L’Encyclopédie/1re édition/MECHANIQUE
MECHANIQUE, s. f. (Ordre encycl. ent. raison. phil. ou scienc. science de la nat. Mathem. Mathem. mixt. Méchanique.) partie des mathématiques mixtes, qui considere le mouvement & les forces motrices, leur nature, leurs loix & leurs effets dans les machines. Voyez Mouvement & Force. Ce mot vient du grec μηχανη, machine ; parce qu’un des objets de la méchanique est de considérer les forces des machines, & que l’on appelle même plus particulierement méchanique la science qui en traite.
La partie des méchaniques qui considere le mouvement des corps, en tant qu’il vient de leur pesanteur, s’appelle quelquefois statique. (Voyez Gravité, &c.) par opposition à la partie qui considere les forces mouvantes & leur application, laquelle est nommée par ces mêmes auteurs Méchanique. Mais on appelle plus proprement statique, la partie de la Méchanique qui considere les corps & les puissances dans un état d’équilibre, & Méchanique la partie qui les considere en mouvement. Voyez Statique. Voyez aussi Forces mouvantes, Machine, Equilibre, &c.
M. Newton dans la préface de ses Principes, remarque qu’on doit distinguer deux sortes de méchaniques, l’une pratique, l’autre rationelle ou spéculative, qui procede dans ses opérations par des démonstrations exactes ; la méchanique pratique renferme tous les arts manuels qui lui ont donné leur nom. Mais comme les artistes & les ouvriers ont coutume d’opérer avec peu d’exactitude, on a distingué la Méchanique de la Geométrie, en rapportant tout ce qui est exact à la Géométrie, & ce qui l’est moins à la Méchanique. Ainsi cet illustre auteur remarque que les descriptions des lignes & des figures dans la Geométrie, appartiennent à la Méchanique, & que l’objet véritable de la Géométrie est seulement d’en démontrer les propriétés, après en avoir sûpposé la description. Par conséquent, ajoute-t-il, la Géométrie est fondée sur des pratiques méchaniques, & elle n’est autre chose que cette pratique de la Méchanique universelle, qui explique & qui démontre l’art de mesurer exactement. Mais comme la plûpart des arts manuels ont pour objet le mouvement des corps, on a appliqué le nom de Géométrie à la partie qui a l’étendue pour objet, & le nom de Méchanique à celle qui considere le mouvement. La méchanique rationelle, prise en ce dernier sens, est la science des mouvemens qui résultent de quelque force que ce puisse être, & des forces nécessaires pour produire quelque mouvement que ce soit. M. Newton ajoute que les anciens n’ont guere consideré cette science que dans les puissances qui ont rapport aux arts manuels, sçavoir le levier, la poulie &c ; & qu’ils n’ont presque consideré la pesanteur que comme une puissance appliquée au poids que l’on veut mouvoir par le moyen d’une machine. L’ouvrage de ce célebre philosophe, intitulé Principes mathématiques de la Philosophie naturelle, est le premier où on ait traité la Méchanique sous une autre face & avec quelque étendue, en considérant les lois de la pesanteur, du mouvement, des forces centrales & centrifuges, de la résistance des fluides, &c. Au reste comme la méchanique rationelle tire beaucoup de secours de la Géométrie, la Géométrie en tire aussi quelquefois de la Méchanique, & l’on peut par son moyen abréger souvent la solution de certains problèmes. Par exemple, M. Bernouilli a fait voir que la courbe que forme une chaîne, fixée sur un plan vertical par ses deux extrémités, est celle qui forme la plus grande surface courbe, en tournant autour de son axe ; parce que c’est celle dont le centre de gravité est le plus bas. Voyez dans les Mém. de l’accad. des Scien. de 1714, le mémoire de M. Varignon intitulé, Réflexions sur l’usage que la méchanique peut avoir en Géométrie. Voyez aussi Chainette.
Méchanique, adj. signifie ce qui a rapport à la Méchanique, ou qui se regle par la nature & les lois du mouvement. Voyez Mouvement.
Nous disons dans ce sens, puissances méchaniques, propriétés ou affections méchaniques, principes méchaniques.
Les affections méchaniques sont les propriétés de la matiere qui résultent de sa figure, de son volume & de son mouvement actuel. Voyez Matiere & Corps.
