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Les Principes fondamentaux de la géométrie/Texte entier

La bibliothèque libre.
Traduction par Léonce Laugel.
Gauthier-Villars, imprimeur-libraire (p. Titre-TdM).

LES PRINCIPES FONDAMENTAUX

DE

LA GÉOMÉTRIE

PAR

M. D. HILBERT.



Traduit par L. LAUGEL.

PARIS,
GAUTHIER-VILLARS, IMPRIMEUR-LIBRAIRE
DU BUREAU DES LONGITUDES, DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE.
Quai des Grands-Augustins, 55.

1900



« Toute science humaine commence par les intuitions, de là passe aux notions et finit par les idées. »

Kant, Critique de la raison pure
(Théorie élémentaire, Partie II, Section II).


INTRODUCTION.




La Géométrie, de même que l’Arithmétique, n’exige, pour sa construction logique, qu’un petit nombre de principes fondamentaux simples. Ces principes fondamentaux sont dits les axiomes de la Géométrie. L’exposition de ces axiomes et leur examen approfondi est un problème qui, depuis Euclide, a fait l’objet de nombreux Mémoires remarquables de la Science mathématique[1]. Ce problème revient à l’analyse logique de notre intuition de l’espace.

La recherche qui suit est un nouvel essai dont le but est d’établir la Géométrie sur un système simple et complet d’axiomes indépendants et de déduire de ceux-ci les principaux théorèmes géométriques, de telle sorte que le rôle des divers groupes d’axiomes et la portée des conclusions que l’on tire des axiomes individuels soient mis en pleine lumière autant qu’il est possible.




CHAPITRE I.

LES CINQ GROUPES D’AXIOMES.





§ 1.

Les éléments de la Géométrie et les cinq groupes d’axiomes.


Convention. — Concevons trois différents systèmes d’êtres : les êtres du premier système, nous les nommerons points et nous les désignerons par A, B, C, … ; les êtres du deuxième système, nous le nommerons droites et nous les désignerons par a, b, c, … ; les êtres du troisième système, nous les nommerons plans et nous les désignerons par α, β, γ, … ; les points seront aussi nommés éléments de la Géométrie linéaire ; les points et les droites, éléments de la Géométrie plane ; et les points, les droites et les plans, éléments de la Géométrie de l’espace ou éléments de l’espace.

Concevons que les points, droites et plans aient entre eux certaines relations mutuelles et désignons ces relations par des mots tels que : « sont situés », « entre », « parallèle », « congruent », « continu » ; la description exacte et complète de ces relations a lieu au moyen des axiomes de la Géométrie.

Les axiomes de la Géométrie se partagent en cinq groupes ; chacun de ces groupes, pris individuellement, exprime certaines vérités fondamentales de même catégorie qui dérivent de notre intuition. Nous désignerons ces groupes comme il suit :

I, 1-7. Axiomes d’association.
II, 1-5. Axiomes de distribution.
III. Axiome des parallèles (Postulat d’Euclide).
IV. 1-6. Axiomes de congruence.
V. Axiome de la continuité (Axiome d’Archimède).


§ 2.

Le groupe d’axiomes I : Axiomes d’association.


Les axiomes de ce groupe établissent une association entre les notions précédemment indiquées, points, droites et plans. Ces axiomes sont les suivants :

I, 1. Deux points distincts, A, B, déterminent toujours une droite a ; nous poserons AB = a ou BA = a.

Au lieu de « déterminent », nous emploierons aussi d’autres tournures de phrase ; par exemple : A « est situé sur » a ; A « est un point de » a ; a « passe par A et par B » ; a « joint A et B » ou « joint A à B ». Lorsque A est situé sur a et, en outre, sur une autre droite b, nous emploierons aussi le mode d’expression : « Les droites a et b ont le point A en commun », et ainsi de suite.

I, 2. Deux points distincts quelconques d’une droite déterminent cette droite, et sur toute droite il y a au moins deux points ; c’est-à-dire que, si l’on a AB = a et AC = a et B ≠ C, on a aussi BC = a.

I, 3. Trois points A, B, C non situés sur une même droite déterminent toujours un plan α ; nous poserons ABC = α.

Nous emploierons aussi les tournures : A, B, C « sont situés dans » le plan α ; « sont des points de » α, et ainsi de suite.

I, 4. Trois points quelconques A, B, C d’un plan α, non situés sur une même droite, déterminent ce plan α.

I, 5. Lorsque deux points A et B d’une droite a sont situés dans un plan α, il en est de même tout point de a.

Nous dirons en ce cas : « La droite a est située dans le plan α », et ainsi de suite.

I, 6. Lorsque deux plans α, β ont un point A en commun, ils ont encore au moins un autre point B en commun.

I, 7. Sur tout plan il y a au moins trois points non situés sur la même droite et, dans l’espace, il y a au moins quatre points non situés dans le même plan.

Les axiomes I, 1-2 renferment des énoncés qui ne sont relatifs qu’aux points et aux droites, c’est-à-dire aux éléments de la Géométrie plane, nous pouvons donc, pour abréger, les nommer axiomes planaires du groupe I, par opposition aux axiomes I, 3-7, que l’on désignera sous le nom d’axiomes spatiaux de ce groupe.

Des théorèmes qui dérivent des axiomes I, 1-7, je ne citerai que les deux suivants :

Théorème I. — Deux droites situées dans le même plan ont un seul point en commun ou bien n’en ont aucun ; deux plans n’ont aucun point en commun ou bien ont une droite en commun ; un plan et une droite non située dans ce plan n’ont aucun point en commun ou bien en ont un seul.

Théorème II. — Par une droite et un point non situé sur cette droite, et de même par deux droites distinctes ayant un point en commun, il passe toujours un plan et un seul.


§ 3.

Le groupe d’axiomes II : Axiomes de distribution[2]


Les axiomes de ce groupe définissent l’idée exprimée par le mot « entre » et permettent, en se basant sur cette idée, d’effectuer la distribution des points sur une droite, dans un plan et dans l’espace.

Convention. — Les points d’une droite ont entre eux une certaine relation qui s’exprime en particulier au moyen du mot « entre ».

II, 1. — A, B, C désignant trois points en ligne droite, si B est situé entre A et C il l’est aussi entre C et A.

II, 2. — A et C (fig. 2) désignant deux points d’une droite il y a au moins un point B situé entre A et C et au moins un point D tel que C soit situé entre A et D.

II, 3. — De trois points d’une droite, il en est toujours un et un seul situé entre les deux autres.

II, 4. — Quatre points quelconques A, B, C, D d’une droite peuvent toujours être distribués d’une manière telle que B soit situé entre A et C et aussi entre A et D, et que C soit situé entre A et D et aussi entre B et D.

Définition. — Le système formé par deux points A et B situés sur une droite est dit un segment, et nous le désignerons par AB ou BA. Les points situés entre A et B sont dits les points du segment AB ou encore à l’intérieur du segment AB ; tous les autres points de la droite a sont dits à l’extérieur du segment AB. Les points A et B sont dits les extrémités du segment AB.

II, 5. — Soient A, B, C trois points non en ligne droite et a une droite


dans le plan ABC qui ne passe par aucun des points A, B, C : si la droite a passe par un point du segment AB, elle passera toujours ou bien par un point du segment BC ou bien par un point du segment AC.

Les axiomes II, 1-4 renferment des énoncés qui ne sont relatifs qu’aux points d’une droite et peuvent donc être nommés axiomes linéaires du groupe II ; l’axiome II, 5 renferme un énoncé relatif aux éléments de la Géométrie plane, et sera dit par conséquent l’axiome planaire du groupe II.


§ 4.

Conséquences des axiomes d’association et de distribution.


Des axiomes linéaires II, 1-4 nous déduisons d’abord sans peine les théorèmes suivants :

Théorème III. — Entre deux points quelconques d’une droite il y a toujours une infinité de points.

Théorème IV. — Étant donné, sur une droite, un nombre fini de points, on peut toujours distribuer ces points en une suite A, B, C, D, E, … , (fig. 4), telle que B soit situé entre A d’une part et C,


D, E, … , K de l’autre, puis que C soit situé entre A, B d’une part et D, E, … , K de l’autre, ensuite que D soit situé entre A, B, C d’une part et E, … , K de l’autre, et ainsi de suite. Outre cette distribution il n’y en a qu’une autre, la distribution inverse, qui jouisse de la propriété énoncée.

Théorème V. — Toute droite a située dans un plan α sépare tous les autres points de ce plan en deux régions qui ont la propriété suivante : tout point A de l’une, joint à tout point B de l’autre, détermine un segment AB sur lequel est situé un point de la droite a ; au contraire, deux points quelconques A, A’ d’une même région déterminent un segment AA’ qui ne renferme aucun point de a.

Convention. — Soient A, A’, O, B quatre points situés sur une droite a et tels que O soit situé entre A et B mais non entre A et A’; nous dirons alors : Les points A et A’ sont situés sur la droite a du même côté du point O, et les points A et B sont situés sur la droite a de côtés différents du point O.


L’ensemble des points d’une droite a situés d’un même côté d’un point O est dit un demi-rayon (demi-droite) issu de O ; de la sorte tout point d’une droite la partage en deux demi-rayons.

En faisant usage des notations du théorème V, nous dirons : Les points A, A’ sont situés dans le plan α du même côté de la droite a, et les points A, B sont situés dans le plan α de côtés différents de la droite a.

Définition. — Un système de segments AB, BC, CD,…, KL qui relie les points A et L est dit une ligne brisée. Cette ligne brisée sera désignée aussi pour abréger par ABCD…KL. Les points situés sur les segments AB, BC, CD, …, KL, ainsi que les points A, B, C, D, …, K, L, sont tous dits les points de la ligne brisée. En particulier, si le point L coïncide avec le point A la ligne brisée sera dite un polygone et s’appellera le polygone ABCD…K. Les segments AB, BC, CD, KA en seront dits les côtés, et les points A, B, C, D,…, K les sommets. Les polygones ayant 3, 4, 5,… ; n côtés se nomment en particulier triangles, quadrilatères, pentagones,…, n-gones.

Lorsque les sommets d’un polygone sont tous distincts, lorsque aucun sommet ne tombe sur un côté et enfin lorsque deux côtés quelconques n’ont aucun point en commun, le polygone est dit simple.

En s’appuyant sur le théorème V nous obtenons alors sans difficultés sérieuses les théorèmes suivants :

Théorème VI. — Tout polygone simple dont les sommets sont tous situés dans un plan α et partage les points de ce plan, qui n’appartiennent pas à la ligne brisée formant ce polygone, en deux régions : l’une intérieure, l’autre extérieure, jouissant de la propriété suivante :

Si A est un point de l’intérieur (point intérieur) et B un point de l’extérieur (point extérieur), toute ligne brisée joignant A et B a au moins un point en commun avec le polygone ; au contraire, si A et A’


sont deux points intérieurs et B et B’ deux points extérieurs, il y a toujours alors des lignes brisées joignant respectivement A et A’, et B et B’ et n’ayant aucun point en commun avec le polygone. Il existe dans le plan α des droites dont tout le cours a lieu à l’extérieur du polygone ; mais il n’en existe aucune, au contraire, dont tout le cours ait lieu à l’intérieur du polygone.

Théorème VII. — Tout plan α partage les autres points de l’espace en deux régions ayant la propriété suivante : Tout point A de l’une détermine par sa jonction avec tout point B de l’autre un segment AB qui renferme un point de α ; au contraire, deux points quelconques A et A’ d’une même région déterminent toujours un segment AA’ qui ne renferme aucun point de α.

Convention. — En faisant usage des notations de ce théorème VII, nous dirons : Les points A, A' sont situés dans l’espace d’un même côté du plan α, et les points A, B sont situés dans l’espace de côtés différents du plan α.

Le théorème VII exprime les vérités les plus importantes relatives à la distribution des éléments dans l’espace. Ces vérités sont donc exclusivement des conséquences des axiomes considérés jusqu’ici, et il n’est donc pas nécessaire d’introduire dans le groupe II aucun nouvel axiome spatial.


§ 5.

Le groupe d’axiomes III : Axiome des parallèles (Postulat d’Euclide).


L’introduction de cet axiome simplifie les principes fondamentaux de la Géométrie dont il facilite ainsi très considérablement l’édification. Nous l’énoncerons ainsi :

III. — Dans un plan α, par un point A pris en dehors d’une droite a, l’on peut toujours mener une droite et une seule qui ne coupe pas la droite a ; cette droite est dite la parallèle à a, menée par le point A.

Cet énoncé de l’axiome des parallèles renferme deux affirmations : la première énonce que dans le plan α il passe toujours par A une droite qui ne rencontre pas a, et la seconde qu’il ne peut en exister qu’une.

C’est la seconde affirmation de notre axiome qui est essentielle ; l’on peut aussi lui donner la tournure suivante :

Théorème VIII. — Lorsque dans un plan deux droites a, b ne rencontrent pas une troisième droite c du même plan, elles ne se rencontrent pas non plus.

En effet, si a et b avaient un point A en commun, il pourrait dans ce plan exister deux droites a, b, passant par A et qui ne rencontreraient point c ; mais cela serait en contradiction avec la seconde affirmation de l’axiome des parallèles, sous notre énoncé primitif. Réciproquement, du théorème VIII résulte également la seconde affirmation de l’axiome des parallèles sous notre énoncé primitif.

L’axiome des parallèles III est un axiome planaire.


§ 6.

Le groupe d’axiomes IV : Axiomes de congruence.


Les axiomes de ce groupe définissent la notion de congruence ou de déplacement.

Convention. — Les segments ont entre eux certaines relations que le mot « congruent » en particulier sert à exprimer.

IV, 1. — Si l’on désigne par A, B deux points d’une droite a, et par A' un point de cette même droite ou bien d’une autre droite a', l’on pourra toujours, sur la droite a', d’un côté donné du point A', trouver un point et un seul B', tel que le segment AB soit congruent au segment A'B', ce que l’on écrit

.

Tout segment est congruent à lui-même, c’est-à-dire que l’on a toujours

.

Le segment AB est toujours congruent au segment BA, ce que l’on écrit

.

Nous dirons aussi plus rapidement que tout segment peut être porté sur une droite donnée d’un côté donné d’un point donné d’une manière univoque.

IV, 2. — Lorsqu’un segment AB est congruent au segment A'B' et de même au segment A"B", alors A'B' est aussi congruent au segment A"B", c’est-à-dire que si l’on a et , l'on aura aussi .

IV, 3. — Sur la droite a, soient AB et BC (fig. 8) deux segments


sans points communs, et soient ensuite deux segments A’B’ et B’C’ deux segments situés sur la même droite ou sur une autre droite a’, également sans points communs ; si l’on a et on aura toujours aussi .

Définition. — Soit α un plan quelconque et soient h, k deux demi-droites quelconques distinctes situées dans ce plan, issues d’un point O et appartenant à des droites distinctes. Le système formé par ces deux demi-droites nous le nommerons un angle et nous le désignerons par ou . Des axiomes II, 1-5 on peut aisément conclure que les deux demi-droites h, k, y compris le point O, séparent les points restants du plan α en deux régions jouissant de la propriété suivante : A désignant un point de l’une des régions et B un point de l’autre, toute ligne brisée qui joint A et B ou bien passe par O, ou bien a au moins un point en commun avec h ou avec k. Au contraire, A et A’ désignant des points d’une même région, il y a toujours une ligne brisée joignant A et A’ et qui ne passe ni par O ni par aucun point des demi-droites h, k. L’une de ces régions se distingue de l’autre par cette circonstance que tout segment qui joint deux points de cette région y est situé tout entier. Cette région se nomme l' intérieur de l’angle (h, k), par opposition avec l’autre qui se nomme l’extérieur de l’angle (h, k). Les demi-droites h, k sont dites les côtés de l’angle, et le point O en est dit le sommet.

IV, 4. — Soit, dans un plan α, un angle , et soit, dans un plan α', une droite a’. Supposons encore que, dans le plan α’, un côté déterminée de la droite a’ soit assigné. Désignons par h' une demi-droite prise sur la droite a’ et issue d’un point O’ de cette droite. Dans le plan α’, il existera alors une demi-droite k' et une seule, telle que l’angle (h, k) soit congruent à l’angle (h', k') et qu’en même temps tous les points à l’intérieur de l’angle (h', k') soient situés du côté assigné de a', ce que nous exprimerons par la notation

.

Tout angle est congruent à lui-même, c’est-à-dire que l’on a toujours

.

L’angle (h, k) est toujours congruent à l’angle (k, h), ce que l’on écrit

,

Nous dirons aussi, en abrégeant, que dans un plan donné tout angle peut être, d’une manière univoque, porté d’un côté assigné d’une demi-droite donnée.

IV, 5. — Un angle (h, k) étant congruent à l’angle (h', k') ainsi qu’à l’angle (h", k"), l’angle (h', k') le sera aussi à l’angle (h, k), c’est-à-dire que si l’on a

,


on aura toujours aussi

.

Convention. — Soit ABC un triangle assigné ; désignons les deux demi-droites issues de A et passant par B et C, respectivement par h, k. L’angle (h, k) est dit l’angle du triangle ABC renfermé par les côtés AB et AC ; il est dit encore l’angle opposé au côté BC du triangle. Cet angle renferme à son intérieur tous les points à l’intérieur du triangle ABC et on le désignera par ou .

IV, 6. — Dans deux triangles ABC et A'B'C', si les congruences


sont vérifiées, les congruences


le seront toujours également.

Les axiomes IV, 1-3 renferment des énoncés qui n’ont trait qu’aux congruences entre segments situés sur des droites. Ils seront, par suite, dits les axiomes linéaires au groupe IV. Les axiomes IV, 4-5 renferment des énoncés qui ont trait aux congruences entre angles. L’axiome IV, 3-6 rattache la notion de congruence de segments à celle de congruence d’angles. Les axiomes IV, 3-6 renferment des énoncés qui ont trait aux éléments de la Géométrie plane et seront nommés par suite les axiomes planaires du groupe IV.


§ 7.

Conséquences des axiomes de congruence.


Convention. — Soit un segment AB congruent à un segment A’B’. Puisque, d’après l’axiome IV, 1, le segment AB est également congruent au segment AB de IV, 2, il s’ensuit que A’B’ est congruent à AB, ce que nous exprimerons en disant : les deux segments AB et A'B’ sont congruents entre eux.

Convention. — Soient A, B, C, D, ..., K, L et A’, B’, C’, D’, ...,K’, L’ deux séries de points sur les droites respectives a et a’, telles que les segments correspondants AB et A’B’, AC et A’C’, BC et B'C’, ..., KL et K’L’ soient respectivement congruents entre eux : on dit que les deux séries de points sont congruentes entre elles ; A et A’, B et B’, C et C’,…, L et L’ sont dits les points correspondants des deux séries ponctuelles congruentes.

Des axiomes linéaires IV, 1-3, nous concluons aisément les théorèmes suivants :

Théorème IX. — De deux séries ponctuelles congruentes, A, B, ..., K, L et A’, B’, ..., K’, L' si la première est ordonnée de telle sorte que B soit situé entre A d’une part et C, D, K, L de l’autre, que C soit situé entre A, B d’une part et D,..., K, L de l’autre, et ainsi de suite, les points A’, B’, C’, ...,K’, L’ seront ordonnés de même, c’est-à-dire que B’ sera situé entre A’ d’une part et C’, D’, ..., K’, L' de l’autre, que C’ sera situé entre A’, B’ d’une part et D’, ..., K’, L’ de l’autre, et ainsi de suite.

Convention. — Soit un angle (h, k) congruent à un angle (h', k' ). Puisque, d’après l'axiome IV, 4, l’angle (h, k) est congruent à , de l’axiome IV, 5 il s’ensuit que est congruent à , ce que nous exprimerons en disant les deux angles (h, k) et (h', k') sont congruents entre eux.

Définition. — Deux angles qui ont même sommet et un côté commun, et dont les côtés non communs sont en ligne droite, sont dits supplémentaires. Deux angles qui ont le même sommet et dont les côtes sont en ligne droite sont dits opposés par le sommet.

Un angle qui est congruent à son supplémentaire est dit un angle droit.

Convention. — Deux triangles ABC, A'B'C' sont dits congruents entre eux lorsque les congruences

,


sont toutes vérifiées.

Théorème X. — (Premier théorème de congruence des triangles. — Dans deux triangles ABC, A'B'C', si les congruences

0


sont vérifiées, les deux triangles sont congruents entre eux.

