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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/458

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CORRESPONDANCE.

Si j’ai rendu à une belle dame[1] deux baisers qu’elle m’avait envoyés par la poste, personne ne doit m’en blamer : la poésie a cela de bon qu’elle permet d’être insolent en vers, quoiqu’on soit fort misérable en prose. Je suis un vieillard très-galant avec les dames, mais plein de reconnaissance pour des hommes éternellement respectables qui m’ont accablé de bontés.

Voici deux petites lettres[2] sur l’affaire de M. de Morangiés qui vous sont probablement inconnues. Comment pourrais-je vous faire tenir les Fragments sur l’Inde, dans lesquels je crois avoir démontré l’injustice et l’absurdité de l’arrêt de mort contre Lally ? Il me semble que j’ai combattu toute ma vie pour la vérité. Ma destinée serait-elle de n’être que l’avocat des causes perdues ? Je fus certainement l’avocat d’une cause gagnée quand je fus si charmé du poëme des Saisons ; soyez sûr que cet ouvrage restera à la postérité comme un beau monument du siècle. Les polissons[3] qui l’ont voulu décrier sont retombés bien vite dans le bourbier dont ils voulaient sortir. Que dites-vous de ce malheureux abbé Sabatier qui a sauté de son bourbier dans une sacristie, et qui a obtenu un bénéfice ? J’ai en ma possession des lettres de ce coquin à Helvétius, qui ne sont pleines à la vérité que de vers du Pont Neuf et d’ordures de bord… ; mais j’ai aussi un commentaire de sa main sur Spinosa[4], dans lequel ce drôle est plus hardi que Spinosa même. Voilà l’homme qui se fait père de l’Église à la cour ; voilà les gens qu’on récompense. Ce galant homme est devenu un confesseur, et mériterait assurément d’être martyr à la Grève. Ce sont là de ces choses qui font aimer la retraite. Votre poëme des Saisons, que je vais relire pour la vingtième fois, la fait aimer bien davantage.

M. de Lisle, le très-aimable dragon, qui est venu dans nos cantons suisses avec Mme de Brionne, m’a communiqué l’Art d’aimer[5] de Bernard. Ce pauvre Bernard était bien sage de ne pas publier son poëme : c’est un mélange de sable et de brins de paille avec quelques diamants très-joliment taillés.

Le livre posthume d’Helvétius[6] est bien pire ; on a rendu un

  1. Mme Du Barry ; voyez lettre 8870.
  2. Les lettres première et seconde à la noblesse du Gévaudan ; voyez tome XXIX, pages 65 et 71.
  3. Entre autres Clément, auteur des Observations critiques, etc. ; voyez Tome XLVII, page 340.
  4. Voyez lettre 8904.
  5. La première édition de ce poème est de 1775 ; voyez aussi lettre 8965.
  6. De l’Homme et de son éducation : voyez lettres 8725 et 8867.