Les causes méchaniques sont celles qui ont de telles affections pour fondement. Voyez Cause.
Solutions méchaniques, ce sont celles qui n’emploient que les mêmes principes. Voyez Solution.
Philosophie méchanique, c’est la même qu’on appelloit autrefois corpusculaire, c’est-à-dire celle qui explique les phénomenes de la nature, & les actions des substances corporelles par les principes méchaniques, sçavoir le mouvement, la pesanteur, la figure, l’arrangement, la disposition, la grandeur ou la petitesse des parties qui composent les corps-naturels. Voyez Corpuscule & Corpusculaire, Attraction, Gravité, &c.
On donnoit autrefois le nom de corpusculaire à la philosophie d’Epicure, à cause des atomes dont ce philosophe prétendoit que tout étoit formé. Aujourd’hui les Newtoniens le donnent par une espece de dérision à la philosophie cartésienne, qui prétend expliquer tout par la matiere subtile, & par des fluides inconnus, à l’action desquels elle attribue tous les phénomenes de la nature.
Puissances méchaniques, appellées plus proprement forces mouvantes, sont les six machines simples auxquelles toutes les autres, quelque composées qu’elles soient, peuvent se réduire, ou de l’assemblage desquelles toutes les autres sont composées. Voyez Puissance & Machine.
Les puissances méchaniques sont le levier, le treuile, la poulie, le plan incliné, le coin, & la vis. Voyez les articles qui leur sont propres, Balance, Levier, &c. On peut cependant les réduire à une seule, savoir le levier, si on en excepte le plan incliné qui ne s’y réduit pas si sensiblement. M. Varignon a ajouté à ces six machines simples, la machine funiculaire, ou les poids suspendus par des cordes, & tirés par plusieurs puissances.
Le principe dont ces machines dépendent est le même pour toutes, & peut s’expliquer de la maniere suivante.
La quantité de mouvement d’un corps, est le produit de sa vîtesse, c’est-à-dire de l’espace qu’il parcourt dans un tems donné, par sa masse ; il s’ensuit de-là que deux corps inégaux auront des quantités de mouvement égales, si les lignes qu’ils parcourent en même tems sont réciproquement proportionnelles à leurs masses, c’est-à-dire si l’espace que parcourt le plus grand, dans une seconde par exemple, est à l’espace que parcourt le plus petit dans la même seconde, comme le plus petit corps est au plus grand. Ainsi, supposons deux corps attachés aux extrémités d’une balance ou d’un levier, si ces corps ou leurs masses, sont en raison réciproque de leurs distances de l’appui, ils seront aussi en raison réciproque des lignes ou arcs de cercle qu’ils parcoureroient en même tems, si l’on faisoit tourner le levier sur son appui ; & par conséquent ils auroient alors des quantités de mouvement égales, ou, comme s’expriment la plûpart des auteurs, des momens égaux.
Par exemple, si le corps A (Pl. mech. fig. 4.) est triple du corps B, & que dans cette supposition on attache les deux corps aux deux extrémités d’un levier AB, dont l’appui soit placé en C, de façon que la distance BC soit triple de la distance AC, il s’ensuivra de-là qu’on ne pourra faire tourner le levier sans que l’espace BE, parcouru par le corps situé en B se trouve triple de l’espace AD parcouru en même tems par le corps élevé en A, c’est-à-dire, sans que la vîtesse de B ne devienne triple de celle de A, ou enfin sans que les vîtesses des deux corps dans ce mouvement soient réciproques à leurs masses. Ainsi les quantités de mouvement des deux corps seront égales ; & comme ils tendent à produire des mouvemens contraires dans le levier, le mouvement du levier deviendra par cette raison absolument impossible dans le cas dont nous parlons ; c’est-à-dire qu’il y aura équilibre entre les deux corps. Voyez Equilibre, Levier & Mouvement.
De-là ce fameux probleme d’Archimede, datis viribus, datum pondus movere. En effet, puisque la distance CB peut être accrue à l’infini, la puissance ou le moment de A, peut donc aussi être supposé aussi grand qu’on voudra par rapport à celui de B, sans empêcher la possibilité de l’équilibre. Or quand une fois on aura trouvé le point où doit être placé le corps B pour faire équilibre au corps A, on n’aura qu’à reculer un peu le corps B, & alors ce corps B, quelque petit qu’il soit, obligera le corps A de se mouvoir. Voyez Moment. Ainsi toutes les méchaniques peuvent le réduire au problême suivant.
