L’Encyclopédie/1re édition/FONTAINE

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FONTAINE, s. f. (Géog. phys.) est une quantité d’eau, qui en sortant de certaines couches de la terre entr’ouvertes, se trouve recueillie dans un bassin plus ou moins considérable, dont l’écoulement perpétuel ou interrompu fournit à une partie de la dépense des différens canaux distribués sur la surface des continens & des îles.

Je crois qu’il est à-propos de fixer ici les acceptions précises suivant lesquelles il paroît que sont employés les termes de fontaine & de source. Source semble être en usage dans toutes les occasions où l’on se borne à considérer ces canaux naturels qui servent de conduits soûterreins aux eaux, à quelque profondeur qu’ils soient placés, ou bien le produit de ces especes d’aqueducs. Fontaine indique un bassin à la surface de la terre, & versant au-dehors ce qu’il reçoit par des sources ou intérieures ou voisines. Exemples. Les sources du Rhône, du Pô, du Rhin, sont dans le mont S. Gothard ; la fontaine d’Arcueil est à mi-côte ; la source de Rungis fournit environ 50 pouces d’eau : les sources des mines sont très-difficiles à épuiser ; les sources des puits de Modene sont à 63 piés de profondeur. La plûpart des lacs qui versent leurs eaux dans les fleuves sont entretenus par des sources intérieures. Dans le bassin de cette fontaine on apperçoit l’eau des sources qui en jaillissant écarte les sables d’où elle sort. Après les pluies, & à l’entrée de l’hyver, les sources qui inondent les terres donnent beaucoup.

La premiere question qui se présente à ceux qui ont consideré avec attention ces sources perpétuelles & abondantes, est de demander quelle peut être la cause du cours perpétuel de ces fontaines, qui par la réunion de leurs eaux servent à entretenir le Rhône, le Rhin, le Danube, le Volga, les fleuves S. Laurent, de la Plata, des Amazones ; quels sont les réservoirs invisibles qui remplissent les canaux multipliés des rivieres & les vastes lits des fleuves ; par quel méchanisme enfin ces réservoirs réparent abondamment leurs pertes journalieres.

Ensuite à mesure qu’on étudie plus en détail les fontaines, on y observe plusieurs singularités très-frappantes, tant dans leur écoulement que dans leurs eaux ; & ces discussions sont par leurs objets aussi agréables qu’utiles. D’après ces considérations, nous croyons devoir nous attacher dans cet article à deux points de vûe intéressans sur les fontaines : leur origine & leurs singularités.

Origine des Fontaines. L’origine des fontaines a de tout tems piqué la curiosité des Philosophes. Les anciens ont leurs hypothèses sur ce méchanisme, ainsi que les modernes. Mais ce sont pour la plûpart des plans informes, qui sur-tout dans les premiers, & même dans certains écrivains de nos jours, ont le défaut général que Séneque reprochoit avec tant de fondement aux physiciens de son tems, dont il connoissoit si bien les ressources philosophiques. Illud ante omnia mihi dicendum est, opiniones veterum parùm exactas esse & rudes : circaverum adhuc errabatur : nova omnia erant primò tentantibus. Quæst. nat. lib. VI. c. jv.

Les anciens, en parlant de l’origine des fontaines, ne nous présentent rien de précis & de fondé ; outre qu’ils n’ont traité cette question qu’en passant, & sans insister sur ses détails, ils ne paroissent s’être attachés ni aux faits particuliers ni à leur concert ; ces raisons sont plus que suffisantes pour nous déterminer à passer legerement sur leurs hypothèses. Quel fruit peut-on retirer pour l’éclaircissement de la question présente, en voyant Platon ou d’autres anciens philosophes au nom desquels il parle, indiquer pour le reservoir commun des fontaines & des sources, les gouffres du Tartare, & faire remonter l’eau par cascades de ce gouffre à la surface de la terre ? Peut-être que des érudits trouveront dans ces réveries populaires l’abysme que Woodward prétend faire servir à la circulation des eaux souterraines. Nous ne croirons pas au reste devoir revendiquer pour notre siecle cette derniere hypothese comme plus appuyée que l’ancienne. Quelles lumieres & quelles ressources trouve-t-on dans le système embrassé par Aristote & par Séneque le naturaliste ? Ces philosophes ont imaginé que l’air se condensoit & se changeoit en eau par la stagnation & l’humidité qu’il éprouvoit dans les soûterrains. Ils se fondoient sur ce principe, que tout se fait de tout ; ainsi, selon eux l’air se change en eau & l’eau en air par des transmutations, au milieu desquelles la nature sait garder une juste compensation qui entretient toûjours l’équilibre entre les élémens. Ces transmutations livreroient toute l’économie admirable de la nature à une confusion & à une anarchie affreuse. L’eau considérée sans mélange sera toûjours eau & inaltérable dans ses élémens. Voyez Eau, Elément. Il est vrai qu’on a observé de nos jours un fait qui sembleroit autoriser ces prétentions. L’eau la plus pure laisse après plusieurs distillations réitérées quelques principes terreux au fond de la cucurbite. Ce fait remarqué par Boyle & par Hook avoit donné lieu à Newton de conclure que l’eau se changeoit en terre. Mais Boerhaave qui a vérifié effectivement ce résultat, prétend avec beaucoup plus de raison que les molécules de l’eau sont inaltérables, & que le résidu terreux est le produit des corps legers qui flottent dans l’air, ou la suite d’une inexactitude indispensable dans la manipulation. Ainsi les anciens n’étoient autorisés à supposer ces transmutations que par le besoin qu’ils en avoient. Si après cela nous voyons Aristote avoir recours aux montagnes qui boivent les eaux soûterraines comme des éponges ou d’autres agens, ces secours subsidiaires ne nous offrent aucune unité dans ses idées. Pline nous rapporte quelques faits, mais donne peu de vûes. Vitruve a entrevû le vrai en s’attachant au produit des pluies.

Saint Thomas & les Scholastiques de Conimbre tranchent plûtôt la question qu’ils ne la résolvent, en admettant ou l’ascendant des astres, ou la faculté attractive de la terre qui rassemble les eaux dans son sein par une force que la Providence lui a départie suivant ses vûes & ses desseins. Van-Helmont prétend que l’eau renfermée dans les entrailles de la terre n’est point assujettie aux regles de l’hydrostatique, mais qu’elle dépend alors uniquement de l’impression que lui communique cet esprit qui anime le monde soûterrain, & qui la met en mouvement dans les abysmes profonds qu’elle remplit. En conséquence de ces idées il met en jeu ce qu’il appelle la propriété vivifiante du sable pur, & la circulation animée qui en résulte des eaux de la mer visible dans une mer invisible, qu’il s’efforce de prouver par l’Ecriture. Cet abus n’est pas particulier à ce fameux medecin : plusieurs autres écrivains ont cru décider la question par des passages des livres sacrés qu’ils interprétoient selon leurs caprices, ou se sont servi de cette autorité respectable comme de preuve subsidiaire. On ne peut trop s’élever contre ce procédé religieux en apparence, mais qui aux yeux d’un physicien éclairé & chrétien, n’est que l’emploi indécent d’un langage sacré fait pour diriger notre croyance & notre conduite, & non pour appuyer des préjugés, des préventions, & des inductions imaginaires, en un mot des systèmes. Ces especes de théologies physiques dérogeant à la majesté de l’Ecriture & aux droits de la raison, ne laissent appercevoir qu’un mélange toûjours ridicule de faits divins & d’idées humaines.

L’érudition de Scaliger ne nous présente que des discussions vagues sur ce que les autres ont pensé & sur ce qu’il se croit en droit d’y ajoûter, mais ne nous offre d’ailleurs aucun fait décisif. Cardan après avoir examiné d’une vûe assez générale les deux principales hypothèses qui étoient en honneur de son tems, & avoir grossi les difficultés de chacune, finit par les embrasser toutes les deux en assignant à l’une & à l’autre ses opérations particulieres. Dans l’une on attribuoit l’origine des fontaines uniquement aux pluies ; dans l’autre on prétendoit qu’elles n’empruntoient leurs eaux que de la mer. Ces deux opinions sont presque les seules qui ayent partagé les Physiciens dans tous les tems. Plusieurs écrivains depuis Cardan ont adopté l’une des deux ; mais la plûpart se sont bornés à des moyens très-imparfaits. Tels sont Lydiat, Davity, Gassendi, Duhamel, Schottus, & le pere François. On peut consulter sur ces détails le traité de Perrault de l’origine des fontaines ; on y trouvera vingt-deux hypotheses, qui toutes se rapportent aux deux principales dont nous venons de parler. On ajoûtera aux auteurs qui y figurent, Plot, dont l’ouvrage est une espece de déclamation où l’on trouve beaucoup de crédulité, peu de raisons, & encore moins de choix & de certitude dans les faits. Cet anglois adopte les canaux soûterreins. Bernard Palissy qui avoit plus vû & mieux vû que tous ces savans, étoit si persuadé que les pluies formoient les fontaines, & que l’organisation des premieres couches de la terre étoit très-favorable à l’amas des eaux, à leur circulation, & à leur émanation, qu’il publioit hautement être en état de les imiter. Il auroit organisé un petit monticule suivant la distribution des couches qu’il avoit remarquées à la surface de la terre dans les lieux qui lui avoient offert des sources. On verra par la suite que cette promesse n’étoit point l’effet de ces charlatanismes dont les Savans ne sont pas exempts, & que les ignorans qui s’en plaignent & qui en sont les dupes, rendent souvent nécessaires.

La premiere chose qui se présente dans cette question, est que les fleuves & les rivieres vont se rendre dans des golphes ou dans de grands lacs où ils portent continuellement leurs eaux. Or depuis tant de siecles que ces eaux se rassemblent dans ces grands réservoirs, l’océan & les autres mers auroient débordé de toutes parts & inondé la terre, si les vastes canaux qui s’y déchargent y portoient des eaux étrangeres qui ajoûtassent à leur immense volume. Il faut donc que ce soit la mer qui fournisse aux fontaines cette quantité d’eau qui lui rentre ; & qu’en conséquence de cette circulation les fleuves puissent couler perpétuellement, & transporter une masse d’eau considérable, sans trop remplir le vaste bassin qui la reçoit.

Ce raisonnement est un point fixe auquel doivent se réunir toutes les opinions qu’il est possible d’imaginer sur cette matiere, & qui se présente d’abord dès qu’on se propose de discuter celles qui le sont déjà. Mais comment l’eau va-t-elle de la mer aux fontaines ? Nous savons bien la route qu’elle tient pour retourner des fontaines à la mer, parce que les canaux de conduite sont pour la plûpart exposés à la vûe du peuple comme des Physiciens : mais ces derniers ne sont pas d’accord sur le méchanisme qui reporte l’immense quantité d’eau que les fleuves charrient, dans les réservoirs de leurs sources.

Je considere en second lieu que l’eau de la mer est salée, & que celle des fontaines est douce, ou que si elle est chargée de matieres étrangeres, on peut se convaincre aisément qu’elle ne les tire pas de la mer. Il faut donc que le méchanisme du transport, ou que nos tuyaux de conduite soient organisés de façon à faire perdre à l’eau de la mer, dans le trajet, sa salure, sa viscosité, & son amertume.

En combinant les moyens que les auteurs qui ont écrit avec le plus de lumieres & de sagesse sur l’origine des fontaines, ont essayé d’établir pour se procurer ce double avantage, on peut les rappeller à deux classes générales. Dans la premiere sont ceux qui prétendent que les vapeurs qui s’élevent par évaporation de dessus la surface de la mer, emportées & dissoutes dans l’atmosphere, voiturées ensuite par les vents sous la forme de nuages épais & de brouillards, arrêtées par les sommets élevés des montagnes, condensées en rosée, en neige, en pluie, saisissant les diverses ouvertures que les plans inclinés des collines leur offrent pour s’insinuer dans les corps des montagnes ou dans les couches propres à contenir l’eau, s’arrêtent & s’assemblent sur des lits de tuf & de glaise, & forment en s’échappant par la pente de ces lits & par leur propre poids, une fontaine passagere ou perpétuelle, suivant l’étendue du bassin qui les rassemble, ou plûtôt suivant celle des couches qui fournissent au bassin.

Dans la seconde classe sont ceux qui imaginent dans la masse du globe des canaux soûterreins, par lesquels les eaux de la mer s’insinuent, se filtrent, se distillent, & vont en s’élevant insensiblement remplir les cavernes qui fournissent à la dépense des fontaines. Ceux qui soûtiennent cette derniere opinion, l’exposent ainsi. La terre est remplie de grandes cavités & de canaux soûterreins, qui sont comme autant d’aqueducs naturels, par lesquels les eaux de la mer parviennent dans des cavernes creusées sous les bases des montagnes. Le feu soûterrein fait éprouver aux eaux rassemblées dans ces especes de cucurbites, un degré de chaleur capable de la faire monter en vapeurs dans le corps même de la montagne, comme dans le chapiteau d’un alembic. Par cette distillation, l’eau salée dépose ses sels au fond de ces grandes chaudieres ; mais le haut des cavernes est assez froid pour condenser & fixer les vapeurs qui se rassemblent & s’accrochent aux inégalités des rochers, se filtrent à-travers les couches de terres entr’ouvertes, coulent sur les premiers lits qu’elles rencontrent, jusqu’à ce qu’elles puissent se montrer en-dehors par des ouvertures favorables à un écoulement, ou qu’après avoir formé un amas, elles se creusent un passage & produisent une fontaine.

Cette distillation, cette espece de laboratoire soûterrein, est de l’invention de Descartes (Princip. IV. part. §. 64.), qui dans les matieres de Physique imagina trop, calcula peu, & s’attacha encore moins à renfermer les faits dans de certaines limites, & à s’aider pour parvenir à la solution des questions obscures de ce qui étoit exposé à ses yeux. Avant Descartes, ceux qui avoient admis ces routes soûterreines, n’avoient pas distillé pour dégager les sels de l’eau de la mer ; & il faut avoüer que cette ressource auroit simplifié leur échafaudage, sans le rendre néanmoins plus solide.

Dans la suite, M. de la Hire (Mém. de l’acad. an. 1703.) crut devoir abandonner les alembics comme inutiles, & comme un travail imité de l’art toûjours suspect de supposition dans la nature. Il se restreignit à dire, qu’il suffisoit que l’eau de la mer parvînt par des conduits soûterreins, dans de grands réservoirs placés sous les continens au niveau de la mer, d’où la chaleur du sein de la terre, ou même le feu central, pût l’élever dans de petits canaux multipliés qui vont se terminer aux couches de la surface de la terre, où les vapeurs se condensent en partie par le froid & en partie par des sels qui les fixent. C’est pour le dire en passant, une méprise assez singuliere de prétendre que les sels qui se dissolvent dans les vapeurs, puissent les fixer. Selon d’autres physiciens, cette même force qui soûtient les liqueurs au-dessus de leur niveau dans les tubes capillaires, ou entre des plans contigus, peut faciliter considérablement l’élévation de l’eau marine adoucie. Voyez Capillaire, Tube, Attraction. On a fait joüer aussi par supplément, l’action du flux & reflux ; on a cru en tirer avantage, en supposant que son impulsion étoit capable de faire monter à une très-grande hauteur, malgré les lois de l’équilibre, les eaux qui circulent dans les canaux soûterreins ; ils ont cru aussi que le ressort de l’air dilaté par la chaleur soûterreine, & qui soûleve les molécules du fluide parmi lesquelles il est dispersé, y entroit aussi pour beaucoup.

La distillation imaginée par Descartes, avoit pour but de dessaler l’eau de la mer, & de l’élever au-dessus de son niveau : mais ceux qui se sont contentés de la faire filtrer au-travers des lits étroits & des couches de la terre, comme M. de la Hire, ont cru avec l’aide de la chaleur, obtenir le même avantage, & ils se sont fait illusion. 1°. L’eau de la mer que l’on veut faire monter par l’action des canaux capillaires formés entre les interstices des sables ou autres terres, ne produit jamais aucun écoulement ; parce que les sables & les terres n’attirent point les eaux douces ou salées en assez grande quantité pour produire cet effet. M. Perrault (orig. des font. pag. 154.) prit un tuyau de plomb d’un pouce huit lignes de diametre, & de deux piés de long ; il attacha un reticule de toile par le bas, & l’emplit de sable de riviere sec & passé au gros sas. Ce tuyau ayant été placé perpendiculairement dans un vase d’eau, à la profondeur de quatre lignes, le liquide monta à 18 pouces dans le sable. Boyle, Hauksbée & de la Hire, ont fait de semblables expériences, & l’eau s’est élevée de même à une hauteur considérable : mais M. Perrault alla plus loin. Il fit à son tuyau de plomb une ouverture latérale de sept à huit lignes de diametre ; & à deux pouces au-dessus de la surface de l’eau du vase à cette ouverture, il adapta dans une situation inclinée un tuyau aussi plein de sable, & y plaça un morceau de papier gris qui débordoit vers l’orifice inférieur. L’eau pénétra dans cette espece de gouttiere & dans le papier gris ; mais il n’en tomba aucune goutte par ce canal ; on n’en put même exprimer en pressant avec les doigts, le papier gris mouillé. Tout cet équipage tiré hors du vase, ne produisit aucun écoulement ; il n’avoit lieu que lorsqu’on versoit de l’eau par le haut du tuyau ; & le tuyau ayant été rempli de terre au lieu de sable, on n’apperçut aucun écoulement, & la terre absorboit plus d’eau que le sable, quand on en versoit par le haut ; ce qui a été observé depuis par M. de Reaumur. Il paroît qu’il faut pour pénétrer la terre, une quantité d’eau égale au tiers de sa masse.

M. Perrault soûmit à la même expérience de l’eau salée ; les sables contractoient d’abord un certain degré de salure, & l’eau diminuoit un peu son amertume : mais lorsque les couloirs s’étoient une fois chargés de sels, l’eau qui s’y filtroit n’en déposoit plus. Et d’ailleurs des percolations réitérées au travers de cent différentes matieres sabloneuses, n’ont point entierement dessalé l’eau de la mer. Voilà des faits très-destructifs des suppositions précédentes. On peut ajoûter à ces expériences d’autres faits aussi décisifs. Si l’eau se dessaloit par filtration, moins elle auroit fait de trajet dans les couches terrestres, & moins elle seroit dessallée : or on trouve des fontaines & même des puits d’eau douce, sur les bords de la mer, & des sources même dans le fond de la mer, comme nous le verrons par la suite. Il est vrai que quand les eaux de la mer pénetrent dans les sables en se réunissant aux pluies, elles produisent un mélange saumache & salin ; mais il suffit qu’on trouve des eaux douces dans des fontaines abondantes & dans des puits voisins de la mer, pour que l’on puisse soûtenir que les eaux de la mer ne peuvent se dessaler par une filtration soûterreine. On n’alléguera pas sans doute les eaux salées, puisqu’il s’en trouve au milieu des terres, comme en Alsace, en Franche-Comté, à Salins ; & d’ailleurs il est certain que cette eau n’est salée, que parce qu’elle dissout des mines de sel.

En général, on peut opposer à l’hypothèse que nous venons de décrire, plusieurs difficultés très-fortes.

1°. On suppose fort gratuitement des passages libres & ouverts, depuis le lit de la mer jusqu’au pié des montagnes. On n’a pû prouver par aucun fait l’existence de ces canaux soûterreins ; on a plûtôt prouvé le besoin que l’on en a, que leur réalité ou leur usage. Comment concevoir que le lit de la mer soit criblé d’ouvertures, & la masse du globe toute percée de canaux soûterreins ? voyons-nous que la plûpart des lacs & des étangs perdent leurs eaux autrement que par des couches de glaise ? Le fond de la mer est tapissé & recouvert d’une matiere visqueuse, qui ne lui permet pas de s’extravaser aussi facilement & aussi abondamment qu’il est nécessaire de le supposer, pour disperser avec autant de profusion les fontaines sur la surface des îles & des continens. Quand même la terre pénétreroit certaines couches de son fond à une profondeur assez considérable, on ne peut en conclure la filtration de ses eaux dans la masse du globe. Prétendre outre cela, que les gouffres qui paroissent absorber l’eau de la mer, soient les bouches de ces canaux soûterreins, c’est s’attacher à des apparences pour le moins incertaines, comme nous le verrons par la suite.

On n’a pas plus de lumieres sur ces grands réservoirs ou ces immenses dépôts, qui, selon quelques auteurs, fournissent l’eau à une certaine portion de la surface du globe ; sur ces lacs soûterreins décrits dans Kircher (mund. subterr.) sous le nom d’Hydrophilacia, & dont il a cru devoir donner des plans pour rassûrer la crédulité de ceux qui seroient portés à ne les pas adopter sur sa parole.

