Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Sauveur lui-même ne s’en privait point, puisqu’on l’appelait même un buveur de vin (Matth., xi, 19) ; bien plus, il en donna à boire à ses apôtres (Joan., ii, 3) et s’en servit pour instituer le sacrement de son sang (Matth., xxvi, 27). D’un autre côté, le même Jésus ne voulut point qu’on ne bût que de l’eau aux noces de Cana (Joan., ii, 3) ; c’est aux eaux de la Contradiction que le Seigneur punit si sévèrement les murmures de son peuple (Num., xx, 6) ; David n’osa boire l’eau qu’il avait tant désirée (II Reg., xxiii, 16), et les guerriers de Gédéon qui se couchèrent sur le ventre, afin de boire plus à l’aise de l’eau du ruisseau, furent jugés indignes de marcher au combat (Jud., vii, 5). Quant au travail des mains, pourquoi vous en glorifiez-vous tant, quand vous voyez Marthe reprise de son empressement au travail et Marie louée de son repos (Luc., x, 41), et quand vous entendez l’Apôtre Paul lui-même dire en toutes lettres : « Les exercices corporels servent à peu de chose ; mais la piété est utile à tout (II Tim., iv, 8). » Il y a un travail qui est excellent, c’est celui dont parlait le Prophète quand il disait : « Je me suis épuisé de fatigue dans mes gémissements (Psalm. vi, 7), » et ailleurs, « Je me suis souvenu de Dieu et j’y ai trouvé ma joie ; je me suis exercé dans la méditation et mon esprit en est tombé de défaillance (Psalm. lxxvi, 3). » Mais pour que vous ne croyiez point qu’il parle d’un travail corporel, il dit : « Mon esprit en est tombé de défaillance. » Si c’est l’esprit et non le corps qui s’est trouvé fatigué en lui, c’est évidemment que son travail n’était point un travail corporel.

Chapitre VII.

Les exercices spirituels sont plus avantageux que les corporels.

13. Eh quoi, me direz-vous peut-être, êtes-vous tellement pour les exercices spirituels que vous condamniez les corporels, même ceux que la règle nous prescrit ? Je m’en garde bien, il faut au contraire pratiquer les uns et ne point négliger les autres (Matth., xxiii, 23) ; mais, s’il y avait à opter entre les deux, il vaudrait mieux négliger les seconds que les premiers, car, plus l’esprit l’emporte sur le corps, plus les exercices de l’un l’emportent sur les exercices de l’autre. Ainsi, quand fidèle observateur des pratiques corporelles, vous dédaignez fièrement ceux qui les négligent, ne montrez-vous point que vous transgressez vous-même la règle, puisque en en observant rigoureusement les moindres obligations, vous en négligez les plus importantes, malgré les recommandations de l’Apôtre qui vous dit : « Ayez plus d’empressement et de zèle pour les dons qui sont Les dons les plus excellents sont l'humilité et la charité. les meilleurs (I Corinth., xii, 31). » Or, lorsque vous exaltant vous-mêmes vous abaissez les autres, vous manquez à l’humilité, et quand vous les dépréciez, vous manquez à la charité qui sont certainement les dons les plus excellents. Vous accablez votre corps par de rudes et nombreux travaux, et vous mortifiez vos membres, j’entends vos membres charnels, par toutes les austérités que la règle prescrit, c’est bien ; mais que direz-vous si celui que vous croyez ne pas travailler autant que vous, tout en faisant moins de ces exercices qui sont d’une faible utilité, je veux parler des exercices corporels, possède à un plus haut degré que vous cette piété qui est utile à tout ? Qui de vous a le mieux observé la règle ?