Un corps A avec sa vîtesse C, & un autre corps B étant donnés, trouver la vîtesse qu’il faut donner à B, pour que les deux corps aient des momens égaux. Pour résoudre ce probleme, on remarquera que puisque le moment d’un corps est égal au produit de sa vîtesse, par la quantité de matiere qu’il contient, il n’y a donc qu’à faire cette proportion, B : A ∷ C : à un quatrieme terme, & ce sera la vîtesse cherchée qu’il faudra donner au corps B, pour que son moment soit égal à celui de A. Aussi dans quelques machines que ce soit, si l’on fait en sorte que la puissance ou la force, ne puisse agir sur la résistance ou le poids, ou les vaincre actuellement sans que dans cette action les vîtesses de la puissance & du poids soient réciproques à leur masse, alors le mouvement deviendra absolument impossible. La force de la puissance ne pourra vaincre la résistance du poids, & ne devra pas non plus lui céder ; & par conséquent la puissance & le poids resteront en équilibre sur cette machine, & si on augmente tant-soit-peu la puissance, elle enlevera alors le poids ; mais si on augmentoit au contraire le poids, il entraîneroit la puissance.
Supposons, par exemple, que AB soit un levier, dont l’appui soit placé en C, & qu’en tournant autour de cet appui, il soit parvenu à la situation a, C, b (fig. 1 Méchan.) la vîtesse de chaque point du levier aura été évidemment dans ce mouvement proportionnelle à la distance de ce point à l’appui ou centre de la circulation. Car les vîtesses de chaque point sont comme les arcs que ces points ont décrits en même tems, lesquels sont d’un même nombre de degrés. Ces vîtesses sont donc aussi entr’elles comme les rayons des arcs de cercles par chaque point du levier, c’est-à-dire, comme les distances de chaque point à l’appui.
Si l’on suppose maintenant deux puissances appliquées aux deux extrémités du levier & qui fassent tout-à-la-fois effort pour faire tourner ses bras dans un sens contraire l’un a l’autre, & que ces puissances soient réciproquement proportionnelles à leur distance de l’appui, il est évident que le moment ou effort de l’une pour faire tourner le levier en un sens, sera précisément égal au moment de l’autre pour le faire tourner en sens contraire. Il n’y aura donc pas plus de raisons, pour que le levier tourne dans un sens que dans le sens opposé. Il restera donc nécessairement en repos, & il y aura équilibre entre les deux puissances : c’est ce qu’on voit tous les jours, lorsqu’on pese un poids avec une romaine. Il est aisé de concevoir par ce que nous venons de dire, comment un poids d’une livre peut sur cette machine faire équilibre avec un poids de mille livres & davantage.
C’est par cette raison qu’Archimede ne demandoit qu’un point fixe hors de la terre, pour l’enlever. Car, en faisant de ce point fixe l’appui d’un levier, & mettant la terre à l’extrémité d’un des bras de ce levier, il est clair qu’en alongeant l’autre bras, on parviendroit à mouvoir le globe terrestre avec une force aussi petite qu’on voudroit. Mais on sent bien que cette proposition d’Archimede n’est vraie que dans la spéculation ; puisqu’on ne trouvera jamais ni le point fixe qu’il demandoit, ni un levier de la longueur nécessaire pour mouvoir le globe terrestre.
Il est clair encore par-là que la force de la puissance n’est point du-tout augmentée par la machine, mais que l’application de l’instrument diminue la vîtesse du poids dans son élévation ou dans sa traction, par rapport à celle de la puissance dans son action ; de sorte qu’on vient à bout de rendre le moment d’une petite puissance égal, & même supérieur à celui d’un gros poids, & que par-là on parvient à faire enlever ou traîner le gros poids par la petite puissance. Si, par exemple, une puissance est capable d’enlever un poids d’une livre, en lui donnant dans son élévation un certain degré de vîtesse, on ne fera jamais par le secours de quelque machine que ce puisse être que cette même force puisse enlever un poids de deux livres, en lui donnant dans son élévation la même vîtesse dont nous venons de parler. Mais on viendra facilement à-bout de faire enlever à la puissance le poids de deux livres, avec une vîtesse deux fois moindre, ou, si l’on veut, un poids de dix mille livres, avec une vîtesse dix mille fois moindre.