2°. Quand leur existence seroit aussi certaine qu’elle est douteuse à ceux qui n’imaginent pas gratuitement, il ne s’ensuivroit pas que ces lacs eussent une communication avec la mer. Les lacs soûterreins que l’on a découverts, sont d’eau douce : au surplus ils tirent visiblement leurs eaux des couches supérieures de la terre. On observe constamment toutes les fois qu’on visite des soûterreins, que les eaux se filtrent au-travers de l’épaisseur de la croûte de terre qui leur sert de voûte. Lorsqu’on fait un étalage de ces cavernes fameuses, par lesquelles on voudroit nous persuader l’existence & l’emploi de ces réservoirs soûterreins, on nous donne lieu de recueillir des faits très-décisifs contre ces suppositions : car la caverne de Baumannia située dans les montagnes de la forêt d’Hircinie, celle de Podpetschio dans la Carniole, celles de la Kiovie, de la Podolie, toutes celles que Scheuchzer a eu lieu d’examiner dans les Alpes, celles qu’on trouve en Angleterre, sont la plûpart à sec, & l’on y remarque tout-au-plus quelques filets d’eau qui viennent des voûtes & des congélations, formées par les dépôts successifs des eaux qui se filtrent au travers des couches supérieures. La forme des fluors, la configuration des stalactites en cul-de-lampe, annonce la direction des eaux gouttieres. Les filets d’eau & ces especes de courans, tarissent par la sécheresse, comme on l’a remarqué dans les caves de l’observatoire & dans la grotte d’Arcy en Bourgogne, dans laquelle il passe en certain tems une espece de torrent qui traverse une de ses cavités. Si l’on examine l’eau des puits & des sources, on trouvera qu’elle a des propriétés dépendantes de la nature des couches de terre supérieures au bassin qui contient les eaux. Dans la ville de Modene & à quatre milles aux environs, en quelqu’endroit que l’on fouille, lorsqu’on est parvenu à la profondeur de 63 piés, & qu’on a percé la terre, l’eau jaillit avec une si grande force, qu’elle remplit les puits en peu de tems, & qu’elle coule même continuellement par-dessus ses bords. Or cet effet indique un réservoir supérieur au sol de Modene, qui éleve l’eau de ses puits au niveau de son terrein, & qui par conséquent doit être placé dans les montagnes voisines. Et n’est-il pas plus naturel qu’il soit le produit des pluies qui tombent sur les collines & les montagnes de Saint-Pélerin, que de supposer un effort de fil ration ou de distillation des eaux de la mer qui ait guindé ces eaux à cette hauteur, pour les faire remonter au niveau du sol de Modene ? Ainsi on n’a aucun fait qui établisse des évaporations, des distillations, ou des percolations du centre du globe à la circonférence ; mais au contraire, toutes les observations nous font remarquer des filtrations dans les premieres couches du globe.

3°. Les merveilleux alembics, la chaleur qui entretient leur travail, le froid qui condense leurs vapeurs, la direction du cou du chapiteau ou des aludels d’ascension, qui doit être telle qu’elle empêche les vapeurs de retomber dans le fond de la cucurbite, & de produire par-là une circulation infructueuse ; combien de suppositions pour réunir tous ces avantages ; comment le feu seroit-il assez violent pour changer en vapeurs cette eau salée & pesante qu’on tire de la mer, & la faire monter jusqu’aux premieres couches de la terre ? Le degré de chaleur qu’on a eu lieu d’observer dans les soûterreins, n’est pas capable de produire ces effets. Quelle accélération dans le travail, & quelle capacité dans l’alembic n’exigeroit pas la distillation d’une source aussi abondante que celles qu’on rencontre assez ordinairement ! L’eau réduite en vapeur à la chaleur de l’eau bouillante, occupant un espace 14000 fois plus grand, les eaux réduites en vapeurs & comprimées dans les cavernes, sont plus capables de produire des agitations violentes, que des distillations. D’ailleurs si le feu est trop violent dans les soûterreins, l’eau sortira salée de la cucurbite, &c.

4°. Après une certaine interruption de pluies, la plûpart des fontaines ou tarissent ou diminuent considérablement ; & l’abondance réparoit dans leur bassin, après des pluies abondantes, ou la fonte des neiges. Or si un travail soûterrein fournit d’eau les réservoirs des sources, que peut opérer la température extérieure pour en rallentir ou en accélérer les opérations ? Il est vrai que certains physiciens ne disconviennent pas que les eaux pluviales ne puissent, en se joignant au produit des canaux souterreins, former après leur réunion une plus grande abondance d’eau dans les réservoirs, & y faire sentir un déchet considérable par leur soustraction : mais après cet aveu, ils ne peuvent se dissimuler que les eaux de pluies n’influent très-visiblement dans les écoulemens des fontaines, & que cet effet ne soit une présomption très-forte pour s’y borner, si le produit des pluies suffit à l’entretien des sources, comme nous le ferons voir par la suite. Voodward prétend qu’il y a, lors des pluies, moins de dissipation dans les couches du globe, où se rassemblent les eaux évaporées de l’abysme par leur feu central, & que la sécheresse fournit une transpiration abondante de ces vapeurs. Ceci seroit recevable, si la circulation des eaux dans les couches qui peuvent ressentir les différens effets de l’humidité & de la sécheresse, ne se faisoit pas de la circonférence au centre, ou dans la direction des couches qui contiennent les eaux.

5°. Pourquoi l’eau de la mer iroit-elle chercher le centre, ou du moins les endroits les plus élevés des continens, pour y entretenir les fontaines ? Descartes nous répondra qu’il y a sous ces montagnes & sous ces endroits élevés, des alembics : mais de la mer à ces prétendus alembics, quelle correspondance a-t-il établi ? Ne seroit-il pas plus naturel que les sources fussent plus abondantes sur les bords de la mer, que dans le centre des terres ; & dans les plaines, que dans les pays montueux ? Outre qu’on ne remarque pas cette disposition dans les sources, la grande quantité de pluie qui tombe sur les bords de la mer, seroit la cause naturelle de cet effet, si le terrein étoit favorable aux sources.

6°. Il reste enfin une derniere difficulté. 1°. Le résidu des sels dont l’eau se dépouille, ou par distillation, ou par filtration, ne doit-il pas avoir formé des obstructions dans les canaux soûterreins, & avoir enfin comblé depuis long-tems tous les alembics ? 2°. La mer par ces dépôts n’a-t-elle pas dû perdre une quantité prodigieuse de ses sels ? Pour donner une idée de ces deux effets, il faut apprétier la quantité de sel que l’eau de la mer auroit déposée dans les cavités, & dont elle se seroit r"ellement appauvrie. Il paroît par les expériences de M. le comte de Marsigly, de Halley & de Hales, qu’une livre d’eau de la mer tient en dissolution quatre gros de sel, c’est-à dire un trente-deuxieme de son poids : ainsi trente-deux livres d’eau produisent une livre de sel, & soixante quatre en donneront deux. Le pié-cube d’eau pesant 70 livres, on peut pour une plus grande exactitude compter deux livres de sel dans ces 70. Nous partirons donc de ce principe, qu’un pié-cube d’eau douce doit avoir déposé deux livres de sel avant que de parvenir à la source d’une riviere. Or s’il passe sous le pont royal, suivant la détermination de M. Martotte, 288,000,000 de piés-cubes d’eau en 24 heures, cette quantité d’eau aura déposé sous terre 576,000,000 de livres de sel.

Cependant comme ceux qui admettent la circulation intérieure de l’eau de la mer conviennent que les pluies grossissent les rivieres, nous réduisons ce produit à la moitié : ainsi l’eau de la Seine laisse chaque jour dans les entrailles de la terre 288 millions de livres de sel, & nous aurons plus de cent milliards de livres pour l’année : mais qu’est-ce que la Seine comparée avec toutes les rivieres de l’Europe, & enfin du monde entier ? quel amas prodigieux de sel aura donc formé dans des canaux souterreins, la masse immense d’eau que les fleuves & les rivieres déchargent dans la mer depuis tant de siecles ! Voyez Salure & Mer.

On peut réduire à trois classes les physiciens qui ont essayé de répondre à ces difficultés.

I. M. Gualtieri (Journ. des Sçav. an. 1725. Juin) dans des réflexions adressées à M. Valisnieri, exige seulement qu’on lui accorde deux propositions. La premiere, qu’il se trouve au fond de la mer une terre particuliere ou un couloir, au-travers duquel l’eau de la mer ne peut passer sans se dépouiller de son sel. La seconde, que l’eau de la mer fait équilibre à une colonne d’eau douce, qui s’insinue dans l’intérieur du globe à une hauteur qui est en raison inverse de sa pesanteur spécifique, c’est-à-dire dans le rapport de 103 à 100. Pour établir sa premiere proposition, il allegue l’analogie des filtrations des sucs dans les animaux & dans les végétaux, & enfin l’adoucissement de l’eau de la mer par évaporation. Ce qui embarrasse d’abord, c’est de savoir ou les sels se déposeront dans le filure particulier qui aura la vertu d’adoucir l’eau de la mer. Dans les animaux, les sucs qui n’entrent point dans certains couloirs, sont absorbés par d’autres ; sans cela il se formeroit des obstructions, comme il doit s’en former au fond de la mer.

En second lieu, si la colonne d’eau soûterreine est en équilibre avec celle de l’eau marine, par quelle force l’eau penétrera-t-elle les couloirs ? D’ailleurs si l’on suppose que la mer est aussi profonde que les montagnes sont élevées, le rapport de pesanteur spécifique de 100 à 103, qui se trouve entre l’eau douce & l’eau salée, ne peut élever l’eau douce qu’au de la hauteur des montagnes ; ainsi elle ne parviendra jamais au sommet même des collines de moyenne grandeur.

II. D’autres physiciens n’ont pas été allarmés des blocs de sels aussi énormes que la mer doit déposer dans les entrailles de la terre ; leur imagination a été aussi féconde pour creuser des alembics & des canaux soûterreins, que l’eau salée peut être active pour combler les uns & boucher les autres ; elle a formé un échaffaudage de nouvelles pieces, qui jouent selon ses vœux & selon les besoins du système. Voyez Méditations sur les fontaines, de Kuhn.

On a rencontré dans l’Océan & dans certains détroits ou mers particulieres, des especes de goufres où les eaux sont violemment agitées, & paroissent s’engloutir dans des cavités soûterreines qui les rejettent avec la même violence. Le plus fameux de ces goufres est près des côtes de la Laponie, dans la mer du Nord ; il engloutit les baleines, les vaisseaux, &c. & rejette ensuite les débris de tout ce qu’il paroît avoir absorbé. On en place un auprès de l’île d’Eubée, qui absorbe & rend les eaux sept fois en vingt-quatre heures : celui de Charibde près des côtes de la Calabre absorbe & vomit trois fois le jour ; ceux de Sylla dans le détroit de la Sicile, du détroit de Babelmandel, du golfe Persique, du détroit de Magellan, ne sont qu’absorbans. On soupçonne outre cela que sous les bancs de sable, sous les roches à fleur d’eau, & dans la mer Caspienne en particulier, il y a beaucoup de ces goufres tant absorbans que vomissans.

Comme ils sont près des îles & des continens, on en conclut que les eaux absorbées sont englouties dans les soûterreins de la terre-ferme ; & que réciproquement, les eaux rejettées sortent de dessous les continens. Ces goufres ne sont que les larges orifices des canaux soûterreins : l’eau de la mer engloutie d’abord dans ces grandes bouches, se distribue ensuite par les branches principales des conduits soûterreins, & se porte jusqu’au-dessous des continens. Elle parvient ensuite par des ramifications qu’on multiplie à l’infini, sous les montagnes, les cavernes, & les autres cavités de la terre : en vertu de la grande division qu’elle éprouve pour lors, elle se trouve plus exposée à l’action de la chaleur soûterreine : elle est réduite en vapeurs, & s’éleve dans les premieres couches de la terre, où elle forme des réservoirs qui fournissent à l’écoulement des sources & des fontaines.

Mais ce qu’il faut bien remarquer, l’eau, à l’extrémité des branches principales, perd par évaporation à chaque instant une si grande quantité d’eau douce, qu’elle acquiert une salure & une gravité spécifique plus considérable que celle qui remplit les goufres : en conséquence, cette eau plus salée est déterminée par son poids à refluer par les ramifications qui aboutissent aux branches principales, parce que le sel ne se dépose que dans les ramifications où l’évaporation commence ; & ces ramifications par lesquelles l’eau salée coule, s’abouchent ordinairement aux branches principales d’un autre goufre vomissant. L’eau se décharge par ce moyen dans la mer, en y reportant à chaque instant le résidu salin des eaux évaporées & dulcifiées. Ainsi les conduits soûterreins se débarrassent du sel qui pourroit s’y accumuler par l’évaporation de l’eau douce ; & la mer répare la salure qu’elle perdroit insensiblement. A mesure que l’évaporation s’opere à l’extrémité des branches principales des goufres absorbans, le produit de cette distillation trouve des conduits prêts à le recevoir pour le décharger dans un goufre vomissant. Quelquefois les résidus salins prendront la route des branches principales du goufre absorbant ; & alors ce goufre sera absorbant & vomissant en même tems. Mais le plus souvent, le goufre vomissant sera distingué de l’absorbant. Ainsi les fontaines de la Sicile & du royaume de Naples sont entretenues par le goufre absorbant de Sylla, qui porte ses eaux dans les soûterreins de l’île & de la pointe de l’Italie ; le résidu salin de l’évaporation est reporté à la mer par Charibde, goufre vomissant, & par quelque autre ouverture. Les courans que l’on observe assez ordinairement dans les détroits, sont produits par la décharge des eaux salées qui refluent des soûterreins : tels sont les courans du Bosphore de Thrace, produits par les eaux qui se déchargent des soûterreins de l’Asie mineure, & qui se jettent dans le Pont-Euxin, pour réparer la quantité de salure qu’il perd en coulant dans la Méditerranée par l’Hellespont, & ne réparant cette eau salée que par l’eau douce des fleuves qu’il reçoit. De même la mer Caspienne ayant de ces goufres absorbans qui lui enlevent de l’eau salée, répare cette perte par des goufres vomissans qui lui viennent des soûterreins de la Russie & de la Tartarie. Les goufres absorbans de l’Océan septentrional forment les fleuves de la Russie, de la Tartarie ; & d’autres goufres vomissans déchargent une partie de leurs sels dans la mer Caspienne.

Il est aisé de faire voir que cette complication de nouveaux agens introduits par M. Kuhn dans l’hypothèse cartésienne, les rend suspects d’avoir été enfantés par le besoin. Car ces goufres absorbans & vomissans, dont on croit reconnoître & indiquer les bouches dans le Maelstroom de Norwege, dans Sylla, dans Charibde, &c. ne sont rien moins que des ouvertures de canaux soûterreins, dont les conduits se continuent dans la solidité du globe, & sous la masse des continens. La tourmente qu’y éprouve l’eau de la mer est dépendante des marées ; & ces mouvemens réguliers qui balancent les eaux de l’Océan, n’ont aucune correspondance avec les besoins des cucurbites soûterreines. D’ailleurs après le calme on voit voltiger sur la surface de l’eau les débris de ce qu’il a absorbé. Il en est de même de tous les autres, qui ne sont pas placés au hasard dans les détroits, ou pour répandre les eaux de la mer sous les continens voisins : mais parce que dans ces parages le fond de la mer étant parsemé de rochers & creusé inégalement, présente à la masse des eaux resserrées dans un canal étroit, des obstacles qui les agitent & les bouleversent ; Struys & le P. Avril avoient prétendu avoir découvert des goufres dans la mer Caspienne, où les eaux de ce grand lac s’engloutissoient pour se rendre ou dans le Pont-Euxin, ou dans le golfe Persique : mais les savans envoyés par le Czar, qui nous ont procuré la véritable figure de cette mer, n’en ont pas même trouvé les apparences. On a trouvé des eaux chaudes & douces dans le goufre de Charibde. Enfin tous les courans d’eau qu’on a découverts dans des canaux soûterreins, sont dirigés vers la mer, & ne voiturent absolument que des eaux douces. Les eaux qui sortent du fond de la mer dans les golfes Arabique & Persique, sont douces. Ainsi tous les faits semblent détruire les suppositions des goufres absorbans & vomissans.

J’observe d’ailleurs qu’en supposant la réalité de ces goufres, leur travail soûterrein est contraire aux principes de l’Hydrostatique. Ces goufres ont été formés avec le globe : car il ne faudroit rien redouter dans le genre des suppositions, si l’on chargeoit les eaux de produire de telles excavations. Je dis donc que les extrémités intérieures de ces canaux absorbans & vomissans sont inférieures au niveau du fond de la mer ; puisque le vomissant prend l’eau où l’absorbant la quitte, c’est-à-dire dans le lieu où la distillation s’opere. Or ces deux canaux ont dû d’abord être absorbans, puisque l’eau de la mer a dû s’engloutir également dans leur capacité, en vertu de la même pente.

De ce que les deux goufres s’abouchent l’un à l’autre, leurs branches principales peuvent être considérées comme des tuyaux communiquans qui sont adaptés à un bassin commun, & remplis d’une liqueur homogene. Il est donc constant que les liquides ont dû y rester en équilibre, jusqu’à ce qu’une nouvelle cause vînt le troubler ; & cette cause est l’évaporation de l’eau douce destinée à former les fontaines. Mais l’on suppose bien gratuitement que l’évaporation ne s’opere qu’à l’extrémité du goufre absorbant. Pourquoi la chaleur soûterreine qui en est la cause, n’agira-t-elle pas également à l’extrémité des branches principales de ces deux goufres, puisqu’elles sont également exposées à son action ; car elles se réunissent l’une à l’autre, l’une reportant à la mer le résidu salin des eaux que l’autre absorbe ? S’il n’y a plus d’inégalité dans la pression, le jeu alternatif des goufres absorbans & vomissans est entierement déconcerté & réduit à la seule action d’absorber.

Malgré ces difficultés, nous supposerons que tout le méchanisme que nous avons décrit ait pû recevoir de l’activité par des ressources que nous ignorons dans la nature, mais qu’on imaginera, le travail de la distillation étant une fois commencé, les canaux absorbans seront toûjours pleins : à mesure que l’eau douce s’évaporera, une égale quantité d’eau salée succédera sans violence ; & de même, le goufre vomissant rejettera insensiblement ses eaux salées. On ne doit donc pas remarquer des agitations aussi terribles à l’embouchure des conduits soûterreins ; & les agitations des goufres de la mer prouveroient trop.

A-t-on au surplus pensé à nous rassûrer sur des obstacles qu’on doit craindre à chaque instant pour la circulation libre des eaux ? L’eau évaporée doit être dégagée de toute sa salure avant que de s’insinuer dans les ramifications étroites : car si elle en conserve, & qu’elle la perde en route, voilà un principe d’obstruction pour ces petits tuyaux capillaires. Comment le résidu salin est-il déterminé à se porter dans les ramifications des goufres vomissans ? Comment l’eau devenue plus salée conserve-t-elle une fluidité assez grande pour refluer avec une célérité & une facilité qui n’interrompra pas le travail de cette circulation continuelle ? Comment l’eau divisée dans ces cavités très-étroites n’y dépose-t-elle pas des couches de sel qui les bouchent ; ou ne s’évapore-t-elle pas entierement, de telle sorte que le sel se durcisse en masse solide : car elle est exposée à un feu capable d’agir sur des volumes d’eau plus considérables ? Pourquoi enfin toute l’eau ne se sépare-t-elle pas des sels lors de la premiere distillation ; de sorte que le résidu salin soit une masse solide & incapable d’être entraînée par des canaux étroits ? Combien d’inconvéniens & d’embarras n’éprouvent pas ceux qui veulent compliquer leurs ressources à mesure que de nouveaux faits font naître de nouvelles difficultés ? Ces supplémens, ces secours étrangers, bien loin de soulager la foiblesse d’une hypothèse, la montrent dans un plus grand jour, & la surchargent de nouvelles suppositions, qui entraînent la ruine d’un tout mal concerté.

III. Ceux que je place dans cette troisieme classe ont tellement réduit leurs prétentions d’après les faits, qu’elles paroissent être les seules de toutes celles que j’ai exposées, qui puissent trouver des partisans parmi les personnes raisonnables & instruites. Pour jetter du jour sur cette matiere, ils distinguent exactement ce qui concerne l’origine des fontaines d’avec l’origine des rivieres. Les fontaines proprement dites sont en très-petit nombre, & versent une quantité d’eau peu considérable dans les canaux des rivieres : le surplus vient 1°. des pluies qui coulent sur la terre sans avoir pénétré dans les premieres couches ; 2°. des sources que les eaux pluviales font naître, & dont l’écoulement est visiblement assujetti aux saisons humides ; 3°. enfin des sources insensibles qui doivent être distribuées le long du lit des rivieres & des ruisseaux. Perrault, quoiqu’opposé aux physiciens de cette classe, a remarqué que quand les rivieres sont grosses, elles poussent dans les terres, bien loin au-delà de leurs rivages, des eaux qui redescendent ensuite quand les rivieres sont plus basses ; & ce dernier observateur, qui a beaucoup travaillé à détruire les canaux soûterreins, & à établir l’hypothèse des pluies, va même jusqu’à prétendre que les eaux des rivieres extravasées remontent jusqu’au sommet des collines & des montagnes, entre les couches de terre qui aboutissent au canal des rivieres, & vont former par cette ascension soûterreine les réservoirs des fontaines proprement dites : c’est ce qui fait le fond de tout son système, qu’il suffira d’avoir exposé ici.

Guglielmini, dans son traité des rivieres, a distingué toutes les choses que nous venons de détailler. Il a de plus observé plus précisément que Perrault ces petites sources qui se trouvent le long des rivieres ; il a remarqué que si l’on creusoit dans le lit des ruisseaux qui sont à sec, plusieurs trous, on y trouvoit de l’eau à une petite profondeur, & que la surface de l’eau de ces trous suivoit la pente des ruisseaux ; ensorte que les especes de fontaines artificielles font des vestiges encore subsistans des sources qui donnoient dans le tems que les ruisseaux couloient à plein canal. On conclut de tous ces faits, que la plûpart des eaux qui remplissent les canaux des rivieres, proviennent des pluies ; & que les sources insensibles & passageres prises dans la totalité, ont pour principe de leur entretien les eaux pluviales, comme les observations constantes le prouvent à ceux qui examinent sans préjugés.