Démonstration. — D’après l’axiome IV, 6, les congruences


sont vérifiées et, par suite, il suffit de démontrer que les côtés BC et B’C’ (fig. g) sont congruents entre eux. Supposons, au contraire, que


BC ne soit pas congruent a B’C’ et déterminons sur B’C’ le point D’ tel que  ; les deux triangles ABC, A'B'D' auront deux côtés respectivement congruents et l’angle compris entre ces côtés congruent ; en vertu de l’axiome IV, 6, les deux angles et seront donc congruents entre eux. Maintenant, d’après l’axiome IV, 5, les deux angles et devraient donc aussi être congruents entre eux ; or, ceci est impossible, car, d’après l’axiome IV, 4, un angle ne peut être porté que d’une seule et unique manière à partir d’un point donné d’un côté donné d’une droite donnée dans un plan. La démonstration du théorème X est, de la sorte, complètement établie.

On démontrerait tout aussi aisément la proposition suivante :

Théorème XI. — (Deuxième théorème de congruence des triangles) — Dans deux triangles, lorsqu’un côté et les deux angles adjacents sont respectivement congruents entre eux, les deux triangles sont aussi congruents entre eux.

Nous sommes en mesure maintenant de démontrer les importantes propositions suivantes :

Théorème XII. — Lorsque deux angles sont congruents entre eux, il en est de même de leurs supplémentaires .

Démonstration. — Choisissons les points A'C'D' sur les côtés passant par B' en sorte que l’on ait

Dans les deux triangles ABC et A'B'C', les côtés AB, CB et les côtés A'B', C'B' sont respectivement congruents entre eux, et comme, en


outre, les angles compris entre ces côtés sont, par hypothèse, également congruents entre eux, du théorème X résulte la congruence des triangles en question, c’est-à-dire que l’on a les congruences

.

D’autre part, puisque, en vertu de l’axiome IV, 3, les segments AD et A'D' sont congruents entre eux, du théorème X résulte encore la congruence des triangles CAD et C'A'D', c’est-à-dire que l’on a les congruences

 ;


d’où, en considérant les triangles BCD et B'C'D' de l’axiome IV, 6, s’ensuit la congruence des anges et .

Une conséquence immédiate du théorème XII est la congruence des angles opposés par le sommet.

Théorème XIII. — Dans le plan , soit un angle (h, k) congruent a l’angle (h', k’) dans un plan α; soit ensuite l une demi-droite du plan α et issue du sommet de l’angle (h, k) et ayant son cours à l’intérieur de


cet angle : il existera toujours alors dans le plan α' une demi-droite l’ issue du sommet de l’angle (h', k’) ayant son cours à l’intérieur de cet angle et telle que l’on ait

Démonstration. — Désignons les sommets respectifs des angles (h,k), (h',k’) par 0 et 0’ et déterminons sur les côtés h, k et h', k’ les points A, B, et A’, B’ tels que l’on ait les congruences

En vertu de la congruence des triangles OAB et O’A’B’, on aura

La droite AB coupe l en C ; déterminons alors sur le segment A’B’ le point C’ tel que l’on ait  ; je dis alors que O’C’ est la demi-droite l’ cherchée. En effet, de et , on peut aisément, au moyen de l’axiome IV, 3, déduire la congruence  ; on voit clairement aussi que les triangles OAC et O’A’C’ sont congruents entre eux, et qu’il en est encore de même des triangles OBC et O'B'C'. On conclut de là les affirmations qu’énonce le théorème XIII.

D’une façon pareille nous obtenons la proposition suivante :

Théorème XIV. — Soient h, k, l d’une part, et h’, k’, l’ d’autre part, trois demi-droites issues respectivement d’un même point et situées dans un même plan.

Si les congruences


sont vérifiées, il en sera toujours également de même de

En s’appuyant sur les théorèmes XII et XIII, on démontre le théorème très simple qui suit, théorème qu’Euclide (à tort selon moi) a mis au rang des axiomes.

Théorème XV. — Tous les angles droits sont congruents entre eux.

Démonstration. — Soit l’angle BAD (fig. 12) congruent à son


supplémentaire CAD, et de même soit l’angle B'A'D' congruent à son supplémentaire C'A'D'. Alors je dis que les angles


sont tous des angles droits.

Supposons, ce qui est le contraire de notre proposition, que l’angle droit B’A’D’ ne soit pas congruent à l’angle droit BAD et portons alors sur la demi-droite AB de telle sorte que le côté AD" provenant de cette opération tombe soit à l’intérieur de l’angle BAD, soit à l’intérieur de l’angle CAD. Supposons, par exemple, que le premier de ces cas ait lieu. À cause de la congruence des angles B'A'D' et BAD", du théorème XII résultera que l’angle C'A'D' sera aussi congruent à l’angle CAD" ; puisque les angles B'A'D' et C'A'D' doivent être congruents entre eux, l’axiome IV, 5 nous enseigne qu’alors l’angle BAD" devra être congruent à l’angle CAD" ; or, puisque est congruent à , nous pouvons, en vertu du théorème XIII, déterminer à l’intérieur de l’angle CAD une demi-droite AD" issue de A et telle que soit congruent à en même temps que le soit aussi à . Maintenant était congruent à  ; par suite, il faudrait aussi, en vertu de l’axiome IV, 5, que soit congruent à . Or, cela est impossible, car, d’après l’axiome IV, 4, un angle ne peut être porté dans un plan donné d’un côté donné d’une demi-droite donnée que d’une seule et unique manière. Nous avons donc démontré le théorème XV.

Nous pouvons maintenant introduire de la manière que l’on sait les désignations d’ « angle aigu » et d’ « angle obtus ».

Le théorème relatif à la congruence des angles et adjacents à la base d’un triangle isoscèle ABC résulte immédiatement de l’application de l’axiome IV, 6, au triangle ABC et au triangle BAC.

En adjoignant à ce théorème le théorème XIV, on démontre aisément de la manière connue la proposition suivante :

Théorème XVI. — (Troisième théorème de congruence des triangles) — Dans deux triangles, lorsque les trois côtés sont respectivement congruents entre eux, les triangles sont congruents entre eux.

Convention. — Un nombre quelconque fini de points est dit une figure. Si tous les points de la figure sont situés dans un plan, elle sera dite une figure plane.

Deux figures sont dites congruentes, lorsque l’on peut en faire correspondre les points deux à deux d’une manière telle que les segments et les angles correspondants des deux figures soient respectivement tous congruents entre eux.

Les figures congruentes, comme le font voir les théorèmes XII et IX, jouissent des propriétés suivantes : Trois points d’une figure qui sont en ligne droite sont également en ligne droite dans toute figure congruente à la première. Dans les figures congruentes la distribution des points dans des plans correspondants par rapport à des droites correspondantes est toujours la même. Il en est encore de même de l’ordre de succession des points correspondants sur des droites correspondantes.

Le théorème le plus général relatif à la congruence pour le plan et pour l’espace s’exprime comme il suit :

Théorème XVII — Lorsque (A, B, C,…) et (A’, B’, C’,…) sont des figures planes congruentes, si l’on désigne par P un point dans le plan de la première figure, on pourra toujours déterminer dans le plan de la seconde figure un point P’, tel que (A, B, C,…, P) et (A’, B’, C’,…, P’, ) soient également des figures congruentes.

Si la figure (A, B, C,...) contient au moins trois points qui ne soient pas en ligne droite, la détermination de P’ ne sera possible que d’une seule et unique manière.

Théorème XVIII. — Lorsque (A, B, C,…) et (A’, B’, C’,…) sont des figures congruentes, si l’on désigne par P un point quelconque, on pourra toujours déterminer un point P’, tel que les figures (A, B, C,…, P) et (A’, B’, C’,…, P’) soient également congruentes.

Si la figure (A, B, C,...) renferme au moins quatre points qui ne soient pas situés dans un même plan, la détermination de P’ ne sera possible que d’une seule et unique manière.

Ce théorème renferme un très important résultat : c’est que toutes les vérités spatiales relatives à la congruence, c’est-à-dire aux déplacements dans l'espace, sont exclusivement des conséquences (adjonction faite des groupes I et II d’axiomes) des six axiomes liniéaires et plans de la congruence précédemment énoncés ; par conséquent, l’axiome des parallèles n’est pas nécessaire pour leur établissement.

Si aux axiomes de la congruence nous adjoignons encore l’axiome III, des parallèles, nous arrivons aisément à établir les propositions connues :

Théorème XIX. — Lorsque deux parallèles sont coupées par une troisième droite, les angles alternes-externes, alternes-internes et correspondants sont respectivement congruents ; réciproquement la congruence des angles respectifs portant les désignations ci-dessus a pour conséquence le parallélisme des deux droites en question.

Théorème XX. — Les angles d’un triangle forment ensemble deux angles droits.

Définition. — Lorsque M est un point quelconque d’un plan , l’ensemble de tous les points A, tels que les segments MA soient tous congruents entre eux, est dit une circonférence ; le point M est dit le centre de la circonférence.

De cette définition et en employant les groupes III-IV d’axiomes, l’on déduit aisément les théorèmes connus relatifs à la circonférence, en particulier celui qui énonce la possibilité de faire passer une circonférence par trois points non en ligne droite, ainsi que celui qui à trait à la congruence des angles inscrits dans le même segment et encore celui relatif aux angles du quadrilatère inscriptible.


§ 8.

Le groupe V d’axiomes : Axiome de la continuité (axiome d’Archimède).


Cet axiome rend possible l’introduction, dans la Géométrie, de la notion de la continuité ; pour énoncer cet axiome nous devons auparavant faire une convention relative à l’égalité de deux segments sur une droite. Nous pouvons à cet effet ou bien prendre pour fondement les axiomes sur la congruence des segments et dans ce cas désigner comme « égaux » les segments congruents, ou bien, en nous basant sur les groupes d’axiomes I-III, convenir de la manière dont, au moyen de constructions appropriées (voir Chap. V, § 24), un segment doit être porté sur une droite donnée à partir d’un point donné, en sorte que l’on obtienne un nouveau segment qui lui soit « égal ».

Une de ces conventions faite, l’axiome d’Archimède s’énoncera ainsi :

V. Soit A, un point quelconque situé sur une droite entre les points


quelconques donnés A et B. Construisons alors les points (fig. 13) tels que soit situé entre , que soit et ainsi de suite, et tels en outre que les segments


soient égaux entre eux ; alors dans la série de points il existera toujours un certain point , tel que B soit situé entre A et .

L’axiome d’Archimède est un axiome linéaire.

__________

Note ([3]), Remarquons qu’aux cinq précédents groupes d’axiomes l’on peut encore ajouter l’axiome suivant qui n’est pas d’une nature purement géométrique et qui, au point de vue des principes, mérite une attention particulière.

Axiome d'intégrité (Vollständigkeit) ([4]).

Au système des points, droites et plans, il est impossible d’adjoindre d’autres êtres de manière que le système ainsi généralisé forme une nouvelle Géométrie où les axiomes des cinq groupes I-V soient tous vérifiés ; en d'autre termes : les éléments de la Géométrie forment un système d'êtres qui, si l'on conserve tous les axiomes, n’est susceptible d’aucune extension.

Cet axiome ne nous dit rien sur l’existence de points limites ni sur la notion de convergence ; néanmoins l’on peut en l’invoquant démontrer ce théorème de Bolzano en vertu duquel, pour tout ensemble de points situés sur une droite entre deux points de celle-ci, il doit toujours nécessairement exister un point de condensation. La valeur de cet axiome au point de vue des principes tient donc à ce que l’existence de tous les points limites en est une conséquence et que, par suite, cet axiome rend possible la correspondance univoque et réversible des points d’une droite et de tous les nombres réels. D’ailleurs, dans le cours des présentes recherches, nous ne nous sommes servi nulle part de cet « axiome d’intégrité ».




CHAPITRE II.

LA NON-CONTRADICTION ET L’INDÉPENDANCE DES AXIOMES.




§ 9.

La non-contradiction des axiomes.


Les axiomes des cinq groupes d’axiomes dont nous avons parlé dans le Chapitre I ne sont pas en contradiction, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’en déduire par un raisonnement logique une proposition qui soit en contradiction avec un de ces axiomes. Pour le prouver il suffit d’assigner une géométrie où l’ensemble des cinq groupes soit vérifie.

À cet effet, considérons le domaine de tous les nombres algébriques qui prennent naissance, lorsque, partant du nombre t, l’on effectue un nombre fini de fois les quatre opérations, addition, soustraction, multiplication, division et une cinquième opération , où désigne chaque fois un nombre ayant déjà pris naissance par le moyen de ces cinq opérations.

Nous regarderons un couple de nombres (x, y) du domaine comme un point et le rapport (u : v : w) de trois nombres quelconques de , pourvu que u, v ne soient pas tous deux nuls, comme une droite ; enfin l’équation


exprimera que le point (x, y) est situé sur la droite (u' : v' : w). Alors, comme c’est facile à reconnaître, les axiomes I, 1-2 et III sont vérifiés. Les nombres du domaine sont tous réels ; si nous considérons que ces nombres peuvent être ranges par ordre de grandeur, nous pouvons aisément faire par rapport à nos points et droites des conventions telles que les axiomes de distribution II soient tous vérifiés. En effet, soient des points quelconques sur une droite, leur distribution sur la droite sera celle de l’ordre écrit ci-dessus, si les nombres ou les nombres sont ou bien tous décroissants, ou bien tous croissants dans l’ordre ci-dessus ; enfin pour vérifier la condition de l’axiome II, 5 il suffit de convenir que tous les points (x, y), tels que , soient respectivement situés ou bien d’un côté ou bien de l’autre de la droite (u : v : w).

On voit aisément que cette convention s’accorde avec celle qui la précédait et qui déterminait déjà l’ordre successif des points sur une droite.

Les déplacements des segments et des angles se feront suivant les méthodes connues de la Géométrie analytique. Une transformation de la forme


permet d’effectuer la translation des segments et des angles. Enfin, si l’on désigne le point (0, 0) par 0, le point (1, 0) par E et un point quelconque (a, b) par C (fig. 14), alors, au moyen d’une rotation


d’angle , O étant le centre de rotation, un point quelconque (x, y) se transformera en un point (x', y’) où}}

,
,

Maintenant, puisque le nombre


appartient au domaine , avec nos conventions, les axiomes de congruence IV sont aussi vérifiés et il en est évidemment de même de l’axiome d’Archimède V.

De tout cela on conclut que toute contradiction dans les conséquences tirées de nos axiomes devrait aussi apparaître dans l’arithmétique du domaine

Les considérations analogues relatives à la Géométrie de l’espace ne présenteraient aucune difficulté.

Dans les développements qui précèdent, si l’on choisissait, au lieu du domaine , le domaine de tous les nombres réels nous obtiendrions également une géométrie où l’ensemble des axiomes I-V serait aussi vérifié : mais pour notre démonstration il suffisait d’employer le domaine qui renferme seulement un ensemble dénumérable d’éléments.


§ 10.

Indépendance de l’axiome des parallèles (Géométrie non euclidienne).


Maintenant que l’on a reconnu la non-contradiction des axiomes, il est intéressant de rechercher s’ils sont tous indépendants.

Or, nous allons voir, en effet, qu’aucun des axiomes ne peut être déduit des autres au moyen de raisonnements logiques.

D’abord, en ce qui concerne les divers axiomes des groupes I, II et IV, il est facile de démontrer que les axiomes d’un même groupe sont tous indépendants([5]).

Ensuite, dans notre mode d’exposition, les axiomes des groupes I et II sont le fondement de tous les autres axiomes, en sorte qu’il suffira de démontrer que chacun des groupes III, IV et V est indépendant des autres.

La première affirmation de l’énoncé de l’axiome des parallèles peut être démontrée au moyen des axiomes des groupes I, II, IV. À cet effet, joignons le point A donné à un point quelconque B de la droite a. Soit ensuite C un autre point quelconque de cette droite. Par le point A menons dans le plan α et du cote de la droite AB, où n’est pas situé le point C, une droite formant avec AD un angle congruent à . Je dis que cette ligne passant par A ne coupera pas la droite a. En effet, supposons qu’elle coupe cette droite a au point D et supposons que B soit situé entre D et C, nous pourrions alors trouver sur a un point D' tel que B fût situé entre D et D' et qu’on eût en outre

.

De la congruence des triangles ABD et BAD' résulterait la congruence

,


et comme les angles ABD' et ABD sont supplémentaires, l’on voit, en se reportant au théorème XII, que les angles BAD, BAD' devraient l’être aussi ; or en vertu du théorème I il ne peut en être ainsi.

La deuxième affirmation renfermée dans l’axiome des parallèles III est indépendante des autres axiomes ; on le démontre de la manière connue et le plus simplement comme il suit : On choisira, comme éléments individuels d’une Géométrie de l’espace, les points, droites et plans de la Géométrie ordinaire construite au § 9, en ne considérant que ce qui est renfermé dans une sphère fixe ; on définira alors les congruences de cette Géométrie au moyen des transformations linéaires de la Géométrie ordinaire qui transforment en elle-même la sphère fixe.

En faisant des conventions convenables, on reconnait que, dans cette « Géométrie non euclidienne », tous les axiomes sont vérifiés hormis l’axiome euclidien III ; et comme la possibilité de la Géométrie ordinaire a été démontrée au § 9, celle de la Géométrie non euclidienne en résulte immédiatement.


§ 11.

Indépendance des axiomes de congruence.


Nous reconnaîtrons l’indépendance des axiomes de congruence en démontrant que l’axiome IV, 6, ou encore, car cela revient au même, que le premier théorème de congruence des triangles, c’est-à-dire le théorème X, ne peut être déduit des axiomes restant au moyen de raisonnements logiques.

Nous choisirons encore comme éléments de la nouvelle Géométrie de l’espace les points, droites et plans de la Géométrie ordinaire ; nous définirons aussi le déplacement des angles comme dans la Géométrie ordinaire ainsi qu’il a été exposé au § 9, par exemple. Mais au contraire, le transport des segments, nous le définirons d’une autre façon. Soient deux points qui, dans la Géométrie ordinaire, ont pour coordonnées nous nommerons alors longueur du segment la valeur positive de l’expression

et nous dirons alors que deux segments quelconques et sont congruents lorsqu’ils ont même longueur au sens que l’on vient de définir.

Il est clair que dans la Géométrie de l’espace, ainsi définie, les axiomes I, II, III, IV, 1-2, 4-5, V sont vérifiés.

Pour démontrer qu’il en est de même de l’axiome IV, 3 prenons une droite quelconque a et sur cette droite trois points tels que soit situé entre . Supposons les points x, y, z de la droite a donnés par les équations

,
,
,


désignent certaines constantes et t un paramètre. Si sont les valeurs du paramètre qui correspondent aux points nous aurons pour longueurs des trois segments les expressions respectives

,
,
,


et par suite la somme des longueurs des segments et égale à la longueur du segment . Or ce fait est précisément condition pour que l’axiome IV, 3 soit vérifié.

Mais l’axiome IV, 6 ou plutôt le premier théorème de congruence des triangles n’est pas toujours vérifié dans cette Géométrie.

Considérons, en effet, dans le plan z = 0 les quatre points

O ayant pour coordonnées…… , ,
A ______»______» , ,
B ______»______» , ,
C ______»______» , .

Dans les deux triangles (rectangles) OAC et OBC (fig. 15) les angles en C et les côtés BC et AC sont respectivement congruents


puisque le côté OC est commun et que les segments AC et BC ont pour même longueur ½. Au contraire, les troisièmes côtés OA et OB ont pour longueurs respectives 1 et et, par suite, ne sont pas congruents.

Il ne serait pas difficile d’ailleurs de trouver, dans cette Géométrie, deux triangles pour lesquels l’axiome IV, 6 lui-même ne serait pas vérifié.


§ 12.

Indépendance de l’axiome de la continuité V.
(Géométrie non archimédienne.)


Pour démontrer l’indépendance de l’axiome V dit d’Archimède, il nous faut construire une Géométrie où seront vérifiés tous les axiomes à l’exception de cet axiome en question ([6]).

À cet effet, construisons le domaine de toutes les fonctions algébriques de t, qui proviennent de t au moyen des quatre opérations addition, soustraction, multiplication, division, et de la cinquième opération , où désigne une fonction quelconque, déjà obtenue au moyen de ces cinq opérations. L’ensemble des éléments de de même qu’il en était précédemment de — est un ensemble dénombrable. Les cinq opérations peuvent être toutes effectuées d’une manière univoque et réelle. Le domaine ne renferme donc que des fonctions de t univoques et réelles.

