents qui se fortifient jusqu’à trois & quatre ans. Passé cet âge, elles deviennent inégales entr’elles. Mais c’est une affaire d’expérience que d’estimer l’âge par ces différences.

Espece de brebis. Les brebis étrangeres vous rapporteront plus que les communes. Les flandrines, ou celles qui sont venues des Indes en Hollande & en Flandre, vous donneront au moins deux agneaux par an ; seront plus fortes que vos brebis ordinaires ; porteront deux fois plus de laine, & l’auront plus fine, & vous procureront des moutons & des béliers plus forts.

Ayez donc un bélier flandrin avec quelques brebis de cette espece.

Il y a dans le pays Bressan, aux environs de Mantoue, des brebis dont la laine est grossiere, mais qu’on tond jusqu’à trois fois par an : elles sont d’ailleurs si vigoureuses, qu’on peut les mener aux champs en tout tems.

Le pays Tessin a ses brebis : elles sont aussi vigoureuses que les Bressanes, mais elles portent moins de laine. En récompense, elles sont belles, grosses, & donnent de beaux agneaux. Les bâtardes du Bressan sont estimées ; cependant elles sont moins fortes que les naturelles, quoique plus fortes que les Tessines. On dit que c’est aux brebis de Barbarie que l’Angleterre doit la beauté de ses draps : ce qu’il y a de certain, c’est qu’elles donnent trois fois plus de lait que les brebis du pays ; que la laine en est plus fine, & qu’on en tire deux fois davantage.

Choisissiez entre ces brebis les meilleures, & formez-en votre troupeau. Ayez de bonnes bergeries ; voyez l’article Bergerie. Ne négligez pas le choix du berger ; voyez les articles Berger & Chien de Berger.

Les brebis sont timides, douces, sensibles au chaud & au froid, & fort sujettes à maladie : elles ne passent guere neuf ans.

Nourriture des brebis. Il faut les nourrir d’herbes, de foin, de paille, & de son dans la bergerie : on peut aussi leur donner des raves, des navets, & des joncs marins hachés ; de la vesce, du sainfoin, & de la luserne : dans les tems de disette, des feuilles d’ormeau, de frêne, & de bouleau, du cythise, des cosses & feuilles de légumes, des choux, &c. C’est principalement en hyver qu’on use de ces secours, au défaut des pâturages.

Lorsque le tems du pacage est venu, au printems, en automme, & en hyver, on les y mene une fois par jour : elles sortent sur les neuf heures, & on les ramene avant le soleil couché. En été, elles y vont deux fois le jour. Elles partent dès le grand matin, & rentrent sur les dix heures : on les fait boire : on les renferme dans la bergerie ; elles y reposent jusqu’à trois heures qu’elles retournent aux champs, où elles paissent jusqu’au coucher du soleil, qu’on les fait boire une seconde fois, avant que de les renfermer. On ne les fait boire qu’une fois dans les autres saisons.

Il ne faut pas mener paitre au loin les brebis qui ont des agneaux ; il faut même alors leur donner le matin de bon foin. Tirez leur lait le matin, avant qu’elles sortent, & le soir quand elles reviennent.

Recommandez à votre berger d’éviter les pâturages épais & marécageux ; qu’il choisisse les lieux secs, aérés, élevés, ceux qui abondent en plantes odoriférantes, & les collines : les chardons & les épines gâtent la laine, & donnent la galle aux brebis. Mais il n’y a point de meilleurs pâturages que les bords de la mer & les environs des marais salans. Qu’il les fasse paitre à l’ombre dans les grandes chaleurs.

Il faut tenir le bélier séparé des brebis, soit aux champs, soit dans la bergerie, à moins qu’elles ne soient en chaleur ; & pour augmenter son troupeau, il en faut séparer toutes les vieilles brebis. Ce triage se fera sur la fin d’Avril.

La paille qu’on donne aux brebis se remet en gerbe, qu’on vend ; car les bêtes à laine n’en rongent que l’épi. On parque les brebis ; voyez l’article Parcage. On les tond vers le mois de Mai ; voy. Tonte. On les engraisse quand on veut s’en défaire ; voy. Engrais. Quant à la propagation, voici comment on y procede.

Multiplication des brebis. Les brebis sont en chaleur depuis la Toussaint jusqu’au mois d’Avril ; elles agnelent donc aussi pendant six mois : elles portent pendant cinq. Comme le froid feroit périr les agneaux qui naîtroient avant Décembre, on ne laisse approcher le bélier des brebis, que vers la fin de Juillet ou au mois d’Août.