Mais on se retranche à dire qu’une partie de l’eau des fontaines, ou de quelques-unes des fontaines proprement dites, est élevée de la mer par des conduits soûterreins. On insinue que la mer peut bien ne transmettre dans leurs réservoirs que le tiers ou le quart des eaux qu’elles versent dans les rivieres. Ces physiciens se sont déterminés à un parti aussi modéré, par l’évidence des faits, & pour éviter les inconvéniens que nous avons exposés ci-dessus : nous adoptons les faits qu’ils nous offrent ; mais certains inconvéniens restent dans toute leur étendue : car 1°. l’obstruction des conduits soûterreins par le sel est toûjours à craindre, si leur capacité est proportionnée à la quantité d’eau qu’ils tirent de la mer ; un petit conduit doit être aussi-tôt bouché par une petite quantité d’eau salée qui y circule, qu’un grand canal par une grande masse : 2°. la difficulté du dessallement par les filtrations, &c. subsiste toûjours. On ne peut être autorisé à recourir à ce supplément, qu’autant qu’on seroit assûré, 1°. que les pluies qui produisent si manifestement de si grands effets, ne seroient pas assez abondantes pour suffire à tout : 2°. que certaines sources ne pourroient recevoir de la pluie en vertu de leur situation, une provision suffisante pour leur entretien : c’est ce que nous examinerons par la suite. Pourquoi percer à grands frais la masse du globe entier, pour conduire une aussi foible provision ? Seroit-ce parce qu’on tient encore à de vieilles prétentions adoptées sans examen ?

Après l’exposition de tout ce qui concerne cette hypothèse, il se présente une réflexion à laquelle nous ne pouvons nous refuser. En faisant circuler, à force de suppositions gratuites, les eaux salées dans la masse du globe, & en tirant ces eaux d’un réservoir aussi immense que la mer, on a été séduit sans doute par l’abondance & la continuité de la provision : mais on a perdu de vûe un principe bien important : la probabilité d’une circulation libre & infaillible, telle qu’on a dû la supposer d’après l’expérience, décroît comme le nombre des pieces qui jouent pour concourir à cet effet, & comme le nombre des obstacles qui s’opposent à leur jeu. Il n’y a d’avantageux que le réservoir : mais combien peu de sûretés pour la conduite de l’eau ? Cette défectuosité paroîtra encore plus sensiblement, lorsque nous aurons exposé les moyens simples & faciles de l’hypothèse des pluies. Dans le choix des plans physiques, on doit s’attacher à ceux où l’on employe des agens sensibles & apparens dont on peut évaluer les effets & apprétier les limites, en se fondant sur des observations susceptibles de précision. N’est-on pas dans la regle, lorsqu’on part de faits, qu’on combine des faits pour en expliquer d’autres, sur-tout après s’être assûrés que les premiers faits sont les élémens des derniers ? D’ailleurs, c’est de l’ensemble de tous les phénomenes du globe, c’est de l’appréciation de tout ce qui se rencontre en grand dans les effets surprenans qui piquent notre curiosité, qu’on doit partir pour découvrir les opérations compliquées, où la nature étale sa magnificence en cachant ses ressources ; où elle présente, il est vrai, assez d’ouvertures pour la sagacité & l’attention d’un observateur qui a l’esprit de recherche, mais assez peu de prise pour l’imagination & la legereté d’un homme à systèmes.

Il y a certaines expériences fondamentales sur lesquelles toute une question est appuyée ; il faut les faire, si l’on veut raisonner juste sur cet objet : autrement tous les raisonnemens sont des spéculations en l’air. Du nombre de ces expériences principales est l’observation de la quantité de pluie qui tombe sur la terre ; & celle de la quantité d’évaporation. Delà dépend la théorie des fontaines, celle des rivieres, des vapeurs, & de plusieurs autres sujets aussi curieux qu’intéressans, dont il est impossible de rien dire de positif, sans les précisions que les seuls faits peuvent donner : la plûpart de ceux qui ont travaillé sur cette partie de la Physique, se sont attachés à ces déterminations fondamentales. Le P. Labée, jésuite, tourna ses vûes de ce côté-là. Wren, au commencement de l’établissement de la Société royale, pour faire ces expériences imagina une machine qui se vuidoit d’elle-même lorsqu’elle étoit pleine d’eau, & qui marquoit, par le moyen d’une aiguille, combien de fois elle se vuidoit. MM. Mariotte, Perrault, de la Hire, & enfin toutes les académies & les divers physiciens, ont continué à s’assûrer, suivant la diversité des climats & la différente constitution de chaque année, de la quantité d’eau pluviale. Il ne paroît pas qu’on se soit attaché à mesurer avec autant d’attention celle de l’eau évaporée, ou celle de la dépense des rivieres en différens endroits. Au défaut de ces déterminations locales, nous pouvons nous borner à des estimes générales, avec les restrictions qu’elles exigent.

Ces réflexions nous conduisent naturellement à l’hypothèse qui rapporte l’entretien des fontaines aux pluies. Pour établir cette opinion, & prouver que les pluies, les neiges, les brouillards, les rosées, & généralement toutes les vapeurs qui s’élevent tant de la mer que des continens, sont les seules causes qui entretiennent les fontaines, les puits, les rivieres, & toutes les eaux qui circulent dans l’atmosphere, à la surface, & dans les premieres couches du globe ; toute la question se réduit à constater 1o. si les vapeurs qui s’élevent de la mer & qui se résolvent en pluies, sont suffisantes pour fournir d’eau la superficie des continens & le lit des fleuves. 2o. si l’eau pluviale peut pénétrer les premieres couches de la terre, s’y rassembler, & former des réservoirs assez abondans pour entretenir les fontaines. Toutes les circonstances qui accompagnent ce grand phénomene du commerce perpétuel de l’eau douce avec l’eau de la mer, s’expliqueront naturellement après l’établissement de ces deux points importans.

§. I. Pour mettre la premiere proposition dans tout son jour, il ne faut que déterminer par le calcul la quantité d’eau qui peut s’élever de la mer par évaporation, celle qui tombe en pluie, en neige, &c. & enfin celle que les rivieres déchargent dans la mer : & au cas que les deux premieres quantités surpassent la derniere, la question est décidée.

La quantité de vapeurs qui s’élevent de la mer a été appréciée par M. Halley, transact. philosophiq. n°. 189. Il a trouvé par des observations assez précises, que l’eau salée au même degré que l’est ordinairement l’eau de la mer, c’est-à-dire celle qui a dissous une quantité de sel égale à la trente-deuxieme partie de son poids, & exposée à un degré de chaleur égal à celle qui regne dans nos étés les plus chauds, perd par évaporation la soixantieme partie d’un pouce d’eau en deux heures. Ainsi la mer perd une superficie d’un dixieme de pouce en douze heures.

Nous devons observer ici que plus l’eau est profonde, plus est grande la quantité de vapeurs qui s’en éleve, toutes les autres circonstances restant les mêmes. Ce résultat établi par des expériences d’Halley, de MM. Kraft & Richman (Mém. de Petersbourg 1749.), détruit absolument une prétention de M. Kuhn, qui soûtient sans preuve que le produit de l’évaporation diminue comme la profondeur de l’eau augmente.

En nous attachant aux résultats de M. Halley, & après avoir déterminé la surface de l’Océan ou de quelques-uns de ses golfes, ou d’un grand lac comme la mer Caspienne & la mer Morte, on peut connoître combien il s’en éleve de vapeurs.

Car une surface de dix pouces quarrés perd tous les jours un pouce cubique d’eau, un degré quarré trente-trois millions de tonnes. En faisant toutes les réductions des irrégularités du bassin de la mer Méditerranée, ce golfe a environ quarante degrés de longueur sur quatre de largeur, & son étendue superficielle est de cent soixante degrés quarrés ; par conséquent toute la Méditerranée, suivant la proportion ci-devant établie, doit perdre en vapeurs pour le moins 5,280,000,000 tonnes d’eau en douze heures dans un beau jour d’été.

A l’égard de l’évaporation des vents qui peut entrer pour beaucoup dans l’élévation des vapeurs & leur transport, il n’y a rien de fixe ; & nous pécherons plûtôt par défaut que par excès, en ne comprenant point ces produits dans notre évaluation.

En donnant à la mer Caspienne trois cents lieues de longueur & cinquante lieues de largeur, toute sa superficie sera de quinze mille lieues quarrées à vingt-cinq au degré, & par conséquent de vingt-quatre degrés quarrés. On aura sept cents quatre-vingt-douze millions de tonnes d’eau qui s’évaporent par jour de toute la surface de la mer Caspienne. Le lac Aral qui a cent lieues de longueur sur cinquante de largeur, ou huit degrés quarrés, perd deux cents soixante-quatre millions de tonnes d’eau. La mer Morte en Judée qui a 72 milles de long sur 18 milles de large, doit perdre tous les jours près de neuf millions de tonnes d’eau.

La plûpart des lacs n’ont presque d’autres voies que l’évaporation pour rendre l’eau que des rivieres très-considérables y versent : tels sont le lac de Morago en Perse, celui de Titicaca en Amérique, tous ceux de l’Afrique qui reçoivent les rivieres de la Barbarie qui se dirigent au sud. Voyez Lac.

Pour avoir une idée de la masse immense du produit de l’évaporation qui s’opere sur toute la mer, nous supposerons la moitié du globe couverte par la mer, & l’autre partie occupée par les continents & les îles ; la surface de la terre étant de 171,981,012 milles quarrés d’Italie, à 60 au degré, la surface de la mer sera de 85990506 milles quarrés, ce qui donnera 47,019,786,000,000 de tonnes d’eau par jour.

En comparant maintenant cette quantité d’eau avec celle que les fleuves y portent chaque jour, on pourra voir quelle proportion il y a entre le produit de l’évaporation & la quantité d’eau qui rentre dans le bassin de la mer par les fleuves. Pour y parvenir nous nous attacherons au Pô, dont nous avons des détails assûrés. Ce fleuve arrose un pays de 380 milles de longueur ; sa largeur est de cent perches de Boulogne ou de mille piés, & sa profondeur de 10 piés. (Ricciol. Géog. réformat. page…) Il parcourt quatre milles en une heure, & il fournit à la mer vingt mille perches cubiques d’eau en une heure, ou 4800000 en un jour. Mais un mille cubique contient 125000,000 perches cubiques ; ainsi le Pô décharge en vingt-six jours un mille cubique d’eau dans la mer.

Resteroit à déterminer quelle proportion il y a entre le Pô & toutes les rivieres du globe, ce qui est impossible : mais pour le savoir à-peu-près, supposons que la quantité d’eau portée à la mer par les grandes rivieres de tous les pays, soit proportionnelle à l’étendue & à la surface de ces pays ; ce qui est très-vraissemblable, puisque les plus grands fleuves sont ceux qui parcourent une plus grande étendue de terrein : ainsi le pays arrosé par le Pô & par les rivieres qui y tombent de chaque côté, viennent des sources ou des torrens qui se ramifient à 60 milles de distance du canal principal. Ainsi ce fleuve & les rivieres qu’il reçoit arrosent ou plûtôt épuisent l’eau d’une surface de 380 milles de long sur 120 milles de large ; ce qui forme en tout 45,600 milles quarrés. Mais la surface de toute la partie seche du globe est, suivant que nous l’avons supposé, de 85990506 milles quarrés ; par conséquent la quantité d’eau que toutes les rivieres portent à la mer sera 1874 fois plus considérable que la quantité d’eau fournie par le Pô. Or ce fleuve porte à la mer 4800,000 perches cubiques d’eau ; la mer recevra donc de tous les fleuves de la terre 89,952,00000 perches cubiques dans le même tems : ce qui est bien moins considérable que l’évaporation que nous avons déduite de l’expérience. Car il résulte de ce calcul que la quantité d’eau enlevée par évaporation de dessus la surface de la mer, & transportée par les vents sur la terre, est d’environ 245 lignes ou de vingt pouces cinq lignes par an, & des deux tiers d’une ligne par jour ; ce qui est un très-petit produit en comparaison d’un dixieme de pouce que l’expérience nous donne. On voit bien qu’on peut la doubler pour tenir compte de l’eau qui retombe sur la mer, & qui n’est pas transportée sur les continents, ou bien de celle qui s’éleve en vapeurs de dessus la surface des continents, pour retomber en pluie dans la mer. Toutes ces raisons de compensation mettront entre la quantité d’eau que la mer perd par évaporation, & celle qui lui rentre par les fleuves, une juste proportion. Hist. nat. tome I.

Si nous faisons l’application de ces calculs à quelques golfes particuliers, on peut approcher encore plus de cette égalité de pertes & de retours : la Méditerranée, par exemple, reçoit neuf rivieres considérables, l’Ebre, le Rhône, le Tibre, le Pô, le Danube, le Neister, le Boristhène, le Don, & le Nil. Nous supposerons, après M. Halley, chacune de ces rivieres dix fois plus forte que la Tamise, afin de compenser tous les petits canaux qui se rendent dans le bassin de ce golfe : or la Tamise au pont de Kingston, où la marée monte rarement, a cent aulnes de large & trois aulnes de profondeur ; ses eaux parcourent deux milles par heure : si donc on multiplie cent aulnes par trois, & le produit trois cents aulnes quarrées par quarante-huit milles, ou 84480 aulnes quarrées que la Tamise parcourt en un jour, le produit sera de 25 344 000 aulnes cubiques d’eau, ou 20 300 000 tonnes que la Tamise verse dans la mer. Mais si chacune des neuf rivieres fournit dix fois autant d’eau que la Tamise, chacune d’elles portera donc tous les jours dans la Méditerranée deux cents trois millions de tonnes par jour. Or cette quantité ne fait guere plus que le tiers de ce qu’elle en perd par l’évaporation. Bien loin de déborder par l’eau des rivieres qui s’y déchargent, ou d’avoir besoin de canaux soûterreins qui en absorbent les eaux, cette mer seroit bien-tôt à sec, si les vapeurs qui s’en exhalent n’y retomboient en grande partie par le moyen des pluies & des rosées.

Comme la mer Noire reçoit elle seule presqu’autant d’eau que la Méditerranée, elle ne peut contenir toute la quantité d’eau que les fleuves y versent ; elle en décharge le surplus dans la mer de Grece, par les détroits de Constantinople & des Dardanelles. Il y a aussi un semblable courant dans le détroit de Gibraltar ; ce qui compense aussi en bonne partie ce que l’évaporation enleve de plus que le produit des fleuves. Comme la mer Noire perd insensiblement plus d’eau salée qu’elle n’en reçoit, en supposant que les fleuves y en portent une certaine masse, cette déperdition successive doit diminuer la salure de la mer Noire, à moins qu’elle ne répare cette perte en dissolvant quelques mines de sel.

Il est aisé de faire voir que les grands lacs, comme la mer Caspienne & le lac Aral, ne reçoivent pas plus d’eau qu’il ne s’en évapore de dessus leur surface. Nulle nécessité d’ouvrir des canaux soûterreins de communication avec le golfe Persique. Le Jourdain fournit à la mer Morte environ six millions de tonnes d’eau par jour ; elle en perd neuf par évaporation ; les trois millions de surplus peuvent lui être aisément restitués par les torrens qui s’y précipitent des montagnes de Moab & autres qui environnent son bassin, & par les vapeurs & les pluies qui y retombent.

Il est donc prouvé par tous ces détails, que l’Océan & ses différens golfes, ainsi que les grands lacs, perdent par évaporation une plus grande quantité d’eau que les fleuves & les rivieres n’en déchargent dans ces grands bassins ; maintenant il ne nous reste qu’à fortifier cette preuve, en comparant ce qui tombe de pluie sur la terre avec les produits de l’évaporation & avec la dépense des fleuves.

Il résulte des observations faites par l’académie des Sciences pendant une suite d’années considérable, que la quantité moyenne de la pluie qui tombe à Paris est de dix-huit à dix-neuf pouces de hauteur chaque année. La quantité est plus considérable en Hollande & le long des bords de la mer ; & en Italie elle peut aller à quarante-cinq pouces. Nous réduisons la totalité à trente pouces, ce qui se trouve excéder la détermination de la dépense des fleuves, que nous avons déduite ci-devant d’une évaluation assez grossiere. Mais nous remarquerons qu’il tombe beaucoup plus de pluie qu’il n’en entre dans les canaux des rivieres & des fleuves, & qu’il ne s’en rassemble dans le réservoir des sources, parce que l’évaporation agit sur la surface des terres, & enleve une quantité d’eau assez considérable qui retombe le plus souvent en rosées, ou qui entre dans la dépense des végétaux.

Pour grossir cette dépense des végétaux, on allegue une expérience de M. de la Hire (Mém. de l’Académ. ann. 1703. page 60.) par laquelle il paroît constant que deux feuilles de figuier de moyenne grandeur absorberent deux gros d’eau depuis cinq heures & demie du matin jusqu’à onze heures du matin ; on objecte de même les expériences de Hales, qui présentent des résultats capables d’appuyer les mêmes inductions.

Mais j’observe d’abord que l’imbibition de ces expériences est forcée, & ne se trouve pas à ce degré dans le cours ordinaire de la végétation. D’ailleurs, s’il paroît par des expériences de M. Guettard, ann. 1752. que les feuilles de végétaux ne tirent pas pendant la chaleur les vapeurs de l’atmosphere, ou que les végétaux peuvent subsister sans ce secours ; tout se réduira donc à considérer la dépense que les végétaux font de la pluie, comme une espece d’évaporation, puisque tout ce qui entre dans la circulation est fourni par les racines. Ainsi l’on doit entendre que les végétaux tirent de la terre plus ou moins humide par leurs racines, de l’eau qui s’évapore pendant le jour par les pores des feuilles.

Cette dépense est considérable, mais il ne faut pas en abuser pour en conclure l’insuffisance des pluies ; car quand un terrein est couvert de plantes, il ne s’évapore que très-peu d’eau immédiatement du fond de la terre ; tout s’opere par les végétaux : d’ailleurs cette évaporation ne dure qu’une petite partie de l’année, & dans un tems où les pluies sont plus abondantes. Au surplus, il pleut davantage sur les endroits couverts de végétaux, comme de forêts ; ainsi ce que les végétaux évaporeroient de plus que ce qui s’éleve de la terre immédiatement, peut leur être fourni par les pluies plus abondantes : le surplus sera donc employé à l’entretien des sources, à-peu-près comme dans les autres cantons nuds.

Tous les observateurs ont remarqué que l’eau évaporée dans un vase étoit plus considérable que l’eau pluviale, & cela dans le rapport de 5 à 3. Si la surface de la terre étoit par-tout unie, sans montagne & sans vallons, & que la pluie demeurât au même endroit où elle tombe, la surface de la terre seroit seche une grande partie de l’année, au moins à Paris : mais parce que cette surface est inégale, une partie de l’eau s’imbibe dans les terres, comme nous le verrons par la suite, & s’y conserve sans s’évaporer ; l’autre partie se rassemble dans les lieux bas, où étant fort haute, & n’ayant que peu de surface par rapport à son volume, elle n’éprouve qu’une évaporation peu sensible. Cette distribution des eaux fait que la somme de la pluie, quoiqu’inférieure à l’évaporation possible, fournit aisément au cours perpétuel des fontaines. D’un autre côté, les lieux élevés moins imbibés d’eau, ramassent les rosées, les brouillards, &c.

En second lieu, si nous comparons la quantité de l’eau pluviale avec celle qui est nécessaire pour fournir le lit des rivieres, nous trouverons que l’eau pluviale est plus que suffisante pour perpétuer le cours des fontaines & des eaux qui circulent sur la surface des continens. M. Perrault (voyez p. 198 de l’origine des fontaines) est le premier qui ait pensé à recourir à cette preuve de fait capable d’imposer silence à ceux qui ne veulent qu’imaginer pour se dispenser d’ouvrir les yeux sur les détails qu’offre la nature. Il établit pour principe, qu’un pouce d’eau douce donne en vingt-quatre heures 83 muids d’eau à 240 pintes par muid ; ou ce qui est la même chose, huit piés cubes d’eau ; il se restreint à dix-neuf pouces un tiers pour la quantité moyenne de pluie qui tombe aux environs de Paris. D’après ces principes, il a évalué la quantité d’eau que la Seine charrie depuis sa source jusqu’à Arnay-le-Duc ; & il donne trois lieues de long sur deux lieues de large, à la surface du terrein qui peut décharger dans le canal de la Seine les eaux que la pluie peut verser. Si sur cette étendue de six lieues quarrées, qui font un million 245144 toises quarrées, il est tombé dix-neuf pouces un tiers de pluie, ce sera une lame d’eau de dix-neuf pouces un tiers qui recouvrira tout le terrein ; en supposant que toute cette eau y soit retenue, sans pouvoir s’écouler. Si on en calcule le total, on trouvera que cette grande quantité d’eau monte à deux cents vingt-quatre millions 899 942 muids, qui peuvent se jetter dans le canal de la Seine, au-dessus d’Arnay-le-Duc, pendant l’année, en retranchant ce qui est enlevé par évaporation. M. Perrault s’est assûré ensuite que le canal de la Seine ne contenoit que douze cents pouces d’eau courante, qui produisent, suivant ses principes, 36 millions 453 600 muids d’eau pendant un an ; laquelle somme étant soustraite de 224 millions 899 942 muids, produit total de la pluie, donne pour reste 188 millions 446 342 muids : ensorte que la Seine ne dépense pas la sixieme partie de l’eau qui arrose le terrein qu’elle parcourt.

A ce calcul Plot oppose le produit des sources de Willow-Bridge, qui est de 33 millions 901 848 muids ; pendant que le terrein qui pourroit rassembler les eaux de pluie dans les réservoirs de ces sources, ne donne sur le pié de 19 pouces un tiers, que 29 millions 89 994 muids, ce qui fait 4 millions 811 854 muids de moins que la quantité produite par les sources ; sans y comprendre ce que l’évaporation, les torrens, & les plantes peuvent soustraire aux réservoirs des sources. Nous répondrons que dans certains endroits de l’Angleterre, suivant des observations faites avec précision, il tombe jusqu’à quarante pouces d’eau. Suivant Derham, il tombe 42 piés de pluie dans la province de Lancastre. Hales a trouvé 3 pouces de rosée & 22 pouces de pluie ; ce qui fait 25 pouces. Statiq. des vég. exp. 19.