Plusieurs auteurs ont tenté d’appliquer les principes de la Méchanique au corps humain ; il est cependant bon d’observer que l’application des principes de la Méchanique à cet objet ne se doit faire qu’avec une extrème précaution. Cette machine est si compliquée, que l’on risque souvent de tomber dans bien des erreurs, en voulant déterminer les forces qui la font agir ; parce que nous ne connoissons que très-imparfaitement la structure & la nature des différentes parties que ces forces doivent mouvoir. Plusieurs médecins & physiciens, sur-tout parmi les Anglois, sont tombés dans l’inconvénient dont je parle ici. Ils ont prétendu donner, par exemple, les lois du mouvement du sang, & de son action sur les vaisseaux ; & ils n’ont pas pris garde, que pour réussir dans une telle recherche, il seroit nécessaire de connoître auparavant une infinité de choses qui nous sont cachées, comme la figure des vaisseaux, leur élasticité, le nombre, la force & la disposition de leurs valvules, le degré de chaleur & de tenacité du sang, les forces motrices qui le poussent, &c. Encore, quand chacune de ces choses seroit parfaitement connue, la grande quantité d’élémens qui entreroient dans une pareille théorie, nous conduiroit vraissemblablement à des calculs impraticables. Voyez le Discours préliminaire.
Méchanique, (Mathém.) est encore d’usage en Mathématiques, pour marquer une construction ou solution de quelque probleme qui n’est point géométrique, c’est-à-dire, dont on ne peut venir à-bout par des descriptions de courbes géométriques. Telles sont les constructions qui dépendent de la quadrature du cercle. Voyez Construction, Quadrature, &c. Voyez aussi Geométrique.
Arts méchaniques. Voyez Art.
Courbe méchanique, terme que Descartes a mis en usage pour marquer une courbe qui ne peut pas être exprimée par une équation algébrique. Ces courbes sont par-là opposée, aux courbes algébriques ou géométriques. Voyez Courbe.
M. Leibnitz & quelques autres les appellent transcendantes au lieu de méchaniques, & ils ne conviennent pas avec Descartes qu’il faille les exclure de la Géométrie.
Le cercle, les sections coniques, &c. sont des courbes géométriques, parce que la relation de leurs absides à leurs ordonnées est exprimée en termes finis. Mais la cycloïde, la spirale, & une infinité d’autres sont des courbes méchaniques, parce qu’on ne peut avoir la relation de leurs absides à leurs ordonnées que par des équations différentielles, c’est à-dire, qui contiennent des quantités infiniment petites. Voyez Différentielle, Fluxion, Tangente, Exponentielle, &c. (O)
Les vérités fondamentales de la Méchanique, en tant qu’elle traite des lois du mouvement, & de l’équilibre des corps, méritent d’être approfondies avec soin. Il semble qu’on n’a pas été jusqu’à-présent fort-attentif ni à réduire les principes de cette science au plus petit nombre, ni à leur donner toute la clarté qu’on pouvoit desirer ; aussi la plûpart de ces principes, ou obscurs par eux-mêmes, ou énoncés & démontrés d’une maniere obscure, ont-ils donné lieu à plusieurs questions épineuses. En général on a été plus occupé jusqu’à présent à augmenter l’édifice, qu’à en éclairer l’entrée, & on a pensé principalement à l’élever, sans donner à ses fondemens toute la solidité convenable.
Il nous paroît qu’en applanissant l’abord de cette science, on en reculeroit en même tems les limites, c’est-à-dire qu’on peut faire voir tout-à-la-fois & l’inutilité de plusieurs principes employés jusqu’à-présent par les Méchaniciens, & l’avantage qu’on peut tirer de la combinaison des autres, pour le progrès de cette science ; en un mot, qu’en réduisant les principes on les étendra. En effet, plus ils seront en petit nombre, plus ils doivent avoir d’étendue, puisque l’objet d’une science étant nécessairement déterminé, les principes en doivent être d’autant plus féconds, qu’ils sont moins nombreux. Pour faire connoître au lecteur les moyens par lesquels on peut espérer de remplir les vûes que nous proposons, il ne sera peut-être pas inutile d’entrer ici dans un examen raisonné de la science dont il s’agit.