Soit c une fonction quelconque du domaine  ; la fonction c étant une fonction algébrique de t ne peut jamais s’annuler que pour un nombre fini de valeurs de t, et, par suite, la fonction c sera, pour des valeurs positives suffisamment grandes de t ou bien toujours positive, ou bien toujours négative.

Nous regarderons maintenant les fonctions du domaine comme une certaine espèce de nombres complexes ; dans le système numérique complexe ainsi défini, il est clair que les règles usuelles de calcul sont toutes vérifiées. Enfin a, b désignant deux nombres différents quelconques de ce système, nous dirons que le nombre a est plus grand ou plus petit que b — ce qui s’écrira a > b ou a < b — suivant que la différence c = a - b, regardée comme fonction de t, prend pour des valeurs suffisamment grandes de t une valeur, ou bien toujours positive ou bien toujours négative. En adoptant cette convention, il est possible de ranger par ordre de grandeur les nombres de notre système numérique complexe, suivant une distribution analogue à celle que l’on emploie pour les nombres réels ; on reconnaît aisément aussi que les théorèmes qui consistent à dire que les inégalités subsistent, lorsque à chacun de leurs membres on ajoute un même nombre ou lorsqu’on y multiplie chaque membre par un même nombre > 0, sont également vérifiés dans notre système numérique complexe.

Maintenant, si l’on désigne par n un nombre entier positif rationnel quelconque, il est clair que pour les deux nombres n et t du domaine l’inégalité n < t sera vérifiée, car la différence n - t regardée comme fonction de t sera toujours négative pour des valeurs positives de t suffisamment grandes. Nous exprimerons ce fait comme il suit : Les deux nombres 1 et t du domaine , qui tous deux sont > 0, jouissent de la propriété qu’un multiple quelconque du premier sera toujours plus petit que le second de ces nombres.

Ceci posé, au moyen des nombres complexes du domaine nous édifierons une Géométrie, absolument comme nous l’avons fait au § 9, où nous avons pris pour base les nombres algébriques du domaine . Nous regarderons un système de trois nombres (x, y, z) du domaine ) comme un point, et les rapports (u : v : w : r) de quatre nombres quelconques du domaine , tant que u, v, w, r ne sont pas tous nuls, comme un plan ; enfin l’équation ·


exprimera que le point (x, y, z) est situé dam le plan (u : v : w : r), et la droite sera l’ensemble de tous les points situés dans deux plans à la fois. Si nous adoptons alors relativement à la distribution des éléments ainsi qu’aux déplacements des segments et des angles des conventions tout à fait analogues à celles du § 9, nous obtiendrons une Géométrie non archimédienne, où, comme le font voir les propriétés que nous venons d’exposer du système numérique complexe , tous les axiomes sont vérifiés, hormis l’axiome d’Archimède. En effet, sur le segment t nous pouvons porter le segment 1 en le faisant glisser bout à bout un nombre infini de fois sans jamais arriver à atteindre l’extrémité du segment t ; or, cela est en contradiction avec l’axiome d’Archimède.



CHAPITRE III.

THÉORIE DES PROPORTIONS.




§ 13.

Systèmes numériques complexes.


Au début de ce Chapitre, nous allons présenter quelques notions préliminaires sur des systèmes numériques complexes, qui nous seront plus tard utiles, en particulier, pour faciliter l’exposition.

L’ensemble des nombres réels forme un système d’êtres ayant tes propriétés suivantes :

Théorèmes de l’association (1-12).

1. Du nombre a et du nombre b provient par addition, un nombre déterminé c, ce qui s’exprime ainsi :

a + b = c ou c = a + b.

2. Il y a un nombre déterminé — on le nomme 0 — tel que pour tout a l’on ait simultanément

a + 0 = a et 0 + a = a.

3. Si l’on désigne par a et b des nombres donnés il existe toujours un et un seul nombre x, et de même un et un seul nombre y, tels que l’on ait respectivement

a + x = b, y + a = b.

4. Du nombre a et du nombre b provient encore d’une autre manière, par multiplication, un nombre déterminé c, ce qui s’exprime ainsi :

ab = c ou c = ab.

5. Il y a un nombre déterminé — on le nomme 1 — tel que pour tout a l’on ait simultanément

a.1 = a et 1.a = a.

6. Si l’on désigne par a et b des nombres quelconques donnés, a n’étant pas nul, il existe toujours un et un seul nombre x et de même un et un seul nombre y, tels que l’on ait respectivement

.

Si l’on désigne par a, b, c des nombres quelconques, les règles de calcul suivantes sont toujours vérifiées :

7. .

8. .

9. .

10. .

11. .

12. .

Théorèmes de la distribution (13-16).

13. Si l’on désigne par a, b deux nombres quelconques distincts, il y a toujours un de ces deux nombres (par exemple a) qui est plus grand (>) que l’autre ; ce dernier est dit alors le plus petit, ce qui s’exprime ainsi :

a > b et b < a.

14. Lorsque a > b et b > c on a aussi

a > c.

15. Lorsque a > b, l’on a toujours aussi

a + c > b + c et c + a > c + b.

16. Lorsque a > b et c > 0 l’on a toujours aussi

ac > bc et ca > cb.


Théorème d'Archimède (17).

17. Si a > o et b > o désignent deux nombres quelconques, il est toujours possible d’ajouter a à lui-même un nombre de fois suffisant pour que la somme qui en résulte ait la propriété

a + a + a + ... + a > b.

Un système d’êtres qui ne possède qu’une partie des propriétés 1-17 sera dit un système numérique complexe ou tout simplement un système numérique. Un système numérique sera dit archimédien ou bien non archimédien selon qu’il vérifie ou non la condition 17.

Parmi les propriétés 1-17, exposées ci-dessus, il y en a qui sont la conséquence des autres, il y a lieu de rechercher la dépendance logique de ces propriétés. Dans le Chapitre VI, §32, §33, nous répondrons à deux questions de cette nature en raison de leur grande portée en Géométrie ; en attendant, nous nous contenterons d’affirmer ici que la dernière condition, 17, n’est aucunement la conséquence logique des propriétés restantes ; en effet, nous avons déjà vu, par exemple, que le système numérique complexe considéré au §12 possède toutes les propriétés 1-16, et cependant ne vérifie pas la condition 17.


§ 14.

Démonstration du théorème de Pascal.


Dans ce Chapitre comme dans le suivant, nous allons prendre comme base de nos recherches les axiomes planaires de tous les groupes, exception faite pour l’axiome d’Archimède, c’est-à-dire les axiomes I,1-2 et II-IV. Dans ce Chapitre III, nous nous proposons, au moyen desdits axiomes, d’établir la théorie euclidienne des proportions, c’est-à-dire que nous allons rétablir dans le plan et indépendamment de l'axiome d'Archimède.

À cet effet, nous démontrerons d’abord une proposition qui est un cas particulier du célèbre théorème de Pascal sur les coniques, et que je désignerai dorénavant, pour abréger, sous le nom de théorème de Pascal, en l’énonçant comme il suit :

Théorème XXI (Théorème de Pascal). — Soient A, B, C (fig. 16) et A', B', C' des points situés respectivement trois par trois sur deux droites qui se coupent, et distincts du point d’intersection de ces droites. Si CB’ est parallèle à BC’ et CA’ à AC’, je dis que BA’ sera parallèle à AB’[7].

Afin de démontrer ce théorème introduisons d’abord les notations suivantes :

Dans un triangle rectangle (fig. 17) le côté a de l’angle droit est


déterminé d’une manière univoque par l’hypoténuse c et par l’angle à la base α compris entre c et a : c’est ce que nous exprimerons en abrégé au moyen de la notation symbolique

.


Ainsi le symbole αc désignera toujours un segment bien déterminé, pourvu que c désigne un segment quelconque donné et α un angle aigu quelconque donné.

Maintenant soit c un segment quelconque et soient α, β deux angles aigus quelconques, je dis qu’alors la congruence segmentaire


a toujours lieu et que, par suite, les symboles α, β sont échangeables.

Pour le démontrer prenons le segment c = AB (fig. 18) ; portons, en prenant A comme sommet, de part et d’autre de ce segment les angles α et β ; puis, du point B, abaissons sur les deux autres côtés de ces


angles α et β les perpendiculaires BC et BD ; enfin du point A menons la perpendiculaire AE à CD.

Cela posé, les angles et étant droits, les quatre points A, B, C, D seront situés sur une circonférence et, par suite, les deux angles et inscrits dans un segment sous-tendu par la même corde AD seront congruents. Or, et forment ensemble un angle droit et il en est de même de et de  ; par suite, les angles et sont congruents, c’est-à-dire que

d’où


De là résultent immédiatement les congruences segmentaires


ce qui démontre l’exactitude de la congruence dont il était question.

Revenons maintenant à la figure du théorème de Pascal et désignons par O le point d’intersection des deux droites et désignons les segments OA, OB, OC ; OA', OB', OC’ ; CB', BC' ; CA', AC’ ; BA’, AB’ (fig. 19) respectivement par a, b, c ; a',. b', c' ; l, l' ; m, m' ; n, n'. Du point O, abaissons ensuite des perpendiculaires à l, m, n. La perpendiculaire à l formera avec les deux droites OA, OA' des angles aigus que nous désignerons respectivement par λ, λ, de même les perpendiculaires à m et à n formeront avec les mêmes droites OA, OA’ des angles aigus que nous désignerons respectivement par μ', μ et ν', ν. Maintenant, si nous exprimons ces trois perpendiculaires, ainsi qu’il a été précédemment indiqué, au moyen des hypoténuses et des angles adjacents à celles-ci dans les triangles rectangles qui leur correspondent, ce qu’il est


possible de faire de deux manières, nous obtiendrons les trois congruences segmentaires

(1) (1)
(2) (2)
(3) (3)

Maintenant l, par hypothèse, devant être parallèle à l', et m devant l’être de même à m*, les perpendiculaires abaissées du point O sur l’ et m* devront respectivement coïncider avec les perpendiculaires abaissées de ce point sur l et m ; et l’on aura, par suite,

(4) (4)
(5) (5)

Cela posé, si nous multiplions symboliquement chacun des deux membres de la congruence (3) par le symbole λ'μ, en nous souvenant que, d’après ce qui a été déjà établi, les symboles dont il s’agit sont échangeables, nous trouverons

Dans le premier membre de cette congruence ayons égard à la valeur donnée par (2) pour μa' et dans le second membre à la valeur donnée par (4) pour λ'b ; il viendra

ou encore
.

Dans le premier membre de cette dernière congruence avons égard à (1), dans le second membre à (5), il viendra

.
ou encore
.

De cette congruence, en raison de la signification de nos symboles, nous concluons immédiatement

 ;


d’où, enfin,

(6) (1)

Or, si nous considérons la perpendiculaire abaissée du point O sur an et les perpendiculaires menées à celle-ci du point A et du point B’, la congruence (6) nous montrera que les pieds de ces deux dernières perpendiculaires coïncident, c’est-à-dire que la droite n = AB' coupe à angle droit la perpendiculaire à n et, par suite, est parallèle à n. Le théorème de Pascal est donc démontré.

Étant donnés une droite quiconque, un point en dehors de cette droite et un angle quelconque, l’on peut évidemment, en transportant cet angle et en traçant une parallèle, trouver une droite qui passe par le point donné et coupe la droite donnée sous l’angle donné.

Grâce à cette construction, nous pouvons encore employer pour la démonstration du théorème de Pascal le raisonnement très simple qui suit et que je dois à une bienveillante communication :

Par le point B (fig. 20) l’on mènera une droite qui coupe OA' au point D', sous un angle OCA' tel que la congruence

(1*) (1*)


soit vérifiée ; alors, en vertu d’un théorème bien connu de la théorie du cercle, CBD'A' est un quadrilatère inscriptible, et par suite, en vertu du théorème relatif à la congruence des angles inscrits dans le même segment, on a la congruence

(2*) (2*)

Puisque CA' et AC' sont, par hypothèse, parallèles, l'on a aussi

(3*) , (3*)


et de (1*) et (3*) résulte encore

 ;


mais le quadrilatère BAD'C' est alors aussi un quadrilatère inscriptible.


et, en vertu du théorème relatif aux angles d’un tel quadrilatère, on a la congruence

(4*) . (4*)

Or, comme CB' est, par hypothèse, parallèle à BC', nous aurons aussi

(5*)  ; (5*)


de (4*) et de (5*) l’on tire la congruence

 ;


cette dernière nous fait voir que le quadrilatère CAD'B' est aussi un quadrilatère inscriptible, et par suite que l’on a encore

(6*) . (6*)

De (2*) et (6*) l’on tire

,


congruence qui nous apprend enfin que BA' et AB' sont parallèles, comme le veut le théorème de Pascal.

Si D' coïncidait avec un des points A', B', C', il serait nécessaire de faire à cette méthode de démonstration une légère modification, qu’il est facile d’apercevoir.


§ 15.

Un calcul segmentaire basé sur le théorème de Pascal.


Le théorème de Pascal, démontré dans le paragraphe précèdent, nous permet d’introduire dans la Géométrie un calcul sur les segments où seront vérifiées sans modification toutes les opérations de calcul sur les nombres réels.

Au lieu du mot congruent et du signe , nous ferons usage, dans ce calcul segmentaire, du mot égal et du signe =.

A, B, C (fig. 20 bis) étant trois points sur une droite, et B étant


situé entre A et C, nous désignerons c = AC sous le nom de somme des deux segments a = AB et b = BC, et nous écrirons

c = a + b.

Les segments a et b sont dits plus petits que c, ce qui s’écrit

a < c, b < c,


et c est dit plus grand que a et que b, ce qui s’écrit

c > a, c > b.

Des axiomes linéaires de la congruence IV, 1-3, l’on conclut aisément que pour l’addition des segments, telle que nous venons de la définir, la loi associative

ainsi que la loi commutative
sont toutes deux vérifiées.

Pour définir géométriquement le produit d’un segment a par un segment b, nous emploierons la construction suivante : Nous choisirons d’abord un segment quelconque qui restera le même dans toute cette théorie, et nous le désignerons par i. Sur le côté d’un angle droit nous porterons, à partir du sommet O (fig. 21), d’abord le segment


i, puis le segment b ; sur l’autre côté de l’angle nous porterons, à partir de O, le segment a ; joignons alors les extrémités des segments i et a par une droite ; à celle-ci nous mènerons ensuite une parallèle par l’extrémité de b ; cette parallèle déterminera sur l’autre côté de l’angle un segment c ; ce segment c nous le nommerons le produit du segment a par le segment b, et nous écrirons

c = a b.

Avant tout, nous allons démontrer que, dans la multiplication des segments telle que l’on vient de la définir, la loi commutative

ab = ba


est toujours vérifiée. À cet effet, construisons d’abord de la manière que l’on vient de décrire le segment ab (fig. 22). Portons ensuite, à partir du point O sur le premier côté de l’angle droit, le segment a, et sur le second le segment b. Joignons alors l’extrémité de i à l'extrémité de b, située sur l’autre côté de l’angle droit, par une droite, et menons une parallèle à cette droite par l’extrémité de a située sur le premier côté de l’angle droit. Cette parallèle déterminera, par son intersection avec le second côté de l’angle droit, le segment ba ; or, comme le fait voir la fig. 22, ce segment ba coïncide, en vertu


du parallèlisme des lignes auxiliaires ponctuées [théorème de Pascal (XXI)], avec le segment ab déjà construit.

Pour démontrer, dans notre multiplication des segments, la loi associative

a(bc) = (ab)c,


construisons d’abord le segment d = bc (fig. 23), puis da ; ensuite le


segment e = ba, et enfin ec. En vertu du théorème de Pascal, les extrémités de da et de ec coïncident, comme on le voit clairement sur la fig. 23, et, si l’on applique alors la loi commutative qui vient d’être démontrée, on en tire la précédente formule, qui exprime la loi associative de la multiplication segmentaire.

Enfin, dans notre calcul segmentaire, la loi distributive

est également vérifiée.

Pour le démontrer, construisons les segments ab, ac et a(b + c) (fig. 24), et, par l’extrémité du segment c (voir la fig. 24 ci-dessous),


menons une parallèle à l’autre côté de l’angle droit. La congruence des deux triangles ombrés dans la fig. 24 et l’application du théorème de la congruence des côtes opposés d’un parallélogramme fournissent la démonstration demandée.

Si l’on désigne par b et c deux segments quelconques, il existe toujours un segment a tel que l’on ait c = ab ; ce segment a est désigné par la notation et se nomme le quotient de c par b.


§ 16.

Les proportions et les théorèmes de similitude.


À l’aide du calcul segmentaire précité, on peut établir comme il suit la théorie d’Euclide des proportions sans prêter à aucune objection et sans faire usage de l’axiome d’Archimède.

Convention. — a, b, a', b' désignant quatre segments quelconques, la proportion


n’exprimera pas autre chose que l’équation segmentaire

Définition. — Deux triangles sont dits semblables lorsque leurs angles homologues sont congruents.

Théorème XXII. — Si l’on désigne par a, b et a', b'. des côtes homologues dans deux triangles semblables, la proportion

est vérifiée.

Démonstration — Considérons d’abord le cas particulier où les angles compris entre a et b et entre a’ et b’ (fig. 25) dans les deux


triangles sont droits, et supposons que les deux triangles aient été tous deux portés sur un même angle droit. Sur l’un des côtés de l’angle droit, portons alors, à partir du sommet O, le segment 1, et, par l’extrémité de ce segment, menons une parallèle aux hypoténuses des deux triangles. Cette parallèle déterminera sur l’autre côté de l’angle droit un segment e ; or, en vertu de notre définition du produit de deux segments, on aura

d’où
c’est-à-dire

Passons maintenant au cas général. Dans chacun des deux triangles semblables déterminons les points d’intersection respectifs S et S’ des trois bissectrices, et de ces points abaissons les perpendiculaires respectives r et r’ sur les côtés des triangles.

Désignons les segments respectifs ainsi déterminés sur les cotes des triangles (fig. 36) par

et par



le cas particulier du théorème que nous venons de démontrer fournit les proportions


de celles-ci, en vertu de la loi distributive, on conclut que


d’où, en se reportant à la loi commutative de la multiplication,

Du théorème XXII ainsi démontre nous tirons aisément le théorème fondamental de la théorie des proportions que voici :

Théorème XXIII. — Si l’on désigne par a, b et a', b' les segments respectifs découpés par deux parallèles sur les côtés d’un angle quelconque, la proportion

est toujours vérifiée.

Réciproquement, lorsque quatre segments a, b, a', b' vérifient cette proportion, si l’on porte a, a' et b, b' sur les côtés respectifs d’un angle quelconque, les droites qui joignent les extrémités respectives de a, b et a', b' sont parallèles.

§ 17

Les équations des droites et des plans.


Au système de segments précédemment défini nous en adjoindrons un second tout pareil ; nous différencierons les segments de ce nouveau système de ceux du premier en les marquant d’un signe distinctif et nous les nommerons « négatifs » par opposition aux segments « positifs » considérés auparavant. Si nous introduisons encore le segment o déterminé par un point unique, alors, dans ce calcul segmentaire généralisé, en adoptant des conventions convenables, toutes les règles de calcul relatives aux nombres réels, exposées au § 13, seront vérifiées. Nous exposerons, par exemple, les propositions particulières qui suivent :

On a toujours

Si a.b = 0, on a toujours

soit     soit

Si l’on a

et
il en résulte toujours

Dans un plan α, prenons maintenant deux droites se coupant sous un angle droit au point O pour axes fixes rectangulaires, et portons alors, à partir du point O, des segments quelconques x, y sur ces deux droites, et cela de l’un ou de l’autre côté du point O, selon que les segments x, y sont respectivement positifs ou négatifs. Élevons alors des perpendiculaires aux extrémités des segments précités et déterminons leur point d’intersection P ; les segments x, y sont alors dits les coordonnées du point P : tout point du plan α est déterminé d’une manière univoque par ses coordonnées, que celles-ci soient positives, négatives ou nulles.

Soit (fig. 27) une droite quelconque du plan α passant par 0 et par un point C dont les coordonnées sont a et b. Si l’on désigne alorss


par x et y les coordonnées d’un point quelconque de l, nous tirons aisément du théorème XXII

ou
comme équation de la droite l.

Si l’ est une droite parallèle à l et déterminant sur l’axe des x le segment c, nous obtiendrons l’équation de la droite l’, en remplaçant, dans l’équation de la droite l le segment x par le segment x – c. L’équation de la droite sera donc

.