Il ne paroît pas que Plot, qui a diserté si longuement sur les fontaines, ait fait aucune observation sur le produit des pluies à Willow-Bridge ; ni qu’il se soit assûré de la plus grande étendue des couches qui pouvoient verser de l’eau dans leur réservoir.

M. Mariotte, en suivant le plan de M. Perrault, a embrassé par ses calculs une plus grande étendue de terrein ; il a trouvé, en estimant le produit de la pluie à 15 pouces, qu’il formoit en un an sur toute la superficie que traversent l’Armanson, l’Yonne, le Loin, l’Aube, la Marne, & les autres rivieres qui grossissent la Seine, une masse de 714 milliards 150 millions de piés cubes. Le total eût été d’un quart plus fort, s’il eût fait l’évaluation sur le pié de vingt pouces. Ensuite M. Mariotte ayant mesuré la quantité de l’eau de la Seine qui passe sous le pont-royal, il la trouva seulement de douze millions de piés cubes par heure, c’est-à-dire, de 5 milliards 120 millions de piés cubes par an. L’eau pluviale se trouve être sextuple de la dépense de la Seine ; proportion déjà trouvée à-peu-près par Perrault, au-dessus d’Arnay-le-Duc.

Je ne dois pas dissimuler ici que M. Gualtieri a trouvé des rapports bien différens, en comparant l’eau de pluie qu’il suppose tomber en Italie, avec la quantité que les fleuves & tous les canaux portent à la mer. Il réduit toute la surface de l’Italie en un parallélogramme rectangle, dont la longueur est de 600 milles & la largeur de 120 : ensuite il trouve deux trillions sept cents billions de piés cubes d’eau pour le produit de la pluie évaluée sur le pié de 18 à 19 pouces ; évaluation trop peu considérable pour l’Italie : car, suivant des observations faites avec soin pendant dix ans par M. Poleni, à Padoue, il paroît que la quantité moyenne de la pluie dans cette partie de l’Italie, est de 45 pouces, & 43 pouces un quart à Pise ; il est vrai qu’il n’en tombe que dix-sept à Rome : mais en se restraignant à 40 pouces, on trouve un résultat fort approchant de la quantité d’eau que portent dans la mer toutes les rivieres de l’Italie pendant un an, suivant des déterminations trop vagues ou trop visiblement forcées pour être opposées à celles de Mariotte : car M. Gualtieri, pour déterminer la quantité d’eau que toutes les rivieres de l’Italie portent à la mer pendant un an, la suppose, sans aucun fondement, égale à celle que verseroit un canal de 1250 piés de largeur, & de 15 piés de profondeur, qu’il trouve de 5 522 391 000 000 000 piés cubes ; ce qui fait 2 trillions 822 billions 391 millions de plus que n’en peut fournir la pluie.

Il en est de même du calcul de M. Gualtieri sur la comparaison de la quantité d’eau évaporée de dessus la surface de la Méditerranée, avec celle que les fleuves y portent : nous croyons qu’il n’ébranle point celui que nous avons donné plus haut, ses apprétiations étant dirigées sur les prétentions d’un système pour la défense duquel nous l’avons vû figurer assez foiblement.

Après la discussion dans laquelle nous venons d’entrer, on peut puiser de nouveaux motifs qui en appuyent les résultats, dans la considération générale de la distribution des sources & de la circulation des vapeurs sur le globe. Voyez Source, Vapeurs, Pluie, Rosée, Fleuve. On trouve que ces deux objets sont liés comme les causes le sont aux effets.

Nous observerons ici qu’il y a une très-grande différence entre les estimes de Riccioli sur la quantité d’eau que le Pô décharge dans la mer ; & celles de MM. Perrault & Mariotte par rapport à la Seine. Le terrein qui verse ses eaux dans le Pô doit lui en fournir à raison de 20 pouces & demi de hauteur ; & suivant les déterminations de Perrault, le terrein qui environne le canal de la Seine au-dessus d’Arnay-le-Duc, lui en fournit seulement trois pouces trois quarts ce qui est la sixieme partie de dix-neuf pouces quelques lignes à quoi on évalue le produit moyen de la pluie aux environs de Paris ; & le terrein qui décharge ses eaux dans la Seine au-dessus de Paris, n’en fournit, suivant Mariotte, qu’à raison de deux pouces & demi de hauteur. En prenant un milieu entre les deux estimes de Perrault & de Mariotte, la quantité d’eau que la Seine recevroit de tous les pays qui épanchent leurs eaux dans son canal, se réduiroit à une couche de trois pouces d’épaisseur. Or cette quantité n’est que la septieme partie ou environ, de celle que reçoit le Pô au terrein qu’il parcourt. Le Piémont paroît, il est vrai, plus abondant en eau que la Bourgogne & la Champagne ; & d’ailleurs étant couvert de neiges pendant plusieurs mois de l’année, il y a moins d’évaporation : cependant il semble que l’estime de Riccioli est trop forte ; & Guglielmini l’insinue assez clairement.

Cette discussion nous donne lieu de remarquer que quelque probabilité que les résultats locaux puissent avoir, on ne doit pas s’en appuyer pour en tirer des conséquences générales. On ne peut être autorisé par les déterminations de MM. Mariotte & Perrault à conclure, par exemple, qu’il n’entre dans le canal des rivieres que la sixieme partie de l’eau des pluies : car, suivant celles de Riccioli sur le Pô, on trouveroit que les rivieres entraîneroient tout le produit des eaux pluviales, en l’estimant à vingt pouces : plusieurs raisons peuvent contribuer à ces variations. Il tombe une plus grande quantité d’eau dans un pays que dans un autre : les canaux qui rassemblent les eaux peuvent les réunir plus favorablement. Une surface, quoique peu étendue, se trouve coupée par des ruisseaux fort multipliés ; dans d’autres, les canaux sont plus au large ; & suivant qu’on opérera sur un terrein ou sur un autre, on en tirera des conclusions plus ou moins défavorables au système des pluies.

On pourra conclure quelque chose de plus certain & de plus décisif pour les inductions générales, si au lieu d’un terrein arbitraire que l’on suppose fournir de l’eau à une riviere, on s’attachoit à un pays pris en totalité, comme à l’Angleterre, à l’Italie. Mais alors si la variété des terreins se fait moins sentir, il y a plus de difficulté d’apprétier d’une vûe générale & vague, comme M. Gualtieri, la masse totale que les rivieres charrient dans la mer. On ne peut tirer parti de ces généralisations, qu’autant qu’on a multiplié les observations dans un très grand nombre d’endroits particuliers, sur le produit de la pluie & la quantité d’eau que les rivieres charrient : ensorte que ces observations scrupuleuses sont les élémens naturels d’un calcul général, qui se trouve assujetti à des limites précises.

Si l’on prouve constamment que ce que chaque pays verse dans une riviere peut lui être fourni par la pluie, outre ce qui circule dans l’atmosphere en vapeurs, on sera en état de tirer des conclusions générales. Ainsi MM. Perrault & Mariotte ont travaillé sur un bon plan ; & il doit être suivi, quoi qu’en dise M. Sedileau, t. X. mém. de l’acad. ann. 1699.

Au reste, les calculs généraux que nous avons donnés, d’après M. Halley, tout incertains qu’ils sont, portent sur des observations fondamentales, & doivent satisfaire davantage que la simple négative de ceux qui décident généralement que les pluies sont insuffisantes pour l’entretien des fontaines & des rivieres. J’avoue cependant que ceux qui réduiroient le produit des canaux soûterreins à un vingtieme ou à un dixieme du produit des rivieres, ne pourroient être convaincus par les déterminations que nous avons données, puisqu’elles ne vont pas à ce degré de précision. Mais il est d’autres preuves qui doivent les faire renoncer à un moyen aussi caché que la distillation soûterraine, dont le produit est si incertain, pour s’attacher à des opérations aussi évidentes que celles des pluies, & dont les effets sont si étendus & peuvent se déterminer de plus en plus avec précision.

Nous avons vû plus haut que ceux qui se restraignoient à dire que les canaux soûterreins fournissoient seulement à une petite partie des sources, alléguoient quelques observations pour se maintenir dans leurs retranchemens. Ainsi M. de la Hire prétend, (mém. de l’acad. ann. 1703.) que la source de Rungis près Paris, ne peut venir des pluies : cette source fournit 50 pouces d’eau ou environ, qui coule toûjours, & qui souffre peu de changemens : or selon cet académicien, tout l’espace de terre dont elle peut tirer ses eaux, n’est pas assez grand pour fournir à ces écoulemens. M. Gualtieri objecte de même que les sources du Modenois ne peuvent tirer assez d’eau des montagnes de S. Pélerin. Guglielmini assûre qu’il y a plusieurs sources dans la Valteline, &c. qui ne peuvent provenir des eaux pluviales. Mais comme tous ces physiciens n’alleguent aucun fait précis, & ne donnent que des assertions très-vagues, nous croyons devoir nous en tenir à des déterminations plus précises. Qu’on compare exactement l’eau de pluie, le produit d’une fontaine, & l’espace de terrein qui y peut verser ses eaux ; & alors on pourra compter sur ces résultats.

Voilà les seules objections qu’on puisse adopter. Par ce qu’on a déjà fait dans ce genre, on peut présumer que l’eau de pluie ne se trouvera jamais au-dessous du produit d’une fontaine quelconque.

§. II. Il nous reste à établir la pénétration de l’eau pluviale dans les premieres couches de la terre. Je conviens d’abord qu’en général les terres cultivées ou incultes, les terreins plats & montueux, ne s’imbibent d’eau ordinairement qu’à la profondeur de deux piés. On observe aussi la même impénétrabilité sous les lacs ou sous les étangs dont l’eau ne diminue guere que par évaporation.

Mais cependant quelque parti que l’on prenne sur cette matiere, on est forcé par des faits incontestables d’admettre cette pénétration. Car les pluies augmentent assez rapidement le produit des sources, leurs eaux grossissent & se troublent ; & leur cours se soûtient dans une certaine abondance après les pluies. Ainsi il faut avoüer que l’eau trouve des issûes assez favorables pour qu’elle parvienne à une profondeur égale à celle des réservoirs de ces sources : ce qui établit incontestablement une pénétration de l’eau de pluie capable d’entretenir le cours perpétuel ou passager de toutes les fontaines, si la quantité d’eau pluviale est suffisante, comme nous l’avons prouvé d’après les observations. Combien de fontaines qui coulent en Mai & tarissent en Septembre au pié de ces montagnes couvertes de neiges ? Certains amas de neiges se fondent en été, quand le soleil darde dessus ses rayons ; & on remarque alors sur les croupes des écoulemens abondans dans certaines sources pendant quelques heures du jour ; & même à plusieurs reprises, si le soleil ne donne sur ces neiges qu’à quelques heures différentes de la journée. Le reste du tems, ces neiges étant à l’ombre des pointes de rochers qui interceptent la chaleur du soleil, elles ne fondent point : ces alternatives prouvent une pénétration prompte & facile. Combien de puits très-profonds tarissent ou diminuent par la sécheresse ? Les eaux de pluies pénetrent donc les terres assez profondément pour les abreuver ; & il ne paroît pas que les fontaines qui tarissent, ou qui soient sensibles à la sécheresse & aux pluies, ayent un réservoir moins profond, ou un cours moins abondant que celles qui coulent perpétuellement sans altération.

J’ai été long-tems à portée d’observer ces effets d’une maniere sensible dans une fontaine très-abondante située à Soulaines, au nord de Bar-sur-Aube, & à trois lieues de cette ville. Suivant des déterminations qui sont susceptibles d’une très-grande justesse, cette source jette par minute, dans les basses eaux, 1550 piés cubes, & dans les grandes eaux, ou ses accès d’augmentation, 5814. Cette fontaine sort d’une roche entrouverte, & dont l’ouverture est dans une situation horisontale. Le fond où elle est placée est l’extrémité d’une gorge formée par deux revers de collines, qui à deux lieues au-dessus vers le midi, vont se réunir à quelques montagnes d’une moyenne grandeur. Cette disposition forme un cul de sac, & leur aspect présente une espece d’amphithéatre dont la pente est favorable à l’écoulement des eaux, & les dirige toutes vers le bourg au milieu duquel la source est placée. C’est une observation constante, que s’il pleut dans l’étendue de cet amphithéatre, à la distance d’une ou de deux lieues & demie, la source augmente, & acquiert une impétuosité qui lui fait franchir les bords d’un bassin en mâçonnerie qui a 82 piés de longueur 63 de largeur, sur 10 d’élévation au-dessus du sol de la place où cette cage de pierre est construite. L’eau devient trouble, & prend une teinture d’une terre jaune, que les torrens entraînent dans son réservoir ; & cette couleur se soûtient pendant plusieurs jours, suivant l’abondance ou la continuité de la pluie : ces effets sont des signes certains pour les habitans du bourg, qu’il y a eu quelques orages entre Bar-sur-Aube & le bourg, supposé qu’ils n’en ayent pas eu connoissance autrement. La teinture jaune s’annonce dans la source trois ou quatre heures après la chûte de la pluie. Nous observerons que cette source, malgré cette dépendance si marquée qu’elle a avec les pluies, n’a jamais éprouvé d’interruption dans les plus grandes sécheresses ; & les autres sources voisines présentent le même changement de couleur après les pluies, & sur-tout après les pluies d’orages.

Les observations de M. de la Hire faites pendant 17 ans, prouvent que l’eau de pluie ne peut pas pénétrer à 16 pouces en assez grande quantité pour former le plus petit amas d’eau sur un fond solide. (ann. 1703. mém. de l’acad.) Mais ces expériences ne sont pas contraires à la pénétration de la pluie ; puisqu’au même endroit où cet académicien les a faites, (à l’Observatoire), il y a dans les caves, à une profondeur considérable, un petit filet d’eau qui tarit pendant la grande sécheresse, & qui tire par conséquent ses eaux des pluies qui doivent pénétrer au-travers de l’épaisseur de la masse de terre & de pierres qui est au-dessus des caves. On peut voir le détail des observations de M. Pluche, sur la maniere dont l’eau pluviale pénetre dans les premieres couches de la montagne de Laon, & fournit à l’entretien des puits & des fontaines ; tome III. du spectacle de la nature.

De tous ces détails nous concluons, qu’on doit partir de la pénétration de l’eau pluviale, comme d’un sait avéré, quand même on ne pourroit en trouver le dénouement : mais il s’en faut bien que nous en soyons réduits à cette impossibilité. La surface du globe me paroît être organisée d’une maniere très-favorable à cette pénétration. Dans le corps de la terre nous trouvons des couches de terre glaise, des fonds de tuf, & des lits de roches d’une étendue de plusieurs lieues : ces couches sont sur-tout paralleles entr’elles, malgré leurs différentes sinuosités ; ces lits recouvrent les collines, s’abaissent sous les vallons, & se portent sur le sommet des montagnes ; & leur continuité se propage au loin par la multiplicité de plusieurs lits qui se succedent dans les différentes parties des continens. Tout le globe en général est recouvert à sa surface de plusieurs lits de terre ou de pierre, qui en vertu de leur parallélisme exact, font l’office de siphons propres à rassembler l’eau, à la transmettre aux réservoirs des fontaines, & à la laisser échapper au-dehors.

Il faut sur-tout observer que ces couches éprouvent plusieurs interruptions, plusieurs crevasses dans leurs sinuosités ; & que ces prétendues défectuosités sont des ouvertures favorables que les eaux pluviales saisissent pour s’insinuer entre ces couches : on remarque ordinairement ces especes d’éboulemens sur les penchans des vallons ou sur la croupe des montagnes. Ensorte que les différens plans inclinés des masses montueuses ne sont que des déversoirs qui déterminent l’eau à se précipiter dans les ouvertures sans lesquelles la pénétration ne pourroit avoir lieu : car j’avoue que l’eau de la pluie ne peut traverser les couches de la terre suivant leur épaisseur ; mais elle s’insinue entr’elles suivant leur longueur, comme dans la capacité cylindrique d’un aqueduc naturel. Parmi les interruptions favorables & très-fréquentes, on peut compter les fentes perpendiculaires que l’on remarque non-seulement dans les rochers, mais encore dans les argilles ; V. Fentes perpendiculaires. Ces couches étant fendues de distance en distance, les pluies peuvent s’y insinuer, augmenter la capacité des fentes, & s’ouvrir vers les côtés des passages qui procurent leur écoulement : elles pénetrent même le tissu serré de la pierre, criblent les lits, imbibent, dissolvent les matieres poreuses, & forment différens dépôts, & des crystallisations singulieres dans le sein des rochers ou aux voûtes des cavernes.

Ainsi la pluie qui tombe sur le rocher de la Sainte-Baulme en Provence, pénetre en très-peu d’heures à 67 toises au-dessous de la superficie du rocher par les fentes, & y forme une très-belle citerne, qui fourniroit à un écoulement, si la citerne pouvoit couler par-dessus ses bords. Mém. de l’académie, année 1703.

Les sommets élevés des montagnes principales, les croupes de celles qui sont adossées à la masse des premieres, présentent plus que tout le reste du globe, des surfaces favorables à la pénétration des eaux. Les Alpes, les Pyrénées offrent à chaque pas des couches interrompues, des débris de roches entr’ouvertes, des lits de terre coupés à-plomb ; ensorte que les eaux des pluies, les brouillards, les rosées, se filtrent aisément par toutes ces issues, & forment des bassins, ou se portent dans toute l’étendue des couches ; jusqu’à ce qu’une ouverture favorable verse cette eau. Ainsi les sources ne seront proprement que les extrémités d’un aqueduc naturel formé par les faces de deux couches ou lits de terre. Si ces couches sont plus intérieures, & qu’elles aillent aboutir au-dessous du niveau des plaines, en suivant les montagnes adossées aux principales, comme dans la plaine de Modene, elles forment des nappes d’eau qui entretiennent les puits ou des sources qui s’échappent au milieu des pays plats. Comme ces couches s’étendent quelquefois jusques sous les eaux de la mer, en s’abaissant insensiblement pour former son bassin ; elles y voiturent des eaux douces qui entretiennent des puits sur ses bords, ou des sources qui jaillissent sous l’eau salée, comme dans la mer Rouge, dans le golfe Persique, & ailleurs.

Linschot rapporte que dans la mer Rouge, près de l’île de Bareyn, des plongeurs puisent de l’eau douce à la profondeur de 4 à 5 brasses ; de même aux environs de l’île de Baharan dans le golfe Persique, on prend de l’eau douce au fond. Les hommes se plongent avec des vases bouchés, & les débouchent au fond ; & lorsqu’ils sont remontés, ils ont de l’eau douce, (Gemelli Carreri, tome II. p. 453.) Le fond de la mer laissé à sec près de Naples, lors des éruptions du Vésuve, a laissé voir une infinité de petites sources jaillissantes ; & le plongeur qui alla dans le goufre de Charibde, a prétendu avoir trouvé de l’eau douce. De même, en creusant les puits sur le rivage de la mer, les sources y apportent l’eau, non du côté de la mer, mais du côté de la terre ; ce qui se voit aux Bermudes.

César, dans le siége d’Alexandrie, ayant fait creuser des puits sur le bord de la mer, ils se remplirent d’eau douce. Hirt. Pans. comment. cap. jx.

Cette correspondance des couches s’est fait sentir à une très-grande distance. M. Perrault rapporte (traité de l’origine des fontaines, p. 271.) un fait très-propre à en convaincre. Il y avoit deux sources dans un pré, éloignées l’une de l’autre d’environ cent toises. Comme on vouloit conduire leurs eaux dans un canal au bas d’un pré, on fit une tranchée pour recevoir l’eau d’une des deux sources, & la contenir : mais à peine l’eau de cette source fut arrêtée, qu’on vint avertir que l’autre source inférieure à la premiere étoit à sec : on rétablit les choses dans le premier état, & l’eau reparut à cette source. Enfin on remarqua ces effets plusieurs fois ; & l’eau de la source inférieure étoit aussi régulierement assujettie à l’état de la source supérieure, que si elle s’y fût rendue par un tuyau de conduit fait exprès : de même, il y a des communications aussi sensibles des montagnes entr’elles.

Les eaux des vallons ou des plaines s’élevent ordinairement par un canal naturel, & franchissent des collines & des montagnes assez élevées, si une des jambes du siphon renversé, dont la courbure est dans les vallons qui séparent les montagnes, se trouve adossée le long d’une croupe plus élevée que les autres, & qui fournisse des eaux en assez grande abondance pour donner une impulsion successive aux eaux qui remplissent les couches courbées en siphon. La fontaine entretenue par ce méchanisme, paroîtra sur les revers de quelques collines où les couches souffriront interruption.

On conçoit ainsi que les réservoirs des fontaines ne sont pas toûjours des amas d’eaux rassemblées dans une caverne dont la capacité seroit immense, vû la grande dépense de certaines sources. Il seroit à craindre que ces eaux forçant leurs cloisons, ne s’échappassent au-dehors par des inondations subites, comme cela est arrivé dans les Pyrénées on 1678. Voyez Inondation. L’eau d’ailleurs se trouvant distribuée le long de certaines couches propres à la contenir, coulant en conséquence d’une impulsion douce qui en ménage la sortie, & en vertu de l’étendue des branches de ces aqueducs qui recueillent les eaux, il n’est pas difficile de concevoir comment certaines sources peuvent en verser une si grande quantité ; & cette distribution qui demande quelque tems pour s’exécuter, contribue à la continuité de l’écoulement des rivieres.