Le mouvement & ses propriétés générales sont le premier & le principal objet de la méchanique ; cette science suppose l’existence du mouvement, & nous la supposerons aussi comme avouée & reconnue de tous les Physiciens. A l’égard de la nature du mouvement, les Philosophes sont au contraire fort partagés là-dessus. Rien n’est plus naturel, je l’avoue, que de concevoir le mouvement comme l’application successive du mobile aux différentes parties de l’espace indéfini que nous imaginons comme le lieu des corps ; mais cette idée suppose un espace dont les parties soient pénétrables & immobiles, or personne n’ignore que les Cartésiens (secte à la vérité fort-affoiblie aujourd’hui) ne reconnoissent point d’espace distingué des corps, & qu’ils regardent l’étendue & la matiere comme une même chose. Il faut convenir qu’en partant d’un pareil principe, le mouvement seroit la chose la plus difficile à concevoir, & qu’un cartésien auroit peut-être beaucoup plûtôt fait d’en nier l’existence, que de chercher à en définir la nature. Au reste, quelque absurde que nous paroisse l’opinion de ces philosophes, & quelque peu de clarté & de précision qu’il y ait dans les principes métaphysiques sur lesquels ils s’efforcent de l’appuyer, nous n’entreprendrons point de la refuter ici : nous nous contenterons de remarquer que pour avoir une idée claire du mouvement, on ne peut se dispenser de distinguer au moins par l’esprit deux sortes d’étendue ; l’une qui soit regardée comme impénétrable, & qui constitue ce qu’on appelle proprement les corps ; l’autre, qui étant considérée simplement comme étendue, sans examiner si elle est pénétrable ou non, soit la mesure de la distance d’un corps à un autre, & dont les parties envisagées comme fixes & immobiles, puissent servir à juger du repos ou du mouvement des corps. Il nous sera donc toujours permis de concevoir un espace indéfini comme le lieu des corps, soit réel, soit supposé, & de regarder le mouvement comme le transport du mobile d’un lieu dans un autre.
La considération du mouvement entre quelquefois dans les recherches de la Géométrie pure ; c’est ainsi qu’on imagine souvent les lignes droites ou courbes engendrées par le mouvement continu d’un point, les surfaces par le mouvement d’une ligne, les solides enfin par celui d’une surface. Mais il y a entre la Méchanique & la Géométrie cette différence, non seulement que dans celle-ci la génération des figures par le mouvement est pour ainsi dire arbitraire & de pure élégance, mais encore que la Géométrie ne considere dans le mouvement que l’espace parcouru, au lieu que dans la Méchanique on a égard de plus au tems que le mobile emploie à parcourir cet espace.
On ne peut comparer ensemble deux choses d’une nature différente, telles que l’espace & le tems : mais on peut comparer le rapport des parties du tems, avec celui des parties de l’espace parcouru. Le tems par sa nature coule uniformément, & la Méchanique suppose cette uniformité. Du reste, sans connoître le tems en lui-même, & sans avoir de mesure précise, nous ne pouvons représenter plus clairement le rapport de ses parties, que par celui des portions d’une ligne droite indéfinie. Or l’analogie qu’il y a entre le rapport des parties d’une telle ligne, & celui des parties de l’espace parcouru par un corps qui se meut d’une maniere quelconque, peut toujours être exprimée par une équation. On peut donc imaginer une courbe, dont les abscisses représentent les portions du tems écoulé depuis le commencement du mouvement, les ordonnées correspondantes désignant les espaces parcourus durant ces portions de tems : l’équation de cette courbe exprimera non le rapport des tems aux espaces, mais si on peut parler ainsi, le rapport du rapport que les parties de tems ont à leur unité, à celui que les parties de l’espace parcouru ont à la leur. Car l’équation d’une courbe peut être considérée ou comme exprimant le rapport des ordonnées aux abscisses, ou comme l’équation entre le rapport que les ordonnées ont à leur unité, & le rapport que les abscisses correspondantes ont à la leur.