Ne laissez le bélier avec vos brebis que le tems qu’il faut pour qu’elles conçoivent. Vos agneaux vous viendront au tems où vous les attendrez, & vous ménagerez votre bélier. Nourrissez bien votre bélier pendant qu’il travaille, & faites prendre de l’eau salée à la brebis.

Il faut veiller sur les brebis, quand le tems de l’agnation approche. L’agneau & la mere périront souvent si on ne les aide. Voyez l’article Agneau. Vous enfermerez les brebis qui auront agnelé pendant quatre jours, avec du bon foin, du son mêlé d’un peu de sel, & de l’eau tiede, blanchie avec un peu de farine de millet ou de froment. Donnez-leur aussi de la feuille d’orme ou de frêne, amassée dans la saison. Le cinquieme jour, elles pourront aller aux champs, mais non loin, de peur que leur lait ne s’échauffe. Si l’on veut tirer partie du lait de la brebis, il ne faut pas que l’agneau la tete.

Maladies des brebis. Comme les brebis sont fort délicates, elles sont, comme nous l’avons dit plus haut, sujettes à plusieurs maladies. Il faut soigneusement séparer les malades des autres. On s’en appercevra à plusieurs signes ; elles auront alors la tête lourde & les yeux troubles ; elles négligeront les pâturages ; elles ne bondiront point ; elles marcheront lentement ; elles se tiendront à l’écart ; elles chercheront l’ombre & la solitude ; elles chanceleront en marchant ; elles se coucheront souvent ; elles se traineront après les brebis saines : le berger ne sauroit y regarder de trop près.

Voici un remede qui soulage assez généralement les bestiaux.

Prenez du foie d’antimoine, enveloppez-le dans un linge, mettez-le tremper dans une pinte de vin blanc ; ajoûtez huit dragmes de sené, du sucre, de la noix muscade, & autres épices ; laissez infuser le tout 24 heures, & donnez un demi-septier de cette infusion à chaque brebis : cependant tenez la brebis ainsi médicamentée dans un lieu chaud, & ne la faites manger que le soir.

Les brebis sont principalement sujettes à la galle, voyez Galle : à la fievre, voyez Fièvre : aux poux, voyez Poux : à la clavelée ou claveau, voyez Clavelée : à la toux, à l’enflure, à la difficulté de respirer ; ce qui marque abondance de sang, ou obstruction dans les visceres de la respiration. On les soulagera en leur fendant les naseaux, ou en leur coupant les oreilles : à la morve, voyez Morve : à l’avertin, vertige, étourdissement, sang, folie ou tournant, voyez Avertin. Elles deviennent boiteuses ou de lassitude, ou parce que leurs ongles sont amollis, ou parce qu’elles ont resté long-tems dans leur fiente. Si c’est lassitude, laissez-les reposer dans la bergerie ; si c’est ongles amollis, coupez-leur l’extrémité de l’ongle gâté, mettez-y de la chaux vive, onveloppée d’un linge pendant un jour ; le lendemain substituez le verd-de-gris, & ainsi alternativement, chaux & verd-de-gris, jusqu’à ce que l’ongle soit guéri. Il y en a qui préferent à ce remede, de la vieille huile de noix ou d’olive, mise en onguent par l’ébullition, avec de l’alun pulverisé. Elles sont encore sujettes aux abcès, qu’il faut ouvrir quelque part qu’ils paroissent : quand l’abcès sera ouvert & vuidé, on distillera dedans de la poix fondue avec du sel brûlé & mis en poudre, & l’on fera boire à la brebis de la thériaque délayée dans de l’eau. A la peste, qui les attaque en été & en hyver ; elles en meurent quand elles en sont malades : mais on préviendra cet accident, si on leur fait prendre pendant une quinzaine, au commencement du printems & de l’automne, tous les matins avant qu’elles aillent aux champs, de l’eau où l’on aura fait infuser la sauge & le marrube. Si une brebis se rompt la jambe, on la lui frottera avec de l’huile & du vin mêlés ; on l’entortillera avec des linges, & on la soûtiendra avec des éclisses : on la fera reposer trois ou quatre jours dans la bergerie ; le cinquieme elle pourra suivre les autres aux champs.

Usage. La brebis fournit dans le commerce les mêmes marchandises que le bélier & le mouton ; entre autres de la laine, qui sert dans les manufactures d’étoffes ; & sa peau, qu’on vend aux Tanneurs & aux Mégissiers.