Ces canaux soûterreins sont d’une certaine résistance, & des eaux peuvent se faire sentir contre leurs parois avec une force capable d’y produire des crevasses. On doit sur-tout ménager leur effort ; car souvent par des imprudences on force les canaux dans des endroits foibles, en retenant les eaux des fontaines ; & ces interruptions en ouvrant un passage à l’eau, diminuent d’autant la principale fontaine vers laquelle ce petit canal entr’ouvert portoit ses eaux, ou souvent font disparoître une source entiere. Ces effets doivent rendre circonspects ceux qui sont chargés de la conduite des eaux. On en a vû des exemples en plusieurs endroits. Je puis en citer un fort remarquable. La fontaine de Soulaines dont j’ai parlé ci-devant, dépose dans son bassin des terres fort compactes qui la teignent d’une couleur jaune, après les pluies abondantes. Lorsque la masse des dépôts est considérable, on vuide le bassin. Pour expédier cette besogne, les ouvriers imaginerent de jetter ces terres grasses dans l’ouverture de la source, au lieu de les jetter au-dehors ; il s’y fit une obstruction si complete, que l’eau refoulée dans son aqueduc naturel soûleva à cent pas au-dessus une roche fort épaisse, & s’extravasa par cette ouverture en laissant le bassin de la fontaine à sec. On n’a pû l’y faire rentrer qu’en couvrant d’une masse de maçonnerie cette large ouverture, & laissant un puits d’environ 15 piés de diametre, dont on a élevé les bords au-dessus des murs de la fontaine. Malgré cette précaution, l’eau sort par ce puits, & entre-ouvre la maçonnerie qui menace ruine dans les grandes eaux. Ces effets sont une suite du parti que l’on a pris d’élever l’eau dans le bassin de la fontaine, pour le service des moulins qui sont construits sur un côté de son bassin ; ce qui tient la source dans un état forcé.

De toute cette doctrine, nous tirerons quelques conséquences que l’expérience confirme.

1°. Ce n’est point en traversant l’épaisseur des couches de la terre & en les imbibant totalement, que l’eau pluviale pénetre dans les conduits & les réservoirs qui la contiennent, pour fournir aux écoulemens successifs : ainsi les faits qu’on allegue contre la pénétration, ne détruisent que la premiere maniere, & ne donnent aucune atteinte à la seconde.

2°. C’est dans les montagnes ou dans les gorges formées par les vallons, que se trouvent le plus ordinairement les sources ; parce que les conduits & les couches qui contiennent les eaux, s’épanoüissent sur les croupes des montagnes pour les recueillir, & se réunissent dans les culs-de-sac pour les verser.

3°. Les fontaines nous paroissent en conséquence de cette observation, occuper une position intermédiaire entre les montagnes ou collines qui reçoivent & versent les eaux dans les couches organisées, & entre les plaines qui présentent aux eaux un lit & une pente facile pour leur distribution réguliere. Quinte-Curce remarque (lib. VII. cap. iij.) que tous les sommets des montagnes se contiennent dans toute l’Asie par des chaînes alongées, d’où tous les fleuves se précipitent ou dans la mer Caspienne, &c. ou dans l’Océan indien. On ne peut objecter les sources du Don ou Tanais & du Danube près d’Eschinging, qui sont dans des plaines : car qu’est-ce que cette derniere source en comparaison de toutes celles qui se jettent dans le Danube, tant des montagnes de la Hongrie, que du prolongement des Alpes vers le Tirol ? & de même les Cordelieres donnent naissance à plusieurs sources qui se jettent dans la riviere des Amazones, en suivant la pente du terrein : les autres qui sont sur les croupes occidentales, se jettent dans la mer du Sud. Il y a sur le globe des points de distribution ; en Europe au mont Saint-Gothar ; vers Langres en Champagne, &c. Voyez Source.

4°. Si l’on voit quelquefois des sources dans des lieux élevés, & même au haut des montagnes, elles doivent venir de lieux encore plus élevés, & avoir été conduites par des lits de glaise ou de terre argilleuse, comme par des canaux naturels. Il faut faire attention à ce méchanisme, lorsqu’on veut évaluer la surface d’un terrein qui peut fournir de l’eau à une source ; on est quelquefois trompé par les apparences. M. Mariotte observe que dans un certain point de vûe une montagne près de Dijon sembloit commander aux environs ; mais dans un autre aspect il découvrit une grande étendue de terrein qui pouvoit y verser ses eaux. Voilà la seule réponse que nous ferons à ceux qui alleguent des observations faites par des voyageurs sur des montagnes élevées. Il n’est pas étonnant que les voyageurs ayent pû découvrir, en passant leur chemin, d’où des sources abondantes tiroient leurs eaux. Si entre une montagne du haut de laquelle il part une source, & une autre montagne plus élevée qui doit fournir de l’eau, il y a un vallon, il faut imaginer la source comme produite par une eau qui d’un réservoir d’une certaine hauteur, a été conduite dans un canal soûterrein & est remontée à une hauteur presque égale à son réservoir. Souvent l’eau des sources qui paroissent sur des croupes ou dans des plaines, peut remonter au-dessus des couches entr’ouvertes qui la produisent. A Modene certains puits coulent par-dessus leurs bords, quoique leurs sources soient à 63 piés de profondeur ; on peut même élever l’eau à 6 piés au-dessus du terrein, par le moyen d’un tuyau. Près de Saint-Omer on perce ainsi des puits, dont l’eau remonte au-dessus du niveau des terres. Tous ces effets supposent des siphons, dont une partie est un conduit naturel depuis les réservoirs jusqu’aux sources : l’autre partie est la capacité cylindrique des puits. En même tems que ces faits rétablissent l’usage des siphons renversés qui communiquent dans une certaine étendue de terrein, l’inspection des premieres couches rend sensible leur existence. On nous objecte que cette communication ne peut s’étendre aux îles de l’Océan, & sur-tout à celles où il ne pleut pas & où l’on trouve des fontaines perpétuelles. Je ne vois pas d’impossibilité que l’eau soit conduite dans quelques-unes de la terre-ferme, par des canaux qui franchissent l’intervalle par-dessous les eaux. Pietro della Valle rapporte que dans les îles Strophades, selon le récit que lui en firent les religieux qui les habitent, il y a une fontaine qui doit tirer ses eaux de la Morée, parce qu’il sort souvent avec l’eau de la source des choses qui ne peuvent venir que de-là : ces îles sont cependant éloignées considérablement de la terre-ferme, & toutes imbibées d’eau. Par rapport aux autres îles, les rosées y sont abondantes, & les pluies dans certains tems de l’année ; ce qui suffit pour fournir à l’entretien des fontaines. Halley remarque qu’à l’île de Sainte-Hélene, le verre de sa lunette se chargeoit d’une lame de rosée très-épaisse, dans un très petit intervalle ; ce qui interrompoit ses observations.

5°. Lorsque les premieres couches de la terre n’admettent point l’eau pluviale, il n’y a point de fontaines à espérer, ou bien l’eau des pluies s’évapore & forme des torrens, ou bien il n’y pleut plus, comme en certains cantons de l’Amérique. Il y a de grands pays où l’eau manque par cette raison, comme dans l’Arabie pétrée, qui est un desert, & dans tous ceux de l’Asie ou de l’Amérique ; les puits sont si rares dans l’Arabie, que l’on n’en compte que cinq depuis le Caire jusqu’au mont Sinaï, & encore l’eau en est-elle amere.

6°. Lorsque les premieres couches admettent les eaux, & qu’il ne se trouve pas des lits d’argille ou de roche propres à les contenir, elles pénetrent fort avant & vont former des nappes d’eau, ou des courans soûterreins. Ceux qui travaillent aux carrieres des pierres blanches près de la ville d’Aire en Artois, trouvent quelquefois des ruisseaux soûterreins qui les obligent d’abandonner leur travail. Il y a des puits dans plusieurs villages des environs d’Aire, au fond & au-travers desquels passent des courans qui coulent avec plus de rapidité que ceux qui sont à la surface de la terre ; on a remarqué qu’ils couloient de l’orient d’été au couchant d’hyver, c’est-à-dire qu’ils se dirigent du continent vers la mer ; ils sont à 100 & 110 piés de profondeur. Journ. de Trév. an. 1703, Mars.

7°. Les secousses violentes des tremblemens de terre sont très-propres à déranger la circulation intérieure des eaux soûterreines. Comme les canaux ne sont capables que d’une certaine résistance, les agitations violentes produisent, ou des inondations particulieres, en comprimant par des soûlevemens rapides les parois des conduits naturels qui voiturent secretement les eaux, & en les exprimant pour ainsi dire par le jeu alternatif des commotions ; ou bien un abaissement & une diminution dans le produit des sources. Après un tremblement de terre, une fontaine ne recevra plus ses eaux à l’ordinaire, parce que ses canaux sont obstrués par des éboulemens intérieurs ; mais l’eau refoulée se porte vers les parties des couches entr’ouvertes, & y forme une nouvelle fontaine. Ainsi nous voyons (Hist. de l’ac. ann. 1704.) qu’une eau soufrée qui étoit sur le chemin de Rome à Tivoli, baissa de deux piés & demi en conséquence d’un tremblement de terre. En plusieurs endroits de la plaine appellée la Testine, il y avoit des sources d’eau qui formoient des marais impraticables : tout fut séché, & à la place des anciennes sources, il en sortit de nouvelles à environ une lieue des premieres ; & dans le dernier tremblement de terre de 1755 & 1756, nous avons été témoins de ces effets en plusieurs endroits. Voyez Tremblement de Terre. Si les eaux se trouvent entre des couches de sable rouge, ou bien entre des marnes ou d’autres matieres colorées, les eaux des sources salies & imprégnées de ces corps étrangers qu’elles entraînent, changent de couleur très-naturellement : mais le peuple effrayé voit couler du sang ou du lait ; parce que dans cet état de commotion qui se communique de la terre aux esprits, rien ne doit paroître que sous les idées accessoires les plus terribles, & un rien aide l’imagination à réaliser les chimeres les plus extravagantes.

Singularités des fontaines. On peut considérer les singularités des fontaines sous deux points de vûe généraux ; par rapport à leur écoulement, & par rapport aux propriétés & aux qualités particulieres du fluide qu’elles produisent.

Quant à ce qui concerne ce dernier objet, voyez Hydrologie, où cette matiere sera discutée. Nous allons traiter ici de ce qui regarde les variations régulieres ou irrégulieres de l’écoulement des fontaines. En les considérant ainsi, les fontaines peuvent être divisées en trois classes : les uniformes, les intermittentes, & les intercalaires.

Les uniformes ont un cours soûtenu, égal & continuel, & produisent du-moins dans certaines saisons la même quantité d’eau.

Les intermittentes sont celles dont l’écoulement cesse, & reparoît à différentes reprises en un certain tems. Les anciens les ont connues. Voyez Pline, lib. II. cap. 103.

Les intercalaires sont celles dont l’écoulement sans cesser entierement, éprouve des retours d’augmentation & de diminution qui se succedent après un tems plus ou moins considérable.

Les fontaines des deux dernieres classes se nomment en général périodiques. Dans les intermittentes la période se compte du commencement d’un écoulement ou d’un flux, à celui qui lui succece ; de sorte qu’elle comprend le tems du flux & celui de l’intermission. La période des intercalaires est renfermée dans l’intervalle qu’il y a entre chaque retour d’augmentation, que l’on nomme accès : ensorte qu’elle comprend la durée de l’accès & le repos ou l’intercalaison dans laquelle l’écoulement parvient quelquefois à une uniformité passagere. Quelquefois aussi on n’y remarque aucun repos ou intercalaison, mais leur cours n’est proprement qu’une augmentation & une diminution successive d’eau.

Si l’interruption dure trois, six ou neuf mois de l’année, les fontaines qui l’éprouvent se nomment temporaires (temporales ou temporariæ) & en particulier maïales (majales), lorsque leur écoulement commence aux premieres chaleurs, vers le mois de Mai, à la fonte des neiges, & qu’il finit en automne.

Les fontaines véritablement intermittentes qui ont attiré l’attention du peuple & des Philosophes, sont celles dont l’intermission ne dure que quelques heures ou quelques jours.

Je crois qu’on peut rapporter à la classe des intercalaires les fontaines uniformes qui éprouvent des accroissemens assez subits & passagers après de grandes pluies, ou par la fonte des neiges.

Enfin plusieurs fontaines présentent dans leurs cours des modifications qui les font passer successivement de l’uniformité à l’intermittence, & de l’intermittence à l’intercalaison, & revenir ensuite à l’uniformité par des nuances aussi marquées. Nous expliquerons tous ces différens phénomenes : & nous tâcherons de donner les dénoüemens de ces bisarreries apparentes. Nous ne parlons pas ici des fontaines à flux & reflux, qui avoient été imaginées avoir quelque rapport dans leur écoulement & leur intermission avec les marées. Après des examens refléchis, on a vû disparoître la prétendue analogie qu’on avoit cru trouver entre leurs accès & l’intumescence de la mer, & tomber totalement la correspondance imaginaire de leur réservoir avec le bassin de l’Océan. Nous ne croyons donc pas devoir nous astreindre à l’ancienne distribution des Géographes sur cet article. C’est une supposition révoltante que d’attribuer aux mouvemens des marées les accès des fontaines que l’on trouve au milieu des continens. Cependant il est très-possible que certaines sources situées à une très-petite distance des bords de la mer, ayent avec ses eaux une communication soûterreine ; & pour lors je conçois que l’intumescence produira un refoulement jusque dans le bassin de ces sources, assez semblable à celui que les fleuves éprouvent à leur embouchure lors du flux. Mais cette cause n’agit point sur le méchanisme intérieur de l’écoulement des fontaines.

On doit expliquer ainsi ce que Pline rapporte (hist. nat. lib. II. cap. ciij. & lib. III. cap. xxvj.) que dans une petite île de la mer Adriatique, près de l’embouchure de la riviere du Timavo, on trouve des fontaines d’eau chaude qui croissent & décroissent avec le flux & le reflux qui est sensible au fond du golfe. On les nomme bagni di monte falcone Cluvier en a fait une description exacte, & observe qu’ils ne sont qu’à deux traits d’arbalête de la mer. Il assûre qu’ils sont assujettis à des retours d’intumescence & de détumescence dépendans de ceux de la mer. Les sources mêmes du Timavo plus éloignées dans les terres, éprouvent, suivant le même historien, de semblables variations. Cluvier, Italia antiqua, lib. I. cap. xx. Kircher, mund. subt. lib. V. cap. vj. & Fallope, de aquis Therm. cap. iij. nous assûrent que ces mouvemens ont lieu, parce qu’un gouffre soûterrein dans lequel il s’engloutit une grande quantité d’eau, communique avec la mer qui reflue jusque-là, ou du moins soûtient les eaux de ce gouffre, & enfle par-là celles du bassin des sources du Timavo, avec lequel le gouffre s’abouche.

Pour expliquer le méchanisme des fontaines périodiques, soit intermittentes, soit intercalaires, on a supposé des réservoirs & des siphons dans les entrailles de la terre. Et ces suppositions sont fondées sur l’inspection attentive de l’organisation que le globe présente en plusieurs endroits à sa surface. On rencontre dans les provinces de Derby & de Galles, en Angleterre, dans le Languedoc, dans la Suisse, des cavernes dont les unes donnent passage aux eaux qui y abordent de toutes parts, & d’autres les rassemblent & ne les versent qu’après avoir été remplies. Les coupes de ces cavernes qui s’offrent à découvert aux yeux des observateurs dans les pays montueux, nous autorisent à en placer au sein des collines, où se trouvent les fontaines périodiques.

Quant aux siphons dont le jeu n’est pas moins nécessaire, nous les admettons avec autant de fondement. Dans les premieres couches de la terre, on observe, comme nous l’avons remarqué ci-devant, des courbures très-propres à donner aux couches qui contiennent les eaux pluviales, la forme d’un siphon ; & d’ailleurs certaines lames de terres étant facilement emportées par des filtrations réitérées, les parois des couches supérieures & inférieures formeront une cavité ou un tuyau de conduite qui voiturera l’eau comme les branches d’un siphon cylindrique. De cette sorte le siphon sera un assemblage de petits conduits recourbés, pratiqués entre les couches de glaises, ou bien entre des rochers fendus & entre-ouverts, suivant une infinité de dispositions.

Je conçois même que les siphons doivent se rencontrer précisément dans un endroit rempli de cavernes propres à faire l’office de réservoir. Supposons que les couches inclinées AB, (Pl. Phys. fig. 78.) n’étant point soûtenues depuis C jusqu’en D, parce qu’il y a au-dessous une caverne CED, se soient affaissées insensiblement, & qu’elles ayent quitté leur premiere direction & pris la situation CF ; alors les couches inférieures AC avec CF forment un siphon dont les parties CF n’atteignent pas le fond de la caverne ; & les autres vers A descendent plus bas que ce fond. Mais les portions supérieures des couches vers B conservant leur situation inclinée, & leur ouverture en D, formée par l’interruption des couches CF affaissées, pourront verser de l’eau dans la caverne. On voit par-là que la courbure du siphon en C, est moins élevée que l’ouverture des couches qui fournissent l’eau, ce qui est essentiel pour le jeu du siphon.

Maintenant donc la cavité CED recevant l’eau qui coule entre les couches entr’ouvertes en D, & qui s’y décharge avec plus ou moins d’abondance, se remplira jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à la courbure du siphon en C. Alors le siphon joüant commence à épuiser l’eau de la caverne, & il cesse lorsque l’eau est descendue au-dessous de l’orifice de la plus courte jambe en F. Le jeu du siphon recommencera dès que l’eau fournie par les couches D, aura rempli la cavité au niveau de la courbure C. Cet écoulement sera suivi d’une intermission, & l’intermission d’un nouvel écoulement qui se succederont toûjours dans le même ordre périodique, tant que le canal d’entretien D fournira la même quantité d’eau. Ensorte que si le siphon décharge son eau dans des couches qui soient interrompues en A, ou dans un réservoir à cet endroit de la surface de la terre, il se formera une fontaine périodique. Voyez Siphon.

On conçoit aisément que de la combinaison des siphons, des réservoirs, & des canaux d’entretien, il doit résulter des variations infinies dans l’écoulement des fontaines périodiques dont il suffit d’indiquer ici les plus singulieres ; en un mot, celles que la nature nous offre en plusieurs endroits.

Fontaines intermittentes. Pour qu’une fontaine soit intermittente, il est nécessaire que le siphon ACF entraîne plus d’eau que n’en fournit le canal d’entretien D. Car si ce dernier canal en décharge dans le réservoir autant que le siphon en peut vuider, l’écoulement du siphon sera continuel, parce que l’eau se soûtiendra dans la caverne toûjours à la même hauteur ; & la fontaine formée par le produit du siphon en A, aura un cours uniforme.

De ce principe & de la supposition du méchanisme précédent, nous tirons plusieurs conséquences capables de nous guider dans l’apprétiation des différentes variétés des fontaines intermittentes.

1°. Le tems de l’intermission ou de l’intervalle de deux écoulemens est toûjours égal à celui qu’employe le canal d’entretien à remplir le bassin de la caverne depuis l’orifice de la petite jambe du siphon F, jusqu’à sa courbure C.

2°. L’écoulement est composé de la quantité d’eau contenue dans le réservoir, laquelle s’y étoit amassée pendant l’intermission, & de celle que produit le courant d’entretien D pendant tout le tems que le siphon joüe.

3°. Ainsi connoissant le tems précis de l’écoulement & de l’intermission, on en tirera le rapport du produit du canal intérieur à la dépense du siphon. On voit effectivement que l’eau étant supposée couler avec une égale vitesse par le canal d’entretien & par le siphon, le calibre du siphon est à celui du canal d’entretien, comme le tems de la période entiere est à celui de l’écoulement ; car (n°. 2.) le siphon vuide pendant le seul tems de l’écoulement, l’eau que le canal d’entretien fournit pendant l’intermission & l’écoulement. Or il est évident que les calibres de deux canaux par lesquels l’eau coule avec la même vîtesse, & qui versent la même quantité d’eau en tems inégaux, sont entr’eux dans le rapport renversé des tems.

4°. Le tems de l’écoulement & celui de l’intermission formant la période, la connoissance de la période & de l’écoulement donnera l’intermission ; & de même la détermination de la période & de l’intermission décide la durée de l’écoulement.

5°. Si le canal d’entretien augmente son produit après des pluies abondantes ou pendant la fonte des neiges, il est clair que l’intermission sera plus courte & l’écoulement plus long que pendant la sécheresse où les couches de terre en D fournissent moins d’eau. Car le siphon employera plus de tems pour vuider la quantité d’eau qui coule en plus grande abondance dans le réservoir pendant le tems qu’il l’épuiseroit, si aucun canal ne s’y déchargeoit.

A mesure que l’abondance de l’eau croîtra dans le canal d’entretien, l’intermission diminuera toûjours, & l’écoulement augmentera jusqu’à ce que le produit du canal étant précisément égal à la dépense du siphon, l’intermission disparoîtra, & la fontaine sera uniforme.

Mais si la sécheresse vient à diminuer la quantité d’eau fournie par le canal d’entretien, la fontaine éprouvera des intermittences très-courtes & des écoulemens fort longs d’abord ; & à mesure que l’eau diminuera dans le canal intérieur, l’intermission croîtra, & l’écoulement décroîtra proportionnellement.

On voit par-là que lorsqu’une fontaine commence à être intermittente par la sécheresse, ou qu’elle cesse de l’être par le retour des pluies, elle doit éprouver des intermissions très-courtes & des écoulemens fort longs.

6°. Le rapport de l’intermission à l’écoulement est difficile à fixer ; & il est visible qu’il ne peut être constant, & qu’il n’est pas aisé de limiter la période d’une fontaine, puisqu’elle peut éprouver des variations par la sécheresse ou par les pluies. C’est à ces variations que l’on doit principalement attribuer les différences qui se trouvent dans les descriptions que différens auteurs nous ont données de la même fontaine. Car alors ils peuvent l’avoir observée dans des circonstances capables de faire varier sensiblement les résultats dont ils ont déterminé l’étendue.