Il est donc évident que par l’application seule de la Géométrie & du calcul, on peut, sans le secours d’aucun autre principe, trouver les propriétés générales du mouvement, varié suivant une loi quelconque. Mais comment arrive-t-il que le mouvement d’un corps suive telle ou telle loi particuliere ? C’est sur quoi la Géométrie seule ne peut rien nous apprendre ; & c’est aussi ce qu’on peut regarder comme le premier problème qui appartienne immédiatement à la Méchanique.
On voit d’abord fort-clairement qu’un corps ne peut se donner le mouvement à lui-même. Il ne peut donc être tiré du repos que par l’action de quelque cause étrangere. Mais continue-t-il à se mouvoir de lui-même, ou a-t-il besoin pour se mouvoir de l’action répétée de la cause ? Quelque parti qu’on pût prendre là-dessus, il sera toujours incontestable que l’existence du mouvement étant une fois supposée sans aucune autre hypothese particuliere, la loi la plus simple qu’un mobile puisse observer dans son mouvement, est la loi d’uniformité, & c’est par conséquent celle qu’il doit suivre.
Le mouvement est donc uniforme par sa nature ; j’avoue que les preuves qu’on a données jusqu’à-présent de ce principe, ne sont peut-être pas fort-convaincantes. On verra à l’article Force d’Inertie, les difficultés qu’on peut y opposer, & le chemin que j’ai pris pour éviter de m’engager à les résoudre. Il me semble que cette loi d’uniformité essentielle au mouvement considéré en lui-même, fournit une des meilleures raisons sur lesquelles la mesure du tems par le mouvement uniforme, puisse être appuyée. Voyez Uniforme.
La force d’inertie, c’est-à-dire la propriété qu’ont les corps de persévérer dans leur état de repos ou de mouvement, étant une fois établie, il est clair que le mouvement qui a besoin d’une cause pour commencer au-moins à exister, ne sauroit non plus être accéleré ou retardé que par une cause étrangere. Or quelles sont les causes capables de produire ou de changer le mouvement dans les corps ? Nous n’en connoissons jusqu’à-présent que de deux sortes ; les unes se manifestent à nous en même tems que l’effet qu’elles produisent, ou plutôt dont elles sont l’occasion : ce sont celles qui ont leur source dans l’action sensible & mutuelle des corps, résultante de leur impénétrabilité ; elles se réduisent à l’impulsion & à quelques autres actions dérivées de celles-là : toutes les autres causes ne se font connoître que par leur effet, & nous en ignorons entierement la nature : telle est la cause qui fait tomber les corps pesans vers le centre de la terre, celle qui retient les planetes dans leurs orbites, &c.
Nous verrons bien-tôt comment on peut déterminer les effets de l’impulsion & des causes qui peuvent s’y rapporter : pour nous en tenir ici à celles de la seconde espece, il est clair que lorsqu’il est question des effets produits par de telles causes, ces effets doivent toujours être donnés indépendamment de la connoissance de la cause, puisqu’ils ne peuvent en être déduits ; sur quoi voyez Accélératrice.
Nous n’avons fait mention jusqu’à présent, que du changement produit dans la vîtesse du mobile par les causes capables d’altérer son mouvement : & nous n’avons point encore cherché ce qui doit arriver, si la cause motrice tend à mouvoir le corps dans une direction différente de celle qu’il a déja. Tout ce que nous apprend dans ce cas le principe de la force d’inertie, c’est que le mobile ne peut tendre qu’à décrire une ligne droite, & à la décrire uniformément : mais cela ne fait connoître ni sa vîtesse, ni sa direction. On est donc obligé d’avoir recours à un second principe, c’est celui qu’on appelle la composition des mouvemens, & par lequel on détermine le mouvement unique d’un corps qui tend à se mouvoir suivant différentes directions à la fois avec des vîtesses données. Voyez Composition du mouvement.