De ces développements nous concluons aisément, et indépendamment de l’axiome d’Archimède, que toute droite d’un plan est représentée par une équation linéaire entre les coordonnées x, y et, réciproquement, que toute équation linéaire de ce genre représente une droite, lorsque les coefficients de cette équation sont des segments appartenant à la Géométrie en question.

On démontrerait tout aussi aisément les résultats analogues dans la Géométrie de l’espace.

À partir de là, tout le reste de la Géométrie peut se construire d’après les méthodes usuelles de la Géométrie analytique.

Dans ce Chapitre III actuel, nous n’avons jusqu’ici, nulle part, fait usage de l’axiome d’Archimède. Si nous le supposons vérifié ici, nous pouvons alors, aux points d’une droite quelconque dans l’espace, faire correspondre des nombres réels, et cela de la manière suivante :

Choisissons sur la droite deux points quelconques, et attribuons à ces points les nombres et . Partageons ensuite en deux parties égales le segment qu’ils déterminent et désignons-en le milieu par , puis le milieu du segment par , et ainsi de suite ; après avoir répété n fois cette opération, nous obtiendrons un point auquel il faudra attribuer le nombre . Sur la droite en question portons alors successivement, à partir du point et de part et d’autre de ce point, le segment , m fois par exemple ; aux points ainsi obtenus attribuons les nombres respectifs et .

De l’axiome d’Archimède on conclut alors aisément que, en vertu de la coordination ainsi opérée, à tout point de la droite on peut faire correspondre d’une manière univoque déterminée un nombre réel, et cela de telle sorte que cette coordination jouisse de la propriété suivante : A, B, C désignant trois points quelconques de la droite auxquels correspondent les nombres respectifs α, β, γ, et B étant situé entre A et C, ces nombres α, β, γ vérifieront toujours ou bien l’inégalité α < β < γ, ou bien l’inégalité α > β > γ.

Des développements du Chapitre III, § 9, résulte clairement qu’ici, pour tout nombre appartenant au corps algébrique , il doit exister un point correspondant sur la droite ; mais reconnaître si à tout autre nombre réel correspond de même un point de la droite, c’est ce qu’on ne peut faire d’une manière générale, cette question dépendant de la Géométrie à laquelle on a affaire.

Au contraire, il est toujours possible de généraliser le système primitif des points, droites et plans au moyen d’éléments « idéaux » ou « irrationnels » d’une manière telle que, sur une droite quelconque de la Géométrie ainsi construite, à chaque système de trois nombres réels corresponde sans exception un point. Au moyen d’une convention convenable, on peut également faire que, dans la Géométrie ainsi généralisée, les axiomes I-V soient tous vérifiés. Cette Géométrie généralisée (par l’adjonction des éléments irrationnels) n’est autre que la Géométrie analytique usuelle de l’espace.





CHAPITRE IV.

THÉORIE DES AIRES PLANES.




§ 18[8].

Égalité par addition, égalité par soustraction des polygones.


Nous prendrons comme base de nos recherches, dans le Chapitre actuel IV, les mêmes axiomes que nous avons employés au Chapitre III, à savoir les axiomes planaires de tous les groupes, hormis l’axiome d’Archimède, c’est-à-dire les axiomes I, 1-2, et II-IV.

La théorie des proportions exposée dans le Chapitre III et le calcul segmentaire qui y a été introduit nous permettent d’établir la théorie d’Euclide des aires au moyen des axiomes précités, c’est-à-dire dans le plan et indépendamment de l’axiome d’Archimède.

Les développements du Chapitre III faisant essentiellement reposer la théorie des proportions sur le théorème de Pascal (théorème XXI), il en sera aussi de même de la théorie des aires. Cette manière d’établir la théorie des aires me semble une des plus remarquables applications du théorème de Pascal dans la Géométrie élémentaire.

Convention. — Si l’on joint deux points d’un polygone par une ligne brisée quelconque contenue tout entière à l’intérieur du polygone, on obtient deux nouveaux polygones et dont les points intérieurs sont tous situés à l’intérieur de  ; nous dirons est décomposé en et , ou bien et composent .

Définition. — Sont dits flächengleich, c’est-à-dire égaux par addition, deux polygones qui peuvent être décomposés en un nombre fini de triangles respectivement congruents deux à deux.

Définition. — Sont dit inhaltzgleich ou von gleichem Inhalte, c’est-à-dire égaux par soustraction, deux polygones auxquels on peut ajouter des polygones égaux par addition, de manière que les deux polygones ainsi composés soient eux-mêmes égaux par addition.

De ces définitions résulte immédiatement ceci : en réunissant des polygones égaux par addition, on obtient encore des polygones eux mêmes égaux par addition, et, si l’on soustrait de polygones égaux par addition des polygones eux-mêmes égaux par addition, les polygones qui restent sont égaux par soustraction.

Enfin nous avons les propositions suivantes :

Théorème XXIV. — Deux polygones et , égaux par addition à un troisième , sont égaux entre eux par addition. Deux polygones égaux par soustraction à un troisième sont égaux entre eux par soustraction.

Démonstration. — Par hypothèse pour , ainsi que pour , on peut assigner une décomposition en triangles, telle qu’a chacune de ces décompositions corresponde une décomposition de en triangles congruents (fig. 28). Si nous considérons simultanément ces décompositions de , on voit d’une manière générale que chaque triangle de l’une des décompositions est décomposé en polygones par des segments appartenant à l’autre décomposition. Nous introduisons alors un nombre suffisant de segments pour décomposer chacun de ces polygones eux-mêmes en triangles, et nous opérerons alors sur et les deux décompositions en triangles correspondantes ; il est évident maintenant que ces deux polygones et sont décomposés en un nombre égal de triangles respectivement congruents deux à deux, et qu’ils sont, par suite, d’après la définition, égaux par addition.

La démonstration de la seconde partie de l’énoncé du théorème XXIV a lieu maintenant sans aucune difficulté.

Nous définirons de la manière ordinaire les notions : rectangle, base et hauteur d’un parallélogramme, base et hauteur d’un triangle.


§ 19.

Parallélogrammes et triangles qui ont même base et même hauteur.


Le raisonnement bien connu d’Euclide, et qui est indiqué par la fig. 29. fournit la démonstration de la proposition suivante :

Théorème XXV. — Deux parallélogrammes qui ont même base et même hauteur sont égaux entre eux par soustraction.

On a ensuite la proposition connue :

Théorème XXVI. — Un triangle quelconque ABC est toujours égal par addition à un certain parallélogramme de même base et de hauteur moitié moindre.

Démonstration. — Prenons les milieux respectifs D et E de AC et de BC (fig. 30) et prolongeons DE de sa propre longueur jusqu’en F ; les


triangles DEC et FBE sont alors congruents et, par suite, le triangle ABC et le parallélogramme ABFD sont égaux entre eux par addition.

Des théorèmes XXV et XXVI résulte immédiatement, en ayant égard au théorème XXIV, la proposition suivante :

Théorème XXVII. — Deux triangles qui ont même base et même hauteur sont égaux entre eux par soustraction.

On sait que d’habitude on démontre que deux triangles qui ont même base et même hauteur sont aussi toujours égaux par addition ; remarquons néanmoins que cette démonstration ne peut avoir lieu sans employer l’axiome d’Archimède ; on peut, en effet, dans notre Géométrie non archimédienne (voir Chap. II, § 12) assigner sans aucune difficulté deux triangles qui ont même base et même hauteur et qui, par suite, en vertu du théorème XXVII, sont ; égaux par soustraction, mais qui cependant ne sont pas égaux par addition. Ainsi, nous pouvons prendre pour exemple deux triangles ABC et ABD ayant AB = 1 pour base commune et ayant pour hauteur 1, le sommet C du premier triangle étant situé sur une perpendiculaire à la base AB élevée au point A, tandis que, dans le second triangle, le pied F de la hauteur abaissée du sommet D est situé de sorte que l’on ait AF = 1.

Tous les autres théorèmes de la Géométrie élémentaire qui se rapportent à l’égalité par soustraction des polygones, en particulier le théorème de Pythagore, sont de simples conséquences des théorèmes que nous venons d’énoncer. Néanmoins en poussant plus loin la théorie des aires nous rencontrons une difficulté essentielle. En effet, les considérations développées jusqu’ici laissent encore indécise la question de savoir si par hasard tous les polygones ne seraient pas égaux entre eux par soustraction. S’il en était ainsi tous les théorèmes énoncés précédemment ne nous apprendraient rien et n’auraient aucun sens. Ensuite se présente la question plus générale de savoir si deux rectangles égaux par soustraction et ayant un côté commun ont aussi leurs autres côtés congruents, c’est-à-dire, si un rectangle est déterminé d’une manière univoque par un de ses côtés et par son aire.

Comme une considération plus attentive le fait voir, pour répondre aux questions ainsi soulevées, l’on a besoin de la réciproque du théorème XXVII, qui s’énonce ainsi :

Théorème XXVIII. — Lorsque deux triangles égaux par soustraction ont même base, ils ont nécessairement même hauteur.

Ce théorème fondamental XXVIII se trouve dans les Éléments d’Euclide au premier Livre, sous le numéro 39. Pour le démontrer, Euclide invoque d’ailleurs cette proposition générale relative aux grandeurs : Καὶ τὸ ὅλον τοῦ μέρους μεῖζον ἐστιν, procédé qui revient à l’introduction d’un nouvel axiome relatif aux aires.

Il s’agit maintenant d’établir le théorème XXVIII et, avec ce théorème, la théorie des aires, de la manière que nous nous sommes propose, c’est-à-dire uniquement à l’aide des axiomes planaires et sans employer l’axiome d’Archimède. À cet effet, il nous faut introduire la notion de mesure des aires.


§ 20.

La mesure des aires des triangles et des polygones.


Définition. — Si dans un triangle ABC (fig. 31) de côtés a, b, c nous menons les deux hauteurs , de la similitude des triangles BCE et ACD, nous tirons, en vertu du théorème XXII, la proportion

c’est-à-dire


par suite, dans tout triangle le produit d’une base par la hauteur correspondante est indépendant du côté du triangle que l’on prend pour base. Le demi-produit de la base par la hauteur d’un triangle est dit la mesure de l’aire du triangle  ; nous la désignerons par F().

Convention. — Un segment qui joint un sommet d’un triangle à un point du côté opposé s’appelle une transversale. Cette transversale décompose le triangle en deux autres de hauteur commune et dont les bases sont situées sur la même droite. Une telle décomposition s’appellera une décomposition transversale du triangle.

Théorème XXIX. — Un triangle étant décomposé n’importe comment, par des droites quelconques, en un certain nombre fini de triangles , la mesure de l’aire du triangle est égale à la somme des mesures des aires de tous les triangles .

Démonstration. De la loi distributive de notre calcul segmentaire résulte immédiatement que la mesure de l’aire d’un triangle quelconque est égale à la mesure des aires des deux triangles qui proviennent du premier par une décomposition transversale quelconque.


L’application réitérée de cette proposition nous fait voir que la mesure de l’aire d’un triangle quelconque est aussi égale a la somme des mesures des aires de tous les triangles qui proviennent du premier, lorsque l’on opère successivement un nombre quelconque de décompositions transversales (fig. 32).

Pour arriver à faire la démonstration correspondant à une décomposition quelconque du triangle en triangles d’un sommet A (fig. 33) du triangle menons par chaque point de division de


la décomposition, c’est-à-dire par chaque sommet des triangles , une transversale ; ces transversales décomposent le triangle en certains triangles . Chacun de ces triangles est décomposé par les segments qui déterminent la décomposition donnée en certains triangles et quadrilatères.

Enfin, si dans chaque quadrilatère nous menons une diagonale, chacun des triangles est décomposé en certains triangles . Nous nous proposons maintenant de démontrer que la décomposition en triangles , aussi bien pour les triangles que pour les triangles , n’est pas autre chose qu’une série de décompositions transversales.

En effet, il est d’abord évident que toute décomposition d’un triangle en triangles partiels peut être effectuée au moyen d’une série de décompositions transversales quand, dans cette décomposition, il n’existe pas de points de division à l’intérieur du triangle et quand, en outre, un côté au moins du triangle ne porte pas de points de division.

On voit maintenant que ces conditions sont vérifiées pour les triangles  ; en effet, l’intérieur de chacun d’eux, ainsi qu’un de leurs côtés, à savoir tes côtés opposés au point A, ne contiennent pas de points de division.

Mais de même pour chaque la décomposition en , est réductible à des décompositions transversales. En effet, considérons un triangle parmi les transversales issues de A du triangle , il en est une qui tombera sur un côté de ou bien partagera ce triangle en deux triangles. Dans le premier cas le côté en question du triangle n’a pas de points de division dans la décomposition en triangles  ; dans le second cas, le segment de cette transversale traversant l'intérieur du triangle est, pour les deux triangles qui prennent ainsi naissance, un côté qui dans la décomposition en triangtes n’aura certainement pas de points de division.

Or, d’après les considérations exposées au commencement de cette démonstration, la mesure de l’aire du triangle est égale a la somme des mesures des aires des triangles , et cette somme est elle-même égale a la somme de toutes les mesures des aires . D’autre part, la somme des mesures des aires de tous les triangles est égale à la somme de toutes les mesures des aires , d’où résulte en fin de compte que la mesure de l’aire est aussi égale a la somme des mesures des aires . Le théorème XXIX est donc complètement démontre.

Définition. — Si l’on définit la mesure de l’aire F(P) d’un polygone, comme la somme des mesures des aires de tous les triangles en lesquels ce polygone est décompose au moyen d’une décomposition déterminée, on reconnait, en s’appuyant sur le théorème XXIX et au moyen d’un raisonnement analogue à celui dont il a été fait usage au § 18 dans la démonstration du théorème XXIV, que la mesure de l’aire d’un polygone est indépendante du mode de décomposition en triangles, et par conséquent est déterminée d’une manière univoque uniquement par le polygone. De cette définition, nous concluons, en vertu du théorème XXIX, la proposition que les polygones égaux par addition ont même mesure d'aire.

Enfin, si l’on désigne par P et Q deux polygones égaux par soustraction, il existera, en vertu de leur définition même, deux polygones égaux par addition P’ et Q’, tels que le polygone composé de P et P’ soit égal par addition au polygone composé de Q et Q’. Des deux équations

on conclut aisément
F(P) = F(Q),


C’est-à-dire que : les polygones égaux par soustraction ont même mesure d’aire.

De cette dernière proposition l'on tire évidemment la démonstration du théorème XXVIII. En effet, si l’on désigne la base égale des deux triangles par g, les hauteurs correspondantes par h et h’, de l’égalité par soustraction des deux triangles l’on conclut qu’ils doivent nécessairement avoir même mesure d’aire, d’où

,


et après division par



c’est ce que dit le théorème XXVIII.


§ 21.

L’égalité par soustraction et la mesure des aires.


Au § 20, nous avons trouvé que les polygones égaux par soustraction ont toujours nécessairement même mesure d’aire. La réciproque est vraie.

Pour démontrer cette réciproque, considérons d’abord deux triangles ABC, et A'B'C' (fig. 34), ayant un angle droit commun en A.


Les mesures des aires de ces triangles s’expriment par les formules

F(ABC) = AB.AC,______F(AB'C') = AB'.AC'.

Si nous supposons que ces deux mesures d’aires soient égales entre elles, on aura

ou


de cette proportion résulte, d’après le théorème XXIII, que les deux droites BC' et B'C sont parallèles, et alors, d’après le théorème XXVII, nous reconnaissons que les deux triangles BC'B' et BC'C sont égaux par soustraction. L’addition du triangle ABC' fait voir ensuite que les deux triangles ABC et AB'C' sont égaux par soustraction. On a donc ainsi démontré que deux triangles rectangles qui ont même mesure d’aire sont aussi égaux par soustraction.

Prenons maintenant un triangle quelconque de base g et de hauteur h ; d’après le théorème XXVII, ce triangle sera égal par soustraction à un triangle rectangle où les deux cotes de l’angle droit seraient g et h, et, comme le triangle primitif a évidemment même mesure d’aire que le triangle rectangle, il s’ensuit que, dans nos dernières conclusions, il n’était pas nécessaire de se borner aux triangles rectangles. On a donc ainsi démontré que deux triangles quelconques qui ont même mesure d’aire sont aussi égaux par soustraction.

Soit maintenant un polygone quelconque P ayant une mesure d’aire assignée g.

Supposons que le polygone P puisse être décomposé en n triangles de mesures d’aires respectives  ; on aura alors


Construisons maintenant un triangle ABC (fig. 35) de base AB = g et de hauteur h = 1 et marquons sur la base les points , tels que


Comme les triangles qui composent le polygone P ont respectivement mêmes mesures d’aire que les triangles ils leur sont aussi égaux par soustraction, en vertu de ce qui a été précédemment démontré. Par suite, le polygone P est égal par soustraction à un triangle de base g et de hauteur h = 1. De là résulte, en invoquant le théorème XXIV, que deux polygones qui ont même mesure d’aire sont toujours égaux par soustraction. Nous réunirons les


deux propositions trouvées dans ce paragraphe et le précèdent en un théorème unique ; ainsi :

Théorème XXX. — Deux polygones égaux par soustraction ont toujours la même mesure d’aire ; et réciproquement : Deux polygones ayant la même mesure d’aire sont toujours égaux par soustraction.

En particulier deux rectangles qui sont égaux par soustraction et qui ont un côté en commun doivent nécessairement avoir leurs autres côtés congruents.

Théorème XXXI. — Si l’on décompose un rectangle par des droites en plusieurs triangles, et si l’on enlève un de ces triangles, on ne pourra plus remplir le rectangle avec les triangles qui restent.

Ce théorème a été mis par M. O. Stolz[9] au rang des axiomes. Dans ce qui précède on a fait voir que ce théorème s’était d’une manière tout à fait indépendante de l’axiome d’Archimède. D’ailleurs, quand on fait abstraction de l’axiome d’Archimède, le théorème XXXI ne suffit pas à lui seul pour démontrer le théorème d’Euclide de l’égalité des hauteurs dans les triangles égaux par soustraction qui ont même base (théorème XXVIII).

Dans la démonstration des théorèmes XXVIII, XXIX, XXX, nous avons essentiellement employé le calcul segmentaire introduit dans le Chapitre III, § 15, et comme ce calcul repose essentiellement sur le théorème de Pascal (théorème XXI), ce théorème est certainement la clef de voûte de la théorie des aires. Nous reconnaissons aussi sans peine que nous pouvons encore obtenir inversement le théorème de Pascal au moyen des théorèmes XXVII et XXVIII.

De deux polygones P et Q nous dirons que P est respectivement plus grand par soustraction ou plus petit par soustraction que Q, selon que la mesure de l'aire F(P) est plus petite ou plus grande que F(Q). D’après ce qui précède, il est clair que les notions : égal par soustraction, plus petit par soustraction, plus grand par soustraction, s’excluent mutuellement. Enfin nous voyons sans peine qu’un polygone qui est situé tout entier à l’intérieur d’un autre polygone est nécessairement toujours plus petit par soustraction que ce dernier.

Nous avons ainsi établi les théorèmes essentiels de la théorie des aires.





CHAPITRE V.

LE THÉORÈME DE DESARGUES.




§ 22.

Le théorème de Desargues ; sa démonstration dans le plan au moyen des axiomes de la congruence.


Parmi les axiomes énoncés dans le Chapitre I, ceux des groupes II-V sont tous soit linéaires, soit planaires. Les seuls axiomes spatiaux sont les axiomes 3-7 du groupe I. Pour bien reconnaitre la portée de ces axiomes spatiaux, concevons que t’en ait assigné une Géométrie plane quelconque et recherchons, en général, quelles sont les conditions pour que cette Géométrie plane puisse être présentée comme une partie d’une Géométrie de l’espace, où sont au moins vérifiés tous les axiomes des groupes I-III.

L’on sait qu’en s’appuyant sur les axiomes des groupes I-III on peut démontrer facilement le théorème dit de Desargues ; ce théorème est un théorème d’intersections dans le plan. Nous allons supposer en particulier que la droite, sur laquelle doivent être situés les points d’intersection des côtés homologues des deux triangles, est la droite que l’on nomme droite de l'infini et nous désignerons le théorème qui a lieu dans ce cas, ainsi que sa réciproque, sous le nom de théorème de Desargues. Le théorème aura l’énonce suivant :

Théorème XXXII (Théorème de Desargues). — Deux triangles étant situés dans un plan de telle sorte que leurs côtés homologues soient respectivement parallèles, les droites qui joignent les sommets homologues ou bien passeront par un même point, ou bien seront parallèles.