Fontaines intermittentes composées. Les fontaines intermittentes éprouvent quelquefois une suite de petites intermittences & d’écoulemens, interrompue par une intermission considérable ; & il est aisé d’en rendre raison. Soit (Pl. Phys. fig. 79.) le réservoir ABC qui se décharge dans la cavité FKI d’une moindre capacité par le siphon DCE d’un calibre plus petit que le siphon GFH, qui épuise l’eau de la cavité FKI. Je dis que la fontaine formée en H par le siphon GFH, éprouvera des intermittences & des écoulemens successifs qui dépendront en grande partie du rapport qu’il y aura entre le produit du siphon GFH & celui de DCE. Enfin tout le jeu de repos & d’accès se terminera par une interruption égale au tems employé par le canal A d’entretien, à remplir le réservoir ABC. Si le canal A devient assez abondant pour fournir à la dépense continuelle du siphon DCI, la grande interruption n’aura point lieu ; les intermittences & les écoulemens se succéderont assez régulierement

Ces accès de repos & de flux peuvent être considérés comme l’écoulement d’une fontaine à simple réservoir, & la longue interruption comme son repos.

Et comme dans les fontaines à simple réservoir (n°. 5.) l’écoulement est tantôt plus long, tantôt plus court, de même aussi la suite des intermittences & des flux, qui tient lieu d’écoulement dans les fontaines composées, doit varier par les mêmes causes. Si le petit réservoir IKF se vuidoit neuf fois pendant que le grand ne se vuide qu’une seule, & qu’il restât encore outre cela à moitié plein, la fontaine en H auroit alternativement neuf intermittences & dix intermittences par accès, entre chaque interruption considérable, suppose que le produit de la source A fut toûjours le même.

En général le dernier réservoir étant dans un certain rapport de capacité avec le plus intérieur, le nombre des intermittences & des écoulemens successifs sera égal à celui qui exprime combien de fois le plus petit est contenu dans le plus grand ; & s’il y avoit une fraction, les retours auroient une intermittence & un écoulement de plus, après un nombre d’accès égal au numérateur de la fraction.

7°. Ces especes de fontaines ont encore cela de particulier, qu’à chaque accès d’écoulement & d’intermittence, le premier flux est plus long que le second, & le second plus long que le troisieme. On voit que c’est tout le contraire par rapport aux intermittences. Car le siphon DCE coulant plus vite dans le commencement de son accès que vers la fin, le réservoir IKF doit être par conséquent moins de tems à se remplir, & plus de tems à se vuider (n°. 1.) la premiere fois que la seconde.

8°. Fontaines intercalaires. Les fontaines intercalaires sont le produit d’un courant d’eau continuel & uniforme, combiné avec celui d’un siphon qui joue à plusieurs reprises. Soit la caverne DEC (fig. 78.) qui a une ou plusieurs ouvertures par le bas en E, il est visible que l’eau coulera par ces ouvertures tant que le courant d’entretien D en déchargera dans le réservoir. Si le canal d’entretien est assez abondant pour le remplir jusqu’à la courbure du siphon malgré l’écoulement continuel du canal E, la source en A aura un cours uniforme en vertu de cet écoulement, & éprouvera de tems en tems des accès d’intumescence lorsque le siphon coulera, & des repos lorsqu’il cessera de jouer. Les deux canaux venant à se rencontrer à la surface de la terre vers A, la fontaine qui sera formée par leur concours sera intercalaire.

Il est aisé de se convaincre que l’intercalaison ou l’intervalle qu’il y a entre les accès, dépend du tems qu’employe le courant d’entretien à remplir la caverne jusqu’à la courbure du siphon, en fournissant outre cela à la dépense du canal en E. C’est donc l’excès du produit du courant d’entretien D sur la décharge continuelle du canal E, qui fournit au jeu du siphon & à l’accès des intercalaires. Les retours de l’accès dépendent donc de l’abondance de l’eau dans le courant d’entretien, de la hauteur de la courbure du siphon FC, & de la capacité de la caverne DEC. Ainsi la période des intercalaires ne doit pas être plus constante que celle des intermittentes, parce que la sécheresse ou les pluies peuvent y causer plusieurs variations considérables : l’intercalaison sera fort longue & l’accès fort court, si l’eau produite par le canal d’entretien est peu abondante, que le réservoir ait peu de capacité, & que le calibre du siphon soit considérable. A mesure que l’eau augmentera dans la source intérieure, toutes choses restant d’ailleurs les mêmes, l’intercalaison sera plus courte & l’accès plus long ; ensorte que le cours de la fontaine sera précisément une augmentation & une diminution successive d’eau sans aucune uniformité interposée. Si l’eau augmente de telle sorte dans le courant d’entretien, qu’il puisse fournir en même tems à la dépense continuelle du canal E, & à l’écoulement soûtenu du siphon FCA, la fontaine sera uniforme.

En supprimant l’ouverture E (fig. 78.) & supposant qu’il y en eût une autre G dans la cavité DGEC plus élevée que F, orifice de la courte jambe du siphon, & au-dessous de sa courbure en C, il résultera différens effets.

Si le courant d’entretien peut seulement fournir à ce canal en G, sa décharge produira une source continuelle & uniforme ; si le courant d’entretien augmente, la cavité se remplira jusqu’à la courbure du siphon en C, qui coulera pour lors ; & son produit se combinant avec celui du canal G, la fontaine qui en résultera, & qui aura d’abord été uniforme, éprouvera dans la suite des accès d’écoulement. Mais lorsque le siphon aura épuisé l’eau du réservoir jusqu’au niveau de l’orifice G, la fontaine perdra le produit de ce canal. Elle sera intercalaire, & lorsque le siphon aura cessé de couler, il y aura une intermittence jusqu’à ce que le courant d’entretien ait rempli le réservoir au niveau de l’ouverture G, & pour lors l’eau commencera à paroître dans le bassin de la fontaine. Après que le siphon & la décharge de l’ouverture G auront fait baisser l’eau au-dessous de G, si le siphon FGA entraîne autant d’eau que la source intérieure D en peut fournir, la fontaine entretenue par G, en supposant qu’elle ait un bassin éloigné de la source que le siphon fournit, sera à sec, & l’eau n’y reparoîtra que lorsque le courant d’entretien D produira moins que la dépense du siphon. C’est par ce méchanisme que l’on peut expliquer pourquoi certaines fontaines, telles qu’il y en a plusieurs en Angleterre & ailleurs, coulent tout l’été ou dans la sécheresse, & sont à sec en hyver ou depuis les pluies. On voit que ces fontaines augmentent précisément lorsqu’elles sont sur le point de tarir, c’est-à-dire lorsque l’eau dans la caverne approche plus de la courbure C du siphon ; elles seront plûtôt à sec si l’été est humide, & elles couleront plus tard après un hyver pluvieux. Toutes circonstances avérées par les observations. La marche contraire des autres sources vient aussi de la même cause différemment combinée. Tous ces effets dépendent, comme nous l’avons vû, des pluies : on ne peut donc en tirer aucune conséquence défavorable au système que nous avons embrassé sur la cause de l’entretien des sources, comme l’ont prétendu Plot & quelques autres Physiciens, aussi peu capables d’apprétier les faits que de les combiner.

9°. Lorsque les fontaines intermittentes cessent de l’être ; elles éprouvent un peu après l’instant où l’intermittence devroit avoir lieu, une espece d’intercalaison, & leur cours ne consiste, comme nous l’avons vû, que dans un accroissement & une diminution successive d’eau, ce qui forme un accès sensible.

Fontaines intercalaires composées. Ces sortes de fontaines ne sont précisément que les intermittentes composées, dont le jeu (fig. 79.) se trouve combiné avec le produit d’un courant en L continuel & soûtenu, qui se réunit en H ; leur explication dépendra donc des principes que nous avons établis ci-devant (n°. 7.)

Quoique nous ayons déjà vû comment les différens produits du courant d’entretien peuvent modifier les phénomenes des fontaines, il est aisé de faire voir comment un même méchanisme peut offrir successivement les différens caracteres que nous y avons distingués, c’est-à-dire l’intercalaison, l’intermittence, & l’uniformité. Soient les deux réservoirs ABC, & IKF (fig. 79.) qui communiquent par un siphon DCE. Le second réservoir a une ouverture par le bas en K. Si le canal d’entretien A fournit plus d’eau qu’il n’en faut pour faire couler continuellement le siphon DCE, le canal K versera continuellement de l’eau, & le surplus se déchargera par le siphon GFH, ensorte que la fontaine qui recevra le produit de ces deux courans, sera intercalaire. Mais si le courant A est assez abondant pour fournir à la dépense du canal K & du siphon GFH, ou même à la seule dépense de K, la source aura pour lors un cours uniforme ; & si l’eau diminue de telle sorte qu’elle ne puisse fournir à l’entretien du siphon GFH, la fontaine en H sera intermittente.

D’après le méchanisme que nous venons de développer, on a réalisé aisément le cours de ces sources, & rendu sensibles leurs effets par des fontaines artificielles, dont on peut voir les modeles dans un mémoire du pere Planque, & dans ceux que le savant M. Astruc a publiés sur l’histoire naturelle de Languedoc, page 283. dans les Transactions philosophiques, n°. 423, & dans la Physique de Desaguliers, & dans nos figures qui en présentent les coupes.

Nous observerons ici que ces machines présentent un moyen très-naturel de varier les effets des eaux jaillissantes ou courantes de nos jardins. L’art n’est jamais sans agrémens lorsqu’il imite la nature.

En conséquence de ces inventions par lesquelles on est parvenu à rendre trait pour trait les opérations de la nature, on peut assurer que la structure intérieure des fontaines est telle qu’on l’avoit supposée d’abord. Car en remontant des effets à la cause avec tant de succès, on est tenté d’admettre pour vrai, après une discussion & une explication exacte des phénomenes, ces agens & cet échafaudage qui n’avoient été d’abord admis que comme possibles, & d’une maniere purement précaire.

Quoi qu’il en soit, cette explication se trouve dans les pneumatiques de Heron d’Alexandrie, qui vivoit 120 ans avant l’ere chrétienne, sur-tout dans les premieres propositions de cet ouvrage. Pline le jeune, epistolar. lib. IV. epistol. xxx. après avoir parcouru plusieurs moyens assez peu raisonnables, tels que les vents soûterreins, le balancement des réservoirs, des mouvemens analogues aux marées pour expliquer les écoulemens singuliers de la fontaine de Côme, située près du lac de ce nom dans le duché de Milan, ajoûte : « N’y auroit-il pas plûtôt, dit-il, une certaine capacité dans les veines qui fournissent cette eau, de telle sorte, que lorsqu’elles sont épuisées, & qu’elles en rassemblent de nouvelles, le courant est moindre & plus lent, & devient plus considérable & plus rapide lorsque ces veines peuvent verser l’eau qu’elles ont recueillies ». An latentibus venis certa mensura, quæ dum colligit quod exhauserit, minor rivus & pigrior ; cum collegit, agilior majorque profertur ?

On voit que Pline a senti ce que les Physiciens modernes ont développé avec plus de précision. On peut consulter Kircher, mund. subterran. lib. V. sect. 5. cap. jv. le cursus mathematicus de Dechalles, le voyage des Alpes de Scheuchzer, en 1723. tome II. page 404. les Trans. philos. n°. 204. & 423. enfin les mémoires sur l’histoire du Languedoc.

Opinions populaires sur les fontaines périodiques, Quoiqu’il se trouve parmi les auteurs une certaine tradition assez suivie, qui a transmis ces explications de phénomenes singuliers, le peuple pour qui les Philosophes n’écrivent guere, a toûjours été livré à la vûe de ces vicissitudes dont il ignoroit la cause, à des croyances superstitieuses, qui dans les matieres physiques, sont toûjours son partage. Quand même il pourroit saisir la simplicité du méchanisme caché qui produit à ses yeux ces effets, il ne s’y attachera jamais, parce que ce méchanisme ne peut pas tenir lieu dans son imagination de ces idées merveilleuses dont il aime à se repaître.

Pline, lib. XXXI. cap. ij. observe que les Cantabres tiroient des augures de l’état où ils trouvoient les sources du Tamaricus, (aujourd’hui la Tamara dans la Galice). Dirum est non profluere, eos aspicere volentibus. Il appuie même ces prétentions sur un fait : Sicut proximè Lartio Licinio legato post præturam, post septem enim dies occidit. Le propre de l’esprit de superstition est de réunir en preuves de ses prétentions des circonstances qui n’ont aucune liaison. Combien de gens n’avoient pas vû couler les sources du Tamaricus, sans éprouver le sort du préteur romain ? Mais un seul fait éclatant tient lieu de toutes les petites circonstances où la vertu de la fontaine auroit paru se démentir : & d’ailleurs les impressions funestes sont pour les grands. Les prêtres des dieux qui tenoient registre des tems où ces sources couloient, pouvoient moyennant des salaires honnêtes procurer la satisfaction & l’assûrance de voir couler les sources ; & cette cause a de tout tems contribué à entretenir des dupes. Voyez Augure, Aruspices, Miracle, Oracle, &c.

Dans des tems moins reculés, nous retrouvons ces préventions répandues parmi les habitans des cantons qui avoisinent certaines sources singulieres. Le pere Dechalles rapporte qu’on croit en Savoie que la fontaine de Haute-combe ne coule point en présence de certaines personnes ; & M. Atwell a trouvé les mêmes idées dans les habitans de Brixam au sujet de la source périodique de Lawyell, dont nous parlerons dans la suite. Scheuchzer assûre de même que les habitans du mont Eng-Shen tiennent pour certain que la fontaine périodique qui y prend sa source, cesse de couler lorsqu’on y lave quelque chose de sale, &c. Scheuchzer lui-même qui s’étoit élevé dans son second voyage contre cette crédulité, y revient dans son cinquieme, & paroît ébranlé par le témoignage constant des habitans du voisinage qu’il a pu consulter.

Une autre espece de propriété qu’on a plus constamment attribuée aux fontaines, est celle de prédire l’abondance ou la stérilité. Pierre Jean Fabre, medecin de Castelnaudari, prétend que les habitans de Bellestat en Languedoc pouvoient juger des années par le cours de Fontestorbe ; il ajoûte même que le cours continuel & uniforme de cette fontaine en 1624 & 1625 annonçoit la conversion des Prétendus-Réformés. C’est ainsi que Séneque nous assûre que deux années de basses eaux du Nil avoient présagé la défection d’Antoine & les malheurs de Cléopatre, lib. III. quæst. natur. Plot, dans son discours sur l’origine des fontaines, fait mention à chaque page de ces prédictions d’années stériles ou abondantes : ces présages, au reste, peuvent avoir une cause physique aisée à saisir. On sçait que certaines années pluvieuses ou seches, sont stériles ou abondantes. Une fontaine qui éprouvera dans son cours des variations qui seront dépendantes de la sécheresse ou des pluies, sera une espece de météorometre qui la plûpart du tems rendra des réponses assez justes.

Application de nos principes à un exemple. Il ne nous reste maintenant qu’à faire l’application des principes que nous venons de développer, aux résultats des observations exactes & précises que l’on a faites sur une de ces fontaines singulieres : nous nous attacherons à celle de Fontestorbe, sur laquelle nous avons des détails assez circonstanciés pour y essayer une méthode de calculs, & en tracer le modele aux observateurs qui auront quelques-unes de ces fontaines à examiner.

Fontestorbe, c’est-à-dire, suivant la langue du pays, fontaine interrompue ou intermittente, est près de Bellestat dans le diocese de Mirepoix : à ce village une chaîne de montagnes assez élevées qui occupe l’espace d’une lieue, vient se terminer par des rochers escarpés qui forment un antre spatieux & profond de quatre à cinq toises, & dont l’ouverture est de quarante piés de large sur trente de haut : c’est de cet antre que sort Fontestorbe. Cette fontaine est intermittente pendant la sécheresse en Juin, Juillet, Août & Septembre, tantôt plûtôt, tantôt plûtard, suivant que ces mois sont plus ou moins pluvieux. Si le printems ou le commencement de l’été ont donné beaucoup de pluies, l’écoulement de Fontestorbe est plus long qu’à l’ordinaire, & son intermission plus courte. On observe même que dans le tems que cette fontaine a repris son intermittence en été, son cours devient soûtenu & uniforme après deux ou trois jours de pluies abondantes ; & l’intermittence ne reparoît que dix ou douze jours après.

Si l’automne est seche, l’intermittence se prolonge au-delà de Septembre ; & même paroît encore en Novembre, Décembre, & Janvier, si les neiges qui tombent sur les montagnes ne se fondent pas : mais lorsque cette fonte a lieu, ou que ces mois sont pluvieux, Fontestorbe coule uniformément & plus abondamment que dans le plus fort de ses écoulemens périodiques. Elle suffit malgré cela dans ses accès, après avoir mêlé ses eaux à celles de la petite riviere de Lers, à la dépense d’un moulin à soie & d’un autre à forge qui se trouvent à quelque distance au-dessous.

Le tems de son intermittence est ordinairement en été, suivant M. Astruc, de 32′. 30″. l’écoulement dure 36′. 35″. & par conséquent sa période est de 69′. 5″. Selon les observations du P. Planque de l’Oratoire, qui considere cette fontaine comme intercalaire, l’accès est de 44′. l’intercalaison ou diminution de 17′. ce qui donne 61′. pour sa période : mais ce pere l’a observée en Octobre, où la source est plus abondante ; car les pluies & la sécheresse dérangent considérablement les proportions de ses intermittences & de ses écoulemens.

Ainsi lorsque la fontaine commence à devenir intermittente, ou qu’elle cesse de l’être (n°. 5.), le tems de l’intermission est beaucoup plus court, & celui de l’écoulement beaucoup plus long que nous ne l’avons indiqué ci-devant. Ce qui fait considérer cette fontaine comme intercalaire par le P. Planque, c’est qu’il coule continuellement au-dessous de son bassin des filets d’eau.

Avant que l’eau commence à couler dans le bassin extérieur de la fontaine, on entend un bruit sourd ; & ce bruit précede l’écoulement d’environ douze minutes.

Tels sont les principaux faits auxquels nous allons appliquer notre théorie. Si l’on suppose maintenant dans l’intérieur de la montagne deux réservoirs à différente hauteur qui communiquent par le moyen d’un siphon, dont la plus courte jambe réponde vers le fond du réservoir supérieur ; on a toutes les pieces nécessaires pour la solution des phénomènes dont nous venons de voir le détail. Cet antre, ces rochers escarpés, le bruit sourd de l’eau qui tombe dans des cavités, autorisent la supposition des réservoirs & des siphons.

Je considere d’abord que l’écoulement du siphon commence environ douze minutes avant que l’eau parvienne à la fontaine ; & de même, le siphon a cessé de joüer avant que l’eau cesse de couler dans le bassin extérieur : j’évalue ce tems à huit minutes, parce que l’eau coule plus lentement sur la fin qu’au commencement de l’accès. Par conséquent, pour avoir le tems de l’écoulement vrai, il faut ajoûter 12′. moins 8′. à 36′. 35″. ce qui produit 40′. 35″. De même l’intermission vraie ne sera plus de 32′. 30″. mais de 28′. 30″. & la période entiere de 69′. 5″. ainsi le siphon verse en 40′. 35″. l’eau fournie par le canal intérieur pendant le même tems, & pendant l’intermission de 28′. 30″. (n°. 2.) Son calibre est à celui du courant d’entretien environ comme 829 à 486. (n°. 3.) mais s’il arrive que l’eau abondante se décharge par d’autres canaux dans le réservoir, l’intermission vraie durera moins que 28′. 30″. & l’écoulement vrai plus que 40′. 35″. L’écoulement augmentera jusqu’à ce qu’il devienne continuel (n°. 5.), c’est-à-dire lorsque l’eau fournie au réservoir supérieur égalera la dépense du siphon : & alors le cours de Fontestorbe est uniforme, comme les observations nous l’indiquent en hyver, ou dans des circonstances qui nous font envisager une augmentation d’eau.

Mais si la sécheresse se fait sentir dans les couches qui fournissent au bassin, l’intermission commencera à paroître, ira toûjours en croissant, & l’écoulement en décroissant.

Quand Fontestorbe commence ou qu’elle cesse d’être intermittente, ses intermissions (n°. 4.), sont si peu considérables que les eaux du bassin inférieur où se décharge le siphon, ne sont pas encore écoulées & parvenues au bassin de la fontaine, avant que le siphon recommence à en verser de nouveau, surtout si l’interruption est moindre que huit minutes. Ainsi l’eau diminuera un peu dans la fontaine, & éprouvera incontinent une certaine augmentation ; ce qui fera paroître Fontestorbe intercalaire (n°. 10).

Détail des principales fontaines périodiques. Nous allons maintenant parler plus succinctement des autres fontaines périodiques dont les détails nous semblent les plus assurés, sans donner pour certains les faits qui n’ont pas pour garans des observateurs exacts.

Pline, lib. II. cap. ciij. parle d’une fontaine qui étoit à Dodone, dont l’écoulement cessoit tous les jours à midi, & reparoissoit avec abondance à minuit ; ce qui lui faisoit donner le nom de fontaine intermittente, telle qu’elle étoit en effet.

Le même historien rapporte que dans l’île de Ténédos une fontaine débordoit tous les jours après le solstice d’été, depuis neuf heures du soir jusqu’à minuit ; elle étoit temporaire & intercalaire.

Trois des sources du Tamaricus, riviere de la Cantabrie, aujourd’hui la Tamara en Galice, sont à sec, suivant Pline, lib. XXXI. cap. ij. pendant douze ou même vingt jours ; tandis qu’une autre source près de-là coule avec abondance & sans interruption. Nous avons parlé ci-devant du mauvais présage qu’on tiroit de leur intermittence.

Josephe, lib. VII. c. xxjv. de la guerre des Juifs, rapporte qu’en Syrie entre les villes d’Arce & de Raphanées, une riviere appellée Sabbatique étoit à sec pendant six jours, & couloit le septieme. Pline, lib. XXXI. cap ij. dit au contraire qu’elle couloit pendant six jours, & qu’elle étoit à sec le septieme. Dominique Magrius, suivant Kircher, mundi subterran. lib. V. sect. 4. cap. jv. a été témoin de ce phénomene.