Comme le mouvement d’un corps qui change de direction, peut être regardé comme composé du mouvement qu’il avoit d’abord, & d’un nouveau mouvement qu’il a reçu, de même le mouvement que le corps avoit d’abord peut être regardé comme composé du nouveau mouvement qu’il a pris, & d’un autre qu’il a perdu. De-là il s’ensuit, que les lois du mouvement changé par quelques obstacles que ce puisse être, dépendent uniquement des lois du mouvement, détruit par ces mêmes obstacles. Car il est évident qu’il suffit de décomposer le mouvement qu’avoit le corps avant la rencontre de l’obstacle, en deux autres mouvemens, tels que l’obstacle ne nuise point à l’un, & qu’il anéantisse l’autre. Par-là, on peut non-seulement démontrer les lois du mouvement changé par des obstacles insurmontables, les seules qu’on ait trouvées jusqu’à présent par cette méthode ; on peut encore déterminer dans quel cas le mouvement est détruit par ces mêmes obstacles. A l’égard des lois du mouvement changé par des obstacles qui ne sont pas insurmontables en eux-mêmes, il est clair par la même raison, qu’en général il ne faut point déterminer ces lois, qu’après avoir bien constaté celles de l’équilibre. Voyez Équilibre.
Le principe de l’équilibre joint à ceux de la force d’inertie & du mouvement composé, nous conduit donc à la solution de tous les problèmes où l’on considere le mouvement d’un corps, en tant qu’il peut être altéré par un obstacle impénétrable & mobile, c’est-à-dire en général par un autre corps à qui il doit nécessairement communiquer du mouvement pour conserver au moins une partie du sien. De ces principes combinés, on peut donc aisément déduire les lois du mouvement des corps qui se choquent d’une maniere quelconque, ou qui se tirent par le moyen de quelque corps interposé entr’eux, & auquel ils sont attachés : lois aussi certaines & de vérité aussi nécessaire, que celles du mouvement des corps altéré par des obstacles insurmontables, puisque les unes & les autres se déterminent par les mêmes méthodes.
Si les principes de la force d’inertie, du mouvement composé, & de l’équilibre, sont essentiellement différens l’un de l’autre, comme on ne peut s’empêcher d’en convenir ; & si d’un autre côté, ces trois principes suffisent à la Méchanique, c’est avoir réduit cette science au plus petit nombre de principes possibles, que d’avoir établi sur ces trois principes toutes les lois du mouvement des corps dans des circonstances quelconques, comme j’ai tâché de le faire dans mon traité.
A l’égard des démonstrations de ces principes en eux-mêmes, le plan que l’on doit suivre pour leur donner toute la clarté & la simplicité dont elles sont susceptibles, a été de les déduire toujours de la considération seule du mouvement, envisagé de la maniere la plus simple & la plus claire. Tout ce que nous voyons bien distinctement dans le mouvement d’un corps, c’est qu’il parcourt un certain espace, & qu’il emploie un certain tems à le parcourir. C’est donc de cette seule idée qu’on doit tirer tous les principes de la Méchanique, quand on veut les démontrer d’une maniere nette & précise ; en conséquence de cette réfléxion, le philosophe doit pour ainsi dire, détourner la vûe de dessus les causes motrices, pour n’envisager uniquement que le mouvement qu’elles produisent ; il doit entierement proscrire les forces inhérentes au corps en mouvement, êtres obscurs & métaphysiques, qui ne sont capables que de répandre les ténebres sur une science claire par elle-même. Voyez Force.
Les anciens, comme nous l’avons déja insinué plus haut, d’après M. Newton, n’ont cultivé la Méchanique que par rapport à la statique ; & parmi eux Archimede s’est distingué sur ce sujet par ses deux traités de aquiponderantibus, &c. incidentibus humido. Il étoit réservé aux modernes, non-seulement d’ajouter aux découvertes des anciens touchant la statique, voyez Statique ; mais encore de créer une science nouvelle sous le titre de Méchanique proprement dite, ou de la science des corps & mouvement. On doit à Stevin, mathématicien du prince d’Orange, le principe de la composition des forces que M. Varignon a depuis heureusement appliqué à l’équilibre des machines ; à Galilée, la théorie de l’accélération, voyez Accéleration & Descente ; à MM. Huyghens, Wren & Wallis, les lois de la percussion, voyez Percussion & Communication du mouvement ; à M. Huyghens les lois des forces centrales dans le cercle ; à M. Newton, l’extension de ces lois aux autres courbes & au système du monde, voyez Centrale & Force ; enfin aux géometres de ce siecle la théorie de la dynamique. Voyez Dynamique & Hydrodynamique. (O)