Réciproquement, deux triangles étant situés dans un plan de telle sorte que les droites qui joignent les sommets homologues ou bien passent par un même point ou bien soient parallèles (fig. 35 bis), et


de plus deux paires de côtés homologues dans les triangles étant parallèles, les troisièmes côtés des deux triangles seront également parallèles.

Comme on l’a déjà dit, le théorème XXXII est une conséquence des axiomes I-III ; par conséquent, la vérification du théorème de Desargues dans le plan est une condition nécessaire pour que la Géométrie de ce plan puisse être présentée comme une partie d’une Géométrie de l’espace où les axiomes des groupes I-III sont tous vérifiés.

Supposons maintenant, comme dans les Chapitres III et IV, que l’on ait assigné une Géométrie plane où sont vérifiés les axiomes I, 1-2 et II-IV et que l’on ait introduit dans cette Géométrie un calcul segmentaire conformément au § 15 : alors, ainsi qu’on l’a exposé au § 17, à tout point du plan on peut faire correspondre un couple de segments (x, y) et à toute droite un rapport de trois segments . de telle sorte que l’équation linéaire


représente la condition pour qu’un point soit sur une droite et qu’une droite passe par un point. Le système de tous les segments de notre Géométrie forme, conformément au § 17, un domaine de nombres où ont lieu les propriétés 1-16 exposées dans le § 13, et nous pouvons alors, au moyen de ce domaine de nombres, ainsi qu’il a été fait au § 9 ou au § 12, au moyen des systèmes numériques respectifs et , construire une Géométrie de l’espace : Nous conviendrons à cet effet qu’un système de trois segments (x, y, z) représentera un point, le rapport de quatre segments (u : ν : w  : r) un plan, tandis que la droite sera définie comme intersection de deux plans ; alors l’équation linéaire


exprime que le point (x, y, z) est situé dans le plan (u : ν : w  : r).

Enfin, quant à la distribution des points sur une droite, ou des points d’un plan par rapport à une droite de ce plan, ou finalement quant à la distribution des points de l’espace par rapport à un plan, cela sera déterminé par des inégalités entre segments d’une manière analogue à ce qui a été exposé pour le plan au § 9.

Puisqu’en prenant la valeur z = 0 nous retombons sur la Géométrie plane primitive, nous reconnaissons que notre Géométrie plane peut être regardée comme une partie de notre Géométrie de l’espace ; or la condition nécessaire pour qu’il en soit ainsi c’est, comme on l’a vu précédemment, que le théorème de Desargues soit vérifié, d’où l’on conclut que, dans la Géométrie plane assignée, le théorème de Desargues doit être également vérifié.

Observons que ce que nous venons d’affirmer peut aussi se déduire directement, sans aucune peine, du théorème XXIII de la théorie des proportions.


§ 23.

Impossibilité de démontrer le théorème de Desargues dans le plan sans employer les axiomes de la congruence.


Nous allons maintenant nous proposer cette question : Peut-on, dans la Géométrie plane, et sans invoquer les axiomes de la congruence, démontrer le théorème de Desargues ? La réponse est la suivante :

Théorème XXXIII. — Il existe une Géométrie plane où les axiomes I, i-2 ; II-II ; IV, 1-5 ; V, c’est-à-dire tous les axiomes linéaires et planaires, hormis l’axiome de cogruence IV, 6, sont vérifiés, tandis que le théorème de Desargues (théotème XXXII) NE l’est PAS. Le théorème de Desargues ne peut donc être déduit uniquement des axiomes précités : pour le démontrer, il est nécessaire d’invoquer soit les axiomes spatiaux, soit tous les axiomes de la congruence,

Démonstration. — Nous choisirons, dans la Géométrie plane usuelle, dont la possibilité a été déjà démontée au Chapitre II, § 9, deux droites quelconques perpendiculaires entre elles comme axes de coordonnées X, Y, et nous prendrons l’origine O de ce système de coordonnées pour centre d’une ellipse ayant pour demi-axes 1 et 1/2. Enfin nous désignerons par F le point situé sur l’axe X positif à la distance 3/2 de l’origine 0.

Considérons l’ensemble de tous les cercles qui coupent l’ellipse en quatre points réels (distincts ou coïncidents d’une façon quelconque) et, parmi tous les points situés sur ces cercles, cherchons à déterminer celui qui est situé sur l’axe X positif et dont la distance à l’origine est maxima. A cet effet, partons d’un cercle quelconque qui coupe l’ellipse en quatre points et qui rencontre l’axe X positif en un point C. Concevons que l’on fasse tourner ce cercle autour du point C de telle sorte que deux ou plusieurs des quatre points d’intersection se réunissent en un point unique A, les autres points demeurant réels. Agrandissons le cercle de contact ainsi obtenu, de telle façon que, pendant cette opération, le point A reste toujours un point de contact avec l’ellipse ; nous arriverons ainsi nécessairement à un cercle qui, ou bien a un contact avec l’ellipse en un autre point B, ou bien a avec elle un contact quadriponctuel en A, et qui, d’autre part, rencontre l’axe X positif en un point plus éloigné que C. Le point le plus éloigné que nous cherchons se trouve donc parmi les points d’intersection avec l’axe X positif des cercles bitangents extérieurs à l’ellipse. Ces cercles bitangents extérieurs à l’ellipse sont, on le voit aisément, tous symétriques par rapport à l’axe Y. Soient a, b les coordonnées d’un point de l’ellipse ; un calcul facile nous apprend que le cercle symétrique par rapport à l’axe Y et tangent à l’ellipse en ce point découpe sur l’axe X positif un segment

La valeur maxima de cette expression a lieu pour et sera ainsi égal à . Le point sur l’axe X que nous avons précédemment désigné par F ayant pour abscisse il s’ensuit que parmi les cercles rencontrant l'ellipse en quatre points, il n'est aucun qui passe par le point F.

Nous allons maintenant concevoir une nouvelle Géométrie plane de la manière suivante : Comme points de la nouvelle Géométrie prenons les points du plan XY (fig. 36) ; comme droites de cette nouvelle


Géométrie, prenons d’abord, sans y rien changer, les droites du plan XY qui sont tangentes à l’ellipse fixe ou qui ne la rencontrent pas ; mais, au contraire, si g désigne une droite du plan XY, qui rencontre l’ellipse en deux points P et Q, nous construirons le cercle passant par P, Q et par le point fixe F. Ce cercle, d’après ce qui a été déjà démontré, n’a aucun autre point en commun avec l’ellipse. Supposons maintenant que l’on ait remplacé la portion de la droite g intérieure à l’ellipse et joignant P et Q par l’arc PQ du cercle déjà construit, intérieur à l’ellipse. Le chemin formé par les deux portions de la droite issus de P et Q et s’étendant indéfiniment, et par l’arc de cercle PQ, nous le prendrons comme droite de la nouvelle Géométrie. Supposons alors que, pour toutes les droites du plan XY, on ait construit les chemins correspondants, on sera ainsi en présence d’un système de chemins qui, regardés comme droites d’une Géométrie, vérifient évidemment les axiomes I, 1-2 et III. Si l’on convient d’observer, pour les points et les droites de notre nouvelle Géométrie, la distribution naturelle, on reconnait immédiatement que les axiomes II sont également vérifiés.

Nous dirons ensuite que, dans notre nouvelle Géométrie, deux segments AB et A’B’ sont congruents lorsque le chemin joignant A et B a la même longueur naturelle que celui qui joint A’ et B’.

Enfin, il est encore nécessaire de faire une convention relativement à la congruence des angles. Tant qu’aucun sommet des angles qu’il s’agit de comparer n’est situé sur l’ellipse, nous dirons que deux angles sont congruents lorsqu’ils sont égaux, au sens habituel de ce mot. Dans l’autre cas, nous adopterons la convention suivante : Soient A, B, C trois points qui se succèdent dans cet ordre sur une droite de notre nouvelle Géométrie, et soient A’, B’, C’ trois autres points qui se succèdent dans cet ordre sur une autre droite de notre nouvelle Géométrie ; soit D un point situé en dehors de la droite ABC, et D’ un point en dehors de la droite A’B’C’ (fig. 37) ; nous conviendrons


alors que, dans notre nouvelle Géométrie, les angles entre ces droites vérifieront les congruences


quand les angles naturels entre tes chemins correspondants vérifient, dans la Géométrie ordinaire, la proportion

.

Avec ces conventions, les axiomes IV, 1-5 et V sont également vérifiés.

Pour voir que, dans cette nouvelle Géométrie, le théorème de Desargues n’est pas vérifié, considérons, dans le plan XY, les trois droites ordinaires suivantes l’axe X, l’axe Y et la droite qui joint les deux points de l’ellipse


Comme ces trois droites ordinaires passent par l’origine O, nous pouvons aisément assigner deux triangles dont les sommets soient respectivement situés sur ces trois droites, dont les côtés homologues soient parallèles, et qui soient tous trois situés à l’extérieur de l’ellipse. Les chemins qui dérivent des trois droites en question, ainsi que le montre la fig. 38, et comme on s’en assure également par un


calcul facile, ne se rencontrant pas en un même point, il s’ensuit que le théorème de Desargues n’est pas vérifié dans notre nouvelle Géométrie pour les deux triangles que l’on a construits précédemment.

Cette Géométrie plane, que l’on vient de construire, peut également servir d’exemple d’une Géométrie plane où les axiomes I, 1-2 ; II ; III ; IV, 1-5 ; V sont tous vérifiés, et qui, cependant, NE PEUT PAS être regardée comme faisant partie d’une Géométrie de l’espace.


§ 24.

Introduction d’un calcul segmentaire indépendant des axiomes de la congruence et basé sur le théorème de Desargues.


Afin de saisir complètement la portée du théorème de Desargues (théorème XXXII), prenons pour base une Géométrie plane où sont vérifiés les axiomes I, 1-2 ; II-III, c’est-à-dire tous les axiomes planaires des trois premiers groupes d’axiomes, et, dans cette Géométrie, introduisons un nouveau calcul segmentaire indépendant des axiomes de la congruence de la manière suivante :

Prenons dans le plan deux droites fixes qui se coupent au point O, et dans ce qui suit calculons seulement avec des segments dont l’origine soit le point O et dont l’extrémité soit située sur une des deux droites fixes. Regardons aussi le point O seul comme un segment que nous nommerons le segment 0 (zéro), ce que nous écrirons

OO = 0 ou 0 = OO.


Soient E et E’ deux points fixes situés respectivement sur les droites fixes passant par O ; désignons chacun des deux segments OE et OE’ par 1 ; ce que nous écrirons ainsi

OE = OE’ = 1 ou 1 = OE = OE’.


Quant à la droite EE’, nous la nommerons pour abréger la droite-unité. Soient ensuite A, A’ des points respectivement situés sur les droites OE et OE’ ; si la droite AA’ est parallèle à la droite EE’, nous dirons que les segments OA et OA’ sont égaux, ce que l’on écrira ainsi :

OA = OA’ ou OA’ = OA.


Maintenant, pour définir d’abord la somme des segments a = OA et b = OB, construisons AA’ parallèle à la droite-unité EE’(fig. 39) ; menons alors par A’ une parallèle à OE et par B une parallèle à OE’. Ces deux droites se couperont en un certain point A". Finalement, par ce point A" menons une parallèle à la droite-unité ; cette parallèle coupera les droites fixes OE et OE’ en C et C’ ; l’on dira alors que c = OC = OC' est la somme des segments a = OA et b = OB, ce qui s’écrira


Pour définir le produit d’un segment a = OA par un segment b = OB,


servons-nous exactement de la même construction que celle du § 15, sauf qu’au lieu des côtés d’un angle droit nous prendrons ici les deux droites fixes OE et OE'. Nous emploierons donc la construction suivante : L’on déterminera sur OE' le point A’ tel que AA' soit parallèle à la droite-unité EE’ ; l'on joindra E à A', et par B l’on mènera une parallèle


à EA' (fig. 40) ; si cette parallèle rencontre la droite OE' au point C', l’on dira que E’ = OC’ est le produit du segment a = OA par le segment b = OB, ce qui s’écrira

.


§ 25.

Les lois commutatives et associatives de l’addition dans le nouveau calcul segmentaire.


Dans ce paragraphe nous allons rechercher, parmi les règles de calcul énumérées au § 13, quelles sont celles qui sont vérifiées dans notre nouveau calcul segmentaire, quand nous prenons comme base une Géométrie plane où les axiomes I, 1-2 ; II-III sont vérifiés ainsi que le théorème de Desargues.

Avant tout, nous voulons démontrer que, pour l’addition des segments définie au § 24, la loi commutative

a + b = b + a


est vérifiée. Soit

a = OA = OA’
b = OB = OB’


conformément à nos conventions, AA’et BB’ seront alors parallèles à la droite-unité ; construisons ensuite les points A" et B" en menant A’A" ainsi que B’B" parallèles à OA, et, pareillement, AB" et BA" parallèles à OA’. On voit de suite que notre affirmation revient à dire que la ligne A"B" est parallèle a AA’. Nous en reconnaissons l’exactitude en invoquant comme il suit le théorème de Desargues (théorème XXXII) :

Désignons le point d’intersection de AB" et A’A" par F, et celui de BA" et B’B" par D (fig. 41) : dans les triangles AA’F et BB’D les côtés


homologues sont parallèles. En vertu du théorème de Desargues, nous en concluons que les trois points O, F, D sont en ligne droite. Par conséquent, les deux triangles OAA’ et DB"A" sont placés d’une manière telle que les droites qui joignent leurs sommets homologues passent par le même point F, et comme, en outre, deux couples de côtés homologues, à savoir OA et DB" ainsi que OA’ et DA" sont parallèles, la deuxième partie du théorème de Desargues (théorème XXXII) nous dit que les troisièmes côtés AA’ et B"A" sont également parallèles.

Pour démontrer la loi associative de l’addition

,


nous emploierons la (fig. 42) suivante. En ayant égard à la loi commutative que l’on vient de démontrer, affirmer l’exactitude de la formule ci-dessus revient à dire que la droite A"B" (fig. 42) est parallèle


à la droite-unité. Or, ceci est évident, car la partie ombrée de la fig. 42 est exactement la même que la fig. 41.


§ 26.

La loi associative de la multiplication et les deux lois distributives dans notre nouveau calcul segmentaire.


La loi associative de la multiplication


a lieu aussi dans notre nouveau calcul.

Sur la première des deux droites fixes passant par 0, supposons donnés les segments

.


et sur la seconde les segments

.

Pour construire, conformément aux indications du § 24 et l’un après l’autre, les segments


menons A’B’ parallèle à AB, B’C’ parallèle & BC, CD parallèle à AG, et enfin A’D’ parallèle à AD (fig. 43) ; l'on reconnaît immédiatement


que ce que nous avons affirmé revient à dire que CD doit aussi être parallèle à C’D’. Désignons le point d’intersection des droites AD et BC par F et le point d’intersection des droites A’D’ et B’C’ par F’; dans les triangles ABF et A’B’F’, les côtés homologues sont parallèles ; en vertu du théorème de Desargues, les trois points 0, F, F’ sont donc alors situés en ligne droite. Grâce à ce fait, nous pouvons appliquer la seconde partie du théorème de Desargues aux deux triangles CDF et C’D’F, et nous en concluons que CD est parallèle à C’D’.

Nous allons enfin, en nous appuyant sur le théorème de Desargues, démontrer que, dans notre nouveau calcul segmentaire, les deux lois distributives

et
sont vérifiées.

Pour démontrer la première de ces lois, nous emploierons la fig..44 ([10]0).

Dans cette figure on a fait

b = OA' c = OC'
ab = OB', ab = AO', ac = OC'
et ainsi de suite,
B’D2 est parallèle à C"D1, parallèle à la droite fixe OA’,
B’D1 est parallèle à C'D2, parallèle à la droite fixe OA" ;
enfin
A’A’ est parallèle à C’C",
et
A’B" est parallèlee à B’A", parallèle à F’D2, parallèle à F’D1,

Ce que nous avons affirmé revient à dire que

F’F" est également parallèle à A’A" et à C’C".

Construisons les lignes auxiliaires suivantes :

F’J parallèle à la droite fixe OA’,
F’J OA" parallèle à la droite fixe OA";


les points d’intersection des droites C"D, et C’D2, C"D<ub>1 et F’J, C’D2 et F"J, nous les désignerons respectivement par G, H1, H2 ; enfin nous obtiendrons les autres lignes auxiliaires de la figure, tracées en pointillé, en joignant les points déjà construits.

Dans les deux triangles A’B"C" et F’D2G (fig. 44), les lignes qui joignent les sommets homologues sont parallèles ; par conséquent, il résulte de la seconde partie du théorème de Desargues, que l’on a nécessairement

A’C’ parallèle à F’G.

Dans les deux triangles A’C’F" et F’GH2, les lignes qui joignent les sommets homologues sont également parallèles ; d’après ce qui précède et en vertu de la seconde partie du théorème de Desargues, l’on doit avoir

.


Dans les deux triangles couverts de hachures horizontales OA’F" et JH2F’ les côtés homologues étant parallèles, le théorème de Desargues fait voir que les trois droites qui joignent les sommets homologues

OJ, A’H2, F"F’


se coupent en un même point : en P, par exemple.

De même, nous trouvons que l’on a nécessairement

A’F’ parallèle à F’H1,


et dans les deux triangles couverts de hachures obliques, OA"F’et JH1F", les côtés homologues étant parallèles, les trois droites, qui joignent les sommets homologues,


se coupent également en un même point, le point P.

Maintenant les lignes qui joignent les sommets homologues des triangles OA’A" et JH2H1, passent également par ce point P et l’on en conclut que l’on a nécessairement

H1H2 parallèle à A’A" ;


l’on a donc aussi

H1H2 parallèle à C’C".

Considérons enfin la figure F"H2C’C"H1F’F". Comme, dans cette figure, on a

F’H2 parallèle à C’F’, parallèle à C"H1
H2C' parallèle à F*C’, parallèle à H1F'
C'C* parallèle à H1H2,


nous y reconnaissons la fig. 41, qui au § 25 a servi à démontrer la loi commutative de l’addition. Des raisonnements analogues ceux que nous avons faits à cet endroit montrent que l’on doit avoir

F’F" parallèle à H1H2,


et que, par suite, l’on a nécessairement aussi

F'F" parallèle à A'A",


ce qui fournit la démonstration complète de notre affirmation.

Pour démontrer la seconde formule de la loi distributive, nous emploierons la fig. 45 toute différente. Dans cette figure, on a fait

t = OD, a = OA, a=OB, b = OG, c = OD’,
ac = OA', ac = OB', bc = OG'


et ainsi de suite, et l’on a

GH parallèle à G'H', parallèle à la droite fixe OA
AH parallèle à A'H', parallèle à la droite fixe OB
et enfin
AB parallèle à A'B',
BD parallèle à B'D',
DG parallèle à D'G',
HJ parallèle à H'J',

Ce que nous avons affirmé revient à dire que l’on doit avoir nécessairement

DJ parallèle à D'J',

Désignons les points respectifs où BD et GD coupent la droite AH par C et F, et les points respectifs où B’D’ et G’D’ coupent la droite A’H’ par C’ et F’; enfin, menons les lignes auxiliaires FJ et F’J’ qui sont tracées en pointillé sur la fig. 45.

Dans les triangles ABC, A’B’C’ les côtés homologues sont parallèles ; par conséquent, en vertu du théorème de Desargues, les trois points O, C, C’ sont en ligne droite. De même, la considération des triangles CDF et C’D’F’ fait voir que O, F, F’ sont en ligne droite, et celle des triangles FGH et F’G’H’ nous fait aussi voir que O, H, H’ sont également en ligne droite. Maintenant dans les triangles FHJ et F’H’J' les droites qui joignent les sommets homologues passent par le même point O et, par suite, en vertu de la seconde partie du théorème de Desargues, les droites FJ et FJ’ sont parallèles,

Finalement la considération des triangles DFJ et D’FJ’ montre que les droites DJ et D’J’ sont parallèles ; ce qui précisément démontre complètement notre affirmation.


§ 27.

Équation de la ligne droite basée sur le nouveau calcul segmentaire.


Dans les §§ 24-26 nous avons, au moyen des axiomes indiqués au § 24 et en adoptant l’hypothèse de l’exactitude du théorème de Desargues, introduit dans le plan un calcul segmentaire où se vérifient la loi commutative de l’addition, les lois associatives de l’addition et de la multiplication et les deux lois distributives de cette dernière. Nous nous proposons dans le paragraphe actuel de faire voir comment, en s’appuyant sur ce calcul segmentaire, on peut obtenir une représentation analytique des points et des droites dans le plan.

Définition. — Les deux droites fixes passant par le point O nous les nommerons les axes X et Y et nous supposerons chaque point P du plan déterminé par les coordonnées x et y que l’on obtient sur les axes X et Y en menant par P des parallèles à ces axes. Ces segments x, y sont dits les coordonnées du point P. En s’appuyant sur le nouveau calcul segmentaire et en invoquant le théorème de Desargues l’on obtient la proposition suivante :

Théorème XXXIV. — Les coordonnées x, y, des points d’une droite quelconque vérifient toujours une équation segmentaire de la forme

ax + by + c = 0 ;


dans cette équation, les segments a, b sont nécessairement écrits à gauche des coordonnées x, y ; les segments a, b ne sont jamais nuls tous les deux, et c est un segment quelconque.

Réciproquement, toute équation segmentaire du type écrit ci-dessus représente toujours une droite dans la Géométrie plane assignée.

Démonstration. — Supposons d’abord que la droite l passe par O. Soit ensuite C un point déterminé de l, distinct de O, et soit P un point quelconque de l. Soient OA, OB les coordonnées de C et x, y celles de P. Désignons encore la droite qui joint les extrémités de x et de y par g. Enfin par l’extrémité du segment I sur l’axe X menons à AB une parallèle h ; cette parallèle découpera sur l’axe Y un segment e (fig. 46)


De la seconde partie du théorème de Desargues résulte clairement que la droite g est toujours parallèle AB. Or, g étant aussi toujours parallèle à h, il en résulte que pour les coordonnées x, y du point quelconque P de l on a l’équation segmentaire

cx = y.

Maintenant soit l’ une droite quelconque de notre plan. Celle-ci découpe sur l’axe X un segment c = OO'. Menons ensuite par O la droite l parallèle a i' ; soit P’ un point quelconque de l' ; la parallèle à l’axe X menée par le point P’ rencontre la droite l en P et découpe sur l'axe Y un segment y = OB ; enfin les parallèles menées par P et P’ à l’axe Y découpent sur l’axe X des segments x = OA et x' = OA (fig. 47).

Nous nous proposons alors de démontrer que l’on a l’équation segmentaire

.

À cet effet, menons O’C parallèle à la droite-unité, puis CD parallèle a l’axe X et AD parallèle à l’axe Y ; alors ce que nous avons affirmé revient à dire que l’on a nécessairement

A’D parallèle à O’C.

Construisons encore le point D’ d’intersection des droites CD et A’P et menons O’C’ parallèle à l’axe Y.

Dans les triangles OCP et O'C'P', les droites qui joignent les sommets homologues étant parallèles, il résulte de la deuxième partie du théorème de Desargues, que l’on a nécessairement

CP parallèle à C’P’ ;


de même, la considération des triangles ACP et A’C’P’ montre que l’on a

AC parallèle à A’C’.

Dans les triangles ACD et C'A'O' les côtés homologues étant parallèles, les droites AC’, CA’, DO’ devront se couper en un même point, et la considération des deux triangles C’A’D et ACO’ fait alors voir que A’D et CO’ sont parallèles.

Des deux équations segmentaires


que nous venons de trouver, résulte immédiatement l’équation

.

Finalement, si nous désignons par n le segment qui, ajouté au segment t, donne le segment o, l’on tire de la dernière équation, ainsi qu’il est facile de le démontrer, l’équation


qui est précisément de la forme énoncée par le théorème XXXIV.

Nous reconnaissons maintenant sans aucune peine que la deuxième partie du théorème XXXIV est également exacte ; en effet, toute équation segmentaire assignée


peut évidemment, lorsque l’on multiplie son premier membre par un segment convenablement choisi, se mettre sous la forme

Remarquons enfin expressément, que dans nos hypothèses une équation segmentaire de la forme


où les segments a, b sont écrits à droite des coordonnées x, y, ne représente pas, en général, une droite.

Dans le § 30 nous ferons une importante application du théorème XXXIV.


§ 28.

L’ensemble des segments regardé comme un système numérique complexe.


On reconnait de suite que dans notre nouveau calcul segmentaire établi au § 24, les théorèmes I-VI du § 13 sont vérifiés.

Nous avons vu aux § 25 et 26, en invoquant le théorème de Desargues, que dans ce calcul segmentaire les règles de calcul 7-11 du § 13 sont également vérifiées ; par suite, toutes les régies de calcul ont lieu, abstraction faite de la loi commutative de la multiplication.

Enfin, pour rendre possible une distribution des segments, nous adopterons la convention suivante : Soient A, B deux points quelconques non coïncidents de la droite OB. Supposons que les quatre points O, E, A, B se suivent, conformément à l’axiome II,4 dans un certain ordre. Si c’est dans l’un des six ordres suivants :

ABOE, AOBE, OABE, OAEB, OABE, OEAB,


nous dirons que le segment a = OA est plus petit que le segment b = OB, ce que l’on écrit ainsi

a < b


Si c’est, au contraire, l’un des six ordres suivants

BAOE, BOAE, BOEA, OBAE, OBEA, OEBA


qui a lieu, nous dirons que le segment a = OA est plus grand que le segment b = OB, ce qui s’écrit ainsi

a > b.


Cette convention subsiste lorsque A ou B coïncident avec 0 ou E ; seulement l’on doit alors regarder les points coïncidents comme un point unique, et, par suite, il n’est plus question que de la distribution de trois points.

Nous voyons maintenant sans peine que dans notre calcul segmentaire, conformément à l’axiome II, les règles de calcul 13-16 du § 13 sont vérifiées ; par conséquent, l’ensemble de tous les différents segments forme un système numérique complexe où sont vérifiées les lois 1-11, 13-16 du § 13, c’est-à-dire toutes les règles usuelles, hormis la loi commutative de la multiplication et la théorème d'Archimède. Dans ce qui suit nous désignerons, pour abréger, un pareil système numérique sous le nom de système numérique de Desargues.


§ 29.

Construction d’une Géométrie de l’espace au moyen d’un système numérique de Desargues.


Soit assigné maintenant un système numérique quelconque de Desargues D ; ce système rend possible la construction d’une Géométrie de l’espace où les axiomes I, II, III sont tous vérifiés.

Pour le reconnaître, regardons le système de trois nombres quelconques (x, y, z) du système numérique de Desargues D comme un point, et celui de quatre nombres quelconques (u : v : w : r) de D, dont les trois premiers ne sont pas simultanément nuls, comme un plan ; d’ailleurs les systèmes (u : v : w : r) et (au : av : aw : ar), a désignant un nombre quelconque de D différent de zéro, représenteront le même plan. L’équation


exprimera que le point (x, y, z) est situé dans le plan (u : v : w : r). Enfin, nous définirons la droite au moyen d’un système de deux plans (u’ : v’ : w’ : r’), (u" : v" : w" : r"), à condition que l’on ne puisse dans D trouver deux nombres a’, a" différents de zéro, tels que l’on ait simultanément

.

Un point (x, y, s) est dit situé sur la droite


lorsqu’il est commun aux deux plans (u', v', w', r') et (u", v", w", r"). Deux droites qui renferment les mêmes points sont regardées comme n’étant pas distinctes.

En appliquant les règles de calcul I-II du § 13 qui sont, par hypothèse, vérifiées pour les nombres de D, nous arrivons sans peine à ce résultat que, dans la Géométrie de l’espace que nous venons de construire, les axiomes I et III sont tous vérifiés.

Afin que les axiomes II de la distribution soient également vérifiés, nous adopterons les conventions suivantes : Soient


trois points quelconques sur une droite

 ;


nous dirons alors que le point est situé entre les deux autres lorsque l’une au moins des six doubles inégalités suivantes :

(1) (1)
(2) (2)
(3) (3)


est vérifiée.

Supposons, par exemple, qu’il en soit ainsi de l’une des doubles inégalités (1), nous en concluons sans peine ou bien que la double égalité ou bien que l’une des doubles inégalités (2) a nécessairement lieu, et de même ou bien que la double égalité ou bien que l’une des doubles inegalités (3) a nécessairement lieu. En effet, si l’on multiplie respectivement les premiers membres des équations

,
,
.


par des nombres de D convenablement choisis et si l’on additionne ensuite les équations obtenues, l’on pourra toujours trouver un système d’équations de la forme

,
.


Ici, le coefficient v" est certainement différent de zéro : en effet, s’il en était autrement, les trois nombres seraient égaux. De

on tire
d’où, en vertu de (4).
 ;
d’où
 ;


et, comme n’est pas nul, nous aurons enfin

 ;


dans toutes ces doubles inégalités, c’est toujours sans exception, soit les signes supérieurs, soit les signes intermédiaires, soit les signes inférieurs qui ont lieu simultanément.

Les considérations précédentes montrent que dans notre Géométrie les axiomes linéaires II, 1-4 de la distribution sont vérifiés. Il reste encore à faire voir que l’axiome planaire II, 5 est également vérifié.

À cet effet, soient donnés un plan et dans ce plan une droite . Convenons que tous les points situés dans le plan , pour lesquels l’expression est respectivement plus petite ou plus grande que zéro, seront alors respectivement situés d’un côté ou de l’autre côté de la droite en question. Il nous faudra donc démontrer que cette convention s’accorde avec celles qui ont été adoptées précédemment, ce qui est facile à établir.

Nous reconnaissons ainsi que les axiomes I, II, III sont tous vérifiés dans cette Géométrie de l’espace qui provient de la manière indiquée du système numérique de Desargues D. Si nous réfléchissons que le théorème de Desargues est une conséquence des axiomes I, II, III, nous voyons que la proposition que nous venons d’énoncer est la réciproque exacte du résultat auquel nous sommes arrivés au § 28.


§ 30.

La portée du théorème de Desargues.


Lorsque, dans une Géométrie plane, les axiomes I, 1-2 ; II ; III sont vérifiés et lorsque, en outre, il en est de même du théorème de Desargues, il est toujours possible, conformément aux § 24-28, d’introduire dans cette Géométrie un calcul segmentaire où les régies 1-11, 13-16 du § 13 sont applicables. Nous allons maintenant regarder l’ensemble de ces segments comme un système numérique complexe et au moyen de celui-ci nous édifierons, conformément aux développements du § 29, une Géométrie de l’espace où les axiomes I, II, III sont tous valables.

Dans cette Géométrie de l’espace, si nous considérons exclusivement les points (x, y, O) et les droites sur lesquelles il n’y a pas d’autres points que ceux-là, nous serons en présence d’une Géométrie plane, et si nous nous reportons à la proposition établie dans le § 27, il est clair que cette Géométrie plane doit coïncider exactement avec la Géométrie plane proposée au début. Nous arrivons de la sorte au Théorème suivant qui doit être regardé comme le terme final de l’ensemble des développements de ce Chapitre V :

Théorème XXXV. — Dans une Géométrie plane, supposons que les axiomes 1, 1-2 ; II ; III soient vérifiés : alors l’exactitude du théorème de Desargues est la condition nécessaire et suffisante pour que cette Géométrie plane puisse être regardée comme étant une partie d’une Géométrie de l’espace où les axiomes I, II, III sont tous vérifiés.

Ainsi le théorème de Desargues peut être caractérisé pour la Géométrie plane comme étant pour ainsi dire le résultat de l’élimination des axiomes spatiaux.

Les résultats obtenus nous permettent de reconnaitre que toute Géométrie de l’espace, où les axiomes I, II, III sont tous vérifiés, peut toujours être regardée comme une partie d’une «Géométrie a un nombre quelconque de dimensions». Par Géométrie à un nombre quelconque de dimensions l’on doit ici entendre un ensemble de points, droites, plans et autres éléments linéaires, pour lesquels les axiomes correspondants de l’association et de la distribution, ainsi que l’axiome des parallèles, sont vérifiés.




CHAPITRE VI.

LE THÉORÈME DE PASCAL.




§ 31.

Deux théorèmes sur la possibilité de démontrer le théorème de Pascal.


L’on sait que le théorème de Desargues (théorème XXXII) peut être démontre au moyen des axiomes I, II, III, c’est-à-dire en faisant essentiellement usage des axiomes spatiaux ; dans le § 23, j’ai démontré qu’il est impossible de démontrer ce théorème sans invoquer les axiomes spatiaux du groupe I et sans les axiomes de la congruence IV, quand bien même l’on ferait usage de l’axiome d’Archimède.

Dans le § 14 nous avons déduit le théorème de Pascal (théorème XXI) et par conséquent aussi, conformément au § 22, celui de Desargues, des axiomes I, 1, 2 ; II-IV, c’est-à-dire en excluant les axiomes spatiaux et en s’appuyant essentiellement sur les axiomes de la congruence. Il se présente donc la question suivante : Le théorème de Pascal peut-il être démontré sans invoquer les axiomes de la congruence ? Notre étude va nous montrer qu’à ce point de vue le théorème de Pascal se comporte d’une manière tout autre que le théorème de Desargues. En effet, l’adoption ou le rejet de l’axiome d’Archimède dans la démonstration du théorème de Pascal est la pierre de touche de l’exactitude de cette proposition. Nous réunirons les résultats essentiels de nos recherches dans les deux théorèmes suivants :

Théorème XXXVI. — Le théorème de Pascal (théorème XXI) peut être démontré en se basant sur les axiomes I, II, III, V, c’est-à-dire en laissant de côté les axiomes de la congruence, et en invoquant l’axiome d’Archimède.

Théorème XXXVII. — Le théorème de Pascal (théorème XXI) est impossible à démontrer en se basant sur les axiomes I, II, III, c’est-à-dire en laissant de côté non seulement les axiomes de la congfuence mais encore celui d’Archimède.

Dans l’énoncé de ces deux théorèmes, l’on peut, en vertu du théorème XXXV, remplacer les axiomes spatiaux I, 3-7 par la condition planaire que le théorème de Desargues (théorème XXXII) soit vérifié.


§ 32.

La loi commutative de la multiplication dans un système numérique archimédien.


Les démonstrations des théorèmes XXXVI et XXXVII reposent essentiellement sur certaines relations mutuelles relatives aux règles de calcul et aux propositions fondamentales de l’Arithmétique et qui d’ailleurs, en elles-mêmes, présentent un grand intérêt. Énonçons d’abord les deux propositions suivantes

Théorème XXXVIII. — Dans un système numérique archimédien la loi commutative de la multiplication est une conséquence nécessaire des autres règles de calcul ; c’est-à-dire qu’un système numérique possédant les propriétés 1-11, 13-17 énumérées au § 13, il s’ensuit nécessairement que ce système vérifie aussi la formule 12.

Démonstration. — Remarquons d’abord ceci : Si l’on désigne par a un nombre quelconque du système numérique et par


un nombre entier rationnel positif, a et n vérifieront toujours la loi commutative de la multiplication. En effet

et

Supposons maintenant que, contrairement à notre affirmation, a, b soient deux nombres du système numérique pour lesquels la loi commutative de la multiplication ne soit pas vérité. Nous pouvons alors, comme il est facile de le voir, supposer que l’on ait

.

En vertu de la condition 6 du § 13 il existe un nombre c, (> 0), tel que

.


Choisissons enfin un nombre d qui satisfasse en même temps aux inégalités

,


et désignons par m et n deux nombres entiers rationnels, (≥), tels que l’on ait respectivement

et

L’existence de tels nombres m, n est une conséquence immédiate du théorème d’Archimède (théorème XVII du § 13). En se reportant à la remarque faite au début de la démonstration actuelle, nous tirons des dernières inégalités, en les multipliant l’une par l’autre,

,
,


et en retranchant l’une de l’autre ces dernières

.

Or

,


et, par suite,

.


C’est-à-dire

,


ou, puisque d < c,

.


Cette inégalité est en contradiction avec la détermination du nombre c et, par suite, le théorème XXXVIII est démontré.


§ 33.

La loi commutative de la multiplication dans un système numérique non archimédien.


Théorème XXXIX. — Dans un système numérique non archimédien la loi commutative de la multiplication n’est pas une conséquence nécessaire des autres règles de calcul ; c’est-à-dire qu’il existe un système de nombres qui possède les propriétés 1-11, 12-16, énumérées au § 13, système numérique de Desargues d’après le § 28, où la loi commutative de la multiplication (12) n’est pas vérifiée.

Démonstration. — Soit t un paramètre et T une expression quelconque comprenant un nombre de termes, fini ou infini, de la forme

,


ou désignent des nombres rationnel quelconques et où n est un nombre entier rationnel quelconque . Soit enfin s un autre paramètre et S une expression quelconque, comprenant un nombre de termes fini ou infini, de la forme

,


ou désignent des expressions quelconques de la forme T et où m est un nombre entier rationnel quelconque . Nous regarderons l’ensemble de toutes les expressions de la forme S comme un système numérique complexe où nous conviendrons des règles de calcul suivantes : L’on opérera sur s et t comme sur des paramètres d’après les régies 7-11 du § 13, tandis qu’au lieu de la règle 12 l’on appliquera toujours la formule

(1) ts = 2st.

Soient maintenant S' et S" deux expressions quelconques de la forme S :

,
,

L’on peut évidemment en les réunissant former une nouvelle expression S'+ S", ayant aussi la forme S et qui est aussi déterminée d’une manière univoque. Cette expression S'+ S" sera dite la somme des nombres représentes par S' et S".

En multipliant terme à terme les deux expressions S’, S" nous obtiendrons en premier lieu une expression de la forme

Cette expression, en employant la formule (1), devient évidemment une expression de la forme S, déterminée d’une manière univoque ; on la nommera le produit du nombre représente par S’ par le nombre représenté par S".

Ces règles de calcul une fois posées, l’exactitude des règles 1-5 du § 13 devient évidente. Il n’est pas non plus difficile de vérifier l’exactitude de l’énoncé 6 du § 13. A cet effet, soient

,
,


deux expressions données de la forme S et supposons que, conformément à nos conventions, le premier coefficient dans soit différent de zéro. En comparant les mêmes puissances de s dans les deux membres d’une équation

(2) ,


l’on trouve d’abord comme exposant un nombre entier m' déterminé d’une manière univoque ; puis une succession d’expressions

,


telles que l’expression


vérifié l’équation (2) quand on emploie la formule (1) ; la démonstration demandée est ainsi effectuée.

Finalement, pour rendre possible la distribution des nombres de notre système numérique , nous adopterons les conventions suivantes : Un nombre du système sera dit ou selon que, dans l’expression qui le représente, le premier coefficient de est ou .

Si l’on assigne deux nombres quelconques et du système numérique complexe, l’on dira que ou selon que l’on a respectivement ou .

Il est clair qu’en adoptant ces conventions les régies 13-16 du § 13 sont vérifiées, c’est-à-dire que est un système numérique de Desargues (comparer le § 28).

L’énoncé 12 du § 13, comme le montre l’équation (1), n'est pas vérifie dans notre système numérique complexe , et l’on voit ainsi que le théorème XXIX est parfaitement exact.

Conformément au théorème XXXVIII, le théorème d’Archimède (théorème XVII du § 13) n’est pas vérifie dans le système numérique que nous venons de construire.

Nous devons encore faire ressortir ce fait que le système numérique ), de même que les systèmes numériques et employés au § 9 et au § 12, renferme seulement un ensemble dénombrable de nombres.


§ 34.

Démonstration des deux théorèmes relatifs au théorème de Pascal (Géométrie non pascalienne).


Lorsque dans une Géométrie de l’espace les axiomes I, II, III sont tous vérifiés, il en est de même du théorème de Desargues (théorème XXXII) et, par suite, il est possible, conformément au Chapitre V, § 24 à § 26, d’introduire dans cette Géométrie un calcul segmentaire où les énoncés 1-11, 13.16 du § 13 sont également vérifiés. Maintenant, si nous admettons encore dans notre Géométrie l’axiome V d’Archimède, il est évident que le théorème d’Archimède (théorème XVII du § 13) aura lieu dans le calcul segmentaire en question et que, par suite, la loi commutative de la multiplication aura également lieu en vertu du théorème XXXVIII. Mais comme la définition du produit de deux segments dont il est ici question et qui a été introduite au § 24 (fig. 40) coïncide avec la définition du § 15 (fig. 21). la loi commutative de la multiplication de deux segments n’est pas autre chose que le théorème de Pascal. On reconnaît ainsi l’exactitude du théorème XXXVI.

Pour démontrer le théorème XXXVII, considérons le système numérique de Desargues introduit au § 33 et construisons & l’aide de ce système, de la manière décrite au § 29, une Géométrie de l’espace, ou les axiomes I, II, III sont tous vérifiés. Mais le théorème de Pascal ne sera pas vérifie dans cette Géométrie, car la loi commutative de la multiplication n’a pas lieu dans le système numérique de Desargues . La Géométrie « non pascalienne » ainsi édifiée est nécessairement, aussi, en vertu du théorème XXXVI démontré a l’instant, une Géométrie « non archimédienne ».

Il est évident qu’en adoptant les hypothèses que nous avons faites, on ne peut pas non plus démontrer le théorème de Pascal, quand on regarde la Géométrie de l’espace comme étant une partie d’une Géométrie à un nombre quelconque de dimensions, où à côté des points, droites et plans se présentent encore d’autres éléments linéaires pour lesquels il y a un système correspondant d’axiomes d’association et de distribution joint a l’axiome des parallèles.


§ 35.

De la démonstration d’un théorème quelconque relatif à des points d’intersection au moyen des théorèmes de Pascal et de Desargues.


Toute proposition relative à des points d’intersection dans le plan a nécessairement la forme suivante : On choisit d’abord un système de points et de droites arbitraires satisfaisant respectivement à la condition que certains points soient sur certaines droites. Quand on construit alors de la manière connue les droites de jonction et les points d’intersection, on finit par obtenir un système de trois droites dont le théorème nous dit qu’elles se rencontrent en un même point.

Supposons maintenant qu’on donne une Géométrie plane où les axiomes I, 1-2, II-V soient tous vérifiés ; nous pouvons alors, d’après le Chapitre III, § 17, au moyen de deux axes rectangulaires, faire correspondre à tout point un couple de nombres , et a toute droite un rapport de trois nombres . Ici sont tous des nombres réels, et n’étant pas tous deux nuls, et la condition qui exprime qu’un point est sur une droite


est une équation au sens habituel de ce mot. Réciproquement, désignant des nombres du domaine algébrique construit au § 9 et et n’étant pas tous deux nuls, nous pouvons certainement admettre que le couple de nombres et le triple de nombres fournissent respectivement un point et une droite de la Géométrie assignée.

Si, pour tous les points et droites qui se présentent dans un théorème planaire quelconque relatif à des points d’intersection, on introduit les couples et tes triples de nombres en question, ce théorème énoncera qu’une certaine expression , dépendant rationnellement de certains paramètres et dont les coefficients sont réels, s’évanouira toujours, pourvu qu’au lieu de ces paramètres, nous introduisions des nombres quelconques du domaine considéré au § 9. Nous en concluons que l’expression en vertu des règles de calcul 7-12 du § 13, doit aussi s’évanouir identiquement.

Le théorème de Desargues étant, conformément au § 22, vérifié dans la Géométrie assignée, nous pouvons certainement faire usage du calcul segmentaire introduit au § 24, et comme le théorème de Pascal y est également vérifié, la loi commutative de la multiplication l’est aussi, en sorte que dans ce calcul segmentaire les règles de calcul 7-12 du § 13 sont toutes vérifiées.

Si nous prenons comme axes dans ce nouveau calcul segmentaire les axes employés ci-dessus, en choisissant d’une manière convenable les points unités E et E’, nous voyons que le nouveau calcul segmentaire n’est autre que le calcul au moyen de coordonnées employé auparavant.

Pour démontrer que, dans le nouveau calcul segmentaire, l’expression

s’évanouit identiquement, il suffit d’appliquer les théorèmes de Desargues et de Pascal et l’on reconnaît que :

Toute proposition relative à des points d’intersection dans la Géométrie assignée doit toujours nécessairement se présenter au moyen de points et droites auxiliaires comme une combinaison des théorèmes de Desargues et de Pascal. Par conséquent, pour démontrer l’exactitude d’un théorème relatif à des points d’intersection, nous n’avons pas besoin d’invoquer les théorèmes de congruence.





CHAPITRE VII

Les constructions géométriques reposant sur les axiomes I-V.




§ 36.

Les constructions géométriques au moyen de la règle et
du transporteur de segments.


Soit assignée une Géométrie de l’espace où les axiomes I-V sont tous vérifiés ; pour plus de simplicité, nous considérerons seulement dans ce Chapitre une Géométrie plane faisant partie de cette Géométrie, et nous étudierons la question de savoir quelles sont les constructions géométriques élémentaires que l’on peut effectuer dans une telle Géométrie.

En se basant sur les axiomes I la résolution du problème suivant est toujours possible

Problème — I. Joindre doux points par une droite et trouver le point d’intersection de deux droites, lorsque ces dernières ne sont pas parallèles.

L’axiome II rend possible la résolution du problème suivant :

Problème II. — Par un point donné mener une parallèle une droite donnée.

En se basant sur les axiomes de la congruence IV le transport des segments et des angles est possible, c’est-à-dire que l’on peut, dans la Géométrie assignée, résoudre les problèmes suivants

Problème III. — Porter sur un segment donné à partir d’un point donné un segment donné.

Problème IV. — Porter un angle donné le long d’une droite donnée, c’est-à-dire construire une droite coupant une droite donnée sous un angle donné.

Il n’est possible de résoudre aucun nouveau problème en se basant sur les axiomes des groupes II et V ; et l’on voit ainsi qu’en employant exclusivement les axiomes I-V on peut résoudre tous les problèmes de construction qui sont réductibles aux problèmes I-IV, et ceux-là seuls.

Aux problèmes fondamentaux I-IV nous adjoindrons encore le suivant :

Problème V. — Élever une perpendiculaire à une droite donnée.

Nous voyons immédiatement que ce problème V peut être résolu de diverses manières au moyen des problèmes I-IV.

Pour résoudre le problème I, nous avons besoin de la règle. Un instrument servant à résoudre le problème III, c’est-à-dire à transporter un segment sur une droite donnée, nous le nommerons un transporteur de segments. Nous nous proposons maintenant de démontrer que les problèmes II, IV et V peuvent être ramenés à la résolution des problèmes I et III et que les problèmes I-V sont tout résolubles uniquement au moyen de la règle et du transporteur de segments. Nous arriverons donc au résultat suivant

Théorème XL. — Les problèmes de constructions géométriques qui sont résolubles en employant exclusivement les axiomes I-V sont nécessairement possibles à résoudre uniquement au moyen de la règle et du transporteur de segments.

Démonstration. Pour ramener le problëme II aux problèmes I et III joignons le point donné P (fig. 48) à un point A quelconque de la droite donnée et prolongeons PA au delà de A d’une longueur AC égale à PA. Joignons alors C à un point quelconque B de la droite donnée et prolongeons au delà de d’une longueur égale à  ; la droite est la parallèle cherchée.

Nous résoudrons le problème V de la manière suivante Soit (fig.49) un point quelconque de la droite donnée ; portons alors sur


cette droite à partir de et de chaque côté de ce point deux segments égaux et et déterminons alors sur deux autres droites quelconques issues de les points et , tels que les segments et soient égaux aux segments et . Les droites et se couperont en un certain point et les droites et en un autre point  ; alors sera la perpendiculaire cherchée. En effet, les angles et étant des angles inscrits dans la demi-circonférence de diamètre sont des angles droits, et par suite, en vertu du théorème sur le point d’intersection des hauteurs d’un triangle, ici le triangle , sera également perpendiculaire à .

Nous pouvons maintenant résoudre sans peine le problème IV, simplement en menant des droites et en transportant des segments. Nous emploierons la méthode suivante, où l’on n’a qu’à mener des parallèles et élever des perpendiculaires : Soit l’angle qu’il s’agit de transporter et soit son sommet (fig. 50). Par le point menons une droite parallèle à la droite donnée le long de laquelle nous devons transporter l’angle D’un point quelconque de l’un des côtés de l’angle abaissons des perpendiculaires sur l’autre côté de l’angle et sur la droite .

Soient et les pieds de ces perpendiculaires. La construction de ces perpendiculaires se fait au moyen des problèmes II et V. Menons ensuite du point une perpendiculaire à , et soit son pied. D’après la démonstration du § 14, on aura  ; le problème IV est donc ramené aux problèmes I et III, et, par suite, le théorème XL est parfaitement démontre.


§ 37.

Représentation analytique des coordonnées des points
que l’on peut construire.


Outre les problèmes de Géométrie élémentaire traités dans le § 36, il y a encore une nombreuse série de problèmes dont la solution repose exclusivement sur le tracé de droites et le transport de segments. Ann d’embrasser d’un coup d’œil le domaine de tous les problèmes résolubles de cette manière, prenons comme base des considérations que nous allons exposer un système de coordonnées rectangulaires, et supposons que les coordonnées des points soient, comme d’habitude, représentées par des nombres réels ou des fonctions de certains paramètres arbitraires. Pour répondre à la question relative a la totalité des points susceptibles d’être construits, nous emploierons les considérations suivantes

Soit donné un système de points déterminés ; avec les coordonnées de ces points nous composerons un domaine  ; ce domaine contient certains nombres réels et certains paramètres arbitraires . Considérons alors l’ensemble de tous les points susceptibles d’être construits en tirant des droites et en transportant des segments déterminés au moyen du système assigné de points. Le domaine formé par les coordonnées de ces points sera nommé ce domaine renferme certains nombres réels et certaines fonctions des paramètres arbitraires

Nos considérations du § 17 montrent que le tracé de droites et de parallèles revient analytiquement à l’application de l’addition, multiplication, soustraction ou division de segments. Ensuite la formule connue relative à une rotation, exposée au § 9, enseigne que le transport de segments sur une droite quelconque ne nécessite aucune opération analytique autre que l’extraction de la racine carrée d’une somme de deux carrés dont on a déjà construit les bases. Réciproquement, on peut toujours, d’après le théorème de Pythagore et au moyen d’un triangle rectangle, construire la racine carrée d’une somme de deux carrés segmentaires en transportant simplement des segments.

De ces considérations résulte que le domaine renferme les nombres réels et les fonctions des paramètres , et ceux-là seulement qui proviennent des nombres et paramètres de au moyen d’un nombre fini d’applications des cinq opérations, a savoir les quatre opérations élémentaires auxquelles nous ajouterons, comme cinquième opération, l’extraction de la racine carrée d’une somme de deux carrés. Nous énoncerons ce résultat ainsi

Théorème XLI. — Un problème de construction géométrique est résoluble par le tracé de droites et le transport de segments, c’est-à-dire au moyen de la règle et du transporteur de segments, au seul et unique cas où, dans la solution analytique du problème, les points cherchés sont des fonctions des coordonnées des points donnés dont l’expression n’exige que des opérations rationnelles et de plus l’opération de l’extraction de la racine carrée d’une somme de deux carrés.

Ce théorème nous montre immédiatement que tout problème résoluble à l’aide du compas ne l’est pas forcément quand on ne se sert que de la règle et du transporteur de segments. Pour le voir, considérons la Géométrie que nous avons édifiée au § 9 à l’aide du domaine numérique algébrique  ; dans cette Géométrie, il n’y a que des segments susceptibles d’être construits au moyen de la règle et du transporteur de segments, à savoir les segments déterminés par les nombres du domaine .

Soit un nombre quelconque de  ; la définition du domaine nous montre que tout nombre algébrique conjugué de doit aussi faire partie de , et, puisque les nombres du domaine sont évidemment tous réels, il en résulte que le domaine ne peut contenir que des nombres réels algébriques dont les conjugués sont également réels.

Proposons-nous maintenant le problème qui consiste à construire un triangle rectangle d’hypoténuse égale a , et dont l’un des côtés de l’angle droit soit égal à . Or le nombre algébrique qui exprime la valeur numérique de l’autre côté de l’angle droit, n’est pas contenu dans le domaine numérique , car son conjugué se trouve être imaginaire. Le problème proposé n’est donc pas résoluble dans la Géométrie assignée et ne peut donc pas être résolu au moyen de la règle et du transporteur de segments, bien que la construction en soit immédiatement possible au moyen du compas.


§ 38.

Représentation des nombres algébriques et des fonctions rationnelles entières comme sommes de carrés.


La question de la possibilité des constructions géométriques à l’aide de la règle et du transporteur de segments nécessite, pour être traitée plus complètement, quelques théorèmes d’un caractère arithmétique et algébrique, qui me semblent présenter, par eux-mêmes, un grand intérêt.

On sait, depuis Fermat, que tout nombre entier rationnel positif peut être représenté comme somme de quatre carrés. Ce théorème de Fermat admet la remarquable généralisation suivante :

Définition. Soit un corps de nombres quelconques ; soit le degré de ce corps  ; désignons par les corps conjugués de . Parmi les corps s’il s’en présente un ou plusieurs composés de nombres tous réels, nous nommerons ces corps des corps réels : supposons que ce soient, par exemple, les corps Un nombre du corps est alors dit totalement positif dans quand les nombres conjugués à  : respectivement contenus dans sont tous positifs. Au contraire, s’il se présente aussi des nombres imaginaires, dans chacun des corps chaque nombre dans sera toujours dit totalement positif.

Théorème XLII. — Tout nombre totalement positif dans est représentable comme somme de quatre carrés dont les bases sont des nombres entiers ou fractionnaires du corps .

La démonstration de ce théorème présente des difficultés considérables ; elle repose essentiellement sur la théorie des corps relativement quadratiques que j’ai développée dernièrement dans plusieurs travaux[11]. Je ne citerai ici que le théorème de cette théorie qui assigne les conditions nécessaires pour qu’on puisse résoudre l’équation ternaire de Diophante de la forme

,


où les coefficients sont des nombres donnés de et où désignent des nombres cherchés de . La démonstration du théorème XLII se fait au moyen de l’application réitérée du théorème précédent.

Du théorème XLII découle une suite de propositions relatives a la représentation des fonctions rationnelles d’une variable a coefficients rationnels, qui ne prennent jamais de valeurs négatives. Je ne citerai que le théorème suivant, qui nous sera utile dans les paragraphes suivants

Théorème XLIII. — Désignons par une fonction entière rationnelle de dont les coefficients sont des nombres rationnels et qui ne prend jamais des valeurs négatives quand on donne à des valeurs réelles quelconques. Cela posé, est toujours représentable comme quotient de deux sommes de carrés dont toutes les bases sont des fonctions entières rationnelles de à coefficients rationnels.

Démonstration. — Désignons par le degré de la fonction assignée  ; ce degré doit être évidemment toujours pair. Dans le cas , c’est-à-dire quand est un nombre rationnel, l’exactitude du théorème XLIII est une conséquence immédiate du théorème de Fermat sur la représentation d’un nombre positif comme somme de quatre carrés. Supposons maintenant que le théorème ait été démontré pour les fonctions de degré , et démontrons alors qu’il a encore lieu pour le cas d’une fonction de degré ainsi qu’il suit.

Considérons d’abord rapidement le cas où est décomposable en un produit de deux ou plusieurs fonctions entières de à coefficients rationnels. Supposons que soit une telle fonction contenue dans et qui ne soit pas elle-même décomposable en un produit de fonctions entières à coefficients rationnels ; alors, du caractère défini que nous avons attribué à la fonction résulte que le facteur se présente dans élevé a une puissance paire, ou bien qu’il est lui-même défini, c’est-à-dire que c’est une fonction qui, pour les valeurs réelles de , ne prend jamais une valeur négative. Dans le premier cas, le quotient dans le second, , ainsi que , sont des fonctions définies, et ces fonctions ont un degré pair . Par suite de notre hypothèse, dans le premier cas, et ainsi que dans le second, sont donc représentables comme quotients de sommes de carrés de la nature indiquée dans le théorème XLIII, et, par conséquent, dans les deux cas, la fonction admet aussi la représentation demandée.

Considérons maintenant l’hypothèse où ne peut pas être décomposé en un produit de deux fonctions entières à coefficients rationnels. L’équation définit alors un corps de nombres algébriques de degré qui est imaginaire, ainsi que tous ses corps conjugués. Puisque, d’après la définition qui précède le théorème XLII, tout nombre situé dans et, par suite aussi, en particulier le nombre est totalement positif dans , il y aura, d’après le théorème XLII, une représentation du nombre par une somme de quatre carrés de certains nombres de  ; soit, par exemple,

(1) , (1)


étant des nombres entiers ou fractionnaires de .

Posons

,
,
,
;


ici désignent des coeficients numériques rationnels et les fonctions rationnelles entières en question de degré en .

En vertu de (1) on a


et, en ayant égard à l’irréductibilité de l’équation , on voit que l’expression


représente nécessairement une fonction entière rationnelle de , divisible par . est évidemment une fonction définie de degré ou de degré moindre, et par conséquent le quotient est une fonction définie de degré en ou de degré moindre, à coefficients rationnels. Par suite, en ayant égard à notre hypothèse, est représentable comme le quotient de deux sommes de quatre carrés de la nature indiquée dans le théorème XLIII et, comme même est une somme de tels carrés, il en résulte que ) aussi est nécessairement le quotient de deux sommes de carrés de la nature indiquée dans le théorème XLIII. Nous avons ainsi complètement démontré le théorème XLIII.

Il serait peut-être très difficile d’établir et de démontrer les propositions analogues pour des fonctions entières rationnelles de deux ou plusieurs variables ; je me bornerai à remarquer que j’ai démontré d’une manière tout à fait différente la possibilité de représenter une fonction entière rationnelle définie quelconque de deux variables comme quotient de sommes de carrés de fonctions entières, en supposant que les fonctions représentantes puissent avoir des coefficients non seulement rationnels, mais encore réels quelconques[12].


§ 39.

Criterium de la possibilité d’effectuer les constructions géométriques au moyen de la règle et du transporteur de segments.


Étant donné un problème de construction géométrique qui soit résoluble au moyen du compas, nous nous proposerons maintenant de rechercher un criterium qui nous permettra de décider, au moyen de la nature analytique du problème et de ses solutions, si la construction en est possible en se servant uniquement de la règle et du transporteur de segments. Cette recherche nous conduit au théorème suivant :

Théorème XLIV. — Étant donné un problème de construction géométrique tel que dans la solution analytique de ce problème on puisse trouver les coordonnées des points cherchés en se servant uniquement d’opérations rationnelles et d’extractions de racines carrées, portant sur les coordonnées des points donnés, soit n le nombre minimum de racines carrées qui suffisent à l’évaluation des coordonnées ; pour que le problème de construction proposé puisse être résolu uniquement en tirant des droites et en transportant des segments, il est nécessaire et suffisant que le problème géométrique ait exactement 2n solutions réelles, et cela pour toutes les positions des points donnés, c’est-à-dire pour toutes les valeurs des paramètres arbitraires qui se présentent dans les coordonnées des points donnés.

Démonstration. — Nous démontrerons ce théorème XLIV exclusivement dans le cas où les coordonnées des points donnés sont des fonctions rationnelles à coefficients rationnels d’un paramètre .

La nécessité du criterium énoncé est évidente. Pour démontrer que le criterium est suffisant, supposons-le vérifié et considérons alors parmi les racines carrées celle qui, dans l’évaluation des coordonnées du point cherché, doit être extraite la première. L’expression sous le radical en question est une fonction rationnelle a coefficients rationnels du paramètre  ; cette fonction rationnelle ne pourra prendre de valeurs négatives pour aucune valeur réelle du paramètre  ; sinon le problème pourrait, pour certaines valeurs de , avoir des solutions imaginaires, ce qui serait contraire à l’hypothèse. Il résulte donc alors du théorème XLIII que est représentable par un quotient de sommes de carrés de fonctions rationnelles entières.

Maintenant les formules

.............................................................................


font voir que l’extraction de la racine carrée d’une somme d’un nombre quelconque de carrés peut toujours se ramener à l’extraction réitérée de la racine carrée d’une somme de deux carrés.

En joignant cette observation aux résultats précédents, on reconnait que l’expression peut être construite à l’aide de la règle et du transporteur de segments.

Considérons maintenant, parmi les racines carrées, celle qui dans l’évaluation des coordonnées du point cherché doit être extraite la deuxième. L’expression sous le radical dont il est alors question est une fonction rationnelle du paramètre et de la racine carrée considérée en premier lieu ; cette fonction f2 n’est pour aucune valeur paramétrique réelle , ni pour aucun des deux signes de susceptible de valeurs négatives, sinon le problème assigné pourrait, pour certaines valeurs de , admettre parmi ses solutions des solutions imaginaires, ce qui serait contraire à l’hypothèse. De là résulte que doit vérifier une équation quadratique de la forme

et sont nécessairement des fonctions rationnelles de à coefficients rationnels, qui pour des valeurs réelles de ne prennent jamais des valeurs négatives. De la dernière équation quadratique on tire

Or, en vertu du théorème XLIII, les fonctions et doivent être des quotients de sommes de carrés de fonctions rationnelles et, d’autre part, l’expression est, d’après ce qui précède, susceptible d’être construite au moyen de la règle et du transporteur de segments ; l’expression trouvée pour montre donc que est un quotient de sommes de carrés de fonctions que l’on sait aussi construire. Par conséquent, l’expression est également susceptible d’être construite au moyen de la règle et du transporteur de segments.