Brynolphe Suénon dit avoir vû en Islande, à deux milles & demi de Skalholt, capitale de l’île, une fontaine périodique d’eau chaude. Elle annonce son accès par des bouillons qui s’élevent du fond de son bassin, le remplissent, & s’élancent enfin par-dessus les bords. La fontaine se soûtient une heure dans cet état ; après quoi elle baisse & laisse à sec le bassin : son intermission est de 23 heures. Voyez ce détail dans les ouvrages de Saxon.

Childrey fait mention de plusieurs sources intermittentes dans son traité des curiosités d’Angleterre ; il en place une près de Buxton dans la province de Derby, qui coule chaque quart-d’heure, page 190. Le même auteur parle aussi, page 160. d’une autre qui présente à-peu-près les mêmes variations. Elle est située à Giggleswich, à un mille de Settle dans la province d’Yorck ; & page 296. d’une troisieme située dans la province de Westmorland, près du fleuve de Loder, laquelle coule plusieurs fois par jour.

Mais la plus singuliere de toutes celles de l’Angleterre, est la source de Lawyell près de Brixam, dans la province de Devonshire, à un mille de la mer. Elle est adossée au revers d’une chaîne de montagnes assez considérable, & sort du pié d’une colline ; elle est proprement intercalaire composée (n°. 11). Il y a un courant d’eau qui se décharge continuellement dans le bassin principal : lorsque l’accès s’y fait sentir, de petites sources voisines éprouvent un écoulement qui dure autant que l’accès. On remarque dans ces instans, à différentes reprises, une augmentation d’eau considérable dans le bassin, suivie alternativement d’une diminution aussi sensible. Ces flux & ces repos intercalaires se répetent, & même seize fois pendant une demie-heure ; c’est-à-dire que chaque flux & chaque repos dure environ deux minutes. Cependant sur la fin de l’accès, le flux produit moins d’eau, & il dure moins qu’au commencement (n°. 8). Il y a même beaucoup de variations dans le nombre de ces révolutions périodiques & dans leur durée ; variations toûjours dépendantes de la pluie ou de la sécheresse.

Ces phénomenes s’expliquent, comme nous avons vû aux fontaines intercalaires composées (n°. 9.), par deux courans, dont l’un traverse deux siphons & deux réservoirs, & l’autre coule immédiatement & continuellement dans le bassin de la fontaine ; c’est le courant qui enfile les deux réservoirs, qui produit cette suite de flux & du repos ; & l’autre le cours uniforme. Voyez Transact. philosophiq. n°. 423.

Près de Paderborn en Westphalie, une fontaine intermittente appellée Bolderborn, c’est-à-dire bruyante, coule & est à sec deux fois le jour : ses accès s’annoncent par un grand bruit. Transact. philos. 1665. n°. 7. & Varen. Géog. gen. cap. xvij. propos. 18.

Dans le palatinat de Cracovie, on trouve sur le sommet élevé d’une montagne adossée à celles de Hongrie une fontaine qui sort de son bassin avec impétuosité par des secousses continuelles qui la font monter en certains tems & baisser en d’autres. On avoit crû remarquer que ces accroissemens & décroissemens étoient dépendans des phases de la Lune, mais sans un examen assez approfondi. Voyez la relation qu’en a publiée le P. Denis ; & le P. Rzeczinski, hist. natur. Polon.

Dans le royaume de Cachemire, on voit une fontaine qui au mois de Mai, tems où les neiges fondent, coule & s’arrête régulierement trois fois en 24 heures, au commencement du jour, sur le midi, & à l’entrée de la nuit : son écoulement est pour l’ordinaire de trois quarts d’heure, & son produit assez abondant pour remplir un réservoir en quarré de 10 à 12 piés de large, & d’autant de profondeur : après les quinze premiers jours, son cours n’est plus si régulier ni si abondant. Elle tarit enfin, & reste à sec le reste de l’année. Cependant après de longues pluies elle coule sans intermittence & sans ordre, comme les autres fontaines : ainsi elle est maïale, intermittente, & uniforme. Bernier, voyage de Cachemire, p. 160. Varenius place au Japon une fontaine thermale & périodique. Ses écoulemens se répetent deux fois par jour, & durent une heure ; l’eau en sort avec impétuosité, & forme près de-là un lac brûlant. Son eau est, dit-il, plus chaude que l’eau bouillante. Varenius, cap. xvij. prop. 18. rapporte ces détails sur la foi d’un certain Caron, qui a été à la tête de la compagnie des Indes d’Hollande.

Près du lac de Côme dans le duché de Milan, à sept milles de la ville de Côme, est une fontaine que Pline le jeune a décrite au long, lib. IV. epistol. 30. elle hausse & baisse trois fois le jour par des retours périodiques. Deux historiens de la ville de Côme, Thomas Porcacchi & Benoît Jove, confirment ce qu’en dit Pline. Ils ajoûtent que près de celle ci que l’on nomme fontaine de Pline, est une autre source sujette aux mêmes variations ; elle est intermittente & uniforme, suivant les tems de sécheresse ou de pluie.

La fontaine des merveilles près de Haute-Combe en Savoie, presque sur les bords du lac Burges, coule & cesse de couler deux fois par heure. Ses écoulemens sont précédés d’un grand bruit ; l’eau en est si considérable, qu’elle fait tourner un moulin. Le P. Dechalles qui l’a vûe, assûre qu’elle tarit entierement par la sécheresse ; que pendant les pluies elle coule douze fois par heure. Ce même pere parle aussi d’une autre, située au village de Puis-Gros, à deux milles de Chamberi, qui est quelquefois entierement à sec. Après les plures, elle coule par intervalles quelquefois dix & vingt fois de suite, de forte qu’à peine le tems d’un écoulement à l’autre suffit pour laisser vuider son bassin. Elle éprouve beaucoup de variations dans ses intermittences.

Scheuchzer, dans ses itinera alpina, fait mention de trois fontaines périodiques La premiere (tome II. pag. 401.) nommée andem Burgenberg, coule du pié d’une montagne dans le canton d’Underwald ; elle est non seulement maïale, mais encore périodique intermittente. Ses écoulemens paroissent huit ou dix fois par jour. La seconde (tom. I. pag. 27.) est la fontaine d’Hen Shen dans le comté de Berne, au bailliage de Thun ; elle est maïale & intermittente comme la premiere. Il n’y a rien de constate sur ses périodes, ainsi que sur celles de la troisieme nommée Lugibacq, c’est-à-dire menteuse, qui est située près d’une glaciere dans le canton d’Underwald ; elle est temporaire & intermittente, tom. II. pag. 485. Nous ferons observer ici que ces fontaines prennent leur source dans les croupes de montagnes, aux sommets desquelles les neiges forment des réservoirs & des lacs, dont les eaux se filtrent dans les cavernes intérieures des collines, qui présentent partout au-dehors des antres, des ruptures, des rochers entr’ouverts, & tout ce qui annonce la grande possibilité des réservoirs & des siphons que nous avons supposés d’abord.

Piganiol de la Force (Descrip. de la France, tome VIII. pag. 480.) parle d’une fontaine périodique, située sur le chemin de Touillon à Pontarlier, en Franche-Comté. Quand le flux va commencer, on entend un bouillonnement, & l’eau sort aussitôt de trois côtés en formant plusieurs petits jets arrondis, qui s’élevent peu-à peu jusqu’à la hauteur d’un pié. Ensuite ces jets diminuent en aussi peu de tems qu’ils ont mis à s’élever, & tout ce jeu dure environ un demi-quart d’heure. Le repos de l’intermission est de deux minutes. Au reste rien de fixe dans ses variations. Il est parlé fort succinctement dans l’ancienne histoire de l’académie des Sciences, lib. III. cap. iij. de deux sources périodiques situées en Franche Comté, dont l’une est salée & l’autre douce, & dont les écoulemens n’étoient assujettis à aucune regle. Celle que nous venons de déduire, sera probablement une des deux.

On trouve près de Colmar, dans le diocèse de Senes en Provence, une fontaine qui coule huit fois dans une heure, & qui s’arrête autant de fois. Un leger murmure annonce ses accès. Gassendi assure que sa période est assez constante dans tout le cours de l’année. La seule inégalité qu’on y ait observée, est que l’intermission dure huit, sept ou six minutes ; variations qui ont pour principe les pluies. Gassendi, physic. sect. 3. lib. I. cap. vij.

Fonsanche dans le diocese de Nîmes, entre Sauve & Quissac, sort de terre à l’extrémité d’une pente assez roide, adossée à une longue chaine de montagnes nommée Coutach ; elle coule assez régulierement deux fois dans vingt-quatre heures, & éprouve deux intermissions dans le même tems. Chaque écoulement est de sept heures vingt-cinq minutes, & chaque intermission de cinq heures. Les écoulemens & les intermissions retardent environ cinquante minutes chaque jour, par rapport aux mêmes effets du jour précédent. Ce qui est très-évident, puisque le tems des deux écoulemens & des deux intermissions surpasse vingt-quatre heures de cinquante minutes. Ces deux écoulemens en vingt-quatre heures & le retard de cinquante minutes, si conformes aux variations des marées, ont fait illusion, & on a regardé long-tems Fonsanche comme une fontaine à flux & reflux : mais comment aller chercher la mer de Gascogne à 130 lieues, la mer Méditerranée ne produisant point sensiblement ces effets sur les côtes de Languedoc ? D’ailleurs ceux qui cherchent des analogies entre des effets qui n’en ont point, doivent être déconcertés par une observation constante : c’est que Fonsanche, après de grandes pluies, a un cours uniforme, & qu’elle ne reprend son intermittence qu’après que les pluies ont eu leur écoulement. M. Astruc, (mem. pour servir à l’hist. de Languedoc) a vû & observé cette fontaine.

Catel, dans ses mémoires sur l’histoire du Languedoc, pag. 171. parle d’une espece de fontaine periodique appellée Vieissan, dans le diocese de Beziers, laquelle sort d’une montagne du même nom, à une demi-lieue de Rochebrune, & se rend dans la riviere d’Orb. Cette fontaine est intermittente, & dans ses flux jette de l’eau comme la jambe d’un homme suivant Catel. On en place une aussi en Poitou près du village de la Godiniere ; une autre au village de Dorgues, à deux lieues & demie de Castres en Languedoc ; une à Marsac près de Bordeaux, & une quatrieme à Varins près de Saumur. Nous ne les rappellons ici, ainsi que quelques autres qui précedent, que pour engager des observateurs exacts de constater leur état qui paroît incertain, lorsqu’ils se trouveront à portée de le faire.

J’ajoûterai ici comme un phénomene analogue, celui que la source de la Reinette à Forges offre vers les six à sept heures du soir & du matin. L’eau de cette source se trouble, devient rougeâtre, & se charge de floccons roux, sans être plus abondante dans ces changemens. Je serois porté à croire que cette eau se charge des sédimens qui se sont amassés au fond d’un réservoir, qu’un siphon a puisé deux fois en vingt-quatre heures ; & comme l’ouverture de la source n’est pas assez considérable pour épuiser l’eau du siphon à mesure qu’elle coule, elle n’éprouve ni intermittence ni accès. Il suffit de supposer pour cela, que l’intermittence & l’écoulement du siphon soient de douze heures, & que le réservoir immédiat de la source vuide le produit du siphon pendant le tems de son intermittence & de son écoulement.

On peut rapporter au même méchanisme les singularités de quelques étangs ; les uns situés au milieu des continens, sont pleins pendant la sécheresse, & presqu’à sec pendant les pluies ; d’autres assez près de la mer ou des rivieres qui ont flux & reflux, baissent quand la marée est haute, & montent quand la marée est basse. Pour le premier cas, il suffit de supposer que pendant la sécheresse l’eau ne s’éleve pas assez dans ces étangs pour parvenir jusqu’au coude d’un siphon, par lequel ils communiquent à quelque caverne inférieure, où le siphon décharge leurs eaux, lorsque par l’abondance qui est la suite des pluies, elle s’éleve jusqu’au coude du siphon : en conséquence de cette évacuation, l’étang est moins plein que pendant la sécheresse. Tel est l’étang de Lamsbourne dans le Berskshire en Angleterre. Transact. philosoph. 1724, n°. 384 ; & Desagul. phys. expérim. pag. 180. II. vol.

Pour le second cas, il est aisé de supposer que quand la mer est haute, elle se décharge dans quelque réservoir qui communique par des canaux ou siphons soûterreins à ces étangs singuliers ; & comme l’eau ne commence à couler dans le siphon que dans le tems de la haute mer, elle ne produit d’effet sensible dans l’étang que lorsque la mer s’est retirée ; ensuite quand la mer monte, le siphon est arrêté ; & l’étang ayant répandu ses eaux dans des soûterreins, il est presqu’à sec quand la marée est arrivée à son plus grand degré de hauteur. Tel est l’étang de Greenhive, entre Londres & Gravesand ; tel est probablement le puits singulier de Landerneau. Hist. de l’académie, 1717, pag. 9.

Nous ne parlerons pas ici des fontaines simplement temporaires & maïales ; on en trouve par-tout, surtout dans des endroits où les glaises & les roches recueillent les eaux de l’hyver, ou bien dans les montagnes couvertes de neiges : leur écoulement au reste n’a d’autre principe que l’eau des pluies, qui s’insinue entre les premieres couches de la terre, & dont l’écoulement n’est pas assujetti au jeu d’un siphon, ni à celui des autres pieces compliquées, dont nous avons donné le détail & l’application. On peut expliquer par le méchanisme des fontaines périodiques, un phénomene singulier que présentent certaines cavernes. Près de Salfedan dans les montagnes des environs de Turin, on trouve un rocher entr’ouvert par une fente, perpendiculairement à l’horison ; pendant un certain tems il en sort un courant d’air assez rapide pour repousser au-dehors les corps legers qu’on expose à son action ; ensuite l’air y est attiré, & il absorbe les pailles & ce qu’il peut entraîner. Un semblable rocher dans la Thuringe aspire l’air & l’expire aussi sensiblement : je dis donc que cette espece de respiration a pour principe le mouvement d’un siphon. Tandis que l’eau soûterreine qui se décharge dans la caverne, n’est pas parvenue au niveau de l’orifice inférieur du siphon, l’air s’échappe de la caverne par le siphon, à mesure que la caverne se remplit ; mais il sort ensuite par la fente du rocher, lorsqu’il n’a plus l’issûe du siphon, & que l’eau d’ailleurs versée par le canal d’entretien, le comprime. Il y rentre lorsque l’eau coule abondamment par le siphon, & que la cavité se vuide. Cet article est de M. Desmarest.

Fontaine artificielle, (Hydr.) on appelle ainsi une machine, par le moyen de laquelle l’eau est versée ou lancée. De ces machines, les unes agissent par la pesanteur de l’eau, les autres par le ressort de l’air. Du nombre des premieres sont les jets d’eau, qui tirant l’eau d’un réservoir plus élevé, & la recevant par le moyen des tuyaux pratiqués sous terre, élevent cette eau à une hauteur à-peu-près égale à celle du réservoir. Voyez Jet-d’eau & Ajutage. En disposant les ajutages selon différentes directions, on aura une fontaine ou jet-d’eau, qui lancera l’eau suivant des directions différentes. Voyez fig. 18. Hydrodyn. On peut même, au lieu de différens ajutages, se contenter de pratiquer des ouvertures différentes à un même tuyau, comme on le voit fig. 19. Ouvrant le robinet qui est en C, l’eau s’échappera par ces ouvertures & couvrira les spectateurs qui ne s’y attendent pas. Si on place sur l’orifice de l’ajutage une petite boule A (fig. 21.), elle sera élevée par l’eau qui monte, & se soûtiendra toûjours en l’air pourvû qu’on soit dans un lieu où il ne fasse point de vent. Si à l’orifice de l’ajutage on ajuste une espece de couvercle lenticulaire AB (fig. 22.) percé d’un grand nombre de petits trous, l’eau jaillira en forme de petits filets, & s’éparpillera en gouttes très-fines. Enfin si on soude au tube AB (fig. 23.) deux segmens de sphere séparés, mais assez proches l’un de l’autre, & qu’on puisse éloigner ou rapprocher par le moyen d’une vis, l’eau sortira en forme de nappe.

Construction d’une fontaine qui joue par le ressort de l’air. DDBB (fig. 17. Hydrauliq.) est un vaisseau cylindrique, percé en-bas dans le fond BB, d’un petit trou, par lequel on verse l’eau dans la fontaine, & que l’on peut fermer à l’aide d’une vis-Il y a en-haut sur le couvercle DD un robinet E, par le moyen duquel on peut ouvrir ou fermer ce vase. A ce robinet tient un tuyau KC, qui pénetre le milieu du vase & va se rendre jusqu’au fond où il s’ouvre en C. On enchâsse au-haut du robinet un petit tuyau M, qui a une petite ouverture par laquelle l’eau jaillit. On met de l’eau dans ce vase, sans l’emplir entierement, mais seulement jusqu’à la hauteur AA ; on presse ensuite l’air par le tuyau KC dans le vase. par le moyen d’une pompe foulante, attachée proche du robinet en M ; l’air qui est beaucoup plus leger que l’eau, passe à-travers en montant en-haut, & remplit l’espace ADDA. Lorsqu’on a ainsi pressé une grande quantité d’air dans ce vase, on le ferme avec le robinet E ; & après en avoir retiré la pompe foulante, on y met le petit tuyau. L’air enfermé dans l’espace DA, DA, comprimant l’eau proche de AA, il la pousse en-bas, & la fait entrer & monter ensuite dans le tuyau CK ; lors donc qu’on tourne le robinet E, l’eau sort par la petite ouverture, & forme un jet qui s’éleve avec beaucoup de rapidité, mais qui va toûjours en diminuant de hauteur & de force, à mesure que l’eau du vase baisse & que l’air en se dilatant la comprime moins. Quand toute l’eau est sortie, l’air s’élance lui-même avec bruit & sifflement par le tuyau. Mussch. Essai de Phys. §. 1386.

La figure 20. représente une machine à-peu-près semblable, mais en petit. Cette boule se remplit d’eau jusqu’à la moitié, & fait entrer dans la partie vuide de la boule de l’air comprimé, qui oblige l’eau à monter par le tuyau DAC, & à jaillir par l’extrémité C.

Fontaine qui commence à joüer dès que l’on allume des bougies, & qui cesse quand on les éteint. Prenez un vase cylindrique CD (fig. 25.) ; appliquez-y des tubes AC, BF, &c. ouverts par en-bas dans le cylindre, de maniere que l’air puisse y descendre. Soudez à ces tubes les chandeliers H, &c. & ajustez au couvercle creux du vase inférieur CF un petit tube ou ajutage FE, avec un robinet G, qui aille presque jusqu’au fond des vases. Il y a en G une ouverture, garnie d’une vis, afin que par cet orifice l’on puisse verser l’eau en CD.

Dans cet état, si l’on allume les bougies H, &c. leur chaleur raréfiant l’air contenu dans les tubes contigus, l’eau renfermée dans le vase commencera à jaillir par EF. Wolf & Chambers.

Fontaine de Heron, ainsi nommée de son inventeur Heron d’Alexandrie, & qui a été perfectionnée ensuite par Nieuwentit.

AB (fig. 24.) est un tuyau par lequel on verse de l’eau dans le bassin inférieur C, lequel étant plein de même que le tuyau AB, l’air est poussé du bassin C par le tuyau DE dans le bassin F ; cet air est par conséquent comprimé par le poids de l’eau AB, de sorte que sa force élastique pousse en-bas par le tuyau GL l’eau, qui se trouve dans le bassin F. L’eau coulant alors par le tuyau GL dans le second bassin inférieur M (qui est séparé du bassin C par une cloison OQ, placée entre les deux tuyaux), pousse en-haut l’air qu’il contient par le tuyau NP ; cet air passe dans le second bassin supérieur, & étant alors comprimé par l’eau, qui est dans le tuyau GL, il pousse l’eau par sa force élastique dans le tuyau RS, en forme de jet. Mussch. §. 1387.

Fontaine ou vase dont on tire autant de vin que l’on y verse d’eau, de sorte que l’eau paroît changée en vin. Le petit vase BM (fig. 25. n°. 2.) a une cloison CD. On emplit d’abord la cavité inférieure avec du vin par un petit trou qui est dans le fond, & que l’on ferme à l’aide d’une vis N. Le tuyau supérieur ABP, s’étend jusqu’à la cloison CD ; on y verse de l’eau, qui comprime par son poids l’air renfermé dans cette cavité supérieure, & le force de passer par l’autre petit tuyau SR, qui pénetre à-travers la cloison jusqu’à la cavité inférieure ; cet air comprime par conséquent le vin de la cavité inférieure, lequel il fait monter dans le petit tuyau GC, & couler ensuite par le petit robinet O. Mussch. §. 1388.