De même que l’expression , toute autre fonction rationnelle de et de est également un quotient de deux sommes de carrés de fonctions que l’on sait construire, pourvu que cette fonction rationnelle jouisse de la propriété de ne jamais prendre de valeurs négatives pour des valeurs réelles du paramètre et pour les deux déterminations de .

Cette remarque permet de réitérer le procédé de déduction employé jusqu’ici, de la manière suivante :

Soit une expression dépendant rationnellement des trois arguments et dont la racine carrée, dans l’évaluation analytique des coordonnées des points cherchés, doit être extraite la troisième. Comme précédemment, nous concluons que ne prendra de valeurs négatives pour aucune valeur réelle de p et pour aucune des deux déterminations de et ; ce fait montre encore que doit vérifier une équation quadratique de la forme


et désignent des fonctions rationnelles de et de et qui, pour aucune valeur réelle de et pour aucune des deux déterminations de et de ne peuvent prendre des valeurs négatives. Or, puisque et d’après une remarque précédente, sont des quotients de deux sommes de carrés d’expressions que l’on sait construire, il s’ensuit qu’il en est de même de l’expression


et que, par conséquent, est également susceptible d’être construit au moyen de la règle et du transporteur de segments.

L’itération de cette méthode de raisonnement conduit à la démonstration du théorème XLIV dans le cas envisagé d’un paramètre.

L’exactitude du théorème XLIV dans le cas général dépend de la question de savoirs si le théorème XLIII peut être étendu d’une manière analogue au cas de plusieurs variables.

On peut, comme exemple de l’application du théorème XLIV, considérer les polygones réguliers qui sont susceptibles d’être construits a l’aide du compas. Dans ce cas, il ne se présente pas de paramètre arbitraire p, et les expressions que l’on doit construire représentent simplement toutes des nombres algébriques. On voit sans peine que le criterium du théorème XLIV est rempli et l’on reconnait, par suite que tous ces polygones réguliers peuvent être construits en se servant uniquement de la règle et du transporteur de segments, résultat que l’on pourrait d’ailleurs tirer directement de la Théorie de la division du cercle (Kreistheilung).

En ce qui concerne les autres problèmes de construction connus de la Géométrie élémentaire, je me bornerai à dire ici que le problème de Malfatti peut être résolu en ne se servant que de la règle et du transporteur de segments, tandis qu’il n’en est pas de même du problème de contacts d’Apollonius.


Conclusion[13].


Le précédent Travail ne traite essentiellement que les problèmes de la Géométrie euclidienne, c’est-à-dire qu’il n’y est discuté que les questions qui se présentent quand on admet l’exactitude de l’axiome des parallèles. Il n’en est pas moins important de discuter les principes et les théorèmes fondamentaux de la Géométrie quand on fait abstraction de l’axiome des parallèles. Nous avons aussi exclu de notre étude la question importante de savoir s’il est possible, sans la notion du plan ni de la droite, au seul moyen des points comme éléments et en employant la notion des groupes des déplacements, ou a l’aide de la notion de distance, d’édifier la Géométrie d’une manière logique. Cette dernière question a (ait récemment des progrès considérables, grâce aux travaux fondamentaux et féconds de Sophus Lie. Néanmoins, pour éclaircir complètement la question, il serait bon de subdiviser en plusieurs l’axiome de Lie que l’espace est une multiplicité numérique ; et avant tout il me semblerait désirable que l’on fit une discussion approfondie de l’hypothèse de Lie que les fonctions qui donnent les déplacements sont non seulement continues, mais encore susceptibles de différentiation. Quant à moi, il ne me semble pas probable que les axiomes géométriques renfermés dans la condition de la possibilité de la différentiation soient tous nécessaires.

Dans le traitement de toutes les questions de ce genre, je crois que les méthodes et les principes développés dans le précédent Ménmoire seront utiles. Comme exemple je renverrai à une étude entreprise a mon instigation par M. Dehn et qui vient de paraître[14]. Dans cette étude sont discutés les théorèmes connus de Legendre sur la somme des angles d’un triangle, que ce géomètre a démontrés au moyen de la continuité.

Les considérations de M. Dehn reposent sur les axiomes de l’association, de la distribution et de la congruence, c’est-à-dire les groupes d’axiomes I, II, IV ; au contraire, l’axiome des parallèles et l’axiome d’Archimède sont exclus. D’autre part, les axiomes de distribution sont énoncés d’une manière plus générale que dans le travail actuel, à peu près comme il suit : Parmi quatre points A, B, C, D d’une droite, il y en a toujours deux, A, C, par exemple, qui sont séparés par les deux autres B et D, et réciproquement. Cinq points A, B, C, D, E sur une droite peuvent toujours être distribués de telle sorte que A, C soient séparés par B, D et par B, E, ensuite que A, D soient séparés par B, E et par C, E et ainsi de suite. De cette façon, ce qui n’a pas lieu dans mon présent Mémoire, la Géométrie riemannienne (elliptique) n’est pas exclue a priori.

En se basant sur les axiomes d’association, de distribution et de congruence, c’est-à-dire sur les axiomes I, II, IV, on peut introduire de la manière connue les éléments dits ideaux (points, droites, plans idéaux). Cela fait, M. Dehn démontre le théorème suivant :

Si l’on regarde toutes les droites et tous les points (idéaux et réels) du plan, à l’exception d’une droite unique t et des points situés sur t, comme éléments d’une nouvelle Géométrie, on peut pour cette nouvelle Géométrie définir un nouveau genre de congruence de telle sorte que cette Géométrie vérifie tous les axiomes d’association, de distribution, de congruence, ainsi que l’axiome d’Euclide, la droite t dans cette Géométrie jouant le rôle de la droite de l’infini.

Cette Géométrie euclidienne imposée pour ainsi dire au plan non euclidien sera dite une pseudo-Géométrie et le nouveau genre de congruence une pseudo-congruence.

En invoquant le théorème qui précède, on peut alors introduire un calcul segmentaire relatif au plan, en s’appuyant sur les développements du Chap. III, § 15. Ce calcul segmentaire permet de démontrer l’important théorème suivant

Si dans un triangle quelconque la somme des angles est

plus grande que 2 droits
égale à 2 droits
plus petite que 2 droits


il en sera de même dans tout triangle.

Le cas où la somme des angles est égale à deux droits donne le théorème bien connu de Legendre ; mais, pour le démontrer, Legendre s’est servi de la continuité.

M. Dehn discute alors la connexion entre les trois différentes hypothèses relatives à la somme des angles et les trois différentes hypothèses relatives aux parallèles.

Il arrive ainsi aux remarquables propositions suivantes :

De l’hypothèse que par un point donné l’on peut mener à une droite une infinité de parallèles il s’ensuit, si l’on exclut l’axiome d’Archimède, NON PAS que la somme des angles d’un triangle est plus petite que deux droits, mais au contraire que cette somme peut être

(a)                                        plus grande que 2 droits
(b)                                        égale à 2 droits.

Pour démontrer le cas (a) de ce théorème, M. Dehn édifie une Géométrie où l’on peut mener par un point une infinité de parallèles une droite et où, d’ailleurs, sont aussi vérifiés tous les théorèmes de la Géométrie riemannienne (elliptique). À cette Géométrie convient le nom de Géométrie non legendrienne, car elle est en contradiction avec le théorème de Legendre en vertu duquel la somme des angles d’un triangle n’est jamais plus grande que 2 droits. De l’existence de cette Géométrie non legendrienne il résulte immédiatement qu’il est impossible de démontrer le précédent théorème de Legendre sans employer l’axiome d’Archimède ; et, en effet, Legendre se sert de la continuité pour démontrer son théorème.

Pour démontrer le cas (b) du théorème précité, on édifie une Géométrie sans axiome des parallèles et où sont néanmoins vérifiés tous les théorèmes de la Géométrie euclidienne la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits, il y a des triangles semblables, les extrémités de perpendiculaires de même longueur menées à une droite sont toutes situées sur la même droite, etc. De l’existence de cette Géométrie s’ensuit que, si l’on fait abstraction de l’axiome d’Archimède, l’axiome des parallèles ne peut être remplacé par aucune des propositions que l’on regarde d’habitude comme lui étant équivalentes.

Cette nouvelle Géométrie peut être dite une Géométrie semi-euclidienne. De même que la Géométrie non legendrienne, il est clair que la Géométrie semi-euclidienne est en même temps une Géométrie non archimédienne.

M. Dehn arrive finalement à ce théorème surprenant

De l’hypothèse qu’il n’existe aucune parallèle, il s’ensuit que la somme des angles d’un triangle est plus grande que deux droits.

Ce théorème montre que les deux hypothèses non euclidiennes sur les parallèles se comportent d’une manière absolument différente vis-à-vis de l’axiome d’Archimède.

On peut réunir les résultats énoncés par les théorèmes précédents dans le Tableau suivant

La somme
des angles d’un triangle est
Par un point donné l’on peut mener à une droite
aucune parallèle. une parallèle. une infinité de parallèles.
> 2 droits Géométrie de Riemann (elliptique) Cas impossible Géométrie non legendrienne
< 2 droits Cas impossible Géométrie euclidienne (parabolique) Géométrie semi-euclidienne
= 2 droits Cas impossible Cas impossible Géométrie de Lobatschewski (hyperbolique)

Maintenant mon présent Travail, comme je l’ai déjà dit, est plutôt une recherche critique sur tes principes de la Géométrie euclidienne. Dans cette recherche nous avons eu pour guide ce principe fondamental faire la discussion de chaque question qui se présente de manière à examiner en même temps s’il est possible ou non de répondre à cette question en suivant une voie assignée d’avance et en se servant de certains moyens limités. Ce principe fondamental me semble contenir une règle générale et conforme à la nature des choses. En effet, lorsque dans nos recherches mathématiques nous rencontrons un problème ou lorsque nous soupçonnons un théorème, notre esprit n’est satisfait que lorsque nous possédons la solution complète du problème et la démonstration rigoureuse du théorème, ou bien lorsque nous connaissons bien clairement la raison de l’impossibilité de la réussite et, par suite, aussi celle de la nécessité de l’insuccès.

C’est ainsi que, dans les Mathématiques modernes, la question de l’impossibilité de certaines solutions ou problèmes joue un rôle prépondérant et que les efforts faits pour répondre à des questions de ce genre ont été l’occasion de la découverte de domaines de recherche nouveaux et féconds. Rappelons seulement à ce propos la démonstration d’Abel de l’impossibilité de résoudre l’équation du cinquième degré au moyen de radicaux, puis la découverte de l’impossibilité de démontrer l’axiome des parallèles, enfin les théorèmes de MM. Hermite et Lindemann sur l’impossibilité de construire par la voie algébrique les nombres e et π.

Ce principe fondamental, en vertu duquel on doit partout discuter les principes de la possibilité des démonstrations, est intimement lié à la condition de la « pureté » des méthodes de démonstration qui, dans ces derniers temps, a été considérée comme de la plus haute importance par nombre de mathématiciens. Au fond, cette condition n’est pas autre qu’une conception subjective du principe fondamental suivi ici, En effet, l’étude géométrique précédente cherche, en général, à expliquer quels sont les axiomes, hypothèses ou moyens nécessaires à la démonstration d’une vérité de Géométrie élémentaire, et il ne reste plus alors qu’à juger, d’après le point de vue auquel on s’est placé, quelles sont les méthodes de démonstration que l’on doit préférer.




Pour le dessin des figures, ainsi que pour la correction des épreuves, l’aide de M. le Dr Hans von Schaper m’a été d’un grand secours ; je lui en présente ici tous mes remerciements. Je remercie aussi de même mes amis MM. Hermann Minkowski et Julius Sommer de m’avoir prêté leur concours pour corriger des épreuves.




ERRATA.
Page 89, formule (1), au lieu de ts = – st, lire ts = 2st.




TABLE DES MATIÈRES.
________

Pages


Chapitre I. — Les cinq groupes d’axiomes.


§ _1. — 
_Les éléments de la Géométrie et les cinq groupes d’axiomes 
 6
§ _2. — 
_Le groupe d’axiomes I : axiomes d’association 
 7
§ _3. — 
_Le groupe d’axiomes II : axiomes de distribution 
 8
§ _4. — 
_Conséquences des axiomes d’association et de distribution 
 10
§ _5. — 
_Le groupe d’axiomes III : axiome des parallèles (Postulat d’Euclide) 
 13
§ _6. — 
_Le groupe d’axiomes IV : axiomes de congruence 
 14
§ _7. — 
_Conséquences des axiomes de congruence 
 17
§ _8. — 
_Le groupe d’axiomes V : axiome de la continuité (axiome d’Archimède) 
 24


Chapitre II. — La non-contradiction et l’indépendance des axiomes.


§ _9. — 
_La non-contradiction des axiomes 
 26
§ 10. — 
_Indépendance de l’axiome des parallèles (Géométrie non euclidienne) 
 28
§ 11. — 
_Indépendance des axiomes de congruence 
 30
§ 12. — 
_Indépendance de l’axiome de la continuité V (Géométrie non archimédienne) 
 32


Chapitre III. — Théorie des proportions.


§ 13. — 
_Systèmes numériques complexes 
 34
§ 14. — 
_Démonstration du théorème de Pascal 
 36
§ 15. — 
_Un calcul segmentaire basé sur le théorème de Pascal 
 42
§ 16. — 
_Les proportions et les théorèmes de similitude 
 45
§ 17. — 
_Les équations des droites et des plans 
 48


Chapitre IV. — Théorie des aires planes.


§ 18. — 
_Égalité par addition, égalité par soustraction des polygones 
 51
§ 19. — 
_Parallélogrammes et triangles de même base et de même hauteur 
 53
§ 20. — 
_La mesure des aires des triangles et des polygones 
 55
§ 21. — 
_L’égalité par soustraction et la mesure des aires 
 59

Chapitre V. — Le théorème de Desargues.

§ 22. — 
_Le théorème de Desargues, sa démonstration dans le plan au moyen des axiomes de la congruence 
 62
§ 23. — 
_Impossibilité de démontrer le théorème de Desargues dans le plan sans employer les axiomes de la congruence 
 64
§ 24. — 
_Introduction d’un calcul segmentaire indépendant des axiomes de la congruence et basé sur le théorème de Desargues 
 69
§ 25. — 
_Les lois commutatives et associatives de l’addition dans le nouveau calcul segmentaire 
 70
§ 26. — 
_La loi associative de la multiplication et les deux lois distributives dans le nouveau calcul segmentaire 
 72
§ 27. — 
_Équation de la ligne droite basée sur le nouveau calcul segmentaire 
 77
§ 28. — 
_L’ensemble des segments regardé comme un système numérique complexe. 
 80
§ 29. — 
_Construction d’une Géométrie de l’espace au moyen d’un système numérique de Desargues 
 82
§ 30. — 
_La portée du théorème de Desargues 
 84


Chapitre VI. — Le théorème de Pascal.


§ 31. — 
_Deux théorèmes sur la possibilité de démontrer le théorème de Pascal 
 86
§ 32. — 
_La loi commutative de la multiplication dans un système numérique archimédien 
 87
§ 33. — 
_La loi commutative de la multiplication dans un système numérique non archimédien 
 89
§ 34. — 
_Démonstration des deux théorèmes relatifs au théorème de Pascal (Géométrie non pascalienne) 
 91
§ 35. — 
_De la démonstration d’un théorème quelconque relatif à des points d’intersection au moyen des théorèmes de Pascal et de Desargues 
 92


Chapitre VII. — Les constructions géométriques reposant sur les axiomes I-V.


§ 36. — 
_Les constructions géométriques au moyen de la règle et du transporteur de segments 
 94
§ 37. — 
_Représentation analytique des coordonnées des points que l’on peut construire 
 97
§ 38. — 
_Représentation des nombres algébriques et des fonctions rationnelles entières comme sommes de carrés 
 99
§ 39. — 
_Criterium de la possibilité d’effectuer les constructions géométriques au moyen de la règle et du transporteur de segments 
 103
 106



  1. Voir les Comptes rendus si complets de G. Veronese : Grundzüge der Geometrie, traduction de M. A. Schepp, Leipzig, 1891 (Supplément) ; et F. Klein, Le Prix Lobatschefskiy… (Math. Annalen, t. L).
    D. Hilbert
  2. C’est M. Pasch qui, dans son Cours de Géométrie moderne, a le premier étudié en détail ces axiomes. L’axiome II, 5 en particulier est dû à M. Pasch.
    (D. Hilbert.)
  3. M. Hilbert a bien voulu écrire cette Note inédite pour la traduction de son Mémoire, ainsi qu’une longue addition à la conclusion. Le traducteur saisit avec empressement cette occasion pour présenter ici ses très cordiaux remerciements à M. L. Gérard, professeur au Lycée Charlemagne, et à M. P. Sückel, professeur à l’Université de Kiel, pour leurs précieux conseils et leur aide dans la correction des épreuves. Il ne saurait oublier non plus de remercier encore une fois M. Hilbert et M. Teubner d’avoir autorisé la publication de ce Mémoire.
  4. Comparer ma Communication à la réunion de savants tenue à Munich en 1899 : Ueber des Zahlbegriff (Berichte der Deutschen Mathematiker-Vereingung, 1900.)
    D. Hilbert
  5. Comparer mon Cours sur la Géométrie euclidienne (semestre d’hiver 1898-1899), autographié pour mes auditeurs, d’après la rédaction de M. le Dr von Schaper.
  6. Dans son Livre d’une portée si profonde (Grundzäge der Geometrie, traduction A. Schepp, Leipzig ; 1894), M. G. Veronese a aussi fait des recherches relatives à l’édification d’une Géométrie indépendante de l’axiome d’Archimède.
    D. Hilbert
  7. M. F. Schur a publié dans le tome LI des Math. Annalen une intéressante démonstration du théorème de Pascal, basée sur tous les axiomes I-II, IV.
    (D. Hilbert.)
  8. En ce qui concerne la théorie des aires dans le plan, nous appelons avant tout l’attention sur les Travaux suivants de M. Gérard : Thèse de Doctorat sur la Géométrie non euclidienne (1892) et Géométrie plane (Paris, 1898). M. Gérard a exposé une théorie tout à fait analogue à celle du § 20 du présent Travail relativement à la mesure des polygones. La différence est que M. Gérard emploie des transversales parallèles, tandis que moi je me sers de transversales issues d’un sommet. En outre, le lecteur pourra comparer les Travaux suivants de F. Scurr, où l’on trouve aussi une exposition analogue : Sitzungberichte der Dorpater Naturf. Ges., 1892, et Lehrbuch der analytischen Géometrie, Leipzig, 1898, Introduction. Enfin, je renverrai encore à un Travail de O. Stoll : Monatshefte für Math. und Phyz., 5e année, 1894.
    (Note de M. Hilbert)


    En outre, M. Gérard a encore traité la question des aires, par diverses méthodes, dans le Bulletin de Mathématiques spéciales (mai 1895), dans le Bulletin de la Société mathématique de France (décembre 1895), dans le Bulletin de Mathématiques élémentaires (janvier 1898, juin 1897, juin (1898).
    (Note du traducteur.)
  9. Monatshefte für Math. und Phys., Jahrgang 5, 1894.
  10. Les fig. 44, 45 et 47 ont été dessinées par M. le Dr. von Schaper, qui a également pris soin des détails des démonstrations relatives à ces figures.
  11. Ueber die Theorie der relativ-quadratischen Zahlkörper (Jahrensbericht d. Deutschen Math. Vereinigung, t. VI, 1899, et Math. Annalen, t. LI) ; enfin : Ueber die Theorie der relativ-abelschen Zahlkörper (Nach. d. K. Ges. d. Wiss. zu Göttingen, 1898).

    (D. Hilbert)
  12. Uber ternäre definite Formen (Acta mathematica, t. XVII)
  13. À partir d’ici jusqu’au Tableau de la page 208, le texte est entièrement nouveau et n’existe pas dans l’édition allemande. (Le Traducteur.)
  14. Math. Annalen t. LIII (1900)