Fontaine de Sturmius, laquelle joue ou s’arrête à la volonté de celui qui la fait aller. ABB (fig. 25. n° 3.) est un vase exagone, haut & creux, fermé en-haut & en-bas : il y a au milieu un tuyau DC, ouvert de chaque côté, & qui monte presque jusqu’en-haut dans le vase proche de C : on voit au-bas sur les côtés six petits tuyaux fort menus KK, qui sortent hors du vase, & par lesquels l’eau s’écoule. Le bout inférieur du tuyau proche de D, s’ajuste exactement en E dans un autre tuyau EF, fermement attaché au bassin M ; ce tuyau EF est percé en-bas & de côté proche de F : il se trouve encore dans le bassin, directement au-dessous du tuyau EF, une autre ouverture comme G, par laquelle l’eau qui est tombée dans le bassin, après s’être écoulée par le trou F, commence à se dégorger dans un autre vaisseau N : on peut fermer exactement cette ouverture G à l’aide d’une longue coulisse GL. Lorsqu’on veut emplir d’eau cette fontaine, on la tire du tuyau EF, en ôtant le tuyau EC de l’ouverture E, &, après l’avoir renversée, on y verse de l’eau par le tuyau DC jusqu’à ce qu’elle soit pleine : on la retourne ensuite, & on la remet dans le tuyau EF ; le poids de l’eau la fait alors couler par les petits tuyaux KK. Lorsqu’on tire la coulisse GL dehors, de sorte que le trou de la coulisse & le trou G s’ajustent l’un sur l’autre, alors l’eau qui vient des tuyaux KK peut passer librement par ces trous & tomber dans le bassin N, & la fontaine continuera de couler aussi longtems que le bassin ABB peut fournir de l’eau. Mais quand on bouche un peu le trou G par la coulisse L, en sorte que l’eau qui tombe par KK ne puisse passer en même quantité par G, le trou F se trouve enfin bouché par l’eau, ce qui empêche en même tems que l’air ne puisse pénétrer dans le tuyau DC, ni dans le vase ABB ; l’eau cependant ne cesse de s’écouler par les tuyaux KK, jusqu’à ce que l’eau du vase ABB, avec l’élasticité de l’air raréfié dans ce vase, se trouve en équilibre avec la pression de l’atmosphere, qui agit contre les ouvertures des tuyaux KK, & empêche alors l’eau de s’en écouler : durant ce tems, l’eau continue de s’écouler par les ouvertures F, G, dans le tuyau N ; aussi-tôt que l’eau du bassin MM commence à devenir si basse, qu’il peut s’introduire de nouvel air par l’ouverture F dans le tuyau DC & dans le vase ABB, il agit de nouveau sur l’eau qui s’écoule par les petits tuyaux KK, comme auparavant, en plus grande quantité que les ouvertures G & F n’en peuvent absorber, ce qui est cause qu’elles se bouchent une seconde fois, & ainsi de suite, de sorte que le tarissement & l’écoulement de l’eau se font ainsi alternativement. Mussc. §. 1390.

La description de la plûpart de ces fontaines, est tirée soit en entier, soit par extrait, de l’Essai de physique de M. Musschenbrock. Nous ne parlons point des fontaines intermittentes artificielles ; on a suffisamment vû à l’article Singularités des Fontaines, comment l’art peut les imiter à l’exemple de la nature.

Les propriétés des syphons fournissent aussi des fontaines curieuses.

Soit par exemple un vase AGBF (fig. 25. n°. 5. Hydraul.), dans lequel on ait ajusté un syphon ou tuyau recourbe à branches inégales, dont la plus longue branche DE sorte du vase, & dont l’autre soit ouverte en C près du fond du vase sans toucher à ce fond ; qu’on verse de l’eau dans ce vase, elle montera en même tems dans le syphon CD par l’ouverture C ; & dès que l’eau en s’élevant sera arrivée dans le syphon & dans le vase au niveau du point D, alors par la propriété du syphon toute l’eau du vase s’écoulera par la jambe la plus longue DE. Si donc on place sur le haut du vase une figure dont les levres soient au niveau du coude D, il est évident que l’eau s’écoulera dès qu’elle sera arrivée à la hauteur des levres de cette figure : ainsi la figure pourra représenter une espece de Tantale. Voilà le principe général, dont on peut varier l’application en autant de manieres qu’on voudra, entre autres par celle qui est expliquée dans l’Essai de physique de M. Musschenbroek, §. 1376. Il est facile par la construction de la fontaine, de dérober le jeu du syphon aux spectateurs.

On peut voir dans les livres de Physique, différentes autres especes de fontaines artificielles ; mais voilà les principales. (O)

Fontaines artificielles, (Jard.) sont aussi nécessaires à l’entretien des jardins qu’à leur embellissement. Elles forment des jets, des gerbes, des pyramides, des nappes, des cascades, des buffets, & les morceaux de sculpture qui les accompagnent ordinairement, en font à nos yeux des objets enchanteurs.

On les distribue en fontaines jaillissantes, en eaux plates, en fontaines rocaillées en bassins, à l’italienne, à l’égyptienne, & autres. Voyez l’article suiv. (K)

Fontaines, (Architect.) sous ce nom on entend aussi-bien la source qui produit l’eau que le monument qui la reçoit ; mais par rapport à l’art de bâtir, & aux diverses formes & situations de ces monumens, on les appelle fontaines couvertes, découvertes, jaillissantes, pyramidales, rustiques, en grottes, en buffets, isolées, adossées, engagées, flanquées, angulaires, &c.

Communément le sculpteur a autant de part que l’architecte à la composition de ces sortes d’édifices, principalement lorsqu’il s’agit d’une ordonnance allégorique où symbolique ; à l’usage de la décoration des jardins de propreté, comme il s’en voit à Versailles, ou à celle des fontaines jaillissantes destinées à l’embellissement des places publiques ; telles qu’il s’en voit dans presque toutes les villes d’Italie, & dont l’énumération, le goût du dessein, & la perfection de l’exécution sont connus de tous.

En France, il semble que nous ayons pris soin d’ignorer ces derniers genres de monumens ; car, à l’exception des fontaines qui parent nos maisons royales, & dont les desseins sont de la composition de le Brun, & de plusieurs sculpteurs habiles du dernier siecle, toutes celles qui décorent cette capitale, prouvent notre insuffisance à cet égard. Il semble même que nos architectes ayent négligé cette partie de leur art, au point d’avoir abandonné aux entrepreneurs le dessein de ces sortes d’édifices, le plus grand nombre des fontaines qui se voyent à Paris dans ce dernier genre, étant d’une composition triviale, d’une construction très-négligée, & d’une ordonnance au-dessous du médiocre.

Ce qui est certain, c’est que les deux seuls monumens de cette espece, qui soient dignes de quelque considération, sont la fontaine des saints Innocens rue S. Denis, & celle de la rue de Grenelle fauxbourg S. Germain ; encore faut-il convenir que la premiere a été exécutée par Jean Goujon, & la seconde par Edme Bouchardon, dont les noms seuls font l’éloge. Nous observerons néanmoins que le mérite essentiel de ces deux ouvrages, consiste dans la perfection de la Sculpture, & non dans l’ordonnance de l’Architecture ; en effet, que signifient l’application de l’ordre corinthien dans la décoration de celle des saints Innocens, & l’ordre ionique employé dans la fontaine de Grenelle ? Jusqu’à quand se croira-t-on permis de négliger l’esprit de convenance, dans l’ordonnance de nos édifices ? Pourquoi des ouvrages qui intéressent la gloire de la nation, le progrès des Arts, & la splendeur des regnes de nos rois, ne sont-ils pas jugés, avant leur exécution, par les académies rassemblées ? Quel bien ne résulteroit-il pas, pour la perfection des monumens qui ornent la capitale, si nos architectes, nos sculpteurs, nos peintres, les amateurs, les hommes à talens dans chaque genre, se communiquoient leurs productions, certains jours de l’année, pour y délibérer sur les avantages, le choix, la forme, & la composition de nos bâtimens ? En un mot tous les hommes habiles ne devroient former qu’un corps. Cette réunion d’avis, de sentimens importe plus qu’on ne s’imagine. Tout ouvrage public intéresse les Artistes. C’est par ce moyen seul que la France peut se signaler, & que les soins, la vigilance de notre directeur général peuvent être secondés utilement, & tourner au profit de la société. (P)

* Fontaine domestique ; il y en a de plusieurs especes : nous allons décrire les principales. Toutes se peuvent définir, un vaisseau qui contient l’eau destinée à la boisson & aux autres usages d’une maison.

Il y a d’abord les fontaines simples : ce sont des vases de cuivre rosette, étamés en-dedans. On y distingue trois parties ; celle d’en-bas, ou le pié ; celle qui s’éleve au-dessus, ou la cuve de fond ; & celle qui est au-dessus de la cuve de fond, à laquelle on adapte le couvercle, & qu’on appelle gorge. Elles sont chacune d’une seule piece, sans soudure sur la hauteur ; le chauderonnier qui les travaille les a embouties ou retreintes selon la forme qu’elles exigent. Le pié est bordé à la partie inférieure d’un ourlet qui couvre une baguette de cuivre, & non de plomb ou de fer : c’est un réglement général pour toutes les parties couvertes d’un ouvrage de chauderonnerie : le bord supérieur du pié formé en drageoir, reçoit la cuve de fond.

La cuve de fond entre dans le drageoir du pié ; elle est d’une seule piece, fond & parois : elle a donc été prise dans une plaque, emboutie, retreinte, & réduite par ce travail à la forme d’un cylindre, qui a un peu plus de hauteur que de base. A un pouce & demi, plus ou moins du fond, on pratique une ouverture ; on y releve un ornement extérieur quelconque : cet ornement s’appelle la bosse ; & c’est à l’ouverture que cet ornement entoure, qu’on adapte le robinet. On conçoit que la partie supérieure de la cuve de fond est en drageoir, afin de recevoir la gorge.

La gorge peut être regardée comme prise dans une cuve de fond dont on auroit percé le fond. Sa partie inférieure doit entrer juste dans le drageoir de la piece précédente : cette partie est emboutie, retreinte, & bordée d’un ourlet semblable à celui du pié ; cet ourlet est reçû dans le couvercle.

Le couvercle est un dôme dont la forme varie selon le goût de l’ouvrier : il est bordé par en-bas d’un ourlet, & il porte à sa partie supérieure une poignée qu’on appelle pommelle. La pommelle est au centre du dôme, à l’extérieur, & sert à prendre & à placer le couvercle.

Aux côtés de la fontaine, vers sa partie supérieure, proche la gorge, à droite & à gauche, sont rivées à clous deux plaques de cuivre qu’on appelle porte-mains ; ces plaques retiennent deux anneaux qu’on appelle mains, & qui servent à porter la fontaine.

Voilà la fontaine simple. Elle est placée sur un pié de bois. La cuve de fond est soudée au pié, & la gorge à la cuve de fond. La soudure est d’étain : on se sert de la même soudure pour fixer à demeure le robinet dans le trou de la bosse.

On voit par-là que l’intérieur d’une fontaine pareille ne peut être étamé avec trop de soin : mais jamais l’étamage ne préviendra tout le danger ; parce que, quelque parfait qu’il soit, c’est toûjours un crible, dans les petits trous duquel le verd-de-gris se forme imperceptiblement : & que l’étain lui-même n’est pas un métal tout-à-fait innocent. Voyez les articles Étamer, Cuivre & Étain : & d’ailleurs, si vous mettez de l’eau bourbeuse dans ces fontaines simples, elle n’en sortira jamais bien claire.

La salubrité a fait d’abord imaginer des fontaines de cuivre sablées, qui clarifiassent l’eau ; & ensuite des fontaines de plomb, à sable & à éponge, qui eussent l’avantage des donner des eaux limpides, & d’obvier au danger du cuivre & de l’étain.

Pour se faire une idée juste de la fontaine de cuivre sablée, il faut imaginer une fontaine simple, telle que nous venons de la décrire, dont l’intérieur soit partagé en trois espaces différens par deux diaphragmes ; ces diaphragmes que le chauderonnier appelle pannaches, sont des limbes du diametre de la fontaine, à l’endroit où ils doivent être fixés : ils sont percés au centre d’un trou circulaire ; & les bords de ce trou sont relevés, & peuvent recevoir un couvercle. Le premier diaphragme est soudé un peu au-dessous de la jonction de la gorge & de la cuve de fond ; il est traversé d’un tuyau placé à son bord ; ce tuyau est d’un pouce de diametre, ou environ ; il est soudé au diaphragme ; il se rend au second diaphragme ; il le traverse pareillement, & lui est soudé comme au premier : ce tuyau se nomme ventouse ; il s’éleve jusqu’à l’ourlet de la gorge, où il est arrêté par une soudure. Son usage est de donner sortie à l’air contenu dans la partie inférieure de la fontaine, à mesure que cette cavité se remplit d’eau filtrée.

Le diaphragme supérieur doit avoir son ouverture plus grande que l’inférieur, afin que le couvercle de celui-ci puisse passer par l’ouverture de celui-là.

Le diaphragme ou pannache inférieur est soudé à la cuve de fond, comme le supérieur ; sa distance au premier est d’environ cinq à six pouces : il a aussi son couvercle.

Il faut que toutes ces pieces, tuyau, pannache, couvercle, soient bien étamées.

On remplit de sable l’intervalle compris entre les deux diaphragmes ; l’inférieur est fermé de son couvercle. Le sable placé, on ferme le supérieur du sien ; on met encore une certaine hauteur de sable sur celui-ci, & l’eau réside sur le sable.

L’eau se filtre à-travers le premier sable, s’insinue entre le joint du couvercle du diaphragme supérieur & le rebord de ce diaphragme ; descend dans la cavité comprise entre les deux diaphragmes ; se filtre une seconde fois en passant à-travers le sable qui la remplit ; s’insinue pareillement entre le couvercle du diaphragme inférieur & son rebord ; tombe dans la partie inférieure de la fontaine, la remplit, & en chasse l’air par le canal appellé ventouse : l’eau clarifiée sort de cette partie par le robinet, & sert aux usages de la maison.

On voit que le sable se chargeant de toutes les impuretés de l’eau, il vient un tems où il est tellement envasé, que la filtration se fait lentement & mal : alors il faut laver le sable en plusieurs eaux, & le replacer dans la fontaine. Voyez cette fontaine dans nos Planches de Chauderonnerie.

Voici maintenant la description des fontaines de plomb, sablées & à éponge.

Imaginez une caisse de bois de chêne plus ou moins grande, selon la quantité d’eau qu’on veut avoir en réserve. Que cette caisse soit quarrée, mais un peu plus longue que haute ; & que toute la capacité en soit doublée de plomb, & divisée en quatre parties par des séparations aussi de plomb.

C’est dans la partie ou division ABCD, la plus grande de toutes, qu’on met l’eau comme elle vient de la riviere. Cette division communique avec la division ACFE par des trous t, t, t, t, pratiqués à la partie supérieure de la cloison AC, & par d’autres petits trous u, u, u, u, pratiqués dans une petite gouttiere fort étroite & assez élevée. On voit en IK, à la partie inférieure de la même cloison, AC, une division qui ne s’éleve pas à la hauteur du côté BD, ni de la cloison EF ; elle ne forme, avec la partie inférieure du diaphragme EF, qu’un coffret acIK, qui a à-peu-près la moitié de la hauteur de la cloison EF, & qui est beaucoup plus étroit que la division ABCD. Ce coffret est rempli de sable bien fin, & couvert de deux couvercles percés de quelques grands trous. Le premier couvercle pose & pese sur le sable ; le second ferme le coffre : on en a mis deux, parce que la partie de la vase & des ordures de l’eau qui se déposent sur ces couvercles, n’étant pas retenue dans le sable, le sable en demeure plus long-tems pur & moins sujet à être lavé.

Ce coffret communique avec la division FHNO, par des trous coniques x, x, x, x. Ces trous coniques sont remplis d’éponges très-fines & pressées fortement dans ces trous : ces trous sont pratiqués à sa partie supérieure, comme on voit.

La division FHNO communique avec la division GNOE par d’autres trous coniques y, y, y, y, pareillement remplis d’éponges fines & forcées. Ainsi l’eau en passant de la division ABDC dans le coffret acIK, se filtre dans le sable qui remplit le coffret ; en passant du coffret acIK dans la division FHNO, se filtre à-travers les éponges x, x, x, &c. & en passant de la division FHNO dans la division GNOE, se clarifie encore à-travers les éponges y, y, y, y. Il y a trois robinets ; le robinet L qui donne l’eau la plus claire, de la division GNOE ; le robinet M, qui donne une eau moins claire, de la division FHNO ; & un robinet Q, qui donne l’eau de la division ABCD, comme elle vient de la riviere.

Les trous coniques sont formés dans des bossages de plomb, tels qu’on les voit dans la figure ; & la petite goutiere avec ses trous u, u, u, u, sert à soutenir le sable & à le soulever un peu contre l’effort de l’eau supérieure au coffret. On a pratiqué aux bords supérieurs de la caisse des trous par où l’air peut entrer dans la fontaine, & éventer l’eau.

Ces fontaines sont excellentes ; nous ne pouvons trop en recommander l’usage ; & M. Ami qui les a inventées, a rendu un service important à la société, qui ne peut trop lui en marquer sa reconnoissance. Il a varié son invention en plusieurs manieres différentes & toutes ingénieuses. Voyez les ouvrages qu’il a publiés.

Il faut avoir deux soins assez legers ; l’un de nettoyer le sable & les éponges de tems en tems, de mois en mois ; & l’autre, de ne point laisser tarir sa fontaine : sans quoi les premieres eaux qui viendront après la dessication, tiendront des éponges un petit goût d’amertume & de marécage, mais ne seront jamais mal saines.

Fontaine de la Tête, (Anat.) Voyez Fontanelle.

Fontaines de vin, (Hist. mod.) L’usage de distribuer du vin au peuple, dans les occasions de réjouissances, est fort ancien. Alain Chartier raconte dans son histoire de Charles VII. que parmi les joies du peuple de Paris, lorsque ce roi y entre, « devant les Filles-Dieu étoit une fontaine, dont l’un des tuyaux jettoit lait, l’autre vin vermeil, l’autre vin blanc, & l’autre eau ».

Monstrelet, en parlant de l’entrée que Charles V. fit aussi dans Paris, remarque « qu’il y avoit dessous l’échaffaut une fontaine jettant hypocras, & trois sirenes dedans, & étoit ledit hypocras abandonné à chacun ».

Lorsque le roi Charles VI. la reine Isabelle de Baviere, & le roi Henri d’Angleterre avec sa femme madame Catherine de France, vinrent à Paris, « tout le jour, dit encore Monstrelet, & toute la nuit, découloit vin en aucuns carrefours abondamment par robinets d’airain, & autres conduits ingénieusement faits, afin que chacun en prinst à sa volonté ». Enfin le même historien rapporte que lors de l’entrée du roi Louis XI. dans la rue S. Denis, « étoit une fontaine qui donnoit vin & hypocras à ceux qui boire en vouloient ». Voyez le détail des autres réjouissances à l’article Entrée. (D. J.)

Fontaine de feu, (Artificier.) Si l’on varie un peu la couleur du feu de l’artifice appellé pot à aigrette, & sa figure extérieure, par différens arrangemens, on en forme des apparences de fontaines de feu. Pour changer sa couleur, il n’y a qu’à substituer de la limaille de cuivre ou de la poudre qu’on trouve chez les Epingliers : elle donne à ce feu une couleur verdâtre différente de celle de la limaille de fer, qu’on met dans les aigrettes.

A l’égard du changement de la figure extérieure, & de l’arrangement des cartouches pour représenter des jets, des gerbes, ou des cascades, il n’y a qu’à imiter l’arrangement des tuyaux de plomb qui produisent toutes les différences des fontaines, par une semblable position des cartouches remplis de ces compositions, qui ne produisent que des étincelles sans flamme, comme sont celles où dominent les charbons de bois dur un peu grossierement pilés, la limaille de fer ou de cuivre, sans matieres onctueuses ou huileuses. En effet, il n’y a point tant d’opposition entre l’apparence du feu & de l’eau, qu’on se l’imagine du premier : car les gouttes d’eau des jets saillans éclairés par le Soleil ou quelque lumiere qui s’y réfléchit, ne ressemblent pas mal à des étincelles. Il ne s’agit donc pour représenter une gerbe d’eau, que de rassembler plusieurs cartouches pleins de matieres combustibles de cette matiere, & de les allumer en même tems.

Si l’on range ces tuyaux en deux lignes paralleles, posés en situation un peu inclinée entre eux, ils produiront, lorsqu’ils seront allumés, l’effet d’un berceau d’eau tel qu’on en voit à Versailles, sous lequel on pourra passer sans se brûler, pour peu qu’ils soient éloignés.

Si on les range comme les raies d’une roue, du centre à la circonférence sur le même plan, ils produiront une apparence de Soleil.

Si partant du même centre ils sont également inclinés à l’horison de bas en haut, ils formeront un cone droit semblable à une cloche de fer.

Si on les range sur des formes pyramidales, ils formeront une pyramide de feu.

Si on les couche horisontalement par lits d’inégale hauteur inégalement avancés, & que la matiere dont ils sont pleins soit lente, ensorte que les étincelles retombent sans être poussées loin, leur feu représentera une cascade.

Si les dégorgemens sont des ouvertures larges & plates, & que les tuyaux se touchent, leur feu représentera une nappe d’eau dont le bassin pourra être figuré comme l’on voudra, pour faire retomber les étincelles en rond ou de toute autre figure ; auquel cas les charbons qui les produisent doivent être grossierement pilés pour retomber avant que d’être consumés. Tous les tuyaux de ces artifices peuvent être faits de poterie de terre ordinaire, plûtôt que de toute autre matiere ; parce qu’ils peuvent être consumés par le feu, s’ils sont de bois ; ils se fondroient, s’ils étoient de plomb ou de fer, par l’action du soufre & du salpetre, qui sont des fondans ; & ils coûteroient beaucoup, s’ils étoient de cuivre.

Au reste, on ne peut les faire bien longs ; 1°. parce que le feu les feroit crever, ou s’étoufferoit s’il étoit trop éloigné de l’embouchure de leur dégorgement ; 2°. il resteroit en partie caché dans la longueur de son étendue ; 3°. enfin, on ne pourroit aisément comprimer les matieres, lorsqu’elles doivent être foulées.

*Fontaine, (Raffinerie en sucre.) c’est une cavité qui se forme le plus souvent dans la pâte du pain : quelquefois elle est pleine de sirop ; d’autres fois, on est obligé de l’ouvrir pour la remplir. On se sert pour l’ouvrir de la pointe de la truelle ; & l’on y porte de la matiere, comme dans l’opération que l’on appelle foncer. Voyez l’article